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FACULTÉ DE PSYCHOLOGIE, LOGOPÉDIE ET SCIENCE DE L’ÉDUCATION

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Étude qualitative du vécu schizophrénique dans son processus dansé

Auteur : Capovilla, Chloé

Promoteur(s) : Englebert, Jérôme

Faculté : þÿFaculté de Psychologie, Logopédie et Sciences de l Education

Diplôme : Master en sciences psychologiques, à finalité spécialisée en psychologie clinique Année académique : 2018-2019

URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/8356

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UNIVERSITÉ DE LIÈGE

FACULTÉ DE PSYCHOLOGIE, LOGOPÉDIE ET SCIENCE DE L’ÉDUCATION

ÉTUDE QUALITATIVE DU VÉCU SCHIZOPHRÉNIQUE DANS SON

DISPOSITIF DANSÉ

PROMOTEUR : Jérôme ENGLEBERT

LECTEUR : Clara LIBERA et Frédéric WIDART

Mémoire composé en vue de l’obtention du titre de Master en science psychologique Par Chloé CAPOVILLA

Année académique 2018-2019

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« Notre corps n'est pas seulement un espace expressif parmi les autres, il est l'origine de tous les autres, le

mouvement même d'expression, ce qui projette au- dehors les significations en leur donnant un lieu, ce qui fait qu'elles se mettent à exister comme des choses, sous

nos mains, sous nos yeux. »

Merleau-Ponty. M

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REMERCIEMENTS

Je voudrais remercier en premier lieu mon promoteur, Monsieur Jérôme Englebert. En m’ouvrant à la phénoménologie vous m’avez ouvert des portes de compréhension que je

n’aurai jamais poussées. Merci.

Un grand merci aux participants de l’atelier « Expression corporelle », pour leur précieux témoignages et la confiance qu’ils m’ont accordée.

Merci aux membres du Centre de l’Ancre pour m’avoir offert leur confiance dans la réalisation des ateliers. Ainsi qu’un remerciement particulier pour le Dr Razafinimanana.

Votre soutien et intérêt pour mes ateliers m’ont particulièrement touché.

Merci à Pauline, ergothérapeute du centre qui m’a épaulé dans l’animation de l’atelier. Le rythme sans toi n’était pas gagné !

Je remercie du plus profond de mon cœur ma famille, sans qui je ne pourrai écrire ces mots.

Un merci tout particulier à ma mère, qui m’a soutenu jusqu’à la dernière ligne de ce mémoire.

Merci à vous mes amies de toujours, Élodie Verseillie, Virginie Fenet et Jessica Gautier.

Vous m’accompagnez depuis mes premiers pas en psychologie et vous avez su m’épauler à chaque stade (et il y en a eu beaucoup…). Votre soutien m’a beaucoup apporté.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 : CONSTRUCTION DE L’ÉTUDE ... 3

1- TERRAIN DE RECHERCHE ... 3

L’Ancre ... 3

Recrutement ... 4

2- CHOIX METHODOLOGIQUE ... 4

Des perspectives complémentaires... 4

Position du chercheur dans sa recherche... 7

3- OUTILS DE MESURE ... 1

Méthode par théorisation ancrée - GTM ... 1

Description des entretiens cliniques ... 4

Observation ... 5

4- CREATION DES ATELIERS ... 7

Définition rapide de la Danse-thérapie ... 7

Construction des séances clés ... 8

CHAPITRE 2 : CONSCIENCE CORPORELLE ... 11

1- LA PERTE DES CORPS ... 12

Définition du Leib et du Körper ... 12

Quand le Leib désincarne le Körper ... 13

Vivre son corps dans l’hypertonie... 17

2- SPECTATEUR DE SON CORPS ... 21

3- UN COSMONAUTE PERDU DANS LESPACE... 23

CHAPITRE 3 : TERRITORIALISATION ... 26

1- ESPACE OBJECTIF ... 26

2- LIEN ENTRE CORPS VECU ET ESPACE VECU ... 29

3- L’OBSTACLE DE LHYPER-REFLEXIVITE DANS LESPACE COMMUN ... 31

4- INTEGRATION DAUTRUI DANS SON ESPACE TOPOLOGIQUE... 34

Chemin relationnel de Patrick ... 34

Communication intercorporelle ... 35

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CHAPITRE 4 : AXE RELATIONNEL ... 41

1- CONSTRUCTIOND’UNEEMPATHIEGROUPALE ... 41

Effet d’habituation... 42

Mémoire intercorporelle, base d’un sens commun ... 44

Le groupe dans son processus d’intercorporalité ... 46

2- S’INDIVIDUALISER PAR LE GROUPE ... 48

Affirmation de soi ... 48

3- LA PLACE DE LA CONFIANCE DANS LE LACHER PRISE ... 49

Confiance en les autres ... 49

Confiance en soi ... 51

CONCLUSION ... 53

BIBLIOGRAPHIE ... 55

ANNEXES ... 60

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INTRODUCTION

!

Schizophrénie ; Lieu d’expression où la raison s’arrête. Souvent catégorisée, classée et repensée, la schizophrénie est une pathologie qui pose question. Plusieurs auteurs se sont penchés sur son sujet afin d’en construire une compréhension ordonnée. Toutefois, caractérisée comme désorganisée et envahissante, l’ordonner ne nous mettrait-il pas en porte à faux ? Et si la solution était le désordre ? Et si l’immersion dans le territoire schizophrénique était une solution pour mieux l’appréhender ?

Kraepelin caractérisait la schizophrénie dans une fragmentation de la conscience. À l’image d’un orchestre sans chef d'orchestre, le sujet ne parviendrait pas à organiser sa pensée qui s’exprimait dans une cacophonie ambiante. Par la suite, Bleuer perdure cette image d’une unité défectueuse dans la fragmentation de sa pensée, sentiment d’être et volonté. Dans une approche plus contemporaine, la psychopathologie phénoménologique s’accorde sur un trouble de l’Ipséité caractérisant un amoindrissement « d’être soi ». C’est-à-dire du sentiment d’existence dans rapport au monde et à soi.

Dans une volonté de percevoir la pathologie dans toute sa subjectivité, la phénoménologie dresse une présentation large de la schizophrénie. Dans le sens que celle-ci comprend de nombreuses facettes évolutives. Loin de s’exprimer dans une linéarité. La schizophrénie se manifeste dans des intensités différentes que ce soit d’un sujet à un autre ou d’un même sujet dans une situation différente. A la hauteur de la complexité humaine, une généralisation de cette maladie serait beaucoup trop réductrice et risquerait de passer à côté de concept clé, utile à sa compréhension. Pour Fuchs, nous devons aller au-delà d’une simple description des symptômes qui la composent. Une analyse approfondie des perturbations schizophréniques sur l’expérience de soi est indispensable pour comprendre tous les rouages qui la façonnent.

Dans une volonté de répondre à cette grande exploration de la maladie, je vous invite à examiner trois vécus de sujets souffrant de schizophrénie. Et puisque tout le challenge de cette pathologie est de pouvoir la repenser indéfiniment pour en repérer toutes ses caractéristiques, je vous propose de l’étudier au sein d’une recherche expérimentale. A l’aide d’un dispositif dansé Repenser sa manière de pensée pour appréhender une pathologie qui pense trop ? C’est à en perdre

la tête.

!

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adapté, il pourrait être intéressant d’investiguer le vécu schizophrénique dans son expression la plus primaire, le corps.

Au cours de cette recherche, j’aimerai maintenir la subjectivité des informateurs au centre de mon analyse. Chaque individu possédant sa particularité propre, il est important de le concevoir dans sa globalité et pas uniquement à travers la maladie. Ainsi, ce mémoire sera traversé de différents courants, qui me paraissent adéquates pour une telle analyse. Ces approches seront la phénoménologie clinique, phénoménologie dansée et la psychomotricité. Ce choix résulte d’une volonté d’appréhender la maladie sous un autre angle afin d’en souligner tous ces paradoxes.

