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LOBBYING ET SEPARATION DES POUVOIRS EN FRANCE

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LOBBYING ET SEPARATION DES POUVOIRS EN

FRANCE

Christina Koumpli

To cite this version:

Christina Koumpli. LOBBYING ET SEPARATION DES POUVOIRS EN FRANCE. IXE CONGRÈS MONDIAL DE DROIT CONSTITUTIONNEL - AIDC, Jun 2014, Oslo, Norvège. �hal-02971373�

(2)

DEFIS

CONSTITUTIONNELS

GLOBAUX

ET

LOCAUX

IX

E

C

ONGRÈS MONDIAL DE

D

ROIT CONSTITUTIONNEL

ASSOCIATION INTERNATIONALE DE DROIT CONSTITUTIONNEL

LOBBYING ET SEPARATION DES POUVOIRS EN FRANCE

1

Christina KOUMPLI

Doctorante EDDC – Université Paris I Panthéon Sorbonne ATER – Université Paris Ouest Nanterre La Défense

Membre AFDC

ATELIER N°15

LES MUTATIONS ET LES TRANSFORMATIONS DE LA DIVISION DES POUVOIRS:

L’ORGANISATION CONSTITUTIONNELLE

Sous la direction des Professeurs

Bertrand MATHIEU

Javier GARCIA ROCA

OSLO, 16 - 20 JUIN 2014

(3)

« A partir du moment où les groupements d’intérêts

s’assurent par des procédés indirects une maitrise de l’Etat, il n’est plus sûr que le peuple gouverne lui-même »

Georges VEDEL2

Si au sein de Constitutions modernes on trouve facilement des normes organisant une séparation tant horizontale que verticale des pouvoirs, on ne trouve pas aussi facilement – du moins à l’heure actuelle – de normes d’encadrement juridique (et non pas de « droit souple ») de l’action des groupes de pression motivée par des intérêts particuliers multiples. Mais il semblerait que la dernière révision constitutionnelle française du 23 juillet 2008 offre « au lobbying de nouvelles possibilités d’intervention aux trois stades successifs de la création de la norme législative »3 ; par ailleurs, la doctrine constate que le juge est également une « cible des groupes de pression »4.

Si, vis-à-vis du pouvoir judiciaire l’influence de ces groupes de pression semble faible, le travail du pouvoir législatif et du pouvoir réglementaire est devenu quasi-dépendant de la consultation préalable de ces entités représentant des intérêts particuliers et par conséquent, leur impact sur l’adoption et la rédaction des normes juridiques est devenu inévitable.

Sans exclure l’importance de ces groupes pour la démocratie et leur existence consubstantielle avec le libéralisme, nous ne pouvons pas manquer de nous interroger sur la question de leur absence de légitimité, rarement évoquée. Plus précisément, l’affirmation d’un silence normatif relatif à la participation des lobbies dans le processus de création ou de modification des règles de droit conduit à une permission d’action qui peut rendre obsolète l’intérêt de la séparation des pouvoirs et déséquilibrer l’Etat de droit.

Or, si le lobbying, souffrant d’une légitimité fragile faute d’ancrage dans la représentation en tant que fondement de la souveraineté nationale5, empêchait la réalisation de l’objectif du principe de séparation des pouvoirs, qui n’est autre que la garantie de la liberté politique6, il n’aurait pas de place dans la Constitution française. A l’inverse, si le lobbying parvenait à améliorer la qualité de la norme juridique par une contribution pluraliste à la spécialisation de chacun de pouvoirs en leur fournissant l’expertise qui leur est nécessaire afin de prévoir l’efficacité des règles, pourquoi n’éclipserait-on pas les inquiétudes théoriques et anciennes (établies en France depuis la Révolution par opposition à l’Ancien Régime) fondées sur le concept français sacro-saint de la « volonté générale » refusant toute expression d’intérêt particulier au sein du Parlement? Telles sont les deux positions qui s’opposent ici.

Confronter le principe de la séparation des pouvoirs au lobbying en vue d’en tirer toutes les conséquences de leurs effets sur le droit constitutionnel sera l’objectif de cette

2

G. VEDEL, Cours de droit constitutionnel et d’institutions politiques, Ed. Les cours de droit, Paris, 1957-1958, p.313

3

F. FAGES, F. ROUVILLOIS, « Lobbying : la nouvelle donne constitutionnelle », Recueil Dalloz, p.277 et s.

4

M.MEKKI (dir.), La force et l’influence normative des groupes d’intérêt. Identification, utilité et encadrement, Lextenso éditions, Paris 2011, p. 111 et s.

5

P. BRUNET, Vouloir pour la nation, Le concept de représentation dans la théorie de l’Etat, Paris-Bruxelles-Rouen, LGDJ-Bruylant-Presses Universitaires de Rouen, 2004

6

M.TROPER, « Séparation des pouvoirs », in Joël Andriantsimbazovina et al. (dir.) Dictionnaire des Droits de l’Homme, PUF, éd. 2008, p.899

(4)

étude. Celle-ci ne serait pas dépourvue d’intérêt dans une période qu’on pourrait caractériser de « crise de la représentation » au sens d’un écart ressenti entre les représentants et les représentés7 illustrée récemment en France par les pourcentages d’abstention aux dernières élections municipales ainsi que dans une période de crise économique mondiale généralisée.

Or, notre étude se prétend purement juridique par souci épistémologique. En effet, on essayera de comprendre si et dans quelle mesure le lobbying, concept propre à d’autres sciences comme la sociologie8 et la politique9 constitue un objet de normes juridiques françaises. Est-il permis ou interdit de pratiquer le lobbying ? Y a-t-il une ou plusieurs normes permettant aux acteurs du lobbying de participer à la création de normes et le cas échéant, sous quelles conditions ?

Répondre à ces questions présuppose d’isoler et de définir d’abord les deux concepts, à savoir le lobbying et le principe de la séparation des pouvoirs. Ce n’est qu’ainsi qu’on pourra appréhender l’entrée du lobbying dans le discours juridique français qui semble la différencier des Etats-Unis10 et qui est compté parmi les évolutions qualifiées d’ « américanisation du droit ».

Définir le lobbying pourrait relever du pure défi vu la variété des synonymes qu’on utilise en France pour parler des acteurs pratiquant le lobbying (ex. groupes d’intérêt, corporations, groupements, syndicats, associations, clubs, trusts, cartel, groupes de pression, think tanks, etc.11) ainsi qu’en raison de l’insuffisance tant du critère finaliste, que du critère organique.

Par critère organique la doctrine entend celui fondé sur la structure ou le mode d’organisation d’un groupe, par ex. associations, organisations non-gouvernementales, mais elle affirme que ce critère, résultant à une notion fourre-tout, est insuffisant. Le critère finaliste ou téléologique s’appuie sur la nature des intérêts défendus par les groupes concernés. C’est d’ici que provient la dichotomie classique entre groupes d’intérêts civiques et groupes d’intérêts économiques mais elle est également insuffisante du fait que la plupart de groupes dits citoyens refusent d’être classés parmi les lobbyings contre lesquels, selon eux, ils agissent, la notion de lobbying étant stigmatisée d’une suspicion de corruption et de non transparence12.

Ainsi la doctrine spécialisée sur le sujet propose un « critère procédural » fondé sur les modes des actions et qui permet de rendre compte de l’influence des groupes d’intérêts sur le droit. Selon ce critère, il y aurait une influence directe, appelée par la doctrine anglo-saxonne « grasstop lobbying » consistant à une action de lobbying concentrée sur un petit nombre d’individus-cibles très influents sur le sujet concerné ; elle est tantôt formelle

7

D. MINEUR, Archéologie de la représentation politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, pp. 17-21

8

C.f. E. GROSSMAN, S. SAURUGGER, Les groupes d’intérêt - Action collective et stratégies de représentation, Collection Sociologie, 2e éd., Arman Colin, Paris 2012 ; M. OFFERLE, Sociologie des groupes d’intérêt, Montchrestien, 2e édition, 1998

9

C.f. P. BARDON, T. LIBAERT, Le lobbying, Dunod, Paris 2012 ; G. COUTRY, Les groupes d’intérêt, Collection repères, Ed. La découverte, Paris, 2006 ; D. MINEUR, Archéologie de la représentation politique, Paris, Presses de Sciences Po, 2010

10

G. HOUILLON, Le lobbying en droit public, Bruylant, Bruxelles, 2012, 1123p. : L’auteur organise sa thèse autour des deux parties suivantes : I. La reconnaissance nécessaire du lobbying dans les droits nord-américains II. Une reconnaissance impossible du lobbying en droit français

11

Pour une classification de ces synonymes v. G. COUTRY, Les groupes d’intérêt, Coll. repères, Ed. La découverte, Paris, 2006, p.5

12

M.MEKKI (dir.), La force et l’influence normative des groupes d’intérêt. Identification, utilité et encadrement, Lextenso éditions, Paris 2011, pp. 18-22

(5)

(organisée par les pouvoirs publics), tantôt informelle (exercée en dehors du cadre législatif). Il y aurait également une influence indirecte appelée « grassroots lobbying » qui consiste à chercher un renfort auprès des mouvements de citoyens aux intérêts convergents13. Cette partie de la doctrine propose, par ailleurs, d’observer la nécessité des groupes d’intérêts en raison de leur utilité sociale dans la création, l’efficacité et la qualité du droit dans une période de crise de l’État, de renouveau de l’intérêt général et d’un droit en mutation14

. A notre avis, la meilleure manière de proposer une définition juridique du lobbying (ou de l’action des groupes d’intérêts15

) qui peut servir à la science du droit et aux pouvoirs politiques institués par l’État est celle qui respecte ce qu’est le droit. Il est donc nécessaire de rappeler – sans trop s’y attarder – que le droit en tant qu’objet de l’ordre juridique a comme principe d’appréhension de la conduite humaine celui de l’imputation. Autrement dit, l’ordre juridique même s’il s’adresse à la société civile (puisqu’il organise le comportement de ses acteurs), est fondé sur des normes qui doivent être respectées sans qu’il soit nécessaire que ces normes soient forcement respectées. Même si l’efficacité de l’ordre juridique dépend de l’application généralement positive des normes, l’efficacité absolue n’est pas sa finalité puisqu’elle annulerait son sens qui est celui de prescrire par des actes de volonté des permissions, des habilitations, des interdictions ou des abrogations16. Cela amène à ce que les créateurs de normes de l’ordre juridique sont des organes habilités par celui-ci à œuvrer en ce sens. Ainsi, l’action par laquelle les destinataires des normes d’un ordre juridique s’approcheraient des pouvoirs créateurs pour leur dicter la rédaction des normes sous le prétexte de la meilleure efficacité de celles-ci serait contraire à l’ordre juridique.

Ainsi par lobbying, on entend l’activité exercée par une ou plusieurs destinataires des normes d’un ordre juridique réunies autour d’un intérêt particulier commun qui visent à participer à la création des normes qui leur seront notamment applicables.

Cette définition mérite une typologie essentielle et la plus apte à rendre compte des activités de lobbying. Le critère de la distinction sera celui du statut juridique conféré par l’ordre juridique au destinataire-cible de l’activité de lobbying. Ainsi, il existe deux types de lobbying :

a) le « lobbying direct », lorsque le lobbying est destiné aux titulaires des pouvoirs décisionnels ;

b) le « lobbying indirect », lorsque le lobbying est destiné aux titulaires de l’habilitation des conseillers des pouvoirs décisionnels.

Par pouvoir décisionnel on entend celui de l’habilitation à créer des normes.

