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Swiss chalet : les va-et-vient d’un modèle vernaculaire Chalet, ferme bernoise, maison suisse à Genève sous la Restauration

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Swiss chalet : les va-et-vient d'un modèle vernaculaire Chalet, ferme bernoise, maison suisse à Genève sous la Restauration

EL-WAKIL, Leïla

Abstract

La contribution examine l'apparition de la typologie de la maison suisse et du chalet sur le territoire genevois à l'occasion du rattachement de Genève à la Confédération. La vogue internationale du chalet suisse y est examinée sous l'angle de la diffusion littéraire et architecturale. Des exemples genevois sont replacés dans un contexte plus large.

EL-WAKIL, Leïla. Swiss chalet : les va-et-vient d'un modèle vernaculaire Chalet, ferme bernoise, maison suisse à Genève sous la Restauration. In: Buyssens, D. ; Chenal, V. & Hart, M.

«Genève, la Suisse et les arts: les artistes face aux identités nationales». 2015.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:75021

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Swiss chalet : les va-et-vient d’un modèle vernaculaire

Chalet, ferme bernoise, maison suisse à Genève sous la Restauration

par Leïla el-Wakil

Dans le cadre de cette journée d’études consacrée à « Genève, la Suisse et les artistes » à l’occasion de la célébration du 200e anniversaire du rattachement de Genève à la

Confédération, je reviens sur un sujet que j’avais eu l’occasion d’aborder dans des travaux antérieurs1. Il n’y était pas seulement question du chalet et de ses réinterprétations, mais aussi de la maison suisse ou ferme bernoise et de leur apparition sur sol genevois. Des travaux récents ont apporté de l’eau au moulin du chalet suisse en terre genevoise.

L’ouvrage orchestré par Serge Desarnauds, publié à l’instigation des communes des Trois Chênes, intitulé Le chalet dans tous ses états2 constitue sans doute à l’heure actuelle l’aboutissement le plus achevé sur la question du chalet en territoire genevois. Il comprend d’importantes, quoique diverses et parfois discutables (au sens étymologique du terme) contributions, de l’interview du professeur d’histoire de l’architecture Jacques Gubler aux substantiels articles de l’historienne de l’art suisse Valentina Anker, de l’architecte-urbaniste français Albert Lévy et de l’historien de l’architecture genevois Armand Brulhart. Les travaux des historiennes de l’art, Anastazja Winiger-Labuda3 et Véronique Palfi, sur le chalet de la villa Bartholoni4 apportent eux aussi des éléments inédits qui étayeront cette nouvelle réflexion relative aux exemples précoces de chalets et maisons suisses à Genève sous la Restauration (1814 - 1846).

Le présent article tente plus généralement d’expliquer le phénomène de la diffusion et de la gentrification d’un modèle vernaculaire au plan local et international, puis de questionner le rôle de l’identité nationale, toujours présumée et assumée par des auteurs dignes de

1 Leïla el-Wakil, Bâtir la campagne, Genève 1800-1860, Genève, 1988-1989 ; Leïla el-Wakil, « Ferme bernoise ou chalet : le « rustique national » en question à Genève au début du XIXe siècle », Bulletin de la Société d’histoire de l’art en Suisse, année 37/1986, n° 1, pp. 43-50.

2Le chalet dans tous ses états : la construction de l'imaginaire helvétique / Valentina Anker, ... [et al.] sous la dir. de Serge Desarnaulds, Chêne-Bourg, Genève, Ed. Chênoises, Georg, 1999.

3 Anastazja Winiger-Labuda, « La Perle du Lac : une villa « italienne » », Villa Bartholoni, Musée d’Histoire des Sciences de Genève, Genève, 1991, pp. 18-77.

4 Véronique Palfi, Le chalet de la Perle du Lac, Une construction des frères Bartholoni, 128 rue de Lausanne, Etude historique, Genève, Ville de Genève, Conservation du patrimoine architectural, novembre 2010.

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confiance5. Dès lors que le Swiss chalet acquiert ses lettres de noblesse dans la théorie esthétique et architecturale internationale vers la fin du XVIIIe siècle et fait son retour au pays de l’étranger, est-il si aisé de l’investir de toute la litanie d’un discours nationaliste autonome et préconstruit et de l’emprisonner simplement dans l’incarnation du « lieu de mémoire helvétique », expression par excellence d’une identité nationale6 ? A l’heure où s’affinent les études transnationales, comment articuler un propos nuancé et précis sur l’apparition du chalet - un type architectural surinvesti -, ou de la ferme bernoise et de la maison suisse, avec lesquelles il est parfois confondu7, en rapport avec la problématique générale contenue dans la juxtaposition de ces trois termes : Genève - la Suisse - l’identité nationale ?

