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A chaque génération son féminisme Essai de typologie féministe

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Chapitre 3

A chaque génération son féminisme Essai de typologie féministe

Comme souvent lorsque l’on s’attache à écrire l’histoire des femmes et plus encore lorsqu’il s’agit des féministes, on se heurte aux difficultés de retracer des biographies complètes des actrices qui ont consacré une partie de leur vie, voire leur vie entière, au militantisme féministe. Tenter de dresser des portraits collectifs ou une biographie collective relèverait de la gageure même si cet exercice serait intéressant à plus d’un titre. Dégager des caractéristiques communes permet en effet d’identifier les milieux et les réseaux mobilisés pour la cause féministe et identifier ceux qui se sont révélés réceptifs et prêts à collaborer.

Dans ce chapitre, nous présenterons toutefois un essai de typologie mettant en évidence des vagues successives dans le mouvement, en les caractérisant par quelques portraits de personnalités représentatives. On gardera bien sûr à l’esprit qu’il s’agit là d’un choix et que ces femmes ont eu des collaboratrices moins connues, des militantes anonymes, sans lesquelles rien n’eut été possible. Les raisons et les motifs de leurs engagements sont également des questions cruciales et complexes à résoudre, pour lesquelles certaines pistes sont suggérées.

S’adapter ou non à la modernité: le défi des années 1920

Le féminisme qui renaît après 1918 sort fortement éprouvé de la Première Guerre.

Certaines militantes, déjà âgées, comme Marie Parent ou Léonie La Fontaine, qui ont toutes les deux dépassé la soixantaine, ne s’investissent plus avec autant d’ardeur. D’autres, comme Jane Brigode, réorientent leur militantisme, seul subsiste un petit noyau autour de la personnalité d’Elise Soyer qui réamorce le mouvement. Mais la guerre suscite également de nouvelles vocations : Marthe Boël et son amie Hélène Goblet d’Alviella, toutes vibrantes du combat des suffragettes anglaises, vont sonner à la porte de Jane Brigode pour se mettre au service du féminisme belge. Lui demandant ce qu’elles peuvent faire, Jane Brigode leur aurait répondu : « Tout, parce que tout reste à faire dans notre pays » 1.

1 BOËL, M., « A Jane Brigode », Bulletin du CNFB, Mai/juin 1952, p.1.

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La guerre et son engagement dans la résistance ont fait prendre conscience à Marthe Boël d’une certaine solidarité féminine. Elle l’exprime très clairement lors de son procès en 1916 où elle comparaît devant un tribunal allemand à Charleroi. Accusée d’avoir organisé un service postal acheminant du courrier entre soldats au front et leurs familles en pays occupé, elle « assimile son engagement à une nécessaire solidarité entre femmes de toutes conditions »2. On peut supposer que son engagement féministe s’inscrit sous la même bannière. Condamnée, elle est incarcérée à la prison de Siegburg dans des conditions extrêmement dures où elle connaît la faim et le froid ; gravement malade, elle est ensuite transférée en Suisse avec interdiction de rentrer en Belgique. La guerre déclenche donc chez elle un désir d’engagement, qu’elle concrétise sur deux fronts, la paix revenue : l’organisation des femmes libérales et le féminisme. Avec Jane Brigode, elle fonde la Fédération nationale des femmes libérales en 1920 dont elle assure la présidence jusqu’en 1936. En 1936, elle abandonne ce poste et se dévoue pleinement à la cause féministe, au niveau national et international3.

Inversement Jane Brigode (1870-1952) vient à la politique par le biais de son engagement féministe. Féministe de la première heure, militante libérale, fondatrice de l’Union patriotique des femmes belges en 1914, Jane Brigode prend ses distances avec les milieux féministes durant l’entre-deux-guerres et s’investit dans l’action politique au niveau communal et dans la lutte antivénérienne4. Elle demeure pourtant, avec Louise Van den Plas, une des deux figures « historiques » du féminisme belge, depuis la mort de Marie Popelin (1913) et du théoricien Louis Frank (1917). Brigode et Van den Plas ont fondé l’Union patriotique des femmes belges en 1914 et pour l’une comme pour l’autre, la période la plus intense de leur militantisme féministe se situe désormais derrière elles.

Louise Van den Plas naît en 1877 et passe sa jeunesse dans le Massif central. Ce n’est que vers l’âge de 15 ans qu’elle s’établit à Bruxelles, dans une ville qu’ « elle ne connaît pas ou très mal »5. Fortement impressionnée par la lecture du Grand catéchisme de la femme, publié en 1894 par le jeune avocat à la cour d’Appel de Bruxelles, Louis Frank, elle est sensible à la question féminine mais ne partage néanmoins pas ses vues (ni celles de la Ligue belge du droit des femmes) sur la religion. Après un séjour parisien à l’invitation de Marie Maugeret et de Marie Duclos, elle fonde, à peine âgée de 25 ans, le Féminisme chrétien de Belgique en 1902, avec l’aide du parlementaire catholique Henry Colaert6 et du journaliste René Henry7.

2 GUBIN, E., « Femmes en Belgique occupée (1914-1918), Paroles de femmes dans la guerre (1914- 1918),…p. 56.

3 Sur Marthe Boël Dictionnaire des femmes …, p. 163-166. ; Le flambeau, numéro spécial, mars/avril 1956 ; Biographie nationale, t. XXXVIII, col. 87-92 ; Le Temps des femmes 1888-1988, éd. CNFB, Bruxelles, 1988 ; Marthe Boël, 1877-1956, éd. CNFB, Bruxelles, mars 1956 ; n° spécial publié en souvenir de la manifestation d’hommage à la baronne Pol Boël, présidente du CNFB à l’occasion du trentième anniversaire de l’entrée des femmes belges dans la vie publique, Bulletin du CNFB, s.d.

4 Dictionnaire des femmes belges,…, p. 79-81.

5 GERIN, P., « Louise Van den Plas et les débuts du féminisme chrétien de Belgique », Revue Belge d’histoire contemporaine, I, 1969, 2, p. 257.

6 Dictionnaire des femmes.., p. 116-117. René Colaert (1848-1927), docteur en droit de l’université catholique de Louvain, député de 1884 à 1926, bourgmestre d’Ypres de 1900 à sa mort. En 1901, il rédige avec René Henry La femme électeur qui défend le suffrage féminin.

7 René Henry (1881-1917), journaliste, rédacteur au Patriote, au National bruxellois puis au Journal de Bruxelles ; fervent partisan du suffrage féminin, il adhère aux idées du féminisme chrétien sous l’influence de Marie Duclos. Engagé volontaire en 1914, il meurt en 1917 : Dictionnaire des femmes belges…, p. 314-315.

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Elle trouve une certaine audience, d’abord auprès de la démocratie chrétienne puis dans l’ensemble du parti catholique, soucieux de mobiliser les femmes contre la montée du socialisme8.

Jane Brigode est, à l’inverse, issue d’un milieu libéral et formée à l’école d’Isabelle Gatti de Gamond et membre active de la Ligue belge du droit des femmes. Favorable au droit de vote des femmes, elle fonde avec Louise Van den Plas, la Fédération belge pour le suffrage des femmes en 1913. La guerre finie, les deux femmes concentrent leur action féministe sur la conquête du droit de vote et mettent toute leur énergie à réactiver la Fédération belge pour le suffrage des femmes. La défaite subie en 1919 lors de l’octroi du suffrage universel uniquement aux hommes, puis la semi-victoire de 1920 où les femmes obtiennent le vote aux élections communales, tempèrent leur enthousiasme.

A ce moment, Jane Brigode entame la cinquantaine et Louise Van den Plas la quarantaine. Toutes deux nées dans le dernier quart du XIXe siècle, elles n’ont pas suivi de formation universitaire et elles sont imprégnées d’un féminisme qui, pour être pionnier, a du mal à s’adapter aux nouvelles réalités de l’entre-deux-guerres. La première est mariée et mère de famille, la seconde célibataire mais toutes deux ont peu d’atomes crochus avec les nouvelles générations de femmes. Au milieu des années 1930, Louise Van den Plas dresse un bilan doux-amer de son combat féministe qu’elle décrit comme une tentative pour planter des semences dans un terrain qui n’était pas encore préparé à les recevoir. Elle rappelle le

« dédain », « l’hostilité » et « l’incompréhension » auxquels son action fut en butte9. Elle déplore qu’après trente années d’efforts pour secouer « l’insouciance de beaucoup d’heureuses et les préjugés de beaucoup de privilégiés égoïstes », les principes défendus par le féminisme chrétien « sont encore si peu compris »10. Progressivement elle s’éloigne de ce militantisme qu’elle juge ingrat pour se reconvertir dans l’abolitionniste, l’antialcoolisme et la défense de la famille. Elle siège à la commission officielle qui prépare en 1929, la révision de la loi Vandervelde sur l’alcool (1919) et s’oppose, à l’instar de l’ensemble des féministes, au retour de la liberté en matière de vente et de consommation d’alcool. Dès 1922, elle fait partie de la Commission des familles nombreuses, instituée auprès du ministère de la Justice et collabore ensuite de manière de plus en plus étroite avec la jeune Ligue des familles nombreuses. Elle devient membre du comité de rédaction de son bulletin, puis secrétaire de son directeur, L. Ballet11.

La question générationnelle n’explique pourtant pas tout. Elise Soyer appartient à la même génération que Jane Brigode et Louise Van den Plas mais son enthousiasme pour la cause féministe ne faiblira jamais. Plus radicale que les deux premières, elle fréquente aussi des milieux plus originaux et sa trajectoire sort des sentiers battus.

Plus âgée que Jane Brigode (elle a huit ans de plus), elle a suivi les cours d’Education d’Isabelle Gatti, puis une formation en art dramatique au conservatoire de Bruxelles. Elle épouse l’écrivain Raymond Nyst en 1887, renonce à la scène pour écrire des nouvelles et évolue dans un milieu d’intellectuels et d’artistes. Les époux Nyst sont connus dans la

8 GERIN, P., op.cit., p. 254-257; KEYMOLEN, D., « Louise Van den Plas », Nouvelle biographie nationale, t. 1., Bruxelles, 1988, p. 339-343.

9 VAN den PLAS, L., « Passé et renouveau », Le féminisme chrétien, nov./déc. 1936, p. 133-134.

10 VAN den PLAS, L., « Voulez-vous qu’il continue de vivre? », Le féminisme chrétien, oct. 1934, p.

119.

11 KEYMOLEN, D., op.cit., p. 343.

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capitale pour leur salon littéraire du mardi, qui succède au fameux salon animé par Edmond Picard dans les années 1880. Les ‘mardis’ des époux Nyst se déroulent dans une ambiance proche « du symbolisme parisien, bourgeoise, capiteuse, esthétisante, décadente à ses heures.

Des causeries cependant furent d’un tel intérêt qu’elles forgèrent aux « mardis » une réputation quasi internationale »12. Ces réunions sont suivies par des écrivains de renom comme Camille Lemonnier, ou Jeanne de Tallenay, le féminisme y était défendu par Louis Frank, les idées anarchistes par Elisée Reclus13. Les époux Nyst sont aussi connus pour leur ésotérisme et leur éclectisme : ils réunissent des théosophes, des Rose-Croix, des francs- maçons. L’exploratrice et romancière Alexandra David-Neel, avant d’entreprendre son voyage en Inde en 1891, se rend régulièrement chez eux et laisse une description étonnante :

« C’est là que je fus témoin des essais bizarres de la maîtresse du logis (Elise Soyer), s’exerçant à (…) une légèreté supra-humaine de papillon se posant sur les fleurs (…). Les mains obligées de saisir des objets devaient (…) paraître ne pas les toucher et les tenir seulement par effet de quelque aimant magique supprimant le contact direct. Combien de porcelaine ont dû faire les frais de cet apprentissage, me demandais-je en regardant Madame Nyst, grande plantureuse Flamande, offrir des tasses de thés à ses hôtes tout en sautillant, les bras tendus afin de figurer les ailes »14 !

Par l’intermédiaire d’Elise Soyer, certaines sympathies naissent entre le courant théosophique et le jeune mouvement féministe. Louise De Craene-Van Duuren n’y est pas insensible mais sans y adhérer vraiment. Proche de Serge Brisy (nom de plume de Nelly Schoenfeld) adepte de la théosophie dès 1916, présidente de la loge Krishna de Bruxelles en 1925 mais aussi franc-maçonne, Louise De Craene s’investit uniquement dans l’obédience maçonnique du Droit humain où elle déploie toute son énergie pour y gagner des sympathisants à la cause féministe15. Par contre, c’est au nom de la théosophie que l’avocat et sénateur socialiste, Frans Wittemans (1872-1963), soutiendra des idées féministes au parlement16.

Ce mouvement assez occulte, inspiré par la philosophie orientale, fait son apparition en Belgique à la fin du XIXe sous l’influence de la Française Annie Besant. Il rencontre des sympathies dans les milieux libres-penseurs et athées de la capitale. La première loge théosophique serait née dans le salon des époux Nyst-Soyer.

Mais le couple se porte mal et dès 1894, Elise Soyer se sépare de son mari qui entretient une maîtresse. Elle déménage avec ses deux filles, Marguerite et Alice mais refuse de divorcer et plaide pour un mariage « ouvert », chaque conjoint restant en bons termes17. Ils finissent cependant par divorcer en novembre 1910 et après la Première Guerre, tous les

12 CLERBOIS, S., Contribution à l’étude du mouvement symboliste : l’influence de l’occultisme français sur la peinture belge (1883-1905), Thèse de doctorat, Philosophie et Lettres, ULB, 1999, vol.

1, p. 189.

13 Ibidem.

14 DAVID-NEEL, A., Le sortilège du mystère. Faits étranges et gens bizarres rencontrés au long de mes routes d’Orient et d’Occident, Plon, Paris, 1972, p. 104.

15 CATTEEUW, J., Theosofie en vrouwenemancipatie (1875-1933), Mém. lic. Histoire, U.Gent, 2005- 2006, p. 130.

16 Voir chapitres 8 et 15.

17 CATTEEUW, J., Theosofie en vrouwenemancipatie (1875-1933) …, p. 124.

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ponts sont définitivement rompus. Nyst est en effet en condamné dans un procès retentissant pour ‘défaitisme’ qui défraie l’opinion publique bruxelloise18.

L’année de son divorce, Elise Soyer fonde L’International Féminin, journal féministe qu’elle publie jusqu’en 1934 (sauf pendant les années de guerre). Membre de la Ligue belge du droit des femmes dès sa fondation en 1892, elle est à l’origine de la Société belge pour l’amélioration du sort de la femme (1897) et devient, après 1918, une des chevilles ouvrières de la renaissance du CNFB. Proche également de Louise De Craene-Van Duuren dont elle partage de nombreuses vues en matière de droits féminins, elle participe à la création du Groupement belge pour l’affranchissement de la femme19. En bref, elle est pratiquement de toutes les expériences progressistes mais cet extraordinaire déploiement d’énergie cache peut-être une fuite en avant. Sa vie privée, sur laquelle elle est plus que discrète, est un fiasco. En 1920, elle perd sa fille Alice, qui se suicide en présence de son fils de deux ans.

Elise Soyer se rend cependant quelques jours plus tard au congrès quinquennal du CIF à Kristiana. Lady Aberdeen se souvient encore en 1931 des « circonstances » de sa « visite en Norvège » et de son « grand chagrin », qu’elle comprend pour avoir perdu également «un jeune fils de 25 ans dans un accident d’automobile »20. Durant tout l’entre-deux-guerres, Elise Soyer s’occupe du secrétariat du CNFB et court inlassablement de congrès en congrès.

Derrière elle se profile en filigrane Louise De Craene-Van Duuren. Egalement née dans le dernier quart du XIXe siècle, le 21 novembre 1875, Louise De Craene est diplômée des Cours d’éducation d’Isabelle Gatti de Gamond. Elle a poursuivi des études universitaires à l’ULB tout en travaillant comme maîtresse d’anglais à l’école d’adultes pour dames à Bruxelles. En juillet 1900, elle obtient le diplôme de docteur en philosophie. A partir de 1907, elle enseigne au Cours d’éducation B mais son état de santé déficient l’oblige à de nombreuses absences de sorte qu’elle obtient sa mise à la retraite définitive dès 1917, à l’âge de 42 ans. Entre-temps, elle a épousé en 1905, Ernest De Craene, médecin et psychiatre qui enseignera à l’ULB21. De sept ans plus jeune que Louise, il partage ses idées féministes et s’engage pleinement à ses côtés. Franc-maçon, il défend également l’émancipation féminine au sein de la loge dont il est membre22.

