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[PDF] Support d’introduction à l’ergonomie du travail enseignant | Cours informatique

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ERGONOMIE DU TRAVAIL ENSEIGNANT Luc Ria, Laboratoire PAEDI, IUFM d’Auvergne

In A. van Zanten (Ed.). Dictionnaire de l’Education. Paris : Presses Universitaires de France, 2008. L’ergonomie est une discipline scientifique qui étudie l’homme au travail. Ses concepts et ses méthodes offrent un regard nouveau sur le travail enseignant et sur la conception de dispositifs de formation des futurs enseignants.

Visées et méthodes de l’ergonomie

L’ergonomie étudie l’activité professionnelle dans ses conditions naturelles d’accomplissement. L’ergonomie de correction tend à améliorer les situations de travail existantes ; elle demeure néanmoins parcellaire et limitée dans son efficacité. L’ergonomie de conception s’attache à comprendre l’homme au travail pour intervenir dès la définition de son poste de travail, de sa situation professionnelle ou dès sa formation. Elle se centre sur les composantes cognitives, notamment perceptives, attentionnelles, décisionnelles de l’activité d’un agent sous forte pression temporelle dans des contextes incertains. Elle s’attache à la compréhension de phénomènes de plus en plus complexes, comme les situations dynamiques intégrant l’activité de plusieurs acteurs et les communications hommes-machines. Les recherches en ergonomie ont une double visée. La première est une visée épistémique qui correspond à la production de connaissances relatives aux savoirs et raisonnements mobilisés par les acteurs au travail. La seconde est une visée transformative guidée par l’intention de transformer les situations professionnelles pour améliorer la santé des travailleurs sans perdre de vue les objectifs de l’entreprise.

L’ergonomie, notamment de langue française, repose sur plusieurs distinctions. Une première est opérée entre tâche et activité. La tâche est définie par un but, des sous-buts et des conditions particulières d’atteinte de ce but. L’activité désigne ce que fait l’acteur pour atteindre ce but, réaliser la tâche. L’activité revêt deux facettes : l’une observable (la composante motrice, verbale, comportementale), l’autre non observable dont on infère l’existence constituée par les processus activés par les opérateurs, et analysée selon leurs composantes perceptives, cognitives et émotionnelles. Une seconde distinction est faite entre l’activité prescrite et l’activité effectivement réalisée. Enfin une troisième distinction est opérée entre l’activité réalisée et l’activité réelle. La première n’étant qu’une partie de la seconde riche en complexité et en contradiction. L’activité réelle peut être ce qui ne se fait pas, mais aussi ce qu’on fait pour ne pas faire ce qui est à faire, sans compter ce qui est à refaire (Clot, 1999). L’activité appréhendée du point de vue de l’acteur possède ainsi une épaisseur dont une approche se focalisant uniquement sur la représentation et le suivi du but à atteindre ne peut rendre compte.

Plusieurs méthodes en ergonomie ont été développées selon la nature du travail étudié. Les analystes procèdent au recueil des comportements des acteurs au travail (enregistrement de l’activité, observation participante, notes ethnographiques) et à la conduite d’entretiens. Ces entretiens ont généralement pour finalité de rendre compte du point de vue de l’acteur en situation de travail. Il peut s’agir de l’expression simultanée de verbalisations au cours du travail si celle-ci ne perturbe pas de manière significative le travail en cours. Dans le cas contraire, l’expression rétrospective est privilégiée. L’entretien d’explicitation mobilise la capacité d’introspection de l’acteur et de remémoration de l’expérience vécue (sans média particulier). L’entretien d’autoconfrontation mobilise la capacité à expliciter l’activité significative pour l’acteur à partir de la confrontation à des traces matérielles de son activité passée (enregistrements vidéo ou audio, photographies, agendas). Ces entretiens favorisent la mise en mot de l’expérience, le dévoilement de connaissances mobilisées dans l’action qui ne sont pas forcément explicites au moment même de l’action. Enfin, un entretien d’autoconfrontation croisée, au cours duquel deux professionnels commentent successivement puis ensemble leurs séquences de travail en présence du chercheur, suscite la confrontation des styles individuels comparativement au genre, compris comme le système de normes impersonnelles qui définissent souvent de manière implicite les usages entre professionnels. Ce dernier type d’entretien favorise bien davantage les processus transformatifs de l’activité au cours de l’entretien que lors d’un entretien confrontant l’acteur à sa propre activité. Au final, la description des comportements de l’acteur au travail et les verbalisations explicitant son point de vue peuvent permettre de modéliser son « cours d’action » (Theureau, 2006), correspondant à l’organisation locale et globale de son activité professionnelle. Ces cadres et méthodes d’analyse de l’activité se sont étendus dans de nombreux domaines dont celui de l’enseignement et de la formation d’adultes.

Ergonomie et enseignement

L’une des tendances actuelles de la recherche en enseignement est de s’attacher à l’étude du travail enseignant au quotidien pour décrire et comprendre ses caractéristiques, sa complexité et ses évolutions. L’ergonomie s’est inscrite tardivement dans ce mouvement. Ce qui provient peut être du cloisonnement des programmes de recherche mais aussi du fait que les méthodes en ergonomie n’étaient pas forcément en mesure d’étudier des activités cognitives ou symboliques sophistiquées. Ce qui peut aussi s’expliquer par une tradition en éducation privilégiant la constitution de théories sur les connaissances des disciplines d’enseignement au détriment de l’activité nécessaire pour les enseigner.

Le travail enseignant est décrit comme une entité composite comprenant simultanément des aspects codifiés et flous, contrôlés et autonomes, formels et informels, déterminés et contingents (Tardif et Lessard, 1999).