(Swiss) Chalet : éléments de construction d’une Success story

Plusieurs facteurs contribuent à faire du chalet suisse une Success story. Ce type

architectural suscite une vogue internationale de longue durée, qui connaît un climax autour de 1900 et dont on peut placer les débuts à la fin du XVIIIe siècle. Topos global, espèce d’enfant (il)légitime de la cabane primitive, telle que codifiée par Vitruve et réactivée au milieu du XVIIIe siècle par l’abbé Laugier, il s’érige en une sorte de contrepartie au temple grec, archétype de l’académisme classique architectural. Dans son Essai sur l’architecture, Laugier explique l’évidence constructive de cette hutte originelle : « Quelques branches abattues dans la forêt sont les matériaux propres à son dessein. Il en choisit quatre des plus fortes qu'il élève perpendiculairement et qu'il dispose en carré. Au-dessus, il en met quatre autres en travers et sur celles-ci il en élève qui s'inclinent, et qui se réunissent en pointe de deux côtés. Cette espèce de toit est couvert de feuilles assez serrées pour que ni le soleil, ni la pluie, ne puissent y pénétrer; et voilà l'homme logé. Il est vrai que le froid et le chaud lui feront sentir leur incommodité dans sa maison ouverte de toute part; mais alors il remplira l'entre-deux des piliers, et se trouvera garanti. »8

5 Jacques GUBLER, Nationalisme et internationalisme dans l'architecture moderne de la Suisse, Lausanne, éd.

L’Age d’Homme, 1975 ; Albert LEVY, « Le chalet, lieu de mémoire helvétique », ds. Le chalet dans tous ses états.

La construction de l’imaginaire helvétique, sous la dir. De Serge Desarnaulds, Chêne-Bourg, Genève, Ed.

Chênoises, Georg, 1999, pp. 85-121.

6 Comme le fait notamment Albert Lévy, 1999, pp. 85-121.

7 Comme le relève par exemple Véronique Palffi, op.cit., p. 17.

8 Abbé Laugier, Essai sur l’architecture (1755)

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Si la cabane primitive, construite de quatre troncs de bois dressés aux angles et de branches à peine équarries en guise de poutres de toiture, représente l’une des formes possibles de la Ur-Architektur de la théorie occidentale, son essence théorisée se revisite dans la seconde moitié du XVIIIe siècle au contact et du mythe rousseauiste, et de la réalité physique du(des) chalet(s), construction montagnarde et alpine avant que d’être Suisse.

Le chalet de fiction évoqué par Jean-Jacques Rousseau dans la Nouvelle Héloïse (1762), tout comme la retraite imaginée bien plus tard par D. L. Lawrence pour L’amant de Lady

Chatterley, est l’abri complice à l’ombre duquel Julie s’imagine rencontrer clandestinement Saint-Preux : « Autour de l’habitation principale, dont Monsieur d’Orbe dispose, sont épars assez loin quelques chalets, qui de leur toit de chaume peuvent couvrir l’amour et le plaisir, amis de la simplicité rustique. »9 De chalet il semble n’avoir que le nom et son toit indique que le rustique gîte s’apparente davantage à une chaumière qu’à la construction de bois que l’on connaît sous le nom de chalet. L’histoire cependant se déroule sur les hauts de Clarens en Suisse.

C’est en Suisse aussi qu’à la faveur du Grand Tour et des « voyages pittoresques »

convergent les élites européennes, émerveillées d’en découvrir les charmes naturels et des formes d’exotisme notamment présentes dans l’architecture. Opportunément placée sur l’un des itinéraires du Tour et traversée par les visiteurs anglais, la Suisse passe pour le berceau du chalet, mais un chalet dont on n’a pas encore au début du XIXe siècle

précisément saisi tous les contours. Les multiples et coquets exemples de constructions totalement ou partiellement en bois visibles en Helvétie rencontrent l’idéal de la frugalité architecturale encouragée tant par le retour au classicisme que par l’esthétique pittoresque.

L’Européen érudit et voyageur s’entiche de ce chalet suisse, issu d’un providentiel croisement entre fiction littéraire et réalité du terrain.

