A NNALES DE L ’ UNIVERSITÉ DE G RENOBLE
P ARDÉ
La sécheresse des années 1941-1946 (résumé de la conférence de M. Pardé)
Annales de l’université de Grenoble, tome 22 (1946), p. 99-103
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La sécheresse des années 1941-1946
Résumé de la conférence de M. PARDÉ
Une sécheresse
impressionnante
a sévi en France et dans d’autrespays, notamment, avec une
gravité
extrême, enAfrique
duNord,
de
1942
ài g/ 5
et même au.début de1946.
Elle a eu pour consé- quences désastreuses, une diminution des débits fluviaux et donc de laproduction
de forcehydroélectrique
à un moment où l’on comp- tait sur celle-ci poursuppléer
au manque de charbon. En outre la déficience despluies
a eu des suites funestes pour les récoltes,notamment pour celles de
fourrages
durant lesquatre
années enquestion,
et pour celles deblé,
de céréales et de pommes de terreen
1945.
Aussi la sécheresse a contribué pourbeaucoup
à la conti-nuation des
pénitences
alimentairesqui
nous ont étéimposées.
Pour caractériser ce
phénomène
avec uneprécision
suffisante, ilnous faudrait des
myriades
. de . chiures relatifs aux chutes d’eau etaux débits. Nous avons pu nous procurer une
partie
des donnéesindispensables grâce
àl’obligeance
du trèsdistingué
directeur de1 Office National
Météorologique, puis
à celle de M.Remièneras,
ingénieur
en chef à la SociétéHydrotechnique
deFrance, laquelle publie depuis 1939
d’excellents annuaireshydnologiques,
etqui
abien voulu nous envoyer les
épreuves
ou les manuscrits des exem-plaires,
non encore parus, de1944
et de1945.
En outre de nom-breuses sociétés industrielles nous ont fourni des
renseignements
sur les débits des rivières.
Grâce à cette documentation assez vaste, on
peut
caractériser la sécheresse dont nous venons de souffrir de lafaçon
suivante :10
Précipitations.
- Aucune année de lapériode
enquestion
n’aété a
beaucoup près
aussi déficitaire que 1 c~21. Du i e‘~ décembre 1920100
au 3o novembre de cette dernière année
exceptionnelle,
lesrapports
des chutes d’eau aux valeurs normales avaient été, en
France,
de 27à 72
pour 100 selon leslieux,
et engénéral,
de 3o à 50 pour100. Or de
1942
à~g1~5,
les chiffres annuels lesplus
faibles ontvarié de L~o ou 5o à go pour 100 dans l’ensemble.
Mais la sécheresse récente
apparaît
comme bienplus
accentuée sil’on
considère
les totauxpluviométriques
de certainessaisons,
notamment de la fin de l’hiver et du début du
printemps. A beaucoup
de
stations,
ces chiffres pour chacune desquatre
années, ou pour trois de celles-ci surquatre
ont étéaffligeants :
35 à 5o pour i oo de la normale. Or ce sont les chutes d’eau en ces moisqui jouent
lerôle le
plus
décisif pour la croissance desfourrages
et des céréaleset pour le
parachèvement
des réserves deneige susceptibles
d’ali-menter les rivières des hautes
montagnes pendant
la saison chaude.De
plus,
divers chiffres mensuels ou même trimestriels estivaux ouhivernaux ont été lamentables, les
précisions
fontcomprendre
pour-quoi
les déficitspluviaux,
peucatastrophiques
si l’onregarde
lestotaux annuels ont eu des résultats si néfastes pour la culture et les fournitures de houille blanche.
20 Débits. - Examinons maintenant les débits des
rivières,
à diverspoints
de vue.A. - Minima absottzs. - Nulle
part,
sansdoute,
saufpeut-être
sur la
Haute-Loire,
les minima minimorum ne se sont effondrés aussi funestementqu’en
1921 ou au début de i g22 . Citons commeexemples
les chiffrescomparatifs
suivants :Rhône à Serrières 255 me en
1 g45 :
190 en 1921 ; Rhône au Teil492
me enïg45 :
3oo en 1921 ; Drac au Sautet 6 me en1942;
4 en 1922 Durance à Mirabeau 32 me en1945; 2 ~ , 5
en 19 9,.2.On notera que la
pénurie
de la Durance a presqueégalé
en viru-lence celle de 1021-22.
