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Sur la Relativité des Erreurs Anna Sierpinska

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Sur la Relativité des Erreurs

Anna Sierpinska1 Varsovie, Pologne 1- INTRODUCTION

Il y a deux ans, à Leiden, j'avais essayé de convaincre quelques-uns d'entre vous que la notion d'obstacle épistémologique est une notion capable d'engendrer un programme scientifique de recherche. J'ai, depuis, fait des efforts pour développer ce programme dans le cas particulier des concepts élémentaires de l'analyse mathématique. Le but de ces efforts était d'explorer les possibilités d'élaborer des situations didactiques favorisant le franchissement par les élèves des obstacles épistémologiques relatifs aux limites en même temps que de préciser ces obstacles et les formes de leur manifestation dans la pensée et l'expression des élèves d'aujourd'hui. Ce travail concret visant des buts pratiques était accompagné d'une réflexion plus théorique sur la nature des obstacles épistémologiques et les processus de leur franchissement.

1) Obstacles épistémologiques et erreurs

Parmi les thèmes auxquels s'attache la présente Rencontre. il y a la question des relations entre obstacles épistémologiques et erreurs. Voici quelques réflexions sur ce sujet.

Gaston Bachelard (1938) remplaçait souvent un de ces termes par l'autre dans une phrase.

Les considérait-il comme synonymes? Peut-être. En tout cas, il considérait les obstacles épistémologiques comme un phénomène négatif dans le développement de la pensée scientifique. Mais la notion elle-même ainsi que nos attitudes envers elle ont changé depuis 1938 et aujourd'hui nous pensons que les obstacles épistémologiques sont inévitables et constituent un support à ce développement. Cela s'ensuit du fait que nous sommes des «êtres historiques»: nous ne connaissons jamais toutes les contraintes des problèmes que nous résolvons. Mais ce n'est pas un défaut; les obstacles épistémologiques ne sont pas un genre de vice, d'erreur qui empêche le développement de la connaissance, mais ils sont plutôt la condition même de ce développement. Pour savoir plus et comprendre mieux, nous devons savoir déjà, comprendre déjà, anticiper de nouveaux problèmes et solutions, être en possession d'un présavoir (Cf. GADAMER 1967, p. 106).

Considérons deux propositions qui sont souvent citées comme des erreurs communes: [1]

; [2] 0,999... < 1.

(

x+y

)

2 =x2+y2

Bien sûr, ce ne sont pas des erreurs absolues: [1] est vraie dans le corps de caractéristiques 2, et [2] est satisfaite dans le domaine des nombres hyperréels. Ces erreurs sont

« mathématiquement » relatives. Mettons alors les deux propositions dans une forme révisée: [1’] ; [2'] Soient 0,999... et 1 des nombres réels (0,999... désigne la somme réelle de la série infinie 0.9 + 0.09 + 0.009 + ...). Alors la

( )

2 2 2

, y R x y x y

x ∈ + = +

1 Compte rendu de la 39e rencontre internationale de la CIEAEM, Sherbrooke, Canada, 1987, pp.

70-87.

(2)

différence est un nombre réel positif. Les propositions [1’] et [2’] sont-elles absolument erronées.

...

999 , 0 1−

(

xy

)

2 =x2

On peut montrer un contre-exemple à [1’] et déduire une contradiction de [2’]. Cette fois-ci, nous pouvons dire avec sûreté que ce sont des erreurs mathématiques absolues.

Mais supposons que quelqu’un justifie la formule [1’] en se référant à son analogie avec la

formule . Des exemples comme

( )

n'ont

aucun effet sur cette personne, puisqu'il soutient qu'on ne peut faire avec les lettres x et y la même chose qu'on peut faire avec les nombres. On ne peut pas « ajouter » un x à un y comme on ajoute un 2 à un 3. est juste une inscription, une « expression algébrique » et tout ce qu'on peut faire avec elle c'est la transformer en une autre expression algébrique. Pourquoi par . Vous n'aviez rien contre

( )

, pourtant? (Cf.

CWIK, 1984).

y2 1+2 2 =32 =9, 12 +22 =5≠9

2

2 x2 y

y

x⋅ = ⋅

(

x+y

)

2

2

2 y

x +

Supposons encore que quelqu'un soutienne que 0,999... < 1 en disant que l'infini n'existe pas dans le monde réel et que si les mathématiques ont un sens, elles ne devraient pas parler de l'infini. Alors, le nombre 0,999... est une somme finie 0,9 + 0,09 + ... + 0,000 ... 09, bien que le nombre des termes puisse ne pas être déterminé. Mais, aussi grand qu'il soit, le nombre 0,999... n'est pas égal à 1 ; il est plus petit. Bien sûr, on peut utiliser 1 comme son approximation et nous pouvons même convenir d'écrire le signe d'égalité entre les deux, mais il doit être bien entendu que ce n'est qu'une convention et non pas une vérité (Cf.

Sierpinska, 1986).

Ainsi, chaque proposition a reçu une justification cognitive. La première a été validée par une attitude formaliste ou plutôt « quasi formaliste » ou « formaliste dégénérée » (comme dirait madame Krygowska) envers les mathématiques: les mathématiques n'étant qu'un jeu formel sur des symbols dépourvus de sens; les règles de ce jeu permettant des raisonnements par analogie. Une attitude « intuitive empiriste » a assuré la validité de la seconde proposition: les mathématiques devant contenir des vérités sur le monde réel;

certaines d'entre elles, évidentes par la « lumière naturelle » de la raison pure ', pouvant être admises comme axiomes; les autres pouvant être déduites de celles-là.

Nous avons appelé ces justifications cognitives obstacles épistémologiques.

Epistémologiques et non cognitifs, parce qu'elles concernent la connaissance scientifique.

En plus, elles concernent les questions les plus fondamentales de cette connaissance.-

« Quelle est sa nature? », « Quel genre de connaissance sont les mathématiques? », « Quelle est la signification de ces termes primitifs (ex. les variables x, y, ...) et des catégories universelles de la pensée (nombre, espace, infini ... )? » Des réponses différentes à ces questions produisent des philosophies différentes et on ne peut pas dire qu'une philosophie est vraie ou fausse. Autre chose est sa signification, sa fécondité, sa force explicative (à quoi bon manipuler des symboles sans signification?) L'analogie peut-elle être un argument sérieux dans une théorie formelle? La condition de l'évidence à la lumière naturelle ne restreint-elle pas le spectre des théories possibles? La non-acceptation de l'infini en mathématiques ne rend-elle pas les choses plus difficiles?