Ce chalet, ermitage ou chaumière, porte les marques d’un certain exotisme qui va de pair avec la redécouverte des Alpes, leur population intouchée aux mœurs particulières, le mythe pastoral, l’harmonie avec la Nature. Ce folklore suisse naissant, popularisé par les guides touristiques, comme le Johann Gottfried Ebel (1793), Manuel du voyageur en Suisse, le Handbook for Travellers in Switzerland de John Murray, le Baedeker durch die Schweiz, paru en 1844, ou, plus pointu, Voyage dans l'Oberland bernois publié en 1822 déjà par le

9 Jean-Jacques ROUSSEAU, La Nouvelle Héloïse, pp. 191-192, ds. Œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau, tome I, Paris, 1826.

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védutiste Gabriel Lory et l’écrivain Montvert10, va être terriblement à la mode. On se référera pour la vogue du chalet en France aux articles de Michel Vernes11, Jean-Marie Pérouse de Montclos12 et de Jean-Michel Leniaud13 et pour celle du chalet en Angleterre à la thèse de Susan Wilson, Swiss Garden Cottage: Origins of the chalet style in British

architecture14.

Ainsi le chalet réel observé dans les villages de Suisse centrale et le chalet de fiction fusionnent-ils dans le Swiss chalet qui apparaît vers la fin du XVIIIe siècle en Angleterre, corollairement à la théorisation du beau pittoresque. Le type architectural y gagne

définitivement galons et dignité. C’est durant le premier quart du XIXe siècle que le chalet et le style suisse se propagent de manière internationale. Les livres de modèles anglais et anglo-saxons, notamment l’ouvrage Designs for ornemental villas (1836, 3e éd.) de

l’architecte anglais Peter Frederick Robinson s’ouvre sur un cottage et une loge d’entrée de swiss style représentés parmi de modèles des styles les plus divers : style grec, palladien, vieil anglais, castellaire, ancien manoir, moderne italien, anglo-normand, Henri VII, Elisabéthain, de bois, toscan. De ce style suisse encore peu répandu alors en Grande- Bretagne Robinson nous vante le caractère économique et pittoresque de constructions en chêne, sur fondations en pierre, rehaussées d’avant-toits proéminents recouverts d’écailles de bois (et non d’ardoises comme en Valais) lestées par des pierres plates. Les planches qu’il dessine font état d’un métissage stylistique qui rend ces chalets à peine reconnaissables.

En France l’ouvrage de Louis-Eustache Audot, Traité de la composition et de l’ornement des jardins, détaille pareillement les fabriques en forme de chalet ou maisons suisses. Pour lui le chalet est un petit refuge de montagne, souvent en madriers, qu’il distingue de la maison suisse qu’il décrit comme une habitation servant aussi de grange, mi maçonnée, mi-boisée, de bois droit de sapin, de hêtre, de peuplier, et dont le balcon fleuri sous de larges avant- toits est l’apanage du canton de Berne.

10 César-Henri MONVERT Voyage dans l'Oberland bernois (1822)

11 Michel VERNES, « Le chalet infidèle ou les dérives d’une architecture vertueuse et de son paysage de rêve », Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 32 | 2006, mis en ligne le 12 juillet 2006, consulté le 22 février 2015.

URL : http://rh19.revues.org/1099 ; DOI : 10.4000/rh19.1099, consulté le 10 février 2015.

12 Jean-Marie PÉROUSE DE MONTCLOS, « Le chalet à la Suisse. Fortune d’un modèle vernaculaire ».

Architectura. Zeitschrift für Geschichte der Baukunst, 17, 1981, pp. 76-96.

13 Jean-Michel LENIAUD, « Le chalet suisse, nostalgie d'un type primordial ou utopie constructive », Bibliothèque de l'école des chartes, 2005, vol. 163, n°163/1, pp. 197-211.

14 Susan WILSON, Swiss Garden Cottage: Origins of the chalet style in British architecture, Bristol, 2010

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Médiatisé par Andrew Jakson Downing15, le chalet anglo-saxon, connaîtra des répliques aux Etats-Unis jusque dans la première moitié du XXe siècle, des livres de modèles comprenant des interprétations inspirées de l’architecture des Alpes suisses publiés à l’intention des architectes et des propriétaires16. La vogue du chalet dans les pays anglo-saxons rejoindra pour longtemps l’architecture de bois des colons américains, le balloon framework, et inspirera indirectement encore de belles lignes à Vincent Scully, The shingle style.