Pour ce qui concerne le principe de la séparation des pouvoirs, il ne s’agira pas ici de faire une analyse de l’abondante bibliographie sur le « mythe de la séparation des pouvoirs » au sens d’un isolement strict des trois fonctions qui n’a jamais été le sens du principe mais d’insister principalement sur les seuls points convergents des différents discours juridiques sur la séparation des pouvoirs ; à savoir l’interdiction de la confusion organique des pouvoirs

13

Ibidem, pp. 23-29

14 Ibidem, pp. 31- 42 15

Ces deux termes seront utilisés de manière identique.

16

(6)

créateurs des normes d’un ordre juridique ainsi que la garantie de l’équilibre des pouvoirs par un organe habilité à contrôler le respect des règles de cet ordre17.

Ainsi, par principe de la séparation des pouvoirs on entend :

a) Le principe de la non confusion organique des trois fonctions de tout ordre juridique: la fonction législative, la fonction exécutive et la fonction judiciaire, ce qui n’est autre que la soumission de ces fonctions aux règles qui les prévoient. Dans ce sens, le principe de la séparation des pouvoirs s’identifie avec la Constitution (principe négatif).

b) On entend également par séparation des pouvoirs son complément consubstantiel, celui d’un contrôle séparé de ces fonctions qui est le contrôle de constitutionnalité (principe complémentaire) 18.

Suite à ces éléments introductifs, on procédera de la manière suivante afin de comprendre les rapports du lobbying et de la séparation des pouvoirs en France.

Il convient de démontrer que la Constitution française et l’ordre juridique français ne rejettent pas le lobbying. Au contraire, ils connaissent et reconnaissent l’importance de l’expression des intérêts de la société civile pour le fonctionnement de l’État et une certaine effectivité qui conditionne la validité des normes juridiques. Ainsi, la Constitution française, si elle interdit l’activité de lobbying direct en raison de la conception française de la souveraineté nationale, elle prévoit des autorités habilitées à soutenir l’œuvre de création dont est chargé le pouvoir législatif et exécutif et permet donc le lobbying indirect. Cette lecture de l’ordre juridique français démontrera que l’interdiction du lobbying direct est un préalable au principe de la séparation des pouvoirs (II). Il s’agit donc de proposer une alternative à la thèse selon laquelle l’ordre juridique français rejette le lobbying et laquelle, à notre avis crée – involontairement – un terrain propice à des discours favorables à l’introduction de règles d’encadrement du lobbying soutenues par des arguments « para-juridiques » comme l’amélioration de l’efficacité du droit et qui ne parvient pour le moment qu’à l’adoption de codes de déontologie pour l’Assemblée nationale et le Sénat. Ainsi, vu qu’on ne peut pas assurer l’égal accès des intérêts de la société civile dans le processus décisionnel des pouvoirs créateurs des normes, le risque de l’influence constante de la part des représentants d’intérêts particuliers similaires mettrait à mal le principe de la séparation des pouvoirs (I).

I. L’IGNORANCE DU LOBBYING PAR L’ORDRE JURIDIQUE FRANÇAIS : UNE HYPOTHÈSE DOCTRINALE COMPROMETTANT LE PRINCIPE DE SÉPARATION DES POUVOIRS

Le principe de la séparation des pouvoirs serait mis à l’épreuve si le lobbying direct s’exerçait lors du processus d’élaboration des normes. Une telle possibilité semble avoir été ouverte par la dernière révision constitutionnelle afin de palier l’ignorance par le système juridique français du lobbying (B). Or une telle violation du principe de la séparation du droit ainsi que de l’ordre juridique en général constitue, d’après nous, une conséquence involontaire de l’idée selon laquelle la réglementation du lobbying en France est impossible

17 En ce sens M.TROPER, « Séparation des pouvoirs », in Joël Andriantsimbazovina et al. (dir.) Dictionnaire des Droits de

l’Homme, PUF, éd. 2008, p.900

18

(7)

en raison de la conception française de la souveraineté étatique en tant que fondement de la représentation et de la loi (A).

A. Les fondements doctrinaux du refus de reconnaissance du lobbying par le droit français

La partie de la doctrine qui évoque le refus de reconnaissance du lobbying par le droit français, entend par là le fait que le droit français ne peut pas prévoir à l’heure actuelle une réglementation spécifique adressée aux acteurs du lobbying. Ainsi, le lobbying reste un objet non-identifié juridiquement mais qui pourtant constitue un phénomène observable dans l’arène de la gestation des décisions politiques qui se traduisent ensuite par des énoncés normatifs.

Les fondements de cette « ignorance juridique » ou « rejet » d’un phénomène pourtant existant, reposent sur « la conception française de la souveraineté étatique »19 de laquelle dépendent tant les fondements de la représentation, que les fondements même de la décision souveraine.

a) Précisément, pour ce qui est de la confrontation du lobbying aux fondements de la représentation, il est expliqué qu’il s’agit d’une collision:

i. d’une part à la règle de la prohibition du mandat impératif ; et, ii. d’autre part à la règle de la prohibition des corps intermédiaires.

Ainsi, dans la mesure où les révolutionnaires se sont donnés une idée unitaire de la nation en tant qu’entité abstraite, distincte des individus qui la compose20, il fallait aussi que les représentants de la nation puissent vouloir pour elle en tant que tout. Par conséquent, le mandat impératif en tant que « lien juridique de type contractuel »21 entre l’élu et l’électeur impliquait l’obligation pour l’élu de rendre compte ainsi que de voter en fonction des instructions qui lui ont été imposées, ce qui ne le laissait pas libre dans la délibération22 par rapport aux volontés particulières ; il ne pouvait donc pas participer à la réalisation de l’objectif d’unité. L’abolition du mandat impératif fut au fondement de la théorie moderne de la représentation car contraire à l’intérêt général de la nation23

même si « toute pratique démocratique moderne implique une relation quasiment contractuelle entre l’électeur et le candidat, ce dernier s’engageant à tenir ce qu’il appelle […] ses ‘’promesses’’ ou ses ‘’engagements’’ »24

.

