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L AMÉNAGEMENT DES ZONES PORTUAIRES LANGUEDOCIENNES AUX XVII E ET XVIII E SIÈCLES

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L’AMÉNAGEMENT DES ZONES PORTUAIRES LANGUEDOCIENNES AUX XVIIE ET XVIIIE SIÈCLES

Stéphane Durand

Société française d'histoire urbaine | « Histoire urbaine » 2016/1 n° 45 | pages 67 à 86

ISSN 1628-0482 ISBN 9782914350457 DOI 10.3917/rhu.045.0067

Article disponible en ligne à l'adresse :

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L’ame´nagement des zones portuaires

languedociennes aux XVII

e

et XVIII

e

sie`cles

L

e Languedoc de l’e´poque moderne offre un cas inte´ressant d’ame´na- gement des zones portuaires car, malgre´ la mauvaise re´putation de cette coˆte basse1, les sites a` e´quiper ne manquaient pas, les acteurs de l’ame´nagement e´taient nombreux et les sommes investies furent tre`s importantes, voire colossales, surtout au XVIIIe sie`cle. Cependant, cet espace e´tait dote´ de caracte´ristiques naturelles et politiques qui permet- taient d’observer des dynamiques urbaines tre`s particulie`res. En effet, si l’on veut s’interroger sur le roˆle des rapports entre les espaces portuaires et le tissu urbain dans la de´finition des politiques d’ame´nagement, il faut conside´rer les spe´cificite´s de la situation des villes du Bas Languedoc2. Comme nous le verrons dans un premier temps, il n’y a dans cette zone ge´ographique que tre`s peu de villes – en re´alite´ une seule – situe´es en front de mer. Toutes les autres villes portuaires languedociennes e´taient plus ou moins e´loigne´es de la Me´diterrane´e, tout en e´tant de ve´ritables villes maritimes. C’est ce qui explique en partie la faiblesse de l’historiographie en la matie`re. Tandis que les travaux de ces dernie`res anne´es se sont focalise´s sur les petits ports et le roˆle du cabotage3, ou encore sur la

* Centre Norbert Elias (EHESS, CNRS, Aix Marseille Universite´, Avignon Universite´, CNELIAS UMR 8562).

H.U.no45 - avril 201 6 - p. 67 a` 86

1 . Il ne sera pas ici question de l’ame´nagement des ports fluviaux du Haut Languedoc, ni de ceux du canal de jonction des mers, aujourd’hui appele´ « canal du Midi ».

2. Ce texte est issu d’une communication prononce´e a` Caen, le 1 7 janvier 201 4, dans le cadre de la journe´e d’e´tude de la SFHU consacre´e aux « zones portuaires : ame´nagements, re´ame´nagements, re´habilitations de l’Antiquite´ a` nos jours ».

3. Par exemple : Ge´rard Le Boue¨dec, « Les petits ports bretons duXVIeauXIXesie`cle »,Rives me´diterrane´ennes, no35 [2010], p. 61-78 ;idem, « Le cabotage sur la fac¸ade atlantique franc¸aise (XVe-XVIIIesie`cles) »,Revue d’histoire maritime, no8, fe´vrier 2008, p. 9-37.

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construction d’aires portuaires plus ou moins polarise´es4, un ouvrage re´cent ne retient pour le Languedoc que deux villes maritimes la` ou`

nous pourrions en compter au moins huit5. La faute en revient a` un type de configuration naturelle qui masque le caracte`re maritime de villes n’ayant pas un acce`s imme´diat a` la mer ; c’est un peu, en forc¸ant le trait, comme si l’on refusait a` Venise la qualite´ de ville maritime. Mais, de fait, l’articulation entre le tissu urbain et les organes portuaires – parfois projete´s loin de la ville – pouvait poser proble`me. Ainsi, au-dela` de leurs spe´cificite´s re´gionales, les villes de la coˆte du Languedoc posent plus largement la question des ame´nagements portuaires maritimes re´alise´s – paradoxalement – plus ou moins loin de la mer.

Par ailleurs, la province de Languedoc e´tait dote´e d’un acteur politique de poids, une assemble´e d’e´tats, dont le roˆle prit une ampleur conside´rable au cours des XVIIe et XVIIIe sie`cles6. Les e´tats se firent ame´nageurs et intervinrent puissamment dans la construction des infrastructures por- tuaires7. Mais cette assemble´e n’e´tait pas tout a` fait e´trange`re aux villes de la province dans la mesure ou` un certain nombre d’entre elles y envoyaient leurs de´pute´s. De`s lors se de´veloppa un jeu parfois ambigu entre les villes et les e´tats dans la de´finition de l’ame´nagement des zones portuaires. La` encore, l’historiographie n’a jusqu’ici accorde´ que trop peu d’attention a` l’e´laboration de ce type de politiques publiques8.

Le texte qui suit propose, a` partir de sources varie´es (archives des villes – se´ries BB et DD –, des e´tats – se´rie C des archives de´partementales de l’He´rault –, et du pouvoir royal – surtout le fonds de la Marine aux Archives Nationales), de comprendre a` grands traits comment, a` diffe´- rentes e´chelles, furent conc¸ues les politiques d’ame´nagements portuaires en Bas Languedoc. Car, de fait, l’ame´nagement d’une zone portuaire s’in-

4. Bernard Michon,Le port de Nantes auXVIIIesie`cle. Construction d’une aire portuaire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011 ; Catherine Guillevic,L’impact d’une ville nouvelle dans la Bretagne duXVIIIesie`cle, Lorient et la Compagnie des Indes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 201 5.

5. Caroline Le Mao,Les villes portuaires maritimes dans la France moderne,XVIe-XVIIIesie`cle, Paris, Armand Colin, 201 5.

6. Ste´phane Durand, Arlette Jouanna et E´lie Pe´laquier, avec le concours d’Henri Michel et Jean- Pierre Donnadieu,Des e´tats dans l’E´tat. Les e´tats de Languedoc de la Fronde a` la Re´volution, Gene`ve, Droz, 201 4.

7.Ibidem, chapitre XXVIII, p. 739-764 ; voir aussi Ste´phane Durand, Finances, pouvoirs et territoires. Contribution a` l’histoire des ame´nagements portuaires civils et a` l’histoire des assem- ble´es d’e´tats (Provence, Languedoc et Roussillon, auxXVIIeetXVIIIesie`cles), me´moire d’HDR, Universite´ de Montpellier, 2009.

