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Guérir par la poudre de sympathie

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Academic year: 2021

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Submitted on 27 Oct 2018

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Guérir par la poudre de sympathie

Rémi Franckowiak

To cite this version:

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LNA#72 /

mémoires de sciences

La Poudre de Sympathie

Elle est relativement facile de confection et ne nécessite pas, à la différence de la Pierre philosophale et de l’Alkahest (sol-vant universel), une maîtrise totale de la doctrine chimique ; son usage s’étend très au-delà du cercle des Philosophes chimiques. Elle est réputée très efficace dans le cas de blessures par arme blanche, présente la particularité d’agir à distance : la Poudre (ou l’onguent) s’applique sur l’arme, ou sur le linge taché du sang du blessé, et non directement sur la plaie qui peut être simplement lavée et gardée propre. Dans Le Menteur (1685), Corneille la compare à « une source de vie » dont on « voit tous les jours des effets étonnants ». Madame de Sévigné n’hésite pas à la décrire, dans une lettre de 1685, comme un « remède tout divin », après avoir pu constater sur elle ses effets. Néanmoins, certains l’associent à la pratique de la magie : ils la condamnent, sans toutefois douter de son efficacité. Pour ses défenseurs, l’activité de la Poudre de Sympathie s’explique parfaitement sans recours à quelque puissance surnaturelle que ce soit.

L’origine du traitement par la Poudre de Sympathie est attri-buée à Paracelse. Dans Basilica Chymica, publié en 1608, Ostwald Croll expose comme suit la recette de l’ « Onguent sympathique ou constellé de Paracelse », à réaliser lorsque le Soleil « est au signe de la Balance ». Faire bouillir dans du vin rouge les graisses d’un verrat sanglier et d’un vieil ours. Recueillir la graisse surnageant. Mélanger et broyer de la poudre de vers rôtis, de la cervelle de sanglier séchée, du bois de santal rouge, de la « mumie transmarine », des héma-tites, et le « crâne d’un homme mort par violence [,] d’un pendu s’il se peut, [lequel aye esté rasclé], lorsque la Lune est à son croissant, & en bonne maison, s’il se peut à la maison de Venus, non de Mars, ny de Saturne […]. De toutes ces choses bien meslées & broyées, fais un onguent avec la graisse selon l’art, lequel tu garderas pour ton usage dans un verre clos, ou dans une boette bien fermée ».

Une action naturelle ou magique ?

Croll précise que l’action de la Poudre « n’est pas magique noire comme croyent quelques sots, & ignorants », mais repose simplement sur une « sympathie de la nature », sur une cer-taine vertu attractive « causée par les Astres, laquelle par la

mediation de l’air est attirée sur la playe, & se conjoinct avec elle, à fin que l’operation spirituelle monstre son effect. » La même année, Rodolf Goclenius, calviniste, docteur en médecine et professeur à l’Université de Marbourg, explique, lui aussi, l’activité de l’onguent sympathique sans recours à quelque puissance surnaturelle que ce soit : elle reposerait sur le magnétisme animal que tout corps vivant possèderait. Son Tractatus de magnetica curatione vulnerum est pourtant violemment condamné en 1615 par le jésuite Jean Roberti, qui y trouve prétexte pour dénoncer « l’idolâtrie » des pro-testants, leur propension à la magie et à la sorcellerie. En soutenant, dans son De Magnetica Vulnerum Curatione de 1621, les thèses de Goclenius contre l’accusation de magie, en prenant pour preuve de l’existence du magné-tisme animal les vertus des reliques des Saints, le médecin chimiste des Pays-Bas espagnols, Jean-Baptiste Van Helmont, soulève le mécontentement de la Faculté de Médecine de Louvain, qui obtient son arrestation en 1633. Dans la première moitié du siècle, d’autres encore justifient de l’activité naturelle de l’onguent de Sympathie, tel l’Anglais Robert Fludd par des influences astrales, prises à partie par William Foster dans son Hoplocrisma-spungus de 1631. Ainsi, comme Van Helmont le souligne lui-même, la polémique ne porte pas tant sur l’efficacité de ce remède particulier, dont, au fond, peu de gens doutent, que sur l’aspect licite de son utilisation face à l’accusation de magie noire : la cure magnétique peut-elle ou non être permise ?

La controverse change de nature

Avec le Discours touchant la guerison des Playes par la Poudre de Sympathie de Kenelm Digby (1658), réédité une vingtaine de fois jusqu’à la fin du XVIIème siècle, la controverse change de nature et concerne davantage l’efficacité supposée du traitement. Contrairement au texte de Croll qui développait une chimie en vue d’un perfectionnement de la médecine, le Discours de Digby se situe exclusivement sur le plan de la philosophie naturelle. Son ambition est de convaincre ses lecteurs de la « possibilité et vérité » de la guérison « natu-relle » et « sans magie » par la Poudre de Sympathie : l’acti-vité de celle-ci reposerait exclusivement sur le mouvement et l’enchaînement des chocs d’une matière atomisée,

entraî-Guérir par la poudre de sympathie

Maître de conférences HDR en histoire des sciences (Université de Lille, Sciences et Technologies Université de Lyon / S2HEP) Par

Rémi FRANCKOWIAK

La pratique de la chimie au XVIIème siècle est principalement orientée vers les préparations pharmacologiques. Il est

tou-tefois un remède dont le mode opératoire est regardé aujourd’hui comme un curieux produit de la pensée chimique d’alors : la Poudre de Sympathie. C’est son étrange histoire que conte cet article.

