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TECHNOLOGIES ET DÉBAT DÉMOCRATIQUE EN EUROPE

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EUROPE

Bernard Reber

To cite this version:

Bernard Reber. TECHNOLOGIES ET DÉBAT DÉMOCRATIQUE EN EUROPE. Revue Francaise de Science Politique, Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2005, �10.3917/rfsp.555.0811�. �hal- 02546715�

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TECHNOLOGIES ET DÉBAT DÉMOCRATIQUE EN EUROPE

De la participation à l'évaluation pluraliste Bernard Reber

Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) | « Revue française de science politique »

2005/5 Vol. 55 | pages 811 à 833 ISSN 0035-2950

ISBN 2724630165

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- http://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2005-5-page-811.htm

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!Pour citer cet article :

--- Bernard Reber, « Technologies et débat démocratique en Europe. De la participation à

l'évaluation pluraliste », Revue française de science politique 2005/5 (Vol. 55), p. 811-833.

DOI 10.3917/rfsp.555.0811

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TECHNOLOGIES ET DÉBAT DÉMOCRATIQUE EN EUROPE

De la participation à l’évaluation pluraliste

BERNARD REBER

ciences et société », ces deux mots figurant côte à côte dans de nombreux débats et projets de recherche européens, indiquent la nécessité d’analyser les relations entre ces deux domaines, appelant à dépasser un clivage trop confortable entre sciences de la nature et sciences humaines et sociales. Parmi les contributions les plus originales à ces recherches figurent celles que recouvre l’appel- lation d’évaluation technologique participative 1 (ETP). À côté de l’évaluation techno- logique (Technological Assessment), de nombreux offices d’évaluation, principa- lement européens, ont éprouvé le besoin d’ouverture à une plus grande diversité d’acteurs. Ceux-ci couvrent l’éventail qui va du citoyen « candide » 2 à divers types d’experts, en passant par des représentants associatifs, syndicaux et autres porteurs d’intérêts, ainsi que des décideurs politiques et économiques. Depuis plus de trente ans, des espaces de discussion ont été structurés sous la forme de procédures stabili- sées, dont les ontologies sociales sont variées, dans le dessein d’évaluer collective- ment des technologies controversées, souvent qualifiées de « nouvelles ». Après le temps de la mise en place de ces « expérimentations socio-politiques », les premières tentatives d’évaluations secondaires et comparatives de celles-ci sont apparues ces dernières années. Nous avons choisi pour cet article de présenter dans une première partie quatre d’entre elles et les critériologies sur lesquelles elles se sont appuyées, avant de les soumettre à un examen critique. Cette sélection offre l’avantage de confronter des praticiens et des chercheurs du Danemark 3, de France 4, de Grande- Bretagne 5, de Suisse 6, dont les recherches couvrent diverses aires nationales, ainsi

1. Terminologie très répandue dans les recherches européennes concernées, contrairement à la France où l’on parle plus volontiers de « grands débats », de démocratie participative, de concertation, voire de débats publics. Dans l’article, nous userons de l’abréviation ETP, pour éviter les répétitions.

2. Nom donné par le comité de pilotage de la conférence française de citoyens (1998) sur les OGM.

3. Lars Klüver, « Project Management. A Matter of Ethics and Robust Decision », dans Simon Joss, Sergio Bellucci (eds), Participatory Technology Assessment. European Perspectives, Londres/Berne, Center for the Study of Democracy and Swiss Center for Technology Assessment, 2003. La pagination est celle du rapport dans sa version pdf : cf. <http://www.tekno.dk>.

4. Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil, 2001 ; « La démocratie dialogique casse-t-elle des briques ? Débat-controverse avec les auteurs », Cosmopolitiques. Cahiers théoriques pour l’écologie politique, 3, 2003,p. 108-130.

5. Gene Rowe, Lynn J. Frewer, « Public Participation Methods : A Framework for Evaluation », Science, Technology & Human Values, 25 (1), hiver 2000, p. 3-29.

6. Simon Joss, « Considering the Concept of Procedural Justice for Public Policy – and Decision-Making in Science and Technology », dossier « Special Issue on Public Participation in Science and Technology », Science and Public Policy, 26 (5), octobre 1999,p. 321-330.

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que des projets comparatifs étendant le périmètre à l’Allemagne, l’Autriche, les Pays- Bas et les États-Unis. Dans une seconde partie, nous nous confronterons à ces études souvent originales, considérées ensemble, pour en indiquer certaines limites et explo- rer des solutions possibles. Nous verrons, avec ces recherches, que le pôle participatif compris dans l’ETP éclipse largement celui de l’évaluation des techniques, avec les controverses scientifiques qu’elles suscitent et les conditions de la constitution de l’acte évaluatif public, dans sa dimension principalement morale, invoquée souvent comme l’une des justifications de l’ETP. Ces évaluations secondaires, comme la mise en place des dispositifs d’ETP, comportent un certain degré de normativité 1, plus ou moins bien assumée selon les auteurs. Parmi leurs critères, nous verrons que toutes défendent ce qu’elles appellent un « pluralisme », qui n’est souvent qu’une pluralité, combinée avec l’exigence de faire participer « les personnes affectées ». Les quatre essais d’évaluation étudiés auront donc de grandes difficultés pour aller jusqu’à un pluralisme relevant de la philosophie politique et de la philosophie morale 2, qui per- mettrait de rendre compte et de faire face à l’hétérogénéité des jugements individuels à l’œuvre dans ces expériences, sans se contenter d’un relativisme des positions, rabat- tues sur des idéologies 3.

Comme nous le verrons, la mise en commun de ces tentatives d’évaluations secondaires comporte certains obstacles pour leur commensurabilité, à savoir : les types d’expertises entre praticiens et chercheurs, les contraintes disciplinaires, les angles privilégiés pour les recherches, le nombre élevé de variables à prendre en compte et à interpréter, et surtout la formalisation des dispositifs plus ou moins établie et leurs contextes d’application. Concernant les types de dispositifs répertoriés, nous signalons qu’aucune présentation n’est exhaustive. Une énumération sans description donne déjà une idée de la richesse méthodologique : les jurys de citoyens, les confé- rences de consensus, les conférences délibératives, les méthodes Delphi et Charette, les panels d’experts, les focus groups, les cellules de planning, les ateliers de scéna- rios, les ateliers de consommateurs « visions du futur », les cafés mondiaux, les réfé-

1. Cf. par exemple la version provocatrice de Charles W. Anderson, « Political Phi- losophy, Practical Reason, and Policy Analysis », dans Frank Fischer, John Forester (eds), Confronting Values in Policy Analysis. The Politics of Criteria, Newbury Park (ca), Sage, 1987, p. 22-44 : « Sous certains rapports la question de savoir comment la philosophie morale et la philosophie politique contribuent à l’analyse politique demande vraiment à être posée. Toutes les conceptions de l’analyse politique sont dérivées de la théorie politique. L’analyse politique n’est dans son essence rien de plus que de la philosophie politique appliquée, une idée de la technique et de la méthode fondée sur des modèles classiques de normes d’enquête et d’autorité légitime. »

2. Nous distinguons les deux, sans entrer dans les développements importants qui divisent ces deux domaines philosophiques, en indiquant que la première insiste davantage sur la qualité des relations à garantir dans des sociétés ou des assemblées avec le souci du traitement des membres qui la composent, alors que la seconde peut être plus substantielle et vouloir aller plus loin dans les jugements portés. Souvent la première sera plus procédurale, quand la seconde abordera davantage des questions traitées au niveau substantiel.

3. Cf. les analyses du Débat sur les OGM et les essais au champ (Conseil économique et social, 3 et 4 février 2002) et, plus spécifiquement, le rapport des quatre « sages », qui concluent péremptoirement que, « s’agissant de positions “éthiques” voire politiques, la dis- cussion n’a fait apparaître ni de possibilité de conciliation ni la perspective qu’un approfon- dissement du débat puisse résoudre ou simplement atténuer l’opposition ». Bernard Reber,

« Confrontations et “justifications morales en action” : le cas de l’évaluation publique des OGM en France et en Suisse », Mots. Les langages du politique, dossier « Le laboratoire suisse »,81, à paraître en 2006.

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rendums, les enquêtes et les auditions publiques, les sondages d’opinions, la dis- cussion et la négociation entre groupes d’intérêts, les comités de conseils de citoyens, les conférences de vote, l’évaluation technologique (ET) interactive, l’ET constructi- viste de consommateurs, les groupes de travail interdisciplinaires et les jeux de rôles politiques 1.

La question des conséquences des innovations technologiques pour la société et pour l’environnement n’est pas nouvelle. Elle a préoccupé, il y a plus de cinquante ans, Hans Jonas, l’un des philosophes majeurs de l’éthique technologique 2. Pourtant, sa prise en charge politique restait insatisfaisante, tant chez cet auteur que pour les offices d’évaluation technologique, chargés de préparer la discussion de questions scienti- fiques et technologiques complexes pour les décideurs politiques et économiques, voire pour informer le public. L’évaluation technologique (ET) montrait ses limites devant les oppositions et les craintes de ce dernier, ou encore face à des questions de légi- timité, de valeurs ou d’autres indices traités ordinairement par les sciences humaines et sociales, jusque-là largement absentes de ces espaces. La relation établie entre des conséquences technologiques et certains publics n’est, elle aussi, pas nouvelle, puis- qu’on la trouve au cœur d’une théorie importante des sciences sociales : le pragma- tisme. En effet, John Dewey avait déjà tenté en 1927 de constituer un public 3, pré- cisément par le fait qu’il soit affecté par les conséquences de technologies. Afin de pouvoir révéler et évaluer ces conséquences, souvent inattendues, Dewey a d’ailleurs fourni une lourde théorie d’enquête 4.

Outre les mises en place d’« expérimentations socio-politiques », la nouveauté de l’objet de recherche réside ici dans le télescopage des domaines riches de l’« éva- luation », des « technologies » et de la « participation », entraînant avec eux leurs logiques et leurs procédures de validation respectives. Dès qu’on consent à un effort d’explicitation, ils sont susceptibles d’être associés différemment et ils prêtent à des discussions. Les trois termes impliqués sont au cœur d’une littérature abondante por- tant sur des problèmes discutés selon les styles et les cadres de pertinence de disci- plines qui s’ignorent trop souvent. L’institutionnalisation disciplinaire a d’ailleurs une incidence importante sur le terme d’évaluation. Les critères que nous présenterons nous mettront face à ces difficultés, au point que certains spécialistes se contentent de ne parler aujourd’hui que d’agenda de recherche 5, ce qui souligne l’intérêt de la pré- sentation des études retenues, ainsi que leur discussion.

1. En dehors des textes cités dans cet article, se reporter notamment à : Nikki Slocum, Participatory Methods Toolkit. A Practitioners’s Manual, Bruges, United Nations University, 2003 ; Bernard Reber, « Public Evaluation and new Rules for the “Human Park” », dans Bruno Latour, Peter Weibel (eds), Making Things Public. Atmospheres of Democracy, Boston, MIT Press, 2005, p. 314-319. Pour la France, cf. Raphaël Billé, Laurent Mermet, Martine Berlan- Darqué (dir.), Concertation, Décision, Environnement : regards croisés, Paris, La Documenta- tion française, 2003.

2. Il s’est rendu compte pour la première fois dans les années 1950 de la transformation du rapport entre la théorie et la pratique, avec la possibilité d’une application pratique et d’un rap- port actif au connu, qui font alors partie de l’essence théorique des sciences modernes de la nature elles-mêmes. « Ainsi se trouve entamé le thème du pouvoir et de son usage qui se pro- pulse lui-même et qui se rend indispensable » : cité dans Hans Jonas, Le principe responsabi- lité. Une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Cerf, 1991 (1re éd. : 1979), p. 16.

3. John Dewey, Le public et ses problèmes, Pau, Publications de l’Université de Pau, Far- rago/Éd. Léo Scheer, 2003 (1re éd. : 1927).

4. John Dewey, Logique. La théorie de l’enquête, Paris, PUF, 1967 (1re éd. : 1938).

5. Gene Rowe, Lynn J. Frewer, « Evaluating Public Participation Exercises : A Research Agenda », Science, Technology & Human Values, 29 (4), automne 2004, p. 512-557.

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L’apparition répétée de l’expression « démocratie technique » 1 semble synthé- tiser la rencontre à l’œuvre dans le domaine de l’ETP. Or, elle constitue un raccourci.

D’une part, le couple démocratie et technique ne recouvre que très partiellement celui de sciences et société. D’autre part, il paraît vite équivoque si nous nous demandons qui affecte quoi et selon quelles modalités, sans oublier la discussion relative aux deux concepts. En considérant ce rapprochement avec plus d’attention, nous verrons que les évaluations secondaires considérées dans le cadre de cet article sont rendues possibles grâce à des critères s’inscrivant dans différentes théories normatives portant principa- lement sur certains aspects de la démocratie. En effet, quand ils comparent et évaluent des procédures et des processus variés, ayant eu lieu dans divers contextes, les cher- cheurs ou les praticiens s’appuient implicitement ou explicitement sur les travaux de théoriciens de la démocratie, voire de la modernité, sur certaines théories de la com- munication appliquées aux sciences sociales, ou encore sur des emprunts aux champs du droit et de l’éthique, cette dernière tendance étant surtout vraie hors de France.

PRÉSENTATION DE QUATRE CRITERIOLOGIES POUR L’ÉVALUATION TECHNOLOGIQUE PARTICIPATIVE

Les auteurs ne distinguent pas toujours s’ils se situent ex ante ou ex post par rap- port aux expériences prises en compte, ni s’ils traitent des procédures ou des processus réels (mise en place et déroulement). Néanmoins, tous cherchent à exhiber les critères d’une bonne évaluation technologique participative.

L’ACCEPTATION DU PUBLIC DÉPENDANTE DE LA QUALITE DU PROCESSUS

L’une des premières tentatives d’évaluation croisée d’ETP apparaît dans l’article signé par le psychologue Gene Rowe et la psychologue-ergonome Lynn J. Frewer, intitulé « PublicParticipation Methods : A Framework for Evaluation » 2. Les auteurs s’appuient sur les descriptions de procédures d’ETP produites dans diverses publica- tions ayant porté leur intérêt sur la participation du public. Rowe et Frewer prétendent aller plus loin que les premiers essais qui privilégient ce qui rend efficace un processus plutôt que la mesure des résultats de ceux-ci, qui préfèrent une approche procédurale à une approche plus substantielle et qui restent à des suggestions ad hoc et à une cri- tique des avantages et des inconvénients des diverses techniques. Les critères d’éva- luation choisis ici sont partagés en deux groupes : ceux qui sont liés à l’acceptation du public et ceux qui concernent la qualité du processus.