(3)

2) Franchir un obstacle épistémologique

Supposons qu'en voulant « expliquer » à un élève une des erreurs mathématiques citées plus haut on lui montre un contre-exemple ou on déduit une contradiction. Si, par hasard, les raisons pour lesquelles l'élève a commis ces erreurs ressemblent à celles que nous avons décrites, on peut être sûr que cette explication ne sera pas satisfaisante.

Pour admettre son erreur, l'élève aura à franchir un obstacle épistémologique et ceci n'est pas chose facile. Un obstacle est lié à une conviction profonde, à un sentiment d'une vérité évidente, au sentiment que ce qu'on sait sur une question fondamentale est le seul savoir possible. C'est comme si on vivait dans un monde clos. Pour franchir l'obstacle, il faut sortir de ce monde et voir d'autres mondes possibles ainsi que les relations entre eux.

D'un monde à un autre, les mots et les symboles changent de signification. Ces significations doivent donc être explicitées et comparées. Puisque les choses importantes d'un monde deviennent secondaires dans un autre, les points de vue doivent être comparés et négociés.

Il n’est peut-être pas nécessaire de forcer un élève à se convertir à une autre philosophie. Au delà des différentes philosophies, un accord est possible. La définition de limite de Weierstrass est capable de réconcilier des finitistes et des infinitistes de toutes sortes. Elle évite tout simplement le problème de l'infini enfermé désormais dans la boîte à Pandore du quantificateur universel.

Mais s'il en est ainsi et si, en effet, le concept de limite est acceptable par toutes les philosophies, pourquoi les réveiller dans la classe, pourquoi discuter et négocier en s'exposant à toutes sortes d'ennuis? N'est-ce pas une perte de temps? Pourquoi ne pas commencer tout simplement par la définition?

Je crois profondément que ce n'est pas une perte de temps; surtout si nous voulons que la limite soit un concept significatif pour nos élèves et non pas un symbole de plus ou une opération formelle. Si nous ne « perdons » pas suffisamment de temps sur les négociations de la signification de l'infini et l’opération de passage à la limite avec les élèves avant d'introduire la définition de Weierstrass, nous risquons de perdre beaucoup de temps à leur

« expliquer » les erreurs comme celle du premier exemple:

n n n n

n n

n = = =

1 1 lim 1

lim1 1

1 lim

2

2 2

Mais je suis bien consciente de la difficulté de telles négociations avec les élèves, particulièrement lorsqu'il s'agit de l'infini où les discussions sont souvent très échauffées et tout le monde parle en même temps. Si l'enseignant n'est pas prévenu et formé à ces discussions, il peut avoir l'impression que sur 26 élèves dans sa classe, il y a 26 opinions différentes.

Ainsi, pour me préparer à des négociations avec les élèves, j'avais essayé de faire une typologie des attitudes de ces derniers envers les mathématiques et l'infini ainsi que de trouver des questions qui pourraient servir de révélateur des symptômes les plus caractéristiques de ces attitudes. Cette typologie, je l'avais faite à partir des expériences

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(SIERPINSKA 1985, 1986, 1987) dans lesquelles mon rôle était celui d'un explorateur et d'un observateur. J'arrangeais des situations, je provoquais des discussions parmi les élèves, mais je ne prenais pas une part active comme telle. En décembre 1986, j'eus enfin le courage d'aller dans une classe et de confronter ma théorie à la pratique. L'occasion se présenta lorsqu'une enseignante fut obligée de quitter sa classe pour aller suivre un cours de programmation et que je fus appelée à la remplacer.

C'était une classe de 31 élèves de 16 ans orientée vers les mathématiques et la physique. La notion de limite n'avait pas encore été introduite; elle devait l'être au retour de l'enseignante.

Toutefois, les élèves avaient déjà entendu parler des suites géométriques infinies et la formule pour trouver la somme d'une suite géométrique convergente leur avait été démontrée.

C'est de mon travail avec cette classe que je voudrais parler maintenant. Vous verrez comment, parfois, j'interprétais mal les intentions des élèves et combien de bonnes occasions j'ai manqué. Ce n'est d'ailleurs qu~'après avoir écouté les enregistrements que je pus me rendre compte de tous ces lapsus. Je ferai mieux la prochaine fois. Si je me suis décidée à vous faire-part de tout cela, c'est dans l'espoir que vous pourrez tirer profit de mon expérience.

2- L’EXPÉRIENCE

1) Le choix des questions

Je présente ici une traduction des questions posées aux élèves ainsi que de ce qui a motivé ces questions.

Question 0

Calcule 0,2666... fois 2

On peut s'attendre à deux genres de réponses: 0,5333... et 0,5333.... 2, La confrontation de ces réponses peut mener à discuter de la signification des inscriptions « avec des points » des développements décimaux comme 0,2666...

Question 1

Les égalités suivantes sont-elles vraies?

a) 0,666... = 0,7 b) 0,222 ... = 0,3 c) 0,888... = 0,9 d) 0,999... = 1

L'idée de poser une telle question est née d'une expérience décrite dans (SIERPINSKA 1986, 1987). Un des garçons (Ralf, élève d'une classe de littérature) avait alors dit que si 0,999 était égal à 1, alors, selon le même principe, on aurait 0,222... = 0,3, 0,333 = 0,4, 0,444... = 0,5 etc. Un autre garçon, Jack, avait pris cela pour le début d'un raisonnement par réduction à l'absurde: Ainsi, 1 = 10 = 100 = etc.. ce qui est absurde, dit-il. Alors, 0,999 ≠ 1.

Deux mois plus tard, Robert, 15 ans (math.-phys.), m'avait dit que 0,666... est la même chose que 0,7, ce qui était plutôt alarmant. Il y avait aussi une autre attitude que j'espérais retrouver avec cette question, soit celle consistant à considérer ces cas comme des approximations et non des égalités. Une telle opinion pourrait être le point de départ d'un débat sur la qualité de ces approximations. Une telle' comparaison pourrait mener à la

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conclusion que d) est la meilleur approximation possible, puisque la différence entre 1 et 0,999... est moindre que tout autre nombre réel positif.

Question 2

Représente les nombres a) 0,777 ... b) 0,123123123 ... ; c) 0,010010001000010... par des fractions ordinaires. Où se trouvent ces nombres sur l'axe numérique?

Cette question a été posée dans le but d'engager une discussion sur l'inutilité de la classification des nombres d'après la longueur de leurs développements décimaux.

Les problèmes ci-dessus peuvent mener les élèves à se poser des questions sur la vérité des mathématiques en science et ailleurs comme cela s'est passé, en effet, dans le groupe ZIII - voir (SIERPINSKA 1986, 7). Les questions 3 et 4 donnent une autre chance de discuter de ces questions.

Question 3

Les propositions suivantes sont-elles vraies?

a) Si 0,222 = 0,3, alors 1 = 10 b) Si 0,999 = 1, alors 1 = 10 Question 4

Le raisonnement suivant est-il correct?