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mémoires de sciences

/ LNA#72

15 nant une communication directe entre l’agent et le patient ;

c’est l’illustration d’une conception mécaniste plus large de « l’économie de la nature ».

Un fait historique, la blessure à la main coupée jusqu’à l’os, nerfs, muscles et tendons compris de Jacques Howel, secré-taire du Duc de Buckingham, qui voulait séparer deux duellistes en plein combat, sert de point de départ à son exposé. Sa blessure étant en très mauvais état, les chirurgiens craignent que la gangrène ne s’y installe. Quatre ou cinq jours plus tard, Howel, vient prier son ami Digby de « lui donner quelque remède à son mal ». Digby raconte : « Je luy demanday donc quelque piece d’étoffe ou de linge sur laquelle il y auroit du sang de ses playes. Il envoya incontinent querir la jarretière qui luy avoit servit de

premier bandage. Et cependant, je demanday un bassin d’eau, comme si je me voulois laver les mains, et pris une poignée de Poudre de Vitriol que je tenois en un Cabinet sur ma table, & l’y fis promptement dissoudre. Aussi tost que la jar-retiere me fut apportée, je la mis dans le bassin, remarquant bien ce que faisait cependant Monsieur Howel : Il parloit à un Gentil-homme en un coin de ma chambre, sans prendre garde à ce que je fai-sois. Et tout à l’heure il tressaillit, & fit une action, comme s’il sentoit en luy quelque grande émotion : Je

luy demanday ce qu’il avoit, & ce qu’il sentoit. Je ne sçay (dit-il) ce que j’ay : mais je sçay que je ne sens plus de douleur : Il me semble qu’une fraicheur agréable, comme si c’estoit une serviette moüillée & froide, s’épand sur ma main, ce qui m’a osté toute l’inflammation que je sentois. […]. Pour faire court, il n’eut plus de douleur, & dans cinq ou six jours sa playe fut cicatrisée & entierement guérie ».

La nouvelle de la guérison de Howel se répand rapidement, et son secret avec elle. « À peine y a-t-il aujourd’huy un barbier de village qui ne […] sçache », déplore Digby, que ce remède est un simple vitriol (sulfate métallique) calciné au soleil. Toutefois, seul Digby est en mesure d’en exposer le mode d’action : voici comment il rend compte du déroulement de la guérison de Howel. Les atomes de lumière ont emporté les « esprits du sang », c’est-à-dire le courant d’atomes de sang de sa jarretière, doucement expulsés par la chaleur du foyer. « Les esprits du Vitriol incorporé avec le sang ne peuvent manquer de faire le mesme voyage avec les atomes de ce sang ». Pen-dant ce temps, la main blessée exhale continuellement de la chaleur qui attire l’air le plus proche, créant un courant d’air vers l’inflammation de la plaie. Avec cet air viennent

enfin les atomes de sang et de vitriol diffus, répandus en lui. Les atomes de sang réintègrent leur lieu d’origine et s’y fixent, alors que les atomes d’air ne font que passer. Les esprits vitrioliques joints aux atomes de sang s’installent ainsi dans tous les recoins de la plaie pour la soigner imper-ceptiblement.

Digby évacue les influences astrales d’inspiration paracel-sienne et autre magnétisme animal. Le recours à une expli-cation fondée sur les seuls arrangements et mouvements des parties des corps rend raison de la réalité de faits mécani-quement possibles. D’empirimécani-quement constatée, la guérison de Howel trouve ainsi une conceptualisation – basée sur des corpuscules accessibles sinon de fait du moins de droit – qui permet de l’assurer comme un fait réel et naturel, non une illusion ou une magie.

Tout en refusant de souscrire d’un point de vue médical à cette cure, Nicolas Lemery, à partir de la sixième édition de 1686 de son célèbre Cours de Chimie, expose ses remarques sur la Poudre de Sympathie « dont on a fait tant de bruit », et dont les expériences destinées à en montrer les effets n’ont pas toujours été faites « de bonne foi » : il en sauve l’usage et se propose d’en expliquer le mécanisme par des arguments similaires à ceux de Digby. Il conclut : « Voilà, ce me semble, l’explication la plus raisonnable qu’on peut donner sur un effet qui a passé pour une chose inex-plicable. Au reste, je ne conseillerois point à un blessé de faire fond sur un remède de cette nature ; car pour une personne qui en aura reçu du soulagement, il y en aura cent qui n’en auront pas aperçu l’effet ».

L’attitude de Lemery est pour le moins paradoxale : il fournit l’interprétation théorique d’un fait auquel il ne croit pas et en justifie la vraisemblance par le principe « l’expliquer, c’est l’attester ». Que vaut l’exhortation à ne pas faire porter tous ses espoirs de guérison sur ce remède, alors même qu’est théoriquement démontrée la possibilité de son efficacité ? La Poudre de Sympathie, dans le défi qu’elle pose à une philosophie mécaniste alors en quête de justification, offre à celle-ci une occasion de faire la démonstration de son pou-voir explicatif. Elle tombera définitivement en désuétude au début du XVIIIème siècle, par absence de discours pour en soutenir les effets supposés, non par une dénonciation défi-nitive de son efficacité…

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