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Sentiments d'injustice dans la France contemporaine

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Academic year: 2021

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Submitted on 20 Feb 2014

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Sentiments d’injustice dans la France contemporaine

Caroline Guibet Lafaye

To cite this version:

Caroline Guibet Lafaye. Sentiments d’injustice dans la France contemporaine. Économies morales et

légitimités politiques au Maghreb., Mar 2014, Tunis, Tunisie. �hal-00948986�

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S ENTIMENTS D ’ INJUSTICE DANS LA F RANCE CONTEMPORAINE

Caroline Guibet Lafaye

Résumé :

Les enquêtes internationales et nationales témoignent d’une sensibilité des Français aux inégalités sans rapport avec leur réalité objective (Chauvel, 2006). Afin de comprendre cette sensibilité aux inégalités et à l’injustice, nous avons exploité l’enquête représentative Perception des inégalités et sentiments de justice (PISJ) comportant également un volet qualitatif. La série des 51 entretiens semi-directifs, menés entre 2010 et 2011, dans le cadre de cette enquête a permis de saisir les raisons pour lesquelles une situation est jugée juste ou injuste et conjointement d’identifier les formes contemporaines du sentiment d’injustice qui ne s’épuisent en l’occurrence pas – contrairement à ce que prédit la théorie de la reconnaissance d’Axel Honneth – dans l’expérience du mépris social. Nous soulignerons la prégnance de sentiments d’injustice, fondés sur des revendications de justice distributive et renvoyant à des idées intuitives du juste.

Ces revendications décrivent une classe spécifique de sentiments d’injustice, correspondant à des attentes normatives (en termes de justice sociale) propres à la société française contemporaine et parfois ignorées par la littérature sociologique. Ces sentiments laissent émerger un référentiel axiologique redéfinissant l’ordre du juste et de l’injuste, pour l’ensemble de l’interaction sociale contemporaine. Il s’ordonne autour de trois exigences ou principes fondamentaux : la non réduction, pour des raisons arbitraires, des opportunités de choix individuel, l’exigence de ne pas subir les conséquences de dotations ou de conditions qui ne dépendent pas de soi, la non « perméabilité » des sphères de la justice, cette dernière exigence donnant lieu à une appréhension critique du déterminisme social, celui-ci apparaissant en effet comme une injustice fondamentale qui structure l’interprétation sociale commune de la justice des dotations individuelles initiales.

Nous montrerons ainsi que les sentiments d’injustice ne peuvent être aujourd’hui

considérés comme exclusivement conditionnés par des situations singulières dans lesquelles

des intérêts personnels se voient lésés. Une indéniable objectivité se laisse saisir dans les

sentiments de justice et en particulier dans l’expression déterminante du jugement d’injustice,

c’est-à-dire lorsque celui-ci se formule en référence à un principe objectif et à un droit, par

exemple, bafoué. La référence à des normes absolues de justice permet de cerner, au cœur des

sentiments d’injustice, les termes de ce que devrait être, de nos jours, le contrat social

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fondateur d’une société juste, en régime démocratique et libéral. Ce contrat s’explicite

notamment à partir de principes de non discrimination et d’égalité de traitement, d’égalité des

chances, à partir de l’interprétation du mérite, de la place du travail dans la société française

et de la rétribution de l’utilité sociale ainsi qu’en référence à la distribution des bénéfices

sociaux. La référence au mépris social n’est plus aujourd’hui le motif explicatif central des

sentiments d’injustice.

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S ENTIMENTS D ’ INJUSTICE DANS LA F RANCE CONTEMPORAINE

Caroline G UIBET L AFAYE

CNRS, Centre Maurice Halbwachs 1

Présentation pour le programme de recherche

« Économies morales et légitimités politiques au Maghreb. Perspectives comparées sur les sentiments d’injustice et le bien commun »

Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC)

Tunis, 5 mars 2014

Introduction

Qu’est-ce qui, aujourd’hui, est jugé juste, injuste ou inacceptable ? Les sentiments d’injustice ont été explorés, par la sociologie notamment, au sein d’univers particuliers tels que la sphère du travail (Dubet, 2006), le travail salarié (Baudelot et Gollac, 2003 ; Thireau et Hua, 2001), l’entreprise (Monin et al., 2005 ; Aebischer et al., 2005 ; Le Flanchec, 2006 ; Nadisic et Steiner, 2010), plus généralement, le monde professionnel (Trotzier, 2006), la santé (Emane, 2008), l’école (Lentillon-Kaestner, 2008 ; Mabilon-Bonfils, 2007) ou comme émanant de groupes sociaux spécifiquement identifiés (Cortéséro, 2010 ; Parodi, 2010). Une alternative à cette approche fragmentée des sentiments d’injustice a été proposée par la théorie critique et les courants les plus récents de l’école de Francfort. Cette dernière approche se détourne

1 48 bd Jourdan, F-75014 Paris. Contact : caroline.guibetlafaye@ens.fr.

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résolument d’une interprétation du sentiment d’injustice, nourri par des perceptions de la justice, dans ces sphères spécifiques ou dans des mondes sociaux déterminés (Walzer, 1983 ; Boltanski et Thévenot, 1991). A. Honneth (2006) envisage ces sentiments de façon normative et transversale, considérant que les interrelations sociales spécifiques, qui se jouent dans les domaines de la famille, au sein de l’espace public et politique, comme du travail (i.e.

respectivement de l’amour, du droit, de la reconnaissance des compétences sociales), ne correspondent pas à des mondes sociaux ni à des institutions particulières.

Dans ce cadre, « la notion de “sentiment d’injustice” vise à signaler que la morale sociale des groupes opprimés ne comporte pas de représentations abstraites d’un ordre moral général, ni de projections d’une société parfaite, mais une sensibilité exacerbée aux atteintes contre des revendications morales jugées légitimes » (Honneth, 2006, p. 208).

Cette interprétation tend à décrire toute revendication de justice distributive en termes de reconnaissance, au motif que toutes les revendications de justice sont liées à des situations d’injustice qui renverraient elles-mêmes à des dénis de reconnaissance. Elle a pour conséquence d’effacer les problématiques de justice distributive, laissant à la fois supposer que ces questions, dans nos sociétés, sont résolues et que les sentiments d’injustice se ramènent tous, en dernière analyse, à des formes de mépris social ou d’absence de reconnaissance et, de façon générale, au non respect des « conditions normatives de l’interaction sociale ».

Cependant le fort degré de généralité des thèses honnethiennes dissout systématiquement la singularité normative et qualitative des sentiments d’injustice. Ces thèses masquent la nature des principes de justice distributive convoqués ainsi que les formes spécifiques des sentiments d’injustice exprimés.

