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Academic year: 2022

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UE 6.1 TEXTE A METTRE EN PAGE

1. La toilette:un acte fondateur de la signification du soin

Pourquoi utiliser la toilette1 comme support d’analyse dans ce travail de recherche? Pourquoi prendre appui sur un soin qui peut paraître simple voire simpliste? Sans doute parce que la toilette est un symbole particulièrement fort dans le domaine du soin, dans la représentation de l’acte premier, l’acte fondateur, l’acte initiatique pour tout soignant. De nombreux étudiants infirmiers se souviennent de la première toilette qu’ils ont réalisée auprès d’un patient, souvent lors de leur premier stage de formation. L’analyse compréhensive que nous souhaitons effectuer s’enrichit d’une approche de nature sémiologique pour éclairer les significations produites et exprimées dans l’activité soignante. Si le mot toilette est un abus de langage, il n’en reste pas moins une métaphore d’un champ d’activité central dans la pratique infirmière. De nombreux récits de situation, que nous analyserons plus loin, relatent ce soin de confort et de bien-être en questionnant particulièrement ce qui est induit en matière de communication entre soignant et soigné plutôt qu’en termes de technique gestuelle.

1.1. La toilette : un espace et un temps de significations

Dans le langage courant, il n’est pas rare d’entendre l’expression « la toilette est au cœur du métier de l’infirmier ».

Et pourtant rien n’en est dit dans le programme officiel des études d’infirmiers, ni dans l’article R.4311-5 qui dénombre les actes de l’infirmier dans le cadre de son rôle propre. Les « soins de confort et de bien-être » évoquent la dignité, la pudeur, l’intimité, les besoins fondamentaux, l’hygiène, le confort, le bien-être... mais rien sur la toilette.

Par ailleurs, cet article 5 mentionne « des soins et procédés visant à assurer l’hygiène de la personne et de son environnement » mais là encore, le mot toilette n’est pas utilisé. Est-ce donc le fruit d’une tradition orale, d’un besoin de simplification qui a conduit à cet acte à devenir l’un des emblèmes du soin? Mais toiletter n’est pas soigner, la toilette est un terme générique dont la réalité n’est pas univoque. Elle relève d’une multitude d’expériences entropiques dont chacune porte un sens particulier. Deux niveaux d’analyse peuvent être pris en compte ici :

En premier lieu, celui inhérent au destinataire de l’acte de soin : la toilette du nourrisson est bien différente de celle de la personne âgée, la toilette de l’adulte l’est tout autant de celle de l’adolescent. Il serait possible de multiplier les exemples démontrant que le terme toilette ne relève pas d’un concept générique et universel mais bien d’une somme de singularités (âge, genre, habitudes, cultures...). Cette spécificité du soin toilette est l’un des éléments que doit prendre en compte le formateur d’IFSI pour une séquence pédagogique d’apprentissage des soins de confort et de bien-être et en particulier de la toilette. Lors de mises en situations simulées (la nouvelle appellation des travaux pratiques), comment reproduire un tant soit peu cette richesse des situations, toutes singulières? Comment la traduire en mots, la verbaliser, sans pour autant apparaître dogmatique, protocolaire ou encore réducteur?

Un second niveau d’analyse peut-être convoqué pour aborder la communication établie dans une interrelation entre celui qui lave et celui qui est lavé. Elle prend forme par le biais de gestes maintes fois renouvelés, répétés et déroulés. Peut-on dès lors, évoquer un seul type de pratique révélant une forme de relation normée, maîtrisée et par conséquence banalisée et convenue? Il n’en est rien, le geste appartient au champ du sensible, il rend

intelligible le caché et l’induit. Le protocole montre au patient tous les savoirs organisés, qu’ils soient théoriques ou pratiques. Le bénéficiaire du soin se voit ainsi signifier que l’acteur réalise la tâche avec méthode, en suivant les règles du métier. Le protocole indique au patient l’étendue de la compétence professionnelle, transférée pour chacune des situations, toutes inédites. Le soignant n’applique donc pas son protocole stricto sensu mais l’adapte au besoin de son patient. Finalement, Virginia Henderson n’est jamais très loin lorsque l’on cherche à analyser ses pratiques !2