Evoluant dans un milieu libre-penseur et maçonnique, convaincue, comme les militantes de sa génération, que l’éducation est la clé de l’émancipation, tant pour la classe ouvrière que pour les femmes, Louise De Craene est membre de la Ligue de l’Enseignement. Mais elle fait aussi partie d’une petite frange de féministes, à la frontière mouvante du libéralisme progressiste et du socialisme, qui se retrouve autour d’Isabelle Gatti de Gamond. Dès 1902 elle entre dans le comité de rédaction des Cahiers féministes fondés par Gatti. Suffragiste convaincue, elle participe aux côtés de Julie Gilain à la création de l’Union féministe belge en 1902, seule association qui, dans le paysage féministe belge, a des sympathies déclarées pour les suffragettes. En 1909, Céline Dangotte-Limbosch lui apportera un nouveau souffle,

18 Le Soir, 26 octobre 1919. Nyst est poursuivi pour avoir collaboré pendant la guerre au journal La Belgique, sous censure allemande. Il est condamné en 1919 pour défaitisme, tandis qu’il plaide l’option pacifiste. Son procès fait grand bruit dans l’opinion publique, surtout dans la capitale. De son côté Elise Soyez et sa famille ont au contraire fait preuve d’un très vif patriotisme.

19 Dictionnaire des femmes belge.. , p. 509-510.

20 Lettre de Lady Aberdeen à Elise Soyer, octobre 1931 : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB 01.

21 DE VOS, A., « Portait d’une femme engagée. Louise De Craene-Van Duuren 1875-1938 », Sextant, n°10, 1998, p. 84-85.

22 Histoire de la fédération belge du droit humain, t. 1, Bruxelles, 1988.

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mais plus modéré. Après la guerre, Louise De Craene participe aux activités de l’Alliance internationale pour le suffrage des femmes, mais le manque de vigueur des associations féministes belges l’irrite et l’amène à fonder le Groupement belge pour l’affranchissement de la femme en 1928. A ce moment, sa pensée s’est fortement radicalisée et s’accorde avec celle de jeunes universitaires, comme Marcelle Renson ou Georgette Ciselet, qui revigorent le féminisme belge et lui donnent bientôt un nouveau visage23.

Déjà sensible avant guerre, le radicalisme de Louise De Craene se consolide dans une double opposition : contre les thèses défendues par les associations féminines catholiques prônant une stricte hiérarchie des sexes et l’interdiction du travail féminin et contre celle des femmes socialistes adeptes de la protection spécifique du travail féminin. Mais surtout elle apparaît comme une véritable théoricienne du féminisme, bien en avance sur son temps, qui développe un argumentaire basé sur le respect des droits humains. Elle assimile l’autonomie civile et économique des femmes à un droit fondamental, faisant partie intégrante des droits humains. Elle ancre donc profondément le combat féministe dans des valeurs au fondement même de tout système démocratique. C’est sur un socle quasi semblable que les sociétés occidentales tenteront de se reconstruire après la Seconde Guerre ; en ce sens, la pensée de Louise De Craene présente une grande modernité et certaines de ses positions préfigurent les analyses du néo-féminisme. C’est le cas, par exemple, de sa conception de la famille qu’elle identifie comme le lieu cardinal de l’oppression féminine24.

Au demeurant, ses positions tranchées n’en ont jamais fait une femme aigrie ; ses contemporains la décrivent au contraire comme une personnalité pleine de charme, accueillante pour les plus jeunes, dont la « vivacité d’esprit, servie par une précision incisive dans l’expression, faisait d’elle un contradicteur redouté dans la discussion, mais aussi le défenseur idéal des idées qui lui étaient chères » 25. Une chose est sûre, elle a marqué durablement et profondément toutes celles qui l’ont fréquentée, à commencer par Adèle Hauwel qui lui vouera toujours un profond respect. Son décès prématuré en 1938, à la suite d’un cancer, laisse un vide immense dans le monde féministe

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Au CNFB : la querelle des Anciens et des Modernes

Après une première réunion avortée en 1919, le CNFB se réunit en janvier 1920 sous la houlette d’Elise Soyer. La présidente, Léonie La Fontaine, réfugiée en Suisse durant la guerre, est toujours absente, ce qui suscite de fortes crispations entre les membres jusqu’à la nomination d’une nouvelle présidente, Marguerite Van de Wiele. Visiblement plus sollicitée pour son renom d’écrivaine que pour ses convictions féministes, Marguerite Van de Wiele est une femme du siècle passé. Elle a entamé précocement une brillante carrière littéraire, s’est imposée avec brio dans les milieux féministes mais en 1920, sa conception de l’émancipation féminine commence à dater. Bien que formée, comme pratiquement toute cette première génération de féministes, au Cours d’éducation d’Isabelle Gatti de Gamond, elle s’est toujours montrée très modérée, prudemment réformiste, surtout préoccupée d’éducation et de culture. Plus femme d’œuvres que féministe, Marguerite Van de Wiele

23 Sur Louise De Craene-van Duuren : DEVOS, A., « Portait d’une femme… », p. 75-95 et Dictionnaire des femmes,… p. 560-561.

24 Les théories de Louise De Craene sont développées ultérieurement.

25 HANNEVART, G., « In memoriam », Bulletin de la fédération belge de femmes universitaires, année 1938, Bruxelles, 1938, p.6.

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s’entoure de collaboratrices dont la fibre féministe est, à certains égards, quasi inexistante.

Sous son impulsion en effet, le CNFB s’ouvre au monde chrétien et plusieurs femmes catholiques sont nommées à la présidence d’une commission permanente du CNFB. Dès l’assemblée générale de 1921, Marie Haps (1873-1939) et Marie-Elizabeth Belpaire (1853- 1948) sont respectivement présidentes de la commission Education et de la commission Emigration et immigration26. Ces deux femmes appartiennent à la même génération que Marguerite Van de Wiele, et elles sont toutes les deux fort actives dans le domaine éducatif − Marie-Elizabeth Belpaire à Anvers27 et Marie Haps à Bruxelles28. Marie Haps est aussi une des fondatrices de l’Assistance discrète, une œuvre à laquelle Marguerite Van De Wiele a participé durant la guerre. Juliette Carton de Wiart préside la commission Enfance et la commission Travail, une commission stratégique, est confiée à Elise Plasky (1865-1944). Ce choix est très révélateur du type de personnalités que Marguerite Van de Wiele attire au CNFB.

Première inspectrice du travail (1901) Elise Plasky est une bourgeoise cultivée, intéressée par les questions sociales. Mère de cinq enfants, elle s’est consacrée jusque là à la lutte pour la protection de l’enfance et contre l’alcoolisme. Elle s’oppose à tout « féminisme agressif » qu’elle juge pervers et n’est pas favorable au suffrage des femmes. En matière de travail féminin, ses vues sont plus qu’ambiguës : elle défend une stricte ségrégation de l’emploi, estimant que les femmes sont toujours perdantes quand elles entrent en concurrence avec les hommes et plaide pour le maintien, voire la renaissance, des métiers traditionnels du vêtement. Si elle défend la condition des ouvrières « obligées » de travailler, son idéal est celui de la femme au foyer29. Elle préside aux destinées de la commission Travail et prévoyance sociale du CNFB de 1921 à 1944, ce qui ne manquera pas de générer de très fortes tensions avec les féministes égalitaires. Jane De Busschère30, une toute fraîche recrue du CNFB, confie qu’en 1937 le CIF considère toujours la Belgique comme « un pays socialement arriéré », une impression « renforcée par Mme Plasky et ses visites personnelles faite à l’insu du CN en 1935 »31.

Quant à la vice-présidence du CNFB, offerte à la princesse de Mérode, il est possible que ce soit également Marguerite van de Wiele qui l’ait proposée car les deux femmes ont travaillé ensemble pendant la guerre pour soigner les blessés et les invalides32. A l’assemblée

26 E. SOYER, « Histoire du féminisme en Belgique », Sextant, n°5, 1996, p. 162-163.

27 Marie-Elisabeth Belpaire (1853-1948). Ecrivaine et militante flamande, elle se consacre à l’écriture, à la propagation de la culture flamande et à l’éducation des femmes. Elle crée la Ligue Constance Teichmann en 1910 qui vise à chapeauter les associations catholiques féminines : Dictionnaire des femmes…, p.46-48 ; Encyclopédie van de Vlaamse Beweging, Lannoo, Tielt, 1973, t. 1., p. 172-173.

28 Marie Frauenberg, ép. Haps (1879-1939). Elle participe à l’Oeuvre de l’assistance discrète dès 1914 qui recueille des fonds afin de distribuer des vivres. Sur les conseils du recteur de l’université de Louvain, elle décide de fonder une école supérieure de culture générale pour jeunes femmes. Le but de l’école étant de fournir aux jeunes filles en trois ans une formation intellectuelle de haut niveau mais sans perspective professionnelle! Dictionnaire des femmes…, p.254-256 et Nouvelle biographie nationale, t. II, p. 215-216.

