M. Bertolini
introduction
L‘addiction à une substance est un diagnostic qui se définit dans la classification des troubles mentaux et du comporte
ment par l’observation des signes et symptômes mentaux et l’anamnèse psychiatrique. Cependant l’interniste peut la sus
pecter sur la base de l’observation somatique du patient. Il existe des changements caractéristiques qui peuvent suggérer l’utilisation de substances illicites. Ces signes ne sont pour la plupart pas pathognomoniques d’un abus de substances ou d’une addiction, mais ils peuvent orienter le diagnos
tic et aider à proposer une prise en charge adaptée. Dans cet article, nous allons nous intéresser aux effets induits par les substances illicites.
épidémiologie
Chez les utilisateurs de substances par voie intraveineuse, les infections des tissus mous et de la peau sont des problèmes fréquents pour lesquels la de
mande de soins et les hospitalisations en milieu somatique sont élevées. Une étude,1 portant sur 127 patients s’injectant des substances par voie intraveineuse, a retrouvé :2
• des cellulites (40,9%) ;
• des abcès avec cellulites (32,3%) ;
• des abcès seuls (16,5%) ;
• des ulcérations infectées de la peau (10,2%) ;
• des fascéites nécrosantes (7,1%) ;
• des phlébites avec cellulites (5,5%).
Les cellulites nécrosantes et la gangrène ont été reportées chez 7% des pa
tients dépendants avec cellulites des extrémités.3 Les infections bactériennes systémiques les plus fréquentes sont les endocardites infectieuses. Les patients immunosupprimés avec un VIH avancé sont prédisposés à une telle infection.4
Cocaïne
La cocaïne est un puissant vasoconstricteur et peut produire des ischémies tis
sulaires. Des cicatrices fibrotiques des extrémités sont rapportées, résultant d’in
jections intradermiques.5 Les patients consomment la cocaïne principalement The addiction of illicit substances causes
somatic, psychological, and behavioural side effects
Frequently the addicted patients consults their family doctor or internist for infectious problems related to the use of such subs
tances. Complaining about a physical pain without acknowledging their dependence is an easier and less stigmatizing way to pro
ceed. This article summarized the various signs and symptoms that can be identified by the physician in order to confirm the sus
picion of abuse or dependence and conse
quently propose a global care program that includes referral to addiction specialists.
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L’addiction à une substance illicite provoque des effets secon- daires somatiques, psychiques, comportementaux. Fréquem- ment, les patients souffrant d’addiction consulte leur médecin généraliste ou interniste pour des infections provoquées par les effets secondaires de l’utilisation de ce type de substances ; aussi parce qu’il est plus évident et moins stigmatisant pour eux de se plaindre d’une douleur physique et de ne pas abor- der le problème de leur dépendance. Cet article met en avant les différents signes et symptômes que le somaticien peut ob- jectiver par son observation, suspecter le diagnostic d’abus ou de dépendance et, dès lors, proposer aux patients une prise en charge globale, multidisciplinaire, incluant les addictologues.
Dépistage, par l’observation clinique, des signes et symptômes d’une addiction à l’usage
du somaticien
pratique
Dr Manuela Bertolini Service d’addictologie Département de santé mentale et de psychiatrie
HUG, 1211 Genève 14 Manuela.Bertolini@hcuge.ch
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par inhalation intranasale (snif), parfois ils la fument (crack) et, en dernier lieu, se l’injectent par voie intraveineuse.
L’abus de cocaïne par voie nasale cause des érosions et des érythèmes des conques nasaux, du nasopharynx et, parfois, une perforation du septum nasal ou du palais.6 La nécrose tissulaire est causée par la vasoconstriction qui provoque une ischémie et, occasionnellement, une infection.
Les rhinites chroniques, l’épistaxis, les sinusites ostéoly
tiques, les rétractions gingivales et le bruxisme sont d’au
tres complications. Le septum nasal et les sinus paranasaux peuvent être infectés, avec comme conséquences à moyen terme, une ostéomyélite.7 Enfin, l’inhalation de cocaïne peut causer des infarctus musculaires et cutanés. Il peut ar
river que la paille utilisée chez le sniffeur soit aussi respon
sable de lésions, si elle est introduite trop brusquement.
La pseudovasculite, associée à une destruction des pa
rois du nasopharynx, tout autant que les ulcères cutanés et oropharyngés peuvent être faussement diagnostiqués com
me une granulomatose de Wegener chez les consomma
teurs de cocaïne, spécialement parce que les anticorps anti neutrophiles cytoplasmiques périnucléaires (pANCA) peuvent être faussement positifs.
