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La Lex Calpurnia, le sénat et les alliés de Rome

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La Lex Calpurnia, le sénat et les alliés de Rome

GIOVANNINI, Adalberto

GIOVANNINI, Adalberto. La Lex Calpurnia, le sénat et les alliés de Rome. Cahiers du Centre Gustave Glotz, 2014, vol. 25, p. 49-68

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:88455

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Cahiers Glotz, XXV, 2014, p. 49-68.

LA LEX CALPURNIA, LE SÉNAT ET LES ALLIÉS DE ROME

La quaestio de pecuniis repetundis instituée en 149 par la lex Calpurnia a joué un très grand rôle dans l’histoire de Rome aux derniers temps de la République.

Comme l’indique l’intitulé de la loi, qui est celui qu’utilise Cicéron1, cette loi devait permettre aux victimes d’extorsions et d’autres abus de pouvoir commis par des magistrats ou des promagistrats du peuple romain de se faire restituer les sommes dont elles avaient été dépouillées. Les victimes de ces exactions et autres abus de pouvoir étaient surtout, comme le dit encore Cicéron, des alliés de Rome et également des ‘sujets’ et des nations extérieures2. De cette loi on sait, toujours par Cicéron, qu’elle fut la première d’une série de lois de pecuniis repetundis et que le tribunal (quaestio) qu’elle institua fut le premier tribunal permanent (quaestio perpetua) de l’histoire judiciaire de Rome.

Du contenu de la lex Calpurnia, on sait seulement que les membres du jury de la quaestio qu’elle institua étaient tous des sénateurs. Mais nous avons, grâce à une inscription célèbre connue depuis le xvie siècle, un fragment d’une loi de repetundis qui se réfère explicitement à la lex Calpurnia et dