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RUPTURE

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Academic year: 2022

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RUPTURE

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RUPTURE

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ISBN 2-7089-8521-3

© 1988 - Georges Murat et 31800 Castelmaurou

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Aux cheminots grévistes de l'hiver 1986-1987 et ... aux autres.

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1.

C'est seulement en franchissant la porte de l'immeuble qu'il se souvint d'avoir oublié de regarder l'extérieur au travers des carreaux de l'unique fenêtre de sa cuisine. Pourtant, depuis cinq ans, pas une seule fois il n'avait contrarié cette habitude de jours de semaine.

Sitôt la sonnerie sauvage du réveil arrêtée, d'un geste brusque et précis, ses pieds quittent la douceur tranquille des draps et le conduisent à scruter le dehors. Comme un automate, il vide alors le lait dans une casserole, règle le débit du brûleur de la cuisinière au ralenti et s'enferme dans la salle de bains. Lorsqu'il en sort, lavé et habillé, trois petites minutes lui sont amplement nécessaires pour avaler d'un trait son bol de café au lait et descendre par l'escalier les trois étages qui le séparent de la sortie.

Il ne sait pas pourquoi, d'ailleurs il ne s'est jamais posé la question, mais cette approche instinctive en deux temps du milieu extérieur lui est nécessaire.

Depuis cinq ans, depuis le premier jour de son mariage et de son installation dans ce logement, jamais Gilbert n'avait manqué à ce rituel. Et là, planté sur le pas de la lourde porte de verre, il a du mal à suivre son cerveau. Celui-ci fonctionne de

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façon bizarre ; parfois au ralenti, ou bien, et d'un seul coup, très rapidement, comme projetant des flashs. Ce phénomène ne dure pas bien longtemps, quelques secondes tout au plus. En tout cas suffisamment pour lui rappeler sans cesse son oubli et accentuer le malaise qui l'habite depuis vendredi soir. En fait, ce dernier est la cause de tout : d'une nuit sans sommeil jusqu'au petit matin, de l'écrasante fatigue au lever et, par conséquent, de l'absence devant la fenêtre.

Sans lui, il se serait préparé à affronter l'épaisseur de neige et son regard lui aurait recommandé de se munir de vêtements adéquats pour se parer de la température glaciale. Les frissons qui l'accompagnèrent lors de ses multiples va- et -vient durant la nuit s'évertuèrent à l'avertir. En tout autre occasion, lui si calme d'habitude, aurait immédiatement perçu le message. Là, pas du tout ; c'est sur le compte de l'énervement et de la lassitude qu'il mettait ces épisodiques moments de chair de poule et de tressaillements d'omoplates. Cette pensée amena enfin un sourire sur ses lèvres. "Je vais me faire engueuler ce soir encore, se dit-il, j'ai tellement fumé de cigarettes que j'ai rempli le cendrier ... et j'ai une nouvelle fois oublié de le vider ..."

Tout en fouillant au fond de ses poches pour récupérer le trousseau de clefs, il se dirige alors vers la voiture. Heureusement, il se rappelle où elle est garée. L'abondante chute de neige de la nuit rend pratiquement méconnaissables au premier regard les différentes marques qui garnissent le parking de la cité. Avant de débarrasser sa Peugeot 204 de son pesant manteau, il décide d'ouvrir la portière et de lancer le moteur pour réchauffer l'intérieur. Pendant quelques secondes, il est obligé de souffler sur la

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serrure car celle-ci est gelée et elle refuse de fonctionner. Les gros mots commencent à se succéder lorsqu'il arrive à ouvrir. Le froid, qui semble plus vif à l'intérieur qu'à l'extérieur le cloue littéralement sur le siège, et c'est une main tremblante qui s'approche du contact. La batterie est en bon état, mais ce n'est pas suffisant. Pendant au moins un quart d'heure, le moteur tourne mais ne s'allume pas. Il faut se rendre à l'évidence, faute de changer bougies, vis platinées et condensateur, il ne changera pas d'avis ... Excédé au possible, Gilbert sort comme un fou. Il ne jure plus, mais ses mâchoires serrées et la fréquence de ce qui est éjecté sous pression de ses narines en disent long. Après un dernier regard du coin de l'oeil, quelques pas agrémentés de coups de pied dans la neige, il revient vers la voiture et ferme sans ménagement la portière restée grande ouverte. A quelques mètres de lui, d'autres imprévoyants ne semblent pas avoir plus de chance. Il les regarde sans les voir vraiment."

Maintenant, il faut prendre une décision, l'heure tourne. Le bus, ou la marche ... ? De toute façon, je serai à la bourre ... Bof, je ne vais pas attendre à l'arrêt de cars. Je vais commencer à partir à pied, et je verrai bien ... Si j'en vois un arriver, je lui ferai signe. Et puis, un peu de marche me fera le plus grand bien."

