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Heinrich Bullinger et Théodore de Bèze

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Heinrich Bullinger et Théodore de Bèze

ZAHND, Ueli

ZAHND, Ueli. Heinrich Bullinger et Théodore de Bèze. Bulletin de la Compagnie de 1602 , 2019, vol. 391, p. 39-49

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:128436

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IT. Paroles de femmes: De Huldrych Zwingli à Théodore de Bèze

Bibliographie de Catherine McMillan:

Detmers, Achim, Reformation und Judentum. Israel-Lehren und Einstellungen zum Judentum von Luther bis zum frühen Calvin, Judentum und Christentum 7, Stuttgart u.a. 2001, 7-20.

Peter Opitz, «Ulrich Zwingli; Prophet, Ketzer, Pionier des Protestantismus», TVZ 2015

Peter Opitz, «Les contributions spécifiques de la Réforme suisse » in «Célébrer Luther ou la Réforme?», EKD, SEK/FEPS, Labor et Fides, 2014

Strerath-Bolz, «Ulrich Zwingli», Wichern Verlag, 2013 Zwingli, Huldrych, «Schriften», I-IV, TVZ, 1995

Narration: Maguy SCHMUTZ 2019

Se

III.

Heinrich Bullinger

et Théodore de Bèze

Que la naissance de Théodore de Bèze et les débuts de Huldrych Zwingli comme prédicateur au Grossmünster de Zurich soient tombés la même année, c’est, semble-t-il, une des rares, et peut-être même la seule coïncidence entre les biographies de ces deux personnages si importants pour les deux centres respectifs de la Réforme en Suisse. Quand Zwingli est mort, en 1551, sur le champ de bataille lors de la deuxième guerre de Kappel, Bèze n'avait guère que 12 ans, ne faisant, comme élève de Melchior

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IL. Heinrich Bullinger et Théodore de Bèze

Volmar à Bourges, que quelqués vagues rencontres avec la pensée

réformatrice. Or, même si ce n'est pas au niveau personnel, les rap-

ports entre Zwingli, la mouvance qu’il a déclenchée à Zurich, et Bèze sont bien plus étroits qu’on ne le pense; ils sont liés, cependant, à un autre personnage de cette réforme zurichoise: Heinrich Bullinger.

Un peu comme Bèze succédant à Calvin, Bullinger est connu, avant tout, comme successeur de Zwingli;

mais tout comme Bèze qui a été pour l'Église de Genève et, par conséquent, pour le calvinisme international, bien plus qu’un gestionnaire de l’héritage de Calvin, Bullinger à été une figure centrale pour l’Église de Zurich, pour sa constitution après la mort précoce de son premier leader, et pour le rayonnement de ce que l’on continue d'appeler, par un raccourci inévitable, le zwinglianisme. Ce rayonnement, d’ailleurs, s’est fait selon les canaux habituels: celui bien établi des ouvrages publiés, et celui d’un réseau de correspondants et correspondantes que chacun avait à établir. C’est ainsi que se sont tissés progres- sivement les rapports entre Bèze, dont nous fêtons le jubilé, et Bullinger, qui était de quinze ans son aîné: tout débuta, sans que Bullinger ait pu s’en apercevoir, par un de ses volumes qui trouva sa voie, au milieu des années 1530, à Bourges, et puis se développa, à partir de 1550, dans une correspondance directe, de plus en plus abondante et passant du respectueux à l’amical. Dans ce qui suit, nous allons donc esquisser quelques-uns de ces points de contact.

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IL. Heinrich Bullinger et Théodore de Bèze