Le rôle qu’A. Honneth confère à l’incidence de la position objective 2 sur les jugements de justice est relayé par la sociologie et la psychosociologie. La sociologie expérimentale a montré que les personnes qui bénéficient d’une situation relativement avantagée jugent que leur situation est juste, alors que celles qui sont dans une situation désavantagée tendent à davantage s’interroger sur la justice et l’équité de leurs rétributions (Robinson et Bell, 1978 ; Form et Rytina, 1969 ; Shepelak, 1987 ; Benson, 1992). Le niveau socioéconomique auquel les individus se situent aurait par conséquent une incidence sur les évaluations individuelles de la justice et de l’injustice d’un état du monde et sur les comportements (Shepelak, 1987,

2 Sur la notion d’objectivité positionnelle (positional objectivity), voir Sen (1993). La perspective de l’objectivité

positionnelle considère que les observations, les croyances et les décisions dépendent de faits positionnels propres

– ou relatifs – à la personne qui juge (Sen, 1993, p. 145).

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p. 499). Peut-on établir, hors de tout contexte expérimental, que tel demeure aujourd’hui le cas ?

Le jugement de justice et les sentiments d’injustice peuvent être déterminés ou influencés par le positionnement politique, la position sociale, l’expérience personnelle. Du côté cognitif, la détermination des raisons pour lesquelles une situation est jugée juste ou injuste permet conjointement d’identifier les formes contemporaines du sentiment d’injustice qui ne s’épuisent en l’occurrence pas – contrairement à ce que prédit la théorie de la reconnaissance d’Axel Honneth – dans l’expérience du mépris social. Des enquêtes de terrain, en particulier celle que nous avons menée Perception des Inégalités et Sentiments de Justice (PISJ) entre l’année 2010 et le début de l’année 2011 3 , permettent de mettre en évidence la prégnance de sentiments d’injustice, fondés sur des revendications de justice distributive et renvoyant à des idées intuitives du juste.

Ces revendications décrivent une classe spécifique de sentiments d’injustice, correspondant à des attentes normatives (en termes de justice sociale) propres à la société française contemporaine et parfois ignorées par la littérature sociologique. Ces sentiments laissent émerger un référentiel axiologique redéfinissant l’ordre du juste et de l’injuste, pour l’ensemble de l’interaction sociale contemporaine. Il s’ordonne autour de trois exigences ou principes fondamentaux : la non réduction, pour des raisons arbitraires, des opportunités de choix individuel, l’exigence de ne pas subir les conséquences de dotations ou de conditions qui ne dépendent pas de soi, la non « perméabilité » des sphères de la justice, cette dernière exigence donnant lieu à une appréhension critique du déterminisme social. Celui-ci est en effet saisi comme une injustice fondamentale qui structure l’interprétation sociale commune de la justice des dotations individuelles initiales.

Se dessinent ainsi des formes « contemporaines » du sentiment d’injustice, s’inscrivant dans le cadre de conditions normatives et de référentiels axiologiques caractéristiques de notre époque. Ceux-ci s’avèrent fortement marqués par des attentes liées à l’impartialité et à des principes structurants des démocraties libérales. Ces attentes sont à ce point prégnantes

3 Le volet qualitatif de l’enquête Perception des Inégalités et Sentiments de Justice (PISJ) a été conduit, pour l’essentiel, durant l’année 2010 et le début de l’année 2011. L’enquête PISJ, dont le financement a été accordé par l’Institut de France (Fondation Simone et Cino Del Duca) à l’Académie des Sciences Morales et Politiques et qui a été coordonnée scientifiquement par O. Galland et M. Forsé, comportait un volet quantitatif et un volet qualitatif.

Le terrain de l’enquête quantitative s’est déroulé de septembre à octobre 2009 auprès d’un échantillon de 1711 individus représentatifs par quota de la population de 18 ans et plus, résidant en France métropolitaine.

Concernant le volet qualitatif, cinquante-et-un entretiens ont été réalisés dans cinq zones géographiques

françaises : les régions de Grenoble, Lille, Lyon, Nantes, Paris. Ils ont été enregistrés et retranscrits intégralement

pour ensuite être soumis à une analyse classique de contenu ainsi qu’à une analyse textuelle à l’aide du logiciel

Alceste.

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qu’elles ne s’expriment pas seulement à l’endroit des citoyens, sur le forum public, mais informent les exigences que les individus – indissolublement citoyens – nourrissent dans leur cadre professionnel. Parce qu’ils expriment des intuitions de justice, ces sentiments ne s’épuisent pas dans l’expression de la frustration relative. Les significations qui leur sont inhérentes relèvent moins de phénomènes de comparaison que d’attentes normatives fondées sur et esquissant des conceptions du juste.

Notre propos ne portera ici que sur les sentiments d’injustice et les attentes liées aux principes structurants des démocraties libérales contemporaines. Nous n’entrerons pas dans le détail des sentiments d’injustice relatifs à la réduction des opportunités de choix et de la liberté réelle, ni dans ceux dus au fait de subir des conditions désavantageuses ne dépendant de soi ou à la contamination des « sphères de la justice » 4 . En revanche, nous proposons dans ce qui suit, tout d’abord un aperçu des approches classiques des sentiments d’injustice (à travers la frustration relative et le mépris social) puis, dans un second temps, une analyse des sentiments d’injustice, suscités par le non respect des « conditions normatives de l’interaction sociale », au sein des démocraties libérales contemporaines.

1. Approches classiques des sentiments d’injustice 1.1 L A FRUSTRATION RELATIVE , UNE IMPASSE

Une large part de la tradition sociologique et philosophique a vu, dans la frustration relative, une source majeure des sentiments d’injustice. R. Boudon (1995) identifie plusieurs formes de la privation relative, selon qu’elle concerne un écart entre ce qu’un individu a et ce qu’il pense qu’il devrait avoir, d’une part, ou selon qu’elle concerne une comparaison entre ce qu’un individu a et ce que d’autres ont, d’autre part.

Si la frustration relative a pu constituer un ressort explicatif majeur des sentiments d’injustice, les attitudes individuelles se prêtant à l’analyse empirique suggèrent qu’elle ne permet de saisir que de façon très parcellaire ce type de sentiments et ne s’avère opératoire que pour décrire des situations très particulières. La frustration relative constitue le ressort fondamental de l’expression de l’injustice, lorsque les individus se trouvent dans des situations professionnelles de désajustement social, probablement parce qu’ils disposent alors d’un point de comparaison, passant pour objectif, avec une situation qui devrait être la leur. Ces situations sont structurellement propices à ce qu’œuvrent des comparaisons et, en

4 Ses sentiments ont été analysés en détail dans Guibet Lafaye (2012).

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l’occurrence, des comparaisons entre ce qu’un individu a et ce que les autres ont, entre ce qu’un individu a et ce qu’il estime qu’il devrait avoir. La comparaison est un motif cognitif à partir duquel s’approprier la réalité sociale et la rendre intelligible. Elle constitue un outil pour apprécier sa propre situation, toute comparaison n’étant néanmoins pas génératrice d’envie 5 .

