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Les apothicaires membres de la famille Harmant, une grande famille "médicale" de Nancy des XVII e et XVIII e siècles par Pierre Labrude

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Les apothicaires membres de la famille Harmant, une grande famille ”médicale” de Nancy des XVII e et

XVIII e siècles par Pierre Labrude

Pierre Labrude

To cite this version:

Pierre Labrude. Les apothicaires membres de la famille Harmant, une grande famille ”médicale” de

Nancy des XVII e et XVIII e siècles par Pierre Labrude. 2018. �hal-01939160�

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Les apothicaires membres de la famille Harmant,

une grande famille "médicale" de Nancy des XVII

e

et XVIII

e

siècles

par Pierre Labrude

professeur honoraire de l'université de Lorraine,

membre associé du centre régional universitaire lorrain d'histoire EA 3945, membre de l'académie internationale d'histoire de la pharmacie.

pierre.labrude@orange.fr

A l'occasion d'une succession intervenue dans une importante et ancienne famille de Nancy, l'Association des amis du musée de la Faculté de médecine a acquis un pastel anonyme de dimensions 40 x 50 centimètres, entouré d'un cadre doré et recouvert d'un verre étanche à la poussière. Au dos de ce pastel est collée une étiquette sur laquelle on peut lire :

"Noble Dominique Benoît Harmant d'une bonne famille de Lorraine dont plusieurs aïeux ont été revêtus d'emplois de distinction (...)". Dominique Benoît Harmant appartient en effet à une importante famille de chirurgiens, puis d'apothicaires, de médecins et d'officiers ducaux de Nancy. Médecin lui-même

1

, il a occupé d'importantes fonctions au Collège royal de médecine (ou "des médecins") de la cité dans la seconde partie du XVIII

e

siècle

2

. Au cours de recherches sur la pharmacie à Nancy et dans sa région, j'avais eu l'occasion de trouver la mention de plusieurs apothicaires portant le nom de Harmant, ainsi que celui de plusieurs de leurs gendres, eux-mêmes apothicaires. Mais c'est à la suite de cet achat par le musée que j'ai pu me rendre compte de l'importance et de la notoriété chirurgicale, pharmaceutique puis médicale de cette famille Harmant aux XVII

e

et XVIII

e

siècles dans la capitale des duchés, mais aussi à Lunéville et à Commercy, autres cités importantes pour la Maison de Lorraine et de Bar.

Les origines de la famille Harmant

3

La famille Harmant, dont le nom est également orthographié "Harmand", principalement au début de sa notoriété, est connue sous ce nom à Nancy depuis la fin du XVI

e

siècle. Le premier personnage dont le souvenir est resté est Perisat Herman, "concierge de l'artillerie", et sa femme Isabel, le 27 mai 1544

4

. Le nom se stabilise sous la forme

"Harmant" avec Nicolas, mentionné lui aussi comme "concierge en l’artillerie" ou encore comme "concierge en l'arsenal de Lorraine" du duc Charles III. Il faut considérer ce mot

"concierge" dans son acception d’autrefois, telle qu'elle existe depuis la fin du XII

e

siècle

5

: un officier pourvu de la charge d’un édifice important : château, palais, prison, dont il est le directeur ou le conservateur. L’arsenal d’artillerie de Nancy a été érigé, à partir de 1550, par la régente Chrétienne de Danemark. Il est riche et réputé, et la Cour de Lorraine s’en enorgueillit. Servi par un important personnel, il comporte une manufacture d'armes et des entrepôts. Il est utilisé jusqu’en 1737, puis il reprend du service à partir de 1775

6

. La manutention militaire a utilisé les bâtiments. Une place porte aujourd’hui son nom et ce qui reste des locaux abrite une école (figure 1, page 2).

Nicolas Harmand et sa première épouse, Catherine Soldieux, décédée peu avant

janvier 1594, ont au moins dix enfants parmi lesquels deux sont concierges chez Son Altesse

le duc, cependant que plusieurs filles épousent des membres de l'entourage ducal. Leur

quatrième enfant, prénommé Nicolas comme son père, ce qui est classique, né vers 1576, est

cité comme "jeune fils chirurgien" en 1604 et comme maître en 1622

7

. Marié avec Louise

Henry vers 1605, il est installé en "la ville neuve de Nancy" - la ville dite "de Charles III" - et

il reçoit et forme des apprentis. Il meurt en 1632. Nicolas Harmant et Louise Henry ont eux-

(3)

mêmes un fils prénommé Henry, qui est lui aussi chirurgien à Nancy, et qui est cité en qualité de chirurgien de Son Altesse (ultérieurement : S.A.) la duchesse Catherine, et un autre fils, Claude, qui est maître apothicaire, également à Nancy où il est reçu en mars 1639.

Figure 1 : les restes de l'arsenal de Nancy (photographie P. Labrude, 2016).

Claude Harmant

Claude Harmant, premier des apothicaires de la lignée, et son épouse Marie Vaultrin, décédée en 1688

8

, font entrer certains de leurs enfants dans le milieu pharmaceutique et médical de la cité ducale. D'autres appartiennent à l'entourage du souverain. Leur première fille, Marie, épouse de Jacques Duval, perruquier de S.A., a une fille, prénommée Catherine, qui devient en 1690 la femme de Claude Dunant, distillateur et marchand confiseur à Nancy, une profession proche de celle des apothicaires par certaines de ses activités. Né à Torn, dans le canton suisse de Fribourg, Claude Dunant est le fils d'un chirurgien. Claude Harmant, reçu maître le 3 mars 1639 selon Monal

9

, occupe successivement les diverses fonctions administratives de la communauté des apothicaires de Nancy : conseiller en 1653, il est second juré le 11 septembre 1656 et premier juré le 8 octobre 1658

10

. On le retrouve dans les fonctions jurées en 1665-1666 et encore en septembre 1677 comme second juré. Claude Harmant décède entre le 9 septembre 1677, où il a été élu second juré, et le 27 juin 1678, où Sébastien Mengin, dit "Dardeville", le remplace dans cette fonction

11

.

La boutique de pharmacie de Claude Harmant accueille de nombreux apprentis qui logent dans la maison : Simon Leduc, fils de Simon Leduc, droguiste, en 1657

12

; Claude Robert et François-Gabriel Collignon en 1664, Charles Philpin en 1670. Est-ce un parent de Samuel Phulpin qui créa le jardin botanique de l'université de Pont-à-Mousson vers 1606, en fut le jardinier simpliste jusqu'à sa mort en 1660, et exerça au collège des Jésuites en qualité d'apothicaire ?

13

. C'est enfin en 1676 son fils Jean, dont l'apprentissage a sans doute été perturbé par la mort de son père qui est aussi son maître, ce qu'on appelle souvent

"conducteur" au moment du passage des examens de maîtrise.

