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[Compte-rendu de :] L'apprentissage de la marche / Jean-Louis Hue. - Paris : Grasset, 2010

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[Compte-rendu de :] L'apprentissage de la marche / Jean-Louis Hue.

- Paris : Grasset, 2010

LÉVY, Bertrand

LÉVY, Bertrand. [Compte-rendu de :] L'apprentissage de la marche / Jean-Louis Hue. - Paris : Grasset, 2010. Le Globe, 2010, vol. 150, p. 140-142

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:18541

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In : Le Globe, t. 150, 2010, 140-142 COMPTE RENDU

Jean-Louis Hue, L’apprentissage de la marche, Grasset, Paris, 2010.

Plusieurs livres sur la marche ont fleuri récemment. Certains relatent des expériences vécues de marche, comme En avant route ! d’Alix de Saint-André (Gallimard, 2010) – sur le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle - , d’autres reprennent des écrits d’auteurs comme Le Goût de la marche (Mercure de France, 2008) ; enfin, une troisième catégorie fait l’aller et retour entre le dedans et le dehors, entre le langage et l’expérience, la représentation et le vécu. Tel est le cas de L’apprentissage de la marche, qui n’est pas un guide pratique de marche, mais qui donne bien des conseils sur le pourquoi et le comment de la marche, dans les milieux géographiques variés que sont la montagne, la forêt, les parcs, le rivage ou la ville. L’originalité de la démarche de Jean-Louis Hue, ex-directeur du Magazine littéraire et grand marcheur devant l’Eternel, est de mettre à l’épreuve de la réalité contemporaine des récits de marche anciens, qui ont eu une portée historique, comme l’ascension du mont Ventoux par Pétrarque (1337), la route du Tôkaidô (de Tokyo à Kyoto) au 17e siècle, le Val de Travers parcouru par Rousseau au 18e siècle, le Lake District par Wordsworth (19e siècle) ou le Seeland par Robert Walser au début du 20e siècle. Dans ces chapitres, l’auteur glisse ses pas dans ceux des auteurs (ou son esprit car il n’a pas parcouru physiquement tous les chemins cités), et cette démarche nous vaut parfois d’excellentes descriptions géographiques. Prenons par exemple l’évocation du Géant de Provence :

« Vu d’Avignon, le Ventoux ressemble à un gros chat assoupi au fond de l’horizon. Une tache blanche est piquée en haut de son échine, un houpet de calcaire ou de neige selon la saison, qui lui donne l’air d’un vieux sage. Il tient entre ses pattes les tranquilles plaines du Vaucluse et quelques villages qui respirent encore un peu. Quand on s’en approche, la bête gagne en férocité » (p.

22).

Les différents chapitres sont généralement reliés à un auteur ou à un thème géographique ou social dominant, comme Flaubert attiré par les rivages de Bretagne, ou Louis XIV à Versailles promouvant la marche au rang de divertissement. On apprend dans ce chapitre que le Roi Soleil aimait le grand air et que, hors des jours de chasse, il s’offrait volontiers

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une promenade quotidienne de quatre ou cinq heures, ce qui est considérable pour un personnage si occupé… Ces marches, toutefois, étaient très organisées, réglées au détail près ; elles correspondaient à « un rituel où chaque pas était compté et le moindre geste mesuré » (p. 60) et étaient bien sûr accompagnées. Les terrains d’exercice ne manquaient pas autour des domaines royaux et c’est à la fin du 17e siècle que la marche se transforme socialement en France en un « exercice honnête », voire une pratique mondaine (auparavant, elle n’était qu’une pratique suspecte bonne pour les vagabonds, les mendiants et les criminels) (p. 61).

L’aménagement des jardins à la française accompagne ce mouvement. Ainsi, contrairement à certaines caricatures qui considèrent que le jardin royal à la française, avec ses effets de perspectives, est surtout conçu pour être admiré du perron du château en position immobile, l’auteur nous apprend que l’aménagement de l’espace et du paysage est aussi relié à l’expérience éprouvée de la marche.

Sur dix-huit chapitres qui tous mêlent des formes d’érudition à l’histoire des idées et des pratiques, neuf sont consacrés à l’espace français, les neuf autres se partageant entre la Suisse (trois chapitres), la Chine, le Japon, l’Amérique du Nord et l’Espagne (un chapitre chacun).

La Suisse est donc l’un des terrains clés dans cet ouvrage, avec Rousseau, Horace- Bénédict de Saussure, Töpffer et Robert Walser, à qui il est consacré un court chapitre. Si le lien entre Voltaire et son cher docteur Tronchin est depuis longtemps établi, celui entre Rousseau et Théodore Tronchin passe notamment par la fonction thérapeutique de la marche. Pour un médecin des Lumières comme Tronchin, la recommandation de la marche est un remède universel à bien des maux : la marche « ne fortifie pas seulement les jambes mais aide à cracher, soulage l’estomac, purge les reins, dissipe les vents, éclaircit les yeux et dégage le cerveau » (p. 73). Toutefois, attention à l’excès prévient ce docteur en 1760 :

« Toute fatigue exagérée vous serait nuisible, on ne naît pas athlète, on le devient » (p. 73).

Le livre de Jean-Louis Hue évoque aussi les premiers itinéraires fléchés dans la forêt de Fontainebleau au siècle du romantisme, le retour à la vie sauvage d’Henri Thoreau dans les forêts du Maine, Thoreau qui écrivit un court mais fondamental article, De la marche (« Walking », Atlantic Monthly, 1862, éd. Mille et une nuits, 2003).

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Comment un espace naturel évolue en espace aménagé, tel pourrait être le fil conducteur du chapitre consacré au District des Lacs, en Angleterre. Jean-Louis Hue nous livre une vision assez critique de l’aménagement actuel du Lake District où Wordsworth (et d’autres) adorait marcher sous la pluie. Devenu un parc national depuis 1951, le Lake District attire des foules de randonneurs et est devenu un musée en plein air qui dispose d’une soixantaine d’« attractions ».

D’après l’auteur, sans être devenu un vulgaire parc de loisirs, il ressemble plutôt à un grenier en plein air où l’on entasse pêle-mêle « des bateaux, des trains à vapeur, de vieilles voitures, des pots de céramique… », (p. 133), des collections d’objets appartenant au passé de la région. Une espèce de Ballenberg anglais où

« le bon vieux temps a été mis sous cloche ». Cela dit, il fait encore bon y marcher car « les chemins sont encore de bons vieux chemins » (134).

On ne découvrira pas dans le livre de Jean-Louis Hue de nouveaux auteurs qui ont parlé de la marche, car tous les écrivains appartiennent aux classiques de la confrérie, de Bashô à Stevenson, de Flaubert à Lacarrière, de Rousseau à Walser, mais on a plaisir à suivre l’auteur dans ses déambulations érudites, qui mettent en relation l’histoire de la marche avec l’histoire de l’aménagement de l’espace et du paysage, une manière originale de relier la littérature à la géographie.

Bertrand Lévy, Université de Genève bertrand.levy@unige.ch

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