Mais disons d’abord que Heinrich Bullinger! est né en 1504 à Bremgarten dans le Freiamt (un des bailliages communs de la Confédération appartenant aujourd’hui au canton d’Argo- vie), où il est, avec quatre frères et sœurs, fils naturel d’un curé qui vit ouvertement en concubinage. Depuis l’âge de cinq ans, Bullinger reçoit une formation de qualité et d'envergure huma- niste, d’abord à l’école latine de sa ville natale, puis à celle d’Em- merich en Westphalie, et enfin à l’université de Cologne. C'est à Cologne qu'il côtoie les idées réformatrices. En 1523, à l’âge de 19 ans, il rentre au Freiamt pour accepter un poste d’ensei- gnant au monastère cistercien de Kappel, sous réserve qu'il ne soit pas obligé de participer à la vie liturgique des moines. En commentant surtout la Bible, il y enseigne avec un grand suc- cès, approfondit son intérêt pour la réforme et tisse des liens étroits avec Zurich et Zwingli en particulier. En publiant ses pre- miers livres — sous les couleurs d’un historien polémique avec deux traités «Sur la source de l'erreur» {de origine erroris) dans l'Église papale — il se fait rapidement connaître comme un bril- lant esprit partisan de la Réforme. En 1528, il accompagne Zwingli à la Dispute de Berne ; la même année, son monastère adopte la Réforme et Bullinger qui se marie avec Anna Adlischwyler, une ancienne religieuse d’un couvent zurichois, est choisi comme pas- teur de Kappel, faisant partie dorénavant du synode de Zurich.

En 1531, cependant, après la deuxième guerre de Kappel et la mort de Zwingli, le Freiamt tombe, malgré son statut de bailliage commun, entre les mains des Cinq Lieux victorieux de la Suisse centrale, et Bullinger est obligé de quitter son poste et sa ville.

Avec sa famille, il se rend à Zurich, où il arrive comme réfugié, mais étant donné sa renommée, on lui octroie, en décembre 1531 encore, l’ancien poste de Zwingli et on le nomme Antistes,

1 Sur Bullinger, cf. André BOUVIER, Un père de l'Église réformée: Henri Bullinger, le second réformateur de

Zurich, Genève 1987. °

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c'est-à-dire pasteur président de l’Église de Zurich. Il conservera cette fonction et cette charge durant presque 44 ans, jusqu’à sa mort en 1575, ce qui va faire de lui le personnage le plus influent de son Église pendant les décennies décisives de la consolida- tion de la Réforme à Zurich, au sein de la Confédération et à l'étranger. Auteur d'innombrables traités, de commentaires et de sermons, il gardera toujours son intérêt premier pour l’histoire en rédigeant, entre autres, une histoire de la Réforme (1564), une histoire de la Confédération (1568) et une histoire de Zurich (1574).

Son héritage le plus impressionnant, cependant, est sa corres- pondance phénoménale. Riche de quelques 12*000 lettres (c'est- à-dire quatre fois plus que la correspondance déjà volumineuse de Bèze), elle s’étend à toute l’Europe et témoigne d’un esprit qui savait non seulement s’entretenir avec les grands et puissants | de son temps, mais aussi prêter l'oreille (et la plume) aux soucis de ses collègues, de ses amis, et de tout un réseau de Or inquiètes des tourments d’un temps bouleversé.

On peut donc tracer aisément des parallèles avec la vie et la figure de Théodore de Bèze. Mais ces deux biographies étaient bien plus que deux vies menées en parallèle, puisque l’un et l’autre se connaissaient et se reconnaïssaient. Un des signes les plus évidents du respect dans lequel Bullinger était tenu au bord du Léman consiste peut-être dans la publication genevoise d’une collection de ses sermons en version française. Depuis les années 1540, on avait commencé à publier à Genève des traductions fran- çaises de plusieurs traités du réformateur zurichois, maïs cette col- lection de sermons présentait un cas particulier. Les cinq décades des sermons de M. Henri Bullinger contenans les principaux chapitres de la religion Chrestienne étaient un cycle de sermons modèles que Bullinger avait publiés à Zurich en latin entre 1549 et 1551 et qui

IL. Heïnrich Bullinger et Théodore de Bèze

* visait à englober toute la doctrine chrétienne, présentant ainsi un ouvrage de théologie systématique complète, adapté à l'usage des pasteurs. Or, ces cinq décades ont été traduites et publiées à Genève — avec privilège explicite — dans les années 1559 et 1560, les mêmes années donc que la publication de la dernière version latine et française de l’Institution de Calvin, et des versions fran- çaise et latine de la Conféessio christianae fidei de Bèzel? Même si l’Institution de Calvin était bien plus détaillée, et que la Confession de Bèze reprenait les éléments d’un catéchisme, ces trois ouvrages partageaient la perspective commune d'expliquer toute la théolo- gie chrétienne à un public élargi, apportant ainsi la preuve que l’on n'hésitait pas, à Genève, à placer Bullinger au même rang que les grands théologiens genevois.