Les nécroses du nez et de la lèvre supérieure accompa
gnées d’une infection nécrosante des tissus mous sous
cutanés sont en lien avec les consommations de crack.8 La cellulite nécrosante, ou gangrène de Fournier, du scrotum ou du pénis a été rapportée chez des patients dépendants qui s’injectent accidentellement la cocaïne dans l’artère fé
morale plutôt que dans la veine analogue.9
L’halitose et le claquement fréquent des lèvres sont des signes d’abus de cocaïne. Les brûlures des cils et sourcils, résultant en la perte des poils, cils et sourcils (madarosis), peuvent être causées par la température élevée liée à la préparation du crack qui sera ensuite fumé.10 Les patients peuvent développer aussi des lésions hyperkératosiques noircies circulaires, ovales ou linéaires sur les mains, cau
sées par la chaleur du verre utilisé pour la préparation du crack. Les aires affectées sont l’éminence thénar et la pau me de la main dominante.11 L’utilisation prolongée de cocaïne peut développer un prurit particulier assez caractéristique de la substance, donnant l’impression que «des fourmis marchent sous la peau». Si le patient cocaïnomane pré
sente, en plus de son addiction, une psychose, les halluci
nations cénesthésiques peuvent être plus graves.12 L’utili
sation de cocaïne a aussi été évoquée comme cause de sclérodermie, locale et/ou systémique.
Héroïne
Les modes de consommation de l’héroïne sont l’injec
tion intraveineuse, la prise orale ou la fumée. La plupart des patients dépendants de l’héroïne la consomment par voie parentérale, ce qui produit un effet plus rapide. Le signe spécifique d’abus de substances par injection est la pré
sence de traces cutanées. Initialement après l’injection, des piqûres, des ecchymoses, des traces de croûte sont visi
bles le long de la veine. Lors d’injections répétées de subs
tances irritantes ou d’adjuvants, les veines deviennent en
flammées et cicatricielles. En raison de leur accès facile, les veines des mains et des bras sont initialement utilisées pour les injections par les consommateurs novices. Mais
pour éviter la présence de marques, certains patients dé
pendants préfèrent les injections sur les jambes ou les pieds. Quand les veines les plus faciles d’accès deviennent scarifiées, les substances sont injectées dans les vaisseaux du cou, de l’abdomen, des régions axillaires, de l’aine, des aires sublinguales, génitales, hémorroïdales et toute autre veine ou artère visibles ou palpables. Les injections sous
cutanées et intradermiques, délibérées ou accidentelles (qui peuvent survenir lorsqu’une seringue traîne ou lors
qu’une personne se pique malencontreusement avec) peu
vent causer des cicatrices atrophiques, leucodermiques rondes ou irrégulières. Dans certains cas, les cicatrices in
durées, linéaires, hypertrophiques ou kéloïdales peuvent former des aires propices aux infections et inflammations.
L’utilisation d’adjuvants dans l’héroïne injectable pré
dispose aux infections à Clostridium.5 Le botulisme dû à Clostridium botulinum type A apparaît exclusivement chez les patients présentant une addiction aux substances. Les spores du C. botulinum ne sont pas détruites en chauffant l’héroïne contaminée et sont par la suite inoculées dans les tissus souscutanés, où elles peuvent germer et pro
duire des toxines.13 L’infection à Clostridium peut aboutir à un botulisme systémique, incluant une paralysie transi
toire du diaphragme et une insuffisance ventilatoire pour plusieurs mois. Le botulisme est associé aux injections pa
rentérales. D’autres Clostridia, tels C. tetani, responsable du tétanos, et C. sordelli ont été associés avec l’apparition de fascéites nécrosantes.14,15
L’injection intradermique ou l’extravasation accidentelle de certaines drogues ou adjuvants peuvent causer des bles
sures tissulaires. L’héroïne et d’autres drogues en poudre sont souvent «coupées» avec des «remplisseurs, produits de coupage» tels que lactose, mannitol, dextrose, acétami
nophène, caféine, des sodas ou de la farine.16 L’injection d’adjuvants sclérosants et de drogues peut produire des plaques inflammatoires tendues ou des nodules qui s’ul
cèrent et dont la cicatrisation provoque des changements épidermiques pigmentaires, des indurations du derme et des tissus souscutanés, ainsi que des cicatrices rétractiles.
Des granulomes cutanés après injections de substances peuvent se développer plusieurs mois ou années après l’exposition. La plupart des granulomes sont causés par l’injection dans les tissus souscutanés, le derme profond et la paroi veineuse, de silicate de magnésium aqueux (talc) et parfois d’amidon. En plus d’être un adjuvant populaire pour les drogues en poudre, le talc est le principal ingré
dient de quelques comprimés narcotiques qui sont écra
sés, dilués dans du liquide et puis injectés. Les granulo mes de talc peuvent se développer dans le foie, les ganglions lymphatiques, la rate et la moelle osseuse.
Le sentiment d’euphorie produit par l’héroïne peut être accompagné de rougeurs de la peau et de démangeaisons, ainsi que d’une bouche sèche, d’yeux larmoyants et d’une rhinorrhée. Les héroïnomanes ont souvent la peau sèche, facilement irritée et prurigineuse. La quinine est un adjuvant populaire à cause de son goût amer similaire à l’héroïne ; la potentialisation de l’héroïne avec la quinine provoque l’eu
phorie et est très nocive pour les vaisseaux lymphatiques, des injections répétées peuvent alors entraîner des œdè
mes des mains et des membres.
