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Au coeur des petits et des pauvres de Paris. 1930-1946

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Au coeur des petits et des pauvres de Paris. 1930-1946

Jean-Marc Goglin

To cite this version:

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Jean-Louis Goglin Jean-Marc Goglin

agrégé de l’Université, agrégé, docteur en histoire de la philosophie ancien chargé de cours à Paris IV-Sorbonne, chargé de cours au C.T.U. de Rouen

Au cœur des petits et des pauvres de Paris

1930-1946

Association Histoire et mémoire de Bécon-Courbevoie 2017

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Avant propos

À la mémoire de Monsieur Michel Mollat, Membre de l’Institut,

Professeur à Paris IV Sorbonne

Pendant près de quinze ans le séminaire de Monsieur Mollat a travaillé sur la pauvreté et les pauvres au Moyen Âge. Malgré les difficultés, dues à une documentation lacunaire, les recherches ont permis de sortir de l’ombre les sans voix et les sans grade pour leur redonner la parole et relever leur dignité. Depuis les études se sont multipliées ; pour mieux comprendre les mécanismes qui font tomber tant de personnes, la création d’un Institut de l’Histoire de la Pauvreté, des pauvres et des Droits de l’Homme serait un pas important.

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Introduction

« Souffrance et pauvreté », tel aurait pu aussi être intitulé ce livre. La condition de petit conduit souvent, si les temps sont difficiles, à l’état de pauvreté et les difficultés de la vie mènent trop souvent à la souffrance. La période qui s’étend des années 1930 à la fin de la deuxième guerre mondiale en est un exemple qui ne démentira pas l’affirmation. Deux questions à ce propos : qu’est-ce que la notion de pauvreté ? pourquoi ce moment et ce lieu?

1. Qu’entend-t-on par pauvreté et pauvre ?

Les travaux du séminaire du Professeur Mollat ont permis de définir l’état de pauvreté, d’abord au Moyen Âge, puis de la généraliser à toutes les époques : « c’est une situation subie

ou volontaire, permanente ou temporaire de faiblesse, de dépendance et d’humilité, caractérisée par la privation des moyens, changeant suivant les époques et les sociétés, de la puissance et de la considération sociale : argent, pouvoir, influence, science et qualification technique, honorabilité de la naissance, vigueur physique, capacité intellectuelle, liberté et dignités personnelles »1.

En première remarque, nous laisserons de côté dans cette étude les pauvres volontaires (les ordres religieux). L’important est de comprendre qu’il y a une part de relativité dans la notion : le degré de privation peut s’établir en comparaison du niveau moyen minimal de subsistance individuel (nombre de calories par jour) ou plus subtilement du niveau moyen des conditions d’existence en France en ces années 1930. La pauvreté se mesure toujours par une différence, une absence de quelque chose que l’autre possède ; elle comprend des degrés jusqu’à tomber dans la misère et parfois le désespoir. Il existe un point de chute et de rupture, un seuil au-delà duquel le pauvre est contraint dans sa façon de vivre et, souvent seul, il ne peut vraiment se relever. La pauvreté est une réalité sociale et n’est pas qu’une affaire d’indicateurs2

.

La pauvreté subie peut dégénérer en déchéance, voire en honte. Certes la pauvreté est liée à la charité mais elle fait toujours scandale et trouble les consciences. Il y a nécessité d’un combat contre la misère. Durant la période étudiée, les réponses sont plus techniques, plus complexes car l’appareil d’État du XXe siècle peut être mobilisé3. Mais on peut se demander dans quel esprit réel les réponses à la misère sont-elles apportées ? L’amour du prochain, la solidarité ou la crainte des mouvements sociaux ?

1

M. MOLLAT, Études sur l’histoire de la pauvreté, Paris, 1974, p. 12. 2 Cf G. SIMMEL, Les pauvres, Paris, P.U.F., 2011.

3 A. BRODIER-DOLINO, Combattre la pauvreté. Vulnérabilités sociales et sanitaires de 1880 à nos

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Pour saisir le mieux possible le problème du passage de précarité à la vraie misère, trois seuils sont à rappeler :

 Le premier seuil, biologique, celui qui ne permet plus, en l’absence de ressources, d’acquérir le vital. Que d’éléments l’expliquent : le vêtement, le logis nécessaire à la survie, la nourriture, le climat (les hivers des années 1940…), les ressources pécuniaires, l’approvisionnement (à la veille de la Libération de Paris), la guerre, la baisse effroyable du pouvoir d’achat, les charges, les exigences allemandes sans cesse renouvelées…

 Le second seuil est celui de l’incapacité physique et de l’infirmité (renforcé par les défauts d’hygiène, de santé, de médiocrité de l’alimentation)

 Le troisième seuil est celui de la déchéance sociale, l’a-sociabilité, la perte de ce qui donne son rang et qui peut aller jusqu’à faire refuser le titre d’homme (les déportations en Allemagne avec son cortège d’horreurs). Tout cela est déterminant, on est dans les marges de la société et par quels mécanismes peut-on y tomber ou s’en sortir.

Telle est sans doute une des questions de ce livre : comment être un homme, le rester ou le redevenir?

2. Le lieu et les dates de cette étude

 À Paris ? Pourquoi la capitale ? En dehors de l’importance politique de la ville, du chiffre de la population et des évènements exceptionnels qui vont la marquer, il s’agit d’un territoire urbain qui contraste vraiment avec le monde rural, voire provincial, aux conditions de vie différentes (par exemple pour le ravitaillement). Ses conditions de la pauvreté sont plus nettes et mises en valeur que partout ailleurs. La région parisienne est la plus typique, la plus désignée pour tomber dans une paupérisation massive.

 Les dates ? 1930 (environ)-1946. La France sortie exsangue de la première Guerre Mondiale (« un cadavre vivant ») et après dix ans d’ « années folles », entre dans la « grande crise de 1929 », avec du retard sur d’autres pays mais elle est marquée vivement par cette nouvelle épreuve, malgré des idées généreuses du Front Populaire. La deuxième guerre mondiale et le désastre de 1940 vont l’achever. Les chocs d’une violence encore jamais vécue marquent la France et Paris évidemment. Il faut attendre 1944-1945 pour que « le retour du soleil de la grandeur » avec le général de Gaulle, marque une nouvelle époque où tout est à rebâtir. Charles de Gaulle, qui dirige alors le Gouvernement Provisoire de la République Française, démissionne le 20 janvier 1946. La IVe République nait en octobre.

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Deuxième remarque : le dépouillement des archives de Courbevoie1, alors commune de la Seine, permet de poser un certain nombre de problèmes concrets de la réalité de la pauvreté et des souffrances d’alors.

Beaucoup d’idées bouillonnent durant cette période et marqueront politiquement et socialement les générations suivantes.

« Qui n’est pas capable d’être pauvre n’est pas capable d’être libre » (Victor Hugo)

1

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I. Un monde éprouvé : Les temps gris

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Chapitre I : Les temps orageux (vers 1930-1936)

Il est déjà loin le temps de l’euphorie de 1918 lorsque la foule des Parisiens clamait sa joie à l’annonce de la victoire et de la fin d’une guerre qui avait tant ravagé l’Europe. La paix de Versailles (28 juin 1919) révèle assez sa fragilité et ses limites. Les Alliés ne sont pas d’accord pour en appliquer les clauses, la France veut une application stricte, l’Angleterre avec plus de souplesse et les Etats-Unis ne ratifient pas le traité. Le temps des difficultés en Allemagne est au maximum en 1923 lorsque la France occupe la Ruhr après la cessation du paiement des réparations allemandes. L’Allemagne subit un effondrement monétaire et social qui la marque au plus profond d’elle-même.

Une détente apparaît entre 1925 et 1930. Le prestige de la Société des Nations s’accroît et des hommes de bonne volonté, dont Aristide Briand est un exemple, veulent apporter un état d’esprit nouveau : le problème des réparations se règle par un abaissement spectaculaire de la dette allemande de 300% pratiquement ; une politique de paix est en marche (pacte de Locarno en 1925) et même la guerre est « hors la loi » en 1928 avec le pacte Briand-Kellog. L’Allemagne n’est plus soumise à une forme de contrôle. En 1930, la Rhénanie est évacuée.