Pour ce qui est de la prohibition des groupements intermédiaires (clubs, associations, corporations etc.), même si la liberté d’association a été érigée en principe fondamental reconnu par les lois de la République par le Conseil constitutionnel en 1971, le corporatisme en tant qu’intermédiation entre l’individu et l’État a été pendant longtemps rejeté et diabolisé en tant qu’atteinte à la représentation de l’intérêt général qui doit être,

19 G. HOUILLON, Le lobbying en droit public, Bruylant, Bruxelles, 2012, p. 426 20

C. CLAVREUL, L’influence de la théorie d’Emmanuel Sieyès sur les origines de la représentation en droit public, Thèse, dact. Paris I, 1982, p. 539

21

P. AVRIL, G. GICQUEL, Droit parlementaire, 3eme édition, Montchrestien, 2004, p. 32

22

G. HOUILLON, Le lobbying en droit public, op.cit., p.444-449

23 J. CONNIF, « Burke, Bristol, and the concept of representation », Western Political Quarterly, September, 1977, vol.30,

No3, p.329

24

(8)

comme Sieyès l’affirmait, « pur et sans mélanges »25

. Dans la mesure où le lobbying est un corps d’intermédiaires qui ne consiste qu’à la représentation des particularités d’une diversité d’intérêts subjectifs, il est inconciliable avec la détermination de l’intérêt général ou national. Par ailleurs, il est démontré que le lobbying est également rejeté en raison de la concurrence possible qu’il peut causer avec la représentation. Or, notons que si les groupes dont l’objet est politique ont été perçus comme une concurrence intolérable à l’unité de l’État, les groupements poursuivant une finalité économique, telles que les sociétés ont fait l’objet d’une relative tolérance26

.

b) Deuxièmement, pour ce qui est de l’argument relatif au rejet du lobbying en raison des fondements de la décision souveraine, le Professeur Houillon explique que la loi en France est « conçue par les révolutionnaires comme instrument d’uniformité et d’unité », en tant qu’expression de la volonté générale et non pas comme « support d’un intérêt particulier »27.

Par conséquent, « réglementer directement le lobbying comme objet reviendrait à reconnaitre l’intérêt particulier, comme élément de détermination de l’intérêt général. Il en résulterait un renversement de la définition volontariste vers une définition plus utilitariste d’un intérêt général comme somme des intérêts particuliers »28

.

Ainsi, les fondements idéologiques de l’ordre juridique français s’opposeraient au lobbying qui consiste à placer un intérêt particulier sous la protection de la souveraineté nationale. Cette thèse semble venir – malgré elle – au soutien des discours politiques favorables à l’introduction des règles relatives à l’encadrement du lobbying29

ainsi qu’aux travaux de la doctrine de sociologues du droit ; d’après eux « il convient de s’interroger sur l’utilité sociale [des groupes d’intérêt], afin d’apprécier la légitimité de leur action »30

tout en acceptant qu’il y a un besoin de canaliser ce phénomène au moyen du droit car même si le lobbying est « une source d’information précieuse pour les décideurs publics »31, il est « fort probable que les faibles soient opprimés par les forts »32.

Ces discours proviennent également du fait que l’activité du lobbying est déjà présente auprès des trois fonctions de l’État et cela de manière considérable comme on le verra. Or, il convient de s’interroger sur les conséquences d’une acceptation de l’influence normative des groupes d’intérêts sur la séparation des pouvoirs et le droit en général.

B. Les conséquences compromettantes de cette thèse sur le principe de la séparation des pouvoirs

La thèse du rejet du lobbying par le droit français conduit – par une mise en parallèle avec d’autres ordres juridiques et principalement nord-américains33

constat de l’existence d’une nécessité d’introduire une réglementation spécifique de ce type d’activité dans l’ordre

25

E. SIEYES, Qu’est-ce que le Tiers Etat, PUF, Quadrige, 1989, p.41

26 G. HOUILLON, Le lobbying en droit public, op.cit., p.486 et s. 27

Ibidem p.431

28

Ibidem p. 426

29

Assemblée nationale, Rapport d’Information sur le lobbying, No613, 16 janvier 2008 ; Senat, Règles de déontologie pour les groupes d’intérêt : http://www.senat.fr/role/groupes_interet.html

30

M. MEKKI (dir.), La force et l’influence normative des groupes d’intérêt, op.cit., p. 31

31 Ibidem 32

Ibidem

33

(9)

juridique français. Plus précisément, elle participe à une interprétation de la dernière révision constitutionnelle selon laquelle les activités de lobbying seraient de plus en plus fréquentes car nécessaires à l’élaboration de la loi en vue de son efficacité. Ainsi, le lobbying étant un fait fort probable dans la production normative, le droit devrait s’adapter à lui. En outre, le fonctionnement des institutions de l’Union européenne ainsi que la production du droit de cet ordre juridique, faisant constamment appel à l’expertise des lobbyistes34, viennent s’ajouter

aux arguments favorables à la nécessité de la réglementation du lobbying en France.

Précisément, la doctrine observe de nouvelles possibilités d’intervention du lobbying lors des trois stades successifs de l’élaboration de la norme législative (avant, pendant, après) amorcées par la dernière révision constitutionnelle35.

En effet, l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution précisant le nouvel article 39 de la Constitution prévoit que « Les projets des lois font l’objet d’une étude d’impact ». La doctrine y voit un terrain propice au recours à l’expertise qu’offrent les groupes d’intérêt par souci d’anticipation de la qualité de la norme36

.

Par ailleurs, l’article 42 issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 ouvrirait également une bonne occasion d’action en aval de lobbyistes sur le texte de la loi. En effet, puisque la discussion des projets et de propositions de loi portent désormais en séance sur le texte adopté par la commission et non plus sur le texte dont l’assemblée a été saisie, les lobbyistes pourront agir lors de travaux et des discussions qui auront lieu en commission. Ainsi le travail de lobbyiste doit cibler désormais non seulement le gouvernement mais aussi le législateur qui aura davantage de temps d’examiner les textes et d’effectuer des consultations nécessaires auprès des lobbyistes, puisque selon l’alinéa 3 de l’art.42 les délais de discussions en commission sont prolongés.