8. L’historiographie des assemble´es d’e´tats ne´glige largement la question des politiques publi- ques malgre´ quelques de´veloppements inte´ressants dans Julian Swann, Provincial Power and Absolute Monarchy. The Estates General of Burgundy, 1 661-1 790, Cambridge, Cambridge univer- sity press, 2003 (mais la Bourgogne n’e´tait pas une province maritime).

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scrivant dans un contexte local, celui d’une communaute´ urbaine, relevait aussi d’inte´reˆts plus larges. Il y avait la` une tension potentielle entre les inte´reˆts des acteurs de la ville et ceux des autorite´s ope´rant sur des terri- toires plus vastes, sans compter les inte´reˆts prive´s, qui sont malheureuse- ment beaucoup plus mal documente´s.

Des ports maritimes e´loigne´s de la mer

La physionomie de la coˆte du Bas Languedoc, jointe a` une histoire particulie`re des rivages de la Me´diterrane´e, explique qu’aucune ville ne se trouvait en front de mer a` l’ore´e du XVIe sie`cle. La province e´tait pourtant dote´e d’un certain nombre de ports urbains, pre´sentant des configurations diffe´rentes.

D e s l o u r d e s c o n t r a i n t e s n a t u re l l e s e t d e s e´ curite´

La configuration naturelle du littoral languedocien est bien connue.

Depuis le cap Leucate – a` la frontie`re du Roussillon, espagnol jusqu’en 1 659 – jusqu’a` l’embouchure du Rhoˆne, seules les zones du cap d’Agde et du cap de Se`te permettaient aux navires d’envisager de mouiller avec l’assurance de trouver quelques pieds d’eau sous leur coque. Partout ailleurs, une coˆte basse, sableuse, pouvait faire craindre quelque haut fond et le danger de l’e´chouement, danger accru par des vents violents et subits fort redoute´s. Meˆme la montagne de La Clape et celle de La Gardiole e´taient ourle´es de plages de sables, sans secours pour les marins.

Le trait de coˆte e´tait cependant perce´ de graus permettant de se mettre a`

l’abri des coups de vent. Mais les graus d’e´tang, ouvrant sur des espaces la plupart du temps peu profonds9 et recouvert d’eaux salines, ne doivent pas eˆtre confondus avec les graus de rivie`res qui, rigoureusement, sont des embouchures fluviales. Certes, a` la diffe´rence des graus d’e´tang, ceux de rivie`res ne se de´plac¸aient pas au rythme des tempeˆtes, mais ils e´taient eux aussi soumis, du fait de la rencontre entre la de´rive littorale et les eaux fluviales, a` un ensablement re´current sous la forme de barres10. Dans tous les cas, la sauvegarde des baˆtiments n’e´tait pas assure´e.

9. Il faut ici tenir compte de l’originalite´ de l’e´tang de Thau qui, a` la diffe´rence des autres e´tangs de la coˆte languedocienne, n’est pas un e´tang de colmatage mais une de´pression coˆtie`re envahie par les eaux marines, ce qui explique les plus grandes profondeurs qu’on y mesure (Gaston Galtier,La coˆte sableuse du golfe du Lion. Essai de ge´ographie physique, the`se comple´mentaire, Paris, Faculte´ des Lettres, 1958, p. 39 et 1 54).

10. Le phe´nome`ne est aussi bien connu sur la fac¸ade atlantique, ou` la barre forme´e a` l’embou- chure de l’Adour geˆnait la sortie du port de Bayonne (sur ce cas, Josette Pontet-Fourmigue´, Bayonne. Un destin d’une ville moyenne a` l’e´poque moderne, Bayonne, J&D e´ditions, 1990).

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En outre, ces rivages, encore infeste´s de moustiques au milieu du

XXesie`cle, e´taient une terre de fie`vres, comme en te´moignent les topogra- phies me´dicales re´dige´es a` la charnie`re des XVIIIe et XIXesie`cles11. De ce point de vue, la coˆte languedocienne e´tait re´pulsive, particulie`rement la` ou`

les eaux stagnantes s’e´vaporaient l’e´te´ dans des exhalaisons tre`s odorantes, c’est-a`-dire presque tout le littoral, de l’e´tang de La Palme, pre`s de Narbonne, a` celui du Repausset, aux portes d’Aigues-Mortes.

Enfin, l’inse´curite´ de ces rivages me´diterrane´ens dissuadait de s’e´tablir en front de mer. La course barbaresque, en plein essor au XVIe sie`cle, n’e´tait pas moins inquie´tante que la menace militaire d’outre Pyre´ne´es, mate´rialise´e auXIIIesie`cle par l’expe´dition de l’amiral Roger de Llu´ria et re´active´e pendant les guerres de Religion.

Les conse´quences de ces caracte´ristiques naturelles et militaires sur la localisation des ports urbains sont e´videntes. Dans ces conditions, il ne pouvait y avoir de villes portuaires que sur les rivages des e´tangs et sur les bords des fleuves coˆtiers, avec tous les proble`mes d’accessibilite´ a` la Me´di- terrane´e que cela pouvait poser. Cependant, bien que plus ou moins e´loigne´s de la mer, ces ports urbains e´taient clairement maritimes en ce qu’aucune infrastructure du meˆme ordre ne faisait interface entre eux- meˆmes et leur avant-pays.

U n e t y p o l o g i e d e s po r t s m a r i t i m e s l a n g u e d o c i en s

A` une e´chelle plus fine, tous les ports urbains ne se trouvaient pas dans la meˆme situation. Plusieurs cas de figure sont a` diffe´rencier.

Les ports les plus nombreux e´taient en fond d’e´tang, mais tous n’e´taient pas urbains12. Tandis que quelques villages de peˆcheurs e´taient e´tablis aux abords des rives des e´tangs de La Palme, de Gruissan, de Bages et de Sigean, ce sont de ve´ritables ports de commerce qu’abritaient les commu- naute´s de Vendres – au fond de l’e´tang du meˆme nom –, de Marseillan, de Me`ze et de Bouzigues – sur les bords de l’e´tang de Thau –, ou encore celle de Frontignan, a` l’ouest de l’e´tang de Maguelone. Ce ne sont la`, pour la plupart, que de petites villes, dont la physionomie des ports est tre`s mal

11 . Par exemple, Bernard-Antoine Peytal,Essai sur la topographie me´dicale de Me`ze (de´parte- ment de l’He´rault), the`se de me´decine, Montpellier, Jean Martel aıˆne´, an X.

12. Sur ce point, rappelons qu’il n’existe pas en Languedoc de diffe´rence juridique entre villes et communaute´s rurales ; toutes sont des communaute´s politiques soumises au meˆme droit. De fait, la diffe´rence entre elles est complexe. L’historien doit parfois simplement s’en tenir aux de´nomi- nations utilise´es par les contemporains (voir Ste´phane Durand et Elie Pe´laquier, « Les villes du Languedoc auXVIIIesie`cle. Essai de typologie », dans Joe¨l Fouilleron et Roland Andre´ani (sous la direction de),Villes et repre´sentations urbaines dans l’Europe me´diterrane´enne (XVIe-XVIIIesie`cle), Me´langes offerts a` Henri Michel, Montpellier, Presses universitaires de la Me´diterrane´e, 2011 , p. 11 5-1 32).

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documente´e pour le XVIe sie`cle. Il n’est pas certain que ceux-ci aient e´te´

e´quipe´s de quais de pierre a` cette e´poque, mais les espaces proprement portuaires – ceux de chargement et de de´chargement des embarcations – e´taient e´troitement articule´s au tissu urbain par des rues pe´ne´trant dans le baˆti, sans discontinuite´. A` vrai dire, le manque de profondeur des graus, la faible jauge et le profil des navires ne ne´cessitaient pas d’infrastructures particulie`res : il est meˆme fait mention, parfois, d’embarcations tire´es a`

meˆme la gre`ve des e´tangs, en pleine campagne, jusqu’a` la fin du

XVIIesie`cle.

Dans cette ge´ographie portuaire se distinguaient deux seuls et ve´ritables ports fluviaux, de tailles tre`s ine´gales : ceux d’Agde et de Se´rignan, le premier sur l’He´rault, le second sur l’Orb. En aval de Be´ziers, la petite ville de Se´rignan e´tait en position d’avant-port par rapport a` la capitale dioce´saine, mais le de´bit de l’Orb e´tait tre`s irre´gulier et le port de´nue´ de quais. En revanche, la ville e´piscopale d’Agde, l’

Agaqh‡

des Grecs, au riche passe´ maritime, avait des quais de pierre et un pont de bateaux permettant d’acce´der a` la rive droite du fleuve, large a` cet endroit d’environ une trentaine de toises, de quoi amarrer les baˆtiments sur plusieurs range´es, malgre´ le danger des crues automnales. La ville, regroupe´e sur la rive gauche, disposait aussi d’un espace portuaire terrestre de taille moyenne mais tre`s e´tire´ : quelques toises de large sur environ 250 toises de long1 3. Enfin, il e´tait situe´ a` pre`s de quatre kilome`tres et demi de la mer, accessible au moyen d’un grau a` l’ensablement tre`s variable. Au XVIIIe sie`cle, les plans de la ville mentionnent aussi un chantier naval situe´ au pied des remparts, en aval.

Un dernier cas de figure e´tait fourni par des villes portuaires combinant en quelque sorte les deux situations pre´ce´dentes, a` savoir des villes situe´es aupre`s d’un fleuve coˆtier de´bouchant dans un e´tang. Montpellier et Narbonne e´taient dans ce cas. La premie`re, sise a` plusieurs centaines de me`tres a` l’ouest du Lez, communiquait avec la mer au moyen du port Juve´nal, simple point de rupture de charge sur les bords du modeste fleuve. Le port et la ville e´taient ainsi totalement disjoints. En aval du Lez, les navires de´bouchaient dans l’e´tang de Pe´rols, duquel il fallait sortir en trouvant le grau le plus commode. Celui de Palavas pouvait faire l’affaire, en fonction de sa localisation changeante et de son e´tat.

Quant a` Narbonne, probablement port de mer a` l’e´poque romaine1 4, sa

1 3. Archives de´partementales de l’He´rault (de´sormais AD He´rault), C 6944, plan du port d’Agde (no1 7), 1 759.

1 4. Des recherches sont en cours sur cette question ; il s’agit du programme « Ports antiques de Narbonne. Recherches sur les structures portuaires de Narbonne (IIes. av. n. e`. – Ves. de n. e`.) », voir pan.hypotheses.org.

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situation e´tait devenue complexe avec le temps : le cours de l’Aude s’e´tait de´tourne´ vers le nord de la montagne de La Clape, de´bouchant dans la mer pre`s de Vendres et laissant a` la ville de Narbonne le sillon de l’ancien lit, de´sormais en partie colmate´ dans l’ensemble lacustre forme´ par les e´tangs de Gruissan, de Bages et de Sigean. Au XVIe sie`cle, les baˆtiments acce´daient donc a` la mer, depuis le port urbain de Narbonne, par une longue « robine », canal dont la partie finale se perdait dans les eaux de l’e´tang de Bages pour gagner la mer par le grau de La Nouvelle.

A` cette ge´ographie portuaire se rajoutait Aigues-Mortes, qui aurait pu faire figure d’anomalie du fait de son implantation originelle tre`s pre`s de la mer, mais dont l’originalite´ fut bientoˆt gomme´e par un ensablement d’autant plus fort que la ville se situait pre`s des bouches du Rhoˆne. Au

XVIesie`cle, la ville e´tait un port de fond d’e´tang, tant le chemin e´tait long jusqu’au grau du Roi, a` travers l’e´tang du Repausset.

Il re´sultait de tout cela que les zones susceptibles d’ame´nagements e´taient tout a` la fois vastes et mal de´finies. Vastes, parce que l’ensemble de l’espace lagunaire languedocien e´tait modifiable, de meˆme que les fleuves coˆtiers, depuis les villes installe´es sur leurs rives jusqu’a` leurs embouchures, et mal de´finies car l’on peinait a` identifier les sites qui, au milieu de ces e´tendues sableuses et vaseuses, seraient les plus propices a`

recevoir ve´ritablement des constructions humaines. Ne´anmoins, deux lieux, presque de´serts au XVIe sie`cle, semblaient offrir des potentialite´s particulie`res : les caps d’Agde et de Se`te.