La crise économique née à la suite du krach boursier du 24 octobre 1929 (« le jeudi noir ») à New York accable le monde entier en se répandant sur tous les continents, principalement en Europe. Cela remet en cause tout l’édifice. Chaque pays doit trouver une solution pour repousser les difficultés : se replier sur soi dans une attitude égoïste, nationaliste (autarcie) ou préparer la guerre comme moyen radical de s’en sortir. Le danger allemand ne fait que croître dès l’arrivée de Hitler à la Chancellerie (30 janvier 1933) et ses coups de force vont amener la faillite de la paix.

En France, le pays meurtri de son million et demi de morts, de tant de blessés, infirmes, veuves, orphelins, a payé le prix de la guerre par une situation financière catastrophique dont le franc-or, stable depuis le Consulat, ne se relève pas vraiment. Poincaré dévalue la monnaie de 80% en 1926 (officiel en 1928). En 1919, un changement est constaté : le rôle accru de l’État dans l’économie de guerre. Certains s’interrogent sur le rôle à lui donner après guerre. L’industrialisation est en marche, les rentiers ont été pratiquement ruinés par l’inflation. Les idées venues de l’Est, la révolution bolchevique, marquent une partie de la population laborieuse. Le parti communiste français nait en 1920 d’une scission avec les socialistes (SFIO).

Les dix années de 1920 à 1930 sont difficiles mais la France connait néanmoins un redressement économique. Elle semble à l’abri des tempêtes économiques de l’après crise de Wall-Street et célèbre sa grandeur et son empire lors de l’exposition coloniale de 1931.

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1. Des considérations générales : le bilan social

La fin de la guerre a amené les différents groupes de la société à un désir de progrès, en particulier chez les ouvriers qui veulent assurer aux leurs une situation meilleure ou tout au moins semblable. Le pauvre améliorer ses conditions de vie. Cela paraît possible avec les facilités apportées par l’amélioration des techniques et la production des biens d’équipement.

Les découvertes scientifiques et médicales font reculer la mortalité causée par certaines maladies ; le travail est moins pénible avec la mécanisation (même si cela pose d’autres problèmes), la durée du travail a un peu reculé depuis le début du siècle. Toutes ces avancées sont très lentes, surtout chez les plus humbles. L’hygiène doit encore à progresser. L’alcoolisme continue de faire des ravages.

La population la plus fragile est frappée plus durement par la mortalité (à 40 ans pour 90 patrons qui disparaissent, il y a 130 employés et 160 ouvriers)1. La population a vieilli même si une immigration en tempère l’effet ; on s’installe dans une situation acquise qui émousse l’esprit d’entreprise. Les rapports sociaux se transforment, plus individualistes.

Paris est pratiquement au maximum du chiffre de sa population (autour de 2,9 millions) et depuis 1914 c’est la banlieue qui s’urbanise (à l’Est, au Nord, à l’Ouest). Cinq millions de personnes sont rassemblées, de toutes les catégories sociales. Paris absorbe presque toute la vitalité française, « véritable sangsue pour la France qui

s’étiole » (Y. Trottignon).

Après 1919 la plupart des partis politiques sont revenus au libéralisme et ne souhaitent pas l’intervention de l’État dans l’économie, « on est libéral et vive la liberté, dût

l’égalité en souffrir » (Y. Trottignon), avec une nuance importante : le protectionnisme

doit protéger les frontières. Les socialistes sont antilibéraux mais deux attitudes leur semblent possibles pour s’opposer : la révolution ou le réformisme.

Peut-on parler dans ce monde de gagne-petit d’un bloc homogène ? Évidemment non. Le monde des grandes usines n’a pas la même culture ouvrière que celle des petits ateliers (par exemple des moins de vingt personnes). La protection sociale est à peine ébauchée (système d’assurances), le travail journalier est encore très long, (il peut atteindre 10 heures-8 heures en 1919). Le monde ouvrier a profité de l’augmentation des salaires pendant la guerre car la main d’œuvre s’est raréfiée et il y avait tant à produire pour l’effort de guerre.

Ce monde ouvrier est à peu près déchristianisé et dans ses rangs tout le monde n’est pas à la même enseigne. Les ouvriers à façon gagnent le moins, les femmes dans le textile et la couture sont au plus bas. L’exemple de la société de Courbevoie (dans le département de la Seine) montre cette hiérarchie sociale où les petits sont si nombreux. Les logements restent d’une médiocrité dramatique, sans confort, pouvant aller jusqu’à être des taudis dans les pauvres quartiers. L’ordre moral ancien disparait et un monde nouveau se dessine dont celui des ouvriers conscients de leur importance : ne représentent-ils pas au moins un tiers de la population ? Le social devient une préoccupation dont nous allons trouver bien des traces dans les années 1930.

1 Sur l’histoire de la très grande pauvreté en France aux XIXe et XXe s : intervention d’A. GUESLIN,

https://www.franceinter.fr/emissions/la-marche-de-l-histoire/la-marche-de-l-histoire-06-janvier-2015 ou

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Le syndicalisme progresse bien doucement : la CFTC est née en 1919. Mais la division syndicale ne permet pas d’obtenir autant d’améliorations sociales que souhaitées. La journée de travail est passée à 8 heures en 1919, on accorde des secours aux chômeurs en 1925, les assurances sociales entrent en application en 1928. Ces améliorations sociales s’obtiennent de manière traditionnelle selon les souhaits du parti radical. L’application d’une politique familiale s’amorce. En 1932, les allocations, obligatoires pour tous les salariés, sont doublées à la veille de la guerre de 1939 par une prime versée à la mère au foyer et une allocation versée pour un deuxième enfant à toute la population active. Il y a encore du théorique dans cette législation à faire appliquer.

2. Être fragile à Paris

a) Le monde ouvrier

Les ouvriers forment un bloc face au patronat, au monde intellectuel et aux employés en col blanc1.

Le monde ouvrier est marqué par des coutumes et des valeurs qui l’ont façonné, dont il est fier : l’endurance, la virilité...2 Le patriotisme est réel et l’emporte sur l’ultranationalisme. Les restrictions de l’entrée des migrants sont approuvées, et même en 1936 les ouvriers étrangers sont reconduits à la frontière par mesure gouvernementale3.

Les ouvriers ont leurs organisations syndicales et leurs idées politiques. Ils doivent faire face à la précarité des emplois, la dureté des conditions de vie et la pénibilité. C’est tout un monde qui vit dans Paris de l’Est et dans la banlieue Le tissu industriel parisien est varié : Panhard, Citroën dans le sud de la capitale, la cartoucherie de Vincennes, Renault à Boulogne, la chimie à Aubervilliers, la métallurgie à Saint-Denis. Les pauvres sont nombreux.

La région parisienne est un ogre qui avale les petites gens de province voire de l’étranger : Le Nanterre de 1936 a presque doublé en quinze ans. Les femmes forment un tiers de la main d’œuvre, sans qualification à l’arrivée, fragiles et formées sur le tas ; elles viennent des régions rurales là où la crise est passée et les emplois sans avenir. En 1931 le nombre des ouvriers métallurgistes a augmenté de 50%. L’espoir de l’amélioration de la situation d’un ouvrier est relatif. Certes, il sort de la masse un personnel d’encadrement mais c’est une petite minorité4 et les écoles professionnelles (on crée le CAP après le certificat d’études) sont réservées à une élite ouvrière. Aussi les femmes restent-elles le plus souvent dans le monde fragile des mal-rémunérées et sans promotion. Les parents ne peuvent rêver que d’un ascenseur social qui ferait sortir leurs enfants de la situation où ils sont confinés. On ne peut sortir de la fragilité

1

Plus de la moitié de la population française est encore rurale. Beaucoup d’ouvriers ont des racines rurales mais les mondes urbain et rural vivent l’un à côté de l’autre. Les vacances de 1936 rappelleront ce lien souvent endormi.