« Si un mois dure un an, alors le soleil ne se couche jamais »

Les deux questions suivantes ont été pensées pour permettre une négociation de la signification des termes nombre rationnel et nombre irrationnel2.

Question 5

a) Effectue sur ta calculatrice la séquence suivante: 16÷7=×7=___. Justifie le résultat.

b) Le nombre 10 est-il rationnel?

Si oui, quelle est la longueur de la période dans son développement décimal?

Question 6

Décris le graphique de la fonction: donnée par: pour x rationnel et pour x irrationnel.

[ ]

R

f : 0,1 → f(x)=1 0

) (x = f

Les questions de 7 à 10 concernent les séries infinies dont la plupart sont géométriques. Le but de ces questions était d'aider les élèves à expliciter leurs conceptions de limite. La question 7 peut mener à faire un lien entre les développements décimaux et les séries infinies. Les questions 8 et 9, qui concernent des surfaces visiblement bornées et composées d'un nombre infini de parties, peuvent révéler les attitudes finitistes et en discuter. La question 10 a été conçue dans le but de provoquer des discussions sur les classifications possibles des séries infinies.

2 Une traduction littérale du mot polonais pour « irrationnel » serait « immensurable »

(6)

Question 7

Le nombre 0,999... est une somme infinie: 0,9 + 0,09 + 0,009 + ... Cela peut s'écrire sous la forme: 9

(

101+102 +103 +...

)

, les termes 10 , étant les termes d'une suite géométrique infinie à quotient 10 .

...

10

10 2 3

1+ + +

1

La somme infinie: ...

32 1 16

1 8 1 4 1 2

1+ − + − +

1 termes d'une suite infinie géométrique à

quotient -1/2 définit-elle aussi un nombre? Si oui, quel est ce nombre?

Question 8

Quelle est la surface de la partie hachurée du carré ci-dessous?

Question 9

La forme F ci-dessous est composée d'un nombre infini de carrés. Le côté de tout carré suivant est 1/5 du côté du carré précédent. Le côté du premier carré est de longueur 1.

a) Où la droite L coupe-t-elle l'axe des x?

b) Trouve la surface de F.

Question 10

La somme infinie suivante détermine-t-elle un nombre? Si oui, quel est ce nombre?

a) 1 + 1 + 1 +… b) 1 -1 + 1 - 1 + …

c) 1 + 2 + 4 + 8 + 16 + … d) 1 - 2 + 4 - 8 + 16 - …

e) ...

16 1 8 1 4 1 2

1 + + + +

+

1 f) ...

5 1 4 1 3 1

2 + + +

1+ 1+

g) ...

27 1 9 1 3

1+ + +

+

1 h) 2+ 2+ 2+ 2+...

(7)

2) L'organisation des classes

Il y avait trois séances de 45 minutes. À la première, chaque élève a reçu une copie des questions ci-dessus. Les élèves étaient assis en cercle et pouvaient répondre aux questions individuellement ou après une discussion spontanée avec leurs camarades de classe. J'étais là prête à répondre à leurs questions et à discuter de leurs solutions.

La seconde séance était une confrontation générale des réponses aux trois premières questions avec la participation de toute la classe. Après la première séance, j'ai ramassé les solutions des élèves et j'ai divisé ces derniers en groupes. Je donnai à chaque groupe des solutions contenant les réponses aux mêmes questions et qui semblaient représenter des attitudes différentes.

À la troisième séance, on a demandé aux élèves de travailler en groupes ainsi constitués et de continuer de répondre aux questions ou de comparer les réponses et d'en discuter. Je me promenais d'un groupe à un autre en discutant avec les élèves des réponses possibles.

3) Dramatis personae

Pour décrire les réponses et les discussions, je vais introduire six personnages: Michel, Paul, Georges, Christophe, Robert (les élèves) et Tau (le maître). Les noms des élèves sont, en fait, des étiquettes de catégories de leurs diverses attitudes envers les mathématiques, l'infini ainsi que les suites et séries infinies. Chaque nom représente donc un sous ensemble des élèves:

Nombre des élèves représentés par

J'ai été incapable de classifier les 5 autres élèves.

En citant un élève, j'emploierai l'un de ces 5 noms au lieu du nom propre de l'élève. Seul dans le cas de Robert le nom du groupe est-il identique au nom propre de l'élève. En effet, Robert est un cas particulier, puisqu'il avait suivi des cours sur les développements décimaux et binaires semblables à ceux décrits dans (SIERPINSKA 1986, 1987) au printemps de 1986.

On distingue trois attitudes des élèves envers les mathématiques:

- l'attitude intuitive empiriste représentée dans l'histoire par Aristote («Métaphysique» livre NI);

- l'attitude discursive formaliste - l'attitude de Bertrand Russell envers ce qu'il appelait « mathématiques pures » (RUSSELL, 1949, lre édition en 1910);

- l'attitude discursive empiriste exprimée par Imre Lakatos dans (LAKATOS, 1978).

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Les attitudes de Michel et de Paul sont intuitives empiristes; celle de Georges, discursive formaliste et celles de Christophe et de Robert, discursives empiristes.

Michel et Christophe sont des finitistes inconscients (au moins au début des séances)- ils disent « infini » mais pensent « très grand ». C'est comme s'ils pensaient: certains ensembles sont si grands que le nombre de leur éléments ne peut pas être déterminé; alors on les appelle « infinis ». La différence entre leur conception consiste en ce que, pour Michel, l'infini implique illimité et Christophe admet l'existence des infinis limités. Cette différence implique aussi différentes intuitions de limite. Pour les deux, la limite devrait être la valeur du dernier terme de la suite; si la suite est infinie alors cette dernière n'est pas connue. Pour Michel, cette dernière valeur est soit plus infinie (un très grand nombre positif), soit moins infinie (un petit nombre négatif). Il n'en est pas ainsi pour Christophe qui est plus sensible aux changements dynamiques des valeurs des termes. La dernière valeur ne tend pas toujours vers l'infini, elle peut tendre vers un nombre connu.

Georges est un finitiste conscient: l'infini est une catégorie métaphysique difficile à saisir avec des définitions précises. Si on veut que les mathématiques soient une science exacte, on devrait éviter d'y parler de l'infini; il faut se borner aux nombres finis. En formulant des lois générales, on peut utiliser des lettres pour désigner des nombres corrects mais arbitraires. En décrivant le comportement des suites, la chose la plus importante est de caractériser le ne terme par sa formule générale. Pour un n donné on peut alors calculer sa valeur exacte ou donner une approximation de cette valeur.

Paul et Robert sont des « infinitistes cinétiques »: l'idée de l'infini est liée dans leur esprit avec l'idée du temps. Les objets mathématiques sont liés avec l'activité de leur construction.

