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Les portes en pierre. Un élément singulier de l architecture souterraine entre Moyen-Orient et Occident. Eric CLAVIER & Luc STEVENS

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Academic year: 2022

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Un élément singulier de l’architecture souterraine entre Moyen-Orient et Occident

Eric CLAVIER & Luc STEVENS

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1 - Caractéristiques architecturales

Les portes roulantes présentent un dispositif assez simple : un disque de pierre plus ou moins grand et épais, posé sur la tranche, peut être roulé devant une entrée, commandant l’accès à tout ou partie d’une cavité. Dans ce type de porte, la mobilité est donc « intégrée » grâce à la forme circulaire de l’ouvrant. Nous avons donc choisi pour les nommer, le terme générique de « porte roulante ». Dans la littérature spécialisée, les chercheurs emploient indifféremment les termes de « porte meule » (Yamac, 2018), « dalle roulée » (Griesheimer, 1997), « porte à disque » (Mille, 1970, Fournier, 1973), « meule de fermeture » (Triolet et Triolet, 1993).

Les principales informations dont nous disposons viennent logiquement de la Cappadoce (Turquie) où l’utilisation de ce type de porte dans les grands refuges communautaires a pris une ampleur singulière. Néanmoins, même dans ce contexte favorable, l’analyse de cet élément architectural reste peu développée. Bien que ces portes, spectaculaires, aient retenu assez tôt l’intérêt des chercheurs, les descriptions, les relevés, les détails précis restent rares et les fouilles archéologiques à leurs contacts semblent inexistantes. Les portes roulantes d’Israël qui ferment bon nombre d’hypogées fournissent un second exemple riche d’enseignements pour notre étude.

Contrairement aux deux types de portes précédents, les portes roulantes permettent une manipulation plus aisée du bloc monolithique qui atteint parfois des dimensions très importantes. La masse de ces pierres constitue un blocage

et une protection très efficaces des entrées. On les retrouve ainsi protégeant l’accès de certains hypogées ou dans des réseaux destinés au refuge et au stockage comme élément de protection et de défense.

Selon les contextes, leur nombre et leur emplacement peuvent varier. Elles occupent trois emplacements dans l’architecture souterraine (Fig.77) :

A - la porte meule est devant l’entrée d’un espace rupestre. Dans ce cas, l’aménagement n’est pas véritablement souterrain, mais en défend l’accès. C’est le cas des tombes antiques ;

B - la porte meule se trouve dans une salle souterraine. Ce qui est souvent le cas dans les villages refuges de Cappadoce ;

C - occasionnellement la porte meule est placée dans un couloir souterrain. Cet emplacement est privilégié dans le contexte des refuges.

Les exemples étudiés montrent que la mise en œuvre de ces portes, simple en apparence, s’avère en fait assez complexe. Elles nécessitent plusieurs éléments à même de garantir un bon fonctionnement. Selon leurs emplacements et leurs tailles, les portes roulantes se composent de :

a - une meule parfaitement ajustée ;

b - un dispositif de maintien vertical de la meule en position ouverte ou fermée ;

c - un espace de rangement de la meule afin de libérer le passage lorsqu’il est ouvert ;

d - un espace de manœuvre pour actionner la meule ; e - un système de verrouillage de la porte.

Les portes roulantes

3.

(3)

77 - Positions des portes roulantes, schémas de principe A - Porte meule d’hypogée

1. Escalier d’accès (ou rampe ou parfois de plain-pied) 2. Entrée de l’hypogée

3. Salle funéraire 4. Meule

5. Tranchée «enveloppante»

6. Rainure de guidage

B - Porte meule dans une salle (Refuge) 1. Galerie d’accès

2. Salle souterraine 3. Meule

4. Rainure de guidage 5. Pilier de guidage

C - Porte meule dans un couloir (Refuge) 1. Galerie d’accès

2. Meule

3. Espace de rangement de la meule (guidage) 4. Feuillure d’encastrement

1 2

3 4

5

6

A B

C

1

2 3

4 5

5

2 1 3

1 4

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position ouverte, elle est roulée dans son espace de rangement libérant le passage vers la chambre funéraire.

Ces meules sont positionnées aussi bien à gauche qu’à droite de l’entrée. A première vue, l’implantation à gauche semble plus prisée mais cela reste à confirmer par une étude plus approfondie.