Maintenant que mon sujet est introduit, m’autorisez-vous à vous proposer cette danse schizophrénique ? Promis, seul votre esprit devra être mis de côté.

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CHAPITRE 1 : CONSTRUCTION DE L’ÉTUDE

1-! Terrain de recherche

L’Ancre

!

Ma recherche s’est déroulée au sein du Centre de Revalidation Psychosociale (CRP) de l’Ancre à Oupeye. Ce centre accueille environ quarante-huit usagers pour une durée maximale de cinq ans, à raison d’un maximum de cinq jours par semaine. L’objectif de l’Ancre est d’accueillir toute personne présentant des difficultés d’adaptation et d’insertion psychosociale (au niveau professionnel, familial et/ou social) découlant de problèmes psychologiques importants ou de troubles psychiatriques. La prise en charge d’usagers chroniques demeure une caractéristique fondamentale du centre. L’établissement compte environ 48% d’usagers souffrant de trouble psychotique, 32% de trouble de l’humeur et 20% de trouble anxieux.

Sachant que presque la totalité́ des usagers présente des comorbidités.

Le CRP a pour objectif d’établir un projet individualisé, en tenant compte des besoins et des objectifs personnels de chaque usager. La finalité de cette intervention est l’amélioration et l’insertion de la personne sur les plans de l’habitat, du travail et de la vie sociale. Pour ce faire, l’établissement propose un programme comprenant divers ateliers (autonomie, psychoéducation, atelier d’affirmation de soi, etc.) pouvant aider l’usager dans ses objectifs thérapeutiques. Par ce fait, le CRP est composé d’une équipe pluridisciplinaire de seize thérapeutes ; deux assistantes sociales, une infirmière et une logopède, trois psychologues, un psychiatre, médecin et kinésithérapeute, trois ergothérapeutes, un assistant psychologue et enfin deux éducateurs spécialisés.

Il est important de souligner dans un premier temps que j’ai intégré la structure en tant que psychologue stagiaire. C’est à travers ce statut que j’ai pu mettre en place des ateliers de danse- thérapie au sein du programme du centre. Néanmoins, afin d’éviter tout contre sens déontologique, j’ai débuté la présente recherche à la fin de ce stage en tant qu’étudiante chercheuse. De plus, je n’avais pris aucun des participants de l’atelier en charge lorsque j’occupais le statut psychologue stagiaire. Enfin, il a été rappelé à chaque participant la position de chercheuse dans laquelle je me trouvais durant l’atelier.

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Recrutement

Ayant effectué un stage de psychologie au sein du CRP, je m’étais déjà familiarisée avec le centre. Une réunion pluridisciplinaire fut mise au point, afin d’introduire en profondeur mon étude et ses critères d’inclusion. Une liste d’usagers a ensuite été proposée par l’équipe et moi-même.

Le recrutement s’est effectué en deux étapes. Dans un premier temps, le premier contact avec l’atelier fut délivré par les thérapeutes du centre. Profitant du changement des programmes thérapeutiques, les thérapeutes ont demandé aux usagers concernés s’ils souhaitaient intégrer l’atelier de danse-thérapie. Puis, lorsque le sujet consentait à y participer, je leur demandais, de façon individuelle, s’il voulait intégrer l’étude.

Ne comprenant pas de mesure directe sur le terrain (enregistrement, film, etc.), les usagers avaient la liberté de refuser l’étude, tout en profitant de l’atelier. A noter que mes observations de terrain utilisées dans ma recherche ne concernent que les informateurs de l’étude. Notons par ailleurs que tous les participants de la séance étaient informés du caractère expérimental des séances et de son enracinement dans mes recherches universitaires.

Par ce fait, sur un groupe de six participants, deux ont refusé de participer à l’étude et un ne pouvait être inclus car non diagnostiqué schizophrène. Ainsi, l’échantillonnage de l’étude s’élevait à trois participants, exclusivement des hommes âgés de 26 à 38 ans et tous diagnostiqués schizophrènes stabilisés.

2-! Choix méthodologique

Des perspectives complémentaires

Mon travail a la volonté de s’inscrire dans une approche clinique de la phénoménologie.

Ainsi, au cours de sa réalisation, il m’a paru évident de ne pas considérer les personnes schizophréniques à travers leurs pathologies, mais davantage à travers leur subjectivité. La particularité de ce mémoire est qu’il s’inscrit dans une recherche expérimentale, en mettant en place des séances de danse-thérapie. Ainsi, son objectif est d’investir le vécu des participants durant ces séances, à l’aide d’entretiens et d’observations.

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Dans ce contexte, j’ai préconisé une perspective en première personne, afin de mettre l’expression du sujet au centre de ma réflexion. Cependant les observations de terrain seront menées dans une perceptive en troisième personne. Cette approche est assumée dans l’unique but d’illustrer le vécu du sujet au sein du phénomène exprimé. Il ne vise en aucun cas à « trahir » son expression ou de le catégoriser à travers des liens causaux

Par ce fait, il m’était primordial de situer ce mémoire à la croisée des chemins entre phénoménologie, psychomotricité et danse.

Le choix d’inscrire ce mémoire dans une approche phénoménologique résulte de mon désir de m’éloigner des sciences empiristes, souvent promues par les sciences humaines. Selon Englebert (2013) les méthodes empiristes réduisent la compréhension du sujet en évitant d’étudier le phénomène dans sa globalité. Il dénonce une tendance à simplifier l’analyse en favorisant un point de vue catégorial et causal au détriment d’une perspective globale. Omettant ainsi, toute la complexité du phénomène étudié. La compréhension du phénomène serait réduite à une manipulation de variables qui rompt avec la subjectivité du sujet. En soit, il renonce à habiter le phénomène dans son contexte (Merleau-Ponty cité par Englebert, 2013, p15). Sheets- Johnstone (2015) associe la phénoménologie à une analyse existentielle de l’homme faisant abstraction d’explication causaliste ou d’interprétation des phénomènes. L’analyse repose davantage sur une mise en dialogue des théories avec le vécu subjectif des sujets, que sur son interprétation causaliste. De par ce point de vue, Heidegger (2013) et Sheets-Johnstone (2015) privilégient la phénoménologie dans son approche méthodologique plutôt que théorique. Elle permet de structurer notre compréhension de l’homme à travers une description de sa subjectivité et de sa façon d’être au monde. Elle éclaire « la qualité des expériences subjectives des patients, leurs significations personnelles et la configuration selon laquelle elles [ces significations] se répartissent » (Stanghellini, 2008, p4, cité par Recchia, 2016, p3).

Husserl est le premier à proposer cette méthode, décrivant la rencontre entre le préréflexif et le pré-objectif. De fait, la phénoménologie promeut l’observation d’expériences immédiates et directes de la conscience de l’homme face au monde (Sheets-Johnstone, 2015).

Dans son ouvrage « phenomenology of dance » (2015), Sheets-Johnstone met un point d’honneur à associer la phénoménologie dans le processus danser. Pour elle, la danse rend compte d’une conscience préréflexive qui englobe la totalité de l’individu. En ce sens, le processus danser fait appel à une appréhension du corps comme le savoir direct d’un corps vécu, mais également habité. A l’instar d’Englebert, l’auteur veut se soustraire d’un point de

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vue local pour appréhender le phénomène dans sa globalité. Ainsi, Sheets-Johnstone utilise la phénoménologie pour rendre compte d’une expérience vécue, non pas par l’unique appréhension des sensations physiques, mais par une présence corporelle (« Body’s hereness »). Cette notion nous intéresse particulièrement, car elle se structure sur la conscience spatiale du corps humain. En s’accordant aux écrits de Merleau-Ponty (1945, 1968), la présence corporelle saisit nos gestes et nos mouvements dans une perception unifiée et continue. La projection, constante et mouvante du corps, s’inscrit dans un savoir immédiat moteur, mais aussi spatial. Dans l’appréhension du vécu schizophrénique, la présence corporelle nous questionne par exemple sur les perceptions intuitives du sujet dans un espace donné. Comme le précise Merleau-Ponty (1942), le corps créait l’espace à travers sa mise en action, mais également à travers sa compréhension intuitive du monde.

