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Eva Visnyei ÇA YEST, J'Y SUIS!

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Academic year: 2022

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ÇA Y EST, J'Y SUIS !

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Eva Visnyei

ÇA Y EST, J'Y SUIS !

Récit

CLIMATS

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© Éditions Climats, 1999

34170 — CASTELNAU-LE-LEZ

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Une banalité incroyable, je te dis pas ! Ça a commencé, on était bêtement au bistrot.

Hugues et moi, on causait. Assis au bar, y'avait un mec que je connaissais vaguement. Je sais pas pourquoi, je le salue, avec les yeux.

Y répond.

Jusque-là, rien à dire...

Hugues et moi, on continue de causer.

On prend un dernier verre. Puis, on s'en va.

On traverse la rue.

Hé ! Qu'on entend.

On se retourne.

Le mec du bar, dis ! Le même, dans sa voiture.

Y veut nous ramener. Drôle de truc.

Soit. On monte. Ça nous arrange. On remercie.

Je pose l'une ou l'autre question, histoire de dire.

Il fume un truc. Et nous avec. On démarre.

Non. Avant de démarrer, il nous en donne un bout.

On dit pas non. Tu parles ! « C'est pour vous deux,

pour après, chez vous » qu'y dit.

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Pendant le trajet : y cause de lui. Doit pas avoir l'habitude parce qu'il laisse tomber sa cigarette.

Comme je me connais, ça a dû me faire rire ou quelque chose du genre. Bref, il nous dépose.

Disparaît.

À la maison, nous, on boit un dernier verre et on se roule son truc, le fume. Y'en avait trop, ou quoi... Toujours est-il que je me retrouve toute seule à table. Hugues est allé se coucher. Dans ma tête, ça tourne méchamment ! C'est le bateau, à mort. Je me sens pas trop bien.

Ça me rappelle la dernière fois qu'on relisait le texte quand j'ai tout dégueulé les termites et le reste. (Pour cette histoire de termites, t'inquiète, je t'expliquerai plus tard).

Je me sens pas trop bien, donc. Et je me dis : bon, tu te racontes des histoires. Faut se ressaisir.

Je me déshabille comme je peux.

Je ne supporte plus l'idée d'avoir des fringues.

Ça colle. Y me faut de l'air.

À poil, je me sens mieux. Je cours à la cuisine et là, tout qui sort. La totale. Et pas dans l'évier.

Tout par terre. Moi, dedans. La gueule en plein dans la fange. J'essaye de réagir, évidemment.

Mais là, c'est tout le système qui s'y met. En pre- mière ligne ! C'est quelque chose, un anus, on croirait pas. Ça offre des sensations assez étranges quand on y pense. Et ça y va dans tous les sens.

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C'est comme une ligne, un trait dans l'espace que je dessine dans ma cuisine.

Je me dis : heureusement qu'y dort. T'ima- gines ! S'expliquer !

Mais je suis bien. Et le plus drôle : je pense.

Plein d'idées agréables. Une espèce de bonheur brut. Je me laisse aller à ça... Quand, tout à coup, je sens que je dois pisser.

Non, pas ça! que je me dis. Tu vas pas faire ça quand même !

Je sens bien que c'est pas clair, ce qui se passe.

Je résiste. J'essaye de me ressaisir. Un petit coup de morale pour arriver à me retenir. Mais je sens bien que ça va pas marcher. Je vais pas tenir parce que c'est pas gai. Je sens avec une précision incroyable à quel point c'est pas gai. Je sens mon ventre qui grossit, rempli qu'il est. Se retenir, c'est un effort. Et cet effort, en ce moment, me semble le comble de l'absurde. Absolument hors de pro- pos et sans objet. Tout ça pour dire que je sens bien que le barrage est déjà levé et, qu'en fait, je me raconte des histoires.

Et donc, ça y va : je pisse. Une flaque énorme.