Paul est « potentialiste »; afin de penser d'un tout, d'une suite ou d'une série, il faut parcourir dans la pensée tous les éléments de ce tout. Ainsi, il est impossible de penser un ensemble infini. La construction d'un ensemble infini ne peut jamais être achevée. L'infini n'existe que potentiellement. Robert est un « actualiste potentiel »: il est possible de faire un saut à l'infini dans la pensée- l'infini peut potentiellement être ultimement réalisé. Aussi bien pour Paul que pour Robert, la chose importante est de voir comment changent les valeurs des termes d'une suite, s'il y a une tendance à approcher une valeur fixe. Pour Paul, même si les termes d'une suite approchent de plus en plus une valeur de manière à en différencier aussi

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peu qu'on veut, ils ne l'atteindront jamais. Robert pense que théoriquement les termes vont l'atteindre dans l'infini.

Présentons, sous une forme concise, les attitudes représentées par les cinq personnages:

4) Échantillons de réponses, discussions et négociations de signification.

Question 0

Michel. Georges et Christophe: 0,5333 ... 2

Robert: 0,5333... Paul: 0,5333... ou 0,5333... 2

Michel: « Parce que, si j'ai une telle multiplication où il a des 6 à l'infini alors... eh bien, toujours un 6 multiplié par 2 va nous donner un deux à la fin. Alors il y aura un nombre infini de 3 qui dépend du nombre de 2 qu'il y aura »

Tau: « Penses-tu que ce 0,5333...2 a une fin? »

Michel: « Il n’y a pas de fin à cela, non plus... Mais un 2 va toujours finir ce nombre. Après une certaine quantité de 3.... ça va finir par un 2. Plus il y a de 6, plus il y a de 3 entre... » Tau: « Et s'il y a infiniment de 6~?

Michel: « Alors il y aura infiniment de 3 entre ce 5 et le 2 à la fin Tau. « Mais il n'y a pas de fin. Il n'y aura que des 3 »

Michel: « Précisément. Mais un 2 va toujours venir à la fin de ces 3 »

Tau: « Mais un nombre comme 0,5333 ... 2, même si le nombre de 3 est très grand, n'est qu'une grosse approximation du produit 2 fois ce nombre »

Michel: « Oui, mais si j'écris 0,5333... l'approximation sera encore pire! »

Tau: « Aha! Peut-être tu veux dire que si je multiplie 0,2666 ... 6 où il y a n chiffres après la virgule, par 2 et j'écris que cela est égal 0,5333... et que je pense qu'il y a là aussi n chiffres après la virgule, alors je fais une erreur de rang 10 » n

Michel: «Hmprhmmr... » Question 1

Michel, Paul, Georges, Christophe: toutes les égalités sont fausses. Robert: toutes les égalités, à part l'égalité d sont fausses (les preuves sont données).

Paul: « Bien sur, si on applique la règle de l'arrondissement, alors on peut présenter 0,666.... par exemple, en forme 0,7. Mais, en réalité le nombre 0,666... tend vers le nombre 0,7 sans jamais l'atteindre. C'est comme le désir de l'homme d'atteindre les étoiles qui ne se réalisera jamais »

Michel: « 0,666... ≠ 0,7..., 0,999... ≠ 1 comme 1 ≠ 2. Ces deux nombres ont des valeurs différentes »

Georges: « Les nombres à droite sont des arrondis des nombres à gauche. Si on écrit '≈' au lieu de '=', partout alors c'est O.K »

Christophe: « On pourrait dire que les nombres à gauche s'approchent de plus en plus des nombres, mais ils ne les atteindront jamais »

(10)

Tau: « Très bien, Georges, tu dis que tout ça, ce ne sont que des approximations. Mais ne penses-tu pas qu'elles ne sont pas toutes de la même qualité? Où se trouve ce nombre 0,666... sur l'axe numérique? Et où est 0,7? »

Georges: « C'est quelque part... infiniment près de 0,7. Mais ce n'est jamais égal »

Tau: « Je ne suis pas tellement sûre que ce soit si près, en vérité. Parce que, si ici, tu as 0,6 et là 0,7, alors 0,666... se trouve quelque part entre 0,66 et 0,67 et c'est plutôt loin de 0,7. Au moins 0,03 »

Georges: « C'est vrai, en fait. Mais on peut formellement admettre que 0,666... est, après l'arrondissement, approximativement égal 0,7. La règle de l'arrondissement dit que si le chiffre est plus grand que 5 alors... »

Tau: « Oui, mais l'exactitude d'une telle approximation n'est pas fantastique en comparaison, par exemple, avec l'approximation de 0,999... par 1 »

*

Robert: « On peut démontrer que 0,666... = 6/9 qui n'est pas égal à 7/10 ... et que 0,999... = 1 de manière suivante: soit x = 0,999... On multiplie les deux côtés par 10 et on obtient 10x = 9.999... Ensuite on soustrait une de ces équations de l'autre et on obtient 9x = 9. Alors x = 1. Alors la dernière égalité est vraie »

Michel: « Mais cette démonstration est fausse. Il me semble que si on multiplie 0,99 par 10, alors on obtient là, après la virgule, un 9 de moins, parce qu’on pousse la virgule une position à droite. Alors, si on avait par exemple ~0 et quatre 9, après la multiplication, il ne nous resterait que trois 9 après la virgule. Et alors le x ne serait plus égal à 1 mais à 1,000 etc. et un 9 à la fin même. Dans l'infini »

Robert: « Alors il reste infini moins un, haha! Voyons, le nombre des 9 ne change pas! Il y a un nombre infini de 9, tout simplement. On ne peut pas dire qu'il y a un 9 de moins à droite parce que, eh bien... il très difficile d'exprimer infini moins 1... L'infini est une notion très relative et ce n'est pas un nombre concret... Alors nous ne pouvons pas dire que nous aurons un 9 de moins, parce que nous aurons toujours un nombre infini de ces 9 »

*

Tau: « ... Alors 0,7 est une très grosse approximation de 0,666... Ces nombres diffèrent de 1/30. Peut-être pourrait on utiliser la même méthode pour trouver la différence entre 1 et 0,999 ... : 1 - 0,9 = 0,1, 1 - 0,99 = 0,01, ... 1 - 0,99999 = 0,00001 etc. Quelle sera la différence si le nombre de 9 est infini? »

Georges: « Ce sera 0,0, des 0 après cela et quelque part dans l'infini - 1 » Tau: « Alors dans l'infini il y aura toujours ce 1? »

Robert: « Cette différence se dirige vers 0 et dans l'infini elle sera pratiquement égale à 0. Il n’aura plus de ce 1 dans l'infini »

Christophe: « Mais l'infini est une chose telle que cette différence n'atteindra pas 0, plutôt »

(11)

Georges: « Cette différence sera presque égale à 0, parce que ce sera 1 divisé par l'infini.

Haha! Le plus petit nombre qu'il soit. Alors théoriquement, cette différence n'existe pas » Question 2

Michel : « Avec des calculs on obtient 0,777... = 7/9 et 0,123123123... = 123/999 mais, en réalité, les nombres à gauche ne sont que des approximations des nombres à droite. La même méthode ne peut pas être appliquée à l'exemple c. Tous les trois nombres sont irrationnels et il est impossible de dire où ils se trouvent sur l'axe numérique. On ne peut le faire que d'une manière approximative, par exemple, 0,6 < 7/9 < 0,7 »

Tau: « Il y avait plusieurs sortes de réponses:

1.

}

n n

n 10

...

... 777 777 ,

0 =

3 2

1 2.

...

1000 ...

... 777 777

, =

0 3.

9 ... 7 777 ,

0 =

Une voix: « C'est Robert qui a fait 3 alors ça doit être la bonne réponse »

Tau: «Mais les réponses 1 et 2 sont-elles complètement fausses? La solution 1, par exemple? »

Georges: « C'est ma réponse »

Tau: « Je pense que Georges n'a pas interprété le problème de la même façon que Robert.

Parce que, en effet, s'il y a n 7 dans l'inscription 0,777... alors c'est égal à

n n

10 ...

777678

En écrivant 0,777.... je pensais à un nombre infini de sets, mais il me semble que Georges est finitiste accompli et il a compris cela à sa propre manière. Il n'accepte pas l'infini et peut-être a-t-il raison parce que, a-t-on jamais rencontré l'infini dans la Nature? Qui est-ce qui croit à l'existence réelle de l'infini? »

Robert: « Ça existe! Si ça n'existait pas, alors il serait impossible d'expliquer tout l'Univers.

Et comme ça existe, on peut dire que l'Univers est infini et...»

Tau: « Très bien, tu dis que sans l'infini il serait impossible d'expliquer certains phénomènes de la Nature. »

Robert: « Oui »

Tau: « Mais peut-être que ces phénomènes sont finis... » Michel: « Ils ne peuvent pas l'être! »

Tau : « Et l'infini n'est qu'une de nos constructions intellectuelles qui nous permettent de les expliquer et de les comprendre. Mais peut-être que cela ne prouve pas encore l'existence de l'infini »

Michel: « Mais l'infini doit exister! Sinon, quoi? Il y aurait une fin de l'Univers! Mais il doit y avoir quelque chose au-delà encore. »

(12)

Georges: « Non, pourquoi? »3

Paul: « Oui, je crois que le Cosmos est un argument pour l'existence de l'infini » Tau: « Revenons à notre problème »

Georges: « J'aime mieux la seconde solution. C'est ce que je voulais dire, seulement j'ai utilisé les puissances n »

Tau: « Où n est arbitraire »

Georges: « Où n égale l'infini, haha! »

Tau : « Georges dit que les solutions 1 et 2 sont équivalentes. Alors ces petits points dans la solution 2 veulent dire: 'mets autant de 7 que tu veux'. Mais cette inscription n'implique pas qu'il faille mettre le même nombre de 7 dans le numérateur que de 0 dans le dénominateur.

Par contre, cela est assez clair dans la solution 1. Alors je pense que la solution 1 est mieux que la solution 2. »

Georges: « Mais s'il y avait un nombre infini de 7? Infini égale infi... » Tau: « Aha »

Georges; « Infini ne peut pas être plus petit que l'infini »

Tau: « Bien, Il y a un nombre infini de sets au numérateur: Et ici, il y a un nombre infini de 0: ∞ encore. =1

∞ »

Georges: « Mais... infini comme le nombre des chiffres et pas comme une valeur »

Tau: « Mais si tu mets un nombre infini de 7 ici, tu obtiens un nombre infiniment grand, n'est-ce pas? Le nombre au numérateur est infiniment grand, ainsi que le nombre au dénominateur »

Georges: « Oui, mais si n est le nombre des chiffres au dénominateur et p est le nombre des chiffres au numérateur alors si n = p, cela peut être égal à 1, mais il ne doit pas forcément en être ainsi. Tout ça, ce ne sont que des considérations théoriques...»

Tau: « Mais regarde, même si n = p, cette fraction n'est pas égale à 1 mais à 0,777... où le nombre des 7 est n. Et même si le numérateur et le dénominateur tendent à l'infini, la fraction entière ne doit pas tendre à 1. Si tu considères, par exemple, la suite n/n2: ... Alors, tu vois, comment des calculs formels comme cela peuvent mener à des absurdités. Et alors, une inscription comme 777 ... /1000... n'a pas de sens si on pense au nombre infini de 7 et de 0, et elle est mal déterminée si on pense au nombre fini de 7 et de 0; car il n'est pas clair si ces nombres sont égaux ou pas. Si on écrit quelque chose comme dans la solution 1 alors c'est un peu mieux, parce que nous pouvons la considérer comme une abréviation d'une suite des égalités 0,7 = 7/10, 0,77 = 77/100, etc. Seulement, cela ne nous dit rien de neuf et, en particulier, cela ne nous dit rien sur le nombre 0,777... où le nombre de 7 est infini »

3 Si Hilbert était parmi nous, il aurait probablement explicité la pensée de Georges de manière suivante: « Le fait qu'au delà d'un fragment de l'espace il y a encore de l'espace implique seulement la non-limitation de l'espace mais certainement pas son infinitude. La non-limitation et la finitude ne doivent pas s'exclure mutuellement. La recherche mathématique apporte, dans la soi-disant géométrie elliptique, un modèle naturel d'un monde infini » (Hilbert, 1926).

(13)

Question 5

Tous, sauf Robert, ont répondu que le nombre 10/7 est irrationnel, en justifiant leur réponse par l'argument du développement décimal infini. Michel a ajouté que, comme le nombre infini, il ne peut pas être mesuré.(l)

Question 7

Michel: « Cette suite ne détermine aucun nombre parce que c'est une suite infinie. On peut tout au plus dire que:

= +

− +

− +

− ...

32 1 16

1 8 1 4 1 2 1 1

⋅ +

⋅2 2 2 2 2 2 2

2 1 2 3 4 +225 226...=2

(

2122 +23 24 +25 26...

)

=

(

2 +2 +2 +...−2 −2 −2...

)

=2

[ ( ) (

+∞ − +∞

]

2 1 3 5 2 4 6

)

Tau: « Tu veux dire que tu as obtenu 0 comme résultat? »

Michel: « Non, je ne sais pas ce que j'obtiendrais ici. C'est deux fois plus infini moins plus infini, c'est tout »

Paul: « La suite détermine le nombre 2/3 »4; « Ces nombres déterminent une suite qui ne se termine jamais »

Georges: « ...