Ces sentiments n’ont de validité pour autrui – et pas seulement pour soi – que pour autant qu’elles désignent une fixité des positions sociales ou des caractéristiques intrinsèquement défavorables de certaines de ces positions (Guibet Lafaye et Picavet, 2010) 6 , à la différence de sentiments d’injustice fondés sur la références à des normes abstraites de justice. L’incidence réduite des phénomènes de comparaison, dans les jugements normatifs concernant les rémunérations, peut également s’expliquer par l’évolution des conditions de travail. Les pratiques actuelles de calcul des rémunérations complexifient la comparaison interpersonnelle (Gazier, 2004), susceptible de motiver des sentiments de justice ou d’injustice dans le domaine.

La « sphère » de la rémunération constitue le domaine principal de la justice dans lequel s’expriment ces sentiments d’injustice. Empiriquement, les individus procèdent plutôt selon des comparaisons mobilisant leurs différentes caractéristiques – par exemple leurs diplômes et ce que certains considèrent être leurs capacités de management – et leurs accomplissements (i.e.

de ce à quoi ils parviennent), mis en perspective avec ceux des autres (Della Fave, 1980 ; voir aussi Berger et al., 1972 ; Cook, 1975 ; Jasso, 1980). Par ce biais, les personnes situent leur position relative dans une structure sociale plus large et évaluent ainsi la valeur sociale que les autres attribuent à leur position dans la société. Cette démarche témoigne d’une référence à des évaluations réfléchies faites par autrui (Mead, 1934) ainsi qu’à la situation factuelle (Bem, 1967 ; Stolte, 1983).

Ce type de comparaison procède donc en deux temps : en premier lieu, un jugement individuel relatif à la valeur de sa propre « contribution » (un tel soulignant qu’il ne rechigne pas à travailler douze heures par jour) puis, dans un second temps, une évaluation de l’équité des échanges socio-économiques, par exemple le fait que l’augmentation de salaire revendiquée,

5 Kades : « Je crois que j’étais une des mieux payée et pourtant j’estime que je n’étais pas correctement payée, pour travailler de 8 h du matin à 18 h le soir tous les jours non-stop, manger parfois dans son bureau, sans prendre de vacances à part quelques semaines par an, non je n’étais pas bien payée ». Juliette : « en ce moment, je suis en intérim’ dans une boîte d’assurance pour avoir de l’argent. Il y a une fille avec moi qui a fait une école de commerce. Cette fille a envoyé UN CV chez Microsoft, et elle vient d’être prise. Elle va commencer à 2 500 euros net dans une grosse boîte où il y a une salle de gym, quatre restaurants ». Juliette soulignait précédemment qu’« à la fin de ces mois de stages [dans l’édition], on envoie des CV. On reçoit soit des lettres de refus, soit rien. J’ai envoyé une bonne quarantaine de CV. Quand on regarde les annonces, ils demandent d’avoir vingt-cinq ans, mais aussi dix ans d’expérience, un bac + 5, et si possible d’accepter de travailler pour 1 500 euros brut ».

6 Ces propos de Vincent le confirment : « je connais des personnes qui ont réussi à prendre des 35 heures dans le

même poste que moi, mais par affinité plus que par compétence ou par nécessité/ Et ça, je trouve ça injuste aussi,

certes bon quand on connaît quelqu’un depuis longtemps ou des responsables depuis longtemps, on a plus de

facilité à demander une requête et à l’avoir, mais bon ça justifie pas vraiment ça et je trouve ça injuste ».

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pour un surcroît de travail effectué, puisse ne constituer qu’une faible part des bénéfices de l’entreprise qui embauche et à la production de laquelle l’employé contribue largement. Dès lors, l’acceptation de sa position par l’individu procède d’une auto-évaluation et se trouve corrélée au fait qu’il la juge – et, en l’occurrence, ne la juge pas – méritée.

Les comparaisons mobilisent, de façon récurrente, la référence à un autre « général » (« generalized others ») comme norme externe à partir de laquelle des inférences, en matière de comportement sont faites. Cet autre « général » s’incarne fréquemment, lorsqu’il est question des rémunérations, dans la figure des individus les mieux rémunérés ou des patrons. Ce dispositif se met en place lorsque les personnes se prononcent ou évoquent un domaine social concernant lequel elles n’ont des informations que très parcellaires. Néanmoins, lorsqu’il est question d’équité ou de justice, le principal terme de référence de ces comparaisons n’est pas tant un autre « général » qu’une « norme de justice » plus générale, éventuellement associée à un autre « spécifique » ou bien à une structure de référence plus générale (Berger et al., 1972 ; Jasso, 1980 ; Markovsky, 1985).

Deux acceptions de la frustration relative pourraient donc être distinguées. En un sens restreint, celle-ci coïncide avec le sentiment d’envie, exprimant une préférence pour des paniers de biens alloués à d’autres. En un sens large et conformément à l’acception que lui confère R.

Boudon (1995), ce sentiment témoigne d’un écart entre ce qu’un individu a et ce qu’il pense qu’il devrait avoir, ou bien entre ce qu’il a et ce que les autres individus ont.

La référence à la frustration relative et la mise en œuvre de comparaisons, notamment interpersonnelles ne constituent pas l’unique ressort des sentiments d’injustice, dans la mesure où la structure de ces derniers n’est pas simplement comparative. La structure du sentiment d’injustice suscité par la frustration relative et de ceux engendrés par la déception d’attentes normatives sont essentiellement différentes. Ces derniers sentiments reposent sur des représentations abstraites de ce qui devrait être le cas. Ils sont articulés et structurés autour de normes fondamentales et, dans ce cas, ont une validité intrinsèque plutôt que relative. Dans ces configurations, les sentiments d’injustice placent en regard l’être et le devoir être, alors que la frustration relative concerne plutôt l’ordre de ce qui est, sauf lorsqu’intervient une référence au Salaire juste.

Toutefois l’analyse des sentiments d’injustice, dans lesquels point la frustration relative, permet de porter l’attention au-delà du simple recueil de la déception, suscitée par le fait d’être placé, dans telle ou telle situation, de bénéficier d’un salaire indexé à tel ou tel niveau.

Elle permet de déceler des conceptions de la justice, sous-jacentes à ces sentiments et

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demeurant inexplicites, dans l’expression pure de la frustration. La déploration de l’absence de rémunération satisfaisante des heures supplémentaires s’explique par plusieurs principes axiologiques : une contribution exceptionnelle mérite une rémunération supérieure. Plus fréquemment et parce que la frustration relative a pour lieu d’expression privilégié la sphère du travail salarié, ces sentiments prennent sens et peuvent être analysés à partir de principes, tels que l’équilibre entre contribution et rétribution, le respect de l’égalité des chances mais aussi l’évitement de l’arbitraire ou des principes plus généraux de justice distributive. Des références axiologiques et une strate normative a priori sous-tendent et donnent sens à ces sentiments.

