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REVUE SCIENTIFIQUE LES AMBITIONS DE LA CYBERNÉTIQUE

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Academic year: 2022

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REVUE SCIENTIFIQUE

L E S A M B I T I O N S D E L A CYBERNÉTIQUE

Les comptes rendus de l'Académie des Sciences viennent d'enre- gistrer la naissance d'une science physique qui avait été déjà baptisée en Amérique du nom de « cybernétique » par un mathé- maticien, M . Wiener. Le mot grec, qui veut dire « gouverner un navire », est celui sur lequel les Latins ont calqué guberno et guber- natio. L a cybernétique pourrait donc être aussi bien la science du gouvernement, et elle promet de le devenir le jour où les citoyens seront remplacés par des robots. Il s'agit en effet d'une mécanique nouvelle, enrichie de toutes les conquêtes électriques, qui prétend se substituer à l'intelligence de l'homme dans les œuvres de son industrie et même dans les opérations abstraites. L a cybernétique ne se proposait d'abord que de nous aider dans nos calculs, mais au train dont elle va, qui sait où elle nous conduira ! Si l'on en croit un récent colloque qui s'est tenu i l y a quelques semaines à Paris, au Centre national de la recherche scientifique, entre les spécialistes américains, anglais et français, c'est la pensée humaine elle-même qui est menacée d'être démontée comme un mécanisme d'horlogerie et contrefaite par les audacieux cybernéticiens.

Leur précurseur bien innocent c'est Pascal avec sa machine à calculer. Des combinaisons ingénieuses de roues dentées et d'arti- fices mécaniques ont donné les magnifiques machines comptables modernes qui exécutent les quatre opérations arithmétiques efr qui en impriment les résultats, épargnant ainsi de fastidieux efforts et assurant l'exactitude parfaite. Certaines de ces machines sont entièrement automatiques, en ce sens qu'une fois posés les chiffres de départ, il n'y a qu'à laisser faire les rouages. Une multi- plication de milliards par millions demande cinq secondes. Les machines comptables se sont diversifiées en machines statistiques

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R E V U E SCIENTIFIQUE 151 qui trient et qui comptent des cartes perforées et qui sont même capables de les perforer quand elles en ont reçu l'ordre écrit, par le moyen d'une cellule photo-électrique. L a vitesse est de plusieurs centaines de cartes à la minute.

Les progrès les plus étonnants dans la construction de ces machines universelles ont été faits aux Etats-Unis au début de la guerre. Elles ont atteint un volume énorme jusqu'à remplir des salles, mais leur capacité est illimitée. L a précision qu'elles garan- tissent est en raison du nombre de chiffres qu'elles peuvent traiter.

L a machine Mark, construite .par Aiken en 1942 à l'Université d'Harvard, permet de combiner des nombres ayant 23 chiffres décimaux. Toutes les opérations sont ramenées à des additions, mais ces machines font intervenir des fonctions exponentielles par les logarithmes, des fonctions circulaires pour les angles, etc.

Grâce à l'emploi de circuits électriques et de lampes électroniques, la vitesse des calculs est devenue prodigieuse. L'une de ces machines, qui utilise 18.000 tubes à vide, peut faire 5.000 opérations en une seconde. Des centaines de millions de nombres peuvent être mis en œuvre dans un seul problème.

Notre grand cybernéticien français, M . Louis Couffignal, direc- teur du Laboratoire de calcul mécanique à l'Institut Biaise Pascal, qui dépend du Centre national de la recherche scientifique, est en train de construire, plus économiquement et avec autant d'effi- cacité, une machine universelle de ce genre. Les chiffres ne sont plus représentés par des dents et des tours d'engrenages mais par des suites d'impulsions électriques analogues à celles qui donnent l'heure dans les émissions radioélectriques. Ces tops sont dénombrés par des compteurs dits flip-flop, formés de couples de lampes triodes. Les nombres sont écrits non dans la numération décimale qui exige dix signes, mais dans la numération binaire qui n'en emploie que deux, 0 et 1. Si le nombre des signes augmente, comme on peut passer une centaine de milliers de tops par seconde, la com- plication du décodage final est sans importance, tandis que les opé- rations arithmétiques en sont grandement simplifiées. Pour accroître encore la vitesse on peut lancer les impulsions non à la suite mais simultanément par des circuits électriques préétablis.