1.2. La toilette : une expérience du sensible

Au-delà de toute tentative de définition, la toilette est sans doute devenue une catachrèse du soin. Elle est, en réalité, une expérience sensible multiforme qui donne à voir du sens : « déchiffrer les signes du monde, cela veut toujours dire lutter avec une certaine innocence des objets, des croyances, des pratiques, fussent-elles les plus insignifiantes en apparence »3. La toilette est l’une de ces pratiques dont l’existence semble si banale et si évidente qu’elle se révèle riche de significations dans le quotidien professionnel du soignant. Sur ce point nous pouvons citer De Certeau qui reconnaît aux gens ordinaires une « créativité cachée dans un enchevêtrement de ruses silencieuses et subtiles, efficaces, par lesquelles chacun s’invente une « manière propre « de cheminer à

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travers la forêt des produits imposés »4. Cette « invention du quotidien » participe à la production d’une culture (Giard, 1990)5.

Dans ce contexte, nous analysons l’acte de soin « toilette » à partir de trois dimensions de la communication6.

- La sensation

Premier pôle de l’articulation trinitaire, c’est aussi le plus prégnant dans une approche du sens. L’Eros entre en jeu dans une confrontation des corps, des touchers, des sensations. La toilette permet cette relation intime que Edward T. Hall mettait au même rang que l’acte sexuel ou le combat. Découvrir l’Autre par la géographie de son corps c’est ressentir l’Autre au travers de sa propre peau. Le re-sentir fait naître les images d’une mémoire olfactive que de nombreux soignants n’oublieront jamais : odeurs acres et amères, odeur « pomme de reinette » de l’haleine acétonique, odeur de vie du nourrisson, odeur de mort, odeur de selles ...

«Faire » une toilette c’est choisir de rester du côté de la création, de la vie, de l’espoir. On lave pour l’Autre, pour qu’il sente bon, pour qu’il soit prêt à la relation aux autres. On frotte, on trempe, on mouille, on sèche, on rase, on crème... On soigne l’autre corps avec son propre corps. Le soignant engage un toucher qui prend une dimension corporalisée, incarnée. C’est toute la problématique du toucher brut, sans instrument et sans médiation. Au-delà des justifications hygiénistes, en tant que soignant, quel rapport peut-on entretenir dans ce corps à corps, ce peau à peau? Comment accompagner l’Autre dans le contact et le toucher? La réponse est sans doute dans la

proposition d’un soin bénéficiant d’une «profondeur relationnelle»: « En favorisant chez son patient un meilleur éprouvé de son corps, le soignant développe en retour sa propre compétence sensible, dans l’écoute et

l’ajustement aux besoins de l’autre. Il affine sa présence à lui-même comme base d’un accompagnement attentif et d’un contact confirmant. »7.

Cette compétence sensible peut s’exprimer par une délicatesse, lorsque la toilette se fait intime. La sensualité s’invite dans la relation. La toilette devient petite toilette, réveillant une génitalité nourrie des fantasmes du corps.

Par l’appellation petite, la médiation du verbal tente d’atténuer la violence du geste. L’Autre vient pénétrer une intimité, acte que le protocole vient expliquer, rationnaliser, excuser dans l’ordre du bien fait, à l’inverse du geste qui se fait violence, mal-traitance pour une procédure dans l’ordre du mal fait.

- La sensibilité

Prendre soin du corps de l’Autre pour un soin d’hygiène n’est pas un acte neutre. Il engage l’acteur dans une projection des sens identifiée à sa propre sensibilité. Le rapport physique à l’Autre engage dans un espace proxémique sans barrière. Les limites sont celles du corps. Comme nous le livre la mathématique, la limite entre deux points est la position la plus proche sans que ces points ne se touchent. Ne pas être touché par l’acte du soin d’hygiène alors que les corps sont aux limites demande un effort au soignant, celui d’être dans la vérité de son rapport à sa propre sensibilité. Impossible d’être autonome en étant soignant, la toilette nous rend hétéronome.

Le respect de l’Autre vient supplanter la banalisation d’un « j’ai l’habitude ». Le voile de la professionnalisation ne peut refouler perpétuellement les conséquences d’une intrusion au cœur de l’intimité de l’Autre. Le respect reste au centre d’une préoccupation « personnaliste » que réactualise la société contemporaine des egos : « Cette transcendance greffée au plus intime de la personne conjugue enfin la tendance à l'autonomie et la tendance à l'hétéronomie dans une lutte créatrice. »8. Au moment de la toilette, le soignant ne dévoile qu’une partie du corps qu’il va laver, comme pour mieux permettre à l’Autre l’acceptation d’un autre dévoilement. Le confort et le bien- être sont pour le patient un incontournable. La toilette l’est tout autant et demeure dans l’imaginaire du soignant et du soigné un temps qui privilégie la dimension du plaisir. Si le corps est sensible, dans le sens d’une sensibilité à fleur de peau il est également le lieu du sensible dans les signes qu’il organise : « Le plaisir doit participer du sens, les sens doivent réenchanter les signes et les significations. »9.

- Le sens

Y a-t-il soin plus courant et d’apparence plus simple que la toilette? Dans le même temps, y a-t-il un lieu plus symbolique et plus complexe que celle du corps de l’Autre? Autant le geste est naturel et attendu pour les premiers temps de la vie, autant il signe la dépendance lorsqu’il est imposé par la nécessité du soin. Se laisser laver par l’Autre, cet inconnu, demande un lâcher-prise qui dépasse la simple explication cognitive et encore plus la justification rationaliste. La toilette est un geste soignant qui oblige le patient au dévoilement et à la nudité du corps et de l’esprit. C’est l’entrechoquement des sens et des symboles : ceux du professionnel pour qui l’efficience est en marche et ceux du patient qui se met à nu face à un autre qu’il ne connaît pas. C’est bien un temps où le regard porté oscille entre respect et banalisation. « Ne vous inquiétez pas j’ai l’habitude » dira le soignant. « J’ai peur parce que je n’ai pas l’habitude» pensera le patient. Au visage du soignant d’exprimer cette empathie tant attendue. Au-delà des modes vestimentaires, des tenues professionnelles et de sa fonction soignante, son visage, et plus globalement son paralangage, restera la porte d’entrée vers ce que le soignant est vraiment. Comme le

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décrit Emmanuel Levinas, «le visage est signification, et signification sans contexte. Je veux dire qu’autrui dans la rectitude de son visage n’est pas un personnage dans un contexte. »10 Le moi-soignant se crée au travers des actes de soin. Il mûrit des interactions avec autrui et enrichit l’idéal que le soignant s’était construit, comme l’évoque Erving GOFFMAN : « La nature la plus profonde de l’individu est à fleur de peau : la peau des autres. »11.

Le symbole s’impose dans une société où le corps est magnifié, symbole de pouvoir sur le temps, symbole de richesse par les parures et les « toilettes ». L’esthétique est à l’articulation des sensations et des sensibilités.

L’esthésie mesurera l’écart entre le sens et la sensation. L’éthique construira son propre espace entre le sens et la sensibilité. Autant de perspectives à intégrer dans la professionnalisation des soignants…

1.3. La toilette : un certain type d’ordre social

Expérience de communication à part entière, la toilette permet « d’explorer la gestualité, l’expression des émotions, la gestion des silences... »12. La relation de soin qui s’établit est nourrie de signes et de messages pluriels de la part de chacun des acteurs. Elle n’est pas un acte simple sans fondement et sans attendu mais bien une relation interactive dont les protagonistes sont des participants actifs : « L’idée de base est qu’une interaction entre deux personnes n’est jamais seulement une interaction, c'est-à-dire une simple séquence

d’actions/réactions limitée dans le temps et dans l’espace; c’est toujours aussi un « certain type d’ordre social ” »13.