29 Dictionnaire des femmes belges…, p. 552-553.

30 Jane De Busschère (1880-1967 ?). Dictionnaire des femmes .., .p. 140-141.

31 Lettre de Mlle De Busschère à Mademoiselle ?, 9 nov. 1937 : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB 13. 32 Marie-Louise de Bauffremont-Courtenay, épouse du comte Jean de Mérode (1874-1955), devenue Belge par son mariage, impliquée dans de nombreuses œuvres philanthropiques et présidente d’honneur de l’Union patriotique des femmes belges : Dictionnaire des femmes belges…, p. 136-137.

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générale de 1921, le poids conservateur représenté par deux vice-présidentes catholiques, la princesse de Merode et Marie Haps, est toutefois compensé par celui de la libérale Marthe Boël et de Marie Danse, l’épouse du ministre socialiste Jules Destrée. Tel quel, les vice- présidences de ce CNFB d’après guerre présentent un cocktail d’appartenance aux principaux piliers politiques de la Belgique. Les dirigeantes du CNFB illustrent donc du climat d’union nationale qui s’est maintenu jusqu’en 1922.

Proche de Jane Brigode et du parti libéral, la baronne Boël incarne la régénération du CNFB et du féminisme belge à partir des années trente. Personnalité charismatique, dans la force de l’âge (la quarantaine) la baronne Boël est consciente qu’il faut rajeunir le CNFB et redorer son blason, y compris à l’étranger. Son engagement au sein du CNFB correspond à une conviction personnelle et nullement à une préoccupation philanthropique ou mondaine, de mise dans le milieu aristocratique dont elle est issue. Le milieu originel du CNFB n’est d’ailleurs pas celui de Marthe Boël : les femmes qui ont créé le CNFB avant la guerre proviennent pour la plupart des classes moyennes urbaines et beaucoup travaillent pour vivre. Marthe Boël est née dans une famille noble, de tradition libérale, et son mariage avec un riche industriel (qui sera anobli) lui donne accès à un large réseau d’influence qu’elle met au service du féminisme belge et international. De grande taille, altière, cette femme riche, mère de quatre enfants « comblée de tous les dons »33 n’a de prime abord « aucun intérêt particulier à défendre » en s’engageant dans le féminisme ; elle tranche avec les préjugés et les stéréotypes contemporains qui qualifient les féministes de « vieilles filles aigries et mécontentes ». Et de fait, elle prête au féminisme un tout nouveau visage.

La méthode Boël : une poigne de fer dans un gant de velours

La reprise en main du CNFB par la baronne Marthe Boël amorce véritablement une ère nouvelle. Epaulée par Elise Soyer, Marthe Boël élargit le recrutement des commissions d’études. Eveillant les vocations et permettant « aux personnalités de s’épanouir autour d’elle », Marthe Boël a l’art de repérer les recrues prometteuses34. Soyer et Boël sont aidées dans ce travail par Mme Oedenkoven-De Boeck, une personnalité très présente mais discrète, dont on ne sait pratiquement rien. A son instigation, Dora Wiener35, alors directrice de la première école de comptabilité fondée en février 1918, puis de secrétariat (1923/1924)36 prend en charge la vice-présidence de la commission Education. Mme Freddy Buysse-

33 DELCOURT, M., « Marthe de Kerkhove de Denterghem, Baronne Boël », Le Flambeau, mars/avril 1956, p. 131.

34 « Mademoiselle Baetens », Bulletin du CIF, septembre/novembre 1951, p.29.

35 Dora Wiener (1887-1964), s’est consacrée à ouvrir de nouvelle carrières professionnelles aux femmes. En février 1918, elle crée des cours de comptabilité pour jeunes filles, en 1924, une école supérieure de secrétariat et deux ans plus tard une école supérieure de kinésithérapie. Ces écoles sont reprises par l’Etat en 1958. Membre du CNFB depuis l’entre-deux guerres, elle assure la présidence de la commission Education depuis 1954. Membre du bureau de 1946 à 1958, elle est également vice- présidente de la commission Education du CIF. Dictionnaire des femmes…, p. 586-587.

36 « L’école supérieure de secrétariat », Bulletin du CNFB, juin 1949, p. 15-16. « Ecole de comptabilité pratique pour jeunes filles », Bulletin du CNFB, février 1950, p. 16-17. En 1917 quelques personnes décident de créer des cours intensifs de dix mois en comptabilité et sciences commerciales.

Accessibles aux femmes et jeunes filles, ces cours leur permettent d’être engagées dans les bureaux et de présenter l’examen de recrutement des grandes banques, jusque-là réservé aux hommes. Après la guerre l’école ouvre officiellement ses portes en février 1918, prend le nom d’Ecole de comptabilité pratique, est subventionnée par le gouvernement, la province du Brabant et est hébergée par la ville de Bruxelles.

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Thibaut accepte la tâche de secrétaire, à condition que la présidente pressentie Berthe Grandjean, l’accepte. Mme Buysse, malgré l’engagement de son mari au parti libéral, demeure catholique mais ses idées très sont larges « et tout à fait indépendantes de certaines retenues inhérentes aux personnes qui s’occupent d’œuvres dans ce parti »37. Berthe Grandjean dirige à ce moment la Société belge pour l’amélioration du sort de la femme (ASF). Première femme nommée au Conseil général de la Ligue de l’enseignement (1921), elle succède à Jane Brigode à la vice-présidence de la Ligue de l’Enseignement en 1928.

Elue en 1932 à la présidence de la Commission Education du CNFB, elle lutte pour améliorer et élever le niveau des études destinées aux filles38. Laïque convaincue et libre- penseuse, elle milite pour un enseignement officiel et non-confessionnel39. Mme Oedenkoven se réjouit de l’accueil extrêmement positif qu’elle rencontre généralement auprès de l’ensemble des personnes contactées : « je m’aperçois – avec joie – que toutes les femmes intelligentes jugent et comprennent instantanément l’intérêt et le but du Conseil national »40.

La baronne Boël convainc également quelques juristes fraîchement diplômées de l’ULB de s’investir au CNFB. Georgette Ciselet, Marcelle Renson, peu après Fernande Baetens, y sont rejointes par Jeanne Vandervelde, un peu plus âgée mais appartenant aussi à cette relève d’universitaires. En réalité Marthe Boël sollicite largement le vivier de la Fédération belge des femmes universitaires, créée en 1921 par Marie Derscheid-Delcourt (1859-1932), présidente de la commission Hygiène du CNFB au début des années 1920. Celle-ci avait démissionné de ses fonctions en raison du manque de dynamisme du CNFB, mais elle avait promis de solliciter de jeunes universitaires à partir du moment où s’amorce un très net regain d’activités41. Ces jeunes universitaires apportent non seulement leurs compétences mais surtout un nouveau style, y compris dans les réunions internationales où elles représentent le CNFB. Fernande Baetens se souvient qu’à Stockholm en 1933, « notre arrivée fit, paraît-il, sensation. Nous étions jeunes, nous n’étions pas vêtues de soie noire, nous posions quantité de questions… »42.

Désormais le diplôme des nouvelles recrues apparaît comme un gage de qualité qui confère du crédit aux travaux des commissions : des caractéristiques que le CNFB ne manque pas de souligner lors de ses assemblées générales43.

Quand deux féministes se rencontrent…

Georgette Ciselet et Jeanne Vandervelde-Beeckman sont deux personnalités centrales du mouvement féministe belge. Toutes deux se retrouvent après la Seconde Guerre sur les bancs du Sénat, représentant des partis différents (Ciselet est libérale, Jeanne Vandervelde

37 Lettre de Mme Oedenkoven-De Boeck à la baronne Boël ( ?), 15/07/1931 : Mundaneum, F.

Féminisme, CNFB 01.

38 GRANDJEAN, B., « Discours d’ouverture », Journée pédagogique organisée par la Ligue de l’enseignement. La préparation de la jeune fille au rôle social de la femme. Rapports, Palais des académies, 28 juin 1931, Bruxelles, 1932, p. 3-5.

39 Dictionnaire des femmes belges..., p. 513-514.

40 Lettre de Mme Oedenkoven-De Boeck à la baronne Boël ( ?), 15/07/1931 : Mundaneum, F.

Féminisme, CNFB 01.

41 Correspondance échangée entre les membres du bureau du CNFB, 4 juin 1931 : Mundaneum, F.

Féminisme, CNFB 01.

42 Bulletin du CNFB, juillet-août 1955, p. 3.

43 « Belgique. Assemblée générale et journée d’études à Liège », Bulletin du CIF, juillet 1939.

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socialiste). Leur action conjointe permet néanmoins d’inscrire dans la législation bon nombre de revendications féministes. Pourtant, si elles appartiennent à des générations assez proches, leur engagement féministe prend naissance très différemment.