1.2 L E MEPRIS SOCIAL

« Une reconnaissance considérée comme méritée n’intervient pas »

L’interprétation plus récente de ces sentiments d’injustice, en termes de mépris social, pourrait constituer un modèle plus compréhensif, susceptible de rendre raison des formes, y compris contemporaines du sentiment d’injustice. Dans le cadre interprétatif dessiné par A.

Honneth, toute revendication de justice distributive est décrite en termes de reconnaissance, en ce sens que « toutes » les revendications de justice sont liées à des situations pouvant se décrire dans les termes d’un déni de reconnaissance. Chaque violation des conditions normatives de l’interaction a un effet (immédiat) sur les sentiments moraux des intéressés car les sujets s’engagent dans l’interaction sociale avec des attentes normatives, associées aux relations de communication et qui supposent une reconnaissance sociale. Les revendications de justice salariale sont par exemple, pour ceux qui les émettent, une exigence de voir reconnus leur travail ou les efforts qu’ils ont consentis sur le lieu de travail. Le sentiment d’injustice ne se trouve alors pas appréhendé à partir de sphères de la justice ou de mondes sociaux déterminés mais conformément à une approche transversale de ces mondes sociaux.

L’approche honnethienne permet de réinterpréter la fonction de la comparaison au sein de ces sentiments, à partir d’une source intrinsèque à ces derniers dont l’une des formulations ou expressions serait la comparaison. Celle-ci ne serait alors convoquée que dans un processus de justification pour soi-même ou pour autrui du sentiment d’injustice.

Le principal apport de cette théorie est de considérer que le sentiment d’injustice est

travaillé de façon interne par des attentes normatives. La mise en échec d’exigences

normatives, nourries par les individus, produit des sentiments d’injustice et contribue à déclencher

des dynamiques cognitives et pratiques.

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L’interprétation honethienne décrit une structure formelle à partir de laquelle saisir les sentiments d’injustice. Pourtant lorsque l’on privilégie une appréhension non formaliste de ces exigences normatives, il apparaît que ces sentiments d’injustice ne s’épuisent aucunement dans des dénis de reconnaissance mais laissent apparaître des attentes fortes, en matière de justice distributive. À l’encontre de la théorie honnethienne, nous montrerons que les situations d’injustice désignées par ces sentiments ne se résument pas à des privations de reconnaissance.

Considérer qu’un même sentiment ou un même registre normatif, en l’occurrence le mépris social, est à l’œuvre revient à proposer une approche certes unifiante mais réductrice des sentiments d’injustice et à occulter les revendications distributives qui en sont le substrat.

Les sentiments d’injustice traduisant des exigences normatives de justice distributive peuvent, pour une part, être liés à des situations individuelles mais ils portent en outre intrinsèquement des attentes d’ordre macrosocial, généralisables à l’ensemble de la sphère sociale, indépendamment des différences propres à des groupes sociaux spécifiques. Une conception du sujet – dans (et des) sociétés démocratiques libérales – est inhérente à ces revendications larvées. Ce sujet abstrait, laborieux, universel, porteur de droits se distingue substantiellement du sujet porteur d’attentes de reconnaissance. L’approche des sentiments d’injustice que nous privilégierons 7 suppose donc de cerner la substance de ce qui constitue aujourd’hui, pour les contemporains, les conditions normatives de l’interaction sociale.

Empiriquement saisi, le mépris social s’avère plutôt s’exprimer « en conjonction » avec des attentes normatives relevant de la justice distributive et s’associe fondamentalement à des attentes de justice sociale. L’interprétation du sentiment d’injustice en termes de justice distributive – plutôt que de mépris – demande donc à être redéployée et refondée selon les aspects singuliers de son expression contemporaine.

2. Sentiments d’injustice et principes des démocraties libérales contemporaines 2.1 A TTENTES NORMATIVES DES CITOYENS

Les sentiments d’injustice n’étant pas simplement fondés sur la frustration relative mais motivés par des interprétations normatives et des principes de justice, leur analyse suppose une théorie du non respect des conditions normatives de l’interaction sociale contemporaine, qui fasse droit non pas simplement à des attentes de reconnaissance mais également de justice notamment distributive. La classe des sentiments d’injustice suscités par le non respect des

7 Et que N. Fraser a également privilégiée contre A. Honneth (Fraser et Honneth, 2003).

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« conditions normatives de l’interaction sociale » est bien plus compréhensive que la description qu’en propose A. Honneth. Notre hypothèse suppose, dans un premier temps, d’identifier les attentes normatives adressées aux interactions sociales contemporaines.

Ces attentes normatives peuvent être saisies et précisées à partir des attentes implicites ou explicitement formulées par des individus, qui se sentent injustement traités ou qui jugent injuste la société française. On objectera que, poursuivant un tel objectif et ne prêtant attention qu’aux sentiments d’injustice, à l’indignation et aux déplorations morales, on ne parviendra à dessiner que les contours d’une société idéale ou parfaite ou ceux de la société des individus se sentant victimes d’injustices et d’inégalités. Nous montrerons que tel n’est précisément pas le cas, en particulier parce que les jugements d’injustice qui s’expriment aujourd’hui répondent à des attentes situées historiquement, socialement et politiquement.

Les attentes qui s’expriment aujourd’hui – et qui peuvent par exemple être recueillies dans le cadre empirique d’entretiens semi-directifs –, sont celles d’individus du XXI e siècle, citoyens de la société française. Leur singularité permet en retour de peindre les termes de ce que devrait être, aujourd’hui, le contrat social fondateur d’une société juste, en régime démocratique et libéral. Il se décrit notamment en référence à la non discrimination, à l’égalité de traitement et à l’égalité des chances. Il implique en outre de repenser le rôle du travail dans la société contemporaine, de reconsidérer la distribution des bénéfices sociaux et la rétribution de l’utilité sociale ainsi que l’interprétation prédominante du mérite.

La détermination de ces conditions normatives de l’interaction sociale permettra une

spécification des sentiments d’injustice, soulignant leur complexité et réinstituant en leur cœur

des attentes distributives ainsi qu’une catégorisation plurielle et non restreinte à l’expression

du mépris social de ces sentiments. L’un des critères de validation théorique de conditions

normatives, saisies à partir d’attentes émergeant empiriquement, réside dans leur capacité à

constituer des principes susceptibles d’être choisis sous voile d’ignorance. Ce motif exclut

l’arbitraire de leur élection. On observe par exemple que, d’un point de vue formel, le

sentiment d’injustice est, de façon récurrente voire systématique, suscité par la transgression

du principe d’impartialité. Or la référence à ce principe est au moins aussi cardinale que le

sentiment de mépris social ou d’absence de reconnaissance, quand bien même l’importance

qui lui est reconnue, explicitement ou implicitement, aurait des raisons culturelles, associées

au développement d’idéaux d’égalité dans les démocraties contemporaines.

