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Le centre commercial, lieu de consommation et de transactions culturelles

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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53 | 2005

Les cinémas multiplexes

Le centre commercial, lieu de consommation et de transactions culturelles

Nathalie Lemarchand

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/gc/11777 DOI : 10.4000/gc.11777

ISSN : 2267-6759 Éditeur

L’Harmattan Édition imprimée

Date de publication : 1 mars 2005 Pagination : 117-122

ISBN : 2-7475-8824-6 ISSN : 1165-0354 Référence électronique

Nathalie Lemarchand, « Le centre commercial, lieu de consommation et de transactions culturelles », Géographie et cultures [En ligne], 53 | 2005, mis en ligne le 10 avril 2020, consulté le 04 février 2021.

URL : http://journals.openedition.org/gc/11777 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gc.11777 Ce document a été généré automatiquement le 4 février 2021.

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Le centre commercial, lieu de

consommation et de transactions culturelles

Nathalie Lemarchand

1 Les travaux consacrés à la géographie du commerce ont permis d’observer la localisation et la diffusion de différentes formes du commerce ; boutiques, grands magasins, grandes surfaces, multiplexes.

2 Notre propos porte sur le positionnement de ces espaces commerciaux en tant que territoire particulier. En effet, les lieux d’achat et plus particulièrement les centres commerciaux tendent à intégrer des référents spatiaux environnants ou particuliers pour devenir une scène : l’exemple le plus courant est celui du centre recréant un paysage urbain traitant chaque partie du centre comme une « rue » ou une « place » avec bancs et fontaine. Dans ce processus, les commerces constituent eux-mêmes un élément du décor et participent de la théâtralité du centre commercial par la mise en scène des produits : le centre est le théâtre, mais la pièce se joue aussi dans chaque boutique. Le centre se conçoit alors comme un territoire commercial, certes un objet économique, un lieu de consommation, mais aussi un lieu « consommé » autant que les produits proposés. Il devient un lieu référencé dans la structuration des territoires urbains ou ruraux des consommateurs. Il est consommé au sens où l’acte d’achat s’accompagne d’une territorialisation préalable de la consommation.

3 Partout, que ce soit en Amérique, en Europe ou en Asie, dans le centre commercial et plus largement dans les centres commerçants, la consommation et la culture se mélangent. Depuis l’entrée en vigueur de traités d’échanges régionaux, l’on remarque à l’évidence une augmentation sensible des échanges entre les pays constitutifs de ces grands blocs économiques, et même entre les blocs. Toutefois, contrairement à ce que l’analyse strictement économique nous en dit, la mondialisation des échanges ne se produit pas dans un vide culturel ; un système de valeurs lui préexiste, et se développe de façon consubstantielle, il facilite les échanges en fournissant à certains produits ce que l’on pourrait appeler une « valeur culturelle ajoutée ». Ainsi, à Moscou ou à Pékin,

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McDonald’s ne vend pas que des hamburgers mais de la modernité, alors qu’en France il prend le goût de l’américanité (Lemarchand et Dupont, 1999). L’imbrication du culturel à l’économique via l’échange de produits se fait également sentir dans les lieux et les espaces d’achats, où les principales préoccupations culturelles et sociales des consommateurs se reflètent, non seulement dans les types de produits, mais aussi dans le commerce des valeurs qui les accompagnent, qu’elles soient internationales et universelles, ou au contraire régionales voire locales. Avec l’interpénétration des systèmes de valeurs et de l’activité commerciale au-delà des besoins, l’activité d’acheter devient en partie un geste culturel dans une sociabilité donnée sinon aménagée ; du reste tout indique que les luddites du XXIe siècle ne s’en prendront pas comme hier aux machines, mais bel et bien aux produits, et aux espaces qui les abritent, à cause justement de leurs valeurs culturelles, et parfois symboliques.

4 Ce qui se dessine à travers ce processus est en réalité une géographie de la consommation. Il y a un marquage identitaire de l’activité commerciale qui produit un territoire de la consommation.

Géographie de la consommation

5 Le désir de consommer, qu’il soit guidé par la culture de classe (Bourdieu, 1979), par l’intégration (Gans, 1962) ou par d’autres motivations comme l’appartenance à un quartier1, fait son entrée dans le commerce, il devient autant que le besoin le moteur de la société de consommation où domine la consommation de masse. Désormais, celle-ci n’appartient plus exclusivement à la sphère économique, elle est aussi sociale et culturelle ; elle concerne les valeurs, les modes de vie, les identités, les appartenances ; la consommation transforme l’espace, elle crée des lieux d’échange qui sont aussi des lieux de socialisation. Pour Philippe Moati (2001) « la saturation des besoins de base suscite le glissement de la demande des consommateurs de la valeur fonctionnelle vers la valeur immatérielle », ce qui en France entraîne une redéfinition du rôle de la grande distribution qui ne devient plus seulement un « répartiteur » de la production industrielle auprès des consommateurs, mais « un lieu de création de valeur à part entière ». Il s’agit alors d’utiliser l’espace commercial pour en faire le support de cette valeur immatérielle que le consommateur doit percevoir à travers l’aménagement du lieu.

