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Ferdinand Hodler

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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C.-A. LOOSLI

HODLER

Illustré de 32 reproductions en héliogravure

Collection « L E S ARTISTES NOUVEAUX »

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C.-A. L O O S L I

FERDINAND HODLER

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C E R E C U E I L D E R E P R O D U C T I O N S E N H É L I O G R A V U R E E S T S O R T I D E S P R E S S E S D E R O T O G R A V U R E S . A . , A G E N È V E , P O U R L E S É D I T I O N S G . C R È S E T C î e , 1 1 , R U E D E S È V R E S , P A R I S . ( C O L L E C T I O N « A R T I S T E S N O U V E A U X > ) P U B L IÉ E S O U S L A D I R E C T I O N D E G E O R G E B E S S O N T O U S D R O IT S R É S E R V É S C O P Y R I G H T B Y L E S É D IT IO N S G . C R È S E T C ' e , ( R . C . S E IN E 1 0 0 - 4 1 2 )

Photographies de A i. A i. A ioos et Boiàdonnas, a Genève, publiées avec t‘autorisation de A i A i. Ra<tcher e3 Cie, A . G ., Zurich et L eipzig. Typographie el héliogravure : Société de

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F

e r d i n a n d Hodler naquit à Berne le 14 mars i853, de parents pauvres, de ce prolétariat campagnard, miséreux et gagne-petit, qui à cette époque déjà af­ fluait vers la ville, afin de se créer une existence plus aisée. Son père, misanthrope, taciturne et phtisique, exerçait la profession de menuisier. L a mère, gaie, enjouée, courageuse et âpre au travail, était cuisinière aux prisons du district. Lorsque Ferdinand eut huit ans, son père mourut de la tuberculose, qui devait emporter à la fleur de l’âge tous ses enfants, sauf Ferdinand. Il laissa sa femme et ses cinq enfants dans la plus affreuse misère. Sa veuve épousa, peu de temps après, un peintre-décorateur, Gottfried Schiip- bach, veuf lui aussi, et père d’une ribambelle d'enfants. Excellent artisan, il enseigna au petit Ferdinand les premiers éléments de la peinture. Celui-ci s’y prêta d’autant mieux que dès sa plus tendre enfance il avait eu en lui le feu sacré, et qu’il était passionnément épris de la beauté de sa ville natale et des splendeurs de la nature. Schtipbach eut de sa seconde femme une nouvelle série d’enfants et ne parvint jamais à nouer les deux bouts. Il alla s’établir dans sa commune d’origine, à Steffisbourg, où se prolongèrent ses priva­ tions et sa misère. Sa vaillante femme s'usait à un travail presque surhumain. U n jour, entourée de ses enfants qui l’aidaient à travailler aux champs, elle mourut à la tâche, foudroyée d’une attaque d'apo­ plexie, comme une bête de somme surmenée. Ferdinand avait alors treize ans.

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Il commença plus tard d’ apprendre la peinture chez le peintre Ferdinand Sommer, à Thoune ; il y resta moins d’une année, puis s’en alla à Langenthal, chez son oncle Neukomm. Là, il gagnait déjà presque sa vie, en peignant des «vues», comme il avait appris à en confectionner plutôt qu’à en peindre, chez son ancien patron.

En automne 1872 Ferdinand quitta son canton pour aller se fixer à Genève, où l’attirait le renom des écoles picturales d’Alexandre Calame, mort déjà, et de François D iday, qui vivait encore mais était fort âgé et que Hodler ne connut point. L à encore il gagna sa vie en peignant des « vues », des portraits, des en­ seignes de magasin, des décors. Au bout de quelque temps, il eut l’insigne chance d'être remarqué par Barthélémy Menn, l’ami de Corot, excellent artiste et pédagogue incomparable. Celui-ci fit de Hodler son élève, s’en éprit, pressentant son génie, et le pilota autant qu’il put. Celui-ci était d’une compréhension merveilleuse, d’un enthousiasme ardent, d’une volonté que rien ne rebutait et d’une application sans exemple, qui, jusqu’à la fin de ses jours l’astreignit à travailler comme d’autres respirent. D e plus il était absolument- dépourvu d’idées préconçues au point d'inventer en quelque sorte à nouveau la peinture pour son propre usage.

Pendant de longues années, il vécut on ne sait trop de quoi. M ais il n’en était pas moins gai, endu­ rant, tenace et d’une fécondité productive extraordi­ naire. Jusqu’à l’âge de cinquante ans, il fut l’artiste le plus bafoué, le plus rageusement conspué, le plus com­ battu de son temps. Quoiqu'il exposât avec succès au Champ de M ars en 1891, où il fut médaillé et parti­ culièrement remarqué par Puvis de Chavannes, il n’en

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resta pas moins dans la misère et l'inimitié persévérante de la « médiocratie » de son pays, jusqu’à l’hiver iç)o3- 1904. Alors, à l’occasion de sa grande exposition à la Sécession de Vienne, il fut soudain reconnu comme un des maîtres modernes. A partir de ce jour, sa célébrité s’accrut rapidement, au point qu’enfin, on finit par le reconnaître même en Suisse, quoique les attaques contre lui et le nouvel art qu’il avait inauguré ne ces­ sent pas un instant jusqu'à sa mort, et même après. M ais le succès était venu couronner ses efforts. Peu à peu il fut comblé de commandes, nommé membre honoraire des grandes sociétés d'artistes étrangères, docteur honorid catua de l’ Université de Bâle, officier de la Légion d'honneur, bourgeois d'honneur de la ville de Genève. Il s’éteignit, le 19 mai 1918, à l’âge

de 65 ans, comblé d’honneurs et de biens, mais épuisé

avant l’âge par un travail gigantesque et par les suites des privations endurées pendant de trop longues années.

Le génie de H odler est simple, comme tout véritable génie. C ’est même la raison pour laquelle il semble si difficile à comprendre pour une époque qui s’enlise à force de complications.

Rappelons-nous que, de tout temps, l’art suisse fut, avant tout, un art d'imitation, que les artistes suisses se formaient depuis des siècles à l'étranger et que, revenus au pays, ils s’adaptait tant bien que mal à leur milieu d’origine, sans pour cela répudier les re­ cettes et les traditions acquises à Rome, à Florence, à Paris, ou encore à Dusseldorf, Munich et Berlin. Souvenons-nous ensuite que Hodler apparut à une épo­ que de réelle décadence artistique, qu’il fut prolétaire de souche bernoise et paysanne, doué d'une volonté à toute épreuve, d’une ténacité inaltérable, d’une vitalité

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ardente, et qu’à part les influences salutaires exercées sur lui par son éminent maître Barthélémy Menn, puis par sa contemplation des grands maîtres : Dlirer, Holbein, Vélasquez, les primitifs italiens et les ra- phaëlistes, il fut de tout temps un autodidacte. Chose inconcevable pour l’époque, il reste Bernois et Suisse d’essence, de tempérament, d’intelligence et de senti­ ment.

N ’oublions pas enfin que, sauf neuf mois passés à M adrid à l’âge de vingt-cinq ans, il ne quitta jamais la Suisse que fortuitement, qu’il passa — tout Bernois qu'il était et qu’il resta — quarante-cinq années de sa vie à Genève, devenue pour lui, jusqu’à sa fin, une seconde patrie. On comprendra alors que, doué d’une force de création immense, d’une puissance de réalisa­ tion intarissable et d’un besoin d'activité fébrile, il devait être en marge de l’art, des aspirations picturales et des modes esthétiques si nombreuses de son temps.

En effet, au temps où naissait l impressionnisme, où se dessinaient d’une manière toujours plus accentuée tous les « ismes » que nous avons subis autour des quarante dernières années et dont nous sommes encore loin de voir la fin, au moment de l'apogée de la diver­ sité la plus bariolée dans presque tous les domaines de l’art, H odler aspira à la grande unité, à l’imposante simplification, telle que les avaient comprises l’art égyptien. Il renoua hardiment ses traditions picturales au point de brisure où Cimabuë et Giotto les avaient laissées.

Aucun de ses contemporains, ou presque, ne pou­ vait le comprendre, à l'exception pourtant d'Albert Trachsel et de Puvis de Chavannes qui, de bonne heure déjà, reconnurent sa grandeur et sa force. A u ­ cun de ses confrères ne pouvait comprendre le génie

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rude, simple, parfois presque brutal, de ce Suisse au­ tochtone, aussi violent d'expression que dépourvu de préjugé, de traditionalisme et parfois d’élégance.

C ’est dans sa composition que réside sans contredit l’élément prédominant de la peinture hodlérienne. C e ­ pendant, tandis que j’écris cette phrase, je me rends parfaitement compte de son imperfection, je sens com­ bien elle est éloignée de donner une idée nette de la belle réalité qu’est l’œuvre de Hodler.

C ela tient à ce que chez lui tout se soumet à son imposante volonté, tout s’y résume et s’y subordonne. Q ui, en effet, parlera de la sévère austérité de cer­ taines de ses œuvres, des majestueuses harmonies des autres, sans se rendre compte en même temps de leur vitalité passionnée, sortie d’un cœur débordant qui en est la condition essentielle ?

Pourtant, tous les éléments de l’art hodlérien se soumettent à une volonté puissamment organisatrice. La couleur, le dessin, la composition, le format même, sont chez H odler d'une unité parfaite, intangible et indivisible.

O n parle avec raison de ses qualités d’éminent co­ loriste. J’en ris ! E t pourtant il a su donner un tel éclat à ses couleurs qu’elles « dominent » encore à l'heure qu'il est un grand nombre de jeunes artistes et non des moindres.

M ais, que ne nous a-t-il pas donné? Plus encore que coloriste, il est dessinateur, compositeur, architecte pictural. Pour lui, l’expression suprême de la beauté réside dans la forme. Aussi serait-il difficile de nom­ mer un artiste, dont le dessin fût plus sévèrement châtié. Ses grandes compositions montrent avec quelle magistrale supériorité il règne dans le domaine de la ligne. Regardez-le encore dans ses paysages, et vous

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serez surpris de voir combien, malgré la profonde émotion qui s’en dégage, tout y est ciselé, calculé, mis au point.

Tout ceci encore n’est point l’essentiel de Hodler ; ce ne sont que diverses manifestations de sa riche personnalité, des moyens expressifs, mais qui à eux seuls ne résument point le fond de son art.

Est-ce donc la composition? Si l'on entend par là ce que je nommerai l’échafaudage, la charpente d’un tableau, je répondrai non! C e n’est pas cela non plus quoique cela en fasse partie. Certes, ses échafaudages, pour être d'une parfaite simplicité géométrique, sont remarquables. A défaut d'une expression plus précise, on a dit qu’ils étaient mathématiques et l’on n'a pas eu tort. iMais ose-t-on dire que la composition en soit mathématique seulement, parce que beaucoup d’œuvres hodlériennes ont pour origine des figures géométriques ? Quelques-uns sont allés jusque là. M ais ceux-là n'ont pas compris Hodler. Us ne l’ont pas même compris autant qu’on puisse s’en pénétrer en se plaçant au seul point de vue intellectuel. C a r il y a plus. C ’est par l ’âme qu’il faut sentir Hodler. Il n’en est pas moins vrai pourtant que ses œuvres reposent pour la plu­ part sur une base mathématique.

C ette conception exacte est même ce qui frappe au premier coup d’œil, lorsqu’on se trouve en face de ses grandes toiles à figures. La Nuit n’a pas encore atteint cette extrême lucidité d’expression formelle qui carac­ térise Hodler dans son Eurythmie, ses Ames déçues, ses

Las de vivre surtout, bien qu’ils ne renferment point

encore la sereine clarté que nous admirons dans

Le Jour, La Vérité, et qui n’a cessé de rayonner de sa

lumière la plus intense, depuis L ‘Emotion, L'Heure

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Les opinions sur ces toiles peuvent être très parta­ gées. Les prédilections personnelles peuvent aller jus­ qu’aux limites extrêmes qu’il soit permis d’atteindre en art sans friser la littérature. M ais je défie qui que ce soit de me montrer, dans toute la production pictu­ rale moderne, une œuvre quelconque qui, d’emblée, saisisse plus directement, puissamment et plus complè­ tement le spectateur par la vitalité ardente, la grandeur de la conception, l’harmonie imposante et l’unité poi­ gnante, que n’importe laquelle de ces toiles. O n pour­ rait y ajouter Le Départ des volontaires d’Iéna, t'Unani­

mité, La Retraite de Marignan et La Bataille Je Moral,

sans parler des innombrables paysages alpestres et autres, ainsi que des portraits des vingt-cinq dernières années de la vie du maître.

M ais quel est alors cet élément essentiel, cette force génératrice et générale, qui assigne à H odler une place à part dans l’art moderne et dans l’art tout court?

C ’est le parallélisme. C e terme, recréé par Hodler à son usage, désigne verbalement ce qu’il impose d’une manière si étrangement éloquente à coups de pinceau. Le parallélisme de Hodler est la formule du « phéno­ mène » Hodler.

Le parallélisme hodlérien est le moyen d’arriver à l’expression la plus imposante d’un élément de beauté par la répétition des formes fondamentales qui le constituent. Il se déduit de l’ expérience, devenue con­ viction inébranlable du maître, qu’il a existé de tout temps, qu’il existe encore et qu'il existera toujours une certaine somme immuable de valeurs esthétiques, que rien n’est impossible sauf le nouveau, et que ces répétitions et ressemblances sont éternelles et uni­ verselles.

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Appliqué à la peinture, cela signifie que se servir harmonieusement des analogies existantes, les mettre en évidence d'une manière sensible par l’élimination de tout ce qui est accessoire, c’est aussi intensifier le pouvoir expressif de la conception première. O n remar­ quera que plus cet effet d’accentuation s’adapte à l’idée dominante, plus il rentre dans son ordre général, plus l’élimination de tout accessoire sera poursuivie aussi loin que possible, et mieux on atteindra son but.

C e but, c’est la clarté immédiate basée sur la sim­ plicité de l’expression. Il en résulte pour le peintre qui se laisse guider par cette conviction, le mépris, la haine de tout ce qui sent de près ou de loin le maquil­ lage, l’anecdote, voire l'illustration, puisqu’il ne pourra s’attacher qu’aux sentiments éternellement humains.

V o ilà bien le cas de Hodler. Jamais la tentation de traduire sur une toile une idée pure ne l’a même effleuré. Rien n’est plus loin de son esprit que la pein­ ture mise au service de la pensée, de la spéculation intellectuelle. Tout ce qu’il produit est profondément et exclusivement enraciné dans l'émotion. Aussi n'a-t-il jamais su comprendre l’assujettissement de l’art pictu­ ral à ce qu’il nommait « la littérature ». Exprimer en peinture une pensée qui pourrait l’être tout aussi bien par la parole, est pour lui le comble de l’abjection, une profanation de l ’a rt! M ais les purs coloristes, il ne les admettait pas au nombre de ses pairs. Pour lui c’étaient des habiles qui se tenaient à la surface. L ’art pour l’art lui semblait une dérision à lui qui ne con­ naissait que l'art pour l’homme, qui professait que l’art est une condition essentielle de la vie, sinon la vie même.

O n comprendra désormais qu’un artiste imbu de ces principes, avec cela robuste et incapable par essence

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de faire la moindre concession aux théories, au goût, à la mode artistique de son temps, se soit imposé dès sa première apparition. C et homme ne prédisait rien moins que la débâcle d'une culture picturale prônée depuis Raphaël jusqu'à nos jours. C 'était le défi que l'unité jetait à la diversité.

Pour se rendre compte de l’effet produit par l’appa­ rition de Hodler, si étrangement grande, si spontanée, et du premier coup si imposante, il est utile de se rappeler qu’elle vint en un temps de crise nerveuse, d'enfantement pénible d’une période décadente, surme­ née par la prospérité matérielle autant que par la manie d’originalité sans grands efforts. Cette époque cherchait à tâtons sa propre formule, sa foi, son style, ses moyens d’expression. En proie au rationalisme suraigu, à un esprit analytique décomposant, elle s'était enfin réfugiée dans le matérialisme le plus vil, le plus brutal.

Souvenons-nous qu’à ce moment l’impressionnisme, quoiqu’ ayant déjà dépassé son apogée, dominait encore nombre d'esprits, même des plus sérieux; alors de toutes parts les « sécessions » s’opéraient, auxquelles on s’obstinait, faute de mieux. Puis soudain surgit cette apparition forte, sûre d'elle-même, virile, qui par la solidité et la stabilité de ses manifestations réduisit l'impressionnisme et tant d’autres « ismes » à l'état de splendides, mais éphémères mirages. H odler pourtant ne se fondait sur aucune tradition bien assise et reconnue.

Les réputations les mieux échafaudées sentirent d’instinct le dompteur. Un colosse menaçait de réduire à néant toutes les fadaises, les mignardises agréables et faciles que depuis si longtemps on faisait passer pour du grand art. Les habiles tremblèrent, puis s'in­

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surgèrent. Les faux peintres avaient à craindre que le principe hodlérien se cristallisât en une synthèse pure et simple de la peinture, voire de l’art, — de l’art pour l ’homme.

Les hostilités étaient donc ouvertes. Elles furent, je l’ai dit, des plus passionnées. M ais il y eut plus encore, et c’est alors que les débats devinrent plus poignants.

D e tout temps nous avions assisté à des querelles d’artistes qui se répercutaient dans la masse du public badaud à l’affût d’une distraction aussi facile que cruelle. L ’on peut même ériger en dicton qu’il suffit, en Suisse, de dépasser la majorité de ses concitoyens dans n’importe quel domaine intellectuel ou moral, pour s’en faire des adversaires qui ne pardonnent pas. L a démocratie mal comprise de ceux qui représentent le gros de nos intellectuels veut, pour emprunter une image à V icto r Hugo, que l’herbe soit haute et les chênes bas. Il n'est donc jamais difficile d’ameuter la foule contre qui que ce soit qui dépasse la moyenne. E t comme nous n’avons pas, comme en France par exemple, un centre intellectuel, une capitale spirituelle, il y a cent à parier contre un que le malmené du jour sera le vainqueur de demain. N os grands poètes, aussi bien que nos artistes les plus éminents, ont toujours été, de leur vivant, des exilés dans leur propre pays jusqu'au jour où leur consécration par l’étranger les rendait tabou à leurs dénigreurs; alors, ceux-ci, au nom de l’homme qu’ils avaient houspillé hier encore, ne manquèrent jamais de marquer à son tour pour l’exil une victime nouvelle. C e jeu-là nous est passa­ blement coutumier. D ’ordinaire il se restreint aux milieux littéraires. K arl Stauffer, Arnold Boecklin, Giovanni Segantini, C ari Spitleler et tant d’autres

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n’ont pas échappé à la règle générale. Le public, s’il fait chorus, se lasse bien vite du jeu, en quête de nouvelles distractions.

Quant à Hodler, ce fut autre chose. Contre lui, toute la presse et tout le peuple furent ameutés. Il y eut périodiquement des campagnes violentes auxquelles tout le peuple prit part avec une effervescence à la­ quelle nous n’étions accoutumés qu’aux périodes des grandes luttes politiques. Si, surtout après sa grande consécration internationale à Vienne, pendant l’hiver 1903-1904, les adulateurs du succès tournèrent casaque, si les adversaires devinrent moins nombreux, ceux qui restèrent n’en furent que plus irréductibles. Pendant trente ans Hodler fut en butte aux attaques les plus calomnieuses, les plus vulgaires. Les ennemis de son art réussirent à élargir le terrain du combat et à le porter même sur le sol étranger, en Allemagne, à M u­ nich surtout.

Comment expliquer cet acharnement ?

A cette question, je ne vois qu’une réponse : la nou­ veauté du point de vue hodlérien. Revenons-y encore. J'ai dit qu’appliqué à la peinture le parallélisme hod­ lérien n'est autre chose que l’utilisation harmonieuse des analogies existantes et préexistantes, pour accen­ tuer la force expressive de la conception première. Dissipons tout malentendu ; disons de quelles analogies il est question. Elles portent sur les formes permanentes, fondamentales de la vie qui se répètent en une infinité de variations dans chaque être de la même espèce. C a r la vie, passant par-dessus les individus de l’espèce, leur impose à tous les mêmes joies, les mêmes peines, les mêmes conditions d’existence et par cela même elle uni­ fie, solidarise les individus.

Nous savons qu’entre les milliards d’êtres humains

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qui peuplent et ont peuplé la terre, il n’y en eut jamais deux, soit au physique, soit au moral, parfaitement identiques 1 C ’est entendu et l'on attache dans l'E ta t et dans la société une importance pratique énorme à cette constatation primordiale. C ’est d’elle que nous déduisons le droit à l’inégalité. O r, c’est l’inégalité dé­ rivant des dissemblances naturelles d’où provient pres­ que toujours la souffrance des êtres.

On oublie, et cela d’autant plus volontiers que l’on se sent plus robuste, que les dissemblances qui nous différencient les uns des autres sont minimes, comparées aux ressemblances qui caractérisent notre espèce. Pour nous en rendre compte, il suffit de nous mettre en pré­ sence de quelques dizaines d’individus d’une race d’hom­ mes qui nous est inconnue. Ce n’est qu’après un cer­ tain temps, relativement long, que nous parvenons à les distinguer individuellement. Pourtant nous n’hésiterions pas un instant, si l’on nous mettait en demeure d’en indiquer l'espèce. Il s’ensuit que les analogies entre les individus, dont la totalité constitue l’espèce, sont la base immuable de la solidarité humaine, comprise au sens le plus large. En effet, nous ne nous solidarisons avec une race ou avec une période que nous ne con­ naissons point, que par l’intermédiaire des ressemblances qui nous y rattachent. Extraire ces analogies en écar­ tant tout ce qui est accidentel, accessoire, transitoire, c’est par conséquent mettre en évidence ce qui, éter­ nellement, nous touche et nous émeut. V o ilà ce que nous offre l’œuvre de Hodler. Elle n’est qu’une splen­ dide révélation des éléments de la solidarité humaine, l’apothéose de ce qu’il y a de plus précieux en nous, — l’amour 1

J’ai déjà dit comment il s’y prend : il répète. D e là sa composition mathématique, ses lignes pures et châ­

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tiées, son austérité sévère, ses suaves harmonies. O n comprendra aisément maintenant, que ses toiles doivent forcément éveiller avant tout une impression fortement décorative. Abstraction est faite de tous les intermèdes, de toute spéculation, de toute idée littéraire et par la. même illustrative. Tout ce qui était substantiel pour la raison s’eri trouve éliminé. Il reste la forme pure, la forme seulement. O r, qui dit forme dit beauté, qui dit beauté dit bonté, solidarité, entente cordiale entre humains.

C ’est ce qu’ont plutôt instinctivement senti que com­ pris ses adversaires. Ils ont combattu en H odler non seulement le peintre, mais l'homme dont l’œuvre rayonne de cet idéalisme transcendant qui aboutit à la solida­ rité humaine, à l’unité, cette unité dont ils n’ont que faire étant oppresseurs, profitant en égoïstes des dis­ semblances entre humains qu'ils amplifient de tous leurs moyens et de toutes leurs forces. N e savent-ils pas que diviser pour régner est la tactique la plus sûre pour asservir, donc pour augmenter la souffrance de leurs faibles semblables ?

C ’est pour cette raison que nous estimons que l’œuvre de Hodler dépasse le domaine de l’art pictural. Elle aspire à la fusion de la beauté avec la bonté : elle présage une humanité heureuse et bonne parce qu’elle est apaisée.

E t voilà pourquoi il est si mal compris et pourquoi les esthètes professionnels ne savent qu’en faire !

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B I B L I O G R A P H I E

Be n d e r Ewald. Die Kunét Ferdinand Hodlerj. i €r volume, chez Rascher

& C'% Zurich, 1 9 3 3 (antidaté).

L a vie de Ferdinand Hodler. 35 reproductions en couleur, chez

Rascher & C ie, Zurich, 1 9 2 3.

Bu r g e r Fritz. Cézanne und Hodler. Einfiibrung ui die Problème der Afaterei

der Gegcnwart. 2e édition. Delphin-Verlag, Munich, 2 vol. 1 9 1 8.

Go d e t Pierre. Hodler. Editions Victor Attinger, Neuchâtel, 1 9 2 1.

HeGG Emile. Ferdinand Hodler und Johann Boyard. Fine Konfrontation. Eugen Rentsch, Verlag, Erlenbach Zurich, Munich und Leipzig,

1923.

Loosli C .-A . Ferdinand Hodler. Æappenwerk mit Texlband. Rascher & C'®, Zurich, 1 9 1 9.

Ferdinand Hodler. Lcben, JF'erk und Nacblaw. 4 volumes in-40. R. Suter & C ,e, Berne, 1 9 2 1 à 1 9 2 4»

Vierundzwanzig Handzeicbnungen Ferdinand HodlerKf mit begleilendem TexL. Rascher & C ,e, Zurich, 1 9 1 9*

M æ der, D r, A. F. Hodler. Eine Skizze veiner jeeliôcben Entwicklung und

Bedeutung fur die ôcbweizerucb-nationale Kaltur., Rascher & C'®,

Zurich, 1 9 1 6.

Muhj.ESTEIN H ans. Ferdinand Hodler. Ein Deidungwerducb. Verlag Gustav Kiepenheuer, Weimar, 1 9 1 4*

Ni c o l a s, D r, Raoul. Hodlers ÏF'ellbedeulung. Francke & C ,e, Berne, 1 9 2 1.

St e i n b eRG, D r, S .-D . Ferdinand Hodler. Ein Platoniker der Kundt. Rascher & C 10, Zurich, 1 9 1 9.

W e e s eArthur. A us der TF'elt Ferdinand Hodlers. A. Francke, Berne, 1 9 1 0. WlDMANN Fritz. Erinnerungen an Ferdinand Hodler. Rascher & C ,e, Zurich,

1 9 1 8.

W iD M E R , D r, Johannes. Ferdinand Hodler. Sonor S . A ., Genève.