En outre, la doctrine voit une autre possibilité d’intervention lors de la discussion et l’adoption des projets et propositions de lois : elle consiste en la réforme du droit d’amendement puisque selon l’article 15 de la loi organique de 2009 les études d’impact peuvent être jointes aux amendements37.

Enfin, aux termes de la loi n° 96-516 du 14 juin 1996 l'Office parlementaire d'évaluation de la législation a été créé afin « de rassembler des informations et de procéder à des études pour évaluer l'adéquation de la législation aux situations qu'elle régit ». Ainsi, le lobbyiste connaissant mieux le « terrain » d’application de la norme peut – en raison de son expertise – contribuer de manière considérable à son évaluation ex post.

Pour ce qui est de l’influence du lobbying sur la justice « la majeure partie de la doctrine s’accorde aujourd’hui pour reconnaître à la jurisprudence le statut de source du

34

Cf W. LEHMANN, « Lobbying the European Parliament », in Coen and Richardson, Lobbying the European Union

Institutions, Actor and Issues, Oxford University Press, 2008; M.-L. BASILIEN-GAINCHE, « Le Parlement européen face

au lobbying », Petites Affiches, 11 juin 2009, p.85 et s., ; M.-L. BASILIEN-GAINCHE, « Le lobbying européen : bénéfices et préjudices du fonctionnalisme dans l’optique communautaire, RDP, No3, mai - juin 2004, pp.755-795 ; O. DUBOS, « L’encadrement des lobbies au Parlement européen : l’insoutenable légèreté de la transparence », Petites affiches, 11 juin 2009, p.81 et s. ; P.H. CLAEYS et al., Lobbyisme, pluralisme et intégration européenne, Presses Interuniversitaires Européennes, Coll. La Cité européenne, No 16, Bruxelles, 1998

35

F. FAGES, F. ROUVILLOIS, « Lobbying : la nouvelle donne constitutionnelle », Recueil Dalloz, 2010, p.277 et s. ; M. MEKKI (dir.), La force et l’influence normative des groupes d’intérêt, op.cit., pp. 126-134

36

Ibidem

37

(10)

droit »38 ; par conséquent le juge est également une cible des groupes de pression. Ainsi, « pour certaines décisions aux enjeux particulièrement importants, les juges ont besoin des groupes pour effectuer des choix en phase avec la réalité sociale qu’ils prétendent régir »39

. Deux observations peuvent être effectuées par rapport à ces éléments.

Premièrement, avant de chercher à canaliser l’activité du lobbying par des codes de déontologie de l’Assemblée nationale et du Sénat40

qui n’ont aucune valeur contraignante, on aurait pu se poser d’abord la question des rapports du lobbying avec la Constitution.

Il convient ici de rappeler que le principe de la séparation des pouvoirs s’identifie dans son aspect négatif avec la définition de la Constitution étant donné que la différenciation organique des compétences de création du droit n’est autre chose que la soumission des pouvoirs à la loi et à la loi seulement afin d’empêcher des dérives tyranniques.

Or, « afin que [la différenciation organique] soit effectivement garantie, et qu’ainsi, le principe de la séparation des pouvoirs soit mis en œuvre, le système doit prévoir un organe chargé de contrôler que la différentiation organique des compétences est respecté et que, donc, les normes produites par un organe déterminé sont conformes aux normes qui en règlent la production. L’institution d’un tel organe permet de contrôler que ‘’le fait est effectivement soumis au droit’’ et d’assurer ainsi, que toute production de ‘’normes’’ découle seulement d’une procédure normative et non d’un simple fait (potentiellement tyrannique) »

41

.

Dans la mesure où la justification de la réglementation du lobbying est l’efficacité de l’ordre juridique, on observe dans cette volonté de réglementation une annulation ou plutôt une manipulation du droit ; dans tous les cas une collision à la Constitution. En effet, la société civile existe parce que l’ordre juridique organise le comportement mutuel de ses acteurs au moyen de prescriptions, habilitations et permissions. C’est pour cette raison que des intérêts hostiles les uns aux autres puissent y cohabiter. Même si l’efficacité de l’ordre juridique dépend généralement de l’application positive des normes, une efficacité absolue n’est pas la finalité de l’ordre juridique et cela annulerait d’ailleurs son sens (qui est celui de prescrire de manière abstraite et non pas de prévoir des comportements). Si la norme est créée pas les destinataires particuliers de la norme on n’est plus dans un système d’imputation qui un principe propre au droit.

Ainsi, cela nous amène à notre deuxième observation qui n’est qu’une continuité de la précédente. Se pose alors une alternative. Soit le lobbying constitue un pouvoir habilité par la Constitution de participer à l’élaboration des normes et dans ce cas, le principe de la séparation des pouvoirs lui est applicable ; c'est-à-dire qu’il peut contrôler et être contrôlé par les autres pouvoirs afin que l’application négative de la séparation des pouvoirs continue à trouver un sens. Soit le lobbying n’est pas un pouvoir prévu par la Constitution et par conséquent la participation de lobbyistes à l’élaboration des normes n’est pas conforme à la Constitution. Il appartient donc au juge constitutionnel en tant que qu’institution gardienne ultime de la Constitution de contrôler que « le fait est effectivement soumis au droit ». C’est

38

ibidem p.113

39 ibidem p. 118 40

M. MEKKI, « Les conflits d’intérêts : prévenir et guérir », Semaine Juridique Edition Générale, n°24, 13 juin 2011, pp.669 et s.; P. JAN, « Le droit parlementaire à l’épreuve du lobbying », Petites Affiches, 11 avril 2013, n°73, p.4 et s.

