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Géographie et organisations internationales

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Géographie et organisations internationales

RAFFESTIN, Claude

Abstract

L'implantation et la signification des organisations internationales dans l'espace urbain ont peu retenu l'attention des géographes. Dans une première partie, l'auteur tente d'esquisser une méthode d'approche géographique de la fontion internationale en replaçant dans un cadre général les différents facteurs susceptibles d'influencer la localisation d'une organisation et ceux qui peuvent être modifiés par sa présence. Dans une seconde partie, l'auteur, prenant un cas pratique, applique sa méthode au CERN et essaie de montrer les effets multiples de cette organisation sur les composantes de la collectivité genevoise.

RAFFESTIN, Claude. Géographie et organisations internationales. Annales de géographie , 1970, vol. 79, no. 434, p. 470-480

DOI : 10.3406/geo.1970.15137

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4285

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Géographie et organisations internationales

par Claude Raffestin

professeur à la Faculté des Sciences économiques et sociales de l'Université de Genève

I. INTRODUCTION

Le titre peut étonner et faire croire, à tort, à l'intrusion d'un géographe dans un domaine où règnent historiens et juristes. La formule anglaise :

« Geography is what geographers do »1 pourrait justifier, avec une pointe d'ironie, l'audace de mon incursion si j'avais mauvaise conscience. Mais mon intention n'est pas de profiter de la laxité apparente de la géographie pour chercher à lui ajouter un champ d'étude marginal. Mon dessein est d'attirer l'attention sur les aspects et les implications géographiques du fait international tel qu'il se manifeste à travers les organisations. En effet, la part réservée à l'analyse de ces dernières dans le cadre de la géographie humaine est généralement réduite, voire même inexistante. Faut-il en déduire que leur nombre et leur rôle ne sont pas assez significatifs pour susciter l'étude ? Je ne le pense pas et il suffira aux sceptiques de consulter les annuaires spécialisés pour s'en convaincre : 25 organisations dans la famille onusienne, 9 communautés européennes, 165 organisations inter-gouverne- mentales (dont 57 disparues ou inactives) et 2 135 organisations non gouver- nementales (dont 707 disparues ou inactives)2. Cette courte énumération n'a d'autre but que de faire prendre conscience de l'importance du phénomène international. Toutes les grandes capitales européennes et de nombreuses villes à travers le monde hébergent des organisations internationales.

« L'empreinte internationale » n'est pas partout visible de la même manière : dans beaucoup de villes, celles des grandes institutions, elle est directement observable ; dans d'autres, celles des petites institutions, elle

1. Cité par Ernst WEIGT,Die Geographie, G. Westermann Verlag, 1964, p. 38.

2. Cf. Yearbook of International Organizations, l l t h Edition 1966-1967, Bruxelles, 1966.

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n'est souvent révélée que par la « photo statistique ». A cet égard, il me paraît utile de rappeler que le caractère international d'une ville est parfois trop accusé, dans l'esprit du public, au détriment des autres activités. L'inverse est également vrai, mais dans une moindre mesure. L'information quotidienne est, sans doute, en partie responsable de ces images trompeuses contre lesquelles il est parfois difficile de se défendre. Une organisation inter- nationale résulte d'un ensemble de décisions politiques prises par une commu- nauté plus ou moins large. Sa localisation, c'est-à-dire la transcription dans l'espace des décisions, est un fait géographique. Elle révèle une conception implicite de l'environnement, même si le choix du site est essentiellement de nature politique. C'est la revanche de la géographie, qui, même si elle n'est pas directement consultée, ne peut pas être totalement négligée. Aussi, voudrais-je tenter dans les lignes qui vont suivre, d'une manière empirique, de dégager le support géographique du fait international. J'orienterai mon approche méthodologique dans trois directions : montrer les caractères spécifiques de l'organisation internationale en tant qu'activité localisée, déterminer les « utilités » nécessaires à son fonctionnement et indiquer les principaux effets exercés sur son environnement. Une géographie des services internationaux contribuerait, si elle existait, à une meilleure appréciation des sites et par conséquent à des implantations plus rationnelles.

II. APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE

Découvrir la spécificité de l'organisation internationale dans un ensemble urbain conduit à mettre en question la notion de fonction que j'ai évité d'utiliser jusqu'à maintenant pour plusieurs raisons qui vont être évoquées.

La notion de fonction, formulée il y a tout juste vingt ans par G. Chabot, mais en réalité beaucoup plus ancienne dans la géographie comme ses conno- tations biologiques l'indiquent, est inadaptée à l'organisation internationale dont les conditions d'existence diffèrent fondamentalement de celles des secteurs traditionnels. De par leur origine, les organisations internationales sont, au début tout au moins, pour les villes qui les accueillent, des «intruses » : elles sont plus ou moins artificiellement plaquées sur un paysage urbain dont l'allure change partiellement. D'autre part, du point de vue économique, les systèmes d'échanges qui s'ébauchent immédiatement, sur le triple plan local, régional et national, à partir des firmes classiques, ne prennent pas naissance de la même manière pour les institutions internationales. Le double circuit d'échanges n'existe pas pour l'organisation internationale dont la production n'est pas comparable à celle de l'entreprise privée. Non pas que la production de celle-là soit inexistante, mais elle n'est pas commer- cialisable au sens habituel du mot car il s'agit d'un flux d'informations très spécialisées, dont l'utilisation pratique immédiate peut être nulle, utiles surtout au progrès de la connaissance pure. Ce qui ne veut pas dire qu'à plus ou moins long terme cette accumulation d'informations ne permettra pas de résoudre des problèmes pratiques dans différents domaines. L'orga-

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nisation n'est donc pas liée à un marché pour écouler sa production. Elle se distingue des autres activités par une plus grande liberté et une plus large autonomie. Cette indépendance relative est facile à constater en période de crise ou de récession économique. Alors que les autres secteurs, autour d'elle, sont plus ou moins durement touchés par le malaise qui règne sur les marchés, elle n'est pas directement affectée puisqu'elle ne tire pas de ceux-ci sa substance ni sa raison d'être. Gela ne signifie pas qu'elle ne subisse pas indirectement les effets de la crise au niveau de ses besoins. Paradoxalement, ces effets, pour autant que la communauté dont elle dépend ne décide pas des amputations de budget, ont toutes les chances d'être positifs en raison de la chute des prix des biens, des services et du facteur de production travail. La notion de fonction postule une intégration qu'on ne retrouve pas au même titre pour les organisations internationales que pour les autres activités. Aussi, pour différencier les premières des secondes, pourrait-on recourir au terme de vecteur. Le vecteur international serait constitué par l'ensemble des organisations qui lui donneraient ses caractéristiques : sa dimension, sa signification et son orientation économique. Sa dimension, c'est- à-dire l'ensemble des données relatives au budget, au personnel employé et aux surfaces utilisées ; sa signification, c'est-à-dire les buts assignés aux organisations et effectivement poursuivis par elles ; enfin son orientation économique, c'est-à-dire les secteurs sollicités pour faire face aux besoins.

La notion de vecteur peut être intéressante pour définir globalement le phénomène international d'une ville ou d'une région, surtout s'il y a un grand nombre de petites organisations dispersées : c'est la résultante qui détermine la « coloration » internationale. J'aimerais insister enfin sur le fait que le processus de création d'une organisation internationale est générale- ment bien connu et l'information qui s'en dégage donne au phénomène une transparence qu'on souhaiterait pour les autres activités.

Cette constatation permet d'emprunter à la géographie politique une méthode de présentation mise au point par un géographe américain et connue sous le nom de « Unified Field Theory »1. Cette théorie, que j'exposerai plus loin en l'appliquant au cas du C.E.R.N., a le mérite de clarifier les problèmes en les ramenant à une série d'étapes : l'idée, la décision, le mouve- ment et le champ. Lorsque la décision politique de créer une organisation a été prise, il se pose immédiatement le problème de sa localisation qui est une question géographique fondamentale et multiforme qui ressortit tout autant à la géographie physique qu'à la géographie humaine. Le choix du site intéresse tout à la fois l'organisation sensu stricto et le personnel appelé à y travailler. Par rapport à l'organisation, la détermination de l'emplace- ment, en dehors d'impératifs politiques précis, est fonction des installations nécessaires. Les servitudes seront d'autant plus grandes qu'il s'agira d'une organisation scientifique employant un matériel lourd et encombrant.

Pourtant il serait excessif, voire erroné, d'attribuer à ces contraintes un

1. Il s'agit de la théorie de Stephen B. Jones dont on trouvera l'exposé chez H. J. de BLIJ, SystematicPolitical Geography, New York, Londres, Sydney, 1967, p. 143-154.

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rôle déterminant car les techniques de construction modernes, si leur mise en œuvre n'est pas contrariée par un souci d'économie ou des bases financières trop étroites, sont parfaitement capables de pallier des inconvénients de nature morphologique. Encore faut-il en apprécier l'importance et méditer les conseils des morphologues1. Il peut même être avantageux, à longue échéance, d'accepter des coûts d'aménagement élevés pour les installations fixes si le site ne présente pas d'autres désavantages. Car il s'agit de coûts qui sont consentis une seule fois, alors que sur d'autres plans il faudra les consentir peut-être plusieurs fois. De plus, le lieu choisi devra être suffi- samment vaste pour garantir une extension future commode et pour se prémunir contre une dispersion à laquelle certaines activités ne peuvent se soumettre facilement. Relativement aux conditions physiques, les données climatiques sont à prendre en considération, surtout pour le personnel.

On sait pertinemment qu'il existe une courbe du confort, déterminée par la température et l'humidité relative, qui influe sur le rendement du travail humain2. D'autre part, le personnel très qualifié auquel s'offre généralement un éventail ouvert de possibilités de travail hésitera à choisir une région défavorisée par le climat : trop fortes amplitudes de température, faible durée de l'insolation ou trop grand nombre de jours de précipitations par exemple. La situation n'est évidemment pas identique, face au climat, pour le personnel subalterne et moins qualifié dont les possibilités d'embauche sont plus restreintes. Au-delà des goûts personnels, il y a les effets du climat sur la santé des hommes, et par conséquent sur le rendement de l'organisa- tion. La question du site ne peut naturellement pas être séparée de celle des facilités de relations. C'est tout le problème du désenclavement auquel le vecteur international peut apporter une contribution certaine en favorisant les mutations nécessaires. Il ne fait aucun doute, par exemple, que la S.D.N., après le premier conflit mondial, a facilité le désenclavement aérien de Genève.

La position de carrefour de la cité lémanique n'avait pas été jusque-là pleinement valorisée. Un aéroport constitue l'instrument indispensable aux institutions internationales. Si ces dernières sont appelées à jouer un rôle régional, il est évident que les surfaces de transport classiques, routes et chemins de fer, gagneront une signification nouvelle. La position n'est pas indifférente, non plus, au personnel. Beaucoup de régions n'offrent qu'un type de paysage, alors que d'autres en possèdent toute une gamme qui révèle plusieurs espaces de délente. Les types de loisirs s'en trouvent multi- pliés, ce qui constitue un attrait supplémentaire pour les futurs fonctionnaires internationaux. L'afflux de ces derniers peut déterminer la mise en valeur de potentialités jusqu'alors négligées par manque de clientèle susceptible de s'y intéresser.

L'environnement ne se limite pas aux facteurs naturels dont la signifi- cation dans beaucoup de cas est certainement secondaire. Aussi, convient-il

1. Cf. Jean TRICART, L'Épidémie de la terre, Paris, 1962, p. 55 sq. .

2. Cf. S. F. MARKHAM,Climate and the Energy of Nations, Londres, New York, Toronto, 1947, p. 30 ; e t Jean BESSEMOULIN et Roger CLAUSSE,Vents, nuages et tempêtes, Paris, 1957, p. 78.