Il est vrai que cette histoire de la publication des Décades de Bullinger tombe durant les toutes premières années de l’instal- lation de Bèze à Genève, mais rien ne permet de croire que ce dernier aurait désapprouvé cette. publication. Depuis son arri- vée en terres helvétiques, Bèze a commencé à correspondre avec Bullinger, la première lettre connue datant de 1550. Jusqu'en 1560, le nombre de lettres connues et échangées entre les deux hommes s'élève à 50°, et dans les années qui suivent, la correspondance s’in- tensifie encore: 21 lettres échangées en 1563; 41 lettres en 1564;

puis après la mort de Calvin et jusqu’au décès de Bullinger, nous connaissons au moins 20 lettres échangées par année, la dernière, envoyée par Bëèze en direction de Zurich, étant même postérieure de deux jours à la mort de Bullinger. Avec un total d'environ 250 pièces, Bèze et Bullinger sont l’un pour l’autre un de leurs principaux correspondants, les échanges conservés avec Bullinger représentant même près des deux tiers de la correspondance de Bèze durant plusieurs années.

2 Cf Walter Holiwec, Heinrirh Bullingers Hausbuch. Eine Untersuchung über die Anfänge dervejormierten

Predigiliteratur, Neukirchen 1956, p. 79-81,

3 Cf. Emidio Campi, «Beza und Bullinger im Lichte ihrer Korrespondenz», dans Théodore de Bèze (1519-1605). Actes du Colloque de Genève (septembre 2005), sous la direction d'Irena BAGKUS, Genève 2007, p. 130-144, qui nous rappelle que toutes ces chiffres se réfèrent seulement aux lettres conservées.

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Il n'est pas étonnant que ces deux théologiens aient échangé, avant tout, sur les développements politiques et religieux en Suisse et en Europe. Parce que nous les voyons s'informer l’un l’autre des dernières nouvelles sur les guerres de religion en France, sur les évolutions politiques en Allemagne, et sur les mesures à prendre en Suisse, ces échanges restent, jusqu’à nos jours, des sources précieuses sur l’histoire de l’époque. Mais à part ce flux d'informations, cette correspondance témoigne surtout de la rela- ton intime et du respect mutuel entre les deux théologiens qui ont été plusieurs fois en désaccord profond (nous y reviendrons), mais qui n'ont jamais cessé de se traiter en amis, entrelardant leur propos de remarques personnelles, se donnant des nouvelles de leur famille et de leur état de santé, ou partageant leurs sou- cis. Dans une lettre du 4 mai 1564, quelques semaines avant le décès de Calvin qui s'annonce depuis longtemps, Bèze se livre à Bullinger à propos des responsabilités qu'il lui faudra assumer:

«Moi, pauvre misérable, que vais-je faire, moi sur qui une telle charge menace de tomber? Je t’implore, mon père, confie-moi à Dieu, maintenant plus que jamais, avec tous tes collègues, pour qu’il s'empare du gouvernail et qu'effectivement il nous soutienne dans ces temps de sa puissance divine.»* Quand l’état de santé de Bullinger s'aggrave vers la fin de sa vie, Bèze lui écrit presque toutes les trois semaines pour avoir des nouvelles de lui et pour le réconforter, en l’assurant que «dans cette douleur si profonde qui est la nôtre, jointe à un souci perpétuel pour toi, mon père, ce qui nous réconforte beaucoup, c'est d'entendre que tu gardes dans les plus grandes douleurs un esprit digne d’un athlète fort qui s'approche de la fin de sa course. Il n'empêche que nous ne cessons de prier pour que Dieu nous te laisse encore, toi, dont nous avons le plus grand besoin. »