2 1 2

1 2 1 1 16...

1 8 1 4 1 2 1

3

2 − +

+

= +

− +

1 ; ( ) ( ) ...

2 1 2

1

2

1

+

n n n n

1 »

Ou : « La somme infinie ne détermine pas un nombre concret mais, par suite de corrections continues, elle s'approche de plus en plus de 0,65625, à peu près »

Christophe: (résumé) c'est une suite géométrique convergente parce que q = - ½ est entre -1 et 1. Alors on peut appliquer la formule pour la somme

3 2 2 3 1 2

1 1

1 =



 

= 



 

 

 

−

=

s .

Alors la suite ...

4 1 2 1+ −

1 tend vers à peu près 2/3.

Robert: « La somme infinie de termes de la suite donnée dans le problème se dirige vers 2/3 »

Robert est arrivé à cette conclusion par suite d'un raisonnement inductif basé sur

l'observation des approximations numériques des 19 premières sommes partielles. Il n'a pas appliqué la formule pour la somme des séries géométriques convergentes.

*

44 Résultat obtenu probablement par l'application de la formule

( q)

S a

= 1

1 pour la somme d'une suite géométrique introduite par le professeur de la classe quelques jours plus tôt. J'aurais dû demander à chaque élève comment il a compris la démonstration de la formule mais je ne l'avais pas fait. Je ne l'avais demandé qu'à Krzysztof (un des Christophes). C'est une des occasions manquées.

(14)

Conversation entre Christophe et Tau. Présents aussi: Michel et Georges.

Tau: « Alors, vous avez l'impression d'avoir fini? »

Christophe: « Oui, ... mais je ne suis pas sur si la série est convergente dans le cas de ce carré... »

Tau: « Si cette série est convergente? Pourquoi? »

Christophe: « Je veux dire, il y a ... Comment ça allait... La prof' a dit qu'il faut que ça tende vers quelque... Aha! C'est convergent, oui! Parce que cette valeur absolue est moindre que 1! »

Tau: « Mais tu as écrit... »

Christophe: « Oui, cette formule était justifiée en disant que... tsss... qu'on peut omettre...

Elle a été déduite de la formule pour la suite géométrique finie » Tau: « Pour la somme partielle, oui? »

Christophe: « Oui. Et si, en plus, la suite est convergente, ça tend vers un nombre et on peut omettre... e... e... C'était... »

Tau: « q à la puissance n. n'est-ce pas? »

Christophe: « Oui, cela peut être omis, alors. Et, simplement, e... e... »

Tau: « Mais pourquoi cela peut être omis, alors. Est-il possible d'omettre les choses comme ça dans les expressions? »

Christophe: « Je veux dire, oui, c'était possible dans ce cas là parce que ce n'était plus essentiel... C'était petit, en quelque sorte... c'était une toute petite valeur à ce moment-là... » Tau: « Mais cette valeur, était-elle toujours aussi petite?... Tu as un moins... »

Christophe: « Oui, c'était très petit dans ce cas, si petit, qu'il me semble que... » Tau: « Cela devient de plus en plus petit... »

Christophe: « Mais si petit que... on peut... »

Tau: « Je parle avec toi de tout cela parce que je ne pouvais pas comprendre pourquoi tu as écrit que cette suite tend vers à peu près 2/3 et non que cette suite tend vers 2/3. Tu avais calculé 2/3 avec la formule S = a1 / (1 - q) et je me demande que veut dire, au fait, ce S pour toi? »

Christophe: « J'avais mis cet 'à peu près' parce que, dans mon opinion, cette suite n'atteindra jamais ce nombre... Ce sera toujours quelque part à proximité de ... ça va s'approcher... » Tau: « Mais est-ce qu'il y a quelque chose qui bouge ici? Qu'est-ce qui doit s'approcher?

Qu'est-ce que cela veut dire « s'approcher »? Par exemple ici, dans la question 3, tu as une figure géométrique finie... »

Christophe: « Je veux dire, simplement, que si cela diminue et diminue continuellement par moitié alors dans l'infini... cela va finalement l'atteindre »

Tau: « Qu'est-ce qui va se passer dans l'infini? »

(15)

Christophe : « Ça va l'atteindre, ça va l'atteindre, mais seulement dans l'infini, et l'infini ...

tsss ... l'infini est une telle sorte de chose que cela ne va jamais l'atteindre... Cela va seulement s'approcher... »

Tau: « Mais que signifie cette formule pour S, au fait? »

Christophe: «Elle montre où cela tend... La somme vers laquelle... »

Tau: « Tu veux dire que tu calcules quelques approximations de cette somme ... ? » Christophe: « Oui... »

Tau: « Mais ne serait-il pas possible de dire au moins que 2/3 est la meilleure approximation de cette somme? »

Christophe: « Oui, c'est la meilleure approximation »

Tau: « La meilleure. Pas un seul petit bout de moins, pas un seul petit de plus, c'est ça? » Christophe: « Mais, en fait, ce n'est pas... Peut-être on pourrait le dire ainsi : le nombre 2/3 on ne l'atteindra que dans l'infini... Et alors on ne l'atteindra jamais... On ne peut que s'approcher près de ce nombre »

Tau: « Mais es-tu sûr qu'on n'approche pas de quelque chose de moins que 2/3? »

Christophe: « 2/3 est la meilleure... Je veux dire c'est ce que cela devrait être... Je veux dire, c'est une certaine valeur théorique, mais si nous commençons à calculer, comme ça, tout simplement, vous savez, alors, on ne l'atteindra jamais »

Tau: « Bien sûr, si tu penses à vraiment calculer toutes les sommes partielles tu n'atteindras jamais 2/3, mais peut-être que nous ne parlons pas de vraiment les calculer toutes; peut-être nous pouvons faire un saut, dans la pensée, à l'infini... »

Slawek (aussi un Christophe) : « L'infini est, pour ainsi dire, une limite conventionnelle... » Christophe (d'un ton indigné) : « L'infini n'est pas une limite du tout; on ne devrait pas considérer l'infini comme une limite parce que cela ne peut pas... »

Tau: « On peut toujours faire un pas de plus? » Christophe: « On peut toujours aller plus loin » Question 8

Michel: « La surface de cette figure est un nombre irrationnel (littéralement: immensurable) et ne peut pas être représentée par un nombre »

Christophe: « Elle peut être représentée approximativement seulement »

Michel: « Parce qu'on ne peut pas calculer de quelle longueur sera5 ceci [le segment inférieur]. Ce segment n'atteindra pas la fin, la... Si ce segment est de longueur 1, alors cela [le segment inférieur de la figure] est... Ça n'atteindra jamais ce un… on ne peut pas du tout calculer quelle fraction de l'unité ça fait. Alors de cette façon, on ne peut pas calculer »

5 4. La manière polonaise d'employer le futur en parlant des égalités (un enfant polonais ne dira pas:

« l plus 1 est égal à 2 », mais plutôt: « 1 plus 1 sera égal à 2 ») est un terrain parfait pour cultiver des 'potentialistes cinétiques'. Même pour Robert, la surface n'est pas 2/3. Elle sera 2/3, au futur.

