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Hommage à Claude Raffestin
LÉVY, Bertrand
Abstract
Hommage au professeur Claude Raffestin à l'occasion de sa retraite
LÉVY, Bertrand. Hommage à Claude Raffestin. GeoAgenda, 2002, vol. 2, p. 8-9
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:18040
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Publié in : GeoAgenda, Berne, 2/2002, pp. 8-9.
HOMMAGE A CLAUDE RAFFESTIN
Il est deux manières de rendre hommage à un professeur : soit l’on retrace les étapes de sa vie académique et les fonctions qu’il a endossées, soit on livre un témoignage plus personnel. C’est la seconde voie que j’emprunte ici car tous les renseignements biographiques et bibliographiques concernant sa carrière seront vraisemblablement présentés dans l’ouvrage de mélanges qui paraîtra bientôt, suite à la journée d’hommage qui s’est tenue à Penthes en automne 2001.
En 1996, à Lausanne, lors d’un 3e cycle sur la Géographie culturelle, un domaine qui l’a retenu vers la fin de sa carrière et qui le retient encore, j’assistais à l’une de ses conférences, et je me demandais, au début, si j’allais être pris sous le charme, un charme raisonneur, comme je l’étais à ma période estudiantine, à la B105, au cours de géographie politique ou de géographie sociale. Un grand professeur parisien s’était exprimé avant lui, d’une manière magistrale, charpentée et rigoureuse, et j’attendais avec curiosité la prestation de Claude Raffestin. Que se dégagerait-il vraiment original et personnel, serait-il à la hauteur de ce fameux professeur de la Sorbonne ? Mes craintes se dissipèrent après quelques minutes de conférence : Claude Raffestin, c’était d’abord un ton, une silhouette, une élégance dans le discours qui laissait la place non au doute systématique qui est auto- destructeur, mais à la mise en doute qui est à la base du questionnement scientifique, et après un moment de prise de notes, je levai le regard et suivis le maître de la pensée : « De l’air circule dans la tête » me dis-je benoîtement, contrairement à l’exposé trop charpenté de tout à l’heure, trop refermé sur sa propre logique. Claude Raffestin détestait les collègues qui répétaient : « Il n’y a pas de solution. » En matière de science humaine, se plaisait-il à dire, il y a toujours une solution. Et peut-être ce talent à trouver des solutions, des issues, quand les autres faisaient le dos au mur, l’a-t-il aidé à exercer des responsabilités : directeur du Centre d’Ecologie humaine (1986-1994) qu’il contribua à créer, conseiller à la recherche au FNRS (Division I) dès 1989, membre de la Commission d’Urbanisme du canton de Genève (1982-1994), et enfin, vice-recteur de l’Université de Genève à la fin de sa carrière, il a toujours aimé à fréquenter les allées du pouvoir tout en restant critique et disponible. Alors vice-
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recteur, je lui envoyai un étudiant tessinois – le Tessin et l’italianité ont beaucoup compté dans sa vie- qui peinait sur son mémoire de licence. Il ne compta pas son temps pendant cet entretien, car la personne l’intéressait.
Curieusement, je n’ai jamais fait partie de sa « cour », au sens XVIIIe du terme, alors que j’étais étudiant. Je n’ai non plus jamais eu la chance ni la possibilité de travailler pour lui comme assistant ; peut- être percevais-je inconsciemment le danger d’être pris sous le charme de ce Don Juan intellectuel ; alors, je préférai me situer dans une relation dialectique avec lui, souvent contradictoire, toujours enrichissante. Directeur de thèse, il « laissait faire » au sens libéral du terme, dénouait le nœud d’un problème épistémologique ou méthodologique en vous glissant presque inopinément une référence qui « décoinçait » tout un pan de la thèse. De longues et épuisantes discussions, jamais – sauf une, sur Kant, allez savoir pourquoi- mais des éclairs de malice et des conseils d’ordre généraux qui n’avaient souvent rien à voir avec la requête primordiale, des conseils de vie – les plus précieux.
Sa théorie sur la territorialité m’avait intéressé à l’époque mais pas séduit, car j’y dénotais un esprit de système excessif par rapport au caractère aléatoire des choix individuels dans l’espace. Ce n’est qu’au moment de reprendre le cours de Géographie humaine, que je pris conscience de sa puissance, de son caractère non démodé, parce que très généralisé. Doté non seulement d’une culture impressionnante mais surtout – et c’est une des formes d’intelligence les plus raffinées – d’une capacité intégratrice et combinatoire exceptionnelle entre les disciplines, entre les sciences elles-mêmes, entre la science et la littérature, il a donné goût aux études épistémologiques dans notre département mais aussi au-dehors, en incitant plutôt qu’en imposant.
Soucieux des sciences humaines qui dériveraient par trop vers les sciences exactes, très critique vis-à-vis d’un système uniformisant, opposé à la diversité, qui caractérise de plus en plus les normes imposées aux universitaires – une étude sur l’envers de la mondialisation universitaire reste à faire -, il a toujours eu le respect pour le local, le monde proche, comme le marché aux puces de Plainpalais où il dénicha des trésors d’histoire de la géographie, tout en restant bien sûr ouvert au monde plus vaste, à l’altérité.
Ceux qui comme Claude Raffestin s’épanouissent au contact de la pensée et de l’action n’aiment pas « rentrer dans le rang » une fois
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l’âge de la retraite arrivé. Nous lui souhaitons un plein succès dans sa nouvelle aventure, la création du Musée du Paysage (Turin), et nous lui sommes infiniment reconnaissants de ce qu’il nous a légué.
Bertrand Lévy,
Vice-président de l’Association Suisse de Géographie (ASG)