4 Correspondance de Théodore de Bèze, vol. V (1968), n° 362, p. 145.

5 Correspondance de Théodore de Bèz, vol. XVI (1993), n° 1126, p. 60.

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DL. Heinrich Bullinger et Théodore de Bèze

Or, l’élément peut-être le plus visible du respect que Bèze éprouvait pour Bullinger et que l’on retrouve non seulement dans ces deux extraits, mais constamment dans toute leur correspon- dance, est le fait que le cadet appelait l'aîné «mon père»: mi paier, pater et frater, ou bien même mi optime pater sont des formules récurrentes dans les lettres de Bèze adressées à Bullinger.f Si on a considéré ces formules comme une expression de l’estime de Bëze pour l'autorité théologique et politique de Bullinger,’ c'est cependant leur tout premier échange qui nous indique plus par- ticulièrement pourquoi Bèze à choisi ce titre pour son ami zuri- chois: le 16 février 1550, venant de s'installer à Lausanne, Bèze prend la plume et s'adresse à Bullinger qui lui à envoyé un peu avant un mot de bienvenue aujourd’hui perdu. Bèze en profite pour lui adresser une lettre d’un style très élaboré, dans laquelle il s’explique sur son temps à Bourges, sur ses premiers contacts avec la pensée réformatrice, et sur le rôle que Bullinger a joué dans tout cela: «Je reconnais, mon excellent père, qu'est vrai ce que le Seigneur promet aux siens: il n’oubliera même pas un gobe- let d’eau froide (Mt 10, 42); car je n'ai rien de plus insignifiant à quoi je pourrais comparer ce que j'ai réalisé jusqu'ici pour l'Église de Dieu. Et pourtant je reçois d'elle le fruit le plus précieux: celui de ton amitié envers moi, qui, à coup sûr, m'est si chère que je ne voudrais pas l’échanger contre tous les trésors des rois. Or, ton humanité sans pareille apparaît en ce que, sans aucune raison, tu t'es tellement attaché à moi, homme de rien, que tu daignes même t’adresser à moi par une de tes lettres. Et moi, que puis-je t'offrir en retour? — La même chose que celle que j'ai emportée il y a longtemps en ton absence et à ton insu, c’est-à-dire moi-même et tout ce qui est à moi. Car déjà à l’époque où fje vivais] encore dans notre malheureuse France, j'ai lu tes livres très saints et ceux de

6 Cf. une lettre écrite à Gwalther quelques jours après le décès de Bullinger, ibéd., n° 1160, p. 206:

«Je perds celui que j'ai toujours eu comme un deuxième père. » 7. Can, «Beza und Bullinger», p. 135. '

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quelques autres, et je songeais en moi-même: Ah! jusques à quand vais-je me rouler dans les fanges du papisme? Quand arrivera-t:l que j'entende la parole de tant d'hommes si pieux? Quand par- ticiperai-je à leurs réunions? Quand ferai-je de concert avec eux, profession de foi au Dieu du ciel, et mettrai-je un terme avec bon- heur à cette vie minable? Voilà quels étaient mes vœux à l’époque, dont la plus grande partie m'a été largement concédée par celui- là même qui avait fait que je songeasse à eux. [...] C’est pour cela que je te dois autant de reconnaissance qu’il est possible de la part de quelqu'un prompt à t’avouer: qu’il te doit tout. »#

Bèze attribue à la lecture de textes de Bullinger, comme Henry- Meylan l’a montré il y a longtemps,® une fonction centrale dans l’évolution de son intérêt pour la Réforme. Le fait qu’il s'adresse à Bullinger comme à un «père» reprend une idée biblique: tout comme Paul qui, en Philémon 10, appelle un de ses convertis «le fils que j'ai engendré»!"", Bèze se considère comme le fils spiri- tuel de Bullinger, engendré par la lecture de ses ouvrages. Parmi ces . DE ORIGI- écrits de Builinger il y avait, en par-

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LAGHROR VI ticulier, le De origine erroris mention- k. DR rnnr né plus haut, mis à la disposition de

NÉE Bèze à Bourges par Melchior Volmar.