2

X. VIGNA, Histoire des ouvriers en France au XXe siècle, Paris, Perrin, 2012.

3

La loi du 10 août 1932 protège la main d’œuvre nationale

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ou de la pauvreté qu’avec l’aide de quelqu’un ou d’une institution. C’est le pouvoir de l’école républicaine ou d’une direction d’usine ouverte pour donner l’accès à un plus grand savoir.1

Le travail est rationalisé, chronométré, spécialisé. La chaîne s’installe dans l’automobile et autres industries. L’ouvrier qualifié dans son travail est devenu un manœuvre spécialisé (OS). Cette façon de travailler provoque la récrimination ouvrière devant tant de duretés, de fatigue, de pénibilité (les cadences ont même augmenté pour compenser les frais). Certains doutent qu’elle soit un progrès tant elle semble déshumaniser les ouvriers privés de leur savoir faire et restreint à accomplir les mêmes gestes répétitifs.

L’ouvrier a des conditions de vie précaires avant la deuxième guerre mondiale. Il vit dans des logements sans beaucoup de confort, souvent dans des habitations bon marché (dont plus de la moitié en banlieue parisienne). L’ancienne zone des fortifications de Paris est devenue la zone phare des logements collectifs2. La tuberculose sévit souvent dans ces quartiers.

Le Paris d’alors contraste en trois images, le beau Paris historique et monumental de Notre-Dame à l’Étoile et de Montmartre à Montparnasse fait opposition au Paris de l’Est et à sa proche banlieue (anneau large d’environ dix kilomètres) qui forme une première couronne interne, industrielle et résidentielle. Les lotissements de pavillons à jardinets construits entre 1920 et 1930 sur des lots d’environ 300m2 se multiplient, la surface dépasse celle de Paris (16000 ha).L’urbanisation explosive est stoppée par la réglementation intervenue (loi Sarrault en 1928), la crise et la guerre.

Le Paris populaire (du Xe au XXe arrondissement sauf le XVIe et la moitié sud du XVIIe) s’anime de ses activités industrielles et artisanales. Certains îlots sont insalubres, constitués d’immeubles construits avec des matériaux peu fiables pour une clientèle à faible loyer : le confort est minimum, les appartements petits, parfois mal aérés. 1150000 logements sont antérieurs à la première guerre mondiale avec une ou deux pièces, une cuisine et sans confort. Les ateliers, les petites usines occupent le rez-de-chaussée et les caves. Le parc immobilier est ancien, surtout en son centre. Les bistrots ne manquent pas3. On remarque encore en 1930 les traces de la zone (couronne de fortifications ayant entouré Paris avec chemin de ronde, démolie de 1919 à 1932 dont les derniers occupants sans titre avaient été évincés non sans mal). Aux portes de Paris, on construit les grands immeubles HBM puis HLM en blocs compacts. 40000 logements entre les deux guerres, par exemple à la porte d’Aubervilliers en brique rouge, brun ou ocre.

Vers 1930 la banlieue a alors une image double : une banlieue cossue et une banlieue de la misère, proches l’une de l’autre. Le bidonville est à côté de la résidence fastueuse pour cadres. Courbevoie est alors un exemple avec ses quartiers de la Défense misérable ou du Bécon bourgeois. L’office de la Seine a construit de 1920 à 1939 seize cités-jardins dont les plus importantes sont Suresnes, Chatenay, Drancy, le Pré

1

L’État met en place des lois sociales. En 1932, la loi Landry généralise les allocations familiales payées par un grand nombre de caisses.

2

L’enceinte de Paris dite de Thiers avec ses « fortifs », les lars en argot étaient le lieu à la réputation mal famée : « règlements de comptes à la loyale « entre mecs », monde interlope, filles et protecteurs. Le monde du « milieu » (dont Hôtel du Nord avec Arletty, Jouvet fait souvenir) et de Paname.

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Saint Gervais, Stains et Champigny. Une vraie « mer de pavillons » enveloppe ainsi Paris qui se fond doucement avec sa banlieue quand les logements sociaux s’installent à ses portes.

Les zones industrielles sont rejetées en périphérie, voire à la Villette (XIXe). Les gros établissements se trouvent à Aubervilliers, la Courneuve, Saint-Denis, Saint-Ouen, Asnières, Clichy-Levallois.

La population connaît alors un excédent d’adultes et un déficit de jeunes et de plus de 65 ans. Les jeunes sont plus nombreux au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre de Paris. La natalité est moins importante, tenant compte du travail féminin et de l’exigüité des logements.

L’âge des logements parisiens

 Pratiquement presque tous les bâtiments du centre de Paris (100000) datent d’avant 1915 et pour les autres arrondissements, près d’un million sont pour les 2/3 eux aussi d’avant 1915.

 La banlieue (plus d’un million) 16% seulement datent d’avant 1915. La plupart des constructions se font pendant les deux guerres (afflux d’immigrants).

b) Le monde des femmes

La condition féminine en cette première moitié du XXe siècle a évolué1. Pendant la Grande Guerre, elles ont remplacé les combattants du front, obtenu un emploi pour gagner leur vie et dirigé les familles. En 1921, 8393000 femmes en France ont un emploi. La fin de la guerre a renvoyé un certain dans leur foyer (7756000 travailleuses en 1931). Les femmes ne peuvent prendre leur revanche sur la vie qui pendant quatre ans à exalté la souffrance et l’héroïsme, « les ouvrières, les midinettes

préfèrent à la Madelon les premiers tangos » (Olga Wormser) » mais encore faut-il

avoir un partenaire ? Car les femmes seules sont trop nombreuses par rapport aux hommes.

Privées du droit de vote, les femmes se heurtent à deux refus du Sénat (1932-1935), elles sont encore sous l’autorité absolue du chef de famille jusqu’en 1938 où un recul politique leur permet enfin d’ouvrir un compte, de passer contrat pour ses propres biens, d’avoir une carte d’identité et de se substituer en chef de famille en cas d’empêchement. La femme est donc une « mineure », qualité juridique qui rappelle la définition du pauvre, « une situation subie de dépendance » caractérisée par la privation des moyens de « vote », contraire à sa liberté et à sa dignité personnelle.

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3. Pauvres et petit peuple à l’aune de la crise

La crise des années 1930 brise les avancées que le monde ouvrier a connues depuis la fin de la guerre, il occupe le tiers de la main d’œuvre au travail ; on a de grands ensembles puisque Renault emploie environ 40000 ouvriers, première entreprise d’Europe. La région parisienne attire les excédents de main d’œuvre (le chiffre des naissances est en déclin à la veille de la deuxième guerre mondiale, le chiffre des cercueils – 647000 morts en 1938 – l’emporte sur les berceaux). Le nombre des immigrants augmente à chaque recensement. Ils intègrent la population active ouvrière : 3000 « Africains du Nord » sur 27000 travaillent à Billancourt. Pourtant, la crise fait reculer de 27% la main d’œuvre de Renault en 1936. La vie est rude, les journées longues.

L’exemple de la banlieue de Saint-Denis montre les rues animées dès 6H30, le temps rapide de « casser la croûte » à midi et c’est reparti jusqu’à 17 ou 18H.

Le chômage croît inexorablement : 4000000 en mars 1933, 1200000 en mars 1934 et près de deux millions partiellement en France. Où est la sécurité de l’emploi ? Comment vivre lorsqu’on dépense encore la moitié de son argent en nourriture ?1 Les conditions de travail restent celles de personnes devant obéir sans grande initiative si l’on est à la chaîne, suivre des horaires stricts, en somme des ouvriers à la dignité souvent refoulée. Les évènements du Front Populaire vont mettre en valeur les antagonismes.

Peu d’ouvriers peuvent s’évader un peu de leur terne vie. 5% des ouvriers parisiens du privé ont des congés payés. La grande crise a rattrapé la France et, comme ailleurs, le chômage explose pour l’époque dès 19312 et la liste s’allonge avec les chômeurs partiels, les femmes qui renoncent à un travail impossible à trouver.

Des métiers entiers voient leurs effectifs se contracter (27% chez Renault en 1936) là où on se heurte à la concurrence étrangère.