41

J.-P. DEROSIER, Les limites constitutionnelles à l’intégration européenne, Thèse dactylographiée, Université Paris I, 2010, p. 319

(11)

peut-être ce que le juge constitutionnel français a voulu faire lorsqu’il a émis de réserves « au regard des exigences de la continuité de la vie de la Nation » à la constitutionnalité de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution42 et précisément relativement aux études d’impact.

Or, comme on le verra dans la partie qui suit, la Constitution française reconnaît l’existence du lobbying et l’habilite à intervenir dans l’élaboration des normes. Néanmoins, il s’agit uniquement d’une permission d’activité du lobbying indirect, tel qu’on l’a défini précédemment43. Toute forme de lobbying direct est contraire à la Constitution actuelle, à moins que la loi ne soit plus l’expression de la volonté générale...

II. L’EXISTENCE D’UN ENCADREMENT JURIDIQUE DU LOBBYING EN FRANCE : UNE PROPOSITION DOCTRINALE FAVORABLE AU PRINCIPE DE SÉPARATION DES POUVOIRS

L’ordre juridique français interdit le lobbying direct (A) mais permet le lobbying indirect (B). Cette proposition de relecture de la Constitution française permet d’observer que l’interdiction du lobbying constitue un corollaire à la mise en œuvre du principe de la séparation des pouvoirs.

A. L’interdiction par la Constitution du lobbying direct : un préalable au principe de la séparation des pouvoirs

Historiquement, les députés des états généraux de l’Ancien régime étant liés par les cahiers de doléances et par les instructions qui les accompagnaient, leur liberté était considérablement circonscrite. Or, même s’ils parvenaient à s’en dégager, ils y trouvaient des avantages politiques et fiscaux, ce qui les empêchait de vouloir faire évoluer la situation44. Ainsi « à peine constitués en Assemblée nationale les députés ont éprouvé le besoin de voter l’abolition des mandats impératifs »45

. Mais, comme il a été pertinemment illustré « … ce n’est pas parce que le Parlement est une assemblée délibérative, que les députés doivent être affranchis de tout mandat impératif : ils doivent l’être pour que le Parlement puisse devenir une assemblée délibérative. L’abolition des mandats est donc le moyen de parvenir à une fin »46.

Le fait que l’article 27 alinéa 1er

de Constitution française interdit tout mandat impératif n’est pas un rejet ni une ignorance du droit vis-à-vis du lobbying, ni même une preuve d’un domaine de « non-droit » de l’ordre juridique français que ce dernier devrait donc réglementer. Bien au contraire, cet article de la Constitution selon lequel « Tout mandat

42

Conseil constitutionnel, 2009-579 DC du 09 avril 2009 : « 17. Considérant, en dernier lieu, que, si, par suite des circonstances, tout ou partie d'un document constituant l'étude d'impact d'un projet de loi venait à être mis à la disposition de la première assemblée saisie de ce projet après la date de dépôt de ce dernier, le Conseil constitutionnel apprécierait, le cas échéant, le respect des dispositions précitées de l'article 8 de la loi organique au regard des exigences de la continuité de la vie de la Nation ; »

43 v. supra – introduction. 44

A. JOUANNA, « Etats généraux », in L. BELY (dir.), Dictionnaire de l’Ancien Régime, PUF, 1996, p. 513

45 P. BRUNET, « La représentation », in M. TROPER (dir.), Traité international de droit constitutionnel, Dalloz, Coll.

Traités, Tome I, p. 627

46

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impératif est nul

»

constitue justement une norme d’interdiction du lobbying et c’est bien une norme juridique, même si elle ne convient pas forcement à certains de ses destinataires. Son éventuelle violation, qui peut aussi être fréquente, peut constitue une preuve de son inefficacité mais avant tout c’est une preuve de son existence.

Par ailleurs, cette interdiction ne découle pas que du seul article 27 alinéa 1er de la Constitution française mais également de l’article 3 alinéas 1er

et 2nd :

« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice »

Au surplus, l’article 4 alinéa 1er prévoit que « Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ».

Il convient de remarquer qu’on ne peut pas confondre « parti et groupement politique » avec le « groupe de pression » ou le « lobbying » dans la mesure où le parti ou groupement politique tel qu’il est entendu par l’article 4 de la Constitution bénéficie d’une légitimité du fait qu’il agit pour la cité, comme son nom l’indique (« πόλις», la cité en grec), et il est habilité par la Constitution d’œuvrer pour l’expression du suffrage par lequel la nation exprime sa volonté. Si le lobbying œuvre pour un intérêt particulier, le parti politique œuvre pour une voie particulière permettant d’après lui, d’atteindre l’intérêt général sans exclure l’opposition de visions. Comme il l’a écrit Hans Kelsen, « La formation du peuple en partis politiques est en réalité une organisation nécessaire pour que ces compromis puissent être réalisés, pour que la volonté générale puisse mouvoir dans une ligne moyenne »47. Par conséquent, si certains recoupements peuvent être possibles entre le lobbying et le parti politique, une confusion des deux n’est pas juridiquement permise, ni logiquement possible puisque le général ne peut pas se limiter au particulier et le particulier ne peut pas contenir le général.

Par ailleurs, le parti politique, du fait qu’il est habilité à œuvrer pour la formation de la volonté générale, bénéficie d’un statut particulier au sens où son existence est prévue par la Constitution et le financement de son fonctionnement par la loi48 (n° 88-227 du 11 mars 1988 modifiée).

En outre, l’article 23 de la Constitution française prévoit :

« Les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle. »

Ainsi, les incompatibilités tant parlementaires49 que celles de la magistrature50 concernant non seulement des activités électives mais aussi et surtout des activités professionnelles51, découlant des dispositions constitutionnelles et législatives, font partie des

47

H. KELSEN, La démocratie, sa nature, sa valeur, op.cit., p.28

48

Loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique.