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marge d’autonomie pour les enseignants mais leur procure aussi en permanence le sentiment de vivre des situations problématiques et contradictoires dont les principales sources d’incompatibilité se situent entre les différents objectifs éducatifs, entre les objectifs éducatifs et les conditions d’enseignement, et entre les conditions d’enseignement et les exigences propres aux situations d’apprentissage. L’activité de l’enseignant dans sa classe peut alors être étudiée selon le travail prescrit, c’est-à-dire selon des contraintes objectives : textes réglementaires, curriculums scolaires, durées et périodicité des apprentissages, niveaux scolaires des élèves, nombre d’élèves par classe, etc. Elle peut l’être aussi selon le travail réel, c'est-à-dire selon la façon dont l’enseignant perçoit et interprète l’ensemble de ces contraintes en fonction de ses propres normes et valeurs.

La complexité du travail enseignant provient de ces multiples contraintes plus ou moins explicites qui imposent une organisation de l’activité des enseignants et qui, dans le même temps, définissent les contraintes auxquelles ils répondent. Leur activité professionnelle se caractérise ainsi par son espace fixe, fermé et délimité, par sa temporalité cyclique et limitée, par ses échanges cognitifs entre des protagonistes aux capacités cognitives inégales, par ses interactions sociales avec des acteurs nombreux et contraints. Ce qui en fait un métier incertain, dynamique, changeant, pluridimensionnel, avec des échéances temporelles variées (Durand, 1996).

Les travaux d’inspiration ergonomique ont favorisé l’étude de l’enseignement comme un système d’interaction dans un contexte singulier à partir de l’hypothèse que la variabilité des comportements des enseignants en classe est davantage associée à la variabilité des contextes qu’à des facteurs individuels. Cette perspective écologique a montré l’adaptation implicite de l’activité des enseignants aux contraintes objectives et subjectives de leurs environnements de travail, comme par exemple le poids de l’ancrage spatio-temporel de leur activité dans la détermination des formes d’interactions scolaires. D’autres études se sont attachées à montrer que le travail des enseignants consiste à gérer un environnement dynamique ouvert dans lequel les élèves ont une dynamique propre, des mobiles personnels au moins partiellement indépendants des leurs. Dans un registre différent mais complémentaire, des recherches empiriques ont étudié la dynamique du flux de l’activité des enseignants compte tenu de leurs situations de travail (flux typique ou singulier des préoccupations, des connaissances, des émotions, etc.). Elles ont permis par exemple de restituer la dynamique des émotions éprouvées par les enseignants lors de leurs premières expériences de classe. En effet, ceux-ci apprennent à maîtriser simultanément des gestes professionnels nouveaux et leurs émotions sous le regard de leurs élèves. Ils identifient peu à peu les situations typiques d’émergence de leurs émotions, et apprennent à les manipuler à des fins pédagogiques en les dissimulant ou au contraire en les simulant ostensiblement selon les circonstances.

Ergonomie et formation des enseignants

L’ergonomie ne peut pas modifier directement les conditions d’exercice d’un métier enseignant de plus en plus difficile. Cependant, elle peut participer à la conception de dispositifs de formation initiale des enseignants pour les préparer le plus favorablement possible à ce métier en permanente transformation. A la croisée de l’ergonomie cognitive et de la didactique des disciplines, la didactique professionnelle offre une piste intéressante pour la formation en identifiant les « concepts pragmatiques » et les connaissances en actes des professionnels au travail (Pastré, 2005). La conception de situations de simulation en formation sur la base de l’analyse de l’activité professionnelle permet à la fois de confronter les acteurs à une complexité proche des situations réelles tout en favorisant la construction d’une expérience sans risque et en recourant à la manipulation des paramètres de la situation : la temporalité, la difficulté du problème, la taille de l’environnement, etc.

Par exemple, le repérage de l’activité typique des enseignants lors de leurs premiers pas professionnels dans des contextes d’enseignement difficiles, mais aussi de l’activité revêtant un caractère problématique de leur point de vue, peut constituer un observatoire de situations professionnelles réelles permettant de transformer en formation la vision idéaliste (ou stéréotypée) qu’ont les professeurs stagiaires de leur futur métier et de les préparer à des situations d’enseignement qu’ils ne peuvent ignorer. Ce type de dispositif ne remplace pas l’expérience professionnelle mais la simule, l’accompagne en multipliant les confrontations collectives et les variations de points de vue. Il favorise l’acculturation de gestes d’enseignement, identifiés et partagés en formation et dont l’efficacité pratique peut être testée en classe. Dans cette perspective, l’apprentissage de situations d’enseignement dans leur globalité est privilégié par rapport à l’apprentissage de savoirs scolaires ou de savoirs pédagogiques détachés de leurs conditions d’émergence et d’usage. Ce qui permet de conserver le sens pratique des situations professionnelles. Le caractère scientifique de la modélisation de l’activité professorale permet de dépasser le dilemme entre des formations centrées sur l’activité réelle sans contenus structurés et celles présentant des curriculums de contenus structurés mais sans prise en compte de l’activité réelle. Finalement, l’exploitation en formation initiale de matériaux relatifs au travail réel des enseignants, peut contribuer au processus de re-normalisation du travail prescrit.

CLOT Y., La fonction psychologique du travail, Paris, PUF, 1999.

DURAND M., L’enseignement en milieu scolaire, Paris, PUF, 1996.

PASTRE P., Apprendre par la simulation : de l'analyse du travail aux apprentissages professionnels, Toulouse, OCTARES, 2005.

TARDIF, M., LESSARD, C., Le travail enseignant au quotidien. Expérience, interactions humaines et dilemmes professionnels. Laval : Les Presses de l’Université Laval, 1999.