Jean Harmant

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Jean est le quatrième enfant de Claude Harmant et de Marie Vaultrin, cités ci-dessus.

Il est apprenti le 9 septembre 1676 et il est reçu maître dès le 13 juillet 1678 avec "dispenses et privilèges" en qualité de fils de maître

14

. Il n'est pas impossible que son apprentissage se soit en partie déroulé chez maître Alary (ou Allary). En effet, en 1680, il épouse Marguerite Alary, fille de Louys (ou Louis) Alary, maître apothicaire à Nancy où il a été reçu le 23 décembre 1654

15

, et de Jeanne Gerardin. Il ne serait pas étonnant par ailleurs qu'il succède à son beau-père Alary. Il est nommé second juré de la communauté le 9 septembre 1688 et premier juré le 10 septembre 1691

16

. Le 1

er

mars 1695, alors qu'il est encore ou à nouveau premier juré de la communauté, un emprunt est contracté par celle-ci au notaire Grison en vue de faire face à une imposition établie l'année précédente. La dette n'est remboursée à sa fille qu'en mars 1716 !

17

. Le 12 décembre 1708, il fait enregistrer ses lettres de maîtrise à la faculté de médecine de Pont-à-Mousson, en vertu de l'article 31 de l'ordonnance de Léopold du 28 mars précédent "portant règlement pour la médecine et la pharmacie"

18

.

Parallèlement à son exercice officinal, Jean Harmant appartient à l'entourage ducal. Il remplace d'abord Payen comme apothicaire de la Cour au milieu du mois de mars 1713

19

. Il est ensuite promu premier apothicaire par lettres patentes du duc Léopold du 20 mars 1715.

En effet, dans le brevet de survivance qu'il accorde à son gendre Antoine François en 1720, le duc rappelle que son beau-père Jean Harmant a été nommé le 20 mars 1715 mais qu'il exerçait déjà "auparavant". Survivant assez longtemps à son épouse Marguerite, décédée le 26 décembre 1706, Jean Harmant meurt à Lunéville le 5 janvier 1723. Il signe "apothicaire de S.M."

20

. En juin 1713, il défend le sieur La Lanne, chirurgien qui délivre des médicaments à des habitants de la ville, nonobstant les ordonnances de Léopold de 1708, à la suite de la plainte déposée contre lui par la communauté des apothicaires auprès du bailliage le 2 de ce mois et à laquelle il ne s'est pas joint. Nous croyons savoir pourquoi : le certificat produit par Harmant doit avoir été rédigé au titre de la solidarité entre les officiers ducaux, La Lanne étant "chirurgien ordinaire de S.A.R.", un titre qui lui permet à son tour d'assigner la communauté des apothicaires !

21

.

La pharmacie Harmant attire aussi des apprentis. Dans sa thèse, Emile Monal signale deux Vaultrin, tous deux nés à Dieuze, dans le Saulnois, à environ quarante kilomètres à l'est de Nancy. Ils sont peut-être frères, sinon sans doute cousins, et sont tous les deux apprentis à Nancy. François-Charles Vaultrin est apprenti "au logis" - comme c'est la coutume - de Louis Alary en 1683, et Jean-Joseph dans celui d'Harmant en 1694

22

. Il y a là, à n'en pas douter, des relations familiales, comme on en trouve très abondamment à l'époque. Sans doute sont-ils apparentés à Marie Vaultrin, l'épouse de Claude Harmant et la mère de Jean. Ces deux apprentis, dont j'ignore les dates de réception, n'ont pas exercé à Nancy. On les retrouverait sans doute dans le Saulnois, à Château-Salins, à Vic-sur-Seille ou à Dieuze. Entre temps, la pharmacie accueille Georges Bastien en 1686

23

.

Jean Harmant et Marguerite Alary ont au moins neuf enfants. Louis, leur fils aîné, devenu médecin, est le père de Dominique Benoît, le médecin dont le musée de médecine a acquis le portrait. Jean (-Baptiste ?), leur second fils, devient médecin du duc. Mais certaines de leurs filles épousent des apothicaires...

Antoine François

24, 25, 26

Antoine François est né à Nancy, paroisse Saint-Sébastien, le 10 novembre 1690. Il

n'est pas issu du "monde de la pharmacie" mais descend de Nicolas François, bourgeois de

Saint-Mihiel, une ville importante du Barrois, de par sa célèbre abbaye bénédictine mais aussi

(5)

par sa fonction judiciaire. Son père Nicolas, lui-même de même prénom que son père, marchand coutelier à Nancy, y a épousé Anne-Marie Allié le 30 mai 1677 à l'église Saint- Epvre. Il a un frère aîné, François, né le 9 décembre 1680, lui aussi paroisse Saint-Sébastien, qui deviendra premier valet de chambre de François-Etienne de Lorraine, le dernier duc de Lorraine et de Bar, qui quittera les duchés pour pouvoir épouser Marie-Thérèse de Habsbourg, l'héritière de l'empire autrichien et du royaume de Hongrie. C'est sans doute en raison de cette fratrie qu'Antoine François entrera plus tard totalement au service de la famille ducale et impériale. Dans un premier temps, il devient apothicaire.

C’est en juin 1709, donc un peu avant l’âge de dix-neuf ans, ce qui est déjà assez tard pour commencer un apprentissage, qu’Antoine entre chez Jean Harmant. Cet apprentissage est assez court puisque ses premiers examens de maîtrise ont lieu dès septembre 1714, soit cinq ans plus tard. Précisons toutefois qu'au moment où il les commence, il est presque gendre de maître… En effet, le 12 février 1715 à l'église Notre-Dame de Nancy, il épouse Marguerite Rose Françoise Harmant, la fille de son maître, et nous savons bien qu'un tel mariage facilite grandement les choses… Les épreuves sont cependant assez longues ; peut-être ont-elles été un peu laborieuses, et Antoine est seulement reçu maître en fin d’année 1715. Entre temps comme déjà indiqué, son beau-père a été officiellement nommé premier apothicaire du duc Léopold par lettres patentes du 20 mars 1715.

Antoine François réside d’abord à Nancy dans la paroisse Saint-Sébastien où naissent plusieurs de ses enfants et où il est qualifié d'apothicaire mais sans que nous sachions où et comment. C’est à la fin de l'année 1718, bénéficiant sans doute de l’aide de son beau-père, qu’il entre au service du duc et qu’il va habiter à Lunéville

27

, paroisse Saint-Jacques, dans le centre de la ville, où naissent d’autres enfants. Le service de pharmacie du duc comprend Jean Harmant, rémunéré annuellement à hauteur de 600 livres, son gendre Antoine, rémunéré 300 livres, ainsi qu’un garçon apothicaire. Le 28 novembre 1720, Léopold accorde à Antoine un brevet de survivance de la charge de son beau-père, qui meurt à Lunéville le 5 janvier 1723.