La mise en œuvre d’une politique d’ame´nagement de grande ampleur

Les infrastructures a` construire devaient re´pondre a` un certain nombre de de´fis e´conomiques et naturels. Depuis longtemps, les redoutables tempeˆtes du golfe du Lion faisaient souhaiter l’ame´nagement de ports d’abri aise´ment accessibles, comme y appelait encore, par exemple, le capitaine Ple´ville Le Pelley dans la partie orientale du golfe a` la fin du

XVIIIe sie`cle1 5. Il e´tait particulie`rement difficile pour les navires a` la recherche d’un grau d’e´viter d’eˆtre drosse´s a` la coˆte par les vents violents. En outre, l’ensablement de ces passes, voire leur de´placement – il faut imaginer des tempeˆtes hivernales capables de fermer un grau ici

1 5. Voir l’ensemble de courriers relatifs a` l’ame´nagement du port de Bouc figurant dans la liasse D 36 des Archives de la Chambre de Commerce de Marseille (1 783-1 785).

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pour en ouvrir un autre la`, a` plusieurs centaines de me`tres –, et le com- blement des e´tangs geˆnaient la navigation de baˆtiments toujours plus nombreux et plus volumineux. La profondeur de ces goulets d’e´trangle- ment ne de´passait parfois pas les trois pieds. Enfin, au cours du

XVIIe sie`cle, la politique colbertiste du gouvernement royal exigeait la construction et l’entretien de ports capables d’accueillir des flottes de commerce actives. Car si Marseille avait, de fait, le monopole du commerce du Levant, tous les ports de la fac¸ade me´diterrane´enne – ou presque – avaient un roˆle a` jouer dans la guerre commerciale que lanc¸ait Colbert. En outre, il fallut penser l’interface entre un espace de navigation inte´rieure – bientoˆt parcouru par un re´seau de canaux – et les infrastruc- tures ame´nage´es sur la coˆte.

D es a v a n t - p o r t s s a n s v i l l e

C’est a` l’extreˆme fin du XVIe sie`cle que fut lance´e une politique de grands ame´nagements portuaires en dehors de tout cadre urbain pre´exis- tant.

La premie`re grande entreprise fut mene´e au cap de Se`te, sur son flanc sud-ouest1 6. Re´orientant l’attention royale, qui jusque-la` e´tait tourne´e vers Aigues-Mortes, le conne´table de Montmorency fut a` l’origine de l’arreˆt du Conseil qui lanc¸a un chantier de construction portuaire au pied du mont Saint-Clair. Outre quelques maisons qualifie´es de « me´tairies de Se`te », sur le versant septentrional du mont, et probablement quelques cabanes de peˆcheurs, les parages e´taient de´serts. Un moˆle vit le jour, peut-eˆtre aussi un canal de communication avec l’e´tang. Mais, si des baˆtiments vinrent mouiller sur place, aucune ville ne se de´veloppa, d’autant moins que – l’ensablement aidant – l’endroit fut progressivement abandonne´. En 1 61 5, le port ne fonctionnait de´ja` plus. A` vrai dire, les sources manquent pour comprendre comment ce port aurait e´te´ articule´ aux villes portuaires de la re´gion. Au mieux aurait-il pu fonctionner comme un avant-port des ports d’e´tang : Marseillan, Me`ze et – surtout – Frontignan.

Une seconde ope´ration fut lance´e moins de vingt ans plus tard, plus a`

l’ouest, au pied du cap d’Agde1 7. Richelieu voulut y fonder un nouveau port, un peu sur le meˆme principe que pre´ce´demment : un grand moˆle

1 6. Sur cette ope´ration, voir E´mile Bonnet,Le premier port de Cette construit sous le re`gne d’Henri IV (1 595-1 605), Montpellier, Imprimerie Emmanuel Montane, 1928.

1 7. Sur cet ame´nagement, voir Ste´phane Durand, « Richelieu, les e´tats de Languedoc et la mer : la construction du port de Brescou auXVIIesie`cle », dans Patrick Louvier (sous la direction de),Le Languedoc et la mer (XVIe-XXIesie`cle), colloque de Montpellier, 1 5 mai 2009, Montpellier, Presses universitaires de la Me´diterrane´e, 2012, p. 75-93.

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appuye´ sur le cap et destine´ a` prote´ger les flottes de passage, gale`res et navires de commerce. Aucune construction n’e´tait pre´vue a` terre, si ce n’est une chapelle, bientoˆt place´e sous l’invocation de saint Armand. Le chantier fut ouvert en 1 634 ; un moˆle fut lance´ en direction de l’ıˆlot basaltique de Brescou, lequel portait un fort depuis la dernie`re de´cennie des guerres de Religion. Il ne fut pas aussi long que le pre´voyait le devis, mais il put recevoir des baˆtiments au mouillage. Rien n’indique que l’arti- culation avec le port urbain d’Agde, dont l’acce`s passait par l’embouchure de l’He´rault, non loin de la`, ait e´te´ pense´e. Comme le premier port de Se`te, celui de Brescou fut rapidement frappe´ par l’ensablement, mais il re´sista plus longtemps. Ce n’est qu’a` la fin du XVIIe sie`cle qu’il fut abandonne´, apre`s un ultime diagnostic re´alise´ par Vauban en 1 686.

A` peine quelques anne´es apre`s que les derniers rochers furent jete´s au moˆle de Brescou, au milieu des anne´es 1 650, un nouveau projet de cons- truction portuaire au cap de Se`te fut e´chafaude´, mais cette fois-ci sur le flanc sud-est du mont Saint-Clair1 8. Sous la plume du chevalier de Cler- ville, il s’agissait encore de construire un moˆle et – cette fois-ci la chose est certaine – un canal de communication entre la mer et l’e´tang de Thau. Les nouvelles infrastructures devaient servir d’avant-port, les baˆtiments e´tant appele´s a` mouiller a` l’inte´rieur de l’e´tang, tout pre`s de Frontignan et face aux ports urbains de Me`ze, de Marseillan et de Bouzigues19. Dans le meˆme temps fut lance´ le chantier du canal de jonction des mers – connu aujour- d’hui comme « Canal du Midi » –, qui, a` l’origine, n’avait pas vocation a`

rejoindre le port de Se`te. Ce fut pourtant la re´orientation qu’imposa Riquet20. En 1 666 fut pose´e la premie`re pierre de ce qui devint le port de Se`te. Ce ne fut bientoˆt plus un avant-port au service des ports voisins, mais un embryon de ville portuaire, qui rec¸ut une organisation politique en 1 685. Au premier quart duXVIIIesie`cle, une agglome´ration de maisons s’e´tendait au pied du mont Saint-Clair, depuis le pont sur le canal de communication avec l’e´tang jusqu’a` la racine du moˆle prote´geant le bassin du port (fig. 1 ). Au cours des de´cennies suivantes, le tissu urbain fut e´tendu sur la rive orientale du canal, du coˆte´ de la « plage de Fronti- gnan ». Le port donna naissance a` la ville, une ville dont l’urbanisme devait

1 8. Voir Alain Degage, « Un nouveau port en Languedoc (de la fin duXVIesie`cle au de´but du XVIIIesie`cle) », dans Jean Sagnes (sous la direction de),Histoire de Se`te, Toulouse, Privat, 1987, p. 41-67.

19. Lettre de l’intendant a` Colbert du 24 fe´vrier 1 665 (Georges-Bernard Depping,Correspon- dance administrative sous le re`gne de Louis XIV, tome I (E´tats provinciaux, affaires municipales et communales), Paris, Imprimerie nationale, 1 850, p. 194).

20. Sur le canal, voir Andre´ Maistre,Le canal du Midi : canal royal du Languedoc, 1 666-1 810, Toulouse, Privat, 1968 (re´e´d. 1998).

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eˆtre supervise´ par les inge´nieurs des fortifications, en charge, en Lan- guedoc, des travaux portuaires2 1.

P o r t e r s e c o u r s a u x p o r t s u r b a i n s

A` la fin duXVIIesie`cle, la politique d’ame´nagement portuaire fut re´oriente´e.

Les grands projets de cre´ation ex-nihilo furent remplace´s par la construction d’infrastructures venant au secours des ports urbains pre´existants.

Le port d’Agde fut le premier soutenu. De`s les anne´es 1 660, des pontons furent construits pour recreuser le lit de l’He´rault22. A` partir de 1698, des digues destine´es a` canaliser le fleuve furent baˆties a` son embouchure puis, progressivement, tout le long de son cours entre la ville et la mer, pour prote´ger les berges et profiter d’un effet de chasse23. C’est ainsi que, pour la premie`re fois, fut re´alise´e une jonction entre les grands ame´nagements commence´s en front de mer et les installations portuaires urbaines, situe´es en arrie`re du littoral. De`s lors, les infrastructures construites au niveau de l’embouchure – le grau d’Agde –, situe´es a` 4,5 km de la ville, ne fixe`rent pas de baˆtiments civils, seulement quelques ouvrages militaires – redoute et batterie – et le corps de garde de la ferme ge´ne´rale. Concre`tement, une embarcation n’avait gue`re d’inte´reˆt a` mouiller a` cet endroit-la`. Les ame´- nagements de l’embouchure furent ainsi facilement inte´gre´s a` la ville, comme le prolongement des quais urbains, moyennant un endiguement en pierres de basalte re´alise´ tout au long duXVIIIesie`cle (fig. 2).

Le port de Narbonne fut le second a` be´ne´ficier de ce changement de politique. Un projet soutenu par l’archeveˆque de Narbonne fut formule´

de`s 1 676, mais il n’aboutit pas. En revanche, en 1 704, quelques anne´es apre`s le de´but de la construction du moˆle du grau d’Agde, un chantier fut ouvert au grau de La Nouvelle, pour faciliter la sortie en mer des embar- cations venues du port urbain de Narbonne. Le dispositif fut technique- ment si proche de celui du grau d’Agde que les devis furent calque´s les uns sur les autres24. Mais deux diffe´rences majeures devaient faire diverger les trajectoires de ces deux organismes. Le grau de La Nouvelle e´tait beaucoup plus e´loigne´ du port urbain de Narbonne que ne l’e´tait celui d’Agde de la ville du meˆme nom et le chenal d’acce`s – ici le canal de la Robine – e´tait d’une navigabilite´ moins assure´e que le fleuve He´rault (fig. 3). Il en re´sulta

21 . En Languedoc, l’absence de port militaire et le refus des e´tats de voir une administration e´trange`re a` la province s’immiscer dans les travaux publics routiers expliquent que l’on n’y rencontre ni inge´nieurs de la Marine, ni inge´nieurs des Ponts et Chausse´es (Ste´phane Durand, Arlette Jouanna et E´lie Pe´laquier,Des e´tats dans l’E´tat...,op. cit., p. 655-704).

22. Archives municipales d’Agde, DD 66 et AD He´rault, C 9073 et C 9074.

23. AD He´rault, C 4268 et C 12306.

24. AD He´rault, C 12348, travaux du port de La Nouvelle (1 676-1 724).

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Figure2:Planducoursdel’He

´rault,

d’Agdeaugraud’Agde(1763)(ADHe

´rault,

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Figure3:PlandugraudeLaNouvelle(1758)(ADHe

´rault,

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l’apparition assez pre´coce de baˆtiments a` l’extre´mite´ du grau de La Nouvelle, a` l’entre´e dans l’e´tang, au lieu baptise´ « Port de La Nouvelle ».

Ainsi naissait ce qui allait devenir l’agglome´ration contemporaine de Port- La-Nouvelle, tandis que le Grau d’Agde n’apparut que plus tard, comme agglome´ration de peˆcheurs puis d’estivants.

Tout ce dispositif provincial d’ame´nagement littoral fut comple´te´ par la re´habilitation du port d’Aigues-Mortes a` partir des anne´es 1 720. La` encore furent pense´es des digues destine´es a` assurer un chenal de communication entre la mer et le port urbain, selon le sche´ma de´ja` e´prouve´ aux graus d’Agde et de La Nouvelle. Tout au long du XVIIIe sie`cle, des leve´es de pierres furent construites au travers de l’e´tang du Repausset, jusqu’a` la mer, sans confusion avec les installations portuaires urbaines25.

Ces deux politiques d’ame´nagement qui, chronologiquement, se succe´- de`rent masquent en fait des re´alite´s institutionnelles, financie`res et e´cono- miques qui proce´daient d’e´chelles diffe´rentes. La place qu’y occupaient les villes de´termina partiellement ces dynamiques d’ame´nagement.