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1. LE LECTEUR

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3. LA JO N C T IO N 1882

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4. H O D L E R E N P R O M E N A D E 1883 Coll. J ) r ./. IP'idmer, Genève

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•S. L E L IS E U R

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7. L E P E T IT A R B R E 1889 Jfëudée de Genève

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8. L A R O U T E D ’É V O R D E S 1891 Coll. O. Rcinbaràt, lprintcrtbur

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9 F I L L E A L 'Œ IL L E T 1891 Galerie Aloos, Genève

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11. E U R Y T H M IE 1895 Afuàée Oc Berne

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13. M A R IG N A N

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15. G U IL L A U M E T E L L 1903 Coll. Kottmann, Solcure

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17. L E B U C H E R O N 1910 Musée de Berne

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19. L IN A

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21. MATHIAS MORHARDT

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23. LA M A L A D E 1914

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25. LA M A L A D E

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27. H O D L E R PA R LU I-M ÊM E 1916 Coll. Ai»'* Hodler, Genève

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29. B A R T H E L E M Y D U S S E Z 1917 Galerie Aîoos, Genève

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31. L E G R A M O N T 1917

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« L E S A R T I S T E S N O U V E A U X » Collection publiée <iou.r ta direction de G e o r g e BES S ON A N T O I N E B O U R D E L L E .. .. Ch a r l e s Lé g e r M A R Y C A S S A T T ... ... Ed i t h Va l é r i o C E R I A ... Je a n Al a z a r d C H A G A L L ... Pa u l Fi e r e n s C O U B I N E ... Ch a r l e s Ku n s t i.e r C O U R B E T ... G. d e Ch i r i g o H .- E . C R O S S ... Lu c i e Co u s t u r i e r M A U R I C E D E N I S ... ...Ma u r i c e Br i l l a n t D E R A I N ...Ad o l p h e Ba s l e r D U F R E N O Y ... ... Ga r r i e l Mo u r e y R A O U L D U F Y ... ... Re n é-Jf.an J A M E S E N S O R ... ... Pa u l Fi e r e n s P E D R O F I G A R I ... ... Ge o r g e s Pi l l e m e n t F O N T A N E S I ...Ca r l o Ca r r a O T H O N F R I E S Z ... ... Ro g e r Br i e l l e G O E R G ... ... W a l d e m a r Ge o r g e G R O M A I R E ...Ge o r g e s Pi l l e m e n t J A C O B I ... ... I. Ta v o l a t o K O K O S C H K A ... ... Ha n s He i l m a i e r L E C O R B U S I E R ... E T P . J E A N N E R E T ... ... F . d e Pi e r r e f e u L O T I R O N ... Ad o l p h e Ba s l e r L U B B E R S ... I. Ta v o l a t o M A I N S S I E U X ... ... Ch. Ku n s t i.e r M A L L E T - S T E V E N S ... ... Lé o n Mo u s s i n a c M A N E T ...Ch a r l e s Lé g e r M A R Q U E T ... ...Ma u r i c e Me r m i l l o n M O D I G L I A N I ...Ad o l p h e Ba s l e r C L A U D E M O N E T ...Ch a r i.e s Lé g e r P A S C I N ...Iv a n Go l l P E R M E K E ...Pa u l Fi e r e n s O P S O M E R ... ...Pa u l Co l i n P I C A S S O ... ...He n r i Ma h a u t P I S S A R R O ... Ch a r l e s Ku n s t l e r J A N E P O U P E L E T ... ... Ch a r l e s Ku n s t l e r R A N Z O N I ... Ca r l o Ca r r a R E N O I R ... ... Ge o r g e Be s s o n G E O R G E S R O U A U L T ... ... Ra y m o n d Co g n i a t K . - X . R O U S S E L ... ...Lé o n We r t h S C H R I M P F ... Ca r l o Ca r r a S E U R A T ... ... Cl a u d e Ro g e r- Ma r x S I G N A C ... Ge o r g e Be s s o n S O U T I N E ... ...El i e Fa u r e S P A D I N I ...A . So f f i c i T Y T G A T ... Je a n Mii.o U T R I L L O ... ... Ad o l p h e Ba s l e r S U Z A N N E V A L A D O N ... ... Ad o l p h e Ba s l e r

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