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La part de l’autre, approche plurielle de la traduction

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Academic year: 2022

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Freddy Raphaël : la part de l’autre, approche plurielle de la traduction

Pour l’anthropologue et le sociologue, c’est dans la relation dialectique et langagière à l’autre ainsi qu’au monde environnant que se construit l’homme singulier. Sa perception, tout comme sa structuration de l’espace et du temps, sont tributaires des catégories linguistiques de son groupe d’appartenance. Apprendre ou traduire une autre langue, c’est échapper à l’enfermement étriqué, c’est refuser d’être assigné à une vision close et « ouvrir une seconde fenêtre sur le paysage de l’être » (Georges Steiner). A rebours, si la traduction privilégie l’ouverture à l’autre, elle peut aussi être fermeture à l’étranger, rendre sa pensée opaque, refuser son originalité…

Dans la perspective de l’anthropologie et de la sociologie, chaque langue porte l’empreinte décisive du rapport singulier au monde qu’élabore une civilisation. Elle porte la trace du moment de l’histoire dans laquelle s’inscrit cette communauté humaine.

L’impuissance des mots face à la barbarie qui les utilise comme des instruments d’aliénation et d’oppression, voire d’éradication, nous incite à interroger la façon dont la culture habite le langage au cœur de la modernité.

Des écrivains qui furent contraints à l’exil, ou qui s’y résignèrent, participèrent à la construction d’une « culture de l’entre-deux ». Celle-ci résulte des interactions créatrices entre plusieurs langues. Elle bénéficie de l’enrichissement réciproque de la langue d’accueil, qui se trouve bousculée, soumise à des sonorités et des rythmes neufs, et de la langue de l’errant, qui est arrachée à l’évidence d’une existence partagée.

Parfois l’exilé acquiert une connaissance intime et profonde de la langue-hôte, en même temps qu'il la transforme et lui confère une dimension singulière.

La traduction participe d’un « détour par l’ailleurs » qui, par la confrontation avec

« une pensée du dehors » (François Jullien), déstabilise les systèmes cloisonnés et clos.

Tout en révélant « d’autres modes d’intelligibilité », elle crée de l’inconfort dans le système des représentations et forge un regard déshabitué. Par un mouvement de va-et- vient entre deux sphères culturelles, repérant les contrastes mais aussi les liaisons, le traducteur s’éloigne du « seuil » pour arpenter le « pont ». alors qu’il nous faut entendre l’accent de l’autre, il nous révèle le nôtre. Il « met l’écoute en éveil et déconstruit l’évidence du sens ».

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Il arrive que le choc entre les cultures, celle des migrants et celle du pays d’accueil, ainsi que la tension entre les correspondances et les ruptures, soient à l’origine d’une langue flamboyante. Celle-ci, comme le souligne Nicole Lapierre, « oralise l’écriture, trouble le français de créole, et fait surgir du sens dans la collision des mots1. »

On peut parler d’une « crise du langage » lorsque les détenteurs du pouvoir, ou ceux qui s’emploient à l’accaparer, ainsi que les idéologues convaincus de posséder « la vérité », l’instrumentalisent. Cette perversion manipulatrice rend impossible la construction d’une société pleinement humaine. L’effondrement du mot et de la parole signifie la mort d’une signification du langage. Tous les totalitarismes, fascistes, national-socialistes, staliniens, maoïstes, dans la mesure où ils revendiquent une emprise totale sur la personne, redéfinissent le vocabulaire pour aller jusqu’à un retournement du sens. Lorsqu’elle supprime par décret des modalités grammaticales, des locutions et des noms, la tyrannie de la terreur mutile et falsifie le passé. Elle le réinvente pour mieux conforter l’asservissement présent.

Certains exilés qui fuyaient le nazisme n’ont pu emporter comme bien le plus précieux que leur langue maternelle, à l’heure précisément où celle-ci était pervertie par le pouvoir totalitaire. Celui-ci s’est employé à forger des expressions langagières, des mécanismes et une « novlangue », qui enrôlent et caporalisent les esprits. La déshumanisation planifiée du langage se retrouve de nos jours dans les techniques de la propagande et des campagnes consuméristes.

De nombreuses pistes s’ouvrent aux chercheurs, qu’ils pourront arpenter à leur guise.

- les enjeux de la traduction :

 dans la sphère du politique, de l’économique et du social

 face aux instances judiciaires

 dans les institutions de santé

- « l’auberge du lointain » (Antoine Berman) ou la confrontation créatrice - la traduction et la créativité culturelle

- les pratiques langagières dans les régions pluriculturelles - les « novlangues » dans les sociétés contemporaines

- l’anthropologie et le filtre de la langue pour accéder à l’autre

- les instituts de traduction : quelles sont les implications d’une didactique ?

1 Lapierre N : Pensons ailleurs Paris, Gallimard Folio Essais 2006 p.233

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