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2.2 L E SENTIMENT D INJUSTICE , ECART ENTRE DES ATTENTES NORMATIVES ET UN ETAT DU MONDE

Envisagées en leur acception la plus compréhensive, les conditions normatives de l’interaction sociale désignent le cadre normatif général dans lequel évoluent les individus, c’est-à-dire la « structure de base » (Rawls) de la société. Ces conditions normatives sont de deux ordres.

Elles consistent soit en conditions idéales, du type de celles mises en lumière par Habermas ou Rawls, soit en conditions habituellement acceptées dans les sociétés libérales et démocratiques, telles que le respect des lois, l’absence de discrimination, la liberté de pensée et de religion. Appréhendées empiriquement, les attentes formulées à l’endroit de ces

« conditions normatives de l’interaction sociale » s’avèrent concerner spécifiquement la structure de base de la société, les libertés et droits fondamentaux, les lois du pays, le consensus sur des valeurs fondamentales (notamment libérales), le respect de la propriété privée, les termes du contrat social, le fonctionnement social, dans la pluralité de ses aspects, et le respect des procédures.

L’irrespect de ces conditions normatives est vecteur de sentiments d’injustice qui se distinguent spécifiquement du sentiment de frustration, associé à un espoir déçu. En l’occurrence, ces sentiments émergent lorsqu’un écart est perçu par les individus entre les attentes normatives qu’ils nourrissent, à l’égard de la structure de base de la société, et la réalité de la société française contemporaine. La perception de cet écart est au fondement des sentiments d’injustice 8 . Le sentiment d’injustice est suscité par l’écart entre ces attentes normatives et l’état de la société, c’est-à-dire par une inadéquation dont le sens est, pour une part, formel.

Plus fondamentalement, le sentiment d’injustice témoigne, pour une part et d’un point de vue formel, que les règles d’un système d’interaction, i.e. d’un « jeu » donné, ne sont pas respectées. Ces règles peuvent, par ailleurs, avoir un contenu substantiel et normatif à l’égard duquel les individus démontrent (ou non) un attachement axiologique. Le sentiment d’injustice a en revanche pour objet le référentiel ou le cadre normatif considéré par les

8 Qui peuvent alors être décrits sur le modèle de certains jugements relatifs à la cohésion sociale pour autant que

« la cohésion sociale (CS) rend […] compte de l’écart entre la société réelle (SR) et la société bien ordonnée

(SBO) telle que la conçoivent les citoyens » (Forsé et Parodi, 2009, p. 15).

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acteurs et en référence auquel ils revendiquent – ou préconisent – une juste répartition des droits et des devoirs 9 (Boudon, 1995).

a. L’injustice de la « structure de base » de la société

La littérature théorique, et en particulier la philosophie politique, offre une description des fondements sociaux et de la « structure de base » de la société. Qu’en est-il des formes empiriques dans lesquelles ceux-ci sont interprétés et des attentes qui se cristallisent aujourd’hui à leur endroit ? Un détour par l’empirie est donc requis pour appréhender les fondements normatifs des sentiments d’injustice ainsi que les attentes concernant la « structure de base » de la société. Cette classe de sentiments d’injustice traduit la perception d’une rupture des termes du contrat social pour autant qu’il fonde une société juste 10 . Les principes fondamentaux dont les citoyens attendent aujourd’hui qu’ils dessinent la « structure de base » de la société concernent la dignité, la liberté, la poursuite des conceptions individuelles de la vie bonne, la propriété privée, l’impartialité, le respect de l’esprit de la loi associé à un souci de justice procédurale, un fonctionnement adéquat des institutions judiciaires. L’importance reconnue à ces principes n’est pas arbitraire mais se trouve fondée sur des raisons que nous avons explicitées en d’autres lieux (Guibet Lafaye, 2012).

La dignité constitue un principe axiologique fondamental et une norme d’évaluation déterminant l’acceptabilité des situations sociales et de leurs différences, en particulier pour des individus qui ne bénéficient pas des positions sociales les plus avantagées (voir Guibet Lafaye, 2011c, tableaux 11.1 et 11.4) 11 . Elle se présente comme un point d’ancrage essentiel de la reformulation du principe de différence, du point de vue des individus les moins favorisés socialement, en ce sens que les différences de niveaux de vie ne sont acceptables, i.e.

« tolérables » que si le principe de dignité est respecté, si « chacun vit dignement » (Charlotte). De

9 Cette interprétation n’est pas sans lien avec la théorie proposée par Boltanski (1990) de la justice comme compétence.

10 Ainsi PK déclare : « Pour moi si c’est des inégalités, c’est forcément injuste, donc c’est inacceptable. On ne peut pas tolérer ça dans notre société basée sur la justice ».

11 L’enquête par questionnaire PISJ montre que 76 % des personnes interrogées estiment que « De grandes

différences de revenu sont contraires au respect de la dignité individuelle » (tableau 5.1.1) mais les réponses se

partagent selon les professions : ce principe semble moins pertinent aux yeux des artisans et des professions

intermédiaires (qui l’approuvent respectivement à 74 et 72 %) ainsi qu’aux très jeunes mais bien davantage aux

agriculteurs (86 %) puis aux ouvriers (80 %), aux cadres (76 %) et aux personnes de plus de 50 ans (avec un

coefficient de corrélation (V de Cramer) pour ces derniers de 0,11). L’importance conférée à ce principe

s’émousse pour les hauts revenus (au-delà des 3100 € mensuels, cette barre marquant une différence nette dans

les réponses) (voir tableaux 5.1.2). Les professions reconnaissant le plus la pertinence de ce principe sont à la fois

celles qui sont les moins bien rémunérées et les plus pénibles. On peut alors estimer que la faiblesse des écarts de

revenu constituerait, pour ces catégories, un instrument de revalorisation symbolique de leurs métiers.

(15)

la structure de base de la société, on attend également qu’elle assure la garantie de principes fondamentaux sur lesquels elle se fonde, tels que l’exigence libérale du respect de la poursuite par chacun de son propre projet rationnel de vie. Or des dispositions, notamment législatives visant des groupes sociaux particuliers, peuvent l’enfreindre et, de ce fait, susciter des sentiments d’injustice 12 . Le respect de la propriété privée légitime se présente également comme l’un des principes libéraux à l’égard duquel de fortes attentes sociales se déploient 13 .

Des attentes de type procédural, nourries par une histoire démocratique, émergent aussi et justifient intersubjectivement l’expression de sentiments d’injustice. Ceux-ci s’expriment lorsque les institutions fondamentales de l’État sont perçues comme ne fonctionnant plus ainsi qu’elles le devraient ou comme elles le faisaient. Les attentes normatives, au principe de ces sentiments d’injustice, dessinent, en creux, les principes axiologiques de la structure de base de la société, jugés fondamentaux, ainsi que la substance de ce qui constitue, aujourd’hui, le contrat social et une société juste. Dans quels termes celui-ci se laisserait-il décrire aujourd’hui ?

b. La rupture du contrat social

On déclare que « c’est injuste », lorsque les conditions du pacte social – quelles qu’elles soient – ne sont pas, dans les faits, respectées. Le contrat social demeure aujourd’hui fondé, explicitement ou implicitement, sur des principes axiologiques précis, garantissant le bon fonctionnement de la société – en somme, une « société bien ordonnée ».