Georgette Ciselet naît dans la bourgeoisie industrielle anversoise en 1900. Diplômée en droit de l’ULB en 1923, elle s’inscrit au tableau de l’ordre des avocats le 1er octobre 1926.

Brillante avocate, elle épouse en 1929 un confrère, Henri Wagener, plus connu comme écrivain, sous le nom de plume d’Henri Soumagne. C’est une femme qui fait l’unanimité autour d’elle : chacun souligne sa prestance, son élégance, sa distinction ; elle impressionne par son éloquence et la rigueur de ses propos (qualifiés souvent, comme il se doit, de

« virils » !).

Diplômée également de l’Université libre de Bruxelles, Jeanne Beeckman a débuté ses études de médecine en 1908. Son milieu semble la prédestiner plus que Georgette Ciselet au féminisme : sa mère, Lily Beeckman-Pousset (1868-1945) est une militante de la première heure. Journaliste (une des premières en Belgique à être engagée dans un quotidien), issue d’un milieu progressiste, elle a une fibre sociale développée et a participé à la création de la Société belge pour l’amélioration du sort de la femme (1897)44. Mais le militantisme de la mère agit à contre emploi chez la fille : dans un article autobiographique rédigé en 1929, Jeanne Beekman rappelle combien elle était irritée par le discours victimaire du féminisme, qu’elle repousse totalement. Son expérience de jeune médecin, chargée de soigner des blessés à l’hôpital Saint-Pierre à Bruxelles durant la guerre, puis sa pratique médicale quotidienne forgent d’abord ses convictions socialistes, d’où découle pour elle, presque naturellement, un engagement féministe : « Je suis devenue socialiste pour la seule raison que je suis médecin (…) Je suis socialiste (…) donc féministe »45.

Au plan personnel, Jeanne Beeckman, qui a déjà vécu l’expérience difficile du divorce de ses parents, se sépare assez vite de son premier mari, le médecin Jean Thysebaert, rencontré à l’hôpital Saint-Pierre, et épouse en secondes noces à Paris le 30 octobre 1927, le « patron » du POB, Emile Vandervelde, également divorcé de Lala Speyer. Près de 25 ans les séparent : Emile Vandervelde est âgé de plus 60 ans et au faîte d’une longue carrière politique. Il préside aux destinées du POB46. Ce mariage ne manque pas d’alimenter des ragots de toute nature47 et par la suite, Jeanne Vandervelde fait régulièrement l’objet d’attaques dans la presse. C’est une femme indépendante, à la forte personnalité, dont le parcours dérange:

médecin, féministe, militante pacifiste et antifasciste, elle s’implique également dans la vie politique aux côtés de son mari et n’hésite pas à bousculer son entourage et les journalistes par un verbe haut en couleurs et des propos souvent caustiques. Prise à parti par l’éditorialiste du périodique Le Rouge et le Noir, elle revendique dans un droit de réponse, son indépendance financière et sa dignité de femme : « J’ai toujours gagné ma vie par mon travail comme médecin, trouvant cette attitude conforme à mes opinions sur le travail des

44 Dictionnaire des femmes …, p. 463-464.

45 Brouillon d’une interview de Jeanne Vandervelde par Hélène François, juin 1935 : IEV, F. J.

Vandervelde, boîte 6.

46 Dictionnaire des femmes.., p. 40-43. ; Sur Emile Vandervelde (1866-1938) : voir POLASKI, J., Nouvelle biographie nationale, Bruxelles, 1988, p. 344-354. et Emile Vandervelde, le patron, Bruxelles, Labor, 1995.

47 Voir correspondance reçue par Jeanne Beeckman d’amis qui lui font part de médisances, 1927 : IEV F. Jeanne Vandervelde, boîte1.

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femmes, gage de l’indépendance et de la dignité de leur vie »48. Elle assimile son engagement féministe à l’avènement « d’une société démocratique basée sur la reconnaissance des droits de l’homme… (où) aucune discrimination de sexe, de race ou de religion ne peut-être maintenue »49.

En revanche, rien, dans l’existence de Georgette Ciselet ne semble l’orienter vers le féminisme… sauf ses études de droit, qui ont sans aucun doute joué un rôle significatif dans sa prise de conscience de la subordination des femmes. Visiblement, pas de meilleure école pour se convertir au féminisme que les études de droit ! Ciselet n’est pas la seule à en sortir convaincue de la nécessaire révision des codes : c’est le cas de Fernande Baetens, de Marcelle Renson, de Stella Wolff, de Paule Lamy, plus tard de Francine Lyna…50. Leur conversion découle de la découverte des inégalités entre les sexes induite par le mariage, choquantes au regard des évolutions sociales à une époque où le mariage reste toujours la

« mission providentielle » proposée à la majorité des jeunes filles. Ne reniant pas l’idée que le mariage demeure la première destinée des jeunes filles, le combat féministe devient pour ces juristes une manière de concilier voire de sublimer, au sens psychanalytique du terme, une équation insoluble à première vue : accepter de se marier tout en sachant que l’on perd l’ensemble de ses droits sur le plan civil.

Durant ses études, Georgette Ciselet se lie d’amitié avec Stella Wolff et Paule Lamy.

Lorsqu’elles terminent leurs études, le barreau vient tout juste de s’ouvrir aux femmes, après une longue lutte amorcée par la fameuse Affaire Popelin en 1888. Elles sont les premières à profiter de la loi de 1922, en grande partie l’œuvre du second mari de Jeanne Beeckman, Emile Vandervelde.

Une nouvelle génération de féministes

Cette nouvelle jeune génération d’intellectuelles régénère le mouvement féministe belge, tant sur le plan des idées que des actions. Disposant d’une formation théorique, mues par des aspirations personnelles, notamment au plan professionnel, elles formulent de nouvelles revendications et incarnent un nouveau projet de vie et de société, elles bousculent ainsi le rôle et la place que les féministes précédentes reconnaissaient aux femmes. Beaucoup sont influencées par les idées de Louise De Craene-Van Duuren, qu’elles distillent au sein du plus conservateur CNFB, et unissent leurs forces pour fonder de nouveaux groupes, plus radicaux, plus incisifs : le Groupement belge pour l’affranchissement de la femme, le Groupement belge de la porte ouverte (GBPO) et Egalité. Mais ces femmes se rencontrent également dans d’autres endroits, qui deviennent à leur tour un terrain fertile pour les idées féministes : toutes sont quasiment membres d’une loge de l’obédience du Droit humain et militent dans des mouvements antifascistes et pacifistes.

Germaine Hannevart (1887-1977), bien que plus âgée, incarne pratiquement à elle seule ces nouvelles caractéristiques. Docteure en sciences biologiques de l’ULB, elle perd son fiancé durant la guerre de 14-18 et sa sœur perd son mari. Les deux sœurs décident de vivre désormais ensemble et d’élever seules deux enfants, Germaine Hannevart assurant la vie

48 Projet de droit de réponse. Lettre de Jeanne Vandervelde à Pierre Fontaine, Bruxelles, 5 février 1937: I.E.V., F. J. Vandervelde, boîte 7.

49 ERVE, D., « Eves de notre temps », Le Soir illustré, mars 1954.

50 Dictionnaire des femmes belges,…, p. 37-38 ; p. 479-481 ; p. 593.

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matérielle de la maisonnée. Franc-maçonne, antifasciste, elle préside la Fédération des femmes universitaires pendant vingt ans (1932-1952) et, après la Seconde Guerre, remet énergiquement sur pied le GPBO, en veilleuse depuis la mort de Louise De Craene (1938).

En revanche, elle ne s’investit pas au CNFB51.

Le renouveau réussi du CNFB lui confère dans les années trente la qualité de référence incontournable en matière de questions féminines. Mais ces jeunes militantes ne vivent pas de leurs rentes et poursuivent également une carrière professionnelle. Abondamment sollicitées, elles sont assez rapidement débordées de travail, comme le suggère à traits feutrés Marcelle Renson qui « regrette beaucoup de ne pouvoir cette fois, me rendre utile au CNFB… (n’ayant à) sa disposition que des journées de 24h et que la bête humaine (la mienne du moins) en exige au moins 5, au profit de son repos »52.

Les nouvelles aspirations de ces jeunes militantes mais aussi leurs méthodes heurtent les anciennes féministes. La Française, Adrienne Avril de Sainte-Croix confie en 1937 à son amie belge, Léonie La Fontaine, qu’elle comprend sa décision de se retirer de la section Paix du CNFB, « il y a une telle différence entre la mentalité des femmes de nos âges et celles des générations actuelles qu’avec la meilleure volonté du monde on n’arrive plus toujours à s’entendre … peut-être est-ce elles qui ont raison (…) mais il est bien difficile quand la vieillesse est là, de changer son ossature morale »53.

D’autres envisagent cette relève avec plus d’optimisme et se réjouissent de ce rajeunissement: « les pionnières », selon Elise Soyer, peuvent ainsi se reposer, le flambeau est transmis « à une pléiade de jeunes femmes studieuses et universitaires ». Après 25 ans de bons et loyaux services à la cause féministe, elle se réjouit de pouvoir y mettre un terme car

« être arrière-grand-mère, et vivre non loin du poupon chéri, prend aussi beaucoup de temps et procure beaucoup de joie : je veux en jouir pleinement »54.

Un renouveau en décalage dans les rangs catholiques

Un renouveau analogue s’observe dans les rangs catholiques, mais avec dix ans de décalage, en raison des lenteurs de l’université de Louvain à accueillir des étudiantes. Le scénario est alors fort semblable à celui décrit pour les milieux laïques à la fin des années 1920. Un petit noyau de femmes diplômées de l’université catholique de Louvain (mais aussi de l’université d’Etat à Liège) s’implique peu à peu dans des associations féministes chrétiennes. Après des années d’efforts, Louise Van den Plas parvient enfin, en 1937, à

« passer le flambeau à des femmes de la génération nouvelle, de cette génération de féministes catholiques qui, grâce à leurs devancières, ont pu faire des études universitaires »55. Parmi les nouvelles recrues et collaboratrices du Féminisme chrétien, l’avocate Angèle Grégoire-Van Oppems côtoie les juristes Magdeleine Leroy-Boy, Simone

51Germaine Hannevart (1887-1977), enseignante, pacifiste et féministe, Dictionnaire des femmes belges.., p. 307-309.

52 Lettre de Marcelle Renson à Mademoiselle ?, 19 février 1937 : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB 13.

53 Lettre d’Adrienne avril de Sainte-Croix à Léonie La Fontaine, 19 mai 1937 : Mundaneum, F.

Féminisme, Papiers Léonie La Fontaine, en classement.

54 L’International Féminin, novembre/décembre 1934.

55 VAN den PLAS, L., « Passé et renouveau », Le féminisme chrétien, novembre/décembre 1936, p.

136-137.

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Huynen et Emilie Beyens, la doctoresse Marie-Antoinette de Voghel ou encore la philosophe Lily Borboux-Wigny56 qui deviendra présidente du CNFB en 1953. Le Féminisme chrétien n’est pas le seul à les courtiser ; le CNFB les intègre également dans ses activités.

Fernande Baetens57 joue un rôle important dans ce rapprochement. Elle est également l’une des personnes qui relaie le féminisme auprès des associations féminines catholiques.

Elle a fait ses études de droit à l’ULB et est membre de la Fédération belge des femmes universitaires, mais restée de conviction catholique, elle apparaît un peu comme un électron libre dans un paysage souvent défini par les appartenances politiques. Professeure à l’école de service social catholique, elle est conseillère juridique des Ligues ouvrières féminines chrétiennes de 1946 à 1957 et collabore également avec la très conservatrice Fédération belge des femmes catholiques. Elle insuffle quelques idées féministes dans les milieux catholiques, comme par exemple en 1952, quand elle utilise un rapport du CIF pour rédiger un programme d’éducation civique qui lui a été demandé par les LOFC58.

Mais ce rapprochement avec les féministes catholiques n’est pas tout à fait étonnant, car à bien des égards, le féminisme de Baetens se fait de plus en plus modéré après 1945. Proche de Magdeleine Leroy-Boy, elle essaie, à la fin des années 1940, d’implanter en Belgique une branche de l’Alliance internationale Jeanne d’Arc. Cette association défend pourtant un féminisme assez radical, nettement plus égalitaire que celui du Féminisme chrétien59 et c’est en vain que Fernande Baetens essaie d’y intéresser la Fédération des femmes catholiques60. Par ailleurs, Baetens n’a jamais été liée avec Louise Van den Plas et ne se rapproche des catholiques que lorsque Van den Plas se retire pour se consacrer combat abolitionniste et anti-alcoolique.

Dans les années 1920/1930, la position de Baetens au sein du féminisme n’est pas toujours facile. Formée à la dialectique juridique et à la notion d’égalité des droits, elle ne peut partager les idées très conservatrices des LOFC, impliquant l’interdiction du travail salarié de la femme mariée et sa soumission à son époux. Mais ses convictions religieuses l’éloignent aussi du mouvement féministe égalitaire, proche des loges maçonniques. Dans l’entre-deux-guerres, le CNFB est le seul à lui offrir un espace pour exprimer son militantisme. Active dès 1933, elle y occupe les charges de secrétaire nationale adjointe auprès d’Elise Soyer, déjà âgée, puis de secrétaire nationale et de vice-présidente. En 1936, elle est introduite sur la scène internationale par la baronne Boël, fraîchement élue à la présidence du CIF, qui lui confie le secrétariat des séances du bureau du CIF où elle met à profit ses compétences juridiques. Après la Seconde Guerre, l’ouverture du mouvement féminin catholique à des vues plus féministes lui permet, enfin, de l’intégrer sans état d’âme!

Il est donc erroné de considérer le CNFB – comme le fait généralement la littérature − comme une organisation de femmes libérales. En réalité, la force du CNFB est d’offrir un espace où des femmes instruites, de convictions philosophiques ou d’options religieuses

56 Listes des collaboratrices du Féminisme chrétien dans la revue, années 1937 et 1939

57 Dictionnaire des femmes belges, .., p. 37.

58 Lettre de Fernande Baetens à ?, 7 avril 1952 : Carhif, F. CIF 516.

59 Note sur l’alliance sociale et politique Sainte Jeanne d’Arc et tract de la section belge + liste des personnes susceptibles d’être intéressées au sein du CNFB, [1948] : Carhif, F. Alliance intern. Jeanne d’Arc (AIJA), 58.

60 Lettre de Fernande Baetens à Magdeleine Leroy-Boy, 25 novembre 1954 : Carhif, F. Alliance intern. Jeanne d’Arc 63.

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différentes, peuvent se rencontrer. En quelque sorte, il constitue un vaste no man’s land féministe dans un paysage fortement marqué par les clivages politiques. Un tel espace de rencontre est fondamental pour de nombreuses militantes. Car si les dirigeantes sont des femmes dotées d’un fort capital social et culturel, bien intégrées dans la société et dans les réseaux qui sont les leurs, ce n’est pas le cas des militantes « ordinaires », des féministes lamda, en butte aux critiques de leur entourage qui comprend mal leur choix de vie (souvent…célibataire, engagée et travailleuse !). Pour toutes celles-là, le CNFB offre un lieu de sociabilité et de convergence, qui explique sans doute l’attachement inconditionnel qu’elles lui témoignent. C’est très certainement un des seuls lieux où ces femmes se sentent reconnues, acceptées et faisant partie d’une communauté. On mésestime souvent la détresse morale et le sentiment de solitude qui a pu s’emparer de certaines, critiquées et rejetées par leurs contemporains. Il n’est jamais facile de faire face aux sarcasmes, ni de ne pas correspondre aux attentes de la société61. Certaines en ont conçu une profonde amertume, quelques-unes même ont sombré dans une dépression que leur entourage a interprétée comme une « punition » pour avoir voulu échapper au « rôle naturel » de la femme.

Les fruits d’une stratégie payante : la fin des années 1940 et les années 1950 La Seconde Guerre, à l’inverse de la première, n’a pas suscité l’engagement d’une nouvelle génération de féministes. Pourtant la période d’après-guerre offre aux féministes trois opportunités fondamentales : l’appui de femmes hauts fonctionnaires qui constituent des relais dans l’administration, l’activité de femmes parlementaires qui utilisent directement leur droit d’initiative en faveur des femmes et l’intégration de personnalités issues de milieux diversifiés qui étendent le spectre d’influence du féminisme.

L’ouverture de nombreuses fonctions aux femmes après 1945 - notamment au sein de l’administration publique - modifie le profil professionnel des militantes. Il est d’ailleurs assez fréquent de voir une militante ou une sympathisante féministe être la première femme à occuper un poste de travail. Le recrutement féministe s’effectuant principalement au sein de la bourgeoisie intellectuelle, ces militantes sensibilisées à l’émancipation féminine briguent immédiatement les fonctions qui s’ouvrent enfin aux femmes. En même temps le mouvement féministe bénéficie progressivement d’un intéressant réseau au sein même des administrations-clés, comme celle du travail. C’est l’une des caractéristiques majeures des années 1950-1960 : désormais des militantes mettent directement leurs relais professionnels au service de la cause féministe.