C'est une sensation de légèreté incroyable. Je ris intérieurement du plaisir de ce liquide chaud qui se répand longtemps, doucement, sous moi et autour de moi, et je ris de la facilité avec laquelle ça se passe.

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Je nage dedans, dis. Je m'y complais. Comme je peux quand même pas tout à fait oublier que je suis civilisée, je pense au look de la cuisine, et ça me fait rire.

J'imagine l'image que ça doit faire...

Une bonne femme à poil qui pisse, le nez dans un mélange de dégueulis et de merde. Le tout dans une cuisine proprette. Carrelage à damiers noirs et blancs. Pas mal, l'image !

Et c'est même pas dégueulasse, pas porno pour un sou. Une femme aux prises avec ses trous. C'est tout. Un moment récréatif en somme. Une espèce de moment de parfaite solitude.

Rien à voir avec les mecs. Rien à voir avec rien ni personne.

Rien qu'une nana. Rien que moi. En brut. En fondamental. Originel, si tu veux. Un truc du genre.

Une femme, quoi.

Pas un délire, pas une réminiscence, pas un discours. Rien que des faits, des sensations en direct et c'est tout.

Cela dit, y faut tout dire quand même... Le bonheur n'est pas total. Y'a une ombre au tableau.

J'avoue que j'ai quand même tenté de me défendre un peu : si je me levais ? Que je me suis dit.

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C'est dingue, ce qu'on peut raisonner. Absolu- ment incroyable cette maladie de vouloir donner un sens à tout. Tu vis un truc exceptionnel et tu es prête à tout foutre en l'air juste pour revenir dans le rang. Même toute seule avec mes trous, je peux pas m'empêcher de réfléchir.

Donc. Si je me levais ? Que je me suis dit.

J'ai vraiment essayé. Avec une sincérité totale.

J'ai soulevé ma tête, poussé sur mes bras. Je glissais, je glissais. Je voyais mes cheveux, raides tellement ils étaient imbibés. J'ai dû passer mes mains dedans pour vérifier. Avec mes jambes, j'ai essayé aussi. Je glissais, je glissais. Fallait bien que je me mette à l'évidence. Fallait attendre.

Impossible : pour le coup, j'étais clouée au sol.

Tout ça pour dire que, dans le fond, je n'ai aucun mérite. Je n'ai pas fait preuve de beaucoup de liberté. J'ai pas choisi. J'ai accepté, tout au plus : je bouge plus et j'attends que ça se tasse. Voilà ce que je me suis dit. Et tant qu'à faire, je m'observe.

Et alors là, c'est la super surprise : je me sur- prends à aimer ça. Je te jure que ça fait drôle...

Je colle de partout. Objectivement, c'est dégueulasse. Et pourtant c'est bon. Ça, ça fait quelque chose de s'en rendre compte.

Le plus incroyable, c'est que ça sent bon aussi.

Y'a plus l'acidité, ce truc qui te soulève le cœur.

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Non. Les odeurs emmêlées de dégueulis et de merde, c'était plutôt sucré. Un côté âcre mais très agréable. Pas la sensation habituelle quand t'es aux chiottes. Ce machin rassurant de se sentir soi- même. Pas ça du tout, non. Quelque chose de tout à fait différent : une sorte de réminiscence.

Attends, je me contredis. Il y a quelques secondes à peine, je disais le contraire... Attends, que je réfléchisse...

Et puis, zut ! Non ! À ce moment-là, j'avais vrai- ment l'impression d'une réminiscence, d'un souve- nir. Ça a commencé comme ça, en tout cas. Je me suis dit ça, un moment. Et pour dire vrai, c'était même un super bon souvenir !

Oui ! Ça devait être à peu près comme ça, bébé, ce plaisir tout bête de sentir par où le liquide passe. Par où je me répands. Par où je parle au monde, quoi.