Il faut alors quelques millionièmes de seconde pour multiplier dix chiffres par dix chiffres.

Les nouvelles machines ont une « mémoire » en ce sens qu'elles peuvent conserver des résultats intermédiaires ou utiliser des

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données utiles inscrites d'avance. Ces résultats sont maintenus en attente d'une façon curieuse : les impulsions génératrices tournent en circuit fermé et il suffit qu'elles soient prêtes à sortir quelque infime fraction de seconde plus tard pour remplir leur tâche mné- monique. Des modèles récents ont recours à la télévision ; les impulsions électriques sont transformées en taches lumineuses qui se rangent sur un écran et sont lues au moment nécessaire. L a machine française utilise un ruban magnétique comme les magnéto- phones enregistreurs de la radiodiffusion. De même qu'on attribue à ces machines une mémoire, on peut aussi leur attribuer un discer- nement en ce qu'elles peuvent « choisir » entre différents modes opératoires, prendre par exemple les plus rapides. Mais i l faut se garder de prononcer le nom d'intelligence. L a machine n'a d'initia- tives que celles qui ont été prévues par son constructeur et inscrites dans sa constitution même. Laissons les matérialistes dire qu'il n'en est pas autrement dans la machine humaine.

Les efforts des cybernétistes s'étaient déjà dirigés dans une autre direction plus hardie et qui s'est révélée encore plus fructueuse : la construction des machines dites analogiques ou « analyseurs diffé- rentiels » dont le promoteur fut Bush en 1928. Elles coordonnent un certain nombre de machines particulières dont chacune est consacrée à une tâche arithmétique différente, en vue de résoudre des pro- blèmes dont l'énoncé a été traduit dans le langage de la machine.

Par exemple le tir contre un objectif mobile implique un certain nombre de conditions qui relèvent du calcul et qu'on ne pourrait déterminer dans le temps très court laissé aux servants de la pièce.

Seule une machine ultra-rapide fournira non seulement les éléments de la visée mais mettra par des relais la pièce en position et fera partir le coup à l'instant voulu. L a question du temps est capitale et dans les machines arithmétiques comme dans les machines ana- logiques, elle a reçu une solution effarante puisque la réponse d'une lampe triode dont on excite la grille est déclenchée en deux cents- millionièmes de seconde. Une des grandes machines américaines détermine la trajectoire d'un obus en beaucoup moins de temps que l'obus n'en met pour atteindre son but. Dans les analyseurs, où il est d'autres organes que les lampes, la durée est plus longue mais elle reste suffisamment courte à l'échelle des opérations humaines.

Ces organes qu'emploie la cybernétique entrent dans la caté- gorie générale des « servo-mécanismes » qui constituent maintenant

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R E V U E SCIENTIFIQUE 153 un enseignement important dans les écoles d'ingénieurs. M . Métrai, professeur au Conservatoire des Arts et Métiers, vient justement de présider un colloque où ont été traités tous les aspects de ces applications nouvelles dont le champ est immense. Asservis à la toute-puissante mathématique, ces appareils remplacent l'homme, d'abord dans les fonctions de régulation. Tout le monde connaît le parallélogramme de Watt dont les boules s'élèvent ou s'abaissent selon la vitesse de façon à régler la puissance dans les machines à vapeur. C'est l'exemple type d'un appareil qui utilise les irrégu- larités d'un phénomène pour le stabiliser au rendement le meilleur.