Seulement, pour lui, ce futur est (théoriquement, du moins) atteignable.

(16)

Christophe: « Oui, il a raison... Ce sera une approximation de 2/3 et cela s'approchera de plus en plus... Mais cela ne dépassera jamais 2/3... Oui! On peut le dire comme ça ! Cela va s'approcher de plus en plus tout le temps mais ne dépassera jamais 2 / 3! »

Tau: « Regarde, Michel, on parle de la surface de la figure hachurée et non pas de la longueur de son côté inférieur »

Michel: « Ça ne fait aucune différence, parce qu'on ne peut pas calculer la petite surface...

parce que, d'abord, la plus petite surface n'existe pas »

Tau: « Bien, supposons qu'on ne peut pas calculer la valeur exacte de la surface, mais peut- être qu'on peut au moins l'estimer, donner une approximation? »

Christophe: « Alors, l'approximation la plus proche... le résultat... sera 2/3 »

Michel: « Mais moi, dans chaque problème, j'essaie de donner la valeur et non pas une approximation »

Tau: « Tu veux dire que cela n'a pas de valeur? »

Michel: « Non. Ça n'a pas de valeur. Et alors il est impossible de donner la surface de cette figure »

Question 9

Michel: « Ici, j'ai ce côté qui est donné, ici il y a cette ligne droite l et l'angle... Alors avec la cotangente on pourrait calculer ce segment »

Tau: « Oui, c'est possible. Mais on peut aussi le faire en calculant les sommes de ces nombres et en regardant à quoi elles tendent »

Michel: « Oui, mais il y a un nombre infini... On ne sait pas combien de tels carrés il y avait.

Et maintenant, si je calcule la longueur de ce segment, je pourrai calculer le nombre des carrés et ce ne sera pas un nombre infini! »

Tau: « Oh, oui, il y aura toujours un nombre infini de carrés. Le segment est fini, mais le nombre des carrés qui y sont construits est infini: on peut toujours diviser un segment, aussi petit qu'il soit, en cinq parties »

Michel: « Je sais que ce nombre sera très grand mais le segment devient de plus en plus petit. Et alors, on s'approchera de plus en plus de ce point d'intersection 1 . Alors, je l'atteindrai finalement, avant déjà déterminé la longueur de ce côté. Alors pourquoi il est dit ici que le nombre des carrés est infini? Supposons, par exemple, que j'obtiens ici que la longueur de ce segment est 2,5 cm. Alors, je peux calculer qu'un cinquième de tout ça est 5 mm. Et alors, un cinquième de ça est 1 mm. Et comme ça, petit à petit.. j'arriverai finalement là-bas. »

Ox

Tau: « Aucun nombre fini de pas ne terminera pas exactement au point d'intersection. Il restera toujours quelque chose. Regarde, si tu prends 1/5 d'un segment quelconque, qu'il soit un millionième de millimètre, jamais les 4/5 qui restent ne seront réduits à zéro. »

Michel: « Je vois... Cela veut dire que si ici, il y a cette droite et ici se trouve ce carré... un de ceux qui sont plus loin... alors... Vous voulez dire qu'un petit carré de plus peut toujours être construit? »

(17)

Tau: « Oui »

Michel: « Alors ça n'atteindra jamais ce point final »

Tau: « Jamais dans un nombre fini de pas. Exactement. Mais, néanmoins, la somme de tous ces petits segments n'est pas infinie, ils s'additionnent à... 5/4, n'est-ce pas, Christophe? » Christophe: « Quoi ... ? Oui, 5/4 »

Michel: « Mais est-il aussi possible de calculer cela avec la cotangente? » Tau: « Oui. Et tu obtiendras aussi 5/4 »

Michel : « Comment??? » Tau: «Oui»

Michel: « Hmrmhhrrr???»

Christophe: « C'est exactement la même chose » Question 10

Michel:

∞ +

= + + +1 1 ...

1

∞ +

= + + +

+2 4 8 ...

1

∞ +

= + + +

+ ...

8 1 4 1 2 1 1

∞ +

= + + +

+ ...

27 1 9 1 3 1 1

( ) (

+∞ − −∞

= +

− +

−1 1 1 ...

1

)

) ( ) (

+∞ − −∞

= +

− +

−2 4 8 ...

1

∞ +

= + + + +

+ ...

5 1 4 1 3 1 2 1 1

∞ +

= + + + +

+ 2 2 2 2 ...

2

« En a, b, c, e, g, f, le résultat est le même. Il n'y a aucune différence entre ces exemples.

Tout le temps une valeur positive est ajoutée, alors ça va s'accroître sans cesse... En b et d j'ai mis : une partie va tendre à plus infini et l'autre sera soustraite à moins infini, parce que, vraiment, 1 + 4 + tac tac tac il y en a plus infini de ça, et moins 2 + 8 et ttt... c'est moins infini. d est pareil à b. Et ce n'est pas zéro. Je ne sais pas combien, c'est parce que... C'est tout simplement plus infini moins moins infini »

( ) (

+∞ − −∞

)

Secondes réponses après discussion: a et c: + ∞ ; b: le résultat peut prendre des valeurs 0 et + 1, mais comme c'est une opération infinie, il n'y aura pas de solution; d : aucun nombre ne peut en être la solution: les valeurs de la solution sont alternativement dans plus infini ou dans le moins infini, mais elles n'atteindront jamais une solution finale; e: n'a pas de valeur, tend vers 2; f: il n'y a pas de nombre que cette suite ne dépasserait pas; g: n'a pas de valeur, tend vers 1,25; h: n'a pas de valeur, tend vers 2.

(18)

Georges: a: « 1 ; tout nombre naturel peut être le résultat ici; b : 0 ou 1 selon le nombre des termes; c : le résultat est un nombre pair plus 1; d: alternativement, des nombres positifs et négatifs; e: la somme tend vers 2; f: la somme tend vers 2,333 ... ; h: tend vers 2 »

n

n

= + + +4748 61 1 ...

Christophe: dans la première réponse écrite, des « non » de a à h (c'est-à-dire aucune des séries ne détermine pas un nombre).