Architectural Theory and Design from Richardson to the Origins of Wright17.

Retracer les premières occurrences du chalet et de la maison suisse en réalité et en représentation

Un essai de définition de l’objet d’études s’impose. Cerner son identité n’est pas chose aisée, le terme de chalet étant un mot-valise recouvrant des réalités architecturales fort

différentes selon les régions où on le rencontre aujourd’hui encore. Les chalets des rivages méridionaux de la Méditerranée n’ont plus rien à voir avec les modèles alpins, tels les chalets suisses ou bavarois, ni avec les prototypes himalayens imaginaires, tel le chalet des Aryas, figuré par Viollet-le-Duc dans L’Histoire de l’habitation humaine (1875).

Quel lien établir toutefois entre l’engouement international qui se propage en Europe à l’égard du chalet suisse et ses premières expressions à Genève de « maisons suisses », comprises dans un sens générique englobant tant le chalet que la ferme bernoise ? Paradoxalement, en Suisse, là où le mythe est réalité, l’imitation et la reproduction du chalet, se diffuse plus lentement et plus tard qu’à l’étranger. Il est difficile de trouver à Genève beaucoup d’exemples significatifs de chalets dans la première moitié du XIXe siècle, l’explosion et la prolifération de ces derniers prenant place dans la seconde moitié du siècle et jusqu’au début du XXe siècle.

15 Andrew JACKSON DOWNING, The Architecture of Country Houses, Including Designs for Cottages, Farm Houses, and Villas (1850)

16 William S.B. DANA, The Swiss Chalet Book (1913) ; Henry Saylor, Architectural Styles for Country Houses: The Swiss Chalet Type (1912)

17 Vincent J. SCULLY, The Shingle Style and the Stick Style. Architectural Theory and Design from Richardson to the Origins of Wright, New Haven, Yale University Press, 1955, publication issue de sa thèse de doctorat The Cottage Style: An Organic Development in Later 19th Century Wooden Domestic Architecture in the Eastern United States. Ph.D., Yale University, 1949.

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Calqués sur le modèle du domaine de Clarens chalets et maisons suisses entrent sur les propriétés par la petite porte sans forcément être récupérés à des fins sentimentales18 ! Les premières occurrences genevoises sont décelables au fond des jardins et ces bâtiments de dépendances abritent d’abord le jardinier comme chez Sellon à Pregny, chez les Bartholoni à la Perle du Lac à Sécheron ou chez les Budé à la Pastorale au Petit-Saconnex.

Que les élites genevoises adoptent le motif comme fabrique de jardin indique qu’elles imitent avec ou sans adaptation les précoces exemples internationaux et nationaux.

L’impératrice Joséphine aurait fait construire un « chalet suisse de la vallée Hudrée »19, non loin de Malmaison en 1803 déjà, qui passe pour le premier chalet sur sol français20. La vogue internationale du chalet semble bien avoir commencé par la création de fabriques en forme de chalet dans les jardins paysagers « à l’anglaise ». Chaumières et ermitages apparaissent dès la fin du XVIIIe siècle, l’un des plus célèbres et célébrés étant incontestablement le Hameau de la Reine à Versailles construit par Richard Mique comme décor à la vie pastorale que Marie-Antoinette souhaitait y mener avec ses dames de compagnie. Dans les jardins « à l’anglaise » anglais, comme l’annonce Susan Wilson21 le chalet s’affirme au XIXe siècle. Cette maisonnette, qui n’a parfois que fort peu à voir avec les exemples véritables de chalets suisses, est une construction de fantaisie où l’usage du bois est présent, voire très présent. A l’instar du chalet de Julie et Saint-Preux, cette maisonnette, temple d’Amour ou retraite intime, produit pleinement son effet dépaysant si elle est placée dans un paysage « alpin », au caractère pittoresque et sublime à la fois, comme apparaissent les paysages helvétiques aux yeux d’un William Gilpin ou d’un Uvedale Price. Dans les jardins paysagers anglais le chalet surgit à la fois comme un aide-mémoire du Grand Tour et comme un point de vue architectural d’un tableau alpestre imaginaire.