En parallèle, l’approche psychomotrice de la personne schizophrène m’est davantage utile pour une lecture motrice et clinique du sujet. Elle offre une compréhension générale du sujet à travers son rapport à soi (État de corps), à l’espace (Étayage psychocorporel dans le Laban Movement Analysis, 1994), et aux autres (Accordage tonico-postural et relation sujet-groupe).

De plus, l’approche psychomotrice a également été un guide dans la création et l’animation des ateliers de danse-thérapie. Ceci m’a notamment permis de proposer des séances adaptées à la population, mais également d’enrichir ma réflexion sur leur vécu. Associée à la phénoménologie, l’approche psychomotrice était un support pour mettre en lumière mes observations de terrain avec le récit des informateurs. Il va de soi qu’elle ne fut pas considérée comme un dictionnaire « traduisant » les mouvements du sujet comme une preuve de son vécu.

Le point de départ de mes observations et de mes réflexions reste le discours du sujet. Par la suite, les observations de terrain n’ont été utilisées que pour appuyer leurs vécus et enrichir ma réflexion sur les phénomènes observés.

Conjointement, la création d’atelier au sein du CRP demande une préparation du chercheur envers le centre qui l’accueille. J’entends par préparation le fait que je ne pouvais pas proposer n’importe quel exercice, ou aborder mon terrain d’analyse sans m’être renseignée sur la population. Le travail du corps et son impact ne doivent pas être pris à la légère. Renfermant une mémoire corporelle forte, l’habitacle du sujet est un lieu d’interaction entre conscience et inconscience, où les défenses et angoisses peuvent s’activer très rapidement. Par ce fait, il m’était impossible d’appliquer à la lettre la notion d’Husserl (1997) sur un « retour aux choses

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phénomènes sans aucun préjugé, attente ou pré-réflexion. L’objectif étant de nous défaire de toutes préconceptions pour aborder le phénomène tel qu’il vient à nous. « Faire fi de toute considération théorique qui aurait pour effet de troubler ou de biaiser l’étude du phénomène » (Englebert, 2013, p17).

Ma position au sein du centre, mais également auprès des usagers m’a amené à provoquer ce contre sens méthodologique. Au sein de l’atelier et dans mon rapport aux participants, je me refusais d’émettre des préjugés ou des attentes à leur encontre. Cela m’aurait amené à me focaliser sur ces pré-réflexions, en omettant d’autres réflexions plus pertinentes. Toutefois, la création des exercices a été pensée à travers diverses théories de la maladie et certaines précautions ou désirs d’investigation en ont été influencés. Par exemple aux vues d’un accord commun des auteurs (Pankow, Englebert, Sass, Fuchs, etc.) sur le caractère instable du corps dans son incorporation au monde, aucun exercice impliquant un contact physique n’a été proposé. J’évitais ainsi toute activation d’angoisse, d’intrusion. D’un autre côté, la perte de sens commun ou l’impasse relationnel du vécu schizophrénique, m’a amené à préconiser des exercices en binôme ou en groupe, afin d’explorer ces difficultés.

Ainsi, lors de ma rencontre avec les sujets je n’étais pas en position naïve, mais je m’efforçais à ne pas projeter sur le sujet des « vécus théorisés » qui auraient pu limiter ma compréhension.

Position du chercheur dans sa recherche

Au sein de ce travail universitaire j’ai dû occuper simultanément le statut de chercheuse et de thérapeute durant les ateliers. Assistée par une ergothérapeute du centre, l’animation s’est effectuée en binôme. Toutefois, la construction et la direction des séances se sont réalisées à travers ma propre réflexion.

Ce double statut m’a permis d’alterner entre des positions plus actives ou plus passives. Durant les séances je définissais davantage ma position comme étant active. Mettant en relation un rapport de corps, ce type d’atelier demande une implication complète du thérapeute. Par ce fait, je n’étais jamais dans une position de chercheuse, afin de maintenir une « attention pratique » sur les participants. C’est-à-dire que mes actions et réflexions étaient tournées vers les participants et leur vécu du mouvement et des autres. Au cours des séances, je restais focalisée sur l’observation des différents chemins internes et la manière dont je pouvais les faire évoluer (Cf Création de l’atelier).

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A contrario, lorsque la séance se finissait, je prenais un temps pour adopter une position plus passive afin de retranscrire mes observations et impression dans mon journal de bord. Ces notes pouvaient se centrer sur un seul informateur comme sur l’ensemble du groupe.

En me reposant sur l’approche « Englebertienne » (2013, 2005) du phénoménologue dans sa recherche, j’ai pu expérimenter la place « d’observateur participant » (2013, p13). Dans sa quête d’une compréhension fine du sujet, il suggère une alternance des positions passives et actives du phénoménologue, afin de se rapprocher au plus près du vécu subjectif de son informateur. Le phénoménologue, en s’immergeant dans le terrain, accepte d’être partie prenante de la situation et de son objet d’étude. Les phénomènes observés sont révélés par ce dernier mais exprimés et développés par le sujet.

Ainsi, le chevauchement des positions m’a permis, d’expérimenter une double compréhension des acteurs.

Dans un premier temps, mon immersion dans le groupe m’a permis d’aborder les sujets dans une compréhension plus subjective relevant du corps à corps. Puis dans un second temps, les entretiens et notamment la verbalisation de leur vécu, m’a permis d’approcher leur propre subjectivité et ainsi de faire évoluer ma compréhension.

Toutefois au cours de la recherche, j’ai constaté un biais non négligeable et surement inévitable de cette immersion directe. Lorsque je questionnais le vécu des ateliers, les informateurs s’alignaient sur une réponse positive, soulignant les effets relaxants des séances. Ce vécu peut tout à fait être vrai et marqué une caractéristique principale des effets de la danse-thérapie, mais parallèlement cela me questionne sur l’effet de désirabilité sociale. Ce biais renvoie à une volonté des acteurs de plaire à son interlocuteur et de lui faire plaisir. Réalisant moi-même l’atelier, qui plus est dans un cadre de validation d’une formation, il est important de garder à l’esprit que certains retours peuvent avoir été influencés par ce phénomène. Ne pouvant remettre en question l’intégralité des entretiens, je préférais informer le lecteur de ma prudence dans l’analyse des vécus et admettre un possible biais de l’étude.

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3-! Outils de mesure

!

Méthode par théorisation ancrée - GTM

Mon projet visant à révéler la subjectivité des personnes schizophrènes, il m’incombait d’appliquer une méthode rigoureuse et structurée pour rendre compte, avec exactitude, du vécu des sujets. Réalisant une recherche qualitative, la méthode par théorisation ancrée (Grounded Theory Method, GTM) semblait être la plus adéquate pour répondre aux exigences méthodologiques de ce mémoire.

Au même titre que l’approche phénoménologique, la GTM tend à s’éloigner des méthodes empiristes afin de se détacher de toute catégorisation des sujets. Par ce fait, elle met un point d’honneur à s’ancrer dans le vécu des acteurs pour en restituer toute leur subjectivité. Lejeune (2016, p20) souligne par ailleurs que la méthode « convient à toute question visant à comprendre les acteurs, en partant de la façon dont ils vivent et appréhendent ce qui leur arrive ».