Madeleine Ledrus en est le parfait exemple. Haut fonctionnaire au ministère du Travail, elle transmet des documents confidentiels sur des mesures discriminantes pour les femmes et informe la commission Travail du CNFB de nombreuses questions en cours62. Simone

61 Interview de Yan Persoons, septembre 2006, psychologue (UCL) ayant soigné dans les années 1950 et 1960, des féministes hollandaises venues en Belgique soigner leur dépression.

62 Madeleine Ledrus est née à Charleroi le 25 novembre 1919. Licenciée en philosophie, elle est inspecteur en chef-directeur au Ministère du travail où elle travaille depuis 1944. A ce titre, elle collabore à de nombreuses reprises avec des instances de l’OIT. Elle est durant 6 ans désignée par l’OIT comme membre de la commission des experts du travail féminin au Ministère du travail. Elle est également désignée en qualité d’expert gouvernemental auprès de la communauté économique européenne pour le problème de l’égalité de rémunération. Curriculum vitae de Madeleine Ledrus:

Carhif, F. CNFB 56. Sur son action : voir chapitre 9. Le mouvement féministe peut également compter sur l’appui de Gilberte Marin, l’épouse de Pierre Vermeylen, homme politique socialiste et

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Huynen, juriste de l’UCL, ancienne dirigeante des Jeunesses universitaires catholiques et membre du Féminisme chrétien, anime la commission Protection de l’enfance du CNFB.

Attachée au cabinet du ministre de la Justice Struye en 1947, elle devient ensuite directrice de l’Office de protection de la jeunesse et chargée de cours à l’Université de Liège63. Lucienne Talloen64, également fonctionnaire, transmet au GBPO et au CNFB, de nombreux renseignements sur les discriminations qui frappent les femmes dans l’administration de l’Etat. Elle est la première femme à réussir l’examen à l’Inspection des finances65. Les informations transitent donc par les associations féministes, qui les font suivre auprès de parlementaires acquis à la cause féministe. Le parcours de Jeanne Simonart illustre aussi cette nouvelle voie. Comme féministe, elle préside la commission Logement du CNFB dès 1947, puis le GBPO au début des années 1960. Comme libérale, elle dirige l’ASBL Solidarité-Familles-Consommateurs. Ingénieure commerciale diplômée de l’ULB, elle débute sa carrière comme attachée de cabinet des ministres Devèze et Liébaert en juillet 1946 puis, en novembre, elle devient conseillère au service d’études du ministère des Affaires économiques, qu’elle finira par diriger au début des années 196066. Ces femmes fonctionnaires ou expertes deviennent de précieuses sources d’information, et leur statut professionnel apporte également du crédit au mouvement féministe.

Autre manière de servir la cause féministe par le biais de sa compétence professionnelle : l’exemple de Betty Barzin (1897-1962). Betty Marcousé est l’épouse de Marcel Barzin (1891-1969)67, professeur de philosophie à l’ULB, recteur de 1950 à 1953 et sénateur libéral de 1965 à 1968. Le couple a passé la Seconde Guerre aux Etats-Unis où Betty Barzin, journaliste de formation, soutient activement la propagande alliée. A son retour en Belgique elle travaille à l’INR où elle anime différentes émissions consacrées aux femmes, ce qui lui permet de diffuser sur les ondes de nombreuses interviews de féministes. Elle porte également quasi seule la rédaction du Bulletin du CNFB.68.

L’accès au droit de vote est la deuxième donne qui influence directement la place du mouvement féministe dans la société. Les élections de 1946 font entrer au Sénat deux

féministe, qui est nommée en 1957 directrice générale au ministère de la santé (La libre Belgique, 7 /01/1957).

63 ROSART, Fr., « La jeunesse universitaire catholique (19829-1940). Essai éphémère d’action catholique en milieu universitaire », HIRAUX, F., HONORE, L. et MIRGUET, F., La vie étudiante à Louvain, 1425-2000, Louvain-La-Neuve, Académia-Bruylant, 2002, p. 84-105 : Carhif, F. A. Hauwel, 736 ; Dictionnaire des femmes belges..., p. 322-323.

64 Lucienne Talloen, épouse El Rashidi, licenciée en sciences administratives, en sciences politiques et en sciences sociales de l’ULB. Secrétaire générale de l’Institut belge de Science politique, professeur à l’Institut d’études sociales de l’Etat, en 1948, elle est fonctionnaire au service d’administration générale. De 1954 à 1959, elle est nommée comme expert des Nations-Unies en administration publique à l’université d’Ankara et à l’institut d’administration publique de Turquie de 1954 à 1955 puis à l’Université de Montevideo et auprès de la commission de réforme administrative CASAP en Uruguay de 1955 à 1957 et de 1957 à 1959 à l’institut d’administration publique du Caire. En 1959, elle revient en Belgique comme conseiller d’administration générale aux services du premier ministre.

Curriculum vitae de L. Talloen : Carhif, F. CNFB 56.

65 DE WEERDT, D., En de Vrouwen? Vrouw, vrouwenbeweging en feminisme in België, Masereelfonds, Gand, 1980, p. 180.

66 Dictionnaire des femmes belges…, p. 503-504.

67 « Marcel Barzin », Biographie Nationale, t. 44, Bruxelles, 1985-1986, col. 16-27.

68 Dictionnaire des femmes belges…, p. 388-389 et Procès-verbaux de la commission Presse, radio, télévision du CNFB, 1953-1956 : Mundaneum, F. Féminisme, CNFB 47. « Nos membres », Bulletin du CNFB, septembre/octobre 1954, p. 40.

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féministes notoires, Ciselet et Vandervelde. Il est assez difficile de cerner les raisons exactes qui leur ont permis d’être élue ou cooptée, mais il est certain que leur présence au Sénat pendant plus de 10 ans a donné au mouvement féministe un poids et une visibilité sur la scène politique qu’il n’avait jamais eus auparavant69. Les féministes sont en quelque sorte en prise directe sur le travail législatif et ne sont plus obligées de chercher des porte-parole.

La troisième grande force du mouvement féministe de la fin des années 1940 et des années 1950 est d’avoir intégré des personnalités d’horizons de plus en plus variés, personnalités souvent de second plan mais susceptibles de mobiliser des relais de premier ordre dans les milieux politiques, syndicaux ou associatifs.

Juriste de formation, d’origine française, Magdeleine Leroy-Boy est nommée secrétaire- générale du CNFB en 1949. A la même époque, elle se lance avec Louise Van den Plas dans le combat abolitionniste et crée la section belge de la Fédération abolitionniste internationale.

Par le biais de son mari, juriste et diplomate, elle entretient de bons contacts avec Marguerite De Riemaecker-Legot, députée CVP, et avec Maria Baers. Par la suite, elle accompagne son mari en poste à Genève où elle exerce un lobbying en faveur de la cause abolitionniste auprès des instances de l’ONU70. Au début des années 1960, Magdeleine Leroy-Boy reprend la présidence de l’Alliance internationale Jeanne d’Arc qui regroupe des femmes qui se disent « féministes parce que catholiques et donc respectueuses des droits humains »71.

Une autre recrue de premier ordre pour le CNFB est Lily Borboux, épouse de l’homme politique catholique Pierre Wigny. Docteure en philosophie de l’université de Liège, bien que sincèrement catholique, elle s’oppose clairement aux concepts éducatifs pour les filles prônés par l’Eglise au Congrès catholique de Malines de 1936, qui persistent à privilégier l’éducation domestique72. Lily Wigny estime qu’à vouloir fabriquer à tout prix des « bonnes ménagères », l’éducation catholique a transformé les femmes « sans exagérer (…) en des êtres monstrueux (…) » méprisant « les dons d’intelligence que Dieu a déposés en elles. (…) Leur naïveté est délicieuse tant qu’elles sont dans la fleur de l’âge, mais leur insignifiance devient redoutablement apparente quand l’attrait physique a disparu »73. Introduite au CNFB par la baronne Boël en 1940 et marrainée par Renée Fontainas (née Van Ackere) et Marie- Antoinette de Voghel74, toutes deux catholiques et anciennes collaboratrices de Louise Van den Plas, Lily Wigny devient une des chevilles ouvrières du CNFB après 1945. Elle dispose d’un beau réseau relationnel, notamment grâce à son mari qui sera plusieurs fois ministre, et le met pleinement au service du CNFB75

.

69 Cf. correspondance entre Ciselet et le GBPO: Carhif, F. A. Hauwel, 139 et GBPO, 195.

70 Lettre d’Adèle Hauwel à Marguerite De Riemaecker-Legot, 2 juin 1952, Carhif, F. GBPO 184 ; lettre de Maria Baers à Germaine Hannevart, 5 juillet 1948 : F. Carhif, GBPO 166.

