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Du nouveau sur Burdigala : les hommages à la famille julio-claudienne

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Milagros Navarro Caballero

To cite this version:

Milagros Navarro Caballero. Du nouveau sur Burdigala : les hommages à la famille julio-claudienne.

Bouet, Alain. D’Orient et d’Occident. Mélanges offerts à Pierre Aupert, pp.197-229, 2008.

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(2)

Milagros N

avarro

C

aballero

– D’Orient et d’Occident, p. 197 à 229

C

et article se propose de faire le point sur une découverte majeure de l’archéologie borde-laise 1 qui, à la suite de circonstances que

je tenterai d’expliquer, est presque ignorée de la recherche actuelle. Il s’agit d’une série d’hommages à la famille im-périale julio-claudienne, trouvée sur le mont Judaïque à la fin du xvie siècle. Le caractère exceptionnel de la trouvaille

réside dans le fait que tous les éléments qui composent les monuments honorifiques y étaient représentés : d’une part, deux plaques épigraphiques presque complètes, porteuses de dédicaces à Drusus III et à l’empereur Claude, ainsi qu’un petit fragment d’une troisième, qui devaient occuper la face frontale des piédestaux ; d’autre part, trois statues iconiques (deux togati et une femme, très vite identifiée, probablement à tort, comme Messaline), qui étaient érigées sur ces bases. Si la plupart des autres éléments de cet en-semble ont disparu, deux togati plus grands que nature, ex-posés aujourd’hui dans la salle “La ville à l’époque romaine” du Musée d’Aquitaine, illustrent encore un pan d’histoire de l’ancienne Burdigala 2, mais aussi une complexe affaire

bordelaise qui se déroule à la fin du xvie et tout au long

du xviie siècle.

Pour donner à cette découverte toute la place qui doit être la sienne dans l’histoire de Burdigala, des Bituriges Vivisques et de l’Aquitaine, il est donc nécessaire de procéder à l’analyse critique des éléments qui composaient la série de ces monuments honorifiques. En outre, la compréhension

. J’ai découvert le dossier qui suit grâce à ma participation à la publication de l’épigraphie des Bituriges Vivisques dans la série

ILA. Pour cela, je voudrais remercier tout d’abord L. Maurin, qui m’a fait l’honneur de m’associer à cette entreprise. Le développement d’un dossier complexe comme celui-ci m’a demandé des compétences dans des domaines très divers pour lesquels j’ai fait appel au conseil et à l’aide des nombreux collègues. Je voudrais donc remercier D. Barraud, J.-P. Bost, Fr. Boutoulle, É. Jean-Courret, L. Maurin, T. Nogales, C. Petit-Aupert, P. Regaldo, I. Rodà et A. Zieglé, ainsi que le Musée d’Aquitaine, le Service Régional de l’Archéologie et les Archives municipales. Évidemment, je suis la seule responsable des thèses présentées et des erreurs commises.

2. La plupart des auteurs semblent ignorer la conservation de deux togati jusqu’à nos jours, bien que leur appartenance au groupe découvert sur le mont Judaïque ne fasse aucun doute, comme on le montrera plus loin.

de cet ensemble va de pair avec l’étude du bâtiment ou du lieu public où bases et statues étaient exposées, ce qui nous entraîne à revenir sur l’histoire et l’urbanisme de la capitale antique. La présence d’un tel ensemble au début de l’Empire dans le chef-lieu des Bituriges Vivisques n’a en effet pas été évaluée à sa juste mesure. Or, elle n’est pas sans conséquence pour l’histoire de la cité, voire pour celle de la province d’Aquitaine. Au-delà de l’aspect local, il faut donc situer l’érection des statues dans le contexte politique et idéologique du début de l’Empire romain.

Mais, auparavant, il faut répondre à une question : comment une telle découverte est-elle presque passée sous silence, malgré les nombreuses notices données par les anciens érudits bordelais ? Mon analyse doit donc commen-cer par l’histoire de la découverte et de la conservation de ces portraits et inscriptions, ce qui nous plonge dans l’histoire de Bordeaux (Gironde), de la Renaissance à nos jours.

C’est cette redécouverte que j’ai le plaisir de proposer dans le cadre de l’hommage à Pierre Aupert, espérant que ce grand connaisseur de l’architecture romaine en Gaule et en Grèce appréciera un dossier dans lequel l’épigraphie, l’iconographie, l’idéologie et la politique se mêlent intimement à la parure monumentale de Burdigala.

1. L

a

découverte

.. Gabriel de Lurbe

Pour savoir comment l’événement est passé presque inaperçu de la recherche actuelle, il faut revisiter les sources bordelaises relatives à la découverte de cette série de portraits impériaux. Et avant tout les Chroniques

Bourdeloises de G. de Lurbe 3 (? - 69), avocat à la cour de

Bordeaux, devenu en 572 procureur syndic de la Jurade et anobli en 589. Il a laissé la charge de la Jurade à son

3. On a conservé dans les Archives historiques du département de la Gironde quelques documents relatifs à son activité professionnelle : AHG, t. 7, 877, n° XLVI, 246 (document sans titre sur une dette de fermage, daté de 588) ; AHG, t. 46, 9, F° LXXXXII r°, 30, “Prêt fait aux jurats par Mme. de Carde, à qui s’est substitué d’Olive”, daté du 25 mars 593.

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fils, Isaac de Lurbe en 594, année qui est précisément celle de la découverte des hommages impériaux. Très cultivé, mais surtout passionné par la ville qu’il servait, il a écrit, entre autres, avec les Chroniques Bourdeloises, la première histoire de la capitale de la Gironde : il y raconte de façon chronologique les événements importants de Bordeaux 4. À

la suite de la découverte, il publia un petit fascicule intitulé

Discours sur les antiquitéz trouvées près le prieuré S. Martin en juillet 1594. Ce livret fut édité avec les Chroniques

Bourdeloises dès l’édition française de 594-595 5.

.2. Le contexte de la découverte

Sous la rubrique correspondant à l’année 594, G. de Lurbe écrit 6 : “le vingt-uniesme Juillet au dit an

furent trouvées dans un champ hors la ville près le prieuré Saint-Martin, le long de la Divise, trois grandes statues de marbre blanc, avec quelques inscriptions latines, et autres antiquités, comme il appert amplement par le discours sur ce fait, cy-après inséré”. Il raconte ensuite que les Jurats ont fait placer les statues et les inscriptions dans des niches à l’intérieur de l’Hôtel de Ville, avec les armes du roi et de la ville. Une inscription en latin, divisée en deux parties, située au-dessous de l’ensemble, commémorait le geste des Jurats, parmi lesquels figure G. de Lurbe, avocat, pour la plus grande gloire de Bordeaux. Dans le discours, imprimé en seconde partie de ses Chroniques en français, celui-ci décrit plus précisément le contexte de la découverte : “Le sieur de Donzeau, lieutenant particulier en la seneschaussée de Guyenne, faisant parmy des vieilles masures et murailles en un champ à luy appartenant hors la ville près le prieuré S. Martin, tirer de la pierre pour employer en bastiment, les manœuvres qu’il y avoit commis auroient le 2 dudit mois en bechant la terre trouvé dans icelle trois pieds [ m environ] ou environ de profondeur deux grandes statues de marbre blanc” 7. Les travaux ont continué : “et le 24. dudit

mois auroient trouvé une autre statue d’homme de pareille estoffe et grandeur, sans teste & bras”. La découverte des

4. L’édition de 590 est en latin. La chronique commence par Jules César et se poursuit, à partir d’un moment, année par année.

5. La première partie, les Chroniques Bourdeloises portent la date de 594 ; la seconde partie, le discours, celle de 595 (rappelons cependant qu’il s’agit de la deuxième édition ; G. de Lurbe avait publié la première en latin, intitulé Burdigalensium rerum chronicon, à Bordeaux en 590). Cette édition a été suivie d’éditions posthumes, complétées par différents auteurs bordelais. Dans l’édition de 69, la première partie, signée par G. de Lurbe, est datée de 69 et le

Supplément des Chroniques de la Noble Ville & Cité de Bourdeaus de Darnal en 620, ajoute les années 595-69. Une quatrième édition voit le jour en 672, dans laquelle un auteur inconnu, que l’on pense être Jean de Ponthelier, rédige les années 620-67 ; la cinquième et dernière version paraît en 703 sous la responsabilité de M. Tillet, qui a rédigé les rubriques correspondant aux années 692 à 70.