La combinaison des dynamiques

Ce sont essentiellement trois acteurs politiques qui intervinrent dans l’e´laboration de la politique d’ame´nagement portuaire : le pouvoir royal, les e´tats de Languedoc et les villes. Les ope´rateurs prive´s qui, tels les patrons et ne´gociants d’Agde en 1 746, voulurent maıˆtriser les chantiers furent e´carte´s26. Ainsi, chacun des acteurs publics tenta-t-il de mettre en œuvre sa propre logique ; a` vrai dire, chacun ope´rait a` une e´chelle diffe´- rente et c’est par un ajustement politique constant que se de´finirent et se re´alise`rent ces politiques publiques.

L e s l o g i q u e s a` l ’ œ u v r e

La menace espagnole sur la coˆte me´diterrane´enne du royaume, concre´- tise´e en Languedoc en 1 591 puis encore en 1 635 sur la coˆte provenc¸ale, suscita un regain d’inte´reˆt de la part du pouvoir royal, qui pouvait souhaiter un renforcement de sa pre´sence navale dans ces parages. A` Se`te ou a` Brescou, il fallait un port capable d’abriter des gale`res, ce que ne permettait jusque-la` aucun port urbain de la coˆte languedocienne.

25. AD He´rault, C 12346, travaux des graus de Pe´rols et d’Aigues-Mortes (1 760-1 789).

26. AD He´rault, C 12307, de´libe´ration du corps des patrons d’Agde (1eravril 1 746) et requeˆte imprime´e des ne´gociants d’Agde (27 novembre 1 746) : « rapp[orte´] aux Etats le 1 6 de´c[embre]

1 746 et refuse´ ».

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Par la suite, la mise en œuvre d’une politique colbertiste aboutit a` la mise en chantier d’une rocade de canaux de Toulouse au Rhoˆne, avec l’e´phe´me`re projet d’une jonction avec les e´tangs du Roussillon27. Bien que le port d’Agde fuˆt, de fait, le de´bouche´ du canal des deux mers, le nouveau port de Se`te devait eˆtre l’e´le´ment le plus avance´ du dispositif, articule´ a` Marseille, pour une projection de la production manufacturie`re languedocienne vers le Levant, conforme´ment aux objectifs de la politique mercantiliste de Colbert. La` encore, il e´tait fait peu de cas de la re´alite´ de l’armature portuaire provinciale puisque le port de Narbonne ne fut pas retenu pour figurer sur le trace´ du canal royal. Quant au port de Se`te, il fut l’Aigues-Mortes des temps modernes, une concre´tisation de la seule action de´miurgique du roi. Le pouvoir royal raisonnait d’abord a` l’e´chelle du royaume et du bassin me´diterrane´en ; il ne voulait en Languedoc qu’une rocade inte´rieure et un poste avance´.

Toutefois, jusque-la`, les villes languedociennes financ¸aient leurs propres infrastructures portuaires28. Il s’agissait avant tout de proposer aux habi- tants des quais – sur lesquels donnaient des entrepoˆts marchands – et de fournir un acce`s suˆr a` la mer. Jusqu’a` la fin du XVIIIe sie`cle, elles pour- suivirent leurs actions d’ame´nagement, avec l’autorisation de l’intendant a`

partir des anne´es 1 660, puisqu’il s’agissait de mettre en œuvre des solu- tions de financement public dans le cadre de la tutelle a` laquelle elles e´taient soumises. La logique des communaute´s littorales dote´es d’un port e´tait de soutenir l’exportation des denre´es produites localement afin de faciliter le paiement des impositions requises par le roi et par les e´tats.

Plus prosaı¨quement, cette politique d’investissement des communaute´s profitait aux ne´gociants et aux proprie´taires terriens, dont certains peu- plaient justement les oligarchies municipales.

Enfin, a` un niveau institutionnel interme´diaire, les e´tats de Languedoc n’avaient – jusqu’au milieu duXVIIesie`cle – gue`re d’ambitions en termes d’ame´nagement portuaire puisqu’ils n’estimaient pas que ce type d’action puˆt eˆtre de leur compe´tence29. C’est la politique royale, prompte a`

re´clamer aux e´tats de quoi financer ses propres projets, qui poussa l’as- semble´e a` examiner ce type d’intervention sur le territoire provincial. De

27. Gilbert Larguier, « Le canal du Languedoc en Roussillon. Projets et de´buts de re´alisation, XVIIe-XVIIIesie`cles », dansLe canal du Midi et les voies navigables dans le Midi de la France, actes du congre`s des fe´de´rations historiques languedociennes, Castelnaudary, 27-29 juin 1997, Carcas- sonne, Socie´te´ d’e´tudes scientifiques de l’Aude, 1998, p. 1 83-192.

28. Pour l’exemple de Narbonne, voir Gilbert Larguier, Le drap et le grain en Languedoc.

Narbonne et le Narbonnais, 1 300-1 789, Perpignan, Presses de l’universite´ de Perpignan, 1996, t. I, p. 11 3 et 255, t. II, p. 765-788.

29. Ste´phane Durand, Arlette Jouanna et E´lie Pe´laquier,Des e´tats dans l’E´tat...,op. cit., p. 739- 764.

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cette impulsion et de la re´action qu’elle suscita, naquit une technostruc- ture au service des e´tats, pilote´e par une commission des travaux publics apparue en 1 70130. Dans le meˆme temps, la subordination progressive des assiettes dioce´saines a` l’assemble´e provinciale mit un terme aux rares aides que celles-la` avaient fournies a` quelques villes dans la seconde moitie´ du

XVIIesie`cle. L’assemble´e pre´tendait eˆtre la seule interface politique entre le roi et les villes. Cela e´tant, les e´tats songeaient surtout a` la prospe´rite´ de la province, qui soulagerait la pression fiscale en garnissant les bourses des habitants des profits du commerce. Peu importait, finalement, que les investissements fussent re´alise´s a` Agde ou a` Se`te, pourvu que la province en tiraˆt parti. Cependant, les e´tats e´taient aussi une assemble´e repre´senta- tive des villes et de leurs inte´reˆts particuliers.

U n e d y n a m i q u e d ’ a j u s t e m e n t

L’ame´nagement des villes portuaires proce´da ainsi de l’ajustement des logiques politiques a` l’œuvre.