Deux tombes monumentales (Fig.94 et 95), l’une en Israël à Horvat Midras (Zissu et Kloner, 2010), l’autre en Jordanie à Tell Hesban (tombe F1, Kritzeck et Nitowski, 1980), présentent un dispositif de fermeture bâti, rapporté en applique devant la façade rupestre de la tombe. Deux murs à l’appareillage monumental, construits parallèlement

à la façade de la tombe, délimitent une glissière dans laquelle est insérée la meule de fermeture. Dans ce cas, à la différence des dispositifs entièrement rupestres, le disque de pierre semble pouvoir être roulé indifféremment d’un côté ou de l’autre de l’entrée. Se pose alors la question de la manipulation de la meule puisqu’elle est difficilement accessible derrière les murs. La photo de l’entrée de la tombe de Horvat Midras (Fig.100) montre la présence d’une baie cintrée au-dessus de l’entrée définissant une sorte de grande fenêtre ouverte sur la meule. D’une force esthétique certaine, cette disposition architecturale pourrait permettre également un accès plus direct à la meule pour sa manipulation.

96 - Plans et coupes de petits hypogées

A. Tombeau à Abou Ghosh, Israël (d’après Abel, 1925, p.277) B. Tombeau à Tell En-Nasbeh, Israël (d’après Mc Cown, 1947, p.119) C. Tombeau à Turin, Syrie (d’après Griesheimer, 1997, p.176)

A. B. C.

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97 - Perspective isométrique d’un petit tombeau. Hypogée 13 de Turin, Syrie (Reconstitution des auteurs d’après plan et coupe, dans Griesheimer, 1997, p.176)

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3

4 5 6 7

1. Escalier d’accès 2. Meule de pierre 3. Rainure d’encastrement 4. Rainure de guidage 5. Entrée du tombeau 6. Chambre funéraire 7. Arcosolium

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En France, les systèmes de fermeture que l’on rencontre habituellement dans les sites creusés, qu’il s’agisse d’habitation troglodytique ou de souterrain aménagé, sont réalisés en bois. Dans les souterrains aménagés, ces portes sont généralement placées dans les couloirs d’accès coudés et sont associées à des aménagements défensifs afin d’augmenter leur efficacité et d’assurer une protection maximum des biens et des personnes. Les autres dispositifs repérés, bouchon de pierre et porte roulante, font donc figure d’exception. A ce jour, trois souterrains avec porte roulante ont été repérés en France. Le premier, celui de la Gente, est le seul où la présence d’une meule en pierre est attestée. Les deux autres sites, dans la Vienne, n’ont pas conservé leur meule, celle-ci étant peut-être à l’origine en bois. Enfin, notons que quelques indices existent ici et là de réutilisation de meule dans un souterrain sans pouvoir toutefois valider la fonction de porte roulante. C’est notamment le cas à Royer (commune de Saint-Auvent en Limousin), où l'entrée primitive du souterrain était « entièrement fermée par un bloc de pierre, taillé en forme de meule de moulin. Cette énorme pierre, qui mesure 0 m 90 de diamètre, présente à sa partie médiane, une cavité circulaire ayant 0 m 12 de diamètre » (Masfrand, 1899, p.34).

Le souterrain médiéval de La Gente (commune de Compreignac, Haute-Vienne)

Le souterrain aménagé de La Gente constitue une véritable exception dans le paysage des souterrains aménagés français avec sa pierre de fermeture circulaire découverte en place au XIXe siècle dans le couloir d’accès.

Situé à l’ouest du village, le souterrain a été découvert en 1857 lors d’un affaissement de terrain à l’occasion d’un labour. Depuis, il a fait l’objet de plusieurs études et publications comme celles de l’abbé A. Leclerc à la fin du XIXe siècle (1890 et 1894) et plus récemment par Pierre Saumande (1998).

Des portes roulantes dans les souterrains aménagés français, XIe-XVe siècle

France

114 - Couloir d’entrée du souterrain de la Gente (C)

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115 - Plan du souterrain de la Gente (d’après Pierre Saumande, 1998, p.103)

116 - Salle «de garde» du souterrain (B) avec le trou de visé (TV) 117 - Couloir d’accès (C) S4

S3 S1

S2

A

B

C D

PE2

PE1

PE3

PE4

TV P1

P2

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Nota : Cette approche monographique est basée en grande partie sur nos études de terrain réalisées en avril 2019. La publication détaillée de ces recherches devrait intervenir dans le courant de l’année 2023.