Je me suis donc appuyée sur cette méthode scientifique afin de recueillir et d’analyser le vécu des participants. Dans l’intention de répondre au mieux aux exigences de la méthode, j’ai pu, au préalable, m’exercer en suivant les cours de Pratique de la recherche qualitative dispensés par Lejeune. Par la suite, j’ai respecté l’organisation rigoureuse de la GTM, me permettant de structurer ma recherche dans le respect du vécu du sujet, mais également dans mon temps de travail. A la différence des méthodes traditionnelles de recherche, la GTM propose de mener les différentes phases d’investigation en parallèle. La recherche de littérature, collecte de données, analyses et rédaction ne se succèdent plus, mais sont réalisées en amont, afin de créer chez le chercheur un questionnement perpétuel et un enrichissement de sa réflexion.

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De ce fait, la méthode par théorisation ancrée regroupe trois types d’activité ; le codage ouvert, axial et sélectif.

Le codage ouvert traduit les premiers contacts avec les participants. Lejeune y préconise une attitude naïve du chercheur, c’est-à-dire une absence de recherche théorique au préalable.

L’objectif étant de garder la plus « grande ouverture possible afin d’identifier un maximum de caractéristiques du sujet de recherche » (Lejeune, 2016, p20).

Notons que sur ce point, le principe de naïveté, tel qu’enseigné par Lejeune, n’a pu être appliqué, comme expliqué plus haut.

Désireuse d’observer les effets de la danse-thérapie auprès d’une population schizophrène, j’étais plus à l’aise à l’idée de structurer ma réflexion plutôt que d’investir le terrain sans grille de codage. Toutefois, cette structure s’est limitée à trois grands thèmes ; le rapport identitaire, le rapport au corps et aux autres de l’informateur durant les séances.

Par la suite, la construction des propriétés s’est réalisée dans une liberté de parole des participants. Les entretiens étant semi-structurés, ils étaient libres de s’exprimer sur les trois thèmes ou uniquement sur celui dont ils étaient le plus à l’aise.

La construction de diverses propriétés fut ainsi réalisée sur la base d’entretien durant le temps 2 de la recherche (cf Graphique récapitulatif). Notons qu’aucune propriété n’a directement découlé des observations de terrain. Issue d’une perception en troisième personne, j’ai préféré utiliser ces informations durant le codage sélectif comme appui des dires du sujet.

Le codage axial est une articulation des différentes propriétés proposées dans le codage ouvert.

Auprès d’un même participant et en comparaison avec les autres, il m’a permis de mettre en avant des points communs, mais aussi des variantes dans leur perception de soi et des autres.

Au cours de la dernière étape d’analyse, j’ai fait une sélection des phénomènes les plus développés et pertinents de l’étude. Il est arrivé que certains informateurs développent les prémisses de phénomènes intéressants lors du dernier entretien, mais par manque de temps, et de disponibilité de terrain, certaines analyses ont été abandonnées.

Lors de cette dernière étape, une partie de son processus s’est réalisée en amont de nouvelles recherches littéraires. En effet, mettant en lumière de nouveaux phénomènes avec d’autres

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véritable appui pour mettre en dialogue les théories phénoménologiques avec les phénomènes étudiés.

Ci-dessous figure un graphique récapitulatif de l’organisation de travail.

Temps 1 Temps 2 Temps 3

1er entretien 2ème entretien 3ème entretien

Passation de 4 séances Passation de 4 séances

. Retranscription des entretiens

. Retranscription des entretiens

. Analyse des différents codages

. Retranscription des entretiens

. Analyse des différents codages . Recherche littéraire

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Description des entretiens cliniques

Tableaux récapitulatifs des entretiens menés

Informateurs Entretien 1 Entretien 2 Entretien 3 Lieu de

l’entretien

Pierre 03/12/18 12/03/19 05/04/19 CRP de l’Ancre

Patrick 14/02/18 15/03/19 05/04/19 CRP de l’Ancre

William 15/02/18 14/03/19 05/04/19 CRP de l’Ancre

Pour mener à bien ma recherche, j’ai réalisé une totalité de neuf entretiens auprès de trois participants (Trois entretiens par acteurs). Ils ont tous été réalisés au sein du CRP de l’Ancre de façon individuelle et pour une durée d’environ une heure. Je comptais trois temps d’entretien ; Avant, pendant et après la réalisation des séances de danse-thérapie.

Cette étude se voulait exploratoire afin d’investir le vécu du sujet schizophrène au travers des séances de danse-thérapie. J’ai pour cela organisé mes observations en trois grands points : 1) Le rapport du sujet avec lui-même, 2) Avec son corps et 3) Avec les autres.

De ce fait, les entretiens étaient semi-structurés afin de laisser la voix du sujet s’expérimenter et construire au fur et à mesure des phénomènes propre à leur subjectivité.

A l’image d’un entonnoir, aucune hypothèse n’a été formulée aux abords de la recherche. La recherche étant exploratrice, je souhaitais m’ouvrir à un maximum de pistes de recherche sans idée préconçue. Puis, au fil des entretiens, des phénomènes ont émergé amenant l’apparition d’hypothèses. Si durant le premier temps, la structure des entretiens restait la même. Durant le temps 2 et 3 elle était dirigée vers la subjectivité du sujet. Par exemple durant le temps 2, une partie de l’entretien avec Patrick s’est centrée sur son impression de perte de corps dans la lenteur. Au cours du temps 3, William a, quant à lui, préféré développer sur sa notion de lâché prise.

Enfin, chaque entretien a été enregistré en format audio et retranscrit dans son intégralité puis stocké dans un fichier protégé. Il va de soi que chaque participant présent dans l’étude a été anonymisé pour des raisons de déontologie évidente.

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Observation

Au début de la recherche je me refusais d’inclure mes observations de terrain dans l’étude. Leurs rédactions avaient pour unique but de développer un point de vue individualisé et général du groupe, afin d’améliorer les prochaines séances. Mon premier refus découle du questionnement déontologique qu’il soulève. Sur un groupe de six participants, seulement la moitié ont accepté de participer à l’étude et signés le formulaire de consentement. Ainsi, il m’était impossible de révéler mes observations de groupe sans avoir au préalablement informé et demandé l’autorisation aux personnes exclues de l’étude.

Pour ne pas aller à l’encontre de mes valeurs déontologiques, il va de soi que l’ensemble des participants était prévenu du cadre de recherche dans lequel l’atelier s’inscrivait et que des observations de terrain pouvaient appuyer mes recherches.

De plus, les observations utilisées pour la recherche étaient uniquement centrées sur les informateurs de l’étude.

Mon changement d’attitude fait également suite à une première analyse de résultat. Je me suis rapidement rendu compte d’un décalage entre ce qui est développé en entretien et ce que je voyais en atelier. Le rapport à soi, à son corps et aux autres, sont des sujets délicats à développer, mais également à investir. Ils demandent certaines capacités d’introspection qui ne sont pas acquises par tout le monde (présence ou non de pathologie). Ainsi, j’ai remarqué une difficulté à verbaliser certains vécus qui étaient pourtant investigués et assumés en atelier.

L’observation de terrain répond à une volonté de compréhension de l’être dans son inscription spatiale, temporelle et surtout corporelle. Sheets-Johnstone (2015) soulignait que toute conception sur la relation de l’homme au monde devait être basée sur le savoir de sa conscience corporelle en interaction avec le monde. Parallèlement, sa subjectivité seule n’existe pas. Sa construction et sa compréhension prennent leurs sens à travers les rencontres intersubjectives du sujet face à son monde social. En tant que phénomène incarné, la subjectivité de l’homme se définit autant par ses dires que par son expression sur le terrain (Englebert, 2013).