CAPITA LIBRI s 202 : > 2

Masai D . Bèze y a été particulièrement frappé Code bc FE par un passage sur Jérôme, comme il l'avoue dans une lettre beaucoup plus tardive: « En effet, que je recon- naïsse aujourd'hui le Christ, c'est-à- dire que je vive, j’avoue que je le dois,

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et non dans une moindre mesure, à : s

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sn ton livre. Quand je l'ai lu naguère,

8 Correspondance de Théodore de Bèze, vol. I (1960), n° 14, p. 58. La traduction que nous proposons reprend quelques éléments de la traduction de Jean-Louis Dumas, Théodore de Bèze, un grand de l'Europe: Vézelay 1519 — Genève 1605, Paris 2000, p. 33.

9 Henri MEYLAN, «La conversion de Bèze ou Les longues hésitations d’un humaniste chrétien » dans D'Érasme à Théodore de Bèze, Genève 1976, p. 45-167; voir aussi Alain Dufour, Théodore de Bèze: poète el théologien, Genève 2009, p. 18.

10 Voir, à ce sujet, la note ? des éditeurs dans Correspondanre de Théodore de Bèze, vol. XV1 (1993), n° 1160, p. 208.

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NT. Heinrich Bullinger et Théodore de Bèze

c'est-à-dire en l’an du Seigneur [15135 chez l'excellent M. Melchior Volmar, de pieuse mémoire, à Bourges, un maître que je me suis plu à suivre, alors le Seigneur m'a ouvert les yeux par cette par- tie surtout où tu réfutes les commentaires de Jérôme, pour que je les considère à la lumière de la vérité. »!! Il s’agit d’un passage où Bullinger reprend le débat entre Jérôme et Vigilance sur la vénéra- tion des reliques: Au tout début du 5° siècle, Vigilance avait critiqué ce culte tout en associant Jérôme à ce qu'il appelait de l’«origé- nisme », insulte suprême à l’époque; et Jérôme, qui essayait avant tout de se libérer de ce reproche d'«origénisme», a composé une défense de la vénération des reliques qui deviendra une des réfé- rences de base du culte des saintes et des saints au moyen âge." Or, sans se perdre dans les détails historiques, Bullinger a plutôt mis le doigt dans son traité sur la manière dont Jérôme avait attaqué Vigilance: «]l n'échappe à personne qui ne lit qu'une seule petite page, combien [Jérôme] est plein d’âcreté, sans retenue, voire furi- bond, à tel point qu'on disait très sagement autrefois que la réponse de Jérôme n'était rien d'autre que l'impuissance de la colère, et des charriots d'insultes. Enlève, en effet, les insultes [...], enlève les exclamations pathétiques [..], enlève les chamailleries, l'ironie et les querelles judiciaires, et il ne te restera à peu près rien, [eñ tout cas] rien de prophétique, rien. d’apostolique.»"# Bullinger invite ses lecteurs à lire ce texte sans égard à l’autorité de son auteur:

quoique ce soit Jérôme qui l'ait rédigé, il ne veut pas s’en tenir à la rhétorique du Père de l’Église, mais il incite à rechercher la subs- tance de son argument — et n'en trouve pas. Dans une question aussi centrale que celle du culte des saints, Bullinger propose donc une herméneutique qui se libère du statut normatif d’un texte et de son auteur, et c’est cette herméneutique qui, en 1535 déjà, fai- sait effet sur Bèze.

11 Correspondance de Théodore de Bèze, vol. IX (1978), n° 625, p. 121.

12 Cf. JÉRÔME, Aduersus Vigilantium, éd. par J.-L. Feiertag (Corpus Christianorum. Series Latina, 79C), Turnhout 2005.

13 Hunkicn BULLINGER, De origine erroris, in divôrum ac simularhrorum rultu, Bâle: Thomas Wolff, 1529, fol. C6v-C7r.

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III. Heinrich Bullinger et Théodore de Bèze