6. de Lurbe 594-595, f. 37 v° ; 69-620, 52 v° et 53 r°. 7. Id. 69-620, 6 r°.

inscriptions a eu lieu dans cette même journée 8. Il ajoutera

que la Devèze passait au pied de l’endroit 9 situé en dehors

de la ville et il rappelle en plusieurs occasions que c’était au sommet du mont Judaïque. Nous connaissons aussi, grâce à lui, l’identité de l’auteur de la découverte, M. Donzeau, lieutenant particulier en la seneschaussée de Guyenne 0.

.3. L’endroit de la découverte

On peut également situer avec beaucoup de certitude l’endroit de la découverte : à côté du prieuré Saint-Martin, plus exactement entre celui-ci et la Devèze, à cent pas de la ville environ . Le lieu était vide de bâtiments, mais les pierres

qui y affleuraient semblaient être suffisamment nombreuses pour que l’endroit soit utilisé comme carrière pour d’autres édifices. Les recherches topographiques effectuées sur la ville de Bordeaux, notamment celles d’É. Jean-Courret 2,

permettent de situer le prieuré de Saint-Martin, aujourd’hui disparu, à l’angle sud-est du carrefour des rues du Château-d’Eau et Judaïque 3, sous l’actuel bâtiment de la Lyonnaise des Eaux. La découverte eut donc lieu à l’est du prieuré, à l’angle de la rue du Château-d’Eau et de la rue George Bonnac.

.4. Les objets découverts

Il faut encore faire le point sur tout ce que G. de Lurbe dit avoir été exhumé sur le mont Judaïque car, à côté des trois grandes statues plus grandes que nature, on aurait mis au jour de petits fragments d’autres sculptures 4, ainsi que

“plusieurs inscriptions latines à pièces rapportées” 5,

c’est-à-dire composées de plusieurs fragments, dont les deux principales, bien que fragmentaires, mesuraient deux pieds

8. Id. 69-620, 6 r° : “avec nombre de pièces de marbre bien poly, contenant plusieurs inscriptions Latines”.

9. “la commodité du ruisseau de la Divise”, de Lurbe 69-620, 63.

0. On sait par ailleurs que son nom complet était Martin Donzeau et Cruzeau (parfois écrit Douzeau) et son métier était le même que celui de Gabriel de Lurbe, avocat, car on a retrouvé son nom dans plusieurs documents des Archives historiques du département de la Gironde : AHG, t. 0, 868, 29-292 “Esporle pour les Piliers du Tutèle, Archives impériales : J. 45. Communiqué par M. Jules Delpit” ;

AHG, t. 35, 900, n° LXXIII, p. 23 “vente d’un domaine royal”, daté de 594 ; AHG, t. 46, 9, n° II, 30, “Décharge de tuteur”, daté de 597.

. “En l’an 594 l’on trouva à cent pas de la ville de Bourdeaus, & no guieres loin de la porte Dijos (qui retient encores le nom du Dieu Iuppiter qui estoit adoré pres de là) & soubs quelques vieilles ruïnes trois grandes Statuës Romaines de marbre blanc couchées à la renverse & enterrées trois pieds en terre” (d’Arrérac 625b, 227).

2. Auteur d’une thèse de doctorat encore inédite. Je tiens à le remercier de toute l’aide qu’il m’a prêtée pour localiser la découverte.

3. Drouyn 874, 349.

4. “On aurait aussi trouvé plusieurs pieces des bras, iambes & pieds desdites statues & d’autres” (de Lurbe 69-620, 6 r°).

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de largeur, c’est-à-dire environ 0,65 m, et plus encore de longueur.

Je reviendrai, dans la troisième partie, sur le type des piédestaux qui servaient de supports aux statues et sur lesquels les plaques avaient été apposées. G. de Lurbe ajoute de petits fragments de marbre inscrits qui ne pouvaient être reliés aux précédentes inscriptions 6, mais il

s’est surtout intéressé aux deux grandes plaques. Il dit avoir enquêté et pris “advis des gens doctes” 7 et conclut que

l’ensemble datait clairement du règne de Claude 8. Il essaie

de comprendre qui était le dédicataire du premier texte, et propose Drusus l’Ancien, père de l’empereur Claude, ou Drusus le Jeune, fils de Tibère 9, attribution qui ne manque

pas de perspicacité, bien qu’elle soit erronée, puisqu’il s’agit en réalité de Drusus III, deuxième fils de Germanicus et frère de Caligula 20. Mais sa lecture de la seconde inscription, une

dédicace à l’empereur Claude, est tout à fait correcte. Les inscriptions et les statues étaient accompagnées de fragments de céramiques (que G. de Lurbe décrit comme des morceaux issus d’un sol en mosaïque 2), de

restes de plomb 22 et de plusieurs monnaies de Claude, “de

Messaline” 23, de Domitien, des Antonins, de Gordien, de

Victorin, de Constantin et de Licinius 24.

.5. Les interprétations de G. de Lurbe

G. de Lurbe propose deux interprétations du monument où devaient être exposés les piédestaux et les statues : un temple ou des thermes. Les éléments qui lui font proposer la première hypothèse sont les suivants : il considère que la présence de mosaïque est typique de

6. “il s’est trouvé d’autres petits lopins de marbre, où il y avoit des lettres Romaines, lesquels ne se pouvoient joindre en façon quelconque” (de Lurbe 69-620, f. 6).

7. de Lurbe 69-620, 62 r°.

8. Ibidem : “il appert assez clairement les dictes statues & inscriptions avoir esté faictes du temps de Claudius Empereur Romain, il se trouve rarement en aucun lieu de plus anciennes marques de l’antiquité, ce qui les rend outre la perfection d’icelles beaucoup plus recommandables”.

9. Je ne résiste pas au plaisir érudit de reproduire les propositions de G. de Lurbe, pour remarquer surtout ces petites erreurs dans la rédaction latine. DRVSO CAESA.FR. GERMA / NICI. CAESA.F. TIBERII / AVG.N.DIVI AVGVSTALI / PRAEF.VRBIS SODALI AV / GVSTALI. Il a cependant l’honnêteté de remarquer qu’aucun des deux Drusus qu’il connaît ont été praefectus urbis (de Lurbe 69-620, 62 r° et v°).

20. Voir infra, commentaire épigraphique.

2. “grande quantité de petites pieces de terre cuite de diverses couleurs” (de Lurbe 69-620, 6 r°) ; d’Arrérac dit exactement que les tesselles étaient blanches et noires (625a, 5 ; 625b, 230).

22. “des lopins de plomb fondu” (de Lurbe 69-620, 6 r°).

23. Plutôt qu’aux rarissimes didrachmes de Messaline frappés à Césarée de Cappadoce, on pensera à quelque légende mal lue au nom d’une Agrippine.

24. On sait par ailleurs que les Jurats ont fait collection de ces monnaies.

temples 25, mais il part également d’une raison étymologique

communément acceptée à cette époque, à savoir que la porte Dijeaux voisine avait hérité son nom d’un temple à Jupiter dies Iouis 26, comme l’avait écrit É. Vinet. Quant aux

thermes, ils se justifient par le voisinage de la Devèze qui coule au pied du lieu de la découverte 27 et par la présence

de portiques, qu’il considère comme typiques de thermes et où l’on pouvait exposer des statues. Je reviendrai plus tard sur cette description, qui donne une partie de la clef de l’interprétation du monument, mais je tiens à signaler que la première interprétation que propose G. de Lurbe n’a guère été retenue par les chercheurs postérieurs.

.6. Le contexte bordelais au moment

de la découverte

G. de Lurbe raconte dans ses Chroniques (rubrique de l’année 594) 28 et dans son discours annexe, que le

maire et les jurats ont vite pris conscience de l’importance de la découverte, car elle représentait l’Antiquité et la grandeur de la cité bordelaise. Ils ont donc fait transporter les statues et les inscriptions à l’Hôtel de Ville 29 où elles

ont été disposées “en la forme & estat qu’elles auroient esté

25. “Ioint que les ouvrages de Musayque n’estoient communement employez que és Temples & lieux sacrez, ainsi qu’il se void par ceux qui restent pour le jourd’huy en la Chrestienté” (de Lurbe 69-620, 63 r°) [G. de Lurbe semble confondre les temples d’époque classique avec les basiliques paléochrétiennes].

26. “Si les coniectures ont lieu, une seule consideration peut faire iuger que c’estoit un Temple consacré a Iupiter, de tãt que la porte de ladite Ville, qui est dans un coing de l’ancienne Ville, & par laquelle on fot pour aller à la dite terre, où lesdites antiquitez ont esté trouvées, qui n’est que à trois cens pas ou environ de ladite porte, a toustours & de toute ancienneté retenu le nom de la porte Dijeaux ou Dijos, qui est autant en Latin que porta Iouis” (de Lurbe 69-620, 62 v°).

27. “Il n’est pas toutesfois mal à propos de penser que ce soient les ruines des estuves ou baings bastis par les Romains commandans en la Guyene, tant pour la commodité du ruisseau de la Diuise qui coule au pied de ladicte terre, que pour avoir esté le bastiment divisé comme en cellules avec des longiers de muraille en forme de portiques, comme tesmoignent aussi les vieilles mazures des bains qu’on trouva l’an 557 au haut de ladite terre, en relevant le boulevard de la susdicte porte Dijeaux. Ioint que communement les anciens Romains accompagnoient leurs thermes & baings de gymnases, tant pour l’exercice du corps, que de l’esprit, avec des portiques & galeries spacieuses, dans lesquels estoient posées les statues des grands & illustres hommes, & mesmes de ceux qui avoient acquies le souverain honneur en ces exercitations & disciplenes” (de Lurbe 69-620, 63 r°).

28. de Lurbe 594-595, in-40.

29. “De façon que le tout ayant esté recueilly avec grand soing & curiosité par Messieurs les Maire & Iurats Gouverneurs de la Ville, & porté en l’hostel d’icelle, ayans iugé que la garde de telles pieces leur appartenoit plustost, qu’à un particulier, ils auroient en memoire de l ‘antitiqué & grandeur de ceste dicte Ville faict dresser lesdictes statues en lieu eminent avec lesdicts inscriptions en la forme & estat qu’elles auroient esté trouvées ” (de Lurbe 69-620, p. 6 v° -62 r°). Rappelons que, à l’époque, l’Hôtel de Ville était situé entre la place de la Ferme-de-Richemont, le cours Victor-Hugo, les rues de Guyenne et Saint-James (IRB, II, 339).

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trouvées” 30. Le premier historien de la ville de Bordeaux

prit une part importante dans l’affaire, qui fut commémorée par une inscription sur deux plaques scellées 3 dans la

partie inférieure d’un monument disposé dans la cour de la mairie avec les statues et les inscriptions romaines (voir sa description infra).

Cet intérêt de la Jurade pour le patrimoine antique correspond à un moment de grande activité culturelle à Bordeaux 32. L’Humanisme, malgré les Guerres de Religion,

avait fleuri dans la ville avec une série remarquable d’intellectuels, poètes, historiens et juristes, dont beaucoup siégeaient au Parlement 33. Parmi eux, Florimond de

Raymond, grand défenseur du patrimoine, qui possédait une importante collection dans sa maison bordelaise. Dans cette ambiance d’émulation culturelle, la Jurade, elle aussi, se fit protectrice des arts et du patrimoine 34, avec des figures

moins brillantes, comme G. de Lurbe et même M. Donzeau, celui qui a découvert les statues et les inscriptions.

.7. Les problèmes :

G. de Lurbe a-t-il menti ?

Bien des gens ont vu dans l’Hôtel de Ville les pièces découvertes (dont ne subsistent plus que les deux togati) et pouvaient confirmer les paroles de G. de Lurbe. Et pourtant, ce témoignage n’est pas aussi assuré : d’une part, et pour des raisons que l’on essaiera d’éclaircir, notre chroniqueur a introduit un faux dans son inventaire ; d’autre part, la date de la découverte a été mise en doute.

Le faux est un cachet de Néron. Cet ajout superflu jette une ombre sur le témoignage de G. de Lurbe et explique en partie le malaise qui a entouré l’extraordinaire trouvaille du mont Judaïque. De Lurbe écrit, page 6 à droite, à la fin de la description des objets trouvés à côté du prieuré Saint-Martin :

“& des anneaux de fer avec une cles, semblables à ceux trouvez au Pays bas qui sont representez par Lypsius en ses Commentaires sur Tacite. Mais ce qui est de plus singulier, c’est une medaille de bronze representant le cachet de Neron, avec le pourtraict du combat d’Apollon & Marsias, & punition d’iceluy. Al’entour de laquelle sont escrit ces mots, Nero  cLavdivS. caeSar. avgvStvS. gerMaNicvS. P. 

30. de Lurbe 69-620, 6 v° -62 r°. 3. Reproduction des textes infra, n. 53 et 54.

32. “Illam enim mihi non maximam Galliarum, sed nec ex parvis, urbem selegi : cum quod venerandis Antiquitatum monimentis, qua locus iste custodit”, a dit Jodocus Sincerus dans la préface de son appendix en parlant de Bordeaux et de l’intérêt que Bordeaux porte à ses monuments anciens.

33. Boutruche 966, 98 : Florimond de Raymond, Montaigne, Pierre de Brach, La Boétie.

34. Ibidem, 272-273.

Max. tr. P. iMP. 35 P.P. tout de mesmes que du

Choul l’a representé en son Discours de la religion & medailles des anciens Romains, (le mesme pourtraict estant peint par Zeuxis excellent peintre sust despuis mis dans le Temple de Concorde à Rome, comme escrit Pline 36”.

Il complète ses dires avec un dessin du cachet dans la dernière page de son discours.

Entre le moment de la découverte et la publication du discours la même année – 594 –, quelqu’un a ajouté aux objets trouvés un élément extérieur, ce faux cachet de Néron, dont on connaît différentes copies de la Renaissance 37. Celui

qu’a reproduit G. de Lurbe vient certainement de G. du Choul, célèbre antiquaire lyonnais et conseiller du roi, qui en possédait un identique dans son cabinet 38 et l’avait publié

dans son livre sur la religion et les médailles des Anciens Romains, ouvrage que G. de Lurbe avait lu 39. Quand on met

les deux cachets côte à côte (fig. ), on voit que ce sont exactement les mêmes.

Grâce à la remarquable analyse de C. Jullian 40

qui, lui, dépendait du travail de M. Molinier 4, on sait

que les Médicis possédaient une cornaline portant le

35. Dans le calque de Guillame de Choul, on peut lire la même légende.

36. Nat., 35.66.

37. L’écorchement de Marsyas par Apollon est devenu un thème très exploité à la Renaissance car il est compris comme une métaphore de la connaissance, de la création sur une peau morte.

38. Sur la question, voir Guillemain 2002.

39. Il s’agit du premier grand catalogue de monnaies en français, publié par l’éditeur Guillaume Rouille en 556 à Lyon. Il est intitulé Discours de la Religion des anciens romains, illustré d’un

grand nombre de medailles, & de plusieurs belles figures retirées des marbres antiques, qui se treuvent à Rome, & par notre Gaule. Le cachet est publié à la page 96. Ce livre a été souvent réédité. Le dessin du cachet a changé au fils du temps par rapport à l’editio princeps.

40. IRB, II, 250-252. 4. Molinier 886, in-8°.

Fig. . Le cachet de Néron et ses parallèles. a. Le cachet publié par G. de Lurbe ; b. Le cachet publié par G. du Choul.

(6)

nom de Néron, représentant Apollon et Marsyas, et que celle-ci fut amplement copiée, notamment sous la forme de plaquettes de bronze, dont on connaît bon nombre d’exemplaires : parmi d’autres, au xvie siècle, G. du Choul

et un bordelais inconnu en possédaient un. Ce dernier aura voulu augmenter l’intérêt de la découverte du prieuré Saint-Martin en y ajoutant une pièce de sa propre collection. Il pourrait s’agir de Donzeau, le lieutenant particulier, dont on connaît la relation avec les antiquités de la ville 42.

Cependant, les preuves semblent accuser le très dévoué G. de Lurbe lui-même, acteur volontaire (pour donner plus d’importance à la découverte) ou involontaire (on a très bien pu lui vendre l’objet en lui faisant croire qu’il provenait du mont Judaïque) de la supercherie : d’une part, c’est lui qui a publié le faux cachet, d’autre part, il semble bien connaître celui de G. du Choul, mais, enfin et surtout, on sait par ailleurs qu’un faux camée, mis en circulation au début du xviie siècle à Bordeaux, pourrait provenir de sa collection

personnelle 43. Quel qu’en soit l’auteur, il faut situer cet acte

dans le contexte des savants de la Renaissance : ils pensaient bien faire, car ils se croyaient autorisés à reconstruire la réalité historique. De toute manière, dans leur esprit, celle-ci ne pouvait guère être différente de ce qu’ils imaginaient, et, en outre, cette petite tricherie augmentait le prestige de Bordeaux. Malheureusement, ce cachet, très vite reconnu comme faux, a jeté le doute sur le témoignage de G. de Lurbe et, par conséquent, sur le sort des autres vestiges. Conservé avec le reste du petit matériel à l’Hôtel de Ville, ce cachet a disparu à un moment inconnu.

42. D’ailleurs, il possédait une maison attenante aux “Piliers de Tutelle”, AHG, t. 0, 868, 29-292 “Esporle pour les Piliers du Tutelle, Archives impériales : J. 45. Communique par M. Jules Delpit”.