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de définir le site socio-économique par rapport à l'organisation internationale.

Il s'agit de l'ensemble des conditions socio-économiques et des infrastructures locales avec lesquelles l'organisation aura affaire. Certaines seront susceptibles de favoriser l'implantation, d'autres au contraire de la gêner. L'appréciation du site ne pouvant se faire que par rapport aux exigences des organisations, il faut disposer, pour ces dernières, d'une classification fondée sur leur orientation prépondérante : secondaire ou tertiaire. Selon que les structures économiques et sociales seront ou non en place, dans le site choisi, on pourra parler d'organisation internationale antécédente ou subséquente. Si les conditions et les infrastructures sont réalisées en même temps ou peu de temps après l'implantation, on parlera d'organisation conséquente. Ce dernier cas suppose une organisation de grandes dimensions, donc très

«structurante», et une grande fluidité des facteurs de production locaux et régionaux. La mobilité des facteurs de production sera, en partie, fonction de données psychologiques : si l'organisation apparaît aux milieux d'affaires locaux comme un appoint dans le système économique, elle sera bien accueillie ; en revanche, si l'on craint qu'elle ne constitue une concurrence sur le marché de la main-d'œuvre ou sur celui des logements, elle risque de se heurter à de la mauvaise volonté. Le moment historique de l'implantation n'est donc pas un facteur négligeable puisqu'il peut influer sur l'assimilation de l'orga- nisation à la communauté régionale. Il y a toutes les chances pour qu'une organisation soit mal acceptée en période de haute conjoncture car elle ajoute à la tension de certains marchés. En période de récession, on lui prêtera, peut-être à tort, un pouvoir rééquilibrant et son assimilation en sera facilitée. Pour le personnel international, il est souhaitable que la localisation prévue ne soit pas entachée par un climat politique instable ou des tendances religieuses contraignantes. La composition ethnique ou raciale ne doit pas non plus entraîner de réflexes qui pourraient priver l'organisation de certaines capacités. Dans le même ordre d'idée, le problème linguistique peut augmenter la viscosité du facteur travail. Or la main- d'œuvre locale ou régionale peut ne pas pouvoir couvrir les besoins de l'orga- nisation : soit que la main-d'œuvre disponible est rare, soit que le milieu est pauvre, donc la gamme des spécialités peu étendue. D'un autre point de vue, il ne faut pas oublier que l'organisation, pour conserver son caractère international, doit posséder un personnel issu des différents États membres.

Sur le plan social, le site doit pouvoir offrir des logements en suffisance ou être en mesure d'en assumer la construction au fur et à mesure des besoins.

Des équipements commerciaux, médicaux et culturels nombreux et diversifiés sont indispensable pour des organisations de grandes dimensions. La question des écoles se pose avec non moins d'acuité et la présence d'une université est fort utile à certaines organisations. Si la langue en usage dans le pays est «rare», les services d'une école internationale seront requis. Certes, la pauvreté des équipements peut être améliorée avec le temps et les autres servitudes levées par de plus fortes prestations de salaires accordées au personnel. Pourtant, il faut craindre qu'à partir d'un certain niveau les

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coûts ne deviennent prohibitifs pour la collectivité de nations qui supportent les frais d'une opération de ce genre. Il n'est pas rare que des pays doivent renoncer, pour des raisons strictement financières, à participer à un pro- gramme international. L'idée que le choix du site doive se faire en tenant compte de tous les critères majeurs s'en trouve renforcée.