A une trentaine de kilomètres au nord-ouest d’Erevan, le versant sud du volcan Aragats qui s’étage de la plaine de l’Ararat (1000 m d’altitude) jusqu’au sommet du volcan à 4090 m, est caractérisé, entre 1000 et 2000 m d’altitude, par de profondes vallées ou ravines glaciaires très étroites et encaissées, orientées selon un axe nord-sud.

L’activité volcanique a généré de très nombreuses grottes, la plupart de dimensions modestes, formées dans le basalte sous l’effet des différents flux de laves du quaternaire.

C’est au Moyen Age, semble-t-il, que certaines de ces cavités naturelles ont été aménagées en lieu de stockage et de conservation du grain.

Le plan type de ces structures est le suivant : un couloir d’accès souterrain plus ou moins long avec une ou deux portes en pierre pivotantes aboutit à une salle de stockage regroupant les silos. Plus rarement une seconde salle de stockage, prenant des allures de « chambre forte », car accessible par un petit conduit et une porte réduite, peut être présente.

Les couloirs d’accès

Les couloirs d’accès relient l’extérieur à la salle de stockage. Les entrées, généralement réduites avec une hauteur moyenne de 1 m et une largeur de l’ordre de 60 cm, ne laissent pénétrer qu’une seule personne de front. Elles

sont généralement dissimulées dans des amoncellements de rocher ou même parfois placées intentionnellement derrière certains blocs formant un paravent.

Les couloirs d’accès sont formés par deux murs latéraux en pierre, présentant un appareillage à sec de blocs de basalte monolithiques « toutes hauteurs » ou formés par assemblage de blocs plus petits. Sur ceux-ci reposent d’imposantes dalles de couverture en basalte ou en schiste.

La présence ponctuelle d’un jointoiement superficiel de ces murs montre la volonté de colmater les interstices afin de se préserver au maximum du passage d’animaux ou

Les greniers souterrains d’Arménie, VIIe-XIIIe siècle

Arménie

210 - Plan du grenier souterrain de Kosh (n°1), Arménie 1. Couloir d’accès

2. Salle de stockage ou salle des silos

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sur l’extérieur, ces grottes ont été fermées par d’imposants murs constitués de gros blocs de basalte à peine équarris et étagés selon leurs tailles : les plus imposants sont posés à la base tandis que les plus petits forment le haut du mur. La surface ainsi préservée va d’une vingtaine de m2 à plus de 70 m2.

Les silos qui caractérisent ces salles sont généralement aménagés directement dans le sol et/ou parfois dans la masse d’un mur bahut épais de près de 2 m et haut d’environ 1,80 m, construit le long des parois.

Lorsqu’ils ne sont pas totalement bâtis, les silos ont été creusés dans la masse rocheuse avant d’être doublés en pierres liées avec un mortier de chaux. Les parois de certains sont recouvertes d’un enduit fin. Chaque silo était d’éventuelles infiltrations d’eau et de rendre ainsi l’ouvrage

plus hermétique.

Ces couloirs, construits « en tranchée » depuis la surface, étaient ensuite recouverts de terre et de blocs de rochers parfois importants afin de les dissimuler dans le paysage environnant. La longueur de ces accès varie entre 5 et 10 m. Ils présentent un tracé plutôt rectiligne s’adaptant parfois à la configuration du terrain. Leurs sections restent modestes avec une largeur moyenne de 80 cm pour une hauteur ne dépassant que rarement le mètre.

Les salles de stockage

Les salles de stockage mettent à profit des grottes naturelles aménagées pour l’occasion. S’ouvrant à l’origine

211 - Couloir d’accès, grenier souterrain de Kosh (n°2), Arménie 212 - Couloir et porte d’accès à la salle de stockage, grenier souterrain de Aghtz (n°2), Arménie

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1 - Caractéristiques architecturales

Les portes coulissantes constituent la forme la plus rare des fermetures monolithiques. Ce dispositif n’a été repéré, pour l’instant, que dans le contexte singulier des tombes rupestres de Lycie et de Carie (actuelle Turquie) creusées entre le Ve siècle et le Ier siècle av. J.-C. Notre analyse du phénomène se base donc exclusivement sur ces exemples et en particulier sur les travaux de l’historien et archéologue Pavlo Roos qui, entre la fin des années 1960 et le milieu des années 2000, a œuvré à la compréhension de ces monuments funéraires et de leur contexte.