En fait, je dirais même que c'était plus qu'un souvenir : c'était comme si tout à coup je compre- nais, ou plus exactement, je sentais que mon corps, il n'a jamais cessé d'en être là. Ça a tou- jours été pareil : odorant et vachement réel, vache- ment causant.

Allez, reconnaissons-le ! Ce qu'il y a, c'est

qu'en général, on occulte tout ça. C'est normal

d'ailleurs... On va quand même pas se mettre à

chier en public ! Ça tombe sous le sens. Faut pas

déconner.

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Mais trêve de palabres, j'étais couchée dans la situation que tu sais. Et l'important, ce en quoi tout a basculé, c'est que, couchée sur le carre- lage de ma cuisine, j'ai senti que j'étais une femme...

Que c'est ça, être une femme.

Sentir, comme ça. De cette façon-là.

Penser, pouvoir même se payer le fantasme d'une réminiscence et s'en foutre parce que la question n'est pas là. Sentir ce qui se passe et pouvoir le penser.

C'est ça, moi.

C'est mon corps, merde !

Je parle, j'imagine. Mon corps y vit, y parle. À sa façon. C'est des trous.

J'ai mis un certain temps à l'admettre parce que - quoi qu'on en dise — c'est pas si simple.

Pas si simple de se dire que personne n'a rien à voir là-dedans, à part moi. Et qu'en même temps, j'y suis pour rien.

Ça se passe. Et c'est tout.

Je suis une femme.

Bref. Quitte à me répéter, j'étais par terre, les

cheveux gluants et raides, baignant dans ce bon-

heur d'odeurs nouvelles et très anciennes à la fois,

odeurs actuelles, d'une incroyable actualité.

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C'était doux. J'avais un plaisir certain à tour- ner ma tête dans le mélange. Une joue, puis l'autre. Et le petit bruit liquide.

Là aussi, y'a eu l'étonnement quand même.

Faut du temps pour s'y faire. Admettre que je ne délire pas, que c'est pas une déchéance du tout, ce qui m'arrive, et que c'est bon, tout sim- plement.

C'était donc ça ! que je me suis dit. Et comme je pouvais toujours pas bouger, je me suis dit : autant y'aller... Et j'ai senti mes trous. La caresse par où ça passe. La dilatation. Le passage du liquide. J'ai senti aussi l'espace que j'occupais. J'ai senti ma peau. Ou plus exactement, le point de jonction. Pas le trou, mais le bord. L'extrême bord du trou. Le point précis entre dedans et dehors.

Quand je dis que je me suis dit tout ça, c'est pas tout à fait vrai.

En fait, le truc, c'était plutôt que je sentais tout ça et qu'en même temps je savais que je le sentais.

Une conscience en somme.

Et ça, c'est une expérience tout à fait dingue.

Je voudrais pas me faire passer pour une allumée, mais c'est vraiment exceptionnel de sentir ça. Ça change du discours habituel de la-Femme-qui- jouit-j'te-dis-pas ! comme disent les mecs. Ça ramène vachement de la simplicité.

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A

VEC une acuité tout à fait fulgurante, je saisis que les mecs, les filles, la Femme, les machos... on s'en tape ! Que cha- cun ait un rôle n'a aucune importance. On s'en fout complètement. Ce qui compte, c'est le fait et la manière de parler le terrain, d'occuper un espace.

Être moi, être une femme, c'est occuper l'espace à ma façon.

Laisser faire, donc.

Pas besoin d'hurler. Ah, ça non ! Parce que tout ça, c'est une affaire de solitude. De vraie, d'absolue solitude. Une histoire de vérité s'il en est. De ras des pâquerettes, de degré zéro, de vide, quoi.

C'est pas que tu rases tout. Pas du tout. Mais sans ce vide-là, tu fais rien.

Eva Visnyei vit à Bruxelles.

Scénariste, peintre, elle a fait du dessin animé et écrit pour le théâtre.

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