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Présenté au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Par : Jonas-Sébastien Beaudry, D. Phil.

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Les risques d’offrir l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. Commentaire sur le projet de loi C-7 – Loi modifiant le

Code criminel (aide médicale à mourir)

Présenté au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles

Par :

Jonas-Sébastien Beaudry, D. Phil.

*

Novembre 2020

* Jonas-Sébastien Beaudry est professeur adjoint de droit à l’Université McGill.

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Les risques d’offrir l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. Commentaire sur le projet de loi C-7 – Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).

Comme le montrent régulièrement les données (du Canada et d’autres gouvernements), les gens

choisissent le plus souvent de demander l’aide médicale à mourir en raison d’une souffrance existentielle liée à la perte d’autonomie et à la difficulté de faire les activités qu’ils aimaient auparavant. Parfois, aucun soutien financier ou social ne peut atténuer cette souffrance existentielle. Toutefois, dans certaines situations, les patients peuvent changer d’avis. Ils peuvent avoir des idées suicidaires qui pourraient être atténuées par une attention, des soins et un soutien sociaux et médicaux appropriés. Par exemple, les personnes qui souffrent d’une récente dépendance, d’un récent handicap ou d’une récente incapacité à remplir des rôles sociaux importants pour leur intégrité personnelle peuvent accepter leurs difficultés et, grâce à la thérapie, aux réseaux (sociaux et des personnes handicapées), à la jouissance d’autres biens et à l’adoption d’autres rôles, peuvent trouver que la vie peut être précieuse même lorsqu’elles sont aux prises avec un handicap, une maladie ou une dépendance envers un gardien. Grâce à un soutien favorisant l’autonomie, elles pourraient trouver leur dépendance envers un gardien plus agréable. Un soutien social adéquat peut les aider à surmonter la solitude ou à ne pas avoir l’impression que leur vie est lourde pour leur famille ou un partenaire vieillissant. De tels changements renforceraient leur autonomie de façon plus importante au lieu de simplement les rendre admissibles à l’aide médicale à mourir. Il serait tragique et injuste que des patients qui envisagent l’aide médicale à mourir décident de mourir en raison de facteurs sociaux qui auraient pu être atténués.

J’ai donc fait valoir ailleurs1 que les gouvernements devraient s’assurer que ces patients obtiennent les ressources appropriées afin qu’ils ne choisissent pas de mourir en raison d’un désespoir soudain qui aurait pu être atténué si leur situation sociale avait été différente. La réalité historique est que les personnes plus âgées, handicapées et malades subissent depuis longtemps des préjugés, y compris la marginalisation sociale. Souvent, ces préjugés ont été intériorisés. Certains contextes juridiques et sociaux peuvent en effet faciliter ou solliciter ce préjugé intériorisé2. Le projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), est l’un de ces mécanismes juridiques. En résumé, le projet de loi ouvre une voie plus large à l’aide médicale à mourir en établissant des mesures de protection procédurales pour les personnes qui demandent l’aide à mourir et dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible.

La légalisation de l’aide à mourir pour les personnes qui ne sont pas en phase terminale laisse entendre que certaines vies ne valent pas la peine d’être vécues. C’est une position que certains bioéthiciens se sentent à l’aise d’adopter : selon eux, le suicide est parfois raisonnable, surtout lorsqu’une certaine qualité de vie est si effroyable qu’il vaudrait mieux mourir. Toutefois, d’autres bioéthiciens et théoriciens du handicap craignent que cette vision des choses ne vienne légitimer les points de vue capacitistes et âgistes ainsi que la vision de la maladie comme une sorte de tare. Plus notre État reconnaît officiellement le concept selon lequel certaines vies ne valent pas la peine d’être vécues, plus il est probable que l’État porte subtilement ou directement atteinte aux droits constitutionnels de tous les Canadiens (malades, handicapés, âgés ou non), à la vie et à l’égalité.

En limitant l’aide médicale à mourir aux patients dont la mort est prévisible (c.-à-d. la loi actuelle), l’État pourrait en principe éviter de porter ou de tolérer ces jugements problématiques sur la qualité de vie. Cela s’explique par le fait que l’aide médicale à mourir pourrait être considérée, non pas comme

1J.S. Beaudry, « The Way Forward for Medical Aid in Dying: Protecting Deliberative Autonomy is Not Enough », Supreme Court Law Review, Second Series, vol. 85 : p. 335-385; également publié sous forme de chapitre dans Derek B.M. Ross (éd.) Assisted Death: Legal, Social and Ethical Issues after Carter (Toronto : Lexis Nexis, 2018); « Ce qu’on tait au sujet de l’aide médicale à mourir », Options politiques (16 octobre 2019); « La surveillance de l’AMM et le compromis de Carter », faisant partie du blogue L’importance de la surveillance, publié en ligne par Norme sur la protection des personnes vulnérables, mars 2018; « Carter and the Politics of Certainty », Impact Ethics (forum en ligne géré par l’équipe de

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une sorte de suicide, mais comme un moyen de mourir. La mort étant inévitable, les patients qui souhaitent obtenir l’aide médicale à mourir seraient perçus comme choisissant leur façon de mourir (active, passive, etc.) plutôt que comme choisissant de mourir purement et simplement. En revanche, en ouvrant la porte à l’euthanasie des personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible, le projet de loi C-7 sollicite véritablement les jugements sur la qualité de vie et suppose une tolérance officielle de la part de l’État de la position selon laquelle certaines vies ne valent pas la peine d’être vécues et qu’il vaut mieux les supprimer.