43. Il s’agissait d’un camée orné d’un buste de femme, très vite interprétée comme une Messaline [rappelons que la statue féminine a toujours été considérée comme Messaline], et portant l’inscription interprétée comme [mes]SAL[ina] AV[gusta] QVOD [---] (sur la question, IRB, II, 252). Théoriquement, il avait aussi été découvert dans le prieuré Saint-Martin. G. de Lurbe n’en parle pas. La première mention sort de la plume de P. de Bourdeille, seigneur de Brantôme au début du xviie siècle (de Bourdeille 876, IX, 3 ; sur la question,

Tamizey de Larroque 88, 32). Le camée fut acheté par N.-Cl. Fabri de Peiresc en juillet 623 lors de sa visite à Bordeaux et fut offert en cadeau à Rubens. Sur la question, voir IRB, II, 25-253 qui étudie et publie la correspondance entre N.-Cl. Fabri de Peiresc et Rubens à ce propos. Le décor du camée devait être un peu fruste, ce qui permet à N.-Cl. Fabri de Peiresc de douter de son ancienneté. Dans une lettre à Rubens datée du 22 août, il dit à propos de l’origine de la gemme : “Il cui di ffetto mi faceva quasi dubitare dell’antiquita. Io ho fatto molto diligenza in quel poco tempo che mi resetava, per penetrare unde elle veniva, ma non ho havuto certezza che vaglia, se non che il Padrone l’hebbe d’on suo parente ch’era stato scyndico della città di Bordeaulx, il quale è morto”. C’est cette dernière phrase qui semble concerner de Lurbe. Le propriétaire du faux camée l’avait obtenu d’un membre de sa famille déjà décédé [rappelons à cet égard que G. de Lurbe est décédé en 69 et la lettre est datée du 0 août 623], qui avait fait partie de la Jurade. La lettre publiée par C. Jullian (IRB, II, 252), est issue de la correspondance de N.-Cl. Fabri de Peiresc (Bibliothèque de Carpentras), t. V, f° 74.

La date de la découverte du mont Judaïque a aussi été remise en question par P. Courteault 44 : dans son article

de 940, il avance que les statues auraient été mises au jour avant 574 et non en 594. À l’appui de cette assertion, il fait remarquer qu’A. Thevet, célèbre cartographe du roi, mentionnait déjà l’existence à Bordeaux de thermes près de la porte Dijeaux dans son livre de 575 45. Cependant,

une lecture attentive du texte de Chroniques Bourdeloises m’a permis de retrouver la référence suivante : “comme tesmoignent aussi les vieilles mazures des bains qu’on trouva l’an 557 au bout de ladite terre, en relevant le boulevard de la susdicte porte Dijeaux” 46. La découverte mentionnée par

A. Thevet est celle de 557, citée également par G. de Lurbe comme située sous l’actuelle rue Georges Bonnac, donc tout près du prieuré (“au bout de ladite terre”) et non celle de 594 près du prieuré Saint-Martin, qui est confirmée par des témoignages de l’époque 47. Il faut cependant associer

les deux découvertes (celle de 557 et celle de 594) pour comprendre le contexte archéologique général de cette partie de Burdigala : entre la Porte Dijeaux et le prieuré Saint-Martin, c’est-à-dire, à l’est et au sud du mont Judaïque, on a trouvé au xvie siècle d’importantes structures interprétées,

à tort, comme des thermes. Ces bâtiments étaient associés à des statues.

Je reviendrai sur cette question un peu plus tard. Pour le moment, il me semble important de retenir que rien, dans les sources, ne permet de dire que G. de Lurbe a menti sur les dates. S’il est certain que le zèle dont il fit preuve a fait douter nos contemporains, les découvertes sur le mont Judaïque ont bien eu lieu entre le 2 et le 24 juillet 594. La Jurade a du reste signé un contrat avec les maçons qui devaient réaliser le support des inscriptions et des statues à l’intérieur de la mairie le 30 du même mois de juillet 48. En

décembre de ladite année, le travail était fini, si l’on croit la date de l’inscription commémorative de la Jurade. En 594, G. de Lurbe publia son discours qu’il republia au début de l’année 595 avec une nouvelle version de ses Chroniques. On a de quoi admirer autant d’efficacité.

44. Courteault 940, 600.

45. Thevet 575, t. II, 52-53 : “les quelles cuves ont esté de notre temps descouvertes vers la porte des Iaux. En ces bains, on trouva inifinis vases de service de maison et grand nombre de statues de pierre et medalles, tant des Empereurs que des Capitaines romains”.

46. de Lurbe 69-620, 63 v.

47. Dans le contrat avec les entrepreneurs date du 30 juillet 594 on lut “des statues tres anticques, qui ont nagueres esté trouvées”. Jean d’Arrérac, contemporain de la découverte, a parlé à deux reprises dans ses œuvres (voir infra) et donne la même date.

48. Il s’agit du document AD.33, série E, notaires 75, XII, 374. Ce document a été publié par C. Jullian dans ces IRB, I, 93.

(7)

Fig. 2. Plan de la disposition des statues dans la Mairie de Bordeaux à la fin du xvie siècle

(IRB, II, 339).

Fig. 3. Dessin d’Hermann Van der Hem, qui s’intitule “statuae Drusi caes. Messalinae et Claudi imp. cum lapide Vivisco 6e feb 1639”,

p. 383 (Demont & Favreau 2006, 27, n° 24). Il n’a représenté que quelques lettres de l’inscription de Claude. Il représente le texte de l’autel, ainsi que l’inscription commémorative de 590 pour l’érection de celui-ci. Il a dessiné le cadre de l’inscription de Drusus III et les deux inscriptions commémoratives des Jurats en 594, mais il n’a pas mis de lettres : étaient-elles déjà effacées en 639 ?

|

(8)

2. L’

hiStoire

de

La

Série

hoNorifique

Malgré les hésitations sur la chronologie et l’existence d’un faux, une chose reste sûre : les deux togati encore conservés au Musée d’Aquitaine étaient exposés avec la statue féminine et les dédicaces à Drusus III et à Claude dans la cour de l’Hôtel de Ville en 595 (fig. 2), dans l’écrin d’un grand monument. Celui-ci est bien connu, d’une part, grâce à la description des travaux exigés des maçons dans le contrat de travail déjà cité, d’autre part, par une esquisse d’H. Van der Hem datée du 6 février 639, conservée à la Bibliothèque Nationale de Vienne et récemment publiée (fig. 3) 49, et, enfin, grâce à la description détaillée de certains

témoins, dont je reparlerai, et notamment de J. Sincerus : les trois statues étaient placées en hauteur, et dans des niches. À droite 50, à côté de l’autel des Bituriges Vivisques, exposé

en 590 avec son inscription commémorative au-dessous, se situait une des statues masculines avec la dédicace à Drusus III placée en haut à gauche 5. La statue féminine

occupait la niche centrale et, à gauche 52, était placée l’autre

statue masculine, avec la dédicace à Claude en haut entre les deux 53. À la base de la statue la plus à droite, on avait

placé l’inscription qui commémorait l’action du maire, des jurats et des avocats (parmi eux, G. de Lurbe) 54. Cette

inscription continuait sur la base de l’autre togatus 55. En

haut du monument, au-dessus des deux intervalles entre les statues, on avait représenté les armes du roi et de la ville.

Si les Bordelais ont oublié rapidement cette décou-verte et négligé le monument de la mairie, tel n’a pas été le cas des visiteurs étrangers, qui les ont décrits dans leurs

49. Avant la récente publication d’H. Van der Hem par Demont & Favreau 2006, on connaissait son dessin grâce au travail de Goyau 894, 459-485.

50. Par rapport au spectateur.

5. Sincerus 627, 380 : “Proxima dicto marmori Tropeitano est statua virilis latera, proceritate sex pedum, uti omnes tres, capite truncata & bradiis sicut, habitu senatorio inducta, cui adiecta est mutila haec inscriptio ad latus sinistrum, eodem in loco, quo ipsa statua reperta”.

52. Sincerus 627, 380, “Nihil huic inscriptioni adietum”. 53. Ibidem : “ab huius sinistra sequitur tertia omnia sere similis primae, ad cuius sinistrum pariter inscriptio mutilata posita”.