THEUREAU J., Le cours d’action : Méthode développée, Toulouse, OCTARES, 2006.

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dimensions collectives de l’activité

René AMIGUES*

Résumé : L’approche ergonomique de

l’activité enseignante présentée dans cet article resitue les pratiques des professeurs dans un milieu professionnel et donc forcément partagées avec d’autres pour définir des marges de manœuvre qui leur permettent de répondre à la prescription. Cet article considérera l’artefact prescriptif comme un organisateur de l’activité collective des professeurs qui s’engagent

dans la conception de milieux de travail (pour eux et pour les élèves) et d’outils leur permettant de réaliser ce qu’ils ont à faire. Les résultats d’études empiriques montrent en quoi l’activité collective est organisatrice d’un milieu de travail qui peut être à la fois source et ressource pour le développement de l’activité de l’ensei-gnant dans ses dimensions collectives comme individuelles.

Mots-clés : Ergonomie de l’activité. Travail partagé. Artefact prescriptif. Collectif de

travail. Milieu de travail.

*Équipe ERGAPE ((ERGonomie de l’Activité des Professionnels de l’Éducation), UMR ADEF (Apprentissage, Didactique, Évaluation, Formation), Université de Provence.

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Aujourd’hui encore, enseigner est considéré comme une activité humaine non laborieuse et par conséquent ne relevant pas d’une analyse du travail. Les travaux conduits par l’équipe ERGAPE (ERGonomie de l’Activité des Professionnels de l’Éducation) depuis plusieurs années montrent cependant la pertinence des concepts et méthodes des

sciences du travail pour analyser l’activité enseignante (AMIGUES, 2002, 2003 ;

AMIGUES, FELIX& SAUJAT, 2008 ; FAÏTA, 2003 ; SAUJAT, 2007).

Cet article s’appuiera sur les résultats de ces travaux pour montrer en quoi les objets proposés par l’approche ergonomique de l’activité permettent de resituer les pratiques enseignantes dans un milieu professionnel. Il montrera en particulier comment la prescription est un organisateur de l’activité collective des enseignants. Après avoir rappelé, dans un premier point, les perspectives de l’ergonomie de l’acti-vité, on montrera dans le deuxième l’intérêt de considérer l’activité des enseignants comme doublement partagée, entre le temps et l’espace ainsi qu’entre les autres profes-sionnels. Dans un troisième point, la prescription est présentée comme un artefact culturel, et comme organisateur de l’activité collective, dans le quatrième point. Enfin, un dernier point sera consacré à l’analyse des rapports entre le traitement de la prescrip-tion et les milieux de travail. La discussion conclusive proposera quelques pistes de réflexions en prolongement de cette présentation.

Les sciences du travail ont montré depuis longtemps que tenter de caractériser le travail par son résultat ne permettait pas de connaître ce qui en fait son essence ; c’est même le meilleur moyen de soustraire cette dernière à l’analyse.

Dans les années 1950, pour les fondateurs de l’ergonomie francophone (OMBREDANNE

& FAVERGE, 1955), l’analyse du travail ne pouvait pas se limiter à la prescription telle

que la définissait la hiérarchie, ni à la seule observation du travail réalisé. Ce qui a conduit à une première distinction fondatrice et fondamentale, bien connue maintenant, entre le travail prescrit et le travail réalisé ; et une seconde, moins connue mais toute aussi fondamentale : l’activité laborieuse n’est pas à confondre avec son résultat. Cette double distinction ouvre sur le concept d’activité, ainsi forgé pour rendre compte de la tension qu’éprouve le sujet entre le prescrit et le réalisé et les ressources qu’il doit mobiliser, souvent de façon conflictuelle, pour accomplir ce qu’il y a à faire.

Cette double distinction s’accompagne d’une conséquence d’ordre méthodolo-gique. L’introduction de la mobilisation subjective de l’opérateur ne réduit pas moins

Introduction

1. Travail enseignant et

analyse de l’activité

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le caractère énigmatique du travail, pas plus qu’elle ne le rend plus facilement observable. C’est la raison pour laquelle l’analyse du travail s’est tournée vers des méthodes cliniques pour saisir « l’expérience subjective du travail ». Ces approches ont en commun le projet de vouloir saisir l’expérience professionnelle. Parce que cette dernière est partiellement opaque aussi bien aux yeux de l’intéressé, qu’à ceux de l’observateur extérieur, ces approches nécessitent la coopération entre le(s) chercheur(s) et le(s) praticien(s). Cependant, il convient de souligner que les soubassements théoriques propres à l’objet de l’activité étudié et au statut de cette coopération diffè-rent entre eux. Il serait trop long dans cet article de présenter les débats et les spécificités de chacune des approches. Le lecteur se référera avec profit à Champy-Remoussenard (2005) et Lhuilier (2006), par exemple, pour plus de précision.

Mais l’analyse de l’activité proposée est indissociable du cadre méthodologique qui rend possible son développement et les résultats obtenus. Aussi convient-il de donner quelques présupposés théoriques et caractéristiques du cadre méthodologique présenté plus

en détails ailleurs (AMIGUES, FAÏTA& SAUJAT, 2004 ; SAUJAT, AMIGUES& FAÏTA2007).

L’approche ergonomique de l’activité adoptée s’inscrit dans une perspective historico-culturelle. Cette dernière considère l’activité singulière inscrite dans une histoire commune. Dans cet article, elle sera considérée comme triplement située : dans l’histoire de l’institu-tion scolaire (normes, valeurs, tradil’institu-tions…), dans l’histoire du métier (outils, techniques…) et dans l’histoire de l’action individuelle inscrite dans une situation singulière avec ses contraintes propres. Cette activité est toujours médiatisée par des outils, incorporés ou inscrits dans des situations professionnelles, qui permettent la transformation de son milieu de travail. Cette inventivité, souvent considérée comme une marque essentielle de l’acti-vité de travail – qui n’est pas seulement productive — se montre constructive dans le sens où elle transforme les outils à disposition et en crée de nouveaux qui contribuent au développement – non seulement des outils et des milieux – mais aussi du sujet lui-même. Ces présupposés théoriques sont actuellement retravaillés, notamment par Clot (1999) et Rabardel (1995) dans une perspective développementale.

Sur le plan méthodologique, le processus d’intervention-recherche s’appuie sur la tradition de l’intervention ergonomique à la base de l’analyse du travail. Ce processus est initié en réponse à une demande. L’analyse de celle-ci est décisive par la suite dans le déroulement du processus qui s’étend sur une longue période de temps (plusieurs

mois à deux ans), parce qu’elle permet de pointer sur la difficulté (WISNER, 1995) et

de préciser les modalités de coopération entre chercheurs et praticiens. Coopération qui se traduit dans la co-analyse de situations concrètes de travail qui tentera d’iden-tifier la nature de cette difficulté.

Cette co-analyse repose sur des méthodes « indirectes » (puisque l’expérience n’est

pas directement accessible) comme l’instruction au sosie (ODDONE, RE& BRIANTE,

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1981) ou l’autoconfrontation (CLOT& FAÏTA, 2000). Mais l’autoconfrontation n’est pas seulement un cadre pour analyser l’activité enseignante; elle participe aussi, dans le processus d’intervention-recherche, au développement de l’expérience

profession-nelle (FAÏTA& VEIRA, 2003 ; AMIGUES, FAÏTA& SAUJAT, 2004 ; SAUJAT, 2001).

Considérer l’activité enseignante du point de vue du travail, c’est rencontrer le caractère contraint et partagé de celui-ci. Aussi rappeler avec Meyerson (1948) que le travail est une «activité forcée socialement et psychologique-ment», n’est sans doute pas inutile lorsque le travail enseignant est souvent présenté comme relevant d’un choix strictement personnel et individuel. En effet, l’activité est contrainte ne serait-ce que parce que le professeur ne choisit pas ce qu’il doit faire ni avec qui il doit le faire (les élèves, les collègues…). Par forcée, on entend aussi partagée et, au moins de deux façons : dans le temps et dans l’espace, d’une part, et avec les autres, d’autre part.

2.1. Une activité partagée dans le temps et l’espace

À la suite de la distinction entre action et activité, considérer la classe comme un lieu de travail parmi d’autres est une façon de poser la question de l’analyse de l’activité. L’action réalisée en classe n’épuise pas l’activité, ou cette dernière ne se réduit pas à la réalisation de la première. L’une réalise un but dans un temps donné, la seconde doit composer avec plusieurs logiques et plusieurs temporalités. Action et activité ne sont pas bornées par les mêmes limites temporelles et spatiales. Une est circonscrite à la réali-sation de la tâche, l’autre en déborde toujours, même si elle peut être empêchée, contrariée, suspendue, etc. La première n’est que l’actualisation d’une des activités réali-sables dans une situation particulière ou, pour le dire à la manière de Vygotski (1925-1994) « L’homme est plein à chaque minute de possibilités non réalisées » (p. 41). En d’autres termes le travail enseignant ne se réduit pas au travail d’enseignement (AMIGUES, 2004), pas plus que les pratiques de classe n’épuisent l’ensemble des

pratiques enseignantes (MARCEL, DUPRIEZ& PÉRISSET-BAGNOUD, 2007).

Parler de travail partagé signifie d’abord que le travail individuel du professeur ne se limite pas au seul « espace-temps » que serait la salle de classe, mais qu’il se répartit en plusieurs temps et se distribue dans plusieurs situations (classe, conseil de classe, concertation entre professeurs…). Du point de vue de son activité, cela signifie que le temps consacré à une activité ne peut pas être attribué à une autre ; les ressources

2. Travailler : une activité

individuelle forcément

partagée

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d’une situation peuvent se transformer en contraintes dans une autre ; le sens que prend l’activité du professeur dans une situation peut dépendre de l’activité réalisée dans une autre ou de la signification que ces autres situations attribuent à cette activité, etc. Le professeur doit pouvoir se dessaisir d’une activité pour pouvoir entrer dans une autre. Ce qui ne signifie pas du tout que ce qui est réalisé (ou pas) dans l’une n’ait pas d’inci-dence dans l’autre. De ce point de vue, on pourrait dire que la charge de travail des professeurs ne se limite pas à faire la classe. Mais on voit au contraire tout ce qu’il est nécessaire qu’ils mobilisent pour pouvoir la faire.

2.2. Une activité partagée avec les autres

Ces va-et-vient incessants qu’impose le travail sont constitutifs des processus d’objec-tivation bien décrits par Meyerson (1987) et des nécessaires échanges qu’ils produisent avec les autres. En effet, parler de travail partagé, c’est aussi interagir avec les autres pour tenter de résoudre des difficultés qui ne peuvent pas l’être spontanément seul ou qui supposent la collaboration des autres, sous une forme ou sous une autre. La mobilisation subjective est rejouée ici sur le plan émotionnel dans des rapports sociaux, avec le cortège de tensions, de conflits, de contradictions, etc.