En Suisse c’est l’Ermitage d’Arlesheim, cet exemplaire jardin anglo-chinois situé à proximité de Bâle et mis en œuvre par la baillive von Andlau-Staal et le chanoine Heinrich von Ligertz, qui sera l’un des premiers à exploiter l’icône du chalet dans son parcours. Dans ce jardin qui comportait de nombreuses fabriques dont des grottes, un temps de l’Amour, un belvédère, une pyramide des langues, un monument à Gessner, un monument à l’abbé Delille et un Lac

18 Quoiqu’insinue Armand Brulhart qui compare le chalet de Rousseau et ses imitations au temple de l’amour ou temple de Cnyde, pp. 129-130.

19 Pérouse de Montclos cité par LENIAUD, id., p.197.

20 Leniaud, id.

21 Susan Wilson, Swiss Garden Cottage: Origins of the chalet style in British architecture, Bristol, 2010, dactyl.

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de Tempé, est signalé en 1787 le «Chalet des Alpes» aujourd’hui disparu, était une évocation de l’architecture alpine, dont la salle était utilisée pour y donner des concerts, de spectacle de danse et des banquets. Un panorama de papier peint y représentait la fête pastorale, transposition d’une sorte de bacchanale, qui se déroulait sur la pelouse du chalet

d’Arlesheim (Fig. ). Le Doyen Bridel décrit le « véritable chalet des Alpes, chargé

d’inscriptions analogues : l’intérieur rustiquement meublé est une salle également faite pour la musique, la danse et les repas […] auprès de ce bâtiment on croit se retrouver dans les hautes vallées des petits cantons ou de l’Oberland […] près du chalet suisse est la place de jeux. »22 Démoli, le chalet nous est connu par le papier peint de la maison Jean Zuber et Cie, dessiné par Antoine-Pierre Mongin en 1815-1816 et intitulé « La Petite Helvétie »23. Ce chalet qui comportait un rez-de-chaussée de maçonnerie et un étage en bois était muni d’un balcon sur sa façade longitudinale et abrité par d’importants avant-toits. Sur l’ensemble formé par la tapisserie il se détache sur un fond de paysage avec lac et sommets

montagneux à l’arrière-plan. Diverses scènes bucoliques mêlant promeneurs, bergers et animaux sont évocatrices de cette Suisse en train de construire son propre mythe. Cette scène pastorale contrebalance la Fête folklorique organisée une dizaine d’années plus tôt à Unspunnen.

Que sont au juste le chalet, la ferme bernoise et la maison suisse dans la Genève des années 1830 ? L’incertitude terminologique pour qualifier des constructions à forte composante de bois est présente dans les projets des meilleurs architectes, comme chez Félix Emmanuel Callet, Grand Prix de Rome et auteur de la transformation en dépendance de type « chalet » d’une ancienne construction sur le domaine de Sécheron pour le compte des frères

Bartholoni terminée en 183224. Véronique Palffi remarque qu’il emploie indifféremment les termes de « chalet », de « maison suisse » et de « bâtiment de dépendance »25 pour évoquer son projet de rhabillage en bois.

Les années 1830’ : prototypes de Maisons suisses et de Chalets

22 Le Doyen BRIDEL, Course de Bâle à Bienne, 1789, p. 23

23 Illustration figurant dans l’ouvrage de Verena Baumer-Müller, Schweizer Landschafttapeten des frühen 19.

Jahrhunderts, Bern, Stuttgart, Haupt, 1991.

24 Véronique PALFFI, op.cit., p. 17.

25 Véronique PALFFI, op.cit., p. 17

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C’est aussi dans un jardin paysager que s’introduisent à Genève pour la première fois, entre 1832 et 1836, le chalet et la maison suisse. L’exemple précoce le plus frappant est sans doute celui de la villa Bartholoni. La maison, icône néo-classique, dessinée par un jeune Grand Prix de Rome, Félix Emmanuel Callet, coaché par les frères Bartholoni, banquiers à Paris, domine un grand parc de 4 hectares aménagé à l’anglaise et descendant en pente douce vers le lac. Une maison suisse en contrebas est destinée à abriter les dépendances et à loger le jardinier. Ce chalet d’architecte dessiné avec une balustrade néo-classique, chalet apprivoisé par l’académisme, proche par son esprit du chalet suisse de Schinkel, sera réalisé finalement avec un garde-corps en bois découpés. Sans revenir sur sa description détaillée très bien faite par Véronique Palffi, relevons simplement à quel point le chalet fait contraste avec l’apollinienne maison de maître et apporte au domaine un charme dionysiaque

pittoresque et une gaité polychrome. Au même moment l’architecte prussien Karl Friedrich Schinkel édifie sur le domaine de l’Ile des Paons une Maison Suisse (Schweizer Haus ou Swiss Cottage) qui, stylistiquement et constructivement, doit davantage à la tradition néo-

classique qu’à une quelconque influence helvétique. C’est dire si la typologie ne s’est pas encore consolidée et si le seul dénominateur commun repérable consiste en l’usage du matériau bois, pas tant pour le gros œuvre du reste, qu’en placage sur les maçonneries et en ornementation de bois découpés sur le second œuvre.