1. En plus de l’ouvrage de Michel Callon et al.,Agir dans un monde incertain…, op. cit., dont le sous-titre est Essai sur la démocratie technique,cf. Richard Sclove, Democracy and Technologies, New York, Guilford Press, 1995 ; Daniel Lee Kleinman (ed.), Science, Techno- logy and Democracy, New York, State University Press of New York, 2000. Certains, comme Les Levidow, ont même parlé de façon téméraire de démocratie « biotechnologisée » : cité par Michel Callon et al., Agir dans un monde incertain, ibid., p. 250.

2. Gene Rowe, Lynn J. Frewer, « Public Participation Methods… »,art. cité.Leurs cri- tères ont été mis plus récemment à l’épreuve. Cf. Gene Rowe, Lynn J. Frewer, « Evaluation of a Deliberative Conference », Science, Technology & Human Values,29 (1), hiver 2004, p. 88- 121.

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Parmi les premiers, nous trouvons la représentativité (1), l’indépendance (2), l’engagement précoce (3), l’influence (4) et la transparence (5).

1) La représentativité indique que les participants doivent constituer un bon échantillon de la population touchée par les choix discutés. Un souci particulier doit être accordé aux groupes défavorisés de la population, pour ne pas se contenter de la présence des élites. La représentativité doit également prendre en compte la distribu- tion des points de vue sur une question. Les techniques de sélection pour l’assurer sont variées (sondage, questionnaire, annonce dans les journaux) et peuvent être combi- nées. Plus l’échantillon des participants est grand et plus il est possible d’en diversifier la composition. Pourtant, une contrainte apparaît aussitôt, prise en charge par un autre critère qui peut entrer en concurrence avec ce qui précède : la qualité des échanges.

2) L’indépendance concerne les organisateurs, voire les animateurs du processus.

Elle peut être garantie par la constitution d’un comité de pilotage, l’implication d’ani- mateurs professionnels et parfois de journalistes. Très intéressés par la question du contrôle des bailleurs de ce type de procédures, notamment lorsqu’ils sont privés, Rowe et Frewer reconnaissent là une difficulté qu’une présentation claire de l’usage des résultats des procédures pourrait atténuer.

3) Dès que des jugements de valeur deviennent discernables, le public devrait, aux yeux des auteurs, pouvoir être impliqué ou du moins consulté, notamment pour les questions touchant à la perception du risque. Pourtant, certains auteurs indiquent la confusion qui peut survenir dans le cas où trop de points de vue sont engagés (tech- niques, éthiques, économiques, sociaux et politiques).

4) Le critère de l’influence est souvent décevant quand les procédures sont utili- sées pour légitimer des décisions plutôt que pour déboucher sur des recommandations ayant des effets sur des décisions futures. Une clarification peut être apportée sur les impacts attendus et espérés. On notera que la médiatisation en constitue déjà un.

5) La transparence s’applique à la clarté du déroulement et des décisions au cours du processus, tant pour les participants que pour le public extérieur.

Le second groupe de critères concerne la qualité du processus et de son dérou- lement. Il est constitué par l’accessibilité aux informations (1), la définition des tâches (2), la structuration de la prise de décision (3) et l’équilibre coût-efficacité de l’opération (4).

1) L’accessibilité aux informations inclut la pertinence, la concision des informa- tions et des faits à traiter. Elle prend en compte les « ressources » humaines que sont des scientifiques ou des analystes des décisions, les moyens matériels et financiers, et surtout le temps nécessaire pour pouvoir mûrir les décisions. Certains auteurs défendent parfois la nécessité de fournir des éléments fondamentaux relatifs à l’avancement des sciences, le rôle qu’y tiennent l’incertitude et les changements de paradigmes scientifiques.

2) La définition des tâches cherche à clarifier les règles du jeu et les objectifs des procédures face au souci de flexibilité lié à la prise en compte des initiatives des par- ticipants.

3) La structuration de la prise de la décision, reconnue comme un critère central, doit aider à la prise de décision et à sa représentation, notamment grâce à des outils comme les arbres de décision, la théorie des utilités multiples ou encore la méthode Delphi, qui peuvent aider à clarifier les relations entre des variables principales et sou- ligner l’importance accordée aux soucis sociaux et politiques associés aux évaluations techniques et aux jugements. Cela devrait permettre de faire face à l’influence de lea- ders dogmatiques ou à la clôture trop précoce des argumentations, notamment par le recours à l’assistance de médiateurs indépendants ou d’analystes de la décision.

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4) L’équilibre coût-efficacité de l’opération est souvent oublié, comme le déplorent Rowe et Frewer. Ils reconnaissent néanmoins qu’il est difficile à mesurer, bien qu’il soit une balise importante pour savoir quelle méthode choisir selon les problèmes à traiter et les objectifs poursuivis.

Les auteurs regrettent que des évaluations pour ce type de procédures soient rares car l’exercice est difficile. Néanmoins, ils entendent proposer un cadre ou « un modèle normatif », bien que l’évaluation ait été ici conduite sur la « base de leur opinion comme mesure de l’évaluation ».Ils useront même du terme problématique de « fuzzy evaluations ». Les résultats établis sur la base des critères précédemment présentés sont alors simplement exprimés de façon approximative entre « haut » et « bas », selon les types de procédures. Comme on pouvait s’y attendre, les conférences de consensus obtiennent le meilleur résultat selon les critères invoqués, avec la limite de leur coût élevé. On peut s’étonner de cette hiérarchisation entre procédures si l’on considère le quatrième critère du second groupe, portant précisément sur l’adéquation entre méthode, problème à traiter et objectifs poursuivis.

L’une des limites que reconnaissent Rowe et Frewer au cadre qu’ils fournissent réside dans le fait qu’ils se soient appuyés sur les suggestions d’autres chercheurs et praticiens 1, plutôt que sur des analyses de cas empiriques 2.

JUGEMENT DES PROCÉDURES À L’AUNE DE LA « DÉMOCRATIE DIALOGIQUE »

Avec une bibliographie plus sommaire, mais un point de vue plus affirmé et développé, les sociologues Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe défendent dans leur ouvrage 3 une vision normative de la démocratie, qualifiée de dialogique, comme complément à la démocratie délégative. Ces auteurs inscrivent les questions d’évaluation technologique dans le cadre de la sociologie des sciences et des techniques 4. Ils introduisent certaines de ces approches dans le domaine de l’ETP, ce qui complique leur « grille d’évaluation », en affirmant tou- tefois le souci de « suivre les acteurs ». Ils fournissent des critères, dont certains sont les mêmes que ceux de Rowe et Frewer, avec les expressions des mêmes indices d’appréciation des procédures, pour finalement faire éclater l’intérêt pour les procédures par celui de la dynamique décisionnelle modifiant les rapports entre sciences et société.

Avec le privilège accordé à une « démocratie dialogique », Michel Callon et alii écartent deux procédures censées être du côté de la « démocratie délégative ». Il s’agit du référendum et des sondages d’opinion. Les autres procédures susceptibles de répondre aux critères choisis sont évaluées selon deux types de critères : ceux qui concernent le degré de dialogisme des procédures et ceux qui sont relatifs à leur mise

1. Ce qui explique la bibliographie importante qu’ils ont recueillie, qui est néanmoins principalement anglo-saxonne et fait peu cas de la francophonie.

2. Gene Rowe, Lynn J. Frewer, « Public Participation Methods… »,art. cité, p. 24-25.

3. Michel Callon et al., Agir dans un monde incertain…, op. cit.

4. Ce sous-domaine de la sociologie est lui aussi controversé. Cf., par exemple, Domi- nique Raynaud, Sociologie des controverses scientifiques, Paris, PUF, 2003,p. 27, et tout le chapitre premier, qui défend les « sociologies rationalistes » contre celles qu’il estime être relativistes, en citant notamment Michel Callon, parmi d’autres auteurs de cette importante communauté des Sciences Studies, qualifiés également de constructivistes, tels Barnes, Bloor, Collins, Cox, Galison, Latour, Norton, Pinch, Shaffer, Shapin, Vinck, Woolgar.

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en œuvre. Pour pouvoir apprécier ces questions, il faut se reporter à deux autres séries de considérations.

Les premières concernent la trajectoire qui va de la « science faite à la coopé- ration entre recherche confinée et recherche de plein air » en passant par l’adaptation des résultats produits par le laboratoire, l’extension, l’ouverture et l’organisation du collectif de recherche, l’identification et la formalisation des problèmes. Ceci ren- voie aux théories de la traduction 1, bien connues dans les Sciences Studies.

Les secondes sont relatives à « l’exploration du collectif », qui passe de l’agré- gation d’individus à la composition des groupes émergents, grâce à l’affirmation

« d’identités émergentes », la prise en compte mutuelle de celles-ci et leur négo- ciation 2.

À ces deux types de questions correspondent deux « coupures » qui occasion- nent des « délégations », que ces auteurs entendent précisément remettre en cause.

La première est celle qui a isolé les spécialistes, les scientifiques 3, à qui est confié le soin de produire des savoirs robustes et des connaissances certifiées, « comme le granit le plus dur » 4. La seconde coupure creuse l’écart entre acteurs politiques professionnels et citoyens ordinaires, qui acceptent d’être représentés par les premiers. Ici sont mises en évidence cinq réductions : l’absence, dans les échan- tillons, de citoyens étrangers qui vivent en France depuis un certain temps – exclus de la citoyenneté juridique –, une considération atomisée des individus considérés comme indépendants, une expression qui se limite au choix de candidats sur une liste préétablie, de rares référendums auxquels on ne peut répondre que par oui ou non et la substitution d’une population à celle des citoyens élus, détenteurs du mono- pole de la parole lors de leurs mandats 5.

Cette double délégation assure un dispositif reconnu comme grand et légitime 6, même s’il est paradoxal et acheté au prix du silence du citoyen et du profane, et s’il semble inapproprié pour répondre aux deux grandes familles de questions marquées par l’incertitude : Que savons-nous du monde ? De quoi est fait le collectif dans lequel nous vivons ?

Avec cette arrière-scène, l’évaluation des procédures se fera donc en fonction de « leur aptitude à faciliter un approfondissement du régime démocratique et par conséquent à dépasser les limites que le respect de la double délégation lui impose » 7. Le premier groupe comporte les trois critères suivants : l’intensité de la remise en cause des deux coupures de la délégation (1), l’ouverture (2) et la qua- lité (3), ainsi que leurs sous-critères respectifs 8, puisque les deux délégations sont considérées.

1) Les deux sous-critères sont, pour la première délégation, la précocité de l’engagement des profanes dans la procédure, et donc dans la recherche, et « l’explo- ration des mondes possibles » ; pour la seconde délégation, le souci du collectif peut aller jusqu’à la « négociation des identités ».

1. Michel Callon et al., Agir dans un monde incertain…, op. cit., p. 75-104.

2. Michel Callon et al., ibid., p. 174-188.

3. Qualifiés au passage de « mercenaires de luxe dont la seule mission est de produire des savoirs purgés de toute incertitude » ! Michel Callon et al., ibid., p. 169.

4. Michel Callon et al., ibid., p. 168.

5. Michel Callon et al., ibid., p. 170.

6. Michel Callon et al., ibid., p. 172.

7. Michel Callon et al., ibid., p. 216.

8. Michel Callon et al., ibid., p. 216-223.

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2) Les trois 1 sous-critères qui affinent celui de l’ouverture aménagée pour la prise de parole sont la diversité des groupes consultés, leur degré d’indépendance vis-à-vis des groupes d’actions constitués et le contrôle de la représentativité tenant compte de la transformation des groupes.

3) La qualité des échanges est appréciée en fonction du sérieux des prises de parole (déploiement des arguments avec l’acuité et la pertinence souhaitable) et de leur continuité.

Cette première liste de critères constitue l’« espace normativement orienté des procédures dialogiques » 2. Il ne s’agit donc pas simplement « de suivre les acteurs dans leur travail d’élaboration » 3, comme cela avait été annoncé en début d’ouvrage.

Les autres critères qui permettent d’apprécier la mise en œuvre des procédures sont l’égalité des conditions d’accès aux débats, la transparence et la traçabilité de ceux-ci, ainsi que la clarté des règles d’organisation.

Équipés de « cette batterie de critères » 4, les auteurs passent alors en revue les groupes de discussion (focus group), les enquêtes publiques, les comités locaux d’information et de consultation, les comités de sages (comités d’éthique), pour finir avec les conférences de citoyens 5, avec lesquelles sont classés des jurys de citoyens qui auraient été intégrés dans les États généraux de la Santé 6 . Seules les confé- rences de citoyens sont soumises pour l’évaluation à tous les critères formulés.

Après cette première vague de production critériologique, les auteurs ajoutent un autre niveau d’évaluation relatif à la mise en œuvre des procédures avec une sen- sibilité à deux aspects : l’entrée de la procédure dans l’espace public et son intégra- tion à la prise de décision. Toutes les deux sont appréciées selon leur aptitude à la

« fabrication progressive d’un monde commun » 7. En s’appuyant sur la présenta- tion du cas du sida et de l’Association française contre les myopathies, les auteurs affirment que la fabrication de l’espace public repose sur la fabrication de quatre 8 forces : une législation favorable à la pérennité des associations, des espaces où les différents groupes concernés par une question peuvent se rencontrer, une média-

1. Les auteurs écrivent deux, mais à nos yeux, ils sont trois, la diversité n’étant pas l’équi- valent de l’indépendance. Cette question relève d’un enjeu plus profond, qui peut s’exprimer par l’opposition entre pluralisme et neutralité. Cf. Bernard Reber, « Éthique et évaluation tech- nologique participative », dans Bernard Castagna, Sylvain Gallais, Pascal Ricaud, Jean- Philippe Roy (dir.), La situation délibérative dans le débat public, Tours, Presses Universitaires François Rabelais/Maison des Sciences de l’Homme, 2004 (Villes et Territoires), p. 387-405.

2. Michel Callon et al., Agir dans un monde incertain…, op. cit., p. 218.

3. Michel Callon et al., ibid., p. 263.

4. Michel Callon et al., ibid., p. 223.

5. Qui seraient étonnamment susceptibles d’une « galaxie de procédures », Michel Callon et al., ibid., p. 247. Pour une présentation et une première évaluation de la conférence française de citoyens de 1998 sur les OGM, se reporter à l’article écrit par certains membres de son comité de pilotage, Daniel Boy, Dominique Donnet-Kamel, Philippe Roqueplo, « Un exemple de démocratie participative : la “conférence des citoyens” sur les OGM », Revue française de science politique, 50 (4-5), août-octobre 2000, p. 779-809. En complément à cette présentation, on peut se reporter au site du Sénat, <http://www.senat.fr>. Plus récemment, cf. Dominique Bourg, Daniel Boy, Conférences de citoyens, mode d’emploi, Paris, Descartes & Cie, Charles Léopold Mayer, 2005.

6. Michel Callon et al., op. cit., p. 248-249. On pourrait faire de la construction compli- quée des États généraux de la Santé une procédure à elle seule ou alors distinguer une évalua- tion pour chacune des procédures intégrées.

7. Michel Callon et al., ibid., p. 249.

8. Les auteurs indiquent trois forces, associant espaces de rencontre et médias.

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tisation et une intervention de l’État qui rend possible leurs déploiements respectifs et des débats collectifs. Il convient de remarquer ici que, pour les auteurs, la notion de « forum hybride ne saurait être réduite à celle de procédures » 1. Cet aspect et la décision revue à l’aune d’une interprétation du principe de précaution rendent alors l’évaluation comparative moins commode. En effet, selon eux, le débat ne prépare pas des décisions tranchées instaurant « un avant et un après pour se débarrasser du passé ». La précaution est ici mise en équivalence avec une action mesurée, susci- tant une dynamique décisionnelle qui modifie les rapports entre science et poli- tique. Elle s’oppose à une décision « traditionnelle » exprimée par un acteur légi- time, une autorité scientifique ou politique, et qui tombe à un moment unique. Ce type de décision fait place, selon eux, à un « enchaînement de rendez-vous », com- posé d’une activité itérative de décisions de second rang, engageant un réseau d’acteurs diversifiés selon leurs responsabilités, réversibles de par l’ouverture à de nouvelles informations ou à de nouvelles formulations de l’enjeu 2.

EFFETS DE L’ÉQUITÉ SUR LA LÉGITIMITÉ DES DÉCISIONS

Le dossier collectif « Special Issue on Public Participation in Science and Techno- logy » 3 reconnaît qu’une discussion approfondie doit être menée pour « comprendre les aspects théorético-normatifs et pratiques de la participation du public » 4 dans la

« codétermination de politiques publiques » 5 par des citoyens ayant participé à ce type de procédures. Cette évolution a été rendue possible par une triple incertitude : cogni- tive (faits, connaissances et risques), normative (concernant les « buts sociaux » 6) et pratique (les moyens de traiter ces problèmes sociaux et scientifiques complexes) 7. Plus franchement que dans la majorité des analyses françaises, les auteurs de ce dos- sier accordent une place importante aux aspects moraux et normatifs, qui semblent jouer un rôle crucial dans les conflits à gérer. Ils déplorent que les scientifiques aient pu laisser ces aspects dans l’implicite ou encore que les sciences aient pris en charge l’incertitude depuis la modernité. C’est d’ailleurs le rôle dévolu aux citoyens que de pouvoir, à cette occasion, rendre explicites ces jugements de valeurs.

La majorité des auteurs du dossier présentent diverses procédures et traitent rapide- ment de certains aspects liés à l’ETP : compréhension commune et locale de questions scientifiques complexes par le public, expertise, types d’incertitude. Ils sollicitent en général les analyses de théoriciens de la société ou de la démocratie, comme Giddens 8,

1. Michel Callon et al., op. cit., p. 261.

2. Michel Callon et al., ibid., p. 307.

3. « Special Issue on Public Participation in Science and Technology », Science and Public Policy, 26 (5), octobre 1999, p. 290-373.

4. Simon Joss, « Introduction : Public Participation in Science and Technology Policy- and Decision-Making. Ephemeral Phenomenon or Lasting Change ? », dossier « Special Issue on Public Participation in Science and Technology », ibid., p. 290-293, notamment p. 293.

5. Simon Joss, ibid., p. 291.

6. Le normatif ne peut se réduire aux buts sociaux.

7. « Special Issue on Public Participation », op. cit., p. 307, 329. Cf. surtout l’article de Leonhard Hennen, « Participatory Technology Assessment : A Response to Technical Modernity ? », ibid., p. 303-312.

8. Anthony Giddens, Consequences of Modernity, Londres, Polity Press, 1990.

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Barber 1, Beck 2 ou encore Luhmann 3. Seuls Simon Joss et Arthur Brownlea se risquent à l’établissement de critères qui devraient permettre une évaluation des diverses procédures sur la base « du concept de justice procédurale, […] comme source d’inspiration théorique, […] pour sortir [de la domination] d’un discours technocratique » 4. Ils s’étonnent « qu’à part sa fonction de concept normatif et d’outil analytique, puisqu’elle a été utilisée pour le design de diverses politiques publiques et des initiatives de prise de décision » 5, la justice procédurale n’ait presque pas été remarquée dans l’analyse et la prise de décision concernant les poli- tiques scientifiques et technologiques. Ces théories ont vu le jour face à trois types de problèmes qui ont d’abord été abordés dans le monde juridique, mais que l’on peut retrouver dans le domaine de l’ETP. Il s’agit du pluralisme des valeurs entre acteurs sociaux, de la difficulté pour les pouvoirs publics à prendre des décisions dans le cas où ces valeurs sont divergentes et des liens de dépendance entre la légi- timité publique et l’acceptation des décisions. La « thèse principale » de la justice procédurale, selon Joss et Brownlea, résiderait dans « le lien fonctionnel » qui existe entre le processus de décision et son impact. Si la procédure 6 est jugée digne de confiance et impartiale par les personnes principalement affectées par les déci- sions, elles peuvent même accepter que ces décisions contredisent leur point de vue. On parlera alors de « fair effect process » 7. Or, le problème fort débattu est de savoir quels sont les critères qui permettent d’évaluer la relation entre la décision et l’institution dans laquelle elle a été prise, et subséquemment, les standards pour mettre en place un processus impartial. Joss et Brownlea établissent alors la liste des principales questions (universalité ou non de la justice procédurale, interdépen- dance avec la justice distributive) et des facteurs qui permettent à la justice procé- durale de fonctionner (contrôle des personnes affectées, neutralité, confiance dans les motivations des décideurs et organisateurs des procédures, respect des partici- pants), pour passer brièvement en revue quelques-unes des réponses proposées.

Celles-ci peuvent se résumer à une tendance qui privilégie le contrôle des per- sonnes concernées par les décisions, la qualité des relations entre les participants (modèle relationnel de la justice procédurale) 8 et la modification des standards de la justice procédurale par son extension à des domaines autres que le droit, notam- ment quand les organisateurs sont juges et parties. Les débats ont montré également que l’extension des modèles procéduraux aux querelles morales a permis d’étendre

1. Benjamin R. Barber, Strong Democracy. Participatory Politics for a New Age, Berke- ley, University of California Press, 1984.

2. Ulrich Beck, Risikogesellschaft. Auf dem Weg in eine andere Moderne, Frankfurt-sur- le-Main, Suhrkamp, 1986.

3. Niklas Luhmann, Beobachtungen der Moderne, Opladen, Westdeutscher Verlag, 1992.

4. Dossier « Special Issue on Public Participation », op. cit., p. 321.

5. Ibid., p. 323.

6. Les auteurs semblent ne pas distinguer entre procédure et processus, ce qui pose pro- blème.

7. Ce terme, issu de débats des années 1970, est repris dans la conclusion de Michel Callon et al., comme un des éléments principaux de leur chapitre, dont le titre rappelle Giddens : « Démocratiser la démocratie ». Cf. Michel Callon et al., Agir dans un monde incer- tain…, op. cit., p. 331-332.