La présence d'un vecteur international s'accompagnera d'effets directs et indirects, quantitatifs et qualitatifs. Le quartier urbain, à l'intérieur ou en bordure duquel une grande organisation s'installe, a toutes les chances d'être partiellement transformé par la construction de nouveaux immeubles, l'implantation do commerces et l'aménagement d'une trame de circulation mieux adaptée aux besoins. Il est vraisemblable, aussi, qu'une nouvelle répartition de la population s'ébauche si les constructions ne sont pas exclu- sivement réservées aux fonctionnaires internationaux. Le développement du trafic sur quelques axes de circulation peut contraindre les autorités locales à entreprendre des travaux qui pèseront naturellement sur les finances mais qui constitueront des occasions de travail pour les entreprises de génie civil. L'industrie du bâtiment est certainement la première à bénéficier de la présence d'une institution internationale ; de plus elle déclenchera un processus aussi bien vers l'amont que vers l'aval : gonflement des carnets de commandes des fabriques de ciment, des fabriques de matériaux de cons- truction et des entreprises d'installations électriques et sanitaires. Par la suite, d'autres industries, et en tout cas l'imprimerie, seront sollicitées.

L'intérêt de ces demandes, du moins de certaines d'entre elles, se situera sur un plan technologique. En effet, l'organisation à orientation secondaire aura besoin d'instruments et d'appareils nouveaux de haute technicité.

Une partie du budget de l'organisation étant distribuée localement, il s'en- suivra une injection de capitaux frais et les banques seront appelées souvent à gérer une partie des fonds mis à disposition par la collectivité internationale.

Inversement, il faut s'attendre à ce que les fonctionnaires internationaux pèsent sur le crédit local par des emprunts hypothécaires, tout en l'alimentant par des dépôts. L'essaimage de la masse salariale gonflera les ventes des commerçants qui, à plus ou moins long terme, seront conduits à accepter des transformations pour répondre à une clientèle étrangère et souvent exigeante. Le niveau de vie plus élevé des fonctionnaires internationaux peut se traduire par l'apparition de nouveaux biens et de nouveaux services qui entraîneront la multiplication des productions locales ou une augmenta- tion des importations1. La mutation de certains tertiaires, dans les quartiers où la population internationale est dense, paraît inévitable.

En résumé, le vecteur international aura un effet multiplicateur et à certains égards novateur sur les fonctions urbaines. Pour quelques-unes, cela peut être l'amorce d'une reprise ou d'un renouvellement. Sur le plan démographique, les effets ne sont pas moins sensibles. On notera d'abord une modification de la composition ethnique de la population résidente par

1. Cf. Paul CLAVAL,,Régions, nations, grands espaces, Paris, 1968, p. 268.

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l'afflux d'étrangers. Ensuite, il faut s'attendre à voir se créer de nouveaux mouvements pendulaires et enfin l'éventualité d'une immigration induite n'est pas à exclure si la couverture des demandes supplémentaires ne peut être assurée par la main-d'œuvre locale. La pyramide démographique s'en trouvera changée quant à la répartition par âge et par sexe, de même les taux de natalité et de mortalité subiront quelques retouches. Au point de vue social, l'intégration des fonctionnaires internationaux pose des problèmes d'autant plus difficiles à résoudre que l'afflux est plus grand. L'assimilation des fonctionnaires à la vie de la communauté dépend de plusieurs facteurs : de la langue, de la religion, de la catégorie socio-professionnelle, de la durée du contrat de travail... et des attitudes de la population locale. La durée du contrat de travail me semble très significative car on constate qu'un contrat court, sans perspective de renouvellement, empêche le fonctionnaire de « s'installer », au sens plein du terme. Le nomadisme du fonctionnaire n'encou- rage pas son intégration et détermine des clivages qui retentissent sur les attitudes politiques de la population locale dont le mécontentement se marque parfois par des déplacements de majorité lors des élections et à la limite par la naissance de partis hostiles aux étrangers dans lesquels on retrouve une « sorte de chauvinisme municipal »1. Dans l'ensemble, le vecteur international est un facteur de mobilité et de croissance pour une aggloméra- tion qui sait valoriser les effets de ricochets nombreux. Mais il est vrai aussi que les changements, lorsqu'ils sont trop rapides, provoquent des malaises momentanés.

III. LE CAS DU C.E.R.N.

Le vecteur international genevois étant trop riche, je préfère me limiter à une grande organisation, le C.E.R.N., pour illustrer ce qui précède. La méthode de Jones, citée plus haut, qui va me permettre de présenter schéma- tiquement le processus de création du C.E.R.N., s'apparente à la méthode historique en géographie politique. Elle est redevable aux recherches de Richard Hartshorne et de Jean Gottmann. A l'origine de toute création, on trouve une idée qui passe sur le plan de l'action grâce à une décision qui détermine un mouvement dont il résulte un champ de forces. A l'intérieur de ce champ s'établissent des communications qui donnent lieu à des inter- actions multiples. L'idée du C.E.R.N. est née de l'inquiétude des physiciens européens qui constatèrent, après la seconde guerre mondiale, la « diaspora » des savants contraints d'aller chercher hors d'Europe les moyens de pour- suivre leurs travaux. L'idée a donc pour origine un déséquilibre, un malaise.

Il fut envisagé de créer des instituts régionaux dans lesquels les chercheurs trouveraient les moyens matériels nécessaires à leur œuvre. La décision de fonder le Conseil européen pour la recherche nucléaire intervint le 15 février

1. L'expression est d'Eric J. HOBSBAWM,Les Primitifs de la révolte dans l'Europe moderne, Paris, 1966, p. 131.

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GÉOGRAPHIE ET ORGANISATIONS INTERNATIONALES 477 1952. Elle fut précédée par toute une série de conférences et de rencontres étalées de 1949 à 1951. Le court laps de temps entre la conception de l'idée et la décision est révélateur de l'urgence du problème. Treize pays adhérèrent à la nouvelle organisation pour coopérer à la recherche fondamentale en physique nucléaire : Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Grèce, Italie, Norvège, Pays-Bas, République fédérale allemande, Royaume-Uni, Suède et Suisse1. Le C.E.R.N., communauté scientifique exemplaire, a déclenché un mouvement qui s'est traduit par un afflux de physiciens, d'ingénieurs et de techniciens vers Genève. La fuite vers les États-Unis a ainsi été enrayée dans une notable proportion. La valeur pratique de l'entreprise, indépendamment des résultats obtenus, réside certainement dans la formation d'un champ scientifique et technologique européen : de nombreuses universités participent à l'analyse des données accumulées dans la physique des hautes énergies, et des entreprises industrielles, de toutes dimensions, collaborent à la mise au point de machines et de procédés entière- ment nouveaux. De 1952 à 1967, le C.E.R.N. a passé pour plus de 720 millions de contrats en Europe et en Amérique2.

On peut qualifier le C.E.R.N. d'organisation subséquente de grande dimension : 3 000 personnes, 280 millions de budget et 80 ha de surface dont 39 sur territoire français. C'est, à ma connaissance, la seule organisation internationale à cheval sur une frontière. Le but de ses activités est exclusive- ment scientifique et son orientation économique essentiellement secondaire.

Le choix de Genève a renforcé encore le vecteur international de cette ville, mais en le diversifiant puisque le C.E.R.N. est surtout tourné vers l'industrie.

Le site, au nord du canton de Genève, jouxte la frontière, en bordure de la route qui, depuis Genève, conduit à Saint-Genis. La liaison avec l'aéroport est absolument parfaite. L'emplacement choisi a encore alourdi le vecteur international sur la rive droite. La mise en place des infrastructures pour l'eau et l'énergie a nécessité d'importantes installations : le C.E.R.N. participe pour 12 p. 100 à la consommation globale d'électricité du canton. A cet égard, il est loisible de faire deux hypothèses, à savoir que le C.E.R.N. a sans doute contraint les services industriels chargés de l'alimentation en énergie à augmenter leurs achats à l'extérieur et que cette ponction peut expliquer, en partie, l'augmentation du prix de l'électricité. Quant au per- sonnel, Genève offre des avantages de nature à l'attirer : le climat genevois est un climat de transition, sans caractère affirmé, ce qui n'exclut pourtant pas les sautes d'humeur diffciles à supporter pour certaines personnes mais heureusement de courte durée ; la mosaïque de paysages laisse entrevoir plusieurs formes de loisirs : promenades dans la campagne genevoise à laquelle un bocage résiduel donne un charme particulier, sports nautiques sur le plan d'eau du lac, varappe au Salève, excursions dans les forêts du Jura et enfin nombreuses pistes de ski à une heure et demie de voiture. La création