Le texte, retrouvé aux Archives nationales par Tétau, figure intégralement dans sa thèse

28

. Antoine devient donc Premier apothicaire de Son Altesse Royale et porte un titre variable selon les moments : apothicaire de la Cour ou apothicaire de Son Altesse. C’est pendant cette période d’activité à la cour ducale où il réside, qu’en 1728, Antoine reçoit pour son laboratoire de la pharmacie un beau mortier en bronze, en forme de cloche renversée et d'une masse de 115 kilogrammes

29

, réalisé par le fondeur de canons François Huin (Nancy 1696- Lunéville 1745) qui est un spécialiste de la fonte des pièces d’artillerie

30

. Sa marque se trouve sur trois lignes en relief sur la panse, à l'opposé des armes de Léopold : "F HVIN FECIT". Ce mortier a peut-être été coulé à la fonderie de canons sur ordre du duc. Tant l’inscription portée sur la bordure supérieure, que la marque du maître fondeur, ne laissent aucun doute sur cette origine : "Antoine François Premier apoticaire de Son Altesse royale ma fait faire en lan 1728". Après la mort assez brutale de Léopold survenue en mars 1729, Antoine reste premier apothicaire de son fils et successeur François-Etienne, le duc François III, bien que celui-ci ne réside pas habituellement en Lorraine mais à Vienne où il a été envoyé lorsqu'il était adolescent.

L'existence de deux apothicaires aidés d'un garçon à la cour ducale de Lunéville et

celle d'un gros mortier pose la question de l'existence d'une apothicairerie à l'intérieur du

château ou dans ses dépendances. Le château ayant été très abîmé par un incendie en 1719, il

fait l'objet d'une reconstruction sous la direction de l'architecte Germain Boffrand. Jusqu'à

présent, cette question d'une apothicairerie semble n'avoir jamais été étudiée. A la suite de ma

question, qui avait plusieurs fois abouti à la réponse qu'il n'en était pas fait mention et

(6)

qu'aucun local ressemblant à une pharmacie et à ses annexes ne figurait sur les plans, l'un des membres de l'équipe de conservation du musée et l'archiviste municipal ont effectué une recherche qui a fourni une réponse positive

31

. Une apothicairerie apparaît en 1720 et 1721 avec la réalisation de rayonnages, de tables, de mobiliers spécialisés et de coffres pour la conservation des drogues. Le local choisi est le soubassement de la petite aile du château face aux jardins. Mais il est affecté à d'autres usages et le mobilier est transporté provisoirement dans une maison de la rue de Banaudon. Au cours de la décennie, il est installé dans une belle maison qui borde la place du château du côté sud et dans laquelle se trouve actuellement une librairie. Nous ne savons pas pour l'instant ce qu'est devenue ensuite cette pharmacie, et surtout ce qui s'est passé pour elle en 1737 au changement de souverain et, si elle existe encore à ce moment, en 1766 à la mort de Stanislas.

Veuf de Mademoiselle Harmant, décédée à Lunéville le 26 avril 1733, Antoine réside tant dans la ville ducale qu'à Alteville, un hameau situé à environ six kilomètres au sud-est de Dieuze, près de l'étang du Lindre. Dieuze est à une trentaine de kilomètres au nord-est de Lunéville. Le 8 janvier 1735, il épouse en secondes noces Louise Pellier, fille d'un médecin de Vic-sur-Seille, localité qui se trouve à proximité. Le 23 juillet 1736, il achète à son frère François, premier valet de chambre de S.A.R., et à son épouse Claude Françoise Gerdolle Lange, un gagnage situé à Crantenoy, près d'Haroué

32

, pour la somme de 15.000 livres

33

. François François et son épouse sont des proches du duc et d'une grande famille de Lorraine, les Lenoncourt.

Antoine François reste au service de François-Etienne de Lorraine lorsque celui-ci abandonne ses duchés. Il est encore rémunéré en qualité d'apothicaire au premier trimestre de 1737. Le mariage Lorraine-Habsbourg a lieu le 12 février 1737. François-Etienne devient alors grand-duc de Toscane. Mais le jeune couple rentre à Vienne au printemps de 1739, et Marie-Thérèse succède à son père l'empereur Charles VI à sa mort le 20 octobre 1740. Pour sa part, François-Etienne devient empereur du Saint Empire romain germanique le 13 septembre 1745 sous le nom de François 1

er

. Nous ignorons quelle est l'activité d'Antoine François entre 1737 et 1742, année où nous le retrouvons en qualité d'homme de chambre de S.A. à Vienne, peut-être en remplacement de son frère François. En 1760, l'annuaire de la Cour le cite en qualité de secrétaire de la Chambre. Anobli le 15 juillet 1749, Antoine est agrégé à la noblesse de Florence le 17 janvier 1761. Il meurt à Vienne le 20 juin 1766. La famille reste en Toscane et en Autriche et, selon A. Petiot

34

, son patronyme s'adapte à sa nouvelle situation sociale. Parmi les nombreux enfants issus des deux mariages d'Antoine, aucun, à ma connaissance, n'est devenu apothicaire, ce qui est logique compte tenu de la progression sociale de la famille. Ils effectuent leur carrière dans l'administration et dans l'armée de leur nouvelle patrie.

François Sigisbert Maury

35

Jeanne, sixième enfant de Jean Harmant et de Marguerite Alary, épouse François

Sigisbert Maury vers 1719. Egalement élève chez son beau-père, il est reçu le 10 octobre

1719 et il est déjà apothicaire ordinaire de S.A. le 10 août 1723

36

, succédant sans doute à son

beau-frère Antoine François. Maury est ensuite apothicaire de la duchesse douairière

Elisabeth-Charlotte (d'Orléans), veuve du duc Léopold, régente des duchés à partir de la mort

de ce dernier en 1729 et jusqu'à 1737, année où les duchés échoient en viager à l'ancien roi de

Pologne Stanislas Leszczynski. Elle quitte alors Lunéville et devient la souveraine de la

principauté de Commercy jusqu'à sa mort survenue le 23 décembre 1744. La principauté

commercienne revient alors à Stanislas, duc nominal de Lorraine et de Bar.

(7)

Le couple Maury a cinq enfants. Leur fille aînée, Claude Claire, épouse en 1738 l'apothicaire Jean-Claude Virion

37

et elle en a deux fils, Jean-Nicolas et Louis. Ce mariage fait de Jean-Claude un gendre de maître (Sigisbert Maury) et un membre de la famille Harmant.