Par conséquent, c’est dans une subjectivité autant incarnée par le sujet que par moi-même, que cette étude s’inscrit. Bien que mes analyses reposent sur une formation de danse-thérapeute, complétée par des connaissances en psychomotricité, ces analyses restent subjectives et seront donc présentées comme un témoignage de ma propre subjectivité dans cette expérience

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thérapeutique. De plus, précisons qu’en art-thérapie, différents courants de pensées peuvent s’opposer sur l’interprétation des créations thérapeutiques. De mon point de vue, leurs interprétations n’ont de sens que lorsqu’elles sont accompagnées de l’expression du vécu du sujet.

L’ambiguïté de cette approche est qu’elle m’éloigne de l’objectivité droite et rigide du chercheur, mais paradoxalement elle me rapproche d’un vécu de corps intersubjectif. Faire résonnance de son corps pour comprendre l’autre.

Pour assurer une certaine objectivité dans ces analyses, il est important de mettre en avant l’utilisation de la grille d’analyses du mouvement de Laban (Laban, 1988 ; Lesage, 2014) dans ma compréhension des sujets.

Cette approche, sans rentrer dans les détails, vise à appréhender le mouvement et sa compréhension de l’être, à travers quatre grandes notions : Le poids - L’espace - Le temps et Le flux. Je considère chaque notion comme un outils précieux de la danse-thérapie, structurant une perceptive du corps d’un point de vue organique, moteur et symbolique (Annexes 1).

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4-! Création des ateliers

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Définition rapide de la Danse-thérapie

La danse-thérapie est née aux États-Unis dans les années 1950. Issue des techniques dérivées de la psychanalyse, elle s’inscrit dans le mouvement des thérapies psychocorporelles et intègre la « grande famille » de l’art thérapie.

Danse – Thérapie, soigner par la danse ? Dans quelle mesure la danse peut-elle être thérapeutique ? En quoi la danse, dans son processus artistique peut-elle avoir une visée thérapeutique ?

Lesage (2006), dans son introduction psychomotrice au processus dansé, met en lumière que la danse et l’art ne sont pas à eux seul thérapeutique. Van Gogh ne fut pas apaisé de sa folie par son art, tout comme Garritano (Danseuse Italienne) ne fut pas protégé de l’anorexie par la danse.

En revanche, le dispositif et le cadre dans lesquels s’inscrivent la danse portent toute son importance.

Pour Greilsammer, H (2014) la danse-thérapie est porteuse d’un cadre permettant la mise en jeu de l’archaïque, ce qui amène le sujet à une prise de conscience de son corps et de soi comme étant un être actif dans son propre mouvement. La danse-thérapie étant basée sur des mouvements libres, elle aide à l’expression de soi, tout en favorisant l’émergence et la mise en mouvement de sensations, d’affects, d’émotions et de représentations. En utilisant le processus créatif, elle invite le corps à se vivre, mais également à être l’instrument de ses créations. A travers ses mouvements et son rapport à l’espace, le corps est actif et il doit être travaillé comme tel, c’est à dire avec ses tensions, résistances et relâchement (Loiset-Buet, 2004). A.Boyer- Labrouche (2012) parle d’ailleurs de « corps instrumental » et de « corps communiquant » (p107) car dans son engagement, le sujet rend signifié l’expression de son mouvement et va être à l’origine d’une communication envers soi et les autres.

Enfin, la danse-thérapie est à différencier d’un cours de danse. Elle n’a pas à vocation d’enseigner une maitrise du mouvement de part des techniques ou codes normatives. Bien au contraire c’est à travers l’écoute du sujet et de son corps qu’elle s’inscrit. Le mouvement se veut libre, afin de laisser le sujet s’expérimenter et partir à la recherche de sa propre subjectivité.

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Construction des séances clés

Les séances de danse-thérapie s’inscrivent dans une vision évolutive des patients.

L’objectif premier étant d’être à l’écoute du sujet et de repérer son chemin interne, afin d’éviter ses angoisses et surpasser ses blocages. Le thérapeute n’est pas dans une position de

« sachant », bien au contraire. C’est le patient qui possède ses propres clés de compréhension et c’est à nous d’observer son fonctionnement pour l’aider à les trouver. Ainsi, les séances ne sont pas pensées en termes de rééducation, mais en termes d’écoute et d’expérimentation. La maladie participant à une déformation du vécu, il est autant plus important « d’explorer et de comprendre l'espace vécu du patient afin de rouvrir son horizon de possibilités » (Fuchs, 2007, p423).

Les ateliers de danse-thérapie se sont déroulés dans les locaux du CRP durant 8 semaines. A raison d’une séance par semaine d’une heure, tous les vendredis.

Les séances ont toutes été découpées en quatre temps ; 1) Phase d’échauffement, 2) Travail en binôme, 3) Travail en groupe et 4) Temps de parole (Exemple d’un déroulement de séance en Annexes 2).

Au sein de cette découpe, j’ai volontairement alterné les principes énoncés par Fuchs sur l’incorporalité et sa résonnance. Tantôt j’invitais le participant à ressentir une résonance plus intracorporelle et tantôt plus intercorporelle. Cette oscillation avait pour but d’amoindrir les angoisses, pouvant être sur soi ou sur les autres. Et de favoriser un va-et-vient entre conscience de soi et conscience du groupe.

Si la structure reste inchangée de la première à la dernière séance, les exercices proposés sont continuellement remis en question et réévaluer à la fin de chaque séance. Ainsi, certains exercices sont volontairement répétés afin que le sujet puisse se l’approprier. D’autres sont changés pour éviter un sentiment d’ennui et inviter le sujet s’expérimenter sur d’autres plans.

Mon approche durant les séances fut d’encadrer les participants autour de consignes larges. Ne voulant pas biaiser leurs expressions, aucun mouvement n’étaient imposés. De plus, le sujet restait libre de faire évoluer l’exercice, selon ses envies et disponibilités. Ainsi, je limitais mes interventions et laissais le sujet évoluer et expérimenter par lui-même, tout en sécurisant son expression et son espace.

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Exercice des bambous1!!

Durant cet exercice, j’ai demandé aux participants de se mettre en binôme, face à face. Ils devaient tenir un bambou dans chaque main et danser en continu, les yeux ouverts puis fermés.

Le fait d’ouvrir et de fermer les yeux avait pour objectif de développer d’autres perceptions de soi et de localiser différemment son corps dans l’espace. De plus, le maintien des bambous demande une certaine concentration car différentes forces se jouent ; l’ancrage au sol, les pressions internes et externe sur le bambou, etc.

C’est un travail intégratif, c’est-à-dire qu’à travers cet interaction, le bambou invite le sujet à intégrer l’autre dans une partie de sa kinesphère. Par ailleurs, étant continuellement en mouvement, l’intégration de l’autre se réalise également dans un mouvement commun. Grâce à la solidité du bambou, les mouvements sont interconnectés permettant alors de structurer le corps : Je pousse avec ma main qui déplie mon coude pour engager mon bras, suivi de l’omoplate, etc.

L’exercice invite également les acteurs à coexister dans un travail du flux (Définition Annexe 1) ; C’est-à-dire de prendre conscience des capacités à contrôler le mouvement en interaction avec l’autre (Initier le mouvement, se laisser guider, etc.).

Exercice du Miroir

En groupe, les participants se positionnent en cercle. Puis, chacun à leur tour, ils proposeront un enchainement de mouvements d’environ huit secondes. Les mouvements doivent être suffisamment lents et simples pour que le reste du groupe puisse les reproduire en simultanément. Lorsque le sujet a terminé, il peut « passer le relai » à la personne qu’il souhaite.

La seule contrainte est que le passage doit se faire dans le silence.