Le trajet qu'il doit effectuer n'est pas spécialement long. Il forme une sorte d'équerre ; une longue ligne droite d'un kilomètre et demi en empruntant la rue Louis Plana jusqu'au bout, puis arrivé au carrefour de la Roserais, il faudra prendre sur la gauche et arpenter la rue de Périole sur une distance de huit cents mètres environ. Deux kilomètres et demi, pour cet amoureux de la marche

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ne sont qu'une plaisanterie. Evidemment il préfère, et de loin, exercer cette passion sur les chemins de terre de la campagne environnante ou sur les sentiers caillouteux de montagne. Ah, la montagne ! Hier et avant- hier encore, il y était. Avec sa femme et son fils de trois ans, il avait passé le week end à respirer le bon air. Pour une fois, Myriam n'avait pas eu le temps de proposer cette sortie. Dès sept heures samedi matin, devant les regards quelque peu surpris de Mimie devant tant d'empressement, il s'était occupé de tout : rangement des habits et affaires de toilette dans deux gros sacs de voyage, transport de ces derniers dans le coffre de la voiture, vérification rapide des niveaux, huil,e moteur, et liquide de freins, sans oublier celui de l'eau. Il était remonté en sifflotant et avait téléphoné à son ami Frédéric, habitant à La Cabanasse, ce petit village situé au flanc de Mont Louis dans les Pyrénées Orientales. Ceci fait, il n'y avait plus de soucis à se faire pour passer la nuit. Frédéric se rendrait dans la matinée à la mairie et récupèrerait les clefs de l'appartement municipal et mettrait en route le chauffage. A leur arrivée, une bonne température leur permettrait de prendre en toute quiétude un bon repas. Ensuite, la petite troupe se dirigerait en voiture vers le véritable lieu de promenade.

Ils avaient découvert Formiguières trois années auparavant et aimaient y retourner chaque fois qu'ils le pouvaient. De nombreux sentiers banalisés se glissant entre les forêts de pins qui recouvrent la nature montagneuse permettent de multiples ballades. Même pour une famille avec un enfant en bas âge, il n'y a aucun problème. La largeur des chemins et leur propreté donnent la possibilité de pousser un landeau. Et quand le petit chérubin

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décide de marcher sans l'aide de personne, c'est sans danger qu'il peut laisser libre cours à son envie d'aller au maximum de lui-même. Cet entrain à préparer ce départ n'avait pas surpris que Myriam.

Lui aussi s'était épaté. Mais il lui fallait réagir. Et vite, très vite. Depuis la veille, il ne cessait de se répéter Comment a-t-elle pu faire ça ... ?"

Comment a-t- elle pu ... ?" Il lui fallait réagir, sinon très vite il deviendrait fou ..., complètement fou.

Aussi cette vivacité qui accouplait étonnament tourbillon et organisation n'était-elle en fait qu'une réponse de même intensité au désarroi et à la douleur qui l'habitaient depuis cet horrible coup de téléphone de la veille. Il avait eu en partie raison d'agir de la sorte. Ces deux jours lui avaient fait du bien. Oh, évidemment la souffrance était là, bien présente, lancinante mais fortement atténuée. Il se surprenait même parfois à regarder Myriam pendant un long moment alors qu'elle s'occupait d'Eric, leur enfant ... Mais dès leur retour à l'appartement, il avait retrouvé derrière la porte ce qu'il fuyait depuis deux jours...

La chute d'une dame âgée d'une quarantaine d'années interrompit ses pensées. Ses deux pieds n'avaient sûrement pas du l'habituer à des départs aussi rapides, et encore moins à les décider au même moment. Le tout est qu'ils l'avaient laissé sur place, l'arrière train n'en finissant plus de bondir. Tout son corps fut immédiatement animé de soubresauts et son rire communicatif attira mieux qu'une plainte de nombreuses mains pour remettre sur pied l'agréable personne. Tout en riant, il reprit sa marche et s'aperçut qu'il avait effectué les trois quarts de la première partie de son trajet. Heureusement qu'il n'avait pas attendu le car ; il n'en avait pas vu

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passer un seul. Très vite, le sourire disparut de son visage...

"Comment a-t-elle pu ?" Il n'en revenait toujours pas. Il n'aurait jamais cru que quelqu'un puisse un jour lui faire autant de mal, aussi mal Et pas elle, surtout pas elle ... ; surtout pas Françoise...

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2.

Comme il l'avait prévu hier soir alors qu'il venait d'entendre la nouvelle au journal de vingt heures à la télévision, Jean-Pierre arrive sur le parking du dépôt beaucoup plus tôt que d'habitude.

Il est fatigué, mais en pleine forme. Il est des bonnes fatigues qui vous régénèrent un hiomme, et celle- là fait partie du lot. Hier, dimanche, Maryse et lui avaient fêté leur huitième anniversaire de mariage.