La misère est telle qu’il faut secourir ces nouveaux pauvres. Un exemple à Saint-Denis : 800 ouvriers en février 1931, 7130 en 1932 et cela pendant plusieurs années. Que faire devant ce marasme ? On utilise le chômage partiel, on licencie, on baisse les salaires et les prix entraînent un niveau de vie encore plus restreint.

La crise a rattrapé la France et surtout la région parisienne (le monde rural dispose d’une plus grande souplesse pour amortir une crise). Paris a attiré les industries de transformation dont l’automobile et les excédents de main d’œuvre se tournent vers elles. Le nombre de migrants augmente à chaque recensement et toutes les populations se côtoient ici3. L’État augmente le nombre des naturalisations (360000 en 1931 – 537000 en 1936) démontrant la capacité de la société à assimiler la diversité de façon raisonnable.

La crise augmente les tensions, le chômage a triplé en un an (400000 contre 1,2 million de mars 1933 à mars 1936) et on sait que deux millions le sont à titre partiel.

1

Dans les familles ouvrières en 1937 il est consacré encore 58% des ressources pour les dépenses incompressibles de la nourriture et du logement. L’ouvrier connaît l’appauvrissement avec les enfants et la pauvreté avec la vieillesse.

2

On compte 860000 chômeurs en France en 1936

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Qui le supporte ? Le Front Populaire nait de la situation intérieure et extérieure dominée par l’ombre du fascisme.

4. Le problème religieux ou « le Christ dans notre cité »

a) les Églises catholique et protestante

Le monde chrétien, catholique et protestant, est-il tourné vers les pauvres ?

Les aléas des affrontements entre l’État et l’Église catholique ont abouti en 1905 à la fin du Concordat et à la loi de séparation des Églises et de l’État. Le véhément conflit pour l’inventaire des biens religieux laisse des traces profondes, la laïcité présente un visage de combat. L’Église catholique perd toutes les richesses qu’elle avait pu reconstituer. Dorénavant, elle est une Église plus pauvre mais plus libre politiquement. Il appartient aux chrétiens de faire vivre leur clergé1. La guerre de 1914 montre que les prêtres savaient être « sac au dos ». Le rapprochement entre les anciens combattants et les courants de pensée agit2.

Le recrutement des nouveaux prêtres s’effectue surtout dans les familles nombreuses (près de la moitié) ; en 1934 on a 5698 séminaristes. Le diocèse de Paris a un prêtre pour 2512 habitants. Le prêtre « sorti de la Grande Guerre retrouve une quotidienneté plus grise, clôturé dans sa sacristie ». Paris et sa banlieue sont des pays de mission avec un peuple différent dans sa plus grande partie. L’Église se doit d’avoir un clergé instruit des préventions des masses si elle veut y changer quelque chose. Toute cette évolution du premier tiers du XXe siècle montre une étape indispensable dans le cheminement des esprits de toute une génération d’hommes et de femmes se refusant à laisser la société comme elle menace d’être, c’est à l’origine de ce qu’on appellera les « cathos de gauche » plus tard.

Toute une série de procédures sont à l’œuvre. Il faut partager la vie des humbles, le Père Bousquet est le premier prêtre ouvrier du foyer d’Ivry ; des prêtres défrichent les âmes des bidonvilles et de l’ancienne zone de Paris ; un exemple est donné par le déroulement de la vie du Père Louis Canet. (1881-1967). Ordonné prêtre en 1905, il est vicaire en banlieue, par exemple à Issy-les-Moulineaux où il fonde un patronage qui a un énorme succès3, il sera ensuite curé de la « banlieue rouge ».

Pour pallier l’absence de lieux de culte (l’appel démographique tout récent de la banlieue est la cause), les chantiers du cardinal Verdier sont aussi un moyen de répondre à l’absence de travail et une trentaine d’églises sortent de terre.

Le monde chrétien essaie de sortir le peuple de la situation car il craint pour le salut des âmes. L’activité religieuse n’est plus dans la sacristie mais, là où est le peuple, l’ouvrier, là où il travaille et peine, au patronage pour enfants, à l’école ou au dispensaire si sa santé est en danger. Il faut montrer à la jeunesse « les valeurs chrétiennes ». Le patronage, le scoutisme montrent la force des Cœurs Vaillants et Ames vaillantes. Les séances de « ciné » captivent les esprits. On cherche la

1

Un prêtre vit d’un aléatoire casuel de 50 francs annuels en 1921, des honoraires de messe et des dons volontaires des fidèles. Cette précarité le met dans une perpétuelle mendicité psychologique.

2

Le clergé paye de 5318 morts à la guerre.

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conquête des non-chrétiens, des « frères », eux qui sont pauvres spirituellement et qui devraient accepter le partage des richesses du trésor chrétien.

Être avec les pauvres est une intuition qui se révèlera profonde et poussée à l’extrême par quelques esprits comme le Père Wrezinski. On ne peut vraiment agir qu’en comprenant et partageant la condition de ceux sur lesquels on se penche, que c’est à des ouvriers de sauver les leurs. La création de la jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) œuvre par une action directe. Elle s’affilie en 1927 à la JOC de l’abbé Cardiyn ; l’abbé Guérin est la figure de proue. Georges Guérin, séminariste à Ivry, a rencontré en 1923 des jeunes ouvriers. Après sa nomination comme vicaire à Clichy, il demande à un jeune aide-comptable de rédiger un tract, inspiré de la JOC belge. Ainsi est née, avec une soixantaine de jeunes, la JOC en France. Il faut réfléchir à ce que l’on vit, à se former et à agir, en partenariat avec les syndicats. Cette méthode de voir, juger et agir devient le fondement des jocistes. Dès 1935, des bureaux de placement sont ouverts pour les chômeurs1.

L’influence du Père Guérin est réelle et les efforts d’évangélisation et d’exemple de vie sont nombreux2 mais il est difficile de faire un bilan. Néanmoins, il se manifeste une volonté de s’adapter aux différents milieux rencontrés.

Beaucoup ont donc voulu être fidèle à la mission de l’Église : « il faut aller à nos

frères, nous sommes riches, ils sont des pauvres, il faut les aider. D’abord les soulager essentiellement, prendre part à leurs soucis, à leurs peines, à les sortir de la misère dans la mesure de nos possibilités… cela c’est le premier travail à faire, il faut être ouvrier avec les ouvriers »3.

Il semble que les résultats de cette évangélisation sont modestes : si 10% des Parisiens fréquentent l’église le dimanche4, il n’y a pas ce pourcentage en banlieue. L’immigration incessante de ruraux transportés à la ville est immédiate dans les effets religieux et le nombre de pratiquants est insignifiant.

b) Les réponses traditionnelles de la société au problème des pauvres

Les évangiles rapportent que Jésus a affirmé qu’il y aurait toujours des pauvres5. Toute société se doit de prendre position sur le problème en essayant d’y parer le mieux possible selon la force de ses convictions.

Qu’en est-t-il dans la région parisienne en 1930 ? Le dépouillement des archives de Courbevoie (alors dans le département de la Seine) permet de se faire une idée :

 un aperçu de la société à Courbevoie (recensement de 1936) :

rue d’Aboukir rue de l’abreuvoir rue A. Bailly rue Armand Silvestre rue de Bécon rue de Cronstadt rue Gambetta Bd Saint Denis Travailleurs ruraux 1 3 0 1 3 1 1 1 1

Voir La Croix du 7 Octobre 2012.

2

Les archives sont déposées aux archives départementales de Nanterre (92).

3

Abbé Mioc, Le Christ dans nos cités, p. 64.