Cette opposition entre la maison et sa dépendance est aussi le reflet de la discrimination entre architecture majeure soit académique et architecture mineure soit vernaculaire, la maison obéissant aux canons de la tradition académique, la dépendance offrant la liberté de l’imitation et de l’interprétation des courants vernaculaires. Mais que le style chalet, alias maison suisse, ne soit employé que pour la dépendance met en évidence l’appréciation subalterne qu’en font alors des architectes élévés dans la tradition des Beaux-Arts de Paris et des propriétaires au goût français.

Pareillement surgit sur la propriété de la Fenêtre à Pregny une « Maison suisse du jardinier » en forme de ferme bernoise, modèle de fabrique infiniment plus rare, si ce n’est inexistant, au plan international. Sur les cadastres ce bâtiment est aussi appelé « maison bernoise » et daté de 1836, c’est-à-dire une quinzaine d’années après les travaux de remaniements de la maison de maître. Jean-Jacques de Sellon est le propriétaire et l’inventeur de cette

propriété, comportant une résidence dans l’écrin d’un parc paysager « qui ne soit ni anglais, ni français, ni chinois, mais qui soit naturel, c’est-à-dire un jardin en harmonie avec le site et

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le pays où est placé le terrain qu’on veut décorer.26 » Son ambition est d’égaler les grands jardins philosophiques et de donner à penser au visiteur, puisqu’il va jusqu’à publier une affichette intitulée Itinéraire des promeneurs à la Fenêtre près Genève appartenant au Comte de Sellon, fondateur de la Société de la Paix avec les vues des fabriques de ce jardin commencé en 1819 et destinée aux usagers de son parc qui indique le parcours à suivre et les étapes où s’arrêter pour s’adonner à la méditation et admirer les points de vue. Le jardin comporte donc une loge de portier entre style gothique et goût chinois, une maison suisse du jardinier, un monoptère abritant un Temple de la Paix, une croix, un obélisque consacré à l’inviolabilité de l’homme, une grotte et la maison de maître classicisée par les bons soins de son propriétaire.

Fondateur de la Société de la Paix et patriote, Jean Jacques de Sellon se pique de jardinage comme le marquis de Girardin, propriétaire d’Ermenonville, et consigne ses principes d’aménagement paysager et architectural dans un fascicule intitulé Appendice aux

Fragments de 1834 (1835). Il y explique aussi les avantages de la maison bernoise. Une telle demeure, dotée de larges avant-toits, permet au jardinier d’abriter son outillage : « Pour les bâtiments ruraux ou dépendances, je ne connais rien de mieux que l’architecture bernoise ; ces grands toits qui dépassent de plusieurs pieds le parement des murs extérieurs,

protégeant ces charmantes galeries où la famille du jardinier ou du laboureur peut se

reposer à l’abri du soleil et de la pluie, et abriter une foule d’outils aratoires. La forme élevée du toit permet aussi d’introduire dans ces maisons, tout ce qui tient à la buanderie soit lessive, tel que grenier d’étendage, etc. »

La dépendance en question est un bâtiment de pierre est surmonté d’un étage et d’une charpente à croupe et berceau bernois ; un peu haute sur pattes et étroite, elle tient davantage des maisons du village d’Arlesheim que des plantureuses maisons bernoises contemporaines de Diemtigen (Simmental). Et le modèle de l’Ermitage d’Arlesheim, croisé avec celui du jardin d’Ermenonville, ont sans doute davantage influencé la conception du jardin de Pregny. La « maison suisse » de Sellon n’a finalement de « suisse » que son toit à berceau cintré, un peu étriqué et gauchement dessiné par quelque maître-charpentier genevois, pas tout à fait au fait de l’architecture bernoise. Ou alors puise-t-il son inspiration