Au décès précoce de Sigisbert Maury, peut-être dès 1737, il lui succède à Commercy.

Jean-Claude Virion, époux de Claude Claire Maury puis de Monique Harmant

Il n'est pas impossible que Jean-Claude Virion soit le fils de Nicolas Virion, né à Metz et apprenti chez Parterre à Nancy en août 1690

38

. Antoine Parterre, "apothicaire de Sa Majesté", est le gendre de Jean Sirejean, lui-même membre d'une illustre famille d'apothicaires et de praticiens nancéiens

39

. Jean-Claude Virion

40

, dont j'ignore la date de naissance et le lieu d'apprentissage, est d'abord, à Commercy, "apothicaire de S.A.R. Madame la duchesse" et même "premier apothicaire" comme l'indique le Mercure de France en mai 1759

41

, fonction où il a succédé à son beau-père François Sigisbert Maury. Madame la duchesse est Elisabeth-Charlotte d'Orléans, veuve du duc Léopold et princesse douairère de la principauté érigée en sa faveur comme nous l'avons vu ci-dessus. Selon Tétau, Virion est le seul apothicaire connu de la famille ducale à Commercy au XVIII

e

siècle. Pour cette raison, il réside dans cette ville. Comme déjà indiqué, il a épousé Claude Claire Maury. Mais Claire Claude décède en 1742, selon l'inventaire réalisé le 5 mars de cette année.

Virion se remarie dès 1743 avec Monique Harmant, la soeur aînée de Dominique Benoît Harmant, l'un et l'autre enfants du médecin Louis Harmant, médecin des pauvres et médecin ordinaire de Léopold

42

, et petits-enfants de Jean Harmant. Virion et Monique ont sept enfants

43

. Ce mariage fait à nouveau entrer Virion dans la famille Harmant et il devient le beau-frère de Dominique Benoît Harmant. Or, comme déjà indiqué, celui-ci est un médecin important de la ville, membre dès 1751 de la Société royale des sciences et belles-lettres fondée par Stanislas en 1750 et où se retrouve l'élite de la ville. Il deviendra en 1781 le président du Collège royal de médecine, qui a été fondé par le même Stanislas en 1752, qui rassemble tous les médecins de Nancy en une sorte d'ordre, mais aussi des correspondants, et qui se veut une société savante et une sorte de faculté de médecine. Harmant y est professeur de chimie en 1769, membre du conseil en 1770, puis président en 1781. Il meurt en 1782

44

.

A la mort de la duchesse douairière Elisabeth-Charlotte en décembre 1744, Virion se

trouve sans situation et, compte tenu de son récent mariage avec une Nancéienne, il désire

s'installer à Nancy. En dépit de leur état, les apothicaires de la famille ducale doivent passer

les examens de maîtrise et réaliser les chefs d'oeuvre qu'ils comportent

45

. Nous ignorons

quelle est l'activité de Virion pendant ces années 1745 à 1751, car c'est seulement en 1751 et

1752 qu'il fait valoir auprès de la communauté des apothicaires nancéiens qu'il est (en réalité,

était) gendre de maître (Maury décédé). Cette prétention génère des difficultés avec la

communauté dont les membres semblent ne pas l'apprécier... Dans sa thèse, Madame Eber-

Roos indique qu'il a adressé au lieutenant général de police un long mémoire pour se plaindre

d'avoir été insulté par ses confrères. Ils lui auraient reproché de n'être "point né lorrain", ce

qui pourrait correspondre avec une naissance messine, "qu'il leur était bien triste d'être obligé

de recevoir parmi eux un ... de français comme lui dont on se méfierait toujours et qui n'aurait

jamais aucun grade dans leur corps"

46

. Effectivement, les archives du Collège royal de

médecine qui étaient conservées jusqu'en 2017 au musée de la Faculté de médecine,

renferment plusieurs documents relatifs à ces difficultés. L'un d'eux est un placet adressé au

chancelier, très certainement La Galaizière, sans doute en fin d'année 1752 où, ayant déféré à

la convocation de la communauté et s'étant présenté chez son confrère Pierson, Virion s'y

(8)

trouva une fois de plus confronté à la difficulté de se faire reconnaître comme gendre de maître (ce qu'il n'est effectivement plus...) et qu'il fut insulté "de paroles et d'effets (..) en présence de tout le corps des apoticaires"

47

.

La communauté admet finalement de lui reconnaître la qualité de gendre de maître, et, à ce titre de ne lui faire réaliser qu'un seul chef d'oeuvre au lieu de cinq ! Mais il ne le réalise pas dans les délais prévus, et ceci à plusieurs reprises, ce qui conduit de la part de la communauté et de la sienne à la transmission de plaintes au chancelier de Lorraine comme en témoigne un autre mémoire conservé dans les archives

48

. Peut-être y en a t-il d'autres ? Des procédures liées aux successions s'ajoutent à ces difficultés... Finalement reçu maître en vue d'exercer à Nancy, il s'installe rue Saint-Dizier, dans la maison de l'actuel numéro 48

49

(figure 2) dont son épouse Monique est propriétaire par héritage et succession de son grand-père maternel Jean-Baptiste Hanus, décédé en 1745, qui était un membre important de l'entourage ducal. La famille a été anoblie

50

.

Figure 2 : le buste de Léopold qui figure sur la façade de l'ancienne maison Hanus rue Saint-Dizier à Nancy (photographie P. Labrude, 2017).

Virion meurt le 19 octobre 1761 en Bavière, au retour d'un voyage à Vienne

51

. Nous ignorons ce qu'il était aller y faire. Peut-être avait-il encore des affaires à régler en relation avec son ancienne activité d'apothicaire de la duchesse douairière Elisabeth-Charlotte.

Virion et le commerce des eaux minérales

Virion est aussi le titulaire, au moins depuis 1757, du privilège de la vente des eaux minérales à Nancy. Cette activité a donné lieu à la publiction de nombreux règlements depuis le XVI

e

siècle, et ceci montre à la fois sa complexité et son caractère insatisfaisant. Dans la réalité, jusqu'à 1772, c'est le Premier médecin du roi qui est le "surintendant général des eaux minérales du royaume" et qui en organise le contrôle. Le 25 avril 1772, Louis XV crée la Commission royale de médecine pour l'examen des remèdes particuliers, et la distribution des eaux minérales, dont trois de ses membres sont "inspecteurs généraux des eau minérales".

Mais d'autres mesures règlementaires sont encore prises les années suivantes et en 1781, ce

qui montre encore une fois l'importance du sujet et l'insuffisance de la règlementation. L'un de

ces textes précise : "Aucun apothicaire, aucun commerçant, aucune maison religieuse, aucun

particulier, à moins qu'il ne soit muni d'une permission accordée sur des motifs bien spécifiés,

(9)

ne pourront, en aucun temps, faire venir des eaux minérales pour en faire le commerce (...)".