4

(16)

Ouvriers/artisans 88 42 2 127 70 32 157 187 Employés 40 30 22 177 139 70 136 167 Fonction publique, cadres supérieurs 19 15 17 59 71 47 64 89 Commerçants 14 19 4 83 38 19 86 74 Domestiques, employés de maison 6 5 18 28 34 20 18 44 Rentiers, propriétaires, retraités 3 3 21 21 63 54 48 76 Femmes au foyer ou sans profession 24 1 28 134 143 78 158 216 Chômeurs 15 3 6 24 0 29 75 90 --- --- --- --- --- --- --- --- ---% de la population active par rapport

à la population totale 50 63,2 - 69,9 48,3 44 52,2 46 Secteur primaire 0,5 2,5 0 0,2 0 0,4 0,1 0,1 Secteur secondaire 48 35,8 4,3 25,4 32,8 14,6 29,4 28,6 Secteur tertiaire 43 58,9 97 74,3 52,1 85 70,1 71,3 % de chômeurs par rapport à la population 8% 2,5% 8,6% 4,8% 15% 13,3% 14% 13,8%

Moyenne du chômage à Courbevoie : 10,1% en 1936. On rappelle :

o Secteur primaire lié à l’agriculture o Secteur secondaire lié à l’industrie

o Secteur tertiaire lié aux commerces et à l’administration. Que retenir de ces chiffres ?

 L’aspect rural n’existe plus que pour l'anecdote.

 Un contraste sociologique assez net où le monde ouvrier domine certains quartiers de Courbevoie et beaucoup moins celui de Bécon, même s’il y a un mitage de petites entreprises et d’ateliers artisanaux.

(17)

 Le chômage est plus important dans le Courbevoie ouvrier avec des nuances de ci de là.

 Le contraste entre les lieux où le pourcentage des actifs est très supérieur à la moyenne habituelle (autour de 42%), cela va de 69,9% rue Armand Silvestre1 à 42,5 de la rue de Bécon. Les « cols bleus » vont de 48 à 4,3% et les « cols blancs » à l’inverse de 97 à 43%.

 Enfin il suffit de voir le contraste d’alors des modes de la construction des habitations 2 pour comprendre les différences sociales de la ville. La population ne se mélange pas réellement, ensembles riches et quartiers pauvres se côtoient, l’humble quartier de la Défense de l’époque et de Bécon aisé, alors pour les alentours de l’église Saint Pierre-Saint Paul reflètent une cité ouvrière.

Face à la pauvreté, Courbevoie dispose de réponses plus ou moins modestes pour la soulager ; d’autant plus que la vague de paupérisation des années 30 s’installe. Quels sont les moyens de la ville ?

▪ Les hospices

Depuis le XIXe siècle, des Courbevoisiens ont voulu léguer à la commune des biens dont les revenus permettent, espèrent-ils3, de recevoir des personnes âgées et ne pouvant plus subvenir à leurs besoins. Un exemple ? La fondation Segoffin4 laisse deux immeubles et une rente « pour établir soit un hospice communal cantonal soit un asile ou tout autre maison hospitalière ou maison de retraite pour les vieux ouvriers » ; la fondation Balliat est dans le même but. La réunion de ces deux dons pour économiser les frais ne permet qu’une hospitalisation gratuite de huit vieillards (1700 francs de dépense par occupant). Les autres occupants doivent faire des « dons volontaires ».

Au 66 de la rue Armand Silvestre on relève l’hospice du Cayla du nom de la bienfaitrice5. L’hospice, trop petit, serait à agrandir. On en parle mais la crise fait repousser des solutions.

▪ La ville ne dispose pas d’hôpital avant les années 1930. « Marcelin Berthelot » est créé le 8 mars 1931. Le luxe est banni de la construction. Le patient paye 30 francs par jour avec dépôt d’une garantie de 500 francs (c’est déjà beaucoup pour un démuni). Le forfait comprend le lit, la nourriture, les services, les soins et la pharmacie. On recrute deux internes permanents et des médecins consultent à l’hôpital. Le médecin chef est sous les ordres du maire.

1

Bécon avec sa population bourgeoise commençait pratiquement au 93 de la rue ; cela correspond en gros au territoire de la paroisse Saint-Maurice de Bécon.

2

Les bombardements de 1943 ont transformé l’aspect de certains quartiers.

3

Cela supposait un franc-or stable, emporté ensuite par l’inflation.

4

Archives de Courbevoie. La maison principale Segoffin, 94 rue de Bezons est un hospice de vieillards. Le plan du rez-de-chaussée montre que le service de désinfection est continué par le bain des indigents puis le service d’hydrothérapie et la salle de douche.

5

(18)

L’hôpital se fournit auprès des commerçants de Courbevoie pour le pain, la viande (fraîche et de qualité extra), le lait (pur, non écrémé, filtré, pasteurisé et réfrigéré1).

En 1933, l’hôpital a 130 lits (54 en médecine, 48 en chirurgie, 18 en maternité, 3 pour les accidents du travail et 78 lits pour particuliers qui peuvent payer plus). Le 23 juillet 1934 on verse aux médecins en honoraires des sommes payées par diverses caisses d’assurances sociales (nouveauté sociale).

La crise force la municipalité à restreindre le personnel de l’hôpital. Malgré cela il a du succès car il répond à un besoin de base de la population. Le gynécologue accouche 150 parturientes en 1933 et 500 en 1936. Les recettes ne rentrent pas toujours (9809,95 francs impayés en 1937, la somme double l’année suivante). La catastrophe de 1940 entraîne une réorganisation drastique de l’hôpital (3 médecins dont un juif ne sont pas remplacés ; des services sont supprimés, des emplois aussi - octobre/novembre 1940).

La ville connaît l’assistance médicale gratuite (AMG) mais là aussi les sommes portées pour y répondre sont bien modestes. Les assistés pauvres peuvent aussi consulter dans un dispensaire2 comme celui fondé par M. Winburn, le créateur du savon Cadum.

▪ Toutes ces institutions permettent de répondre à une certaine demande permanente du public, il ne semble pas qu’elles soient suffisantes. D’autres œuvres bienfaisantes sont présentes pour subvenir aux cas difficiles mais ce sont des aides ponctuelles ou temporaires.

Les autorités civiles, laïques, peuvent s’appuyer sur le bureau de bienfaisance3. Que peut-il faire ?

En 1932, le bureau accorde des bons de charbon pour l’hiver et réclame un supplément de crédit pour des secours en nature, voire en argent « pour des chômeurs qui ne reçoivent plus l’allocation journalière » (24 novembre). Le bureau peut proposer une pension annuelle à un de ses employés accompagnée d’un secours annuel pour service rendu4

.

Le budget du bureau avoisine plus d’un million de francs (1082708 francs en décembre 1933) ; pour trouver l’argent un contrôleur du droit des pauvres est nommé5. La distribution de boites de lait aux enfants de chômeurs grève le budget (deux boites par enfant de moins de six ans).

Le chômage augmente en 1934. Il faut 20000 francs de plus pour le budget car à la suite de la réduction du fonds de chômage, un grand nombre de bénéficiaires reste à la charge du bureau de bienfaisance (8 juin) et pourtant la durée

1

Pour faire un peu de recettes, l’hôpital vend les eaux grasses et déchets de cuisine, les épluchures ; la tinette : 2 francs, les eaux grasses : 3 francs, les croûtes de pain : 0,75 le kg. Prix en 1933

2

Témoignage d’une Courbevoisienne, 2012

3

Archives de Courbevoie.

4

Le droit à la retraite est à 70 ans quelle que soit la durée des services mais la pension peut être misérable. Une cuisinière reçoit 70 francs par mois (Mai 1933).

5

(19)

maximale de secours sur fonds municipaux au même chômeur est de 180 jours. Il faut des secours immédiats à distribuer. Dix mille francs en plus essaient d’adoucir les fêtes de Noël. En 1935, ce sont des bons de logement qui sont utilisés, on ajoute l’aide en viande en 1936. Les conflits du Front Populaire amplifient le nombre des ouvriers grévistes qui disposent donc de moins de ressources encore : « La ville a ravitaillé les grévistes au moyen de crédits

disponibles du bureau de bienfaisance » (30 juin). Le Ministre de l’Industrie

promet un remboursement aux communes par l’État et le conseil général de la Seine.