Cet exercice possède une forte valence empathique qui place chaque participant au centre de l’attention. Ainsi, de façon alternée, le participant est suiveur puis meneur.

L’exercice demande une écoute groupale mais aussi une certaine affirmation de soi. Tout d’abord pour oser produire le mouvement devant le groupe puis pour « passer le relai ». En effet, la parole étant interdite c’est à travers l’intention du geste ou le regard que le participant

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1!Photo, Annexes 2!

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se fait comprendre. Sans ces deux outils, il devient compliqué de se « débarrasser » du mouvement, amenant souvent le groupe dans un état d’incompréhension (« il a passé le mouvement ? », « On doit continuer à l’imiter ? », « Ah c’est lui qui avait le mouvement, je pensais que c’était l’autre ! », etc.).

On retrouve également une valorisation de soi par l’amplification des mouvements. La dimension transpersonnelle qui joue sur l’imitation peut être perçue comme une « validation de soi » par autrui ; « En faisant le mouvement, je m’expose. En reproduisant mon mouvement, ils le valident ». Parallèlement, cela permet aussi de favoriser le sentiment d’appartenance au groupe.

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CHAPITRE 2 : CONSCIENCE CORPORELLE

La dimension corporelle a longtemps été mise de côté par la psychologie, au profit d’études approfondies sur l’appareil psychique. À l‘inverse, les approches plus physiologiques telles que la médecine ou les neurosciences ont investi massivement le corps à travers des perceptives plus mécaniques. Le corps est défini comme un réceptacle organique où sa seule connexion au monde résulte d’une appréhension neurologique. Le corps et l’esprit sont alors deux composantes séparées qui ne peuvent pas s’habiter réciproquement.

La philosophie fut l’un des premiers courants à s’intéresser au corps comme une composante sensitive et ouverte au monde. Dans une perspective Gestaltienne, Merleau-Ponty rappelle l’importance du corps percevant dans son rapport existentiel et au monde. Étant un a priori, le corps s’incarne dans le monde à travers une double perception. C’est-à-dire, « ce par quoi » il se présente au monde grâce à son action. Puis, à l’inverse « ce par rapport à quoi » le monde est accessible par son inspection (Merleau-Ponty, 1945, p369, cité par Angelino, 2008). Pour cela, le corps ne dispose pas d’un seul outil d’appréhension et de compréhension. Le corps est composé d’un ensemble de perceptives sensorielles, motrices mais également spatio- temporelles, qui l’aident à s’adapter sans cesse à son besoin d’unification et d’être au monde (Angelino, 2008). Le corps est alors le centre de perception de l’homme, dont sa cohérence psychophysique oscille entre une perception vécue du corps (Leib) et une perception plus primaire et anatomique (Körper) (Englebert et Valentiny, 2017).

Cette ouverture au monde, mais également à soi, questionne particulièrement sur notre manière de vivre notre corps, en particulier pour les personnes schizophrènes. De nombreux auteurs s’accordent sur une perte de corps (Pankow, Englebert, Sass, etc.). Mais que signifie exactement cette perte de corps ? Et surtout comment les sujets schizophrènes vivent et s’expriment sans un corps pour se définir et se raconter ?

Au cours des séances de danse-thérapie cette dernière question m’a longtemps guidée dans mon appréhension de la population. Les nombreuses réflexions et observations de terrain m’ont amené à penser, qu’aussi fine soit-elle, la connexion corps-esprit est maintenue par la subjectivité du sujet, mais que sa structure est impactée par un fonctionnement discursif et inadapté.

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1-! La perte des corps

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Définition du Leib et du Körper

Dans son approche phénoménologique des corps, Wehrle (2019) aborde le corps en tant que sujet (être un corps) et objet d’intentionnalité (avoir un corps). Le corps sujet ou Leib, fait référence à un corps dans lequel nous vivons et nous expérimentons de façon directe et intuitive nos interactions (Englebert et Valentiny, 2017). C’est par ce corps que le sujet exprime toute son intentionnalité et sa subjectivité. Il correspond à ce que le sujet est pour lui-même ; en tant qu’être incarné dans le monde (Wehrle, 2019). Ainsi, son vécu est intérieur et s’exprime en première personne. Pour Englebert, ce corps vécu est le lieu d’intégration des perceptions du sujet sur lui-même et le monde. Le Leib structure et organise son expérience, de sorte à lui fournir une implication et un accordage au monde, ainsi qu’une conscience de soi.

Presque en opposition, le corps objet ou Körper est vécu et investi comme corps physique. Dans sa dimension d’objet, il régit une perception extérieure à la troisième personne. En comparaison au Leib, il est dévitalisé et fait état d’une manière pré-objective à ressentir ses sensations, grâce à ses capacités sensitives et kinesthésiques (Wehrle, 2019).

Dans notre compréhension de l’être schizophrénique, il me semble nécessaire de poursuivre l’analyse de l’étude à travers le point de vue de Wehrle. En reprenant appui sur les écrits d’Husserl (1997, 2001), il met en avant la double structure du corps dans son incarnation vécue.

Le corps est à la fois « ce qui nous permet de percevoir [] et en même temps un objet perçu, même s’il ne peut être perçu qu’imparfaitement par soi-même » (Wehrle, 2019, p2).

L’incarnation de l’homme se fait alors à travers ce double mouvement où le sujet est à la fois objet et sujet de l’expérience. En tant qu’individu, nous ne sommes pas uniquement passifs ou actifs face au monde. Le corps, par ces corps, est capable de se ressentir et de s’expérimenter par sa matérialité, tout comme il est touché et conscient de sa visibilité par le monde (Plessner, 1970). L’unité psycho-physique du corps découle d’une interaction constante entre le Leib et le Körper sans quoi l’expérience corporelle et la conscience de soi deviennent défaillantes (Englebert et Valentiny, 2017).

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Quand le Leib désincarne le Körper

Au sein du vécu schizophrénique, Englebert et Valentiny (2017) parlent d’une déconnexion entre le Körper et le Leïb. Les deux pôles sont ressentis comme désinvestit l’un de l’autre. La conscience du soi interne n’interagit plus avec son corps physique, véritable pont entre le dedans et le dehors. La connexion rompue, les auteurs parlent de perturbation de l’ipséité, le trouble fondamental de la schizophrénie.

Dans son explication du modèle contemporain du trouble de l’ipséité, Sass (2013) présente l’ipséité comme une référence au sens le plus fondamental de la présence de soi. Elle soutient l’être dans son rapport au monde, mais aussi à soi-même. Au travers de ses pensées et actions, l’homme se définit comme le propre sujet de ses expériences. En d’autres termes, l’Ipséité permet d’exister en tant que conscience de son expérience et de son orientation vers le monde (Sass, 1998). Pour Jasper (1997) cette conscience de soi passe par quatre états primordiaux ; le sentiment d’activité (la conscience d’être actif), la conscience d’unité, la conscience d’identité et la conscience d’une distinction entre soi et le monde. Chacune de ces prises de conscience découle des capacités internes du sujet. Par exemple, ses perceptions visuelles, proprioceptives, et sensorielles, sa mémoire, ses pensées, ses sentiments, etc. toutes capacités permettent de réaliser une réflexion psychique sur son vécu. Pour Gallese et Ferri (2013), les réflexions qui découlent de ces perceptions font écho au sentiment d’être soi.

L’altération de l’ipséité se traduit par une perte de la conscience et de l’expérience de soi. Sans ces deux objets d’investigation privilégiés, la présence de soi s’amoindrit et « dérègle » notre appréhension de nous-même et celle du monde. Au sein de l’expérience schizophrénique, cela s’illustre par le sentiment « de ne plus posséder un corps privé où vivre des expériences personnelles comme siennes » (Stanghellini cité dans Englebert,J.,& Valentiny, C. 2017, p146).