En août 1778, la commission est absorbée par la Société royale de médecine, et l'arrêt du Conseil d'Etat du roi en date du 5 mai 1781 confie à un comité restreint le soin de délivrer les permis d'exploitation des eaux minérales naturelles

52

.

Jean-Claude Virion détient des eaux issues de nombreuses stations thermales et il en débite une grande quantité : du 30 avril au 9 juillet 1757, il en vend 3409 cruches, bouteilles et flacons, dont 370 cruches d'eau de Selters (dans les montagnes du Taunus, en Hesse, où la source principale est à Niederselters), 344 bouteilles d'eau de Spa dont les acheteurs sont connus avec précision, et 42 flacons d'eau de Sedlitz. Mais il en a aussi débité "de Calsabigi"

53

, de Vichy, de Plombières, chaude (on se demande comment compte tenu de la distance importante qui sépare Plombières de Nancy, de la vitesse des transports et de sa conservation vraisemblable à la pharmacie pendant un certain temps !) et savonneuse, de Bains(-les-Bains), de Bourbonne(-les-Bains), de Bussang et de Waldsbrunn (sans doute en Alsace où la source n'est plus indiquée et semble donc perdue). Au 1

er

septembre, 3584 bouteilles et flacons se trouvent "dans le magasin du bureau général des eaux" qui se trouve à la pharmacie ou à côté, rue Saint-Dizier à Nancy

54

.

La boule d'acier minérale de Virion

Comme ses confrères et bien d'autres personnes, autorisées ou non, Jean-Claude Virion prépare et débite des boules d'acier selon une formule qui lui est au moins en partie personnelle

55

et que le professeur J. Martin a étudiée dans l'ouvrage qu'il a consacré à ce sujet

56

. Précisons déjà ce qu'est une telle boule dont il existe plusieurs variantes dont les noms sont légèrement différents. La boule de Mars est une préparation solide de forme généralement sphérique ou ovoïde et de couleur noire (figure 3), constituée de limaille de fer et de tartre. La macération des composants dans des décoctions de plantes vulnéraires conduit à la "boule d'acier vulnéraire" ou "boule de Nancy", qui est une spécialité de la ville apparue au début du XVIII

e

siècle. Il existe également des boules minérales dites "de la chartreuse de Molsheim", en Alsace, ainsi que des boules noires ou blanches "de pierre de fougère", dont la signification et la composition ne sont pas claires. La boule est munie d'une ficelle destinée à la suspendre dans de l'eau, de la tisane ou du vin, afin qu'une certaine quantité de sel de fer, et, le cas échéant, d'extraits de plantes, s'y dissolve. L'"eau de boule" ainsi obtenue a deux destinations possibles. En usage interne, c'est-à-dire si le patient la boit, sa finalité est de lutter contre l'anémie et le teint pâle qu'on appelle souvent "chlorose" et de permettre à l'organisme de "fabriquer" de l'hémoglobine ; en usage externe, c'est-à-dire appliquée sur une plaie, et plutôt avec de l'eau de boule d'acier vulnéraire, sa destination est de favoriser la cicatrisation, ce qui est le sens du mot vulnéraire. Après usage, la boule est essuyée et conservée jusqu'à une prochaine utilisation.

Figure 3 : une boule d'acier (collection et photographie P. Labrude).

(10)

La notice que Virion édite en 1753 à son propos, la seule nous semble-t-il à être rédigée par un pharmacien, précise que l'approbation du président du Collège royal de médecine Charles Bagard, lui a été donnée le 19 août et celle du lieutenant général de police Thibaut, le 22. Elle est subdivisée en plusieurs parties : une introduction intitulée "Boule de Mars", à laquelle succède "Vertus", puis "Manière de s'en servir extérieurement", et enfin

"Usage intérieur"

57

. En mai 1759, le Mercure de France indique qu'il "débite aussi en gros et en détail les véritables boules d'acier ou de mars, les boules blanches de fougère vulnéraires, fidèlement travaillées. Ceux qui en font commerce dans les Provinces étrangères, seront traités si favorablement, que le prix ne surpassera pas celui des mauvaises qu'ils tiennent ou viennent acheter en Lorraine. Il répond de leur qualité, et se soumet à les reprendre en tous temps, et d'en rembourser le prix en cas de mécontentement

58

. Les unes et les autres seront

"munies des imprimés qui annoncent leurs vertus avec la manière de s'en servir", ainsi que le cachet et la signature de Virion, qui ne figurent cependant pas sur la notice ! Virion n'oublie pas de souligner qu'il est apothicaire "ducal et privilégié" - ce qui n'est plus vrai -, et mentionne bien sûr son adresse rue Saint-Dizier, en ville neuve de Nancy. Le texte montre qu'il exporte sa production et qu'il a des égards pour les acheteurs en gros à qui il livre treize boules pour le prix de douze, une pratique qui a eu longtemps cours. Son prix est de dix-huit sols de France ou vingt-et-un sols de Lorraine pour une boule d'une masse d'une once

59

, soit de 24 à 33 grammes selon les endroits.

Virion évoque aussi la "véritable Boule ou Pierre de Fougère, noire et blanche, fidèlement travaillée", qu'il n'est d'ailleurs pas le seul à préparer. On ne sait pas très bien ce qu'est cette boule. S'agit-il des pilules de suc de feuille et de racine de fougère mâle, de sang- dragon, de vitriol de mars calciné (oxyde de fer), de litharge et de tartre, de suc de sureau, de gomme et de crâne humain (?) citées et modifiées par Baumé

60

. Cette préparation solide et colorée est employée comme astringent

61

. Il existe cependant d'autres boules blanches à Nancy à la fin du XVIII

e

siècle

62

.

Bien que les apothicaires n'apprécient pas la concurrence des fabricants extérieurs à la profession, une licence peut leur être accordée, et Tétau mentionne les dépenses faites par un sieur Henri, à une date non précisée, pour obtenir cette permission qui implique une visite. On y trouve les sommes versées à Bagard, le président du Collège royal de médecine, à Virion, à son secrétaire, au domestique de Bagard ainsi qu'aux sergents de ville !

63

. Ceci montre que

"l'administration" se prête à la délivrance d'autorisations pour des activités qu'elle réprouve par ailleurs... Dans sa notice, Virion dénonce les colporteurs qui font de mauvaises boules et leur attribuent "des vertus qu'elles n'eurent jamais"

64

. On lit effectivement des propos comme : "Les vertus et effets de cette boule sont merveilleux", ou "admirables", "elle est très nécessaires..."