Un autre caractère des servo-mécanismes se voit dans les relais où i l suffit d'une énergie extrêmement faible pour accomplir des effets extrêmement puissants, comme dans nos postes de radio. Le servo-mécanisme est défini par son signal d'entrée et par son signal de sortie, ces deux grandeurs étant dans une relation établie d'avance. Mathématiquement une relation de ce genre s'appelle une fonction. L'introduction des circuits électriques et électro- niques a permis de matérialiser des fonctions quelconques avec une approximation suffisante. Elle a inauguré ces « mathématiques expérimentales » que M . H . Raymond a particulièrement étudiées en France à la suite des Américains. L a nouvelle technique résout un système de deux équations quelconques à deux inconnues ; elle résout des équations différentielles ; elle est capable d'aborder n'importe quel problème à plusieurs variables par la combinaison de servo-mécanismes comprenant des moteurs, des potentiomètres, des résistances, des capacités. L a nomographie, constituée en science appliquée par Maurice d'Ocagne i l y a un demi-siècle, permettait déjà de représenter graphiquement des équations à un nombre quelconque de variables et de résoudre une foule de problèmes répondant aux besoins des mécaniciens, des balisticiens, des géodé- siens, des navigateurs, des statisticiens, des financiers même. L a cybernétique a amplifié à un degré étourdissant ces procédés gra- phiques qui n'exigeaient que la règle graduée, le compas, le rap- porteur d'angles, la table de logarithmes, parfois les intégrateurs mécaniques. Ils n'étaient plus à la hauteur des progrès modernes dans la physique nucléaire, les probabilités statistiques, l'aviation aérodynamique, le radar et les engins de guerre. L a marine améri- caine vient de mettre en service un « cerveau électronique » pour la conduite et la surveillance des projectiles radioguidés.

Le fait que les machines de la cybernétique répondent immédia-

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tement à une question, à la façon d'un réflexe nerveux, suggère inévitablement une représentation électromécanique de la physio- logie. « L'homme n'est autre chose qu'un servo-mécanisme, écrit M . Métrai, le seul intelligent certes, mais très imparfait. » Les organes des sens lui apportent les signaux d'entrée, avec des seuils et des limitations comparables aux « bandes passantes » des signaux radioélectriques ; avec des imperfections venant de la lenteur des processus nerveux, des centaines de mille fois moins rapides que les courants électriques ; avec la difficulté de répondre à plusieurs sollicitations sensorielles en même temps. Il faut à l'homme un long apprentissage pour arriver à l'automatisme moteur que donnent du premier coup les machines, avec une supériorité écrasante.

Dans l'enivrement d'avoir su les construire, l'homme de l'âge cybernétique a l'ambition de se faire remplacer par elles dans toutes les tâches qui comportent un effort musculaire et aussi un effort intellectuel, notamment les tâches de surveillance, de régulation, de contrôle, en prenant ce dernier mot dans le sens français de véri- fication et dans le sens anglais de commande et direction. Sorti du cerveau des romanciers le « robot », esclave mécanoélectrique, est en voie de réalisation. C'est là un vieux rêve humain, puisqu'on construit des automates depuis l'antiquité. E n Europe ils ont d'abord annoncé l'heure aux portes des villes. Aux x v ne et au x v me siècles, Vaucanson, Mical, Kempelen, les Jaquet-Droz ont créé d'admirables personnages comme l'Ecrivain qui pouvait écrire une phrase de quarante caractères, la Musicienne qui jouait de l'harmonium, etc. A u x i xe siècle, Torrès de Quévédo a construit un Joueur d'échecs magnétique capable de conduire une partie et de déceler les fautes de l'adversaire. L'invention du microphone a donné l'oreille aux automates et celle de la cellule photo-électrique leur a donné l'œil. L a physique et la chimie ont maintenant de quoi les pourvoir des sens du goût et de l'odorat. Si L a Mettrie a pu naguère scandaliser les bonnes âmes avec son Homme-machine, c'est en réfléchissant sur les automates de son temps. Les philo- sophes du nôtre se jugent encore plus en droit de considérer un être vivant et même un être pensant comme une composition de réflexes.

Un biologiste anglais, qui appartient à l'Institut neurologique de Bristol, M . Grey Walter, a fait beaucoup parler de lui récem- ment avec ses Tortues artificielles qui donnent à première vue l'impression d'un comportement libre. Elles se promènent dans une

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R E V U E SCIENTIFIQUE 155 pièce, se dirigent vers la lumière faible, évitent la lumière forte, contournent les obstacles après les avoir tâtés, se mirent devant une glace avec un dandinement de satisfaction, se livrent entre elles à des approches prudentes sans vouloir, semble-t-il, aller jusqu'à l'embrassement, se rendent enfin à leur nid quand elles ont faim, c'est-à-dire quand leur accumulateur vital est déchargé ; là elles se rechargent et sont prêtes pour une nouvelle promenade. Anato- miquement, cette nouvelle espèce de chéloniens, Machina specu- latrix, est un assemblage de moteurs et de rouages servo-moteurs assujettis à une cellule photo-électrique qui est l'œil de l'automate.