Appréhender ce qui constitue actuellement la substance du lien social permet non seulement de rendre raison des sentiments d’injustice mais aussi de saisir, au-delà des questions de reconnaissance, les attentes normatives contemporaines, émergeant au sein d’une variété d’univers sociaux (économique, politique, familial, etc.).

Au fondement du pacte social figurent le respect de la dignité individuelle, l’effort collectif pour effacer les différences de dotations initiales, la promotion de l’égalité des chances, le

12 Gigi : Au Canada, « ils savaient juguler l’immigration, est-ce que c’est ce que voulait faire le gouvernement, je ne sais pas comment il s’y prend, à mon avis il s’y prend mal, il met dehors les gens est-ce que ce n’est pas à la louche, est-ce que c’est justifié, enfin, pour moi, moi ça me choque, peut-être que c’est ça la solution, les mettre dans l’avion, mais pour ces pauvres, il en a qui travaillent là depuis un certain temps, pourquoi ils travaillent là, ils ont eu un permis de travail, ils ont eu l’acceptation de leurs patrons, donc, dans la mesure où ils travaillent là et que leurs enfants sont scolarisés, enfin il ne faut pas les jeter quoi, enfin, bon, ça ce n’est pas juste ».

13 Jebea sur les inégalités de patrimoine : « il faut regarder aussi, bien souvent, c’est comment elles ont été

acquises. Il y a des inégalités de patrimoine qui datent de la seconde guerre mondiale et qui ont été en fait de la

spoliation de biens. Et la descendance de ces gens-là conserve tous ces biens-là et ils sont nombreux ces biens… ».

(16)

principe de différence. Ces principes sont interprétés comme des descriptions adéquates des finalités de l’ordre social et nourrissent, en retour, des attentes spécifiques. L’écart perçu entre ces attentes et le déploiement de l’interaction sociale motive des sentiments d’injustice.

Le respect de la dignité individuelle, principe fondateur de la structure de base de la société, émerge comme l’une des valeurs consensuelles fondamentales, au fondement du contrat social. Ce principe supporte alors des attentes redistributives – plutôt que simplement fondées sur la reconnaissance – imposant la garantie de la satisfaction des besoins fondamentaux de chacun. Ces attentes concernent la répartition des richesses, perçue comme la condition et le signe d’un souci de la dignité individuelle égale de tous les membres de la société, indépendamment de toute revendication d’estime sociale 14 .

Fondamentalement liée à cette perception d’une égalité essentielle entre les individus et les citoyens, la finalité de l’ordre social se décrit également dans l’effort conjoint d’effacer les différences introduites par les dotations initiales. Cette ambition, mise en évidence par la théorie politique (Rawls, 1971), décrit le sens perçu du projet de société et la raison intuitivement appréhendée de l’existence d’une société 15 . L’inadéquation de ce projet de société et de la réalité sociale ouvre une brèche pour l’expression de sentiments d’injustice. Le projet de société, normativement décrit dans la Théorie de la justice de 1971 comme consistant à annuler, au nom d’un idéal de justice, les accidents des dotations naturelles et les contingences des circonstances sociales, se révèle donc informer empiriquement les attentes sociales et individuelles. Les sentiments d’injustice contemporains s’enracinent ainsi dans le constat de la réduction des opportunités de choix qu’affrontent certaines catégories sociales pour des raisons arbitraires. Ces revendications n’expriment alors pas tant des attentes de reconnaissance sociale qu’elles ne désignent des enjeux de justice sociale.

En effet, le non respect de l’égalité des chances et de ses conditions aussi bien que du principe d’impartialité sont structurants des sentiments d’injustice contemporains. Ils dénoncent les inégalités qui ne sont pas exclusivement des inégalités de positions sociales mais

14 Ainsi « même si c’est la société [la société imaginaire A] qui a le moins de richesses, l’important c’est que les richesses soient bien réparties pour que chacun ait de quoi vivre dignement. Nous on a plein de richesses et plein de gens qui meurent de faim » (PK).

15 Fabienne défend cette position : « La société doit être là pour aller en sens inverse de ces inégalités de

naissance » et explicite cette condition normative du lien social : « c’est l’rôle de l’État, c’est justement un des rôles

principaux d’l’État… d’essayer d’construire une société où voilà, les inégalités soient le moins possible prégnantes

[…] sur la vie des hommes ». Constatant que la réalité demeure en deçà de cette exigence normative, Brucciu

exprime un sentiment d’injustice : « Au départ il y a des différences qui vont provoquer par la suite des inégalités,

c’est-à-dire qu’au départ on a tous, on est dans une République où chacun a sa chance, chacun est libre, chacun a,

on est l’égal de l’autre officiellement, sauf qu’on constate que quand on vient de, euh, si on est né en France mais

que papa et maman sont nés en Algérie, ils sont Algériens, ou Marocains … là c’est beaucoup plus difficile de

s’intégrer, il faut le double d’effort pour un même, euh, pour un même droit. Il y en a qui me dirait non, mais moi,

voyant ça à l’école je crois que oui… ».

(17)

aussi des inégalités de naissance inscrites dans la filiation. Ces jugements stigmatisent des processus qui figent, sur des générations, des différences dans les opportunités qui n’ont pas de raison de demeurer figées. Les configurations dénoncées ne répondent en outre aucunement à des principes de justice susceptibles d’être choisis sous voile d’ignorance. L’importance conférée à l’égalité des chances, à ses conditions ainsi qu’au principe d’impartialité prévaut aujourd’hui empiriquement, dans les représentations macro- et microsociales du juste et de l’injuste sur la sensibilité au mépris social.

Enfin la finalité de l’ordre social et les raisons du lien social se décrivent empiriquement en référence au principe de différence et aux institutions de solidarité 16 , seule l’extension conférée à celles-ci variant selon les orientations politiques individuelles. Cette appréhension intuitive de telles finalités constitue le substrat normatif de sentiments d’injustice, suscités par la perception du contournement des institutions, mises en place au profit des plus défavorisés – par de mieux lotis qu’eux –, telles la CMU 17 . La solidarité s’avère en effet aujourd’hui perçue, en tous points de l’espace social, comme une condition normative fondamentale de l’interaction sociale 18 .