65

. Virion ne se prive pas de telles allégations puisque sa notice mentionne "les merveilleux effets que produit tous les jours ..."

66

.

La préparation de l'eau de boule, qui constitue la manière d'absorber ce médicament, est assez uniforme : on roule la boule dans de l'eau tiède

67

, sans doute pour favoriser la dissolution. Elle est souvent administrée avec de l'eau de vie ou de l'eau d'arquebusade qui, à l'origine, est un médicament vulnéraire d'usage externe, mais qui devient au fil des siècles une sorte de liqueur. Le mot "arquebusade" désigne le résultat du coup d'arquebuse, c'est-à-dire la plaie qui en est la conséquence. Pour sa part, l'arquebuse est la première arme à feu portative.

Dans sa notice, Virion précise : "33 à 50% en usage externe, et 25% ou rien en usage

interne"

68

. Différentes précautions doivent être prises : boire l'eau en se promenant dans sa

chambre, se purger avant et à la fin, se conformer aux avis du médecin, ce qui apparaît assez

(11)

logique (!)

69

. En dépit de la mention de l'eau-de-vie et de celle de boire l'eau, il est toutefois permis de se demander si l'eau d'arquebusade ne peut pas être employée avec l'eau de boule sur la plaie, puisqu'en effet, l'indication primitive de cette eau est, plutôt était, le traitement des plaies dues aux balles des arquebuses... C'est un mélange de plus de quinze plantes, fraîches ou sèches qu'on fait d'abord macérer dans l'alcool pendant environ une semaine et dont on tire ensuite un alcoolat (figure 4). A côté de son activité vulnéraire, cette "eau vulnéraire spiritueuse" est un stimulant.

Figure 4 : une bouteille d'eau d'arquebusade au vin du XVIII

e

siècle présente dans une collection particulière (photographie P. Labrude, 2018).

Monique Harmant, "pharmacien" et successeur de son mari...

Après la disparition de Virion, et bien que ses droits soient contestés par ses enfants et leur tuteur

70

, sa veuve Monique Harmant, presque toujours appelée sous son nom de jeune fille, comme c'est l'usage, continue son activité pharmaceutique et de commerce des eaux minérales. Selon les règles de l'époque, elle a le droit de conserver la pharmacie si elle vit dignement et si un compagnon qualifié ou un maître exerce dans l'officine. Elle est d'abord aidée par Nicolas Le Brun qui reçoit ses lettres de maîtrise le 31 octobre 1762

71

et qui quitte sa pharmacie pour succéder à un confrère, puis par Christophe Delaporte, qui va devenir démonstrateur de chimie à la Faculté de médecine

72

et mourir peu après. Bagard écrit en sa faveur au chancelier de Lorraine. Dans sa réponse, celui-ci insiste pour qu'elle s'associe aux apothicaires Mandel, dont la pharmacie est proche

73

et dans la même rue, et Dugas de Beaulieu

74

. La présence et les fonctions de Dominique-Benoît, le frère de Monique, au Collège royal de médecine, et la notoriété de la famille doivent avoir joué un rôle favorable dans l'issue de cette affaire, car il ne semble pas que cette association a vu le jour

75

.

Monique Harmant-Virion subit bien sûr la concurrence de nombreux fraudeurs. Ceci

est normal puisque l'autorisation de préparer et de débiter des boules est accordée par les

pouvoirs publics à de nombreuses personnes qui n'ont aucune relation scientifique et

professionnelle avec la pharmacie, et qu'elle ne parvient pas à contrôler la validité ou la

péremption de leur autorisation ! Elle s'en plaint à la Société royale de médecine en juillet et

septembre 1779, en demandant son intervention auprès de l'intendant de Lorraine, mais aussi

(12)

des sanctions pour les contrevenants. La Société lui fait répondre de présenter son brevet aux magistrats de la ville en vue de se faire rendre justice, et indique que, si elle n'est pas maintenue dans ses droits, elle devra agir auprès de l'intendant. Pour sa part, son brevet lui sera renouvelé. Celui-ci expire en mars 1782 et elle en demande le renouvellement à la Société par anticipation en septembre 1780 en expliquant qu'elle en a besoin pour faire reconduire le bail de ses locaux et envisager leur extension. Faisant droit à cette demande, la Société lui accorde un nouveau brevet, d'une durée de six années, mais qui tarde à lui être expédié ! En 1785, elle est toujours la détentrice du privilège de la vente des eaux, avec comme inspecteur un certain Read

76

. S'agit-il du médecin messin bien connu ? A sa mort en novembre de cette année, c'est l'une de ses filles, Marie Barbe, épouse Daigle, qui lui succède dans cette activité. Son mari est alors chirurgien major du bataillon des Chasseurs des Vosges

77

.

Conclusion

Au total, cette grande famille compte un nombre important de membres des trois professions de santé de l'époque : chirurgiens, apothicaires puis médecins, et d'officiers de l'entourage ducal, certains étant proches de la personne du souverain, comme Antoine François qui a quitté la pharmacie pour devenir son valet de chambre à Vienne. Comme cela est classique, avant de compter des médecins, la famille comporte, simultanément ou à peu près, des chirurgiens et des apothicaires, qui sont classiquement à ce moment une sorte de

"premier échelon" vers la médecine. L'endogamie professionnelle y est grande, ce qui est aussi très habituel à cette époque de familles souvent nombreuses dans lesquelles les filles n'ont pas d'autre solution que le mariage ou la religion. Il est sûr que la présence d'apprentis dans la pharmacie, qui sont des jeunes garçons et qui, à ce moment, logent complètement et en permanence dans la maison, est une source de gendres dont on peut apprécier les qualités et les défauts pendant un temps significatif avant d'envisager une union ! En passant de père en fils ou de beau-père en gendre, l'officine ne quitte pas la famille, et la dispersion du patrimoine n'a pas lieu. Il en est de même de l'autre fonction que nous avons rencontrée, celle d'apothicaire de la cour ducale, que la famille essaie de conserver au moyen de la publication de brevets de survivance par le souverain. Cependant, la possession d'un tel brevet ne met pas à l'abri des difficultés comme celles que rencontre Virion lorsqu'Elisabeth-Charlotte disparaît et qu'il se retrouve "à la rue" à Commercy.

Bien qu'ayant socialement assez bien réussi et progressé, la famille n'échappe cependant pas aux décès prématurés comme celui de Maury et aux difficultés diverses comme celles que subit Virion. Elle n'échappe bien sûr pas non plus à la concurrence des contrefacteurs de médicaments, qui sont nombreux en raison de l'absence de protection des inventions mais aussi de pratiques administratives dont on peut s'étonner. Avec les eaux minérales et l'autorisation qui est nécessaire, nous constatons que la lenteur administrative n'est déjà pas un vain mot au XVIII

e

siècle... Au total, la famille Harmant est une belle illustration de ce que représentent la famille, le patrimoine, les mariages, les réseaux de relations qui aident, et au contraire les difficultés qui contrecarrent les carrières, sans oublier bien sûr la mort qui rôde...