54. L’inscription est importante pour comprendre la pensée de ce dernier. En voici le texte : “M. S. / Statuas Drusi Caes. Claudii Imp. Et Messalinae Gothorum injuria mutilas, e ruderibus collis Iudaici, M. Donzeau Supp. Aquitaniae, propre sacellum D. Martini extra muros, cum superi inscriptionibus, anno Christi 594 erutas. Iac. De Matignon Franc. Maresch. Aquitaniae Prorex, et Major civitatis, F. de Girard de Haillan scutifer, M. Thibaut Advoc., F. Fouques, P. de Fortage scutifer, I. de Guerin Adv., et I. de Guichener Iurati Burdigalenses, praef. Urbis, G. de Lurbe et R. de Pichon Advoc. et sc. scynd. et scr. Civitates his in memoriam antiquitatis, et ad perpetuam Burdigalae gloriam ponendas curarunt M. D. XCIIII. : MVTA RENASCENTVR”. ibidem : “novella inscriptio sub primam statuam haec posita est”.

55. Ibidem : “sub tertiam haec verba marmori incisa leguntur”. Il donne ensuite le texte, déjà connu de Lurbe 69-620, 53 r° et v°, avec la date “Hoc opus à prioribus Iuratis prudenter institutum, novi istius anni Iurati, R. du Burg, quaest. Reg. Ger. Testoris Proc. Math. Salomon, cum reliquis ad Umbilicum duxerunt. Imperante Henrico 4. Franc & Navar. Rege Christianissimo. Calend. Decemb. 594”.

récits, parfois encore inédits. Ces ouvrages ont été cités par d’autres savants de l’époque. Pour certifier l’authenticité de la découverte sur le mont Judaïque et comprendre mieux les raisons de la disparition des différentes pièces, je vais présenter, dans la mesure du possible par ordre chronologique, les auteurs qui ont vu et mentionné les hommages impériaux exposés à l’Hôtel de Ville avant leur disparition partielle. Je tenterai ensuite de comprendre comment certains éléments ont disparu et de suivre ceux qui ont survécu jusqu’à leur installation définitive au Musée d’Aquitaine.

2.. Les témoignages et les récits

du

xviie

siècle

- Jean

D

’a

rréraC

(? - 1611)

J. d’Arrérac, baron d’Arsac était un jurisconsulte, trésorier du roi et conseiller au Parlement de Bordeaux 56.

Auteur assez prolifique, il a mentionné deux fois la décou-verte des hommages impériaux : la première dans son petit éloge de la ville de Bordeaux et l’autre dans le second traité d’un livre consacré aux magistratures 57. Les versions

conservées de ces deux ouvrages, datées de 625, semblent posthumes, puisque leur auteur est très probablement décédé en 6. J. d’Arrérac parle des statues et des inscriptions de la famille impériale, qu’il a vues à l’Hôtel de Ville 58, mais, s’il

se réfère à G. de Lurbe 59, il modifie le texte de la dédicace

à Claude 60.

- Paul h

eNtzNer

(Brandenburg, 1558 - 1623) 61

Ce voyageur allemand séjourna à Bordeaux du 8 au  juillet 597, en compagnie d’un jeune silésien dont il était le précepteur. Il publia ses impressions sur notre ville, ainsi que sur le reste de la France, dans son Itinerarium Germaniae,

Galliae, Angliae, Italiae, dont la première édition a paru à Nuremberg en 629. À l’intérieur de l’Hôtel de Ville, il a vu, entre autres, trois statues de marbre, celle du milieu, la

56. Sur son activité, les Archives départementales de la Gironde conservent un intéressant document (AD.33, Série G. Clergé séculier. G. 225. Liasse 2, cahiers in – 4 ° de 22 feuilles).

57. Le livre s’intitule Trois divers traictez et la deuxième partie est dédiée à La vanité à partir des magistratures romaines. À la page 227 de cette deuxième partie, commence un discours intitulé “Des inscriptions, & statuës trouvées à Bordeaus en l’an 594”.

58. Les textes épigraphiques se trouvent à la suite, à la page 23.

59. Il lui corrige, à bon escient, son texte latin et son interprétation : il comprend déjà qu’il s’agissait de Drusus III.

60. Il semble donner une version souvenir plus qu’une version scientifique comme pour la précédente car il dit : ”une autre inscription de cest Empereur contenat tels mots” (d’Arrérac 625b, 233).

(9)

femme, avec la tête et sans les mains et les deux autres, sans tête ni mains (les deux togati) 62. Des inscriptions “qui étaient

au-dessus”, il propose une lecture erronée qui mélange les dédicaces à Drusus III et à Claude.

- Pierre

De

b

ourDeille

,

seigneur de Brantôme

(1540-1614)

Ce notable, abbé séculier de Brantôme, a mentionné la statue féminine dite “de Messaline” et le faux camée dans ses Vies des dames galantes. Le texte, écrit au début du xviie siècle, est resté manuscrit jusqu’à sa publication en

876 par L. Lalanne 63.

- Jean Isaac P

oNtaNus

(Elseneur, 1571-1639) 64

Le grand historien du roi de Danemark et des États de Guelche visita Bordeaux en 602 et inscrivit ses impressions dans son Itinerarium Germaniae, Galliae, Angliae, Italie,

cum index locorum at que uerborum de rerum, Nuremberg, 62. Comme la plupart des voyageurs germaniques du xviie siècle, il décrit les monuments conservés à l’Hôtel de

Ville, notamment les dédicaces à la famille impériale, dont il fournit une bonne version 65.

- Antoine

Du

v

erDier

,

seigneur de Vauprivas

(Montbrison, 1544 - Duerne, 1600)

et Jean g

ruter

(Anvers, 1560 - Heidelberg, 1627)

Très peu de temps après leur découverte et publication par G. de Lurbe, les dédicaces impériales de Bordeaux ont été reproduites dans le premier grand recueil épigraphique du xviie siècle. En effet, le corpus que Jean

Gruter publia en 602 à Heidelberg, où il travaillait comme bibliothécaire à l’Université, présente un panorama assez complet de l’épigraphie bordelaise connue jusqu’alors 66.

On y trouve les inscriptions conservées à l’Hôtel de Ville, notamment les dédicaces impériales 67. Le problème est que

la lecture de G. de Lurbe est déformée par son informateur, A. du Verdier, seigneur de Vauprivas, conseiller du roi et Contrôleur général à Lyon, connu par sa culture et sa considérable bibliothèque. Sans intérêt épigraphique pour

62. “in Curia Ciuitatis, tres statua marmorea (sic) uidentur, quarum media cum capire (sic) & sine manibus, reliquae vero duae absq ; capitibus & manibus conspiciuntur, his inscriptionibus superadditis” (Hentzner 629, 59).

63. Les écrits de Brantôme ont commencé à être publiés sous la responsabilité de J.-A.-C. Buchon au début du xixe siècle. Entre

864 et 882, L. Lalanne a édité ses œuvres complètes, notamment le volume sur les femmes galantes qui nous intéresse.

64. IRB, II, 370. 65. Pontanus 62, 94.

66. Sur la question, voir IRB, II, 366-368. 67. Gruter 602, CCCXXXVII.

la question qui est la nôtre, les références de J. Gruter montrent tout au moins le rapide écho international de la découverte bordelaise.

- Jodocus s

iNCerus

(Thuringe, 1590 - Lyon, 1620) 68

Just Zinzerling, ou plutôt Jodocus Sincerus, nom dont il signa ses livres, a parcouru lui aussi la France et raconte son périple dans un livre intitulé Itinerarium Galliae. À côté des conseils de voyage, il décrit des antiquités, notamment des inscriptions, car il était bon philologue. Arrivé à Bordeaux le 6 octobre 62, il se prit d’admiration pour notre ville, ce qui le conduisit à augmenter son livre 69 d’un Appendix de Burdigala. Son témoignage permet de compléter le dossier des dédicaces impériales 70 : s’il semble reproduire

le texte de G. de Lurbe, il y ajoute de nombreux détails qui permettent de reconstituer le monument construit dans la curie bordelaise.

- Nicolas-Claude f

abriDe

P

eiresC

(belgentier, 1580 - Aix-en-Provence, 1637)

Le hasard a conduit à Bordeaux N.-Cl. Fabri de Peiresc, l’un des plus grands savants de l’époque 7. En 68,

il reçoit de Louis XIII l’abbaye Notre-Dame de Guîtres, où il semble n’avoir séjourné que très peu de temps en 623. Il s’est arrêté dans notre ville à l’aller et au retour et, parmi les monuments qu’il remarque, figure celui de la mairie avec les statues et les inscriptions. On a conservé ses impressions, bien que N.-Cl. Fabri de Peiresc n’ait jamais publié de livre. Il diffusa en effet son savoir dans une correspondance intense avec tous les intellectuels de son temps. Très méthodique, il gardait un double de chacune de ses lettres, aujourd’hui conservées pour la plupart à la bibliothèque de Carpentras. On doit à C. Jullian la découverte de celles qui mentionnent les statues de Bordeaux 72.