Il y en a pour 325000 francs soit en particulier : o 207500 francs pour la viande

o 65000 francs pour le pain o 2000 francs pour le lait

o 2500 francs pour le combustible o 500 francs pour le logement

o 2500 francs en secours immédiat et autres dépenses (bière…)

▪ La ville peut adoucir le sort des familles pauvres par le moyen de prix que des citoyens ont fondés par une donation. Nous ne citerons qu’un seul exemple : un couple âgé tous deux de 39 ans avec trois enfants. Le père, ouvrier spécialisé d’usine est au chômage, la mère ne travaille pas. La fille ainée Yvonne V., 19 ans, employée de mairie, reçoit un tout petit salaire. Néanmoins, elle aide sa mère et subvient aux besoins primaires du ménage. De mentalité irréprochable, Yvonne est récompensée du prix Madiraa (1557 francs).

D’autres exemples pourraient être cités. Ils concernent des familles souvent nombreuses, marquées par la maladie, le chômage, la disparition d’un membre du couple, un logement exigu, voire insalubre. La solidarité familiale est essentielle pour tenir dans l’épreuve.

En sus de toutes les armes de la ville contre cette lèpre de la pauvreté, les œuvres privées, elles aussi, interviennent ; l’exemple du « fourneau économique » qui offre une sorte de soupe populaire aux plus démunis1.

▪ Les préoccupations des chrétiens ne peuvent laisser de côté leurs frères et sœurs, « les pauvres » dans le besoin. Les archives de la paroisse Saint Pierre-Saint Paul de Courbevoie précisent quelques faits :

o les fidèles suivent les chantiers du cardinal Verdier qui perdurent et donnent du travail aux chômeurs. La quête est annuelle (ici en janvier).

1

(20)

o Une homélie attire l’attention sur les pauvres de Courbevoie (« sermon de Charité » en janvier 1935), visités par la Confrérie Saint Vincent de Paul ; régulièrement 3 à 4 quêtes sont faites dans l’année aux portes de l’église. En 1936, les Jocistes demandent de l’aide pour leur permanence de chômage de la région parisienne. Les fidèles de la paroisse sont donc interpellés par les problèmes du temps. Des paroissiens se cotisent pour aider à l’habillement des enfants pour leur première communion. Cette initiative perdure pendant la guerre.

La Croix Rouge n’est pas oubliée non plus. La paroisse Saint Pierre-Saint Paul veut faire preuve de solidarité et de charité même si l’équilibre des finances de l’Église est mis à mal par l’âpreté des temps (le curé le rappelle).

Depuis les années 1930, la France est une lumière qui vacille : la diminution des naissances1, l’antiparlementarisme sévère, le recul de la richesse de la classe moyenne dont le revenu a fondu depuis 19142. Le chômage réel secoue la France ; le spectacle des récoltes détruites devant les affamés ne peut que provoquer la colère des faibles. 1936 arrive, l’État va-t-il apporter un changement dans la société ?

Courbevoie en chiffres au recensement de 1936 58615 habitants

4483 maisons 22393 ménages 53310 Français 3469 étrangers

1790 absents, 554 hôtes de passage 1228 militaires (caserne Charras)

325 en hospices et maisons de retraite (250 Français et 75 étrangers) 283 enfants en pensionnat

1

18,8% en 1913, 7,7% en 1929.

2

(21)

Les laïcs, instrument de l’Église contre la pauvreté

Le pape Pie XI veut une chrétienté moderne donnant au laïcat un rôle spécifique contre la sécularisation : l’Action catholique, la JOC qui veut « voir, juger et agir ». En 1936 celle-ci défend les droits des travailleurs, troublant certains esprits ; en 1937, 100000 travailleurs sont rassemblés au Parc. Les militants se multiplient.

(22)

Chapitre II

:

Quelques éclaircies ou les réponses du Front

Populaire

(1936-1939)

Les difficultés françaises pendant la crise des années 30, l’instabilité politique, l’immobilisme des gouvernements dégradent la situation. Les scandales (rappelons l’affaire Stavisky, le poids des ligues…) déclenchent une vague antiparlementaire. L’émeute du 6 février 1934 où les partis de gauche voient, même si cela s’avère faux, une menace de la droite sur la démocratie, pousse à l’unité de la gauche depuis 1935.

Communistes, socialistes signent un accord en 1936. Les radicaux les rejoignent et les élections donnent la victoire du Front Populaire. Le gouvernement de Léon Blum, formé de socialistes et de radicaux, soutenu par le parti communiste, fait face à l’agitation sociale d’un monde qui souhaiterait être connu et reconnu et qui s’invite dans les évènements.

1. Le petit peuple : un nouveau monde

L’évolution de la société française depuis le XIXe siècle est significative d’un changement de monde - Paris et sa banlieue – sont plus que des témoins mais les meneurs. Un peuple étranger à la tradition française est né déchristianisé et ouvert à de nouvelles idées politiques.

La confrontation des élections des 1936 s’appuie sur les partisans du Front Populaire sur les slogans « donner du pain aux travailleurs, du travail à la jeunesse et la paix au

monde. »1

Toute une série de grèves et d’occupations des usines déferle sur Paris et la province. La formation du gouvernement déchaîne l’enthousiasme populaire, les ouvriers en tête. Le temps semble arrivé pour arracher les concessions les plus grandes au patronat qui pour beaucoup de ses membres ne pardonneront pas la peur vécue ? Les grèves se multiplient, les usines sont occupées, c’est une atteinte (qui semble inadmissible) au droit de propriété. Avec sang froid et dignité, les ouvriers préservent l’outil de production mais cela n’empêche pas les offices du centre national de propagande d’affirmer « si vous

votez pour le Front Populaire, soutenu par Moscou, c’est la guerre » ou « devant la faucille et le marteau, la République crie à l’assassin ».

C’est dans une atmosphère de joie ouvrière2

que le pays avance dans le social : patronat et syndicats arbitrés par le gouvernement signent les accords Matignon des 7 et 8 juin 1936. Les salaires sont augmentés de 7 à 15%, des contrats collectifs de travail sont prévus, la liberté syndicale reconnue, le travail est limité à 40 heures hebdomadaires pour tous et 15 jours de congé payés accordés. C’est le temps de l’évasion. « Pour les travailleurs, c’est l’explosion de joie, enfin voir la mer, la montagne ou tout simplement rendre visite aux vieux parents, retrouver le « pays » quitté parfois dès 14 ans pour être placé ». Mais certaines réactions sont ouvertement hostiles : « Quoi ! les petits ports

1

Tous les coups de force de Hitler se déroulent depuis 1934 et l’année 1936 est fertile en évènements.

2

(23)

bretons envahis, quoi ! les châteaux de la Loire encanaillés, des ouvriers qui osent saucissonner sur la plage ! » Les salopards avec casques vont faire fleurir les guinguettes

à Deauville mais les congés payés sont la plus belle réforme du Front Populaire : « on a

des vacances comme les riches ».

Malgré ces avancées exceptionnelles, le monde ouvrier a du mal à se remettre au travail. Il a rêvé un moment mais « tout n’est pas possible », il faut revenir à une réalité plus grise.

Tout le monde est mécontent, le patronat enrage des accords signés en juin, les communistes reprochent à Léon Blum de ne pas intervenir en Espagne contre les troupes nationalistes du général Franco, Hitler est menaçant (réoccupation armée de la rive gauche du Rhin), les prix montent. Les craintes s’accumulent. Il faut une « pause » pour le gouvernement Blum. En conséquence, les autres réformes sont ajournées.

Le Front Populaire est remplacé. Le retour des modérés à la tête du gouvernement montre que le temps des petits et des pauvres se referme. Les menaces de guerre se précisent et la France n’est pas prête.

Mais l’année 1936 reste dans la mémoire collective. Les conditions de vie des classes modestes ont progressé et si l’on suit la définition du professeur Mollat c’est pour les pauvres une victoire sociale et psychologique même si elle est éphémère. La faiblesse et l’humilité ont pu être surmontées par l’union des ouvriers, leur donnant une force inattendue et une idée de leur importance et de leur pouvoir dans la société. La dignité des employés a fait un pas en avant. Les conditions générales vont rendre vains trop de résultats concrets de cette avancée ! Les prix augmentent, absorbent l’augmentation des salaires. Le retard en équipement est flagrant, les Allemands réarment. Les ouvriers refont des semaines de travail de près de 48 heures. La division des esprits marque la société française1. L’irruption de l’État dans la vie quotidienne s’impose.