Bibliographie et notes

1. J. Floquet et P. Labrude, " Dominique Benoît Harmant (1723-1782) Une brillante carrière

médicale à Nancy au XVIII

e

siècle", La Lettre du musée de la Faculté de médecine de Nancy,

2012, n°61, p. 2-4.

(13)

2. A.-M. Roos, épouse Eber, Le Collège royal de médecine de Nancy, une fondation du Roi Stanislas (1752-1793), thèse de doctorat en médecine, Nancy, 1971, 272 p. plus annexes.

3. Les éléments non pharmaceutiques de la généalogie m'ont été communiqués par M. Alain Gerdolle, du Cercle généalogique de Nancy, que je remercie vivement.

4. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle (ultérieurement ADMM), 3 E 2237.

5. F. Godefroy, Dictionnaire de l'ancienne langue française du IX

e

au XV

e

siècles et de tous ses dialectes, Genève-Paris, Slatkine, réédition 1982, vol. 2, p. 219.

6. J.-M. Collin, Nancy avant la Révolution, Nancy, autoédition, 2002, p. 249-252.

7. J. Carolus-Curien, Médecins & chirurgiens de la Lorraine ducale au fil des siècles, Metz, Editions Serpenoise, 2010, 197 p., ici p. 82 (Nicolas chirurgien).

8. A.J. Tétau, Les Apothicaires de Nancy au XVIII

e

siècle, thèse de doctorat d'université, mention pharmacie, Nancy, 1932, Paris, Occitania, 1932, 187 p., ici p. 166.

9. E. Monal, Les Maîtres apothicaires de Nancy au XVII

e

siècle, thèse de doctorat d'université, mention pharmacie, Nancy, 1917, Nancy-Paris, Berger-Levrault, 1917, 237 p., ici p. 68.

10. E. Monal, op. cit., p. 74-75.

11. E. Monal, op. cit., p. 78.

12. E. Monal, op. cit., p. 81.

13. J. Jourdan, Les apothicaires de Pont-à-Mousson au temps de l'université et les jardins botaniques, thèse de doctorat d'université, mention pharmacie, Nancy, 1939, Nancy, Société d'impressions typographiques, 1939, 192 p., ici p. 27, 81 et 104.

14. E. Monal, op. cit., p. 70, et A.J. Tétau, op. cit., p. 142.

15. A.J. Tétau, op. cit., p. 159.

16. E. Monal, op. cit., p. 79-80.

17. E. Monal, op. cit., p. 57-58.

18. J. Jourdan, op. cit., p. 52 et 178-179.

19. ADMM, B 1613, "Compte des gages ou pensions".

20. A.J. Tétau, op. cit., p. 117 et 142.

21. A.J. Tétau, op. cit., p. 116-118.

22. E. Monal, op. cit., p. 83.

23. E. Monal, op. cit., p. 82.

24. A. Petiot, "François (famille)", dans : Les Lorrains et les Habsbourg, Aix-en-Provence, Mémoires et documents, 2014, vol. 1, p. 222-223.

25. G. Baermann G., Le Mortier du pharmacien, suivi de l'inventaire de la collection des mortiers exposés au Musée historique lorrain de la pharmacie, thèse de diplôme d'Etat de docteur en pharmacie, Nancy, 1999, n°450, p. 153-157.

26. ADMM, 36 J 7, "chemise Harmant".

27. Ainsi qu'en attestent aux archives départementales des minutes de plusieurs notaires de Lunéville entre 1734 et 1766.

28. A.J. Tétau, op. cit., p. 143-144.

29. G. Baermann, Le mortier..., op. cit., p. 151 et 153-154. Deux photographies du mortier sont présentes en page 153. Il est conservé aujourd’hui au Musée lorrain où il a été déposé en 1881 par la commission des Hospices civils de Nancy, où il se trouve alors, sans que soient connus tous ses usages et ses localisations depuis la pharmacie d'Antoine François à la Cour de Lunéville jusqu'à son dépôt au musée à Nancy.

30. G. Baermann, op. cit., p. 157. La page est consacrée au fondeur F. Huin.

31. Communications de Mme C. Loillier, responsable des archives communales, par un

courriel du 10 novembre 2018, de M. J.-P. Carciofi, historien de Lunéville, et M. T. Franz,

membre de l'équipe de conservation du musée du château de Lunéville, par un courriel du 20

novembre 2018.

(14)

32. Haroué est à moins de trente kilomètres au sud-ouest de Lunéville. Le village est célèbre pour son château, érigé à partir de 1720 grâce aux libéralités de Léopold, pour Marc de Beauvau, marquis de Haroué, plus tard prince du Saint-Empire et Grand d'Espagne, etc. Sa femme Anne-Marguerite de Ligniville, qu'il a épousée en 1704, est devenue la maîtresse officielle du duc Léopold vers 1708 et elle le restera jusqu'au décès du duc souverain. Le village de Ligniville, aujourd'hui Lignéville, qui a donné son nom à cette grande famille noble de Lorraine, se trouve à l'ouest du département des Vosges, dans le canton de Vittel.

33. ADMM, 3 E 1966, signalé à l'auteur par M. Gerdolle.

34. A. Petiot, op. cit.

35. ADMM, 36 J 10, chemise "Maury".

36. A.J. Tétau, op. cit., p. 145.

37. ADMM, 36 J 14, chemise "Virion".

38. A.J. Tétau, op. cit., p. 179.

39. A.J. Tétau, op. cit., p. 177.

40. ADMM, chemises Harmant, Maury et Virion, op. cit.

41. A.J. Tétau, op. cit., p. 149.

42. P. Pillement, L'Organisation de la médecine municipale à Nancy du XVI

e

siècle à la Révolution, Nancy, Imprimerie G. Thomas, 1938, 55 p., ici p. 31.

43. ADMM, 36 J 14, "chemise Virion".

44. J. Floquet et P. Labrude, op. cit.

45. A.J. Tétau, op. cit., p. 149.

46. A.-M. Eber-Roos, op. cit., p. 167.

47. Archives du Collège royal de médecine de Nancy, carton 167, documents 8109. Ces archives ont été versées aux Archives de Meurthe-et-Moselle en 2017.

48. Archives du Collège royal de médecine de Nancy, carton 167, document 8106.

49. P. Robaux et D. Robaux, Les rues de Nancy, Nancy-Berne, Editions universitaires Peter Lang, 1984, "rue Saint-Dizier", p. 253-256.