B. -
Moyennes
mensuelles lesplus
basses.Les moyennes mensuelles de certains mois isolés ont été miséra- bles : par
exemple,
certains chiffres dejuin, juillet
et août sur lehaut Drac au Sautet ont
dépassé.
enfaiblesse,
même ceux de 1921.Et cette
indigence, particulièrement
fâcheuse en une saison où lafonte des
neiges remplit
d’habitude les réservoirsartificiels,
a eu lieutrois années de suite sur
beaucoup
de cours d’eaualpestres.
En1945,
il y avaitplus
deneige
à cause des fortesprécipitations
del’automne
précédent,
et les débits ont été moins chétifs. Puis lescours
d’eau,
alimentés enpartie par les glaciers,
ont reçu, en raisonde la chaleur
estivale,
des débits convenables de saison chaude(Arve supérieure, Vénéon,
HauteRomanche, etc.).
C. - Débits moyens annuels isolés.
Aucun débit moyen
annuel,
oumodule,
d’une annéequelconque,
de
1942
à1945,
n’a été aussipiteux,
dans unegrande partie
de laFrance, que ceux de 1921, ou de
1924
dans le bassin de laGaronne,
pas désastreusementaffecté,
sauf sur leLot,
par la sécheresse de 1921. Citons pour LaTruyère
à Sarrans,18,3o
me. pour 1 g21,24,9
me. pour laplus
médiocre année récente : pour le Fier infé-rieur,
àVal-de-Fier,
15) me. en 1921 et22,3
me.Cependant,
laHaute
Loire,
àBas-Enbasset,
au Sud deSaint-Étienne,
aurait battutous ses records de
pauvreté hydrologique
annuelle.D. -
.Moyennes
annuellesglobales.
Les moyennes
quadriennales
deic)42-~5
ont été, engénéral,
fortdéficitaires ;
25 à 3o pour 100 dans unegrande partie
de la France,20 à 25 pour 100 dans les bassins
alpestres
où lesglaciers
fournis-sent un
appoint
sensible : déficits nonpoint
monstrueux, maisdéjà
très
marqués
etpréjudiciables.
3" Crues. - Avant de
conclure,
on doitsignaler
que, durant ces années desécheresse, il y
a eu des crues. Notamment, les automnes de1942
àl944
ont été assezpluvieux ;
eni ç~ ~ ’~ ,
cette saison a’été spécialement
riche en grosses averses, de novembre au 12 décembresurtout. En février
1945,
despluies
tièdes suivies de fontes deneige
ont
gonflé
encore sérieusement nombre de rivières.Les
plus
graves de ces crues ont été celles du HautRhône jusqu’à Lyon,
les io-i5 et les23-27
novembre1944 celles
de laSaône,
ala fin de novembre et en février
1945,
celles du Rhône moyeu ences trois
occasions,
et encore, vers le 10 décembre, celles de la Basse Garonne et surtout de laDordogne,
en décembre(io"’,6o
àBergerac).
En outre, une averse
phénoménale
dutype
des trombes d’eaucévenoles,
le 13 octobre1944,
a déversépeut-être
50o à 700 mm.en
quelques
heures dans un secteur assez restreint, au Nord-Ouestet au Nord de
Pont-Saint-Esprit (Vers Saint-Paulet-de-Caisson,
en102
particulier).
Il en est résulte desgonflements fantastiques
de certainspetits
ruisseaux(par exemple
des maxima de 200 à 3oo ni’ sec. àl’issue de bassins ne
dépassant
pas 10 ou 12km2)
et desdégâts
locaux presque
incroyables.
Causes de la sécheresse. -
Quelles
ont été les causes de lapénu-
rie que l’on vient d’étudier et à
laquelle
les crues ci-dessus mention- nées n’ontapporté
que desexceptions passagères.