Le problème n’est pas tant qu’il s’agit d’une position intenable. (Certains bioéthiciens pensent que certains problèmes de santé très graves et rares, comme certains cas d’épidermolyse bulleuse

congénitale, entre autres, font en sorte qu’une vie ne vaut pas la peine d’être vécue). Le problème est normatif : le projet de loi C-7 ouvre véritablement un espace normatif dans lequel divers intervenants sociaux (y compris des experts médicaux) et l’État même peuvent discuter du sujet des « vies qui ne valent pas la peine d’être vécues ». Cet espace médico-légal facilitera l’émergence culturelle de catégories d’êtres humains dont la vie peut être éliminée légalement et moralement. Étant donné que notre société et nos tribunaux sont à peine conscients à quel point notre culture est âgiste et capacitiste, il est dangereux d’ouvrir cette porte et, en fait, il n’est pas nécessaire de l’ouvrir puisque les soins palliatifs suffisent presque toujours à gérer la douleur physique et immédiate.

Lorsque le projet de loi C-7 aura force de loi, il est à craindre qu’un nombre indéfini de Canadiens aux prises avec des problèmes de santé difficiles devront s’identifier et se réorienter en sachant que de nombreuses personnes dans leur situation ont choisi de mettre fin à leur vie en toute légalité. Nos gouvernements ont formulé des projets de loi sur l’aide médicale à mourir en réponse à l’affaire Carter, entre autres, qui contestait les lois pénales contre le suicide assisté. Dans l’affaire Carter, le tribunal a statué que les lois pénales interdisant l’aide médicale à mourir contreviennent de façon injustifiée à l’article 7 de la Charte, qui protège le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. On aurait espéré que des contestations constitutionnelles simultanées des lois provinciales et fédérales auraient utilisé le droit constitutionnel à la vie pour défendre l’idée que les patients ont besoin de soutien social pour surmonter des souffrances susceptibles de disparaître. Nos tribunaux et gouvernements ont plutôt légalisé l’euthanasie comme solution à toutes sortes de souffrances liées à des problèmes de santé graves, y compris celles qui pourraient être traitées sur le plan social.

L’avenir nous dira le degré de préjudice culturel qui découlera de la légalisation de l’euthanasie des personnes qui ne sont pas en phase terminale. Nous sommes susceptibles, en tant que société, de ne pas voir, mesurer, analyser, ni combattre ce préjudice en raison des préjugés âgistes et capacitistes

largement répandus. Les allégations selon lesquelles « des vies ne valent pas la peine d’être vécues » qui sont présentées comme de bons jugements médicaux risquent d’être dépolitisées et considérées comme des faits biologiques plutôt que comme des jugements de valeur. Plus concrètement, les mesures de déclaration actuelles ne comprennent pas de descriptions importantes des raisons pour lesquelles les gens choisissent de mourir. Si, à tout le moins, les lignes directrices provinciales et fédérales devaient rendre obligatoire la production de rapports sur les raisons pour lesquelles les gens choisissent de mourir, par exemple, de préférence, des entrevues approfondies qui comprennent les causes sociales et psychologiques des idées suicidaires des patients qui demandent l’aide médicale à mourir, les chercheurs et les décideurs pourraient alors commencer à dresser un portrait exact des problèmes sociaux à l’origine des suicides médicalement assistés, des problèmes qui pourraient être réglés par des mesures sociales. Si nous ne recueillons pas ces données, aucune initiative sociale ne pourra être mise en place pour aider les personnes les plus vulnérables qui choisissent de mourir.

Même si je ne suis pas personnellement en faveur du projet de loi C-7 pour les raisons susmentionnées, j’approuve néanmoins les deux dispositions suivantes de la loi :

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« g) s’assurer que la personne a été informée des moyens disponibles pour soulager ses

souffrances, notamment, lorsque cela est indiqué, les services de consultation psychologique, les services de soutien en santé mentale, les services de soutien aux personnes handicapées, les services communautaires et les soins palliatifs et qu’il lui a été offert de consulter les professionnels compétents qui fournissent de tels services ou soins;

h) s’assurer que lui et le médecin ou l’infirmier praticien visé à l’alinéa e) ont discuté avec la personne des moyens raisonnables et disponibles pour soulager ses souffrances et qu’ils s’accordent avec elle sur le fait qu’elle les a sérieusement envisagés »

Certains peuvent néanmoins craindre que ces mesures de protection sociales ne suffisent pas pour les raisons suivantes :

En ce qui concerne l’alinéa g), le texte utilise le mot « informer ». Le simple fait d’informer le patient qu’il existe d’autres moyens de gérer ses souffrances ne garantit pas qu’il examinera sérieusement ces solutions de rechange. L’exigence d’« informer » le patient peut devenir une formalité vide (p. ex.

quelques mots rapides ou le partage d’une liste de ressources de soutien avec le patient, qui peut rapidement les ignorer).