50. A propos des anoblissements dans les familles Harmant et Hanus, on pourra consulter : A.

Pelletier (R.P. Dom), Nobiliaire ou armorial général de la Lorraine et du Barrois en forme de dictionnaire, Nancy, Thomas, 1758, tome 1, p. 349-350 (Hanus) et 351-352 (Harmant).

51. ADMM, 36 J 14, "chemise Virion".

52. T. Lefebvre et C. Raynal, Du thermalisme à la médecine thermale, sans lieu, Le Square éditeur, 2015, p. 37-38.

53. Contrairement à ce que la terminologie laisse croire, il s'agit d'un nom de personne : c'est

"l'eau de M. de Calsabigi", dont la source se trouve dans sa maison à Passy et qui fait l'objet d'une publication signée par Cadet, qui précise "apothicaire major de l'Hôtel royal des Invalides". Le travail est intitulé "Analyse des eaux minérales de M. de Calsabigi nouvellement découvertes à Passy" ; il n'est pas daté, comporte 19 pages, et est suivi d'un autre travail sur cette eau et relatif au bleu de Prusse. Les recherches sur cette publication établissent qu'elle date de 1755, et que son auteur Cadet est Louis-Claude Cadet de Gassicourt, qui a oeuvré dans l'établissement précité de 1753 à 1759. Quant à M. de Calsabigi, avec une z en italien, c'est un homme de lettres et un librettiste, né en 1714 et décédé en 1795 dans la péninsule.

54. A.J. Tétau, op. cit., p. 88-92.

55. A.J. Tétau, op. cit., p. 101-102.

56. J. Martin, Les Boules d'acier vulnéraires Boules de Nancy Boules de Molsheim et les Boules minérales des chartreux, Nancy, Studio graphique imprimeur, chez l'auteur, Malzéville (Nancy), 2007, 297 p.

57. J. Martin, op. cit., p. 166.

58. Mercure de France, Paris, 1759 (mai), n°1154, p. 207 ; et A.J. Tétau, op. cit., p. 101-102.

(15)

59. J. Martin, op. cit., p. 225.

60. A. Baumé, Elemens de pharmacie, Paris, Damonneville et Musier fils, 1762, p. 572-573.

61. J. Martin, op. cit., p. 271.

62. J. Martin, op. cit., p. 270, réf. 4.

63. A.J. Tétau, op. cit., p. 102.

64. J. Martin, op. cit., p. 154.

65. J. Martin, op. cit., p. 155.

66. J. Martin, op. cit., p. 166.

67. J. Martin, op. cit., p. 181.

68. J. Martin, op. cit., p. 148, réf. 9.

69. J. Martin, op. cit., p. 166.

70. A.-M. Eber-Roos, op. cit., p. 169.

71. A.J. Tétau, op. cit., p. 169.

72. A.J. Tétau, op. cit, p. 163.

73. Au sujet de la famille Mandel, consulter J. Martin : Titres et travaux de Joseph Sigisbert Mandel Notes biographiques sur les Mandel pharmaciens à Nancy, chez l'auteur, Malzéville (Nancy), 1992, 19 p.

74. Au sujet de la famille Dugas, consulter C. Moeur, Jean-Jacques Beaulieu (1726-1807), apothicaire à Nancy au XVIII

e

siècle, thèse de diplôme d'Etat de docteur en pharmacie, sous la direction de P. Labrude, 2009, n°3241, 198 p.

75. Archives du Collège royal de médecine de Nancy, carton 168, document 8141.

76. A.J. Tétau, op. cit., p. 91-92.

77. ADMM, 36 J 14 "chemise Virion".

L'auteur remercie MM. Laurent Gerdolle et Jacques Joubert pour leur aide à propos de la généalogie compliquée de la famille Harmant.

Résumé

Les apothicaires membres de la famille Harmant, une grande famille "médicale" de Nancy aux XVII

e

et XVIII

e

siècles - La famille Harmand, puis Harmant, est connue depuis 1544 avec Périsat Harmant qui est concierge de l'arsenal d'artillerie du duché de Lorraine à Nancy. Elle compte un nombre important de chirurgiens puis d'apothicaires et de médecins. Le premier praticien de la famille, qui fournit aussi des commensaux au duc, est Nicolas qui exerce en qualité de chirurgien en 1604. Le premier apothicaire est son fils Claude, reçu maître en 1639 et qui occupe les charges de la communauté des apothicaires nancéiens. Suit Jean son fils auxquel succèdent des gendres : Antoine François dont on connaît un beau mortier, actuellement déposé au Musée lorrain, puis François Sigisbert Maury, et enfin Jean-Claude Virion qui appartient à la famille par ses deux mariages successifs, d'abord avec Claire Maury puis avec Monique Harmant, la soeur de Dominique-Benoît Harmant, professeur de chimie puis président du Collège royal de médecine. Virion a quelques difficultés à s'installer à Nancy après avoir été apothicaire de la princesse d'Orléans, veuve du duc Léopold, à Commercy. Il prépare des "boules d'acier de Nancy", qui donnent lieu à une abondante publicité, et détient le privilège de la vente des eaux minérales, qui passe à sa veuve Monique puis, en 1785, à leur fille Marie Barbe, épouse d'un chirurgien militaire.

Summary

Apothecaries members of the important medical family Harmant, in Nancy during 17th and

18th centuries - This family whose name was scribed Harmand and later Harmant, was

(16)

known since 1544 with Perisat Harmant who was the door-keeper of the arsenal of artillery. It counted many surgeons, apothecaries and physicians. The early practitioner of the family, that furnished also officers to the duke, was Nicolas who was a surgeon, active in year 1604. The first apothecary was his son Claude, who received his lettres in 1639 and who occupied some functions in the community of apothecaries of the town. After him, was his son Jean, and then some sons-in-law : Antoine François whose beautiful mortar can be seen in the "Musée lorrain" in Nancy, later François Sigisbert Maury and Jean-Claude Virion. He married two times with girls of Harmant family : Claire Maury and Monique Harmant. Monique was the daughter of Dominique-Benoît Harmant, a physician who was first professor of chemistry, then the chairman of the royal college of physicians of the town. Virion had some difficulties to become an apothecary of Nancy town after beeing the apothecary of princess Charlotte d'Orleans in Commercy, where Charlotte lived after the death of Lorraine duke. Virion prepared some varieties of "boules d'acier de Nancy" and had the license for the delivery of mineral waters in the town. This authorization was successively given to Monique Harmant after his death and to his daughter Barbe Marie who was married with a military surgeon.

Mots-clés : famille Harmant, Nancy, apothicaires, Antoine François, Sigisbert Maury, Jean- Claude Virion.

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