Il paraît que ces créations aident à comprendre le fonctionnement du système nerveux. Certes, mais en s'inféodant à la théorie des

« tropismes » de Loeb, qui est, malgré l'Ecole de Watson, aussi périmée aujourd'hui que la physiologie cartésienne. M . Grey Walter pense qu'avec quelques milliers de servo-mécanismes, il imiterait tout à fait les tortues naturelles, au moins pour les fonctions de locomotion, car ses tortues n'assimilent ni ne se reproduisent. Il fabrique d'ailleurs un nouvel automate qu'il compte dresser par la méthode des réflexes conditionnels de Pavlof.

Les possibilités de la cybernétique paraissent donc merveilleuses.

Mais ses promoteurs tendent à nous rappeler sans cesse ses humbles origines, à l'inverse des magiciens d'estrade qui sont peu enclins à dévoiler leurs trucs. Aux Etats-Unis, W. A. Porter vient de construire un petit cerveau mécanique qu'il a baptisé « Simple Simon » et qui est destiné à enseigner les étudiants. Nous en verrons peut-être un jour une réplique au Palais de la Découverte. Simon est doué d'une faculté arithmétique, l'addition, et d'une faculté algébrique : la négativation des nombres. Il a en plus deux facultés logiques : la reconnaissance du nombre le plus grand et le choix entre deux nombres d'après des conditions données d'avance. Cela fait quatre facultés matérialisées par huit électro-aimants. Le système numéral de Simon se limite à quatre chiffres 0, 1, 2 et 3. Avec le 4 on revient à 0, avec le 5 à 1, etc. Pour négativer un nombre i l le soustrait de 0 ou de 4 son équivalent, de sorte que 2 est le négatif de 2, 1 le négatif de 3 et 3 le négatif de 1. Les réponses ont lieu par oui et par non, dans le domaine logique, par 0 et par 1 dans le domaine mathéma- tique, au moyen d'une petite lampe qui s'allume dans un tableau de huit lampes. Les questions sont posées au moyen de cartons perforés qu'on introduit comme dans un piano mécanique.

Simon a, bien entendu, une mémoire qui est constituée de

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16 registres. Les deux premiers peuvent enregistrer soit des nombres soit des opérations. Les six registres suivants gardent en réserve le résultat acquis jusqu'au moment du besoin. Puis viennent cinq registres qui ont en commun la faculté mathématique et la faculté logique. C'est la partie active du cerveau. Les trois derniers registres Sont reliés aux lampes du panneau et délivrent les réponses. Pour l'addition, une paire de lampes donne le total dans le système binaire.

On peut poser environ 200 questions différentes à Simon.

Il ne faut à son petit cerveau que deux tiers de seconde pour accomplir une opération. Ce n'est rien par rapport aux milliers d'opérations que les grands cerveaux américains font par seconde ; mais c'est sans doute encore plus rapide qu'un cerveau humain.

De même, quel est l'individu qui pourrait se souvenir à jamais de seize nombres qu'on viendrait de lui écrire ? Or Simon n'est qu'un grossier robot, qui ne connaît pas la numération décimale et ne raisonne pas encore. M . E . C. Berkeley, qui a écrit un livre sur les Cerveaux géants et qui raconte son humble histoire, déclare qu'un jour nous peuplerons nos foyers de petits Simons perfectionnés qui feront nos calculs ménagers et fiscaux, aideront nos enfants dans les problèmes scolaires et nous diront les meilleures décisions à prendre touchant les questions pratiques que nous leur sou- mettrons. Tels sont les prototypes de la machine à penser de l'avenir, si l'on accorde intrépidement à la cybernétique que l'esprit n'est qu'une machine bien montée.

R E N É S U D R E .

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