La faiblesse des villes portuaires du Languedoc e´tait qu’elles ne pou- vaient pas – ou peu – intervenir hors de leur territoire politique. Sans contado nipartido, elles n’avaient pas de capacite´ juridique a` agir sur le territoire des communaute´s voisines. Or, elles e´taient sises en arrie`re du littoral et les enjeux de la navigation se portaient sur des espaces qu’elles ne controˆlaient pas toujours. De fait, Narbonne et Montpellier n’avaient pas la libre capacite´ de se projeter sur le trait de coˆte, pas plus que des villes portuaires plus modestes comme Me`ze ou Marseillan. En outre, les pouvoirs seigneuriaux pouvaient eˆtre de puissants obstacles, tel celui de l’e´veˆque d’Agde, maıˆtre de la fle`che littorale qui reliait le cap d’Agde a`

celui de Se`te. Tout ame´nagement d’envergure sur l’espace littoral ne pouvait gue`re passer que par l’intervention d’une puissance politique supe´rieure, ope´rant a` grande e´chelle.

Tant qu’il s’agissait de faire naviguer de petits baˆtiments jusqu’a` la mer, peu de choses suffisaient et le proble`me d’une projection sur le littoral ne se posait gue`re ; ainsi le port de Se´rignan – en plein de´veloppement auXVIe

et dans la premie`re moitie´ duXVIIesie`cle31– pouvait-il fonctionner sans quai mac¸onne´ en ville, ni digue a` l’embouchure de l’Orb. En revanche, lorsque les trafics se de´veloppe`rent avec des baˆtiments de plus grande taille, il fallut des quais de pierre, des chenaux bien drague´s et des graus

30. Ste´phane Durand, « La commission des travaux publics des e´tats de Languedoc », dansLa croise´e des chemins : routes et voies de communication dans le Sud-Ouest de la France et le Nord de l’Espagne (XVIIIe-XIXesie`cles), colloque de Pau, 9 de´cembre 2010, a` paraıˆtre.

31 . Alain Molinier,Une paroisse du bas Languedoc : Se´rignan, 1 650-1 792, Montpellier, De´han, 1968, p. 80-83.

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de´gage´s de toute barre de sable. Les contraintes techniques rendaient les anciens – et sommaires – ame´nagements obsole`tes. De´ja`, des tartanes lourdement charge´es avaient peine a` se frayer un chemin au travers des graus qui menaient au port de Frontignan.

Ainsi, les villes portuaires durent adapter leur politique d’ame´nage- ment a` leurs moyens financiers et a` l’action du roi et des e´tats de la province, si tant est qu’une place leur fut faite. La communaute´ de Vendres, au port encore actif au milieu du XVIIe sie`cle, fut incapable de trouver les moyens de mettre ses infrastructures a` niveau, tandis qu’elle n’avait nulle place dans le sche´ma d’ame´nagement pense´ a` Versailles et mis en œuvre avec les e´tats32. Le port devint ne´gligeable dans la hie´rar- chie portuaire apre`s 1 680. La ville d’Agde, a` qui l’entretien du port de Brescou fut confie´ par les e´tats en 1 654, fut incapable de faire face a` cette charge, ce qui explique en partie l’abandon de ce port a` la fin du sie`cle.

Les travaux ne´cessaires de´passaient donc souvent les moyens financiers des villes qui, de`s lors, ne pouvaient plus de´cider seules des ame´nage- ments portuaires a` re´aliser. Elles devaient composer avec les bailleurs de fonds. A` moins que ce ne fussent les bailleurs de fonds qui de´cidassent du sort des ports urbains.

A` Se`te, la construction du port et la planification de son de´veloppement, y compris l’abandon d’un recreusement efficace du canal de communica- tion entre la mer et l’e´tang de Thau, transforma le roˆle, la configuration et le devenir des ports de cet e´tang. L’argent des e´tats – mis a` contribution par le roi – permit la construction de quais et de digues a` Se`te ainsi que l’entretien ruineux d’un bassin recreuse´ par endroits a` vingt pieds de fond33. Mais les villes portuaires en arrie`re du littoral – telles Me`ze et Marseillan – furent contraintes de payer seules la re´fection, voire l’allon- gement de leurs propres quais et le recreusement re´gulier d’un bassin pour rester raccorde´es au re´seau de navigation34. Les communaute´s incapables d’en assumer les frais durent renoncer, telle celle de Bouzigues apre`s les intempe´ries de 1 76635. Quant au port maritime de Frontignan, il fut de´grade´ au rang de port de canal ; la ville dut se re´soudre a` accepter le

32. AD He´rault, C 71 37, de´libe´ration des e´tats de Languedoc du 23 de´cembre 1 662.

33. Les sondes du port de Se`te sont en AD He´rault, C 12321-12322.

34. Sur les travaux du port de Me`ze, voir Ste´phane Durand,Pouvoir municipal et socie´te´ locale dans les petites villes de l’He´rault auxXVIIIeetXIXesie`cles : le cas de Me`ze de 1 675 a` 1 81 5, the`se d’histoire sous la direction de Franc¸ois-Xavier Emmanuelli, Montpellier, Universite´ Paul Vale´ry, 2000, vol. III, p. 1 58-1 69.

35. Ste´phane Durand, « Flotte et commerce des ports d’e´tang : le cas de l’e´tang de Thau (fin XVIIe-finXVIIIesie`cle) », dans Lionel Dumond et Ste´phane Durand (sous la direction de),Les ports dans l’Europe me´diterrane´enne. Trafics et circulation. Images et repre´sentations,XVIe-XXIesie`cles, Montpellier, Presses universitaires de la Me´diterrane´e, 2008, p. 279-311 .

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branchement direct de ses infrastructures sur le canal des e´tangs, entrepris entre celui de Thau et le Rhoˆne36. Sur le premier plan dresse´ par l’inge´- nieur Dominique Sene`s en 1 730, l’ancien port maritime apparaissait comple`tement marginalise´ et fonctionnellement inutile (fig. 4). Apre`s modification du devis, en 1 733, le nouveau port prit finalement la forme d’un bassin e´largi sur le cours du canal.

Enfin, la ville de Narbonne dut reconside´rer sa propre situation.

Occupe´e jusque-la` a` entretenir la robine qui maintenait le lien entre le port urbain et le grau de La Nouvelle, elle sollicitait de´sormais, et surtout, dans la seconde moitie´ du XVIIIe sie`cle, son raccordement au canal royal.