8. L’auteur principal sur lequel Simon Joss et Arthur Brownlea s’appuient est Tom R. Tyler, à qui on doit la terminologie de Procedure-Legitimacy-Acceptence et de modèle rela- tionnel de la justice procédurale. Cf. Tom R. Tyler, « Legitimizing Unpopular Public Policies : Does Procedure Matter ? », Zeitschrift für Rechtssoziologie, 14 (1), 1993, p. 47-54.

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la légitimité des décisions aux yeux des personnes qui ne sont pas directement tou- chées par celles-ci.

Cette compréhension de la justice procédurale est donc redevable à plus de trente années 1 de débats dans les domaines de la résolution de conflits légaux et en jurispru- dence, des décisions en matière de politique gouvernementale, de la consultation publique, de la médiation dans le monde du travail et de l’économie 2. Les disciplines sollicitées sont principalement la psychologie sociale, la sociologie du droit et la philosophie 3. Devant les diverses formes prises par ces théories, les auteurs retiennent principalement comme définition que la justice procédurale est basée sur l’impartialité (fairness) 4 du processus dans lequel les décisions sont prises 5. Comme d’autres auteurs, ils intègrent le processus dans les interrelations entre les prises de décision, leurs contextes institutionnels, leurs environnements sociaux et les relations entre pro- cédures de décision et impacts de celles-ci.

Repérant quelques points de cristallisation pris par les débats relatifs à la justice procédurale 6, Joss et Brownlea extraient de ces recherches les six critères suivants, sans prétendre à l’exhaustivité, ni étouffer les conflits :

1) La possibilité pour divers acteurs sociaux de faire valoir la pertinence de leurs différentes perspectives contextuelles.

2) La possible remise en cause du cadre imposé à l’objet des débats.

3) L’égalité dans la communication entre les divers acteurs, basée sur le dialogue.

4) L’établissement d’une compréhension originale des différentes perspectives à l’œuvre et la façon dont elles touchent ceux qui sont affectés par les décisions.

5) Le traitement impartial des acteurs sociaux et la consistance des décisions prises.

6) La démonstration claire, de la part des décideurs, de la façon dont les résultats des débats ont été pris en compte et mis en pratique, de même que l’explicitation des raisons et de la logique de décision.

Les auteurs reconnaissent qu’avec la nouveauté des procédures d’ETP et leur caractère parfois expérimental dans des contextes qui restent largement technocra- tiques, le rôle de ces critères est resté obscur et leurs mérites ont été contestés. Le sixième critère a souvent permis de révéler une des faiblesses du déroulement des pro- cessus d’ETP.

1. « Special Issue on Public Participation », op. cit., p. 323.

2. Ibid., p. 325.

3. Ibid., p. 323 et note 4, p. 330. Avant la renaissance de ces débats durant les trente der- nières années, les auteurs remontent au 18e siècle, avec le philosophe Jeremy Bentham. Ils intègrent au débat la Théorie de l’agir communicationnel (Paris, Fayard, 1981) de Jürgen Habermas, « dérivée partiellement de la discussion de la justice procédurale dans le contexte du concept de réflexivité en droit ». Leur article s’appuie largement sur la synthèse de discussions variées établie par Denis J. Galligan, Due Process and Fair Procedures. A Study of Administra- tive Procedures, Oxford, Clarendon Press, 1996, et sur le numéro de la revue Zeitschrift für Rechtssoziolologie, 14 (1), 1993.

4. L’anglais, sous ce vocable, traduit aussi bien l’impartialité, l’équité que l’honnêteté, ce qui pose certains problèmes, notamment pour les deux premiers termes, qui ne sont pas égaux dans les débats sur la justice, et particulièrement en ce qui concerne le traitement de l’asymétrie cognitive et rhétorique entre partenaires.

5. Ils s’appuient sur la définition de W. Chan Kim, Renée A. Mauborgne, « A Procedural Justice Model of Strategic Decision-Making : Strategy Content Implications in the Multinational », Organisation Science, 6 (1), 1995, p. 44-66.

6. Principalement les critères de Tyler concernant l’implication des personnes affectées par les décisions, la neutralité des institutions qui décident, la confiance qui leur est accordée et les droits des participants.

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ÉTHIQUE DISCURSIVE DANS LA CONDUITE DE L’ETP

L’ambition du projet EUROPTA, European Participatory Technology Assess- ment. Participatory Methods in Technology Assessment and Technology Decision- Making 1, est d’établir une comparaison croisée entre seize mises en place de disposi- tifs d’ETP dans six pays 2, avec un souci d’équilibre entre les technologies abordées, les aspects socio-politiques, les types de participation et les cadres institutionnels de leurs déroulements. Les objectifs de ce projet étaient le développement théorique et analytique du rôle et de la fonction de l’ETP comme base de « discussion normative- conceptuelle et pour l’analyse empirique » 3, la comparaison et la production de recommandations pour l’ETP au niveau national et transnational. Ce groupe de travail a réussi à produire une intéressante recherche commune, devant permettre la commen- surabilité des expériences, miroir d’un cadre analytique, lui-même dépendant d’un cadre théorique pour guider une description pluraliste par la diversité des points ana- lysés. Des études thématiques transversales ont pu être produites autour des problèmes suivants : la mise en place de l’ETP, la conduite de ces projets, le choix de la méthode d’ETP, le rôle de l’ETP dans le processus de policy-making et les impacts de l’ETP dans l’environnement sociétal.

Ce projet reste très ouvert sur le choix des procédures d’ETP, contrairement aux résultats de certains des auteurs précédemment cités. En effet, par leur sensibilité aux contextes sociaux et institutionnels, aux technologies controversées, aux buts assignés à l’ETP, les auteurs d’EUROPTA ne hiérarchisent pas les procédures selon certains critères.

Leur protocole 4 de recherche a montré ses limites en ce qui concerne l’analyse des questions relatives à la conduite des expériences, à la gestion des problèmes qui y surviennent et aux types d’impacts. Il en est de même pour la question de l’estimation de la qualité des résultats obtenus, variant selon que les enquêtes ont été confiées à des chercheurs extérieurs ou à des membres d’offices d’évaluation technologique, eux- mêmes meilleurs connaisseurs, mais porteurs potentiels de biais pour la recherche 5. La méthodologie d’enquête basée principalement sur des interviews d’organisateurs de dispositifs d’ETP, de participants, d’observateurs et sur des lectures, au détriment d’un travail plus approfondi sur des documents recueillis, constitue également une limite reconnue par les membres du projet 6. En effet, le protocole de recherche mettait en garde les chercheurs impliqués sur la nécessité de ne pas s’investir jusqu’à l’exploi- tation de documents empiriques.

Dans les analyses thématiques transversales, Lars Klüver est le seul à se risquer à la production de critères dans sa contribution : Project Management. A Matter of

1. Mené de mars 1998 à décembre 1999, le projet EUROPTA, « Les méthodes de partici- pation dans l’évaluation et la décision en matière technologique », a été financé par la Commis- sion européenne (DG XII) dans le cadre du programme TSER. Cf. Simon Joss, Sergio Bellucci (eds), Participatory Technology Assessment. European Perspectives, op. cit.