Les portes coulissantes sont extrêmement rares pour la simple raison qu’il est assez difficile de faire coulisser un bloc de pierre orthogonal (forme statique) et au poids élevé, dans des rainures. La difficulté de manipuler de telles portes explique également que l’on ne les rencontre que dans des contextes funéraires caractérisés par des ouvertures et fermetures peu fréquentes et par une volonté de protéger durablement la sépulture.

Lors des pillages systématiques et répétés des tombes, les pierres coulissantes ont généralement été brisées et ne sont donc que rarement visibles aujourd’hui.

Le très faible nombre de vantaux découverts en place ne permet qu’une connaissance partielle de ces portes.

En l’état actuel de nos recherches, les portes coulissantes se rencontrent donc exclusivement dans les régions voisines de Carie et de Lycie (région méridionale de l’actuelle Turquie). De telles portes sont notamment

mentionnées à Gürlek, Delikkaya, Bahtiyar, Hippocome, Mergenli, Daedala, Crya, Karanlik, Arymaxa, Telmessus, Pinara, Tlos, Xanthos, Letoon, Köybasi, Limyra, Hoiran, Phellos, … (Roos, 1971, p. 29-30 ; Mühlbauer, 2007)

Il est intéressant de noter que la Carie et la région voisine de Lycie présentent toutes les deux des tombes rupestres de facture assez similaire qui reproduisent dans la roche les traits de l’architecture bâtie. Cependant, selon

Les portes coulissantes

6.

263 - Principe d’une porte coulissante en pierre 1

2 3

1. Accès

2. Rainures ou coulisses hautes et basses 3. Vantail en pierre

2

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11 - Tombe sous mastaba 3500, Saqqara, Egypte, vue des deux portes herses dans l’escalier d’accès, (Fouille Emery, 1949) - A noter les trous de passage des cordages

1. Falaise 2. Tombe 1 3. Tombe 2

4. Portes coulissantes en pierre 5. Chambre funéraire

1 2

3

271 - Hyppokome, Axonométrie des tombes 1 & 2 (Restitution d’après plan et coupes, Roos, 1985) 4

4 5

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L’utilisation des portes en pierre dans le monde souterrain n’a fait l’objet que de rares études généralement focalisées sur une région ou un site spectaculaire. Nos recherches, concentrées sur le bassin méditerranéen au sens large, mettent en évidence l’utilisation de ces portes sur un temps très long, depuis la Préhistoire jusqu’au Moyen-Age, en passant par l’antiquité. Ces portes se retrouvent également dans des contextes très variés. Présentes en grand nombre dans les monuments funéraires, on en retrouve également dans certains sites souterrains défensifs ou destinés à des pratiques plus domestiques comme le stockage. Depuis le Val de Loire jusqu’en Arménie en passant par l’Espagne, l’Italie, la Bulgarie, l’Egypte et les pays du Levant, nous vous proposons l’étude de portes pour lesquelles nous tenterons de mettre en évidence les différentes caractéristiques architecturales et leur mode de fonctionnement. C’est donc, entre Orient et Occident, à un véritable voyage souterrain que nous vous invitons. Préparez-vous à franchir des portes que vous n’auriez jamais penser pouvoir ouvrir.

Eric Clavier est architecte dplg et enseignant à l’école nationale supérieure d’architecture de Saint-Etienne. Subterranologue depuis plus de trente ans, ses recherches portent principalement sur les souterrains médiévaux de type annulaire. Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages sur le sujet. Il est actuellement vice-président de la Société Française d’Etude des Souterrains et du Groupe de Recherches Archéologiques de la Loire.

Luc Stevens est économiste de formation. Il étudie le patrimoine souterrain anthropique depuis plus de trente ans. Il est l’auteur de nombreux articles sur le sujet et de plusieurs ouvrages dont « Souterrains et mottes castrales ». Il a été président de la Société Française d’Etude des Souterrains de 2001 à 2013.

Architecture & Archéologie souterraines

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