Sans corps privé, l’incarnation de soi vacille, rendant nos expériences privées défaillantes. Cela peut notamment se traduire par la perturbation de deux points : la perspective de la première personne et se percevoir comme un agent de ses actions (Gallese et Ferri, 2013). Lors d’expériences vécues, les pensées, les perceptions et les émotions peuvent être sans cesse renvoyées à l’extérieur de soi. Englebert et Valentiny parlent d’esprit désincarné où le sujet se perçoit à la troisième personne et n’investit pas ses expériences de vie. Le sujet schizophrène

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isole alors sa conscience de son corps, provoquant un sentiment de perte de présence et d’existence.

S’éloignant d’un concept monolithique, la perturbation de l’ipséité se manifeste sur deux principales dimensions ; L’hyper-réflexivité et l’auto-affection (Sass, 2013) aussi appelées Sentiment de soi diminué (Englebert, Jean-Marie, Weber,& Vermeylen, 2016). Sass précise que ces dimensions sont évolutives. Elles ne stagnent pas dans le temps, ni d’une situation à une autre. Ainsi, il n’est pas rare de voir une hétérogénéité de ses manifestions d’un sujet à un autre, ou d’une période à une autre, selon un même individu.

L’hyper-réflexivité se caractérise par une conscience de soi excessive. Tout est sujet au questionnement, à tel point que la conscience devient envahissante et entrave la compréhension du sujet. Lors des entretiens, Patrick fait d’ailleurs part d’une perte de contrôle.

« J’essaye de ne pas me poser de questions parce que si je commence, la machine se met en route et là je n’arrive plus à la stopper. Je veux dire… ça part dans tous les sens et après c’est compliqué de calmer tout ça ». (Patrick, le 05/04/19)

La perte de contrôle sous-tend alors une volonté de maitriser l’hyper-réflexivité, ou plutôt de ne pas la provoquer, pour ne pas « mettre en route la machine ». Si la pensée n’est pas contrôlable, alors les thématiques qui lui viennent en tête ne le sont pas non plus. Au fur et à mesure des entretiens, Patrick révèle une angoisse diffuse d’insécurité. Cette dernière s’accompagne souvent de comportements ou croyances défensives afin de se préserver d’un possible danger.

« Ça m’est arrivé d’être anxieux, envers… enfin d’avoir peur du futur. Si admettons je ne faisais pas quelque chose, j’avais peur qu’un truc de mauvais arrive, ou sinon je le sens… je sais pas comment le dire mais… je peux être dans une situation totalement normal, pénard et là je sens que ça va pas… Alors j’observe, je me mets un peu de côté et… je fais attention quoi » (Patrick, le 05/04/19).

Sans parvenir à définir et donc à agir sur le danger, l’hyper-réflexivité de Patrick le met en retrait du monde. L’inconnue devient insupportable, c’est pourquoi l’hypervigilence devient un repère sécurisant.

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« Ah ! Ne pas savoir c’est la pire des choses ! Même quand quelqu’un de nouveau arrive [A la salle de sport], on ne le connaît pas, on ne connaît pas son passé. Intérieurement je me méfierais plus que les autres. Je ne risquerais pas de me prendre un coup ou quoi » (Patrick, le 05/04/19).

L’hyper-réflexivité semble s’accompagner d’une focalisation inquiétante du monde qui vient altérer la perception et l’ancrage du sujet dans une réalité qui n’est plus objective.

« J’ai tout le temps des pensées, du matin au soir. Je veux dire, comme moi j’ai des yeux, je vois beaucoup de choses, surtout les personnes tordues. Je me dis qu’on n’aurait pas dû en arriver à ce point-là […] Je les vois partout, dans la rue, et sur internet. Ça dure depuis… que le monde est vivant, il y a toujours eu des viols, c’est dégueulasse, des morts, des meurtres, des tromperies.

Pour moi ce n’est pas un monde merveilleux ». (Patrick, le 05/04/19)

La conscience de l’acteur modifie sa perception du monde, mais également son ancrage. Au lieu de produire une vue d’ensemble teintée de nuance, son appréhension du monde est focale et insécure. L’hyper-réflexivité ne joue pas uniquement sur le biais attentionnel du sujet, mais également sur son rapport au monde. À"l’affut du danger, Patrick semble se mettre en retrait, préférant observer le monde pour s’assurer de sa sécurité. Cette perte d’adhérence au monde soulève la question du vécu du sujet dans son adaptation au monde, mais aussi dans son expression identitaire.

Le sentiment de soi diminué, autre facette du déficit ipséitaire participe lui aussi à la perte de l’ancrage et de l’identité du sujet schizophrène

Le « sentiment de soi » renvoie au sens le plus basique d’exister. Au cours de sa vie, l’individu est traversé par différentes expériences qui l’amènent à s’éprouver de diverses manières. Dans un mécanisme implicite, ce sentiment de soi fait écho à la façon dont le sujet se conscientise, se perçoit et se vit. Il prend racine dans la subjectivité du sujet pour soutenir un rôle actif dans son existence (Panars, J.,& Sass,L. 2003). Le sujet se vit et se raconte à la première personne, ce qui lui permet de s’assurer de sa propre présence dans le monde. Sous les écrits de Vigarello, Klein (2014) postule un lien direct entre cette conscience personnelle de soi et le vécu corporel.

Lorsque nous ressentons notre corps, nous ressentons notre existence. Le déclin du sentiment d’existence amène à une expérience de soi amoindrie. Le sujet se désinvestit de lui-même et de

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son identité propre. Il se perçoit à la troisième personne perturbant ainsi son adhérence au monde. Il se perçoit comme moins capable, mais également comme moins concerné par ses interactions externes et internes. Durant les entretiens, Pierre me fait part d’un certain détachement avec le monde. Se définissant comme solitaire, il perçoit un écart entre lui et les autres.

« Je n’ai pas beaucoup d’amis. Il faut dire que je n’entretiens pas mes relations non plus. Je...

comment dire... je n’envoie pas essentiellement de messages à mes amis ou de demandes particulières de sortir avec eux… Je me trouve des fois différent… je veux dire… Des fois je me trouve moins beau, moins intelligent. J’ai l’impression de n’être personne. C’est seulement maintenant que j’essaye de prendre confiance en moi ». (Pierre, le 03/12/18)

Dans son vécu, Pierre souligne s’être toujours senti différent. Dans un premier temps, il m’avoue avoir aimé cultiver cette différence notamment par les tatouages et le « choc » que cela pouvait susciter. Sur ce point nous pouvons rejoindre les écrits de Sass et Klein, où le sentiment de soi prend racine dans une volonté d’être au monde et d’un investissement du corps comme un soutien identitaire.

[En parlant de ses tatouages] « Avant, je ne voulais pas me fondre dans la masse, en fait j’essayais de choquer, de me donner une image. Ce n’est plus le cas maintenant et puis de toute façon le tatouage est devenu quelque chose de banal » (Pierre, le 03/12/18).

Il semblerait que l’investissement de Pierre reste partiel et instable puisqu’il révèle un certain paradoxe. D’un côté, l’informateur se désintéresse d’autrui, mais d’un autre côté, il s’appuie sur leurs regards pour s’investir identitairement et corporellement. De plus, l’investissement du corps par les tatouages ne lui permet plus, aujourd’hui, de se définir face à autrui. L’objectif premier étant de choquer, cela ne fait plus sens dans notre société où le tatouage commence à entrer dans les mœurs. Les repères identitaires de l’acteur paraissent ainsi instables et son discours fait davantage écho à un investissement de soi pour autrui ou une dévalorisation par rapport à autrui. Dans une attitude solitaire, Pierre se place dans une position d’observateur, où son corps mais aussi son identité ne sont plus investis à travers « son propre chef » mais comme support pour atteindre autrui.