6 Comme l’a déjà souligné Baudrillard (1968), les valeurs culturelles sont donc nécessaires à l’activité commerciale, elles sont devenues nécessaires lors de la construction de nouveaux espaces de commerce : il y a création d’une interface entre identité commerciale et identité culturelle. Ainsi, le commerce s’établit dans un territoire et participe à son marquage social et identitaire, il induit autour et dans l’espace commercial des relations sociales et culturelles.

7 Le commerce met en scène l’objet consommé, cette mise en scène vise à définir un espace particulier marqué par le produit mais aussi par les valeurs sociales et culturelles auxquelles il prétend. C’est ainsi que le commerce est un lieu de sociabilité qui crée du lien social. Ce lien se développe entre clients et commerçants via des produits et de l’espace commercial. Mais il existe aussi entre clients qui, par la consommation des produits achetés dans les mêmes chaînes de commerces ou dans des commerces de même nature (high-tech, d’artisanat, de produits en bois...) se reconnaissent. En a priori de l’acte d’achat, il y a une perception du territoire

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commercial qui au-delà de l’aspect social l’entraîne dans la sphère identitaire. Le centre commercial constitue un véritable laboratoire d’observation d’un tel processus. Une manifestation probante de ceci s’observe dans le fait que les nouveaux centres commerciaux qui se construisent ont un nom : la Toison d’Or à Dijon, Vasco de Gama à Lisbonne, mais aussi Horton Plaza à San Diego ou l’Okhotnyi Riad à Moscou. Ils ne sont plus seulement désignés par le nom de la commune sur laquelle ils sont établis ou de l’enseigne qui sert de locomotive, mais ils affichent des noms porteurs d’un caractère.

Du centre commercial, lieu de ravitaillement… au centre commercial, « lieu de vie »

8 En France, le centre commercial a d’abord été considéré comme un lieu de consommation « banal » et même de faible valeur qualitative, avant d’être un lieu de mise en scène et de devenir aujourd’hui un lieu qui se met en scène. Depuis son origine, il est dénoncé comme un lieu de ravitaillement dépourvu du plaisir de la consommation, concurrent du centre-ville, lui-même défini comme l’espace

« traditionnel », soit le véritable lieu de la vie commerciale, animé par le mélange de commerces et de chalands. L’association de commerces entraînés par un hypermarché et établis dans une galerie fermée paraissait être une caricature. Le centre commercial est accusé de facticité, de mise en scène d’une vie commerciale réservée au centre-ville.

Cette facticité « originelle », il va l’utiliser pleinement, s’affranchissant des contraintes urbanistiques du patrimoine urbain du centre-ville pour aller au-delà de celui-ci, dans la création d’un univers superficiel assumé comme les centres commerciaux thématiques en Californie. Les centres commerciaux tendent aujourd’hui vers la re- création d’un espace urbain ou rural « traditionnel » mais « idéal » par un fonctionnement clos, qui se veut rassurant, établi selon ses règles d’usage et régi par une réglementation d’espace privé (Val d’Europe). Ils créent par le mélange des références de la ville à celles du centre commercial (univers de consommation, de modernité avec le mélange de lumière artificielle et naturelle) un territoire en soi. On peut le faire ponctuellement dans le cadre d’opérations commerciales, ainsi le sac de riz de l’hypermarché transformé en marqueur culturel de l’univers asiatique ou la galerie commerciale transformée en univers féerique, mais on l’établit aussi durablement lors de la construction des nouveaux centres tel que Vasco de Gama à Lisbonne ou par une rénovation qui vise à singulariser les centres périphériques. Cette mise en scène utilise les différentes échelles territoriales du local (« l’ici ») à l’international (« l’ailleurs »). Le centre commercial est un territoire particulier car il doit être un lieu qui mélange la facticité - les consommateurs savent qu’ils ne sont pas dans un quartier, qu’ils ne sont pas en Italie ou au Japon - procurant distraction et dépaysement et des repères nécessaires aux clients pour qu’ils consomment.

9 Il est intéressant d’observer comment « ailleurs », en Amérique du Nord, plus particulièrement dans le Sud-Ouest, ou en Russie, à Moscou, le centre commercial, la consommation et la culture se mélangent.

10 En Californie, de Los Angeles à San Diego, ou au Nevada avec Las Vegas, le centre commercial est mis en scène autant qu’il met en scène. Ainsi Horton Plaza à San Diego où le mélange des couleurs et des matériaux produit un environnement, un univers totalement factice qui tranche avec l’environnement urbain où il est établi. Horton Plaza est un centre commercial construit pour participer à la rénovation du centre-ville, il le

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prolonge tout en affirmant sa différence par ce parti-pris délibéré de mise en scène d’une rue « multiculturelle » et où les commerces s’affichent à travers des enseignes qui personnifient beaucoup les produits vendus. Les comptoirs de restauration rapide en représentent un bon exemple avec des personnages en forme de frites accrochés comme enseignes. Chaque boutique se doit ainsi de produire un effet de scène. Il y a donc bien une facticité assumée et même recherchée.