26 Jean-Jacques de SELLON, Appendice aux Fragments de 1834, Genève, 1835, p. 119.

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dans les dômes genevois à berceau cintré, datés par Blondel du XVIIIe siècle 27? Tandis qu’à l’heure de l’assurance incendie et de la rationalisation de la ville le glas sonne pour ces structures d’un autre temps, le berceau bernois n’en serait-il pas une forme de réincarnation qui tairait son nom ? L’explication utilitariste de la toiture bernoise invoquée par Sellon renvoie bel et bien au caractère fonctionnaliste des dômes abritant les hauts bancs. La

« maison suisse », pourvue de balcons charmants abrités par la projection des avant-toits constitue par excellence l’abri de la famille paysanne et de ses outils aratoires. On peut remarquer le même phénomène à la Pastorale, construite non loin de là par Eugène-Louis de Budé, dont la maison de maître à pilastres (1836) dessinée par Marc-François Broillet est accompagnées de deux dépendances quasi-jumelles « à la bernoise » terminées en 1831.

Toutefois ces deux bâtiments symétriques n’ont de bernois que leur toit, les murs étant en maçonnerie. La propriété Brolliet de Bellecour, l’Abbaye de Presinge au même moment, Miolan un peu plus tard (c. 1845), verront pareillement s’ériger de vastes dépendances où le bois tiendra une place importante et une maison ou chalet suisse.

Théorie architecturale autour des dépendances, des chalets et des maisons suisses en Suisse Dans le sein de la Classe d’Agriculture de la Société des Arts de Genève la question de la construction des dépendances rurales est agitée. J.-A. Fazy, grand propriétaire foncier, publie en 1833 un essai intitulé « Essai sur la manière de construire avec économie, en pisé, les bâtiments d’exploitation de domaines ruraux dans le canton de Genève28. Un concours est lancé en 1852 en vue du « meilleur manuel de constructions rurales, accompagné de plans. » Seuls deux projets sont rendus par des architectes argoviens et vaudois29.

Par ailleurs l’intérêt pour la construction des maisons suisses et des chalets, ainsi que pour l’architecture de bois se traduit par deux ouvrages significatifs de nature différente. Le premier publié pour sa première édition en 1842 par les deux architectes bernois Von Graffenried et Stürler s’intitule Schweizerische Holzkonstruktion /Maisons rustiques de Suisse, titre de la couverture, et porte en faux titre Schweizerische Architektur oder Auswahl hölzerner Gebäude aus dem Berner Oberland. Si le titre allemand parle de construction en

27 Louis BLONDEL, « Un aspect caractéristique de l’architecture de Genève : les dômes », in Genava, n.s., t. 13, 1965, pp. 49-57.

28 J.-A FAZY, Essai sur la manière de construire avec économie, en pisé, les bâtiments d’exploitation de domaines ruraux dans le canton de Genève », ds. Bulletin de la Classe d’Agriculture, N° 82/mai 1833, p. 188.

29 Leïla el-Wakil, Bâtir la campagne Genève 1800-1860, 1988, p. 94.

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bois, le titre français évoque le caractère rustique sans précision de matériau. Le faux titre indique que les maisons suisses ont été répertoriées parmi les exemples en bois de

l’Oberland bernois. Cet ouvrage folio recense les fermes et chalets d’une des régions les plus emblématiques de la construction de l’image mythique de la Suisse. L’ouvrage est une sorte de tombeau dans lequel les auteurs regrettent la disparition de ce patrimoine d’architecture artisanale, riche du savoir-faire autour du bois, une architecture d’un certain Age d’or d’avant l’industrialisation. Cette première apologie de l’architecture de bois dans la

littérature helvétique renverse l’habituelle hiérarchisation matérielle d’une certaine vision de l’architecture occidentale qui, comme le présentait déjà Joseph Rykwert, On Adam’s house in Paradise : The idea of primitive hut in architectural history (1972), crédite la pierre de solidité et durabilité. Léger et inflammable, le bois, souvent mis en œuvre par auto- construction, ne serait bon qu’à la fabrication de bâtiments mineurs. Edité en 1842 et

réédité en 1843 déjà, l’ouvrage, richement illustré, circule entre les mains des professionnels et alimente l’imagination des architectes genevois tels qu’Alexandre-Adrien Krieg, Jacques- Louis Brocher et Bernard-Adolphe Reverdin, lesquels produiront aux alentours du milieu du XIXe siècle de nombreuses dépendances et habitations mi-maçonnerie, mi-bois.