49 v. aussi articles L.O.137-1 et 141 du code électoral 50

v. art. 64 Constitution et articles 8, 9 et 32 de l’ordonnance n° 58-1270 d u 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, modifiée en dernier lieu par la loi organique n°2004-192 du 17 février 2004; Articles L. 111-10 et L. 111-11 du code de l’organisation judiciaire

51

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fondements juridiques de l’interdiction du lobbying direct prévus par l’ordre juridique français.

Mais, il s’agit uniquement d’une interdiction du lobbying direct et dont les raisons ne sont pas simplement idéologiques mais aussi juridiques. En effet, sans vouloir renier les fondements idéologiques de l’interdiction du lobbying direct, construite donc sur le concept de souveraineté nationale52, il convient de démontrer que les fondements de cette interdiction sont également juridiques en ce sens que l’interdiction du lobbying direct est un préalable au principe de séparation de pouvoirs.

Précisément, le principe de la séparation des pouvoirs tel qu’il a été préalablement défini53 concerne des organes qui ont été habilités à créer des normes visant à l’intérêt de la nation souveraine laquelle leur a autorisé à exprimer leur volonté. Ainsi, la « libération » des représentants de la nation du mandat d’exprimer des intérêts particuliers au sein du Parlement, afin qu’ils puissent participer à la formation de la loi, est chroniquement et logiquement préalable à la création de ces « pouvoirs ». En d’autres mots, avant qu’on puisse parler de séparation des pouvoirs, de vouloir éviter leur confusion et d’assurer la garantie de la liberté politique des individus en tant que finalité de ce principe54, ces pouvoirs doivent être exercés – selon la Constitution – par des députés représentants de la volonté générale ; ils ne peuvent donc pas la représenter tant qu’ils ne sont pas découpés d’intérêts particuliers. Ainsi l’interdiction du lobbying direct est un préalable à tout discours sur la séparation des pouvoirs.

Ceci concerne également les systèmes politiques actuels fonctionnant sous l’effet majoritaire. Par ailleurs, comme M. Troper l’explique, le principe de la séparation des pouvoirs a acquis des dimensions complémentaires et est principalement exprimé aujourd’hui par le principe complémentaire de la séparation des pouvoirs, c'est-à-dire le contrôle de constitutionnalité55. En effet, aujourd’hui du moment où – le plus souvent – l’application de la loi sera effectuée par le même parti politique qui a eu l’initiative de sa création, la garantie de la liberté politique ne peut plus consister en la dimension de la séparation des pouvoirs selon laquelle celui qui appliquait une norme devait être privé du pouvoir de la défaire56. Aujourd’hui la seule garantie pour qu’une majorité, même démocratiquement élue, n’adopte pas des lois oppressives pour la minorité et attentatoires aux droits et libertés de citoyens57, est le contre-pouvoir du juge constitutionnel. En effet, le droit d’amendement, qui dans une certaine mesure constitue un moyen d’exercice d’un certain contre-pouvoir, ne pourrait pas servir à la sauvegarde de l’équilibre voulu par la séparation des pouvoirs, si les propositions d’amendements comme les propositions des lois venaient de lobbyistes exprimant d’intérêts similaires ou identiques de milieu précis de la société civile ; l’assurance d’une égale représentation des intérêts économiques et sociaux des lobbyiste est un problème irrésoluble. Par conséquent, le juge constitutionnel porte aujourd’hui la charge du contrôle et de la sanction du despotisme majoritaire au moyen du contrôle du respect des droits fondamentaux. 52 v. supra IA 53 v. supra - introduction 54

M.TROPER, Dictionnaire des droits de l’Homme, op.cit., p.900

55 Ibidem 56 Ibidem 57 Ibidem, p. 901

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Ainsi, l’interdiction du lobbying n’est qu’une affirmation trop abstraite et potentiellement contraire à la séparation des pouvoirs. Mais le lobbying que la Constitution française ou l’ordre juridique français interdisent est celui qu’on appelle « direct ». Au contraire, comme on le verra le lobbying indirect est permis en France.

B. La permission constitutionnelle et législative du lobbying indirect

Hans Kelsen affirmait : « Si déjà les électeurs n’ont pas le droit de donner des instructions obligatoires à leurs hommes de confiance au Parlement, à tout le moins faudrait-il que des suggestions puissent se manifester au sein du peuple, qui permettraient au Parlement d’orienter son activité législative. Le mandat impératif sous son ancienne forme ne peut sans doute pas renaitre ; mais les indéniables tendances qui se manifestent aujourd’hui en ce sens peuvent jusqu’à un certain point être ramenées à des formes compatibles avec la structure de l’organisme politique moderne »58

.

La représentation des intérêts des différents corps de la société civile n’est point une question nouvelle qui apparaît avec les débats sur la réglementation du lobbying en France au XXIe siècle. L’existence du Conseil Economique Social et Environnemental (ci-après CESE) en tant que troisième assemblée de la République, ainsi que la création des autorités administratives indépendantes (ci-après AAI) constituent des preuves de l’intérêt que l’État français porte aux revendications « des forces vives de la Nation »59, ainsi qu’à l’expertise technique et l’expérience d’un milieu spécialisé que ces entités peuvent lui apporter.

Ainsi l’ordre juridique français pendant tout le XIXe

siècle a beaucoup hésité avant de décider de concéder aux intérêts économiques et sociaux une place très précise. C’est celle qu’occupe aujourd’hui un organe consultatif, sous le nom de Conseil national économique, créé par décret en janvier 192560. La création de cette assemblée constitutionnelle de saisine facultative avait comme finalité d’œuvrer aux côtés des organes chargés de la création et de l’application des normes juridiques françaises. Cette habilitation consultative, venant équilibrer l’hypertrophie de l’État de la période postrévolutionnaire, est arrivée à un moment de forte crise de la représentation provoquée entre autres par la crise économique de la période de l’entre-deux-guerres. Or, le rôle consultatif attribué aux représentants des intérêts sociaux et économiques n’a pas changé depuis la IIIe

République et reste identique jusqu’à aujourd’hui, même après la dernière révision constitutionnelle qui a voulu donné à cette « troisième assemblée de la République française une peau neuve »61.