11 À Las Vegas, la même carte est jouée. La production d’espaces fictifs est poussée plus loin encore avec la construction d’hôtels-palaces centres commerciaux reproduisant des bâtiments symboliques de lieux, tels un village italien ou la Tour Eiffel pour Paris ou encore des tours de Manhattan pour New York. Utilisant ces bâtiments signifiants de ces territoires, ils marquent une nouvelle étape dans la production d’espaces fictifs encourageant le désir de consommer puisque le consommateur doit se sentir

« dépaysé » oubliant sa réalité économique.

12 La facticité affirmée de ces territoires commerciaux est donc un élément à part entière dans la construction du désir de consommer ; on fréquente ce lieu cherchant une distraction, cherchant une mise en scène dans laquelle la consommation des produits s’accompagne de l’identification au lieu. Sans doute, Las Vegas mais aussi la Californie sont perçus et définis comme des lieux artificiels, et cet état de fait encouragent cette transformation des centres commerciaux, on peut alors supposer que la facticité est une valeur identitaire de cette partie du Sud-Ouest américain.

13 À l’Est, on retrouve la même démarche, à Moscou, avec la construction du premier centre commercial de la capitale localisé près de la Place Rouge : l’Okhotnyi Riad. Dans la société moscovite actuelle, la consommation est autant une nécessité qu’un signe de modernité. Dans ce contexte I’Okhotnyi Riad mélange les signes de modernité de la consommation à travers un étage consacré à un food court au rez-de-chaussée, comme il est usuel dans les centres commerciaux nord-américains, l’usage de matériaux tels que le verre, l’aluminium ou la lumière artificielle, mais aussi l’intégration des référents russes en traitant l’environnement extérieur du centre pour qu’il s’intègre au paysage urbain avec un chemin de fontaines représentant les personnages des contes russes traditionnels, ou bien une coupole faite de vitraux teintés.

14 Enfin pour finir, je reviendrai à la France et à certaines campagnes publicitaires de la grande distribution portant sur une région du monde ou un pays particulier, comme l’Amérique latine, le Mexique, l’Asie ou la Chine... Ces grandes surfaces, locomotives de centres commerciaux, construisent à travers ces campagnes publicitaires un décor presque « imaginaire » car essentiellement supporté par les catalogues distribués et les affiches publicitaires placardées dans le magasin et débordant parfois dans la galerie commerciale. Les produits censés représenter ces régions ou ces pays, devenus alors des marqueurs de ceux-ci, occupent simplement des linéaires spécifiques et les consommateurs assument qu’ils sont représentatifs des produits de consommation courante dans ces pays. Il me semble ainsi qu’au-delà du lieu lui-même, qui est parfois assez banal, sinon peu attractif tels que les premiers centres commerciaux périphériques répondant surtout à l’impératif de places de stationnement et de réduction des coûts, la mise en scène, ponctuelle, autour d’une thématique, généralement géographique, entraîne alors un changement limité dans le temps du lieu usuel des clients et introduit le dépaysement, transformant là encore le centre, parfois seulement l’hypermarché, dans une mise en scène du lieu de consommation.

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BIBLIOGRAPHIE

BAUDRILLARD, J., 1968, Le système des objets, la consommation des signes, Paris, Gallimard.

BOURDIEU, P., 1979, La distinction, Paris, Les Éditions de Minuit.

CRANG, P., 2001, « La géographie de la culture de consommation », Géographie et cultures, no 39, Paris, L’Harmattan, p. 98-107.

DESSE, R-P., 2001, Le nouveau commerce urbain. Dynamiques spatiales et stratégies des acteurs, Rennes, Presses universitaires de Rennes.

GANS, H., 1962, The Urban Villagers, Londres, Harper.

GOTTDIENER, M., 1997, The Theming of America : Dreams, Visions and Commercial Spaces, Boulder (Colorado), Westview Press.

LEMARCHAND, N. et L. DUPONT, 1999, « Culture et commerce. Du système national américain au système-monde : le cas type de McDonald’s », Géographie et Culture, no 32, Paris, L’Harmattan, p. 51-65.

LEMARCHAND, N., 1999, « Le développement du commerce à Moscou : entre l’échange et l’étalage de la modernité », Culture et ville, revue du groupe Culture et ville de I’INRS-Urbanisation, Montréal, no 00-03, 15 p.

METTON, A., 2001, « Les temps du commerce sont-ils adaptés aux consommateurs ? » dans T.

Paquot (dir.), Le quotidien urbain, essais sur les temps des villes, Paris, La Découverte /Institut des villes, p. 67-84.

MOATI, P., 2001, L’avenir de la grande distribution, Paris, Odile Jacob.

NOTES

1. Je renvoie ici non seulement aux discussions sur les sous-cultures urbaines chez les sociologues américains et européens, mais aussi aux résultats d’enquête qui tendent à montrer que la fréquentation du commerce de proximité est renforcée dans le cadre d’une perception positive du quartier (Desse, 2001).

AUTEUR

NATHALIE LEMARCHAND Université de Valenciennes

Groupe de Recherche sur les activités commerciales

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