1. L'Espagne s'est retirée pour des raisons financières au 31 décembre 1968.

2.La présence des États-Unis est une preuve supplémentaire de l'avance technologique de ce pays.

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de la nouvelle station française d'Avoriaz a certainement tenu compte de la proximité de Genève, tant du point de vue de l'aéroport que de la clientèle potentielle.

La présence du C.E.R.N. a profondément transformé la commune de Meyrin et les zones avoisinantes. Meyrin est devenue la première cité satellite de Suisse, habitée depuis 1961. Trois ans plus tard, en raison de l'augmen- tation de la densité, Meyrin basculait dans l'agglomération : 2 220 habitants en 1955 et 11 394 en 1966. La croissance du Grand-Saconnex, même si l'intensité est moindre, est également remarquable : 1 681 habitants en 1955 et 4 274 en 1966. S'il est évident que les seuls fonctionnaires du C.E.R.N.

ne sont pas responsables de ces augmentations, ils y ont pourtant fortement contribué. En effet, la cité de Meyrin accusait, en juin 1965, 52,2 p. 100 d'étrangers contre 32,2 p. 100 pour l'ensemble du canton. « La ventilation par pays d'origine n'est pas moins intéressante, car elle montre clairement comment les fonctions internationales de Genève ont affecté le peuplement de la cité de Meyrin plus que tout autre facteur, »1 En 1965, les Français venaient en tête avec 19,8 p. 100 de la population étrangère, suivis par les Italiens avec 16,2 p. 100, les Allemands avec 15,7 p. 100 et les Anglais avec 13,7 p. 100. Les Espagnols, les ressortissants du Benelux, les Scandinaves, les Grecs, les Américains et bien d'autres étaient également représentés.

La composition sociale de la cité a aussi été affectée et l'on peut remarquer une supériorité très nette des cadres : fonctionnaires internationaux avec 20 p. 100 contre 1 p. 100 pour l'ensemble du canton2. Au point de vue écono- mique, Genève, la Suisse et la région française voisine ont largement bénéficié des commandes du C.E.R.N. Les seuls critères de cette organisation sont les prix et la qualité. Elle n'est pas tenue de faire ses commandes dans les pays membres en fonction de la participation de ces derniers dans le budget. Le milieu industriel genevois, caractérisé par des entreprises de faibles dimen- sions habituées à de petites séries « fignolées » par une main-d'œuvre très qualifiée, était particulièrement désigné pour répondre aux exigences du C.E.R.N. Toute une pléiade d'ateliers de mécanique et d'électro-mécanique étaient en place au moment de l'installation du C.E.R.N., qui mérite donc bien sa qualification d'organisation subséquente. Ce problème des relations du C.E.R.N. avec les entreprises genevoises a deux faces : d'une part l'indus- trie genevoise, dont la clientèle est, en général, à grand rayon de courbure, a vu naître la possibilité de rééquilibrer ses affaires par des occasions locales ; d'autre part, elle a mesuré tout l'intérêt qu'il y aurait pour elle à se confronter avec des problèmes de technologie avancée. Les petites entreprises, souples et ingénieuses, sont mieux placées pour fabriquer des prototypes que les grandes qui hésitent à perturber leurs chaînes de production. Des organisations comme le C.E.R.N. postulent une industrie de biens de recherche. Quant au tertiaire, il faut noter que les banques reçoivent des dépôts du C.E.R.N.