2. Allemagne, Autriche, Danemark, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suisse.

3. Simon Joss, Sergio Bellucci (eds), Participatory Technology Assessment…, op. cit., p. 7.

4. Les auteurs parlent aussi de check-list : Simon Joss, Sergio Bellucci (eds), ibid., p. 7-18.

5. Simon Joss, Sergio Bellucci (eds), ibid., p. 47.

6. Les auteurs auraient souhaité pouvoir revoir le protocole de recherche sur la base des résultats obtenus. De plus, les recherches n’ont pas été menées de façon aussi approfondie dans chaque pays.

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Ethics and Robust Decision. L’évaluation de la conduite d’ETP, à la rencontre de la

« chair et du sang » 1, est formulée en termes éthiques. Elle est située entre l’analyse des procédures annoncées et le déroulement effectif des processus. Elle prend aussi bien en compte des problèmes macro sociaux (culture nationale, institutions, projet) que les interactions interpersonnelles. Reconnaissant la nouveauté de la théorie rela- tive aux méthodes d’ETP 2, Klüver émet deux mises en garde, qui sont en tension.

D’une part, la recherche et la sélection de bonnes pratiques en ETP comportent plu- sieurs aspects ; de plus, il est rare qu’il n’y ait qu’une seule bonne façon de résoudre un problème au sein d’une procédure ; il n’y a presque jamais de réponse universelle pour chaque micro-décision. D’autre part, il estime que certaines décisions sont meilleures que d’autres. Il souhaite donc dépasser le report à l’intuition et à l’expé- rience des animateurs des processus d’ETP, en proposant les linéaments de sa propre théorisation, selon une éthique du discours 3, bien qu’il reconnaisse que celle-ci est susceptible de longs débats. Il la distingue du débat idéal habermassien, d’un dialogue

« sans maître, pour approcher de la vérité », car, en pratique, l’éthique du discours est davantage instrumentale 4. Comparée à l’évaluation technologique (ET), plus utilita- riste, l’ETP se distinguerait par l’élargissement du spectre des connaissances aux normes et aux valeurs en jeu. Selon Klüver, la frontière entre aspects cognitifs et nor- matifs est d’ailleurs très fine dans ce genre de processus communicationnels. De plus, la personnification des opinions est à la fois un fait à prendre en compte pour la parti- cipation et une impulsion normative.

Souhaitant fournir une évaluation éthique opérationnelle pour pouvoir passer en revue les expériences du projet EUROPTA, Klüver esquisse les quelques caractéris- tiques de ce qu’il appelle une éthique du discours :

1) L’égalité qui essaie de donner un pouvoir égal à chaque participant.

2) La clarté liée à une information appropriée.

3) Un regard loyal dans les relations interpersonnelles.

4) Une ouverture permettant de maintenir au minimum les restrictions du champ des points de vue, afin de permettre aux participants de dresser eux-mêmes leur propre agenda.

5) Une authenticité basée sur des processus communicationnels explicites pour que le besoin d’interprétation soit minimal.

6) Une transparence telle que les règles formelles et informelles de la communi- cation soient connues et acceptées par les participants.

7) Une légitimité fondée sur le fait que toutes les parties touchées par le problème qui est discuté doivent être invitées au dialogue.

En praticien de l’ETP, Klüver reconnaît que ces points sont rarement honorés dans la réalité. Cependant, ceci ne doit pas être une excuse pour ne pas essayer d’amé- liorer l’ETP en tenant compte des exigences de l’éthique du discours 5. Grâce à ce dis- positif assez simple, Klüver tire des analyses permettant d’évaluer certains aspects des

1. Simon Joss, Sergio Bellucci (eds), ibid., p. 87.

2. Selon ce membre du Comité danois de la Technologie (Teknologiradet), les seuls offices d’évaluation européens qui ont développé une réelle théorie des méthodologies d’ETP seraient au Danemark et aux Pays-Bas : Simon Joss, Sergio Bellucci (eds), ibid., p. 92.

3. Simon Joss, Sergio Bellucci (eds), ibid., p. 88.

4. Ce point est problématique pour Jürgen Habermas, qui distingue précisément, dans une ligne wébérienne, entre agir instrumental et agir communicationnel.

5. Nous pourrions discuter le choix des caractéristiques tirées de l’éthique du discours, qui semble, selon lui, être explicitement souhaitée dans les sociétés démocratiques.

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expériences d’ETP. Ses critères lui permettent de répondre à une série de défis propres à ce nouveau type d’évaluation, concernant sa mise en place (1), les relations avec les personnes (2) et la négociation des changements (3), à savoir :

1) Le manque de méthodes spécifiques, le manque de ressources, les biais dans l’organisation des projets, des définitions trop restrictives dans la définition des experts, les problèmes de collaboration entre les institutions organisatrices, le cadrage du débat par les organisateurs, le manque de stratégie dans la communication, le syn- drome du « on n’invente rien ici » et le manque d’expérience.

2) De mauvaises dynamiques de groupe ou des participants perturbateurs, la dif- ficulté d’obtenir la participation de certains groupes ou de certaines personnes, les relations avec les médias, les demandes de changements de procédures de la part des participants.

3) Les pressions de groupes essayant d’intervenir dans le processus, les critiques des groupes d’influence à propos de la méthode ou sur la conduite du processus, la pression du temps.

Klüver reconnaît certains échecs relatifs aux défis précédents. Pourtant, il main- tient le choix de ses caractéristiques de l’éthique du discours pour des raisons d’effi- cacité. Le respect de ces règles semble faire partie d’une stratégie en vue de gagner la confiance, tant des participants que du monde extérieur. Dans cette évaluation croisée, l’éthique du discours devrait être la préoccupation principale du comité de pilotage des conférences, ainsi que du médiateur des débats, à côté de compétences pédagogiques, psychologiques et du souci de l’orientation de la conférence. Vu le manque d’expé- rience dont pâtissent ces conférences, le médiateur 1 est un élément central pour la réussite de celles-ci 2.

COMPARAISON CRITIQUE

DES QUATRE EVALUATIONS SECONDAIRES : VERS UNE GESTION PLURALISTE DE L’EVALUATION PARTICIPATIVE

Après avoir restitué ces productions critériologiques issues de problématisations différentes, nous entendons proposer une comparaison générale et surtout une discus- sion. Nous pourrions poursuivre la liste des critères ad libitum à la suite de ceux qui

1. Nous pourrions ajouter ici une autre approche de l’éthique, fondée sur d’autres tradi- tions et qui vante les mérites de l’improvisation morale. C’est le cas de John Forester, qui s’ins- pire des recherches néo-aristotéliciennes de Martha Nussbaum et de celles du pragmatisme d’Hilary Putnam. Cf. John Forester, The Deliberative Practitioner, Boston, MIT Press, 1999.

Le bon animateur sera celui qui peut aborder des situations nouvelles en faisant preuve de compétences pour improviser de façon appropriée. Pourtant, avec l’improvisation, le problème sera alors de pouvoir produire des critères de comparaison.