71 BAETENS, F., «Congrès et réunions. Réunion de l’alliance Sainte Jeanne d’Arc à Trèves », Bulletin du CNFB, juillet/août 1960, p. 14.

72 « La culture féminine », Le XXe siècle, 11/9/1936.

73 Actes du 6e Congrès de Malines, t. 6. « La culture féminine », Malines, 1936, p. 42.

74 WIGNY, L. , « Marie-Antoinette de Voghel n’est plus », Bulletin du CNFB, juillet/août 1957, p.1.

Docteure en médecine, spécialisée en cancérologie, elle arrête de travailler pour éduquer ses enfants.

Présidente de la commission hygiène du CNFB en 1938 et vice-présidente du Conseil de 1948 à 1952.

Après un drame personnel, elle a pris la direction de l’école catholique de service social de la fin des années 1940 à son décès en 1957.

75 Dictionnaire des femmes belges…, p. 68-69.

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Du côté socialiste, Catherine Ancion (1902-1990)76, secrétaire nationale des Guildes des coopératrices, vient épauler Jeanne Vandervelde au CNFB. A la demande expresse de Marthe Boël, elle entre au bureau77 en 1952. Une autre dirigeante des Guildes, Fernande Coulon, la seconde et prend à de nombreuses reprises la plume dans le Bulletin du CNFB78. Ces deux femmes compensent en quelque sorte l’absence des Femmes prévoyantes, qui persistent dans leur refus d’adhérer au CNFB79. Ce n’est pas le cas de la syndicaliste socialiste Emilienne Brunfaut (1908-1986), active dès la fin des 1950 à la commission Travail. Bien introduite dans les milieux de gauche et pacifistes, elle est responsable depuis 1949 de la commission du travail des femmes au sein de la FGTB et adhère un bref instant au PCB. Il est assez complexe de déterminer si son activité au sein du CNFB et d’autres associations féministes correspond à de réelles convictions ou bien à une volonté d’instrumentaliser la cause des femmes au profit de ses engagements politiques et/ou syndicaux80. La vérité se trouve peut-être au milieu du gué.

Durant cette période, de plus en plus de membres du CNFB occupent des fonctions au sein d’organismes divers et variés, où elles apportent leurs petites pierres à l’émancipation féminine. Dans un tout autre domaine, on peut encore citer le cas de Jane De Busschère, présidente de la commission Gérontologie du CNFB qui devient l’un des membres fondateurs de la Fondation nationale de la Vieillesse en 1960, ce qui ne manque pas d’amorcer un travail de réflexion sur la vieillesse au féminin, toujours en cours, au sein du Conseil…81.

Militantes des droits des femmes …plutôt que féministes ?

La scène féministe est aussi investie ponctuellement par des nouvelles venues : l’Association belge des femmes juristes et l’Association des femmes chefs d’entreprise. Elles situent leurs activités dans le prolongement de revendications professionnelles en faveur des femmes et se définissent plus par leur identité au travail que par leur féminisme, qui n’en est souvent qu’une conséquence. Juristes ou femmes chefs d’entreprises, elles sont confrontées aux discriminations sexuées dans le cadre de leurs occupations professionnelles : leur prise de conscience n’est donc pas de même nature que celle des féministes.

Elles possèdent aussi leurs personnalités phares. Les femmes chefs d’entreprise s’enorgueillissent d’avoir comme membre Simonne Gerbehaye, ancienne résistante (groupe

76 Catherine Dextrixhe, épouse Ancion (1902-1990). Dès 1923, elle développe le mouvement coopératif féminin dans les provinces de Lièges, du Luxembourg, de Namur, du Brabant et du Limbourg. Après la seconde guerre, elle remet le mouvement sur pied avec l’aide Palmyre Wilmet.

Dictionnaire des femmes belges..., p. 205-206.

77 Marthe Boël 1877-1956, éd. CNFB, Bruxelles, 1956, p. 51.

78 Fernande Coulon 1901-1981), née à Fay-les-Manage, en 1951, elle devient la vice-présidente de la Guilde internationale des coopératrices : Dictionnaire des femmes belges, …, p.124-125

79 Liste des femmes socialistes susceptibles d’adhérer au CNFB[1946 ? :undaneum, F. Féminisme, CNFB01.

80 Emilienne Steux, épouse Brunfaut, militante syndicale, pacifiste et féministe (1908-1986).

Dictionnaire des femmes belge.., p. 517-518.

81 «Commission ad hoc de gérontologie », Bulletin du CNFB, mai/juin, 1960, p. 19 ; « La fondation nationale pour la vieillesse », Bulletin du CNFB, mai/juin 1964, p. 24-25.

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G), bourgmestre de la petite commune namuroise de Senzeilles et sénatrice PSC depuis juin 195082.

L’association belge des femmes juristes compte parmi ses membres de nombreuses femmes qui s’illustrent dans le combat féministe et néo-féministe mais dont les opinions philosophiques ou les convictions religieuses sont parfois nettement à l’opposé les unes des autres. Mais elles sont reliées par un fil rouge, les notions fondamentales du droit et la logique juridique.

Le féminisme pénètre aussi timidement sur un terrain nouveau, celui des premières

« études féministes » portées par quelques enseignantes au sein de l’Institut de Sociologie de l’ULB, comme Eliane Vogel-Polsky, professeure de droit social à l’ULB83, très impliquée sur le terrain, dans la lutte pour la reconnaissance de l’égalité de salaire, Marie-Thérèse Cuvelliez84 ou encore Marlise Ernst-Henrion. Au cours des années 1960, divers groupes de recherches (Centre de sociologie du droit social, Groupe d’études Sociologie de la femme) amorcent une réflexion sur le droit communautaire européen, la position des femmes dans la vie privée et publique, en y injectant une perspective de genre85. Marlise Ernst-Henrion se déclare « féministe » si ce terme signifie une tendance à vouloir « améliorer la situation de la femme dans la société »86. Elle est également membre de la Fédération nationale des femmes libérales et l’épouse de Robert Henrion, député libéral de 1981 à 1985 sur les listes libérales87.

Sans compromis ... le combat féministe d’abord

Quelques-unes sacrifient ‘tout’ à la cause des femmes. Le féminisme est leur but, leur raison de vivre. Ces femmes sont rares, souvent quelque peu marginales ou originales. Adèle Hauwel incarne ce profil. Ayant consacré toute sa vie au féminisme, elle finit par connaître

‘tout le monde’ et devient une sorte de courroie de transmission entre les différents groupes puis entre les générations pour se transformer peu à peu en une véritable mémoire du mouvement.

Faisant fi de son âge ou de son milieu, elle ‘entre’ en féminisme à l’âge de 15 ans, aux côtés de Louise De Craene ; à près de 60 ans, on la retrouve toujours active dans les associations néoféministes. Personnalité atypique, elle marque l’histoire du féminisme de

82 C.V de Simone Gerbehaye : Carhif, F. CNFB 56 ; Dictionnaire des femmes belges…, p. 271.

83 Sur Eliane Vogel-Polsky : GUBIN, E. avec la coll. de JACQUES, C., Eliane Vogel-Polsky. Une femme de conviction, Institut de l’égalité des hommes et des femmes/Carhif, Bruxelles, 2007.

84 Marie-Thérèse Cuvelliez naît en 1923. Après des études de droit à Liège et à Bruxelles, elle s’inscrit au barreau de Bruxelles dans les années 1950. A cette époque, elle devient membre de la Fédération belge des femmes diplômées des universités et de l’Association belge des femmes juristes. Par la suite, elle est l’une des membres du Comité A travail égal, salaire égal, du GBPO et du Comité pour la dépénalisation de l’avortement. Elle est l’une des avocates d’Anne Tonglet et son amie, violées alors qu’elles étaient en vacances dans le sud de la France en 1974. HUART, F., « Marie-Thérèse Cuvelliez (1923-2005). Une vie professionnelle engagée dans le féminisme », Chronique féministe, septembre/décembre 2005, p. 64.

85 Bulletin du CNFB, septembre/octobre 1969, p. 34.

86 « Mme Marie-Louise Ernst-Henrion présidente de l’association des femmes juristes face au contrat de mariage », La Dernière heure, 29/30 janvier 1967.

87 GUBIN, E., NANDRIN, J.-P., GERARD, E. et WITTE, E. (dir.), Histoire de la Chambre des représentants de Belgique, 1830-2002, Chambre des représentants, Bruxelles, 2002, p. 486.

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2 Ibid., p. 126-128 ; voir aussi Ştefania Mihăilescu, Din istoria feminismului românesc.. Celles-ci ont été « bien accueillies », leur nécessité reconnue par les

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