Discussion sur f:

Christophe : « J'ai quelques doutes à propos de f. Cela ne dépassera certainement pas 2...

Mais peut-être un nombre plus petit fera l'affaire? Je ne sais pas »

Tau: « Il me semble que cela va dépasser le nombre 2 bien vite. Voyons.

3 1 2 1+

1 n'est pas encore 2 mais si tu ajoutes 1/4 à cela... »

(Silence)

Christophe: « Cela va dépasser n'importe quel nombre » Tau: « Ça tend à l'infini, très lentement »

Christophe: « De plus en plus lentement »

Michel: « Alors, cela veut dire qu'il n'y a pas de nombre que cette suite ne dépasserait pas? » Tau: « Non, il n'y a en pas »

Secondes réponses : a: on peut dire que ça tend à l'infini; b: c'est impossible à calculer, c'est une suite constante, on obtient 0 et 1 tout le temps; c: la même chose que a; d: c'est une suite divergente et elle tend à l'infini dans un sens, tout comme dans b on pouvait dire que cela prenait deux valeurs: 0 et 1, ici, on peut dire que cela prend des valeurs + ∞ et − ∞ ; e et g sont des séries convergentes parce que q est moindre que 1; h: tend vers 2, on a vu ça sur la calculatrice.

Robert n'a pas répondu à la question 10, il était occupé à expliquer les questions 7-9 à un groupe de ses collègues. Mais j'avais eu l'occasion de parler avec lui sur des séries infinies dans mes expériences précédentes. Je cite, dans la suite, un fragment de notre discussion en avril 1986.

La réponse de Robert à la question suivante: « La somme infinie 1 - 1 + 1 - ~I... est-elle ultimement égale à 1 ou à 0 ? Ou à quelque chose d'autre ? » était: « une somme n'existe pas dans le cas d'un nombre infini de termes parce qu'il n'y a pas de place où mettre le signe d'égalité. Ce n'est ni 1 ni 0 »

Après, j'ai présenté à Robert des exemples de séries géométriques convergentes et toutes sortes de séries divergentes, une collection un peu semblable à celle de la question 10 ici.

Une des séries tendait vers 10/9.

Robert: « Cela tend vers 10/9 jusqu'à lui devenir égal dans l'infini. Du moins, c'est ce que dit notre prof. de maths. On peut accepter cela. C'est une des théories de l'infini »

Tau: « Mais est-ce aussi ton opinion ? Es-tu convaincu de cela ? Ou n'est-ce qu'une opinion de ton prof. ? »

(19)

Robert : « Moi? Je n'ai pas d'opinion là-dessus. L'infini est une telle notion qu'il est difficile de parler d'elle sans ambiguïté. C'est comme avec ce 0 et 1. Cela ne donnera ni 0 ni 1. La même chose ici: ça atteindra ou n'atteindra pas ce nombre 10/9 »

Tau: « Tu veux dire tu ne crois pas que cela va finalement atteindre ou ... ? »

Robert: « Eh bien… théoriquement et logiquement pensant… ça doit revenir égal dans l'infini puisque plus on est loin plus on est près et l'infini est le nombre le plus grand... Non ce n'est pas un nombre mais un concept... alors ça doit être quelque... Logiquement pensant, ça doit devenir égal mais ... »

« ... Logiquement pensant, ça doit devenir égal, mais ... »

Quelques remarques finales

1. Je ne vous ai présenté qu'un début de travail avec les élèves. Des questions se posent pour une recherche future: quel est l'état des personnages après ces trois premières séances? Ont-ils changé de nom? Quels obstacles restent à surmonter? Quelles sont les problèmes et les activités qui pourraient être proposés par la suite?

2. La recherche montre qu'il y a beaucoup de différentes significations subjectives du mot « infini ». Certains d'entre eux (Michel, Christophe) ne vont pas accepter la conception de la limite comme « une valeur exacte ». Pourtant, c'est ce que proposent certains auteurs, comme, par exemple (R.B. DAVIS et S. VINNER, 1986).

3. Dans ce même article, les auteurs prétendent que si un élève dit que la suite ne doit pas atteindre sa limite, alors il ne va pas accepter qu'une suite constante ait une limite. Mon expérience ne me permet pas de faire une telle déduction. Qu'une suite comme 1, 1, 1,... ait une limite ou pas est l'affaire d'une définition et non pas d'une intuition.

4. Le programme de recherche lié aux obstacles épistémologiques admet que le savoir des élèves soit respecté et traité sérieusement par l'enseignant. Il s'abstient de qualifier les conceptions des élèves de bonnes ou mauvaises. Le terme anglais

« misconception », par exemple, y serait mal placé.

(20)

RÉFÉRENCES

BACHELARD, G. La formation de l'esprit scientifique, Paris, Vrin, 1938.

ARISTOTE « Sur l'nfini », dans Philosophy of Mathematics, an Anthology of Classical Texts, R. Murawski, ed., Scientific Publications of the University of Poznan (en polonais), 1986.

CWIK, M. « Le formalisme dégénéré dans les processus mentaux de quelques élèves de niveau secondaire », dans Dydaktyka Matematyki, Vol. 3, 45-84 (en polonais, un résumé anglais), 1984.

DAVIS. R. B. & VINNER, S. « The Notion of Limit: Some Seeminglv "inavoidable Misconception Stages », dans Journal of Mathematical Behavior, pp. 281-303, 1986.

GADAMER, H. G. « Die Universalitàt des hermeneutischen Problemes » dans Kleine Schriften I, Gadamer, Tübingen, 1976.

HILBERT, D. « Uber das Unendlische », dans Mathematische Annalen 95, pp. 161-190, 1976.

LAKATOS, I. « A Renaissance of Empiricism in the Recent Philosophy of Mathematics », dans Mathematics, Science and Epistemology, I. LAKATOS, Cambridge University Press, 1978.

RUSSELL, B. « Mathematics and Metaphysicians », dans Mysticism and Logic and Other Essays, G. Allen et Unwin, London, 1949.

SIERPINSKA, A. « Obstacles épistémologiques relatifs à la notion de limite », dans Recherches en Didactique des Mathématiques, Vol. 6, no. 1, 5-67, 1985.

SIERPINSKA, A. « La notion d'obstacle épistémologique dans l'enseignement des mathématiques », dans Actes de la 37e rencontre CIEAEM, Leiden, 1985.

SIERPINSKA, A. « Trying to Overcome Epistemological Obstacles Relative to Limits in 17-Year Old Humanities Students », dans Proceedings of the 38th CIEAEM Meeting, Southampton, 1986.

SIERPINSKA, A. « Humanities Students and Epistemological Obstacles Relative to Limits », à paraître dans Educational Studies in Mathematics, 1987.

Références

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