Nouséprouvons
le
plus grand
embarras pourrépondre
à cettequestion,
ouplutôt
notre
réponse
sera facile mais ne résoudra pas leproblème.
Il est certain que. durant la
majeure partie
desquatre
annéesdont il
s’agit,
les conditions nécessaires à lagenèse
de lapluie
ontété rarement obtenues.
On le
voyait,
soit par laprédominance
des ventsplus
ou moinssecs des secteurs
Nord,
soit aufait
que les vents ordinairementplu-
vieux de Sud et d’Ouest ont soufflé très souvent sans amener les chutes d’eau
qui
les suivent d’habitude. Des dizaines defois,
lapluie
a paru imminente et a avorté, ou n’est tombéequ’en quantités
infirnes.Très
fréquemment,
le cielgris
menaçant s’est déchiré dès que lespremières gouttes
humectaient lesol,
et la sécheresse dont on avaitespéré
la finrecommençait
alors pour des semaines.Mais
quels
facteurs ontempêché
inlassablementles
nuages de seformer ou de se résorber en
pluie
durant presque toute cettepériode
:’C’est ici que nous avouons notre
ignorance.
Etl’énigme
ne serapoint
tranchée si nous affirmons, avec chance d’exactitude, que,pendant
ces annéescritiques,
certains facteurs ontempêché
lesvapeurs
atmosphériques
tièdes de se refroidir et de se condenser enentrant en conflit avec des masses d’air
homogènes plus froides,
lelong
de ce que lesmétéorologues appellent
des «fronts
o ou desplans
de discontinuité. Car onpeut
nousinterroger
sur la nature dcces facteurs, et nous ne saurons formuler aucune
réponse.
Prévisions. - Notre
impuissance
serait aussigrande
si l’on nousdernandait comment
prévoir
cesintempéries négatives
àlongue
éché-ance. Les personnes
compétentes
savei-it que lespronostics
météorolo-giques sont possibles,
avec undegré d’exactitude
etsouventconvenables,
vingt-quatre
et même trente-sixou quarante-huit
heures à l’avance.Mais
jusqu’à présent,
ceuxqui
se sont mêlés d’annoncer letemps
pour les saisons entières à venir ne se sont fondés sur aucune base
scientifique.
Ils ne méritent aucun crédit. Peut-être arrivera-t-on unjour
à desprophéties
sérieuses de ce genred’après
des corrélations103 mûrement étudiées et
vérifiées,
entre letype
dutemps pendant
unecertaine saison sur telle ou telle
région
duglobe,
et les tendances àescompter
dans les mois suivants sur une zonepins
ou moins voi-sine. Mais ce n’est
qu’un espoir,
et s’il doit seréaliser,
nous sommesencore loin sans doute de
l’époque
où l’on pourraprévoir
le beautemps
ou lapluie d’après
des enchaînements de ce genre.Remèdes. - Par contre, sans avoir étudié la
question
de manièrescientifique,
nous n’hésiterons pas à émettrel’opinion
que la libéra-tion de
l’énergie atomique
doit être unjour capable
deproduire
dansl’atmosphère
les courants aériens et les conditionsthermiques
néces-saires à la
genèse
desprécipitations.
En attendant que ce miracle de la
technique
humaine soitobtenu,
il conviendra de
multiplier
lesbarrages-réservoirs qui permettraient
les accumulations de
puissantes
réservesliquides,
en vue despénu-
ries. Il reste encore
beaucoup
à faire chez nous à cetégard.
Maislorsque
toutes lespossibilités
en matière de construction debarrages
auront été
épuisées,
la France nedisposera
pas de réserveshydriques
suffisantes pour neutraliser les méfaits de sécheresses
analogues
àcelle que nous venons de subir.
Il demeure la ressource, pas entièrement
platonique,
de mieuxanalyser
etexpliquer
de semblablesphénomènes.
Dans cebut,
nous souhaitons un
développement
considérable despublications
onicicllcs ou ollicieuses
capables
de nousrenseigner
sur lesprécipi-
lations et sur les débits
journaliers,
extrêmes et rnoyens des coursd’eau.