68. IRB, II, 37-373.

69. Publié en 66 et réédité en 627. C’est cette dernière édition que j’ai pu consulter aux Archives municipales de Bordeaux. Elle a l’avantage d’avoir été commentée et corrigée par M. Bernadau, l’historien bordelais du xixe siècle (sur ce personnage, IRB, II, 39).

C’est grâce à P. Bernadau que l’on apprend que l’ouvrage de J. Sincerus a été traduit en français à Lyon, en 645, sous le titre Voyage en

France.

70. Sincerus, 66, Appendix, 28.

7. Il est difficile de résumer la vie et l’œuvre de cet intellectuel hors pair. Juriste de formation (il fut conseiller au Parlement de Provence), il fut animé par l’amour de toutes les branches du savoir : il fut botaniste, astronome, zoologue, géographe, numismate et archéologue de renom. Collectionneur comme tous les hommes cultivés de son époque, il fit de sa maison d’Aix-en-Provence un véritable musée.

72. IRB, II, 25-253, avec la reproduction des paragraphes concernant Bordeaux et IRB, II, 373-374, avec son étude de N.-Cl. Fabri de Peiresc à Bordeaux.

(10)

Il s’agit d’abord d’une série de lettres échangées entre N.-Cl. Fabri de Peiresc et Rubens qui se rapportent aux visites de N.-Cl. Fabri de Peiresc à Bordeaux ; il parle des copies qu’il a faites des dédicaces de la famille julio-claudienne et du problème d’un camée qui était supposé représenter Messaline et que Peiresc avait acheté à Bordeaux et envoyé à Rubens 73. Ces lettres, datées entre juillet 623 et février

624 74 et conservées à Bruxelles et Carpentras, ont permis à

C. Jullian d’établir que la visite de Peiresc a eu lieu en juillet pour l’aller à Guîtres et en septembre pour le retour 75. Il

avait fait trop rapidement le dessin des inscriptions et la tête de la femme, ce qui l’obligea à faire exécuter de nouvelles copies par M. de la Houssaye et par le prieur du Val, dont on conserve les lettres également à Carpentras 76. Il commanda

un portrait et un moulage de la femme à l’artiste flamand Adrien de Vries 77.

- Louis s

aNloutius

(l’

Anonyme de Bouhier”

78

)

Le président de l’Académie de Bordeaux, M. Bouhier, posséda un manuscrit très ancien d’un voyageur qui visita Bordeaux et reproduisit des antiquités bordelaises, dont certaines inscriptions. Ce texte, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque Nationale de Paris 79, toujours manuscrit,

a reçu la dénomination d’“Anonyme de Bouhier”, bien qu’on sache qu’il s’agit de L. Sanloutius, jurisconsulte et noble bourguignon 80 inconnu par ailleurs. L’analyse des

inscriptions répertoriées dans son manuscrit me permet de proposer que sa visite à Bordeaux eut lieu dans le deuxième quart du xviie siècle, sans que l’on puisse en préciser avec

certitude le moment exact 8. L. Sanloutius a transcrit 82

les dédicaces à Drusus III et à Claude et donne quelques indications en français et en latin sur leur découverte 83.

73. Sur cette gemme, voir nos commentaires supra. 74. Exactement entre le 27 septembre 623 et le 2 février 624.

75. C. Jullian a publié une partie de cette correspondance (IRB, II, 374), de même que M. Tamizey de Larroque dans son article de 88.

76. IRB, II, 374.

77. Le premier en 626 et le deuxième en 627, ce qui prouve l’intérêt qu’il portait à la découverte bordelaise encore quelques années après. Sur la question, voir les traductions des lettres proposées par Tamizey de Larroque 88.

78. IRB, II, 368. 79. Ms. 7,575.

80. À ce propos, voir une fois de plus l’excellente analyse de C. Jullian dans IRB, II, 368-369.

8. Voir, à ce propos, le commentaire à L. Sanloutius dans

ILA Bituriges Vivisques (à paraître). Nous proposons une date quelque peu postérieure à celle que publia C. Jullian (594-60).

82. F° 97, p. 353, r°.

83. “Trois simulacres en marbre blanc … in vico Judaiq. 594”.

- Hermann v

aNDer

h

eM

(Amsterdam, 1619 - Bordeaux, 1649)

L’ordre chronologique m’amène à H. Van der Hem, que j’ai cité précédemment à propos de son dessin du monument de la mairie 84. Ce personnage réalisa une série

importante de dessins sur Bordeaux et la région pour illustrer un atlas que devait publier l’un de ses frères 85. Ses travaux

montrent le talent d’un artiste méticuleux et très soucieux de représenter tous les détails. Les vestiges romains de Bordeaux l’ont beaucoup inspiré et, parmi eux, outre les “Piliers de Tutelle” (640), ceux qui étaient conservés à l’Hôtel de Ville. Entre le 27 décembre 638 et le 6 février 639, il a exécuté une vue d’ensemble de la façade nord de la cour (supra fig. 3) où étaient disposées les statues et les inscriptions avec l’autel des Bituriges Vivisques et les textes commémoratifs des Jurats. Il ne reproduit qu’une dédicace impériale (celle de Claude) et une inscription commémorative des jurats (les autres étaient déjà presque effacées ?). Il a fait également deux dessins de la statue féminine, que l’un d’eux permet d’identifier avec une femme de la famille impériale, comme on le verra plus loin. Ces œuvres sont conservées à la Bibliothèque Nationale de Vienne. Publiées une première fois par G. Goyau, elles ont été rééditées récemment, avec l’ensemble de sa production graphique 86.

- Claude P

errault

(Paris, 1613 - Paris, 1688)

Cet architecte et poète, frère de Charles, a fait un voyage avec son frère aîné, Jean, à la fin de l’année 669 (et non 673 comme certains auteurs l’ont prétendu), voyage dont il a tenu un journal. Ce déplacement devait être long, mais la maladie de Jean, qui entraîna sa mort, les obligea à rester quelque temps à Bordeaux. Tout en s’occupant de son frère malade, Claude visita la ville et l’a décrite dans son journal. Il a vu, entre autres, les restes des hommages impériaux conservés à la mairie. Les auteurs qui m’ont précédé considèrent que le dernier témoignage sur les inscriptions et les statues était le sien. Cependant, une lecture attentive de l’ouvrage de Cl. Perrault me permet de suggérer que les inscriptions avaient déjà disparu en 669, car seules sont décrites les statues 87 et, lorsqu’il est

84. Peintre hollandais installé à Bordeaux en 638, où il mourut en 649 âgé à peine de 30 ans. Sur la personnalité de ce noble dessinateur issu d’une très bonne famille commerçante et catholique d’Amsterdam, voir Demont & Favreau 2006, I, 29-50.

85. Sur cet ouvrage remarquable, dénommé Atlas Blaeu, voir

ibidem, 5-9.

86. Demont & Favreau, éd. 2006.

87. Le 30 septembre 669, il visite la mairie et remarque les statues : “du même côté, un peu plus avant, il y a dans trois niches des figures antiques de marbre hautes de six pieds. Les deux des côtés n’ont ni tête ni mains ; celle du milieu, qui est d’une femme, n’a que les mains de manque. Elles ont été trouvées dans la terre environ soixante ans” (Perrault 669, 80).

(11)

question des inscriptions, c’est le texte de G. de Lurbe 88

qui est reproduit.

2.2. La dispersion des éléments

de la série

Malgré la bonne volonté manifestée par G. de Lurbe et les autres membres de la Jurade en 594 pour conserver les hommages impériaux, l’emplacement choisi n’était pas le plus adéquat. Les pièces étaient exposées aux intempéries et même aux atteintes des visiteurs, puisqu’elles étaient à découvert dans la cour de la mairie. Comme les successeurs des jurats de 594 ne s’en sont pas occupés, elles se sont très vite dégradées, ont disparu en partie, et le reste a été dispersé petit à petit. Nous allons suivre ce malheureux processus jusqu’à nous jours 89.

2.2.1. La disparition des inscriptions

Dès 623, à peine vingt-cinq années après leur découverte, dans une lettre à Rubens, N.-Cl. Fabri de Peiresc constatait avec tristesse que la pluie avait pratiquement effacé les textes 90. L’importance du document exige, me

semble-t-il, sa reproduction partielle :

di barca sula Garonna. Vicino a Cadillac alli 27 settembre 623

(---) et cio che diede occasione alla congiettura, furono duoi fragmenti d’inscrittione, l’uno al honore di Claudio Imp. Cos. II (chè e al tempo della Messalina) et l’altro ad honore di Druso, che giudicarono essere padre di detto Claudio (sic) con che dicono che si trovarono medaglie di Claudio et di detta Messalina lequali passarono in mano del maiore et giurati et sicindici di questa Città ch’hebbero la curiosita di far collare dette Statue nel palazzo publico dove se leggono ancora con detti fragmenti, ma la pioggia gli ha guasti et

quasi scancellati del tutto, io andai a vederli

un poco tarde et con qualche disgusto di non havergli considerati meglio. Se ne fa mentione dietro il cronico de Bordeaulx stampato questi anni addiestro.