Il est peu surprenant que cette parenté spirituelle se soit déve- loppée en une amitié profonde, une fois le poète bourguignon installé sur les bords du Léman. Or, tout comme une amitié véri-

table ne requiert pas un consensus total, les deux hommes ne se sont pas entendus sur toutes les questions si sensibles de leur époque bouleversée. À vrai dire, Bullinger s’est même servi de son autorité paternelle pour rappeler à l’ordre son fils spirituel, quand ce dernier, en 1557, a fait la part trop belle au vocabulaire luthérien en élaborant une confession sur la Cène à l’attention du Duc de Wurtemberg. Réagissant immédiatement à la critique prononcée de Zurich, Bèze n’a pas hésité à assurer Bullinger de son accord doctrinal avec lui par une série de lettres!#, en lui

envoyant, entre autres, des extraits de ses annotations au Nouveau Testament traitant de la Cène, et en le priant: «En attendant regarde, mon père, afin que tu m'aimes. Car il est vrai que rien ne pourra jamais arriver qui détruise mon obéissance à toi et à toute votre Église. »1s

Mais tous les désaccords ne suscitaient pas de telles réactions.

Dans certains cas, le lecteur moderne aurait même souhaité que les deux hommes soient moins en harmonie dans leurs opinions, surtout quand Bèze, assuré du soutien non seulement de Calvin, mais aussi de Bullinger, s'est donné pour mission de défendre, dans les suites de l’affaire Servet, le droit du magistrat à condam- ner des hérétiques à mort. Castellion, la cible principale de l’apo- logie de Bèze, avait reproché à Bullinger d’avoir mal exposé un passage dans l'Épître aux Romains; mais Bèze ne pouvant sup- porter de tels reproches à l’adresse de son père spirituel, a pris sa défense, car «ce pasteur le plus fidèle de l’Église de Zurich, un homme à la probité avérée, est tellement à l’écart de toute suspi- . cion de cruauté qu’il n’y a rien au-dessus de lui. »!6

4 Correspondance de Théodore de Bête, vol. II (1962), n° 102-124 ; cf. CAMP, «Beza und Bullinger», p- 139, n. 23.

15 Jbid., n° 106, p. 96.

16 THÉODORE ve BÈzE, De haerelicis a civili Magistratu puniendis, adversus Martini Bellii farraginem, ei novorum Academicorum seclam, Genève : Robert Estienne, 1554, p. 209 ; cf. Zbid., p. 171.

IT. Heinrich Bullinger et Théodore de Bèze

D'’ün coup, le fils défendait son père, mais’ce serait certaine- ment trop dire que nous avons là le signe d’une émancipation.

Mais il est vrai que la voix du Zurichois n’a pas gardé, au fil des années, son autorité incontestée des premiers temps. Une décennie seulement après l'épisode de la confession pour le Wurtemberg, un différend similaire a éclaté à propos de l’organisation de l’Église réformée dans le Palatinat du Rhin, avec les deux modèles en concurrence, celui de Zurich et celui de Genève. Or, cette fois- ci, Bèze s’est montré d’une intransigeance résolue, de sorte que Bullinger a préféré appeler ses alliés à la modération pour ne pas mettre en danger la relation entre les deux Églises. Ce fai- sant, cependant, en laissant les Genevois imposer leur modèle, il a aussi admis que l'Église de Zurich avait perdu son influence internationale.

Dans ce sens, l’histoire de la relation entre ces deux théolo- giens recouvre celle du transfert du leadership de l’Église réfor- mée de Zurich à celle de Genève. Toujours est-il que l'influence de Bullinger reste indéniable, que ce soit sur Bèze lui-même ou sur ce qui est devenu la théologie calviniste. On sait depuis long- temps que ce que l’on appelle le calvinisme — tout comme son petit frère aîné, le zwinglianisme — est le produit de bien plus de théologiens que du seul Calvin. Or, en présence d’un Bullinger et d’un Bèze, à l’occasion de ce jubilée double de 2019, il vaut la peine de le rappeler à nouveau.

Ueli ZAHND, Professeur à l’Institut d'histoire de la Réformation à l'Université de Genève

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Recueil de l’Escalade 1602-2019

1519

L’aube d’un siècle de bouleversements

De Zwingli à Théodore de Bèze

417° anniversaire de l’Escalade

Compagnie de 1602 —- Décembre 2019 Compagnie de 1602

Décembre 2019

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