Il n’empêche que le mythe des congés payés, des départs en tandem à bicyclette pour d’autres horizons demeure à jamais dans le collectif populaire et s’enrichit de chansons et de films : rêver, s’évader, ce n’est plus pour maintenant.

2. Il faut revenir à une dure réalité

1936 a été une rude épreuve pour un certain nombre d’entreprises, surtout les petites et moyennes dont les prix de revient grimpent de façon inquiétante pour la compétitivité, le gouvernement doit dévaluer la monnaie et par là retire le bienfait de la hausse des salaires.

Les partis du Front Populaire au pouvoir sont divisés sur la façon de gouverner : les radicaux veulent un progrès social sans remettre en question les formes traditionnelles de régler les problèmes, contrairement aux désirs collectifs des communistes.

Le monde des travailleurs parisiens présente alors un visage cosmopolite :

 Le flux des immigrants ne cesse pas vraiment, il est plus ralenti à la veille de la guerre2. Les naturalisations atténuent l’origine des étrangers pour rejoindre le grand fleuve français de l’intégration : un prix Goncourt, Roger Ikor évoque ce phénomène dans un beau livre,

1

Voir la chanson de Maurice Chevalier : « d’excellents Français, d’excellents soldats… »

2

(24)

les Eaux mêlées en 1957. Une maman explique à son fils l’origine juive de la famille : « les parents de papa étaient étrangers – c’est pour cela que grand-mère cause mal le

français ? Ah bon... le fils était fier de son nom à cause des consonnes rares… il se sentait exceptionnel. Son père lui se sentait de plus en plus comme tout le monde. Mais le grand-père « vaticinait en branlant la tête à propos de Hitler, des antisémites, des fascistes, prophétisant cataclysme et catastrophes. » Cette famille ne voulait qu’être française.  Le monde ouvrier perd de son enthousiasme. Le syndicalisme est en baisse spectaculaire.

La CGT passe de cinq millions d’adhérents à un million à la veille de la guerre. Le monde ouvrier a une « aristocratie », celle des OS ou ouvriers spécialisés qui se distinguent des manœuvres1. Malgré cela, une certaine unité le fédère : les mœurs sont les mêmes, la fierté est grande de pouvoir endurer une vie pleine de pénibilité, de montrer sa virilité et sa solidarité (les ouvrières font preuve évidemment de qualités comparables). L’influence communiste est notoire dans le monde. Le parti a fondé des cellules d’entreprise, recrute des cadres mais son ralliement à Moscou lui pose des problèmes en 1939 avec le pacte germano-soviétique. S’appuyant sur la CGT unifiée depuis les évènements précédant le Front Populaire, le parti est fort dans la banlieue rouge et même surreprésenté à Bobigny ou Montreuil. …

Pour combattre la bourgeoisie2, « rien ne vaut d’être instruit comme elle ». Il faut aider les loisirs3, les cinémas, les bibliothèques qui sont des relais pour les humbles. Dans une grève à Courbevoie on met, en sus des revendications de travail et de salaire, un programme d’apprentissage et une ... cafeteria.

La CGT et le PCF veulent être les représentants légitimes de ce monde ouvrier dont la région parisienne est l’exemple type.

Thorez et Frachon sont les héraults de l’époque mais ils doivent modérer l’ardeur de leurs sympathisants. Chez Renault, dans la région parisienne, il y a encore de nombreux conflits jusqu’en octobre 1936, après la signature des accords Matignon, motivés par exemple par les accidents du travail dans les grandes branches de l’industrie (bâtiment, aéronautique). Le 31 décembre 1936, il est stipulé qu’en cas de désaccord, la conciliation et l’arbitrage deviennent obligatoires.

La rivalité politique entre le PCF et la SFIO se fait sentir, les cellules communistes sont concurrencées par les amicales socialistes d’entreprise qui ne leur font pas de cadeau.

La production industrielle est de plus en plus mécanisée et la recherche de la productivité provoque un rejet de la part des ouvriers à plus de cadences, moins d’ouvriers sur les machines (et plus spécialisés). La réaction ouvrière est dans la grève mais elle ne peut aller qu’à l’échec, la discipline industrielle l’emporte et la méfiance s’installe de part et d’autre, des autorités patronales et du monde ouvrier. La IIIème République regarde avec hostilité le monde des petits, agité et dangereux. Par ailleurs la montée des périls en l’été 1939 pousse à réparer le retard pris sur l’Allemagne, les journées de travail s’envolent jusqu’à 60 heures hebdomadaires.

Le paroxysme est atteint en août 1939 : après l’Autriche, la Tchécoslovaquie, Hitler lorgne sur la Pologne. Le pacte germano-soviétique bouleverse la situation. Le PCF devient pour les autorités françaises l’ennemi du genre humain. Le déchaînement de l’opinion s’appuie

1

Monter dans l’échelle sociale est une préoccupation ; les municipalités vont comprendre l’importance de donner aux ouvriers un enseignement théorique et pratique. L’école des métiers de Courbevoie « prépare à de bons ouvriers ».

2

Symbolisant le puissant dans le couple « puissant-humble ».

3

(25)

sur le patriotisme car la neutralité de l’URSS est un coup de poignard pour l’Occident. La guerre est rejetée vers l’Ouest par Staline. PCF, CGT entraînent le monde ouvrier dans la défiance. C’est la déstabilisation pour lui et la rigueur sociale puis policière pour les étrangers vivant en France. Italiens, Allemands, Espagnols sont entraînés dans les conséquences du conflit ouvert avec les pays nazis ou fascistes.

En bref bilan à la sortie du Front Populaire, on peut noter que les mesures prises concernant les employés, plutôt le milieu urbain que rural, avant tout les travailleurs et les personnes âgées sont appelées à n’être « rien » : ne pas avoir d’argent est une condamnation à dépendre de la charité et de l’aide municipale pour apporter un peu de réconfort. La législation sociale de l’État débute mais le filet de protection pour vivre au minimum n’est pas encore acquis, loin de là. Le droit des petits, les travailleurs avec les 40 heures et les congés payés a avancé de façon significative, de même que le droit syndical. Mais si l’on tombe malade ?.... Il faut rester en bonne santé si l’on veut vivre.

Les évènements ont un peu structuré le monde du travail. L’industrie moderne a renforcé une union des masses laborieuses se regroupant de plus en plus dans des quartiers et des banlieues de la ceinture de Paris. Un vivier d’idées communistes est là, éloigné de la religion chrétienne que l’Église décide d’affronter. Elle fait construire des églises nouvelles avec les chantiers du Cardinal1. L’Église souhaite récupérer des fidèles.

Le travail est devenu de plus en plus musclé pour les ouvriers d’usines, les cadences sont lourdes et il n’est pas possible de rompre la chaîne2. Les études permettent de sortir de la condition précaire de manœuvre (la scolarité est améliorée par le Front Populaire). Vieillards et immigrés sont les grands oubliés.

Dans ces temps difficiles où la peur domine (hantise de la faim et du froid pour les ouvriers avec la menace du chômage, peur du bouleversement social pour le patronat : l’URSS et sa révolution sont un exemple). On trouve quand même dans la famille structurée un refuge pour tous les groupes de la société avec des façons de vivre qui s’uniformisent. La guerre va tout brouiller.

La grève de la joie

« Une joie pure, une joie sans mélange. Joie de pénétrer dans l’usine avec

l’autorisation souriante d’un ouvrier qui garde la porte. Joie de parcourir librement ces ateliers où l’on était rivé sur la machine… Joie de passer devant les chefs la tête haute. Bien sûr cette vie si dure recommencera dans parfois quelques jours mais on n’y pense pas »

S. Weil 10 juin 1936

1

Nous pouvons citer par exemple pour Paris : l’église du Saint-Esprit bénite en 1935 (12e arrondissement) ou l’église Sainte Hélène (18e) construite en 1933 ou l’église du Cœur Eucharistique de Jésus (20e) entre 1936 et 1938, voire l’église Sainte Gabrielle terminée en 1937. L’église Saint Jean Bosco (20e) entre 1933 et 1937 et confiée aux prêtres salésiens qui enseignent auprès des plus démunis. Enfin l’église N-D des otages de l’architecte Julien Barbier et terminée en 1938. Toutes ces églises sont construites dans des quartiers populaires.