2. Les conférences de consensus suisse (1999) et française (1998) sur les OGM sont très différentes sur ce point. La première laissait toute la place de la médiation à un professionnel des conférences de ce type, quand la seconde partageait ce rôle entre un professionnel de l’ani- mation de groupe assez discret et un président de séance, qui cumulait les rôles de député et de président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. On constate des différences significatives au niveau des reformulations, des aides à la négociation, des interventions de ces « animateurs », qui marquent l’évolution des débats et la contribution des citoyens.

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ont été présentés et qui se recoupent largement, malgré de petites variations. Nous pro- poserons des compléments aux rares critères spécifiques aux sciences et aux tech- niques, ainsi qu’au volet éthique de l’évaluation, qui manquent dans ces listes. Ils s’imposent pour des raisons pratiques liées au déroulement des processus et théoriques visant à justifier normativement l’ETP.

À l’inverse, nous pourrions nous demander comment réduire ces listes. À tout le moins, la question se pose de la hiérarchisation des critères, voire de leur contradic- tion. Sans classement des critères selon leur importance, des problèmes concrets adviennent rapidement, tant pour la mise en place et la conduite du processus que pour son évaluation. Par exemple, comment tenir en même temps la qualité des interactions et la diversité la plus large possible de la représentativité, ou encore l’engagement pré- coce, dès les premiers jugements de valeur et l’évitement de la confusion de tous les points de vue ? Nous pourrions répondre en affirmant que toute hiérarchisation des cri- tères déboucherait sur le choix de procédures différentes pour répondre à des usages variés de l’ETP, selon les contextes institutionnels et sociaux, les technologies contro- versées ou encore les objectifs poursuivis. N’optant pas pour une réduction a priori, nous proposons une série de trois remarques sur la base de l’ensemble des critères pré- sentés, pour relever plus longuement certaines de leurs limites dans la prise en compte des différents domaines intégrés dans la terminologie d’« évaluation technologique participative », ce dernier pôle participatif éclipsant les deux autres.

Premièrement, les quatre tentatives examinées n’évaluent pas les mêmes aspects de l’ETP. Michel Callon et alii, Rowe et Frewer s’intéressent à différents types de dis- positifs de participation, les seconds étant seuls à reprendre systématiquement l’éva- luation rapide des types de dispositifs retenus. Joss et Brownlea, plus abstraitement, se concentrent sur l’effet d’équité (fairness effect) sans viser directement les propriétés des diverses procédures. Klüver tire de son interprétation de l’éthique du discours une série de critères devant permettre d’évaluer la conduite d’expériences d’ETP.

Deuxièmement, les auteurs focalisent leur attention sur des éléments différents rela- tifs aux décisions. Frewer et Rowe se concentrent sur l’acceptation de celles-ci par le public, dépendante de la qualité du processus. Le souci de Callon et alii réside dans la continuité de la « dynamique décisionnelle » devant permettre la réversibilité en fonc- tion de nouvelles informations à prendre en compte. Pour Joss et Brownlea, c’est l’impartialité qui assure la légitimité des décisions. Quant à Klüver, il estime que la qua- lité des décisions relève de la conduite « éthique » des processus communicationnels.

Troisièmement, ces analyses sollicitent des théories ou des modèles très diffé- rents. Michel Callon et ses collègues élaborent un modèle normatif de légitimité démocratique, « la démocratie dialogique » 1. Joss et Brownlea s’appuient explicite- ment sur les ressources théoriques plus développées de la justice procédurale. Nous retrouvons l’éthique du discours habermassienne considérablement réaménagée chez Klüver.

Un premier résultat étonnant issu de la comparaison est donc la production de cri- tères très semblables, malgré des différences au niveau des aspects pris en compte dans l’ETP, dans l’analyse des décisions et dans les choix normatifs théoriques. Le cas de Rowe et Frewer corrobore ce résultat, puisqu’il est syncrétique de ce point de vue, en exploitant une littérature hétérogène.

1. Bien qu’elle soit déconnectée des débats philosophiques, selon la volonté des auteurs, nous retrouvons des références à certains philosophes politiques dans les notes de bas de page de leur ouvrage à ce sujet.

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Ce point soulève une interrogation par rapport au lien qui existe entre théorie, modèle et critériologie, surtout si « la première étape de ce type de recherche est constituée par la partie théorique », à en croire les auteurs du rapport EUROPTA. La faible incidence de ces « théories » s’explique peut-être par leur rôle limité dans ces recherches 1. Elles ne sont souvent qu’un cadre de référence servant à définir le contexte et certains problèmes de la recherche, voire le type de solution préconisée.

Or, à la fin, quand bien même ces cadres théoriques sont différents, voire concurrents, les critères d’évaluation se ressemblent.

CONDITIONS D’ACCÈS AUX CONTROVERSES SCIENTIFIQUES ET TECHNIQUES

On est frappé de voir que la très grande majorité des critères considérés ne concerne pas spécifiquement les sciences et les techniques, et cela, malgré le fait que certains auteurs s’inscrivent en sociologie des sciences et des techniques ou que ces dernières ont mobilisé ces innovations socio-politiques. Certes, Rowe et Frewer, Callon et alii mentionnent l’incertitude, ainsi que l’engagement des profanes dans la recherche ; Joss insiste sur les diverses perspectives contextuelles à garantir, mais on peut se demander si le traitement des sciences dites « dures » 2 et des objets tech- niques ne reste pas « très classique » avec les critères énoncés, bien que les auteurs annoncent vouloir ne pas en rester à une expertise technicienne. De plus, les sciences qui nous intéressent ici sont complexes et impliquent souvent des probabilités, aux- quelles il faudrait familiariser les acteurs de ces discussions. Les rares critères énoncés qui pourraient se rapporter directement aux sciences et aux techniques sont

« la pertinence de l’information, sa concision, voire sa clarté et son caractère expli- cite qui la protège le plus possible de l’interprétation ». Ce dernier critère est parti- culièrement problématique, puisqu’il nous semble que le contexte de controverse incite au contraire à « déplier » et à clarifier les diverses lignes d’interprétations en conflit. Même dans le cas de technologies dont la nouveauté rend la connaissance difficile et incertaine, il paraît possible de rendre compte des conditions dans les- quelles les résultats sont obtenus et interprétés, surtout dans le cas de débats contra- dictoires, et de déployer divers scénarios probables ou possibles. Les sociologies des controverses scientifiques 3 ont pu étudier les conditions et les exigences de produc- tion de la preuve dans certaines sciences dures. Elles pourraient permettre de pro- duire des critères pour améliorer l’accès des citoyens à une expertise moins faite,

1. Cette observation pourrait être faite pour toute recherche en sciences humaines et sociales, avec le souci d’articuler et d’expliciter les liens qui existent entre la méthodologie et la théorie impliquées. Ce qui semble une condition est souvent insuffisamment explicité.

2. Là encore, il faudrait distinguer, par exemple, entre la physique théorique et les phéno- mènes couplés et plus complexes abordés par le génie chimique, la physique appliquée, ou encore entre le génie biomoléculaire, l’écotoxicologie et les sciences de l’environnement. Cer- taines questions posées lors des débats sur les OGM, par exemple, indiquent les limites d’une seule discipline pour pouvoir répondre aux questions posées.

3. Elles-mêmes au cœur de controverses importantes, pour savoir comment apprécier les divers facteurs externes au raisonnement et à la recherche scientifique et quels poids respectifs leur accorder dans la production et la connaissance scientifiques. Cf. Bernard Reber, « Le défi des controverses scientifiques publiques », Encyclopaedia Universalis, La science au présent, à paraître en 2006.

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