L’érosion atmosphérique a eu raison des inscriptions, disparues à tout jamais probablement déjà dans la seconde moitié du xviie siècle, sans que la Jurade, bien éloignée de

l’intérêt que portait celle du xvie siècle à la Culture, ait rien

88. “Le dimanche 20 [d’octobre], cette après-dînée, nos messieurs furent à la comédie, et je lus ce pendant la Chronique de Bordeaux composée par de Lurbe et imprimée en 594, et dont j’ai recueilli les inscriptions qui ont été trouvées avec les statues qui sont dans l’hôtel de ville” (Perrault 669, 204). Il donne ensuite les textes et les interprétations de G. de Lurbe.

89. Un premier aperçu dans Goyau 894.

90. Information tirée encore de la correspondance inédite de N.-Cl. Fabri de Peiresc conservée à la bibliothèque de Carpentras et reproduite par C. Jullian, IRB, I, 60.

fait pour les sauver. C. Jullian pensait qu’une description parue en 78 dans Les Délices de France et qui mentionne les inscriptions de l’Hôtel de Ville 9, pouvait faire allusion

à nos textes, mais il peut s’agir aussi bien de l’autel des Bituriges et des inscriptions commémoratives des jurats. Quoi qu’il en soit, leur piste disparaît à ce moment et pour toujours.

2.2.2. Le sort de la statue féminine

L’ensemble était donc déjà très dégradé en 686, quand les Jurats décidèrent de faire cadeau de la statue féminine à Louis XIV. Mais, nouveau malheur pour les hommages impériaux, le bateau qui la transportait sombra dans la Gironde, entre Blaye et le Verdon, comme nous en informe la dernière réédition des Chroniques Bourdeloises de G. de Lurbe, avec les rajouts de M. Tillet 92.

“Du même jour [2 octobre], M. de Besons, intendant de la province, ayant fait connoître que le Roy seroit bien aise d’ajouter aux ornemens de Versailles celuy de quelques statues antiques, il fut délibéré qu’on offriroit celle de la Messaline qui étoit dans une niche de l’Hôtel-de-Ville. Le Roy ayant eu la bonté d’accepter l’offre desdits sieurs jurats, et de les en remercier par une lettre écrite par M. de Châteauneuf, secrétaire d’Etat, cette statue qui étoit une des plus belles et des plus curieuses de l’antiquité, fut envoyée en cour dans un bateau chargé de marbre qui périt malheureusement, et fit naufrage dans l’embouchure de la Rivière”.

2.2.3. L’histoire complexe des

togati

Après la disparition de la statue féminine, l’ensemble que G. de Lurbe et les jurats de 594 avaient pris le soin de faire dans la cour de la mairie ne devait être plus qu’un mur poussiéreux, cassé et dénué de tout sens pour les visiteurs. Seuls les deux togati demeuraient en place, à côté de l’autel des Bituriges, restes tristes et muets du passé de la ville. Ces vestiges furent néanmoins sauvegardés grâce à deux coïncidences heureuses : la création, en 72 par Louis XIV, de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux et par la présence à Bordeaux, quelques décennies plus tard, de l’Intendant Dupré de Saint-Maur, instigateur de la création du Musée des Antiques. Voici les faits tels que l’on peut les déduire des sources bordelaises de l’époque.

9. IRB, I, 94.

92. de Lurbe 703, 2. Ce récit est confirmé peu après par Venuti 754, 23 : “Dans la suite, le Roi Louis XIV ordonna qu’on la transportât à Versailles ; mais le bateau, selon ce qui l’on m’a assuré, dans lequel on l’avoit chargée, s’étant enfoncé vers Blaye…”. Sur le sujet, Tamizey de Larroque 88, 39.

(12)

L’Académie de Bordeaux, sous l’influence de Montesquieu depuis 76, demanda à l’abbé Venuti, vicaire général de l’abbaye de Clairac 93, d’étudier l’histoire

de Bordeaux. Les dissertations publiques de celui-ci ont été publiées en 754 94. Le prélat italien n’avait pas pu

voir beaucoup de vestiges antiques, disparus pour la plupart, mais il mentionne encore la présence de deux

togati à l’Hôtel de Ville 95, ainsi qu’un troisième dans la

maison d’un certain M. des Aigues (je reviendrai sur cette importante mention). Le travail de l’abbé Venuti a eu au moins le mérite de redonner le goût des “choses antiques” à l’élite bordelaise. En 756, la découverte de nouvelles inscriptions et statues lors de la démolition de la muraille du Bas-Empire dans l’avenue de l’Intendance 96, dont fut

témoin dom Devienne 97, augmenta cet intérêt pour le passé

antique de la cité. Les pierres, déposées tout d’abord dans la cour du Palais de l’Intendance, probablement grâce à Tourny 98, furent offertes à l’Académie par Dupré de

Saint-Maur. Pour les conserver, ce grand protecteur des sciences et du patrimoine eut l’idée de créer un Musée de la ville autour de l’Académie, dont il était le président. Et c’est en cette qualité que, le 28 janvier 78, il demanda aux jurats – qui acceptèrent immédiatement – d’offrir au nouveau Musée l’autel des Bituriges Vivisques 99. Le 26 février, l’intendant

sollicita un deuxième don : “il existe dans la cour de votre Hôtel d’anciennes statuës, qui échappées jusqu’à ici aux injures du tems, s’y dégradent chaque jour. Ces statuës enrichiroient encore la précieuse collection dont l’Académie s’occupe. Elle m’a chargé, Messieurs, d’avoir l’honneur de vous en faire la demande de sa part” 00. C. Jullian, qui publie

ces lignes 0, ajoute : “accordées par le Conseil, elles sont

restées au dépôt J.-J. Bel (n° 8 et 27)”, précision qui ne semble pas avoir été très remarquée par la suite.

93. À cette époque, elle appartenait au chapitre de Saint-Jean de Latran à Rome.

94. Sur la personnalité de l’abbé Venuti, sur l’importance de son travail, notamment du point de vue épigraphique, voir IRB, II, 376-379 et ILA Bituriges Vivisques (à paraître).

95. “La statue [Drusus] existe encore à la Maison de Ville”, Venuti 754, 20 ; “Je ne déterminerai point si l’autre statuë qui est à l’Hôtel de Ville est celle qui étoit sur la base en question”, ibidem, 23.

96. Sur la question, voir à nouveau IRB, II, 32-33. 97. Sur la personnalité et l’ouvre de dom Devienne, voir IRB, II, 380-382 et ILA Bituriges Vivisques (à paraître).

98. IRB, II, 342.

99. Sur ces questions, voir le remarquable travail de C. Jullian dans ses IRB, II, 342-342. Il y reproduit la lettre de l’Intendant, datée du 28 janvier 78 et conservée dans les Archives municipales de Bordeaux, AM, série AA, carton 5, lettres des Intendants de Guienne : “exposé depuis si longtemps à toutes sortes d’insultes dans la cour de votre hôtel de ville ; c’est encore un singulier bonheur que ce monument se soit conservé dans l’état où il est”.

00. Lettre datée du 26 février 78, conservée aux Archives municipales, AM, BB, reg. de corr. et GG, 304.

0. IRB, I, 94.

Toutefois, à la différence de ce que croyait C. Jullian, ces monuments, entre autres les togati, n’ont pas été placés directement au siège de l’Académie, c’est-à-dire l’Hôtel Jean-Jacques Bel, situé dans la rue éponyme. On le sait grâce au témoignage du baron Pierre-Martin de Caila (Bordeaux, 744 - Cadillac, 83) 02, ancien avocat général à la Cour des

Aides jusqu’à la Révolution. Heureux survivant de la Terreur, il consacra le reste de sa longue vie aux sciences naturelles et à l’Histoire. Il participa activement à l’activité de l’Académie de Bordeaux 03, avec environ vingt-six mémoires présentés,

presque tous inédits. On doit à M. Berchon la découverte, au château de Caila, d’une série de manuscrits originaux datés du début du xixe siècle, contenant les mémoires qui

traitent des Antiquités de Bordeaux et de son musée 04.