1. Jean-François BERGIER,« Meyrin-Genève », extrait de la Revue de médecine préventive, fasc., 6, 1966, p. 517-529.

2. Ibid.

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et que 90 p. 100 des salaires sont injectés dans l'économie locale sous forme d'achats de biens ou de services. Par les phénomènes de ricochets, le tertiaire s'est diversifié dans la mesure où, les commandes du C.E.R.N. exigeant des produits très spéciaux, des entreprises internationales ont installé à Genève des bureaux de représentation. Le C.E.R.N. est, sans nul doute, un pôle de croissance qui a permis à plusieurs firmes d'amorcer des tentatives de renouvellement et qui, indirectement, en a attiré d'autres. Cependant, il faut être conscient de la fragilité de ce pôle de croissance car toutes sortes d'événements peuvent inciter les pays qui en supportent les frais à décider l'arrêt des activités ou le déplacement des laboratoires. Le C.E.R.N. étant la dernière venue des grandes organisations et s'étant installé à un moment où la conjoncture genevoise était très haute, il en est résulté quelques diffi- cultés : on lui a reproché de concurrencer les entreprises locales sur le marché très tendu de la main-d'œuvre, par exemple. Aujourd'hui, on peut considérer que ce problème est à peu près résolu. On pourrait voir aussi une certaine corrélation entre le C.E.R.N. et la naissance à Genève d'un parti de mécontents nommé « Vigilance », mais ce dernier peut être également une réaction contre l'immigration générale.

Les remarques qui précèdent, essentiellement qualitatives, mériteraient, j'en suis conscient, la sanction du nombre. Hélas, les statistiques n'existent pas toujours ou, si elles existent, elles sont inatteignables. Des craintes exagérées empêchent aussi la publication de certaines d'entre elles. L'expé- rience prouve pourtant qu'il est hautement préférable de libérer l'information la plus large si l'on veut éviter les interprétations erronées qui sont souvent plus dangereuses que la vérité, pour ne pas dire toujours.

IV. CONCLUSION

Certains, que l'esquisse de cette question n'aura pas convaincus, penseront que l'implantation d'une organisation internationale est affaire de techni- ciens. Pour ma part, j'estime que le recours à la géographie s'impose dans la mesure où l'on ne cherche pas seulement à déterminer les meilleures conditions, du point de vue de l'organisation, mais aussi à éviter l'altération de l'environnement. Je terminerai par cette pensée de C. F. Powell qui rappelle qu'il est dangereux de privilégier des disciplines au détriment d'autres : « Une civilisation scientifique résulte du jeu complexe de toutes les branches de la science et de la technique. Le problème consiste à leur donner un développement équilibré, car la faiblesse d'un seul secteur affecte l'ensemble du front de marche »1.

GÉOGRAPHIE ET ORGANISATIONS INTERNATIONALES. — Résumé.

L'implantation et la signification des organisations internationales dans l'espace urbain ont peu retenu, l'attention des géographes. Dans une première partie,

1. E.C.F.A. Comité européen sur les futurs accélérateurs, Rapport 1967.

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l'auteur tente d'esquisser une méthode d'approche géographique de la fonction inter- nationale en replaçant dans un cadre général les différents facteurs susceptibles d'in- fluencer la localisation d'une organisation et ceux qui peuvent être modifiés par sa pré- sence. Dans une seconde partie, l'auteur, prenant un cas pratique, applique sa méthode au C.E.R.N. et essaie de montrer les effets multiples de cette organisation sur les com- posantes de la collectivité genevoise.

G E O G R A P H Y A N D I N T E R N A T I O N A L O R G A N I S A T I O N S . Abstract. — Geographers have not devoted much attention to the location and signi- flcance of international organisations in urban areas. In the first part, the author attempts to outline a geographical method of approack to their international function. He places within a general framework the vanous factors which can influence the choice of locality of an organisation and those factors which may be altered by its presence. In the second part, the author takes an actual example. He applies his method to the C.E.R.N.

and attempts to show the multiple effects that this organisation has had on the various sec-tors of the community of Geneva.

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