2

(26)

Chapitre III :

Orages sur la France

ou la dure réalité de la guerre

1939-1940

Le cauchemar recommence après vingt ans de répit ; la fragilité des relations internationales est apparue à beaucoup d’esprits avertis, la « faillite de la paix » : « dans

un tumulte de convulsion, toutes sortes d’éboulements font suite au meurtrier tremblement de terre de 1914 avec un perpétuel branlebas » (M. Baumont). On a partout

une sensation de provisoire, rien n’est achevé et cette terrible incertitude est un facteur important d’explosion de la pauvreté et amenant les conditions idéales pour déstabiliser les catégories les plus humbles de la société. La guerre mondiale est le premier éclair de l’orage planant au dessus du siècle.

De 1936 à 1939 la guerre a menacé de façon obsédante une Europe de plus en plus haletante, vivant de l’angoisse et travaillant à s’y préparer plus ou moins. Il semble que les souffrances, les dégâts de toutes sortes qui avaient conduit trop de gens à tout perdre et à se jeter dans la paupérisation n’avaient pas suffi.

La crise économique a frappé les petits de la classe moyenne. Les réponses apportées par l’Etat ont conduit à prendre une place de plus en plus décisive dans l’économie et le déroulement de la vie quotidienne.

La guerre est là, elle multiplie le nombre des pauvres et leur détresse.

1. De la drôle de guerre à l’écroulement

(septembre 1939-10 mai 1940)

La France de 1939 est désemparée. Elle a une population stagnante, celle d’un pays de vieux. Il manque 300000 nouveaux nés en 1938 par rapport à 1901. Son économie stagne et semble en déclin par rapport à d’autres puissances. La France est minée par la peur de la guerre, elle se ressent d’être un pays amoindri, plus pauvre1, plus accroché à sauvegarder la paix (refus d’aider les républicains espagnols en 1936, soulagement devant la Conférence de Munich). La France est travaillée par la peur sociale d’un déferlement à gauche du communisme2. Par ailleurs, le pacifisme parcourt tous les rangs de la société, tant à gauche (à la SFIO et à la CGT) qu’à droite. En 1939, la France est « un cadavre vivant » a-t-on parfois dit.

L’Allemagne et l’Italie multiplient les initiatives menant à la guerre : affaires d’Autriche, d’Éthiopie, d’Espagne puis de Tchécoslovaquie. L’humiliation est complète pour l’Angleterre et la France à la conférence de Munich (septembre 1938).

L’Allemagne songe maintenant à détruire la Pologne. L’Angleterre et la France ne peuvent plus reculer et apportent leur soutien aux Polonais.

1

Le niveau moyen a baissé de 17% entre 1929et 1938. C’est la paupérisation.

2

(27)

Le pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août stupéfie le monde1. L’invasion allemande de la Pologne entraîne le 3 septembre 1939 l’entrée en guerre de l’Angleterre et de la France.

La mobilisation est générale. Tandis que la lointaine Pologne est écrasée en trois semaines par les Allemands, une étrange guerre commence sur le front occidental, où l’on relève dans les communiqués officiels les propos de « nuit calme » ou « rien à signaler ». C’est « la drôle de guerre », cette situation perdure jusqu’au 10 mai 1940 lorsque l’armée allemande fait sa grande offensive à l’Ouest et déjoue toutes les attentes françaises en se ruant sur les Ardennes. Le front est rompu, l’armée coupée en deux, c’est le désastre. La débâcle militaire commence, Paris est en vue. Nous ne citerons que quelques faits de cette débandade.

1940 10

mai

Début de l’attaque allemande. Le front est disloqué. Ruée des blindés. Déluge de feu

16 mai

Pétain nommé vice-président du conseil de Paul Reynaud

19 mai

Weygand remplace Gamelin comme commandant en chef

fin mai

Rembarquement anglo-français à Dunkerque

5 juin 11 juin

De Gaulle sous-secrétaire d’Etat à la guerre

Repliement du gouvernement sur Tours; la déroute française est scellée

14 juin

Les Allemands entrent dans Paris

16 juin

Reynaud démissionne. Pétain au pouvoir

17 juin « arrêter le combat » 18 juin Appel de De Gaulle 22 juin

Armistice signée à Rethondes

10 juille t

Pétain a les pleins pouvoirs. Vichy commence.

1

(28)

2. L’exode et « l’étrange défaite » (M. Bloch)

L’effondrement de la France, le désastre de 1940 sont parmi les heures les plus sombres de notre histoire. Nous laisserons de côté l’aspect militaire de cet écroulement pour nous pencher plutôt sur le sort des malheureux pris dans la tragédie. Son déroulement montre en partie les strates de la société française, parisienne aussi évidemment. Les heures noires passées vont d’ailleurs paradoxalement plutôt rapprocher les diverses couches, troupeau lamentable de pauvres hères. C’est sur ce phénomène que nous devons porter l’attention.

L’attaque fulgurante allemande stupéfie et tétanise de peur les populations qui ne trouvent qu’un remède à la situation : fuir et non résister.

Dès le 11 juin, c’est la folle journée d’exode à Paris et à sa périphérie sud: déjà les réfugiés du Nord de la France se mêlent aux parisiens et c’est une pauvre théorie inimaginable de gens de toutes conditions, mais ce n’est pas tout à fait le même voyage selon que l’on est puissant ou misérable : « Il y avait deux dames dans une luxueuse

limousine, une vieille et une jeune qui tenaient sur leurs genoux un perroquet dans une cage et un chat angora, mais il pouvait y avoir aussi comme moyen de transport – chariots attelés de bœufs, tracteurs, mulet dos chargé, autobus, voitures d’enfants, corbillards, charrette à bras, bicyclette et des files interminables de piétons ».1

Paris est déclaré « ville ouverte ». Les quartiers riches de Paris, à l’Ouest, se vident de leurs habitants davantage que les arrondissements populaires. Certains ont des lieux de refuge. D’autres, non. La majeure partie de la population a fui : il ne reste que 700000 habitants sur 3 millions.

La débâcle fait voler en éclat toutes les administrations civiles et militaires, pousse spontanément les gens sur les routes, fait fuir les agents de l’État ; le téléphone, les canalisations d’eau, de gaz et d’électricité sont souvent coupés. Le pillage est général. La France semble comme incapable de se guider elle-même. Serait-elle tombée si bas qu’il lui faudrait une autorité protectrice2 ? Certains le pensent. Le maréchal Pétain s’impose comme protecteur de la France. Il dit partager la souffrance de ceux qui fuient sur les routes3. Il constate que « priver la France de ses défenseurs naturels c’est tuer l’âme de

la France, rendre impossible sa renaissance ». Il considère l’armistice comme inévitable.

Le régime de Vichy mis en place s’évertuera, appliquant son programme de « Révolution nationale », à restaurer ce qu’il définit comme les valeurs traditionnelles de la France dont l’abandon aurait conduit la France à son déclin4. Mais quelle peut être la place des pauvres ?

Le spectacle de cette société en décomposition est poignant. Les troupes françaises se heurtent à ces flots de réfugiés aux yeux hagards, proie des bombardiers en piqué qui lâchent leurs bombes, mitraillent, accompagnés par le hurlement de leurs sirènes. L’armée est submergée dans l’ensemble même si certains îlots français d’existence

1

Témoignage de Vassili Soukholmine, cité dans J.-P. COINTET, Paris 40-44, Paris, Perrin, 2001, p. 23.

2

C’est la définition de la pauvreté : l’incapacité de se relever.

3

« Je pense aux malheureux réfugiés, qui dans un dénuement extrême sillonnent les routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude ».

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