Ces précieux documents sont conservés à la Bibliothèque municipale de Bordeaux, où j’ai pu les consulter 05. L’érudit

y raconte la création du Musée des Antiques, ainsi que le parcours des pierres depuis le moment où l’intendant Dupré de Saint-Maur décida de fonder le Musée jusqu’à l’arrivée des pièces à l’Hôtel Jean-Jacques Bel. “L’intendant Dupré de Saint-Maur donna un terrain avec des échoppes (…) situées hors la porte Sainte-Eulalie, pour servir de jardin botanique et de dépôt pour les Antiquités” 06. Les pierres de l’Hôtel

de l’Intendance ont y été placées avec l’autel des Bituriges et les deux statues de la famille impériale que les jurats venaient d’offrir à l’Intendant. En 795 07, de Lamontaigne,

alors secrétaire de l’Académie, les fit transporter dans une

02. Sur sa biographie, l’étude définitive est celle de Berchon 890.

03. Supprimée en 793, elle se dénomma ensuite Société des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux. Elle a repris le titre d’Académie en 828 (Berchon 890, 87).

04. Ibidem, 06.

05. Il s’agit d’une grande boîte non classée qui appartenait au château de Caila mais qui est conservée à la Bibliothèque Municipale de Bordeaux, fonds patrimoniaux, avec plusieurs manuscrits du baron, parmi eux, celui que P. Courteault a publié et commenté en 98-99 intitulé : Etat par ordre chronologique des découvertes des pierres

sépulcrales, inscriptions, autels, statues, cippes et autres monuments, pour servir à l’histoire de la ville de Bordeaux. Cet ouvrage est fondamental pour comprendre l’histoire de l’archéologie bordelaise en général, d’autant plus qu’elle n’était pas connue de C. Jullian. Il s’agit d’un journal de trouvailles archéologiques bordelaises de 440 à 82, année par année. Avec A. Zieglé, nous en avons trouvé plusieurs autres, inédits, signalés par M. Berchon et provenant du château de Caila. Celui qui vient après le mémoire publié par M. Courteault porte sur la couverture le titre Museum de monuments antiques de la Ville

de Bordeaux, 82 et, à l’intérieur, des Notices sur les statues, autels,

cippes, inscriptions, rassemblés dans la salle des monuments du Museum de la ville de Bordeaux qui donnent exactement l’état du Muséum en 82. Ce mémoire et celui qui suit, intitulé Dissertations sur les

monumens antiques qui interessent la ville de Bordeaux, fournissent des renseignements supplémentaires concernant la création de la collection des Antiques. En conclusion, ce sont trois mémoires de P. M. Caila que nous intéressent.

06. Caila 82b, 96. 07. Caila 82a.

(13)

maison des environs 08, puis, vers 798 09, on les plaça dans

l’Hôtel de l’Académie, exactement “à la salle des assemblées publiques de la Société des Sciences. M. le sénateur Comte de Monbazon, alors maire de cette ville, accueillit avec empressement et seconda de tout son pouvoir l’exécution du projet qui lui fut présenté pour une nouvelle distribution d’une partie de l’Hôtel de l’Académie (…) sous le nom de Museum de la ville de Bordeaux”. Dans la liste des objets du Musée dressée par P.-M. Caila, on lit explicitement : “N° . Cette statue est sans tête, d’un beau marbre blanc (…) Elle est dans la salle de l’Académie (…). La statue n° 2, de 5 p. ½ de hauteur, d’un beau marbre blanc est revêtue d’une toge très ample (…). Elle est aussi dans la salle d’assemblée de l’Académie, n° 2. G. de Lurbe et après lui Cl. Perrault ont cru que ces deux statuës représentaient Drusus et l’empereur Claude” 0.

Le 28 janvier 803, l’État donnait à la ville la jouissance des antiques, et le 0 octobre 80, le comte Lynch, maire, créait le dépôt des Antiques de la ville. Ce dépôt devait souffrir plusieurs déménagements avant de s’établir définitivement dans le bâtiment de l’actuel Musée d’Aquitaine , mais les

deux togati en ont toujours fait partie. Pour preuve, en 908, quand le colonel Espérandieu rédigeait la partie bordelaise de son recueil général des bas-reliefs de la Gaule romaine 2,

les statues se trouvaient encore avec les restes des antiques dans le Musée installé alors dans la cour Mably. Le n° 084 de son inventaire correspond au premier togatus, le n° 085, au second, chacun accompagné des circonstances de sa découverte sur le mont Judaïque. Le n° 090 reproduit le dessin de la statue féminine disparue.

3. L

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L’analyse des éléments de sculpture et d’épigraphie découverts sur le mont Judaïque est essentielle pour connaître l’importance exacte de la trouvaille, d’autant plus que, si les

08. Caila 82b, 06 : “à Baratet ou au Cornut. Cette maison ayant changé de maître et les circonstances absorbant l’attention publique, le nouveau propriétaire, ne sachant à qui ces monuments appartenaient, était à même de les livrer aux marbriers et tailleurs de pierre, lorsque M. de Lamontaigne (…) les sauva de leur destruction totale, et concourut par ses sollicitations à les faire enlever et porter dans la salle d’assemblée de la Société des Sciences, à l’hôtel de l’Académie, où elles sont actuellement”. Selon P. Courteault 98-99, 06, n.  et 2, le lieu-dit Baratet ou Cornut était situé entre les rues Millière, Sauteyron, Donissan et Clément. P. M. Caila parle aussi de cette maison dans ses Dissertations.

09. Selon ce qu’on peut déduire du témoignage de P.-M. Caila qui connaissait très bien M. de Lamontaigne, et d’une lettre de P. Bernadau qui parle en 799 de l’arrivée récente de pierres antiques :

Tablettes, 496, ms. 73. On doit cette étude à l’excellent travail de P. Courteault dans la publication du manuscrit de P.-M. Caila.

0. Caila 82a, 63.

. Je remercie A. Zieglé des renseignements qu’elle m’a fournis sur le Musée d’Aquitaine et son histoire.

2. Il s’agit du vol. II qui correspond à l’Aquitaine.

inscriptions ont été bien étudiées et publiées, notamment par C. Jullian dans ses IRB et après par O. Hirschfeld dans le

CIL, XIII, les trois statues, elles, n’ont pas fait l’objet d’études approfondies. C’est donc par là qu’il faut commencer cette présentation 3.

3.. Les sculptures

3.1.1. La statue féminine

L’analyse de cette sculpture, toujours considérée comme une Messaline, est très hasardeuse car à la difficulté traditionnelle d’interpréter une œuvre antique s’ajoute la disparition de la pièce. On possède cependant, outre plusieurs descriptions, quatre dessins qui permettent de proposer une identification. Le premier, anonyme, fut publié dans toutes les versions des Chroniques Bourdeloises de G. de Lurbe après celle de 595 (fig. 4).

Malgré une certaine maladresse de l’artiste, cette repré-sentation permet une première approche iconographique. On remarque comment la palla monte en diagonale sur la poitrine de la femme, laissant apercevoir, sous la tunique très serrée sur le corps, l’épaule et le sein droits. Le dessin met aussi en valeur la coiffure, et notamment un détail que les gravures postérieures, parce que la pièce y est vue de face, n’ont pas reproduit : sur le dos, la chevelure est coiffée en catogan, c’est-à-dire, un nœud ou un ruban qui attachait les cheveux sur la nuque (une sorte de queue-de-cheval liée 4).

Les deux gravures suivantes sont issues peu après de la plume d’H.Van der Hem, dont j’ai déjà parlé. La première, datée de 638, est un croquis général de la statue dans sa niche de la cour de la mairie de Bordeaux (fig. 5) ; la seconde, réalisée l’année suivante, est une vue de détail de la tête et de la partie supérieure du corps (fig. 6). C’est cette seconde image qui permet d’avoir une idée précise des traits du visage et du traitement du corps, avec les plis très particuliers des vêtements.

On doit à É. Espérandieu la découverte de la quatrième gravure (fig. 7), un lavis de Berquin, conservédans un cahier de Robert de Cotte (656-735) intitulé Statues, thermes et

bustes de Versailles 5. Nommé architecte du roi en 708, il

a dû composer ce cahier d’images après la disparition de la statue, mais il a pu hériter de la gravure de son beau-frère et prédécesseur comme architecte au service du roi, Jules Hardouin-Mansart.

3. Pour réaliser cette partie de l’étude, qui nécessite des connaissances particulières en matière de sculpture romaine, j’ai pu compter sur les conseils d’I. Rodà et de T. Nogales. Qu’elles en soient remerciées.

4. Les dessins de la coiffure sont corroborés par la description de plusieurs témoins, voir supra.

5. Ce cahier est conservé au Cabinet des estampes, Fb 26, fol. 53. Notre reproduction dépend d’Espérandieu 908, 44.

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