A la fois ordre interactionnel et ordre social, la toilette s’enrichit du concept goffmannien du maintien de la face particulièrement présent dans un univers médicalisé qui peut conduire à en oublier ce que Goffman appelle le bien le plus précieux : la face sociale d’une personne. La nécessaire vulnérabilité de la position du malade le rend fragile et les soignants peuvent prioriser l’acte à l’interaction. La parole est présente, le langage est médiation mais

« qu’un individu le veuille ou non, estime Goffman, son corps, en présence d’autrui, ne peut pas ne pas

communiquer »14. La toilette pose la question des moyens utilisés pour atteindre les objectifs du soin. Si elle reste une activité quotidienne et banale pour tout un chacun, le milieu de la santé norme les gestes, protocolise les attitudes, encadre les postures. La toilette n’appartient plus au soigné, c’est au soignant de décider des moyens à utiliser et les techniques les plus adaptées à ses besoins. Se pose alors une question de priorité pour les

professionnels de la santé : s’agit-il d’abord de répondre aux exigences hygiénistes des institutions ou d’obtenir la satisfaction des désirs individuels de l’usager à travers le service rendu?

1 Le mot « toilette » désignait : « un morceau de toile servant à envelopper des vêtements, tellettes a envelopper » (orthographe originale), 1352 dans les Comptes d'Etienne de la Fontaine, argentier du roi Jean.

Source : Centre National de Ressources Textuelles et Langagière (CNRTL).

La toilette est considérée comme le soin de base de la fonction infirmière et enseignée en ce sens au sein des IFSI.

Dans l’activité en service de soins la toilette des patients peut-être confiée au personnel aide-soignant dans un travail collaboratif. Il en est de même lors des soins à domicile où l’augmentation de l’activité ne permet plus aux infirmiers libéraux de faire de la toilette leur activité principale. Dans la littérature professionnelle, le mot toilette peut être remplacé par nursing, en particulier dans l’expression soins de nursing; il n’est pas présent dans le référentiel de formation infirmier.

2 Le modèle de soins proposé par Virginia Henderson est abordé dans la partie I du présent livre, sous-chapitre 1.1.4. : « Les théories ou modèles de soins ».

3 GAILLARD, Françoise. Roland Barthes : les mots, les choses. Rue Descartes, avril 2001, n° 34, p.24.

4 DE CERTEAU, Michel. L’invention du quotidien. Paris Gallimard, 1990, page de garde.

5 Luce Giard cité par PROULX, Serge. Une lecture de l’œuvre de Michel de Certeau : l’invention du quotidien, paradigme de l’activité des usagers. In : Communication, vol. 15, n°2. Montréal : Editions St-Martin, 1994, p. 173.

6 Nous utiliserons la grille de lecture « la trinité de l’expérience du sensible » : BOUTAUD, Jean-Jacques. Du sens, des sens. Sémiotique, marketing et communication en terrain sensible. Semen, Sémiotique et communication.

Etat des lieux et perspectives d’un dialogue, 2007, n°23, <http://semen.revue.org/document5011.html> (consulté le 14/02/2014).

7 VINIT Florence, BOURDAGES Louis. Du toucher à la qualité de contact. In: CHAMPAGNE, Manon, MONGEAU, Suzanne, LUSSIER, Lyse. Le soutien aux familles d’enfants gravement malades. 2014, Québec : Presses de l’Université du Québec, p 129

8 MOUNIER, Emmanuel. Traité du caractère. Editions du Seuil, 1946, p684.

9 BOUTAUD, Jean-Jacques. Op cit.

10 LEVINAS, Emmanuel. Ethique et infini. Paris: Fayard, 1982, p.91

11 GOFFMAN, Erving. Les relations en public. 1973, Paris : Editions de Minuit, p. 338

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12 Erving Goffman cité par WINKIN, Yves. Anthropologie de la communication. De la théorie au terrain. Paris : De Boeck Université, 2001, p.111.

13 GOFFMAN, Erving. Les moments et leurs hommes. Paris : Seuil, 1988, p.96.

14 NIZET, Jean; RIGAUX, Natalie. La sociologie de Erving Goffman. Paris : La découverte, 2005, p. 43.

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