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Outre l’effet immédiat objectivable de myosis induit par l’héroïne, à moyen terme, les patients se plaignent de constipation, d’une baisse de l’appétit pouvant entraîner des carences alimentaires, d’insomnie, d’arrêt des mens
truations chez la femme, et de courbatures. A long terme, des problèmes dentaires, des infections opportunistes liées à l’affaiblissement général, une apathie et une série de trou
bles psychiques, sur lesquels nous ne nous attarderons pas, peuvent se développer.
Même en l’absence d’infection VIH, l’incidence de la der
matophytose est plus élevée chez les consommateurs par voie parentérale.17 L’injection d’héroïne brune (une forme d’héroïne parmi d’autres) cause des candidoses dissémi
nées dues aux levures qui ont germé dans le jus de citron utilisé pour dissoudre l’héroïne. L’utilisation de substances par voie parentérale est un facteur prédictif de développer des zygomycoses, incluant des infections fongiques inva
sives. La lésion caractéristique est une plaque cellulitique ou un abcès sur le site d’injection.
Méthamphétamines
Les personnes qui abusent d’amphétamines, incluant les méthamphétamines et les stimulants prescrits ou ven
dus sur le marché illégal, tels que le méthylphénidate (Ri
talin), peuvent développer une peau grise, sèche, comme du cuir, avec une étrange odeur. L’hyperhidrose est un effet secondaire fréquent des amphétamines.
Le grattage compulsif (dermatillomanie) mène à des ex
coriations et des ulcérations de la peau sur le visage et les extrémités.5 Les consommateurs de méthamphétamines,5 spécialement les «skiffeurs», ont aussi plus fréquemment des problèmes dentaires liés au trismus.
Les patients peuvent se plaindre de maux de tête, de tremblements, de céphalées, de troubles digestifs, de cram
pes, de palpitations cardiaques, d’incapacité à se concen
trer, d’insomnie et d’hyperthermie entre autres, qui sont tous des effets secondaires fréquents.
Chez les utilisateurs habituels des méthylènedioxymé
thylamphétamine (MDMA), ou «ecstasy», ou autres drogues apparentées, il a été rapporté une éruption acnéiforme fa
ciale de type papulopustulaire qui peut être l’indice d’un haut risque d’effets systémiques secondaires tels que des dommages hépatiques.17 On observe aussi chez les con
sommateurs d’«ecstasy», une augmentation de la tension artérielle, des troubles du rythme cardiaque, une mydriase, des crampes musculaires, une hyperthermie, des vomisse
ments, des hallucinations, une sédation.
conclusion
En reconnaissant des signes et des manifestations d’uti
lisation de substances illicites, les généralistes ont une op
portunité d’intervenir et peuvent avoir un véritable impact sur la santé d’un patient et, plus largement, sur la santé communautaire. L’addiction à des substances illicites est un facteur de risque pour les maladies sexuellement trans
missibles. Le comportement sexuel à risque chez les pa
tients présentant une addiction constitue un risque de pro
pager le VIH. L’utilisation intraveineuse de substances ma
jore fortement le risque de contracter une hépatite B ou C ou d’autres infections sanguines. Ces patients ont une inci
dence plus élevée de dépression, de blessures acciden
telles, de traumatismes liés à la violence, ou de viols. Les signes et symptômes observés par le généraliste, associés à une suspicion clinique et combinés à l’anamnèse, donnent des informations à propos des substances utilisées et des abus. Pour toutes ces raisons, le généraliste qui reconnaît des stigmates de l’addiction à une drogue a l’opportunité d’intervenir au bénéfice d’un patient qui sera venu consul
ter pour un problème secondaire à l’addiction.
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Bibliographie
Implications pratiques
Pour un médecin somaticien, la suspicion ou le diagnostic de dépendance à un produit repose sur une observation très at- tentive des éventuels stigmates liés à la consommation de substances
Les signes à observer sont les lésions cutanées, les pro- blèmes de rhinites chroniques, la présence ou la plainte de démangeaisons non attendues, de rougeurs, de peau sèche, de rhinorrhée ou d’un larmoiement
Il faut aussi rechercher des ulcérations, des abcès, des phlé- bites et les relier à l’anamnèse. Si les lésions ne corroborent pas avec l’anamnèse, il y a lieu de se soucier et d’en parler au patient
Une bonne manière d’aborder la problématique suspectée ou diagnostiquée est de questionner le patient sur ses habi- tudes et son hygiène de vie, de lui signaler que les lésions ne sont habituellement pas liées simplement aux faits qu’il dé- crit, et lui proposer de le revoir pour en discuter
Si le patient est ouvert et en confiance, il faut en profiter pour lui fournir toutes les informations utiles sur les produits et les soins existants ; s’il est preneur ou demandeur de soins, le patient devrait être dirigé vers un addictologue
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