En somme, les processus d’objectivation mis en jeu dans le travail collectif s’accom-pagnent forcément de processus de subjectivation au travers de divers objets dans une rencontre inévitable avec les autres membres d’un collectif de travail. Pour le dire à la manière de Clot (1999), l’activité est triplement dirigée : vers la tâche à réaliser, vers les autres personnes du milieu de travail en relation avec la tâche et vers soi-même. Si la tension entre ces trois directions est source de développement, ce dernier n’est pas homogène dans le sens où le développement d’une direction peut se faire au détriment d’une autre et peut aussi bien favoriser qu’inhiber le développement du sens de sa propre activité. Par exemple, si les conflits sont trop forts pour l’individu, son engagement dans la tâche ou dans le collectif peut se réduire; il peut aussi adopter des routines figées dans la réalisation de la tâche, ou se montrer inventif, etc.

L’activité est considérée ici comme la mise en rapport de divers objets qui conduit le sujet à composer avec lui-même. « L’activité [est] le reflet et la construction d’une histoire : celle d’un sujet actif qui arbitre entre « ce qu’on lui demande » et « ce que ça lui demande », celle d’un sujet divisé dans ses dimensions physiologiques, psycho-logiques et sociales, et qui toujours doit construire son unicité en gérant le rapport qui

le lie au réel et aux autres » (NOULIN, 1995). L’activité est le siège de compromis que

le professeur doit passer avec lui-même (et avec les autres) pour accroître, non seule-ment « l’efficacité », mais aussi « l’efficience » de son action. C’est ce que la psychologie du travail et l’ergonomie nomment le « travail réel ».

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Selon la perspective historico-culturelle, les prescriptions éducatives sont considérées comme des artefacts culturels, des produits de l’activité humaine, soumis à transformation

sociale (AMIGUES, 2004 et 2005). La prescription est le fruit du travail de « groupes

d’experts », de « comités de programmes », c’est la manifestation d’un choix politique à un moment donné de l’histoire d’un pays. L’artefact prescriptif, inscrit dans une tradi-tion culturelle, ne cesse d’accumuler et de renouveler des modificatradi-tions apportées par un groupe social, une société donnée. Pétri de compromis historiques, il est porteur de mémoire, d’expériences accumulées, que ces dernières soient abouties ou non. La prescription se présente souvent à la fois comme nouvelle et ancrée dans la tradition. Témoin historique d’un processus social, elle est le résultat – actuel et provisoire – de réformes successives. Par exemple, la prescription d’individualiser l’enseignement est effectivement un signe de modernisation de l’école si l’on songe que c’est une question

débattue en France depuis les années 1920 (AMIGUES, FELIX& SAUJAT, 2008). De ce

point de vue, l’artefact prescriptif est une mémoire agissante qui contient à la fois amnésie et mythe : amnésie des conflits propres au débat social, mythe de l’école républicaine, de l’efficacité des méthodes pédagogiques, etc.

De fait, la mise en œuvre de la prescription réactive des conflits et des débats sociaux dans lesquels elle tranche. Du coup, plutôt qu’une injonction directe à l’action, la prescription suscite ce que nous appellerons un questionnement professionnel ; elle est d’ailleurs souvent à l’origine de la demande des enseignants face à l’intensifi-cation du travail ressentie (faire plus, faire autrement…). En effet, les enseignants font face à un conflit où se croisent valeurs, savoirs et normes, et les choix qu’ils sont amenés à faire sont à la fois d’ordre éthique et technique. Ainsi, « travailler, c’est mettre en débat une diversité de sources de prescriptions, établir des priorités, trier

entre elles, et parfois ne pas pouvoir les satisfaire toutes, tout le temps » (DANIELLOU,

2002). La prescription est en quelque sorte une mémoire agissante dans un milieu de travail donné, qui, loin d’être externe et étrangère à l’activité (individuelle et collec-tive), en est consubstantielle. Mais il convient aussi de souligner que le questionnement professionnel ainsi engendré est doublement adressé : à la prescription, d’un côté, qui dit quoi faire, mais pas comment faire et au métier, d’un autre côté, qui ne dit pas comment faire, parce qu’il est porteur de techniques incorporées ou de ressources potentielles, à partir desquelles un collectif tentera de systématiser une manière de faire. C’est ce que nous allons montrer dans la partie suivante.

3. La prescription : un

artefact culturel

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Dans la recherche en éducation, les études sur le caractère prescriptif des textes officiels sont

peu nombreuses (BRONCKART& MACHADO,

2005 ; PLAZAOLA& GIGER, 2004) alors que

l’écart entre le travail prescrit et le travail réalisé est souvent évoqué. Le but de cette partie est de montrer comment la prescription peut être considérée comme un organisateur de l’activité collective des professionnels de l’éducation et en quoi l’activité collective établit le rapport entre le prescrit et le réalisé. Pour ce faire, la présentation s’appuiera sur les résultats de deux études de terrain conduites par l’équipe ERGAPE, présentées ailleurs et auxquelles le lecteur est renvoyé

pour une présentation détaillée. La première étude (AMIGUES, MAURIZZIO& ROUSSET,

2005) a porté sur l’activité des conseillers pédagogiques de circonscription chargés d’accompagner la mise en place des programmes de 2002 de l’enseignement de la

litté-rature au cycle 3 de l’école primaire en France (9-10 ans). La seconde (AMIGUES,

FAÏTA, FELIX, FEUILLADIEU& SAUJAT, 2006) a porté sur le travail d’une équipe inter-catégorielle engagée dans un dispositif d’orientation en classe de 3e de collège en France (15-16 ans). L’une et l’autre se sont déroulées sur le terrain, la première pendant une année et la seconde, pendant deux années.