Cette interprétation des finalités fondamentales de l’ordre social explique que de nombreux sentiments d’injustice surgissent du constat d’une inversion des raisons et des fins pour lesquelles l’institution sociale (la société) existe. Elle atteste de ce que ces sentiments émanent

16 Le principe de différence supporte une attente normative explicitement prononcée par Do : « Donc, voilà, dans des proportions raisonnables quoi, parce que pour moi égalitaire ou civilisée, même pas civilisée, bon, c’est celle qui prend soin des plus fragiles… pour moi c’est à ça qu’on mesure le degré d’humanité, de civilité, on peut dire ça comme ça, d’une société, c’est-à-dire qu’on ne laisse personne derrière ou en tous les cas, voilà, s’il y a un effort à faire c’est de ce côté-là, ce n’est pas dans le fait de rémunérer mieux ceux qui gagnent déjà largement de quoi vivre correctement, non, c’est d’amener tout le monde à avoir un niveau de vie qui soit acceptable, voilà, après bon, il y a peut-être, dans notre modèle de société, hein, après on ne va aller jusqu’à la remettre en question, ce n’est pas le propos de cette enquête, sinon j’irais jusqu’où là… mais dans le domaine de la société telle qu’elle est faite donc de consommation, donc où il faut un minimum de moyens pour pouvoir vivre correctement eh bien voilà, je pense que ça, ça serait égalitaire et plus juste… » (Do). Do mesure l’égalité d’une société a sa capacité à protéger les plus fragiles : « le degré d’une société égale pour moi c’est sa façon de protéger les plus fragiles, la maladie en fait partie ». Cette conviction est également portée par d’autres enquêtés votant à gauche comme Charlotte : « on sait très [bien] que les gens qui touchent les minima sociaux sont bien en dessous du seuil de pauvreté…/

Comment on peut tolérer ça, de dire clairement d’aller vivre… d’aller être dans la merde quoi ! Tous les mois vous allez galérer… ».

17 François : « L’inégalité, je crois que c’est la première là, l’accès aux soins/ Moi j’en parle parce que je suis directement concerné dans l’asso où je bosse/ Toutes les personnes qui bénéficient de la CMU et qui se font jeter par les médecins, qui ont pas les moyens de se payer leurs médicaments, tout simplement/ Parce qu’il y en a qui sont devenus payants maintenant/ Ceux qui touchent la CMU en fait normalement, ils ne doivent rien payer, mais ils peuvent pas se soigner parce que les médecins ils refusent/ Parce qu’ils sont… je sais pas ça doit être le bordel pour toucher leur argent ».

18 Comme le souligne Anne, « …la France n’est pas trop mal lotie. De manière générale, on est dans un régime

solidaire, notamment avec les impôts – impôts sur la fortune notamment – et je trouve que c’est injuste que cela

soit remis en cause. Je trouve ça normal de payer des impôts. Ca me semble normal de payer pour ceux qui ont

moins, qui ont un plus petit salaire. Je suis en bonne santé, mais c’est normal que j’aie des contributions sociales qui

soient importantes pour pouvoir financer des gens qui sont malades. On ne sait pas ce qui peut nous arriver. La

solidarité c’est un bon système, mais souvent on s’en rend compte quand on n’en a plus ».

(18)

fondamentalement non pas de la frustration relative mais de conceptions normatives d’une société juste. Cette inversion se donne pour manifeste et se voit empiriquement constatée, lorsque la société semble moins prendre en compte ses citoyens que la superstructure ou la macroéconomie. La réalité sociale offre alors l’image d’une inversion de ce que devraient être ses priorités, dans des jugements qui apprécient la structure de ce qui est à l’aune de ce qu’elle devrait être. La conviction que les finalités et la raison d’être de l’ordre social sont inversées constitue, en tant que telle, le mécanisme générateur du sentiment d’injustice.

La conviction que la réduction des inégalités n’est précisément pas un projet de société traduit des attentes concernant les finalités de l’ordre social. La réprobation morale – inhérente à ce jugement normatif – et le sentiment qu’en la matière une injustice est commise s’expliquent, de façon déterminante, en référence à une représentation abstraite de ce qui est juste, associée au constat que le fonctionnement actuel de la société se tient très en deçà de la représentation (idéale) de cette dernière.

Les sentiments d’injustice surgissent de la juxtaposition de deux situations dont la valeur normative (la santé vs. l’investissement financier) est inégale et du constat d’un arbitrage qui, dans les faits, se produit au détriment de ce qui est jugé essentiel par la personne s’exprimant. Une nouvelle fois, la mise en perspective de l’être et du devoir être – celui-ci servant de mesure à laquelle celui-là est évalué – montre que des conceptions fondamentales, fondatrices voire a priori du juste fondent la dénonciation des états sociaux.

L’analyse fine des sentiments d’injustice suggère que ce qui, à un premier niveau d’appréhension, peut être saisi comme l’expression de la frustration relative, se révèle en dernière analyse reposer sur des convictions morales et des principes axiologiques. En l’occurrence, la perception d’une inversion des priorités constitue le mécanisme déclencheur du sentiment d’injustice, lorsqu’elle conduit à privilégier ce qui, pour le locuteur, paraît moins fondamental sur ce qui est essentiel. Cette inversion est stigmatisée aussi bien au plan macrosocial que dans des mesures publiques et politiques plus ponctuelles 19 . Elle se trouve associée à l’attribution normative divergente, par les uns et par les autres, de la qualification de « priorité » (que soient évoqués l’humain, la santé, l’éducation) et de ce qui doit être perçu

19 Mettant en jeu, en l’occurrence, le rôle de protection sociale dévolu à l’État. Jebea déclare, concernant les

inégalités « face à la santé et aux soins, elles sont multiples. Déjà pour commencer, quelqu’un qui est défavorisé au

niveau d’un salaire, il n’aura plus les moyens maintenant de prendre une mutuelle. Parce que vu le désengagement

de la sécurité sociale qui était très forte à une époque, puisque dans les années 1970 la sécu remboursait environ

80 à 90 % des actes médicaux ou des médicaments, maintenant ce n’est plus le cas. C’est entre 30 et 40 %, voire

moins. Et c’était une brèche pour les mutuelles tout ça. Tous les mutualistes se sont engouffrés là-dedans et les

mensualités sont exorbitantes, exorbitantes. J’ai un ami qui a le minimum vieillesse, il n’a même pas le droit à la

CMU, donc qui est une assistance de l’État qui peut compenser le désengagement de la sécu. Alors ça si c’est pas

des injustices, je ne sais pas comment ça s’appelle ? ».

(19)

comme essentiel, dans une configuration où les citoyens et ceux qui occupent les positions de pouvoir (économiques, financières ou sociales) ne pèsent pas du même poids dans la définition de ces priorités.

Les sentiments recueillis et analysés confirment que, dans l’ensemble de l’espace social et, en particulier, lorsque les individus affirment des préférences politiques pour la gauche, des attentes normatives à l’égard de la société se dessinent, précisément parce qu’ils ont une conception et une représentation abstraite de ce qu’est une société juste – et de ce que doit être la cohésion sociale – dont une large part semble forgée ex ante, contrairement à ce que la théorie sociale suggère souvent. Les sentiments d’injustice surgissent en effet dans l’écart entre la représentation individuelle (éventuellement partagée collectivement) d’une société juste et ce que les individus perçoivent de l’état actuel de la société (Forsé et Parodi, 2009).