Les e´tats de Languedoc e´tant devenus le lieu de la fabrication d’une politique publique d’ame´nagement portuaire, forge´e par la ne´gociation entre le directeur des fortifications – en charge des ports – et la commis- sion des e´tats pour les travaux publics, c’est dans cette assemble´e que les villes pouvaient infle´chir les choix d’investissement. De`s 1 662, les consuls de Narbonne parvinrent a` faire abandonner le chantier de Brescou au profit de celui du grau de La Nouvelle, apre`s avoir remplace´ leurs homo- logues d’Agde au sein de la commission charge´e d’examiner les projets de travaux maritimes37. Ce type de pratique fut plus clair encore apre`s la re´forme du Ge´nie de 1 776, qui – moyennant une de´claration interpre´ta- tive de 1 778 – confia aux e´tats la maıˆtrise des travaux portuaires. La campagne de lobbying que mena la ville d’Agde en amont de la session des e´tats de 1 782, pour que l’argent de la province fuˆt investi sur son territoire, un peu au de´triment de Narbonne sa concurrente, fut a` cet e´gard exemplaire38.

De´sormais, sans le roi et les e´tats, point de salut pour les villes. Des projets tre`s ambitieux furent formule´s dans les anne´es 1 770 sans qu’ils ne vissent le jour, faute de soutien provincial ou royal. Le capitaine Le Peletier des Ravinie`res imagina en 1 778 une ville nouvelle, a` l’emplacement de l’agglome´ration contemporaine du Cap d’Agde, une utopique Louisville39. Elle ne fut pas concre´tise´e, pas plus que le port de Montpellier que le ge´ome`tre Vignat conc¸ut aux portes de cette ville40. En revanche, le roi

36. AD He´rault, C 12345 et Archives municipales de Frontignan, DD 2.

37. Ste´phane Durand, « Les villes aux e´tats de Languedoc (XVIIe-XVIIIesie`cles) », dans Dominique Le Page, Je´roˆme Loiseau et Alain Rauwel (sous la direction de),Urbanite´s. Vivre, survivre, se divertir dans les villes (XVe-XXesie`cle), Dijon, E´ditions universitaires de Dijon, 2012, p. 11 3-122.

38.Ibidem.

39. AN, Marine, D258.

40. AN, Marine, D252.

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fut capable de cre´er le Port-Vendres – presque de toutes pie`ces – dans le Roussillon voisin41.

La spe´cificite´ des ame´nagements portuaires civils en Languedoc, a`

la diffe´rence de ce que l’on observe en Provence ou en Bretagne, est qu’ils ont e´te´ largement pilote´s par le roi seul puis conjointement avec l’assemble´e des e´tats de la province. Certes les villes portuaires avaient pu faire face, jusqu’auXVIesie`cle, aux ne´cessite´s d’entretien des berges, e´ven- tuellement des quais, et des acce`s a` la mer. Mais le de´veloppement de la navigation a` l’e´poque moderne posait de nouveaux de´fis en matie`re d’e´quipement. La configuration du littoral, en arrie`re duquel se situaient ces villes, explique une certaine impuissance de ces dernie`res. La quasi impossibilite´ d’intervenir hors de leur territoire politique et la faiblesse des moyens financiers les contraignaient a` accepter l’action du roi et – bientoˆt – des e´tats, apre`s que le pouvoir royal avait pousse´ ces derniers a` s’y engager. Mais qui paie de´cide, et les inge´nieurs du roi durent collaborer avec la commission des travaux publics des e´tats pour de´finir les modalite´s de l’investissement public.

Les villes furent alors contraintes d’imaginer leur place dans ce nouveau cadre institutionnel et financier. Ainsi, en Languedoc, les rapports entre les espaces portuaires et les tissus urbains n’ont gue`re oriente´ les politiques d’ame´nagement. Cet aspect-la` fut secondaire, rele´gue´ derrie`re les crite`res de navigabilite´ – sur une coˆte basse qui s’ensablait –, d’ade´quation a` une politique e´conomique d’ensemble – un mercantilisme d’E´tat – et, en corol- laire, un sche´ma d’ame´nagement global pense´ hors de la ville. D’un point de vue ge´ne´ral, a` l’e´chelle du syste`me re´gional de navigation, les positions relatives des villes portuaires furent modifie´es : Frontignan, Me`ze et Mar- seillan, de ports de mer devinrent des ports inte´rieurs, tandis que Se`te s’imposait, avec Agde, comme l’un des deux grands ports maritimes de la province, a` son e´chelle. D’un point de vue plus local, les effets urbanisti- ques furent parfois tre`s importants, positivement ou ne´gativement. Les petites villes portuaires de Se´rignan et de Vendres devinrent des villages agricoles ; la pre´sence d’un port s’estompa dans le tissu du baˆti. Les petites villes de Me`ze, Marseillan et Frontignan garde`rent des infrastructures modestes, avec un bassin, des quais et des entrepoˆts alentours. Cependant, leur roˆle d’interface entre un arrie`re-pays viticole et le port d’exportation de Se`te explique la multiplication qui s’y fit d’entrepoˆts et d’implantations industrielles (bruˆlage des eaux-de-vie) dans le baˆti ancien et dans des

41 . Annick Che`le,Port-Vendres a` l’e´poque moderne, me´moire de maıˆtrise sous la direction d’Anne Blanchard, Montpellier, Universite´ Paul Vale´ry, 1986.

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extensions de celui-ci aux abords des infrastructures portuaires. Quant au port de Se`te, non repre´sente´ aux e´tats de Languedoc, mais objet de toutes les attentions des autorite´s provinciales et royales, il devint une vraie ville portuaire, pre´parant son essor e´conomique et de´mographique du

XIXe sie`cle, avant que Port-La-Nouvelle n’e´merge de la re´volution indus- trielle et ne profite, avec elle, d’une littoralisation massive des activite´s42. LeXXesie`cle accoucha, quant a` lui, du Cap d’Agde, par la mission Racine, au lieu ou` Le Peletier des Ravinie`res reˆvait la fondation de Louisville.

42. Lionel Dumond, « Les hauts fourneaux de l’arrie`re-port se´tois a` la fin duXIXesie`cle : l’e´chec d’un ‘‘reˆve industrialiste’’ », dans Lionel Dumond et Ste´phane Durand (sous la direction de),Les ports...,op. cit., p. 1 35-1 51 .

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