Dans chacun de ces deux domaines, ces textes « anonymes » que sont les programmes s’inscrivent dans une continuité. Ils confirment ou réactualisent certaines préconisations en les inscrivant dans des orientations renouvelées. Leurs contenus à « géométrie variable » (contenus d’enseignement, méthodes et organisation des activités, horaires…) sont exprimés sous une forme impersonnelle et une pluralité d’intentions porteuses de marques évaluatives. De nature réglementaire, ces textes ne s’adressent pas exclusivement aux professeurs, mais ils visent plusieurs destinataires proches (les élèves, l’équipe pédagogique, les parents, d’autres professionnels) ou plus éloignés (les collectivités territoriales…). Ce qui est conforme à la politique partenariale de l’école et au droit à l’information des usagers. Par exemple, les parents peuvent ainsi suivre la scolarité de leur enfant, leur progression en fonction du programme, voire s’assurer que les enseignants suivent bien les programmes officiels. Mais ce caractère multi adressé de la prescription ouvre d’autant plus facilement sur une multiplicité des sources de prescriptions (les collectivités territo-riales, les parents, etc.) qu’elle se montre, comme nous allons le voir, particulièrement « faible ». La « pression » des parents ou la conception et l’évaluation de projets locaux, par exemple, ne sont pas étrangères à la charge de travail des enseignants.

Mais, dans un cas comme dans l’autre, il importe de souligner que ces directives présentent le caractère d’être immédiatement applicables, alors qu’on a affaire à « une “prescription infinie” des objectifs, et une sous-prescription des moyens pour les

atteindre » (DANIELLOU, 2002).

4. La prescription : un

organisateur de l’activité

collective

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En France, le travail des conseillers pédagogiques dans les circonscriptions pédago-giques de l’enseignement du premier degré, qui regroupent plusieurs écoles, est un bon exemple de médiation ordinaire : à la fois source de prescriptions et collectif inter-médiaire entre la prescription et le professeur. Supposés orienter l’action des enseignants, les textes prescripteurs suscitent de nombreuses questions chez les conseillers pédagogiques chargés d’accompagner la mise en place de ce nouvel ensei-gnement (littérature au cycle 3). En effet, pour ces conseillers, les textes ne sont pas manifestement du « prêt à dire » aux professeurs, ni du « prêt à faire » auprès d’eux. Ils doivent préalablement recomposer les éléments « dispersés » dans le texte d’ori-gine pour en faire une présentation tout aussi fonctionnelle pour eux que pour les enseignants auprès desquels ils vont intervenir. Ils sont ainsi appelés à faire des choix, à arbitrer entre des alternatives qui ne seront pas forcément tranchées, notamment à propos de la « nature » de cet enseignement, le statut de la « littérature enseignée » : champ disciplinaire ? Nouvelle discipline ? Contenu d’enseignement ?… Il s’agit d’opérer un choix qui leur permettra de savoir comment ils engageront les enseignants dans un travail à la fois d’appropriation de la prescription et de sa mise en œuvre pratique dans la classe.

Le choix ainsi arrêté par les protagonistes consistera à répartir ces éléments dans des plages horaires. Cette décision n’est pas facile pour eux parce qu’il ne s’agit pas seulement de présenter un nouvel objet d’enseignement, mais de le situer par rapport à l’existant dans la classe. En clair, il s’agit d’allouer autrement le temps aux activités actuelles en classe pour permettre à cette nouvelle activité de se dérouler. Ce ré-aména-gement du milieu-classe, ignoré par la prescription, constitue une nouvelle contrainte, voire une charge de travail supplémentaire pour les enseignants. Du côté des conseil-lers, ils jugent leur travail à la fois « ingrat », mais nécessaire pour répondre à la question : « Que nous disent les Instructions Officielles ? Que nous obligent à faire les Instructions Officielles ? ». Mais l’ingratitude de ce travail contient aussi l’antici-pation d’une récrimination que ne manqueront pas de leur adresser les professeurs : « vous nous en demandez toujours plus » ou « pour vous, c’est facile, mais vous n’y êtes pas dans la classe ».

En somme, plutôt que du prêt à agir, la prescription déclenche, à travers un dialogue entre la prescription et les ressources disponibles, une activité de re-concep-tion, non seulement des buts et des moyens d’acre-concep-tion, mais aussi du milieu de travail qui permettra de les mettre en œuvre ; milieu de travail des conseillers comme celui des enseignants. Et cette activité de transformation de la prescription pour être appro-priée ne va pas sans conflits ou tensions parmi les gens de métier. Les divergences peuvent porter aussi bien sur les savoirs littéraires à mobiliser, que sur les manières de faire, existantes ou à renouveler, les valeurs portées par cette nouvelle mesure que sur

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les tensions entre les catégories professionnelles (inspecteur, conseillers pédagogiques, enseignants).

Dans le cas de l’orientation en classe de 3e, les textes prescripteurs posent que la

mise en place de dispositifs à l’orientation soit prise en charge par une équipe inter-catégorielle (principal et principal-adjoint, conseillers d’orientation psychologues (CO-P), professeurs principaux, enseignants). Sur ce point, il convient de noter des décalages entre ce que demande la prescription au collège, dont la mission essentielle est l’orientation de chaque élève, et « l’état des troupes » sur le terrain : les professeurs principaux qui jouent un rôle prépondérant ne sont pas vraiment formés au travail qui leur est prescrit, et les CO-P, professionnels de l’orientation, participent peu à la réali-sation de projets des établissements.

Dès lors, chaque équipe de collège est appelée à créer des situations jusqu’alors inédites avec divers outils relevant de professionnalités distinctes et/ou à en construire de nouveaux, à partir de compétences diverses. Dans ces conditions, mettre en œuvre le partenariat avec les familles dans le cadre de l’orientation, est un véritable défi pour les établissements.