Conclusion

L’exposé et l’analyse ici proposés des sentiments d’injustice sont incomplets. Néanmoins l’étude, de plus vaste ampleur, que nous avons réalisée (voir Guibet Lafaye, 2012) a montré qu’on ne peut aujourd’hui considérer que les sentiments d’injustice sont exclusivement conditionnés par des situations singulières dans lesquelles des intérêts personnels se voient lésés. Une indéniable objectivité se laisse saisir dans les sentiments de justice et en particulier dans l’expression déterminante du jugement d’injustice, c’est-à-dire lorsque celui-ci se formule en référence à un principe objectif et à un droit, par exemple, bafoué. En contexte empirique ainsi que dans les situations de la vie courante, la frustration relative constituerait l’expression la plus immédiate de la perception de l’injustice.

Toutefois les jugements spontanés suggèrent et font référence à des conceptions communes,

parfois intuitives ou inarticulées, du juste distributif à l’aune desquelles la réalité sociale est

appréhendée. Elles convoquent des attentes relatives à la structure de base de la société, aux

libertés et aux droits fondamentaux, notamment libéraux, au respect de la dignité individuelle

et au principe de différence, au respect de la propriété privée, à la réduction des différences de

conditions individuelles, dues à des dotations initiales inégales, et à la promotion de l’égalité

des chances, au fonctionnement social dans la pluralité de ses aspects et au non respect des

procédures. Ces références axiologiques confèrent une objectivité aux sentiments de justice

qui les portent, au-delà de la déploration de ce que des intérêts personnels sont lésés. Les

sentiments d’injustice s’inscrivent alors dans l’écart entre la représentation individuelle

(20)

(occasionnellement partagée collectivement) d’une société juste et ce que les individus perçoivent de l’état actuel de la société (Forsé et Parodi, 2009).

La référence à des normes absolues de justice permet de cerner, au cœur des sentiments d’injustice, les termes de ce que devrait être, aujourd’hui, le contrat social fondateur d’une société juste, en régime démocratique et libéral. Ce contrat s’explicite notamment à partir de principes de non discrimination et d’égalité de traitement, d’égalité des chances, à partir de l’interprétation du mérite, de la place du travail dans la société française et de la rétribution de l’utilité sociale ainsi qu’en référence à la distribution des bénéfices sociaux. La référence au mépris social n’est donc plus aujourd’hui le motif explicatif central ni exclusif des sentiments d’injustice.

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Annexes

L ISTE DES PERSONNES INTERROGEES

1. Anne, 27 ans, célibataire, salariée du privé en CDI, documentaliste-rédactrice 2. Anpif, 65 ans, mariée, 3 enfants, femme au foyer

3. August, 56 ans, marié, ouvrier qualifié

4. Brigitte, 50 ans, célibataire, cadre supérieur titulaire du public, conseillère d’orientation

5. Brucciu, 41 ans, vie maritale, enseignante de musique

(22)

6. Cajua, 42 ans, mariée, 3 enfants, cadre supérieur, profession libérale 7. Charles, 28 ans, célibataire, ingénieur du son intermittent du spectacle 8. Charlotte, 27 ans, célibataire, assistante sociale en CDI

9. Do, 51 ans, pacsée, chômeuse antérieurement conseillère en insertion professionnelle 10. DRM, 30 ans, vie maritale, journaliste à son compte, pigiste

11. Estelle, 51 ans, célibataire, profession intermédiaire du privé en CDI l’agro-alimentaire 12. Fabienne, 58 ans, pacsée, directrice de librairie (fondée de pouvoir)

13. Fémar (Félix), 57 ans, célibataire, chef d’entreprise, auto-entrepreneur 14. Fo (Fabien), 28 ans, vie maritale, chef d’entreprise, auto-entrepreneur 15. François, 34 ans, célibataire, travailleur social, salarié du privé en CDI

16. Gigi, 63 ans, mariée, 3 enfants, retraitée, anciennement institutrice et directrice d’école

17. Habib, 56 ans, marié, 2 enfants, conseiller principal d’éducation (CPE), profession intermédiaire titulaire du public

18. Henry, 52 ans, marié, 3 enfants, en contrat à durée indéterminée de chantier (CDIC) 19. Hicham, 56 ans, marié, 2 enfants, statisticien du Pôle Emploi

20. Jacques, 50 ans, séparé, 1 enfant, chômeur antérieurement infographiste dans le privé 21. Jean-Yves S., 64 ans, marié, 2 enfants, ouvrier qualifié

22. Jeanne, 29 ans, vie maritale, profession intermédiaire du privé en CDI 23. Jebea, 57 ans, marié, 2 enfants, ouvrier qualifié

24. Jemor, 44 ans, marié, 2 enfants, cadre supérieur du privé 25. Jessica, 27 ans, mariée, auto-entrepreneur (artisan commerçant) 26. Jorou, 40 ans, marié, 2 enfants, professeur des écoles

27. Julie R., 27 ans, célibataire, profession intermédiaire du privé en CDI 28. Juliette, 26 ans, vie maritale, salariée du privé en CDD

29. Kades, 33 ans, célibataire, profession intermédiaire du privé aujourd’hui au chômage et en formation professionnelle

30. Lafre, 40 ans, vie maritale, artiste à son compte 31. Laurence, 38 ans, mariée, 2 enfants, ouvrière qualifiée 32. Marcel, 39 ans, célibataire, ouvrier qualifié

33. Marie G., 38 ans, célibataire, agent d’accueil CROUS

34. Marie L., 44 ans, mariée, 3 enfants, profession intermédiaire en congé parental

35. Marie-Claude, 62 ans, veuve, 2 enfants, retraitée, travaillant à mi-temps, anciennement commerçante

36. Marine, 20 ans, célibataire, étudiante aide-soignante travaillant en CDD dans le privé 37. Max, 73 ans, marié, 4 enfants, retraité anciennement artisan commerçant et chef d’entreprise 38. Michel, 46 ans, vie maritale, intermittent du spectacle

39. Mireureu, 56 ans, divorcée, 1 enfant, conteuse intermittente du spectacle 40. Mouna, 60 ans, mariée, 1 enfant, femme au foyer

41. Pascal, 38 ans, pacsé, 3 enfants, ouvrier qualifié 42. Pharma, 59 ans, marié, 2 enfants, pharmacien

43. Pierre C., 52 ans, marié, 3 enfants, cadre supérieur du privé 44. PK, 24 ans, célibataire, conducteur de trains

45. Raïssa, 28 ans, célibataire, professeur des écoles

46. Rerub, 40 ans, marié, 2 enfants, cadre supérieur dirigeant de PME 47. Saskia, 75 ans, mariée, 5 enfants, journaliste et psychologue en activité 48. Thivar, 44 ans, marié, 2 enfants, ouvrier qualifié

49. Thomas, 37 ans, célibataire, cadre supérieur du privé 50. Vincent, 29 ans, célibataire, éducateur

51. Vivianne, 28 ans, mariée, psychomotricienne

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