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À travers les vécus de l’hyper-réflexivité et du sentiment de soi diminué, nos informateurs semblent limiter leurs éprouvés corporels au second plan, sans parvenir à les vivre au premier.

Les acteurs se détachent du monde, ou en tout cas s’en éloignent pour se percevoir et se vivre à la troisième personne.

Pour Englebert et Valentiny (2017), ce vécu dans la perte de présence de soi, fait suite à un désinvestissement réciproque du Leib et Körper. Sass (2003), souligne à juste titre que l’Ipséité, étayée par ces deux corps, n’est pas une entité stagnante. À la lumière des capacités évolutives de l’homme, le sujet évolue à travers ses expériences vécues et l’attention qu’il y porte. La schizophrénie possède, certes une désorganisation du self, perturbant son incarnation au monde et à soi-même, mais elle ne déroge pas à cette règle évolutive. Le déficit de l’ipséité provoque un rapport au réel altéré mais pas inexistant. Ainsi, il est d’autant plus intéressant d’observer ce rapport au monde à travers les variantes qu’il propose.

Vivre son corps dans l’hypertonie

Dans leur article, Gallese et Ferri (2013) proposent un lien entre la conscience de soi et le soi corporel. Ils mettent notamment en avant les propriétés du corps comme porteur de la perspective en première personne et de la conscience d’être agent de l’action.

Les propriétés corporelles font appel aux capacités de l’homme, à percevoir ses sensations et les induire comme siennes. En parallèle, cette perception autocentrée se réfère à la reconnaissance du sujet à être agent de l’action. Ce lien logique entre sensation et reconnaissance de notre action serait à la base du soi corporel. Lorsque nous avons abordé cette notion avec Patrick, celui-ci m’a rapidement indiqué ne ressentir son corps qu’à travers la contraction musculaire.

« Le moment que je préfère le plus c’est quand je contracte les muscles pendant plusieurs secondes. Là c’est le seul moment où je me dis ; là tu es en train de travailler et là… au moment même où je me sens tellement bien que je pourrai le faire pendant des heures entières en fait ». (Patrick, le 05/04/19)

Pour l’informateur, le soi corporel semble passer par une contraction musculaire intense. En psychomotricité, le muscle est associé à l’action. Il se contracte pour stimuler le corps, le

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« réveiller » afin de le rendre plus disponible. La tonicité du corps joue alors le rôle de contenant, permettant au sujet de se ressentir grâce à une liberté de mouvement (Lesage, 2014). Il semblerait que pour Patrick, cette activation du corps soit un lieu de jouissance où il peut se reconnecter à son corps.

« Le muscle commence à chauffer, il commence à être congestionner, quand le muscle il est comme ça pour moi c’est comme si j’avais très bien travaillé. Ça me fait du bien de ressentir mes muscles comme s’ils étaient en train de me parler » [] « C’est comme si admettons j’avais perdu un contact avec une personne et que quand moi, je contracte mes muscles c’est comme si la personne revient pour me parler et là c’est une émotion qui me fait du bien à moi ». (Patrick, le 01/04/19)

La tonicité du corps renvoie à une preuve d’existence, de reconnexion avec une personne/corps perdu. Pour Laban (1994), l’utilisation du muscle et notamment de sa tonicité est une façon de s’affirmer dans le monde ; « Je peux, je me manifeste". L’expression du sujet se fait par cette maitrise du mouvement, qui reste massive. Durant les séances de danse-thérapie, Patrick s’est uniquement exprimé à travers une hypertonie. Quel que soit, l’exercice ou la qualité de mouvement demandé (léger, mou, plané, etc.), les mouvements de l’acteur se traduisaient par l’exécution de geste gymnique, altérant entre flexions et extensions. Cependant, la qualité du mouvement et sa valeur expressive passent par différentes nuances de tonicités. C’est une manière de s’exprimer sous différentes formes, un peu comme à l’oral avec la tonalité de la voix. Lorsque nous parlons notre tonalité change au cours du discours. Dans le processus dansé le mécanisme est le même. Cela renvoie à une forme d’empreinte corporelle où chacun, par des mouvements qui lui sont propres, exprime sa subjectivité. Or, Patrick s’exprime dans une même tonicité. Celle-ci reste massive et contractée, donnant l’impression d’une motricité lourde.

L’acteur semble ainsi ne s’exprimer que sur un langage unique, privé de vocabulaire.

Le soi corporel semble alors partiellement perçu par l’informateur. À travers la contraction musculaire et les sensations qu’elles procurent, il parvient à vivre son corps intensément. De plus, en se positionnant en tant que moteur de son action, Patrick semble établir le lien entre la sensation corporelle et la reconnaissance de l’action. Toutefois, Jeannerod (2007), précise que cette perception « d’agent acteur » ne se limite pas à la reconnaissance de mouvement exécuté intensément. Il serait réducteur de penser que le sentiment d’expérience de soi ne s’exprime que dans l’exécution des actions. En tant qu’être vivant, notre corps se compose d’une multitude de repères sensoriels et proprioceptifs. Ainsi, lors de l’exécution d’un mouvement physique, il

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est d’autant plus facile de le repérer car il active davantage des perceptions explicites du corps.

Mais lorsque nous sommes statiques, ou lorsque le mouvement est lent, nos capacités sont plus internes et notre attention plus focale. Cette perception est moins intuitive mais automatique, c’est elle par exemple qui s’active lorsque nous ressentons un danger non perceptible. Ainsi, le soi corporel prend son sens autant dans une action formée par l’exécution d’un mouvement, que sans mouvement. Or, lors des séances et notamment dans l’expérimentation de mouvements lents, Patrick rapporte ne plus se sentir connecté à son corps.

[Au cours des exercices] « Je suis tellement lent dans les mouvements, que je ne sens rien. Enfin je ne vois pas ce qu’on peut sentir. A ce moment-là, je me dis dans ma tête que là ça ne sert à rien, que je suis une personne inutile. Pour moi, aller doucement c’est comme si… je vais dire ça comment… c’est comme si je n’avançais pas. Aller doucement c’est vraiment être bloqué… c’est comme si j’étais bloqué d’une certaine façon. C’est être ramolli, c’est être inutile » (Patrick, le 05/04/19).

C’est dans la lenteur que l’informateur perçoit un décalage avec son corps ; ne rien sentir, être inutile, bloqué. Si l’hypertonie à une valeur de contenant, la simple lenteur constitue une perte de stimulation mais aussi d’existence.

« Je suis tellement lent dans les mouvements que je me dis dans ma tête que là ça ne sert à rien, que je suis une personne inutile ». (Patrick, le 15/03/19)

A travers son vécu corporel, l’informateur place le corps comme un outil d’existence ; « ça ne sert à rien », « je n’avançais pas », « c’est être inutile ». La contraction prend ici un sens utilitaire. Il est un outil pour se reconnecter à soi, mais que comprend cette connexion ? Au cours de nos échanges, Patrick montre à plusieurs reprises un sentiment de soi bas qui dénote avec son discours et sa démonstration de force durant les séances.

« La différence avec les autres c’est 24h sur 24 que ce soit ici ou dehors. Par exemple avec les thérapeutes j’ai l’impression qu’ils sont ici (main haute) et moi là (main basse). Pourquoi, parce que à l’école je n’étais pas un pro, parce que j’ai des difficultés et les thérapeutes ils sont plutôt normaux je veux dire. A l’école je n’étais pas un pro, j’étais plus bas que les autres. Au niveau scolaire, j’avais dur à parler et voilà. Juste d’avoir dur à parler et être plus pensif que les autres c’est plus ça qui est compliqué ». (Patrick, le 05/04/19)

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