Les deux collèges étudiés, classés Zone d’Éducation Prioritaire, ont mis en place un dispositif afin de répondre à la demande institutionnelle et de permettre la rencontre entre les différents acteurs de l’orientation : « la concertation active ». Conçu par le Service Académique d’Information et d’Orientation (SAIO) de Grenoble, ce dispo-sitif définit les étapes d’un processus et les fonctions des acteurs. Mais ce qu’il est particulièrement intéressant de noter, c’est que face au vide de la prescription, le dispositif adopté par les équipes de ces établissements est un produit du travail des conseillers d’orientation et non pas un moyen fourni par la prescription pour la réaliser.

Il ressort de ces études trois points essentiels :

– La prescription ne «descend» pas directement sur les épaules du professeur de manière individuelle. Ce rapport est systématiquement élaboré par ce que nous avons appelé le questionnement professionnel conduit au sein de collectifs de travail. – Le travail des conseillers pédagogiques, des professeurs et des CO-P ne se distingue pas d’autres organisations du travail à prescriptions floues. Toutefois, il existe deux différences essentielles entre le travail productif et le travail en éducation. Dans le premier, la tâche prescrite représente un modèle refroidi de l’activité de l’opérateur et ce dernier est amené à la redéfinir. Tandis que, dans l’enseignement, la prescription infinie et la sous-prescription des moyens conduisent les professionnels à concevoir de façon collective cette prescription ainsi que les moyens à mettre en œuvre pour la réaliser.

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– L’efficacité dynamique de la prescription, même « discrète », engage activement les professeurs dans la conception et la construction d’outils, la recherche de moyens d’agir, etc. Tournée vers la prescription, l’activité mobilise les ressources du métier et se tourne vers le milieu de travail pour trouver les moyens disponibles ou à inventer pour pouvoir y répondre.

Au total, cette partie montre que l’écart ente le prescrit et le réalisé n’est pas vide. Il est plein d’une activité professionnelle saturée par des dimensions collectives et une forte mobilisation individuelle. C’est dans cet écart que les professeurs conçoivent des outils, des dispositifs nouveaux, dont ils assurent le développement en transformant leur milieu de travail. La prise en compte dans l’analyse de l’activité de la prescription montre que celle-ci ne peut pas être totale. Le travail des professeurs consiste à faire plus que ce qu’elle dit et ils font même ce qu’elle ne dit pas pour pouvoir être efficaces. C’est bien le réel de l’activité qui conduit les professeurs à transformer la prescription pour pouvoir se l’approprier et la faire vivre dans le collectif de travail et, au-delà, auprès des élèves.

Mais ce travail de re-conception de la prescription dans des moyens d’action, suppose du temps, en particulier pour systématiser ces façons de faire. La mise en place de l’enseignement de la littérature au cycle 3 de l’enseignement primaire, par exemple, demandera sans doute plusieurs années pour stabiliser les pratiques en la matière. Ce qui est incompatible avec l’immédiateté de la prescription, dans son « application » et les effets attendus. L’écart entre le prescrit et le réalisé serait dû au désintérêt des ensei-gnants pour la prescription. Or, nous venons de voir que ce n’est pas le cas. En revanche peut-être conviendrait-il de regarder le rôle de la prescription dans l’effica-cité du travail enseignant. En quoi la multiplil’effica-cité des prescriptions et la recherche constante de la nouveauté ne sont-elles pas sources de perturbation de l’activité ensei-gnante ? On ne répondra pas à cette question dans le cadre de cet article. Reste que le re-travail de la prescription et le devenir de sa transformation par les collectifs dépendent autant de la prescription initiale que des milieux de travail susceptibles de la traiter.

Nous avons vu que la prescription est un artefact culturel inscrit dans une histoire commune. Mais les transformations qu’elle est appelée à connaître par le déploiement du travail réel des enseignants dépendent, d’une part, de la « nature » de la prescription et, d’autre part, du milieu de travail et de son évolution. Mais la dynamique de l’activité peut connaître des impasses si le milieu de

5. Traitement de la

prescription et milieux

de travail

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travail se montre incapable de transformer la prescription en instrument pour l’action. En d’autres termes, le destin de la prescription et celui du milieu sont liés, dès lors qu’elle est le produit de l’histoire du milieu de travail.

De ce point de vue, la prescription peut devenir un outil si elle est « manipulable » par les enseignants et qu’elle participe ainsi du développement des situations, des relations aux autres, etc. Même «incomplète», une prescription forte est génératrice d’actions possibles, alors qu’une prescription faible ou fermée sur elle-même rend plus difficile le travail de re-conception. Dans un cas comme dans l’autre, le milieu de travail joue un rôle décisif dans la perspective d’un développement possible. Il faut entendre ici le milieu de travail comme la solidarité entre deux milieux – l’établisse-ment et la classe – parce que le travail réel de l’enseignant consiste à organiser collectivement un milieu externe à la classe pour pouvoir développer sa propre activité dans la classe.

Les collectifs de travail qui œuvrent à la ré-organisation du travail, à la conception de dispositifs et à la production d’outils prennent des formes diverses dans les établis-sements du second degré, comme ils peuvent être à « géométrie variable » dans les écoles primaires. Ce qui peut entraîner, selon les établissements ou les écoles, soit une source de développement de compétences et d’apprentissage de nouveaux moyens d’agir, lorsque le milieu de travail et le collectif qui y est associé fournissent du « répon-dant »; soit une entrave à l’engagement individuel et collectif lorsque le milieu est dégradé, voire un affaiblissement du collectif dans lequel l’activité individuelle ne peut puiser ses propres ressources. L’activité empêchée ou contrariée, au niveau de l’éta-blissement, pèse alors de tout son poids dans l’activité réalisée en classe.