Professeur de construction à l’Ecole Polytechnique de Zurich de 1857 à 1890, Ernst Georg Gladbach30, publie une génération plus tard plusieurs ouvrages significatifs sur l’architecture de bois et le « style suisse », dont Der Schweizer Holzstil, 2 Bde. (1868 et 1886) et Die Holzarchitektur der Schweiz (1876). Il y fait l’apologie de la technologie du bois, notamment des structures ponctuelles avec remplissages, aisément transférables dans l’architecture métallique, comme l’illustre Viollet-le-Duc avec sa proposition de maison à pans de fer dérivée des structures à colombages !

Réhabilitée par le monde professionnel et académique, le chalet et la maison suisse inspirent dans la seconde moitié du XIXe siècle tous types de programmes architecturaux, des dépendances aux résidences. Né de l’imitation d’une architecture vernaculaire, le phénomène est paradoxalement récupéré par l’industrie du bâtiment naissante. La

préfabrication des chalets en pièces détachées et exportables, conjuguée au développement des chemins de fer, dope l’architecture de type « chalet » en Suisse comme au plan

30 Knut Stegmann: Analysing Historical Timber Structures – A Case Study on Ernst Gladbach (1812–1896) and His Research on the "Swiss Style". In: Robert Carvais et al. (Hrsg.): Nuts & Bolts of Construction History. Culture, Technology and Society. Band 1. Paris: Picard 2012, p.. 3–10

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international. A Genève les frères Spring et Firmin Ody se taillent une solide réputation en la matière dans la seconde moitié du XIXe siècle. Une architecture en kit est née là, facile à transporter et à mettre en œuvre. Les coûts sont limités et l’argument économique joue, davantage que les questions d’identité nationale, en faveur de la diffusion du genre à large échelle.

L’apparition de la maison suisse et du chalet en terre genevoise à la Restauration (1814- 1846) n’est pas d’emblée qu’une manifestation d’affirmation d’identité nationale. Les répercussions architecturales d’un réel ou supposé sentiment national de la part des Genevois n’apparaîtront avec ostentation que quelques décennies plus tard, une fois la réalité politique assimilée. Dans la première moitié du XIXe siècle propriétaires et architectes semblent plutôt enclins à suivre des courants internationaux.

Un phénomène semble toutefois faire exception. Il s’agit de l’apparition et de la généralisation rapide des « berceaux bernois » débordants, rares voire inexistants à ce moment ailleurs en Europe, laquelle pourrait être imputable à un précoce effet Unspunnen ! Les répercussions au plan local des deux fêtes fondatrices d’un certain mythe suisse,

organisées en 1805 et 1808 par les élites bernoises, pourraient bien avoir formé le goût très particulier pour ce genre de toiture « exotique » à Genève, qui pourra venir indifféremment se poser sur une construction de maçonnerie ou de bois. Le phénomène ira s’amplifiant et se complexifiant avec le temps. Le rôle joué là par les charpentiers locaux mériterait d’être analysé plus en détail.

Il faudra cependant attendre la fin du XIXe siècle, l’affermissement du sentiment national dans tous les pays européens et l’événement local catalyseur majeur de l’Exposition

nationale (1896) pour voir éclore une architecture genevoise réellement investie de valeurs nationales et se réclamant comme telle. L’effet produit par le Village Suisse, l’éclosion du Heimatstil, très présent à Genève au lendemain de l’Exposition Nationale, l’emblématique ouvrage de Guillaume Fatio, Ouvrons les yeux, Voyage autour de la Suisse, constituent les jalons marquants de l’expression de l’idée de Nation au travers de l’architecture et du patrimoine. Même à Genève le chalet et l’architecture de toit se trouveront alors investis de toutes les qualités d’adaptation aux matériaux et aux techniques, au lieu et au climat, telles que décrites par le peintre Albert Trachsel dans ses Réflexions à propos de l'art suisse à

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l'Exposition Nationale de 189631, … "Nos vieilles architectures suisses ont donc une forte unité, on retrouve partout les mêmes dispositions de silhouette, les mêmes formes de toits si typiques et bien nationales, rappelant à la fois des silhouettes de montagne et la forme générale des sapins. C'est donc là une forme logique, harmonique, correspondant à la fois aux lignes et formes des paysages, et aux nécessités imposées par nos climats, écoulements faciles des eaux et de la neige."

31 Albert Trachsel, Réflexions à propos de l'art suisse à l'Exposition Nationale de 1896, Genève, 1896.

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