Leurs deux enfants de trois et cinq ans, Cédric et Sandrine déposés chez la maman de Maryse, ils avaient dîné au restaurant, comme ils le font tous les ans à cette date, et comme des amoureux qu'ils n'avaient jamais cessé d'être. Ils auraient voulu aller au cinéma en sortant, mais la séance de vingt deux heures trente avait déjà débuté. Ils étaient alors rentrés tranquillement chez eux et avaient fait l'amour pratiquement tout le reste de la nuit.

Les parents de Maryse avaient agrémenté la corbeille de mariage d'un terrain de mille trois cents mètres carrés qu'ils possédaient sur la commune de Rouffiac plantée à une dizaine de kilomètres de Toulouse. Ce n'est qu'au bout de cinq ans, à la naissance de leur deuxième enfant qu'ils s'étaient décidés à se lancer dans la construction de leur maison. Jusqu'alors ils vivaient dans un appartement

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agréable rue des Fontaines, mais l'arrivée du petit dernier modifiait trop l'espace vital. Il fallait prendre une décision ; soit chercher un autre logement avec un loyer plus élevé, soit faire construire. Quelle que soit la solution retenue, il n'y avait pas de quoi sauter en l'air. L'avenir ne s'annonçait pas aussi rose que la layette. Un seul salaire, qui plus est de cheminot, mérite réflexion. Les parents tout heureux de voir se matérialiser leur cadeau ont bien promis une aide substantielle, mais quand même ...

Ce qui fit pencher la balance, furent les arguments d'un autre cadre de vie, surtout pour les enfants, et la tranquillité ; et également, qu'à payer quelque chose, même si c'est un peu plus cher pendant quelque temps, elle leur appartienne totalement un jour.

Né en juillet 1952, Jean-Pierre était resté fidèle à l'école primaire jusqu'en 1966. Il avait ainsi assumé son respect vis-à-vis de la loi qui instituait l'école obligatoire jusqu'à quatorze ans. A l'orée de sa onzième année la question de son inscription en sixième embarrassait ses parents. Ils l'avaient tranchée comme on le faisait à l'époque dans une famille de campagne, sans beaucoup de commentaires et en tenant compte de la soupe quotidienne. "Ton frère aîné est déjà dans le secondaire et il ne rentre ici que mon petit salaire de métayer. Plus vite tu auras un métier, et plus vite ça ira mieux pour tout le monde."

Pendant de nombreuses années, il en gardera une rancoeur certaine.

En avril 1966, il passait avec succès le concours d'entrée pour le centre d'apprentissage du dépôt S.N.C.F. de Toulouse. Il rentra dans cette bonne école au mois de septembre. Ni plus mauvais ni

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meilleur que les autres, il occupera trois ans de sa jeune vie à limer, buriner, percer, tarauder, fileter et aléser. Il se familiarisera avec toutes sortes de machines outils et saura se servir d'une perceuse à pied, d'un étau limeur, d'une fraiseuse ou d'une scie mécanique. Il touchera à la pratique de la soudure et apprendra la technologie et l'électricité. Au bout de trois ans, il était fin prêt, et comme tous ses camarades de promotion, il décrocha son C.A.P. de mécanicien en mécanique générale.

Et lorsqu'en septembre 1969 il quitta définitivement son habit d'apprenti, il sut qu'il garderait toujours une affection profonde pour cette période et pour ce lieu. Non seulement pour la qualité de l'enseignement reçu mais également parce qu'il avait conscience d'avoir bénéficié d'une merveilleuse école de la vie. Et quand, dix sept ans plus tard, il assistera au déménagement des équipements pour cause de fermeture du Centre, il aura la cruelle impression qu'on l'amputait d'une partie de lui-même, et il pleura, tout seul...

Versé dans une équipe d'entretien et de réparations à l'atelier électrique, il exerce depuis son métier de cheminot. En 1974, à son retour de l'armée, il eut l'occasion de passer l'examen de technicien d'entretien ou plus exactement d'ouvrier qualifié, qu'une première réforme changea en ouvrier hautement qualifié avant qu'une deuxième ne le transforme en technicien. En gros, seul l'appellation changeait, la signification et le salaire ne variant absolument pas;

Il le réussit, et dut attendre trois ans sa nomination.

Vingt ans de fidélité à la S.N.C.F. et un niveau le situant entre ouvrier et chef d'équipe lui permettent de dépasser légèrement les six mille

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Cet ouvrage a été achevé d'imprimer sur les presses de l'Imprimerie du Sud à Toulouse.

Maquette de Franck Lacaze, Brochage par Spit-Brochage à Toulouse, pour le compte de la série l'Aquatinte-Privat, 14, rue des Arts, 31068 Toulouse

Dépôt légal : Octobre 1988

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