Précisément, la loi organique n° 2010-704 du 28 juin 2010 relative au Conseil économique, social et environnemental vient préciser l’article 69 alinéa 1 de la Constitution selon lequel :

« Le Conseil économique, social et environnemental, saisi par le Gouvernement, donne son avis sur les projets de loi, d'ordonnance ou de décret ainsi que sur les propositions de loi qui lui sont soumis. »

58

H. KELSEN, La démocratie, sa nature, sa valeur, 2e éd., Sirey, 1933, rééd. Bibliothèque Dalloz, 2004, p.50.

59

G. CARCASSONNE, La Constitution, éd. du Seuil, 9e éd., 2009, p.336

60 A. CHATRIOT, La démocratie sociale française : l’expérience du Conseil national économique, 1924-190, Préf. P.

ROSANVALLON, Paris, La Découverte, 2002

61 M. Noblecourt, « La troisième assemblée de la République française fait peau neuve », Le Monde, 3 octobre 2009,

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Ainsi, non seulement une compétence en domaine environnemental lui a été attribuée mais aussi la composition de l’institution a été rajeunie et féminisée62. L’Assemblée du Palais de

l’Iéna contient aujourd’hui 233 membres issus des trois domaines de compétence : 140 sièges sont réservés à la vie économique et au dialogue social, 60 sièges à la cohésion sociale, territoriale et à la vie associative et 33 sièges sont dotés « au titre des la protection de la nature et de l’environnement »63

. Par ailleurs, non seulement le rôle consultatif du CESE a été élargi mais la révision de 2008 a fait resurgir un droit de pétition auprès du CESE. En outre, il peut désormais être saisi non seulement par le Gouvernement mais aussi par les présidents des deux chambres du Parlement comme également par le CESE lui-même en autosaisine. En outre, 500 000 citoyens français ou habitants réguliers du pays peuvent également saisir le CESE au moyen d’une pétition.

Par conséquent, on constate que l’ordre juridique français prévoit la possibilité pour la société civile d’émettre des suggestions afin d’orienter le contenu de la loi64

. Or cela constitue une forme de lobbying indirect qui ne viole pas la Constitution française puisque le monopole étatique de la création des normes est conservé entre les mains des organes habilités.

Par ailleurs, dans le cadre de la déconcentration et sous l’influence de la remise en cause de l’État Providence par les doctrines néolibérales, l’État a attribué à des organes administratifs une certaine autonomie organique et fonctionnelle afin qu’ils régulent des domaines d’activités dans lesquels l’État « souffrait » d’un déficit de légitimité tout en y associant des professionnels et de personnalités issus de la société civile65. Il s’agit de ce qu’on appelle communément en droit français, « autorités administratives indépendantes » (ci-après AAI). Leur spécialisation et leur grand nombre66 crée une variété d’arènes de confrontation des intérêts sociaux et économiques particuliers tant entre eux, qu’entre eux et l’État. La mission consultative dont toutes disposent, ainsi que leur obligation de rendre un rapport public annuel pour faire remonter auprès des pouvoirs publics les évolutions nécessaires du cadre législatif de leur domaine de compétence, permettent de parler d’un pouvoir d’influence67

. Celui-ci découle des nombreux avis, recommandations, propositions qu’elles formulent, des actes réglementaires qu’elles émettent (pour celles parmi eux qui disposent de cette compétence), du dialogue constant qu’elles mènent avec les acteurs des secteurs concernés. 62 http://www.lecese.fr/decouvrir-cese/historique 63 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006069228&dateTexte=20110920 64 G. HOUILLON, op.cit., p.467 65

P.-L. FRIER, J. PETIT, Droit administratif, 8e édition, LGDJ, p.150

66

Agence française de lutte contre le dopage ; Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur ; Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires; Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ; Autorité des marchés financiers ; Autorité de la concurrence; Autorité de régulation des activités ferroviaires ; Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP); Autorité de régulation des jeux en ligne ; Autorité de sûreté nucléaire ; Bureau central de tarification; Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, Commission d’accès aux documents administratifs ; Commission centrale permanente compétente en matière de bénéfices agricoles ; Commission consultative du secret de la défense nationale ; Commission des infractions fiscales ; Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ; Commission nationale de contrôle de la campagne électorale ; Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité ; Commission nationale consultative des droits de l’homme ; Commission nationale du débat public ; Commission nationale d’aménagement commercial ; Commission nationale de l’informatique et des libertés ; Commission paritaire des publications et agences de presse ; Commission des participations et des transferts ; Commission de régulation de l’énergie ; Commission de la sécurité des consommateurs ; Commission des sondages; Commission pour la transparence financière de la vie politique ; Conseil supérieur de l’agence France-Presse ; Conseil supérieur de l’audiovisuel ; Contrôleur général des lieux de privation de liberté; Défenseur des droits; Haute Autorité de santé; Haut Conseil du commissariat aux comptes; Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet ; Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ; Médiateur national de l’énergie; Médiateur du cinéma.

67

(16)

Par conséquent, les AAI, habilités par l’État, en tant qu’ordre juridique, constituent une preuve supplémentaire du transfert de ses compétences à des organes impartiaux et plus proches de la société civile tout en préservant son rôle unitaire par la soumission des actes normatifs de ces organes à la justice administrative.

En guise de conclusion, si une certaine crise de la représentation peut justifier l’entrée du lobbying indirect aux côtés du pouvoir exécutif et législatif, une éventuelle entrée du lobbying direct au processus de création et d’application des normes ne participerait qu’à une amplification de cette crise par trahison de la volonté générale puisque la loi ne serait que le résultat des négociations des représentants d’intérêts particuliers suffisamment puissants qui ont pu accéder et s’installer au sein du Parlement.

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Références

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