Une mesure de protection plus rigoureuse aurait pu être, par exemple, la participation à une ou plusieurs séances obligatoires avec un psychiatre spécialisé dans le domaine du suicide, du désespoir, de la dépression, etc. en ce qui concerne de graves problèmes de santé. Bien entendu, cela suppose une coordination avec les autorités provinciales, puisque les provinces sont responsables des soins médicaux, mais l’importance d’assurer la sécurité et la vie peut être considérée comme une question de droit pénal ou une question qui relève du gouvernement fédéral.

L’alinéa h) est un ajout important. À l’heure actuelle, les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir peuvent le faire pour des motifs subjectifs, une fois que leur problème de santé grave a été confirmé médicalement. Elles peuvent décider des traitements alternatifs qui leur conviennent et quel genre de souffrance elles peuvent tolérer. Il n’existe aucune mesure objective ni confirmation de

l’évaluation personnelle du patient au-delà du diagnostic initial. Pour les personnes qui ont de nombreuses années de vie devant elles, il semble essentiel de les obliger à envisager sérieusement des solutions de rechange au suicide.

Une mesure de protection plus robuste aurait été d’exiger qu’une telle évaluation soit effectuée par un expert compétent. Les idées suicidaires dans les cas de problèmes de santé graves font partie d’une expertise psychiatrique qui va au-delà de l’expertise habituelle des infirmières et des médecins.

Résumé des recommandations

• De préférence, il ne faut pas légaliser l’aide médicale à mourir pour les patients dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible.

Par ailleurs, mettre au point une mesure provinciale et fédérale coordonnée à l’égard des risques et des problèmes susmentionnés des façons suivantes :

• Rendre obligatoire la participation à une ou plusieurs séances de thérapie avec un psychiatre spécialisé dans le domaine du suicide (surtout dans le contexte de la vieillesse, des maladies et des handicaps).

• Exiger que ce psychiatre, plutôt qu’une infirmière ou un médecin, confirme que le patient a sérieusement envisagé d’autres solutions de rechange.

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• Rendre obligatoire la collecte de données (peut-être en collaboration avec le psychiatre susmentionné ou dans le cadre d’une entrevue indépendante) axées sur la détermination des facteurs sociaux susceptibles de réduire la tendance suicidaire chez les futurs patients.

• Élaborer des mesures provinciales et fédérales coordonnées pour assurer l’accès à des ressources de base permettant aux personnes qui envisagent le suicide de vivre une vie tolérable, dans un contexte où ces ressources pourraient en fait atténuer les tendances suicidaires.

Ces mesures ne sont pas étrangères à l’approche déployée pour réduire les tendances suicidaires chez les sous-groupes de la population qui affichent un nombre croissant de suicides ou de tentatives de suicide.

On peut atteindre ces objectifs en modifiant les alinéas g) et h) en conséquence et en exigeant une coordination provinciale et fédérale pour atteindre ce résultat.

Conclusion

Le projet de loi C-7 n’est pas moins problématique que la Loi de 2016 modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir), en ce sens qu’il continue à légaliser l’aide médicale à mourir sans mettre en place des structures qui améliorent véritablement l’autonomie, comprises socialement, et protègent véritablement les populations vulnérables. Toutefois, contrairement à la modification de 2016 qui limitait le risque d’oppression capacitiste aux patients en fin de vie, le projet de loi fait désormais subir ce risque à une population beaucoup plus large de personnes handicapées. Il le fait au nom de la compassion, bien entendu, mais rappelons que l’oppression tend à être présentée sous forme d’avantage pour les opprimés.

L’aide médicale à mourir, à bien des égards, nous distrait de ce qui est vraiment en jeu : créer un monde plus accueillant pour les personnes âgées, malades ou handicapées. Il est sinistre de débattre pendant des décennies du comment et du pourquoi la société doit tuer ces personnes pour les aider. Nous devons développer, parallèlement à l’éthique et au droit concernant « l’aide médicale à mourir », une éthique et un droit concernant « l’aide sociale à vivre ». Un tel débat mettrait l’accent sur les droits sociaux; sur la mise en évidence de la façon dont le capacitisme et l’âgisme infiltrent la capacité d’agir de nombreuses personnes – aussi bien les personnes malades que celles en santé, aussi bien les personnes productives que les personnes dépendantes – et sur la façon dont nos lois et nos cadres juridiques contribuent à envoyer des messages préjudiciables. Je crois qu’en attendant que nos décideurs s’intéressent à ces problèmes sociaux, l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir est un danger pour les populations vulnérables.

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