L’approche ergonomique de l’activité a souligné le rôle dynamique que peut jouer la prescription dans l’activité des enseignants. Cette activité de conception et d’orga-nisation d’un milieu de travail est certes orientée vers l’activité des élèves, mais elle est d’abord tournée vers le professeur qui va devenir « l’exécutant » de sa propre concep-tion. Cette conception ou re-conception constitue une première mise à l’épreuve de la prescription au niveau de l’établissement. La seconde sera celle de la classe où elle connaîtra une nouvelle transformation avec les tâches prescrites aux élèves. Leur effet sur ces derniers et sur le professeur, dans sa manière de « prendre », « faire » et « tenir »

la classe (SAUJAT, 2007) permettra de la re-concevoir pour la fois suivante. Travailler

c’est faire vivre la prescription ; c’est la transformer et la renouveler avec le dévelop-pement de l’expérience professionnelle.

C’est parce que les professeurs sont tout autant attachés à la prescription qu’à ses possibilités d’en faire quelque chose avec les élèves, qu’ils la transforment pour agir au mieux avec ces derniers. Si, comme on l’a vu plus haut, les professeurs échangent du travail entre eux à travers la re-conception de la prescription, ils sont amenés à partager

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aussi ce travail avec les élèves dans la classe, et au-delà, les valeurs qui ont permis aux professeurs de retravailler cette prescription.

Cette face « cachée » du travail enseignant, que nous avons tenté de mettre en évidence par une approche ergonomique de l’activité, fournit un élément de compré-hension des modes de régulation de l’activité des élèves pendant la réalisation en classe, que la seule observation du fonctionnement du professeur en classe ne permet-trait pas d’éclairer.

Cet article a tenté de montrer que le travail enseignant consistait à traiter la prescription et que, ce faisant, il participait au développe-ment d’une activité collective et individuelle. Cette discussion conclusive reprendra succinc-tement les thèmes introduits pour les mettre en perspective.

Cette présentation soutient que l’artefact prescriptif peut être considéré comme l’organisateur du travail partagé des enseignants. Pour cela, nous avons été amenés à opérer des distinctions et à adopter des approches encore peu courantes en sciences de l’éducation. L’activité du professeur n’est pas réductible à son action, et l’étude de cette action ne renseigne pas forcément sur l’activité sous-jacente ; si l’action fait l’objet d’une prescription, l’activité, elle, est imprescriptible. Elle dépend du rapport que le sujet instaure entre son action et le milieu dans lequel elle s’exerce ; ce dernier étant constitué de « propriétés » historico-culturelles particulières. Le milieu de travail dans lequel se réalise une action est à la fois source et ressource pour le développement de l’activité de l’enseignant dans ses dimensions collectives comme individuelles. Plus précisément, le développement est conçu comme une co-évolution du milieu, des outils et de l’activité. C’est dire que les potentialités de développement, en particulier de l’expérience professionnelle (des débutants ou non), dépendent notamment des milieux de travail qu’offrent les établissements.

Dans cette perspective, le travail des enseignants peut être envisagé de plusieurs points de vue. Celui du professeur lui-même, dans le sens où ce travail est divisé, partagé entre plusieurs lieux et diverses temporalités. Celui des divers collectifs de travail dans lesquels le travail est échangé entre des professionnels qui doivent penser ce qu’ils ont à faire, concevoir les moyens de réaliser la prescription, même dans ce qu’elle ne dit pas, à envisager des problèmes non anticipés par les concepteurs, à re-concevoir des outils et réorganiser des dispositifs au sein de l’établissement, etc. Celui de la classe où les objets et les enjeux de l’échange dépendent largement des instru-ments précédemment construits pour assurer la transmission des savoirs. Celui aussi

6. Discussion et

perspectives

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du dialogue lointain et différé avec les concepteurs des prescriptions. Ces derniers reprennent bien souvent à leur compte les résultats du travail enseignant et le trans-forment, à leur tour, en une prescription renouvelée.

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Working as a teacher:

requirements and collective aspects of the job

Abstract: The ergonomic approach to teaching presented in this paper places the

practices of teaching staff in a professional context and which are therefore inevitably shared with others in order to define the room for manoeuvre needed in order to satisfy requirements. This paper considers the prescriptive artefact as a structuring factor in the collective work of teachers involved in the design of working environments (both for themselves and for students) and tools enabling them to carry out their work. The results of empirical studies show how collec-tive work structures a working environment, which may be both a source and resource for developing teaching work in both its collective and individual aspects.

Key words: Work Ergonomics. Shared Work. Prescriptive Artefact. Working

Group. Working Environment.

El trabajo docente :

prescripciones y dimensiones colectivas de la actividad

Resumen : El enfoque ergonómico de la actividad docente que presenta este artículo

contextualiza las prácticas de los profesores en un medio profesional y por lo tanto forzosamente compartidas con otros, para definir los márgenes de maniobra que les permiten responder a la prescripción. Este artículo toma en consideración el « artefacto prescriptivo » como un organizador de la actividad colectiva de los profesores que se comprometen en la concepción de entornos laborales (para ellos y para los alumnos) y de herramientas que les permiten realizar su labor. Los resultados de estudios empíricos muestran cómo la actividad colectiva organiza un entorno laboral que puede ser fuente y recurso a la vez para el desarrollo de la actividad del docente en sus dimensiones tanto colectivas como individuales.

Palabras claves : Ergonomía de la actividad. Trabajo compartido. Artefacto

prescrip-tivo. Colectivo de trabajo. Entorno laboral.

René AMIGUES. Le travail enseignant : prescriptions et dimensions collectives de l’activité. Les Sciences de l’éducation - Pour l’Ère nouvelle, Le travail partagé des enseignants, vol. 42, n° 2, 2009, pp. 11-26. ISSN 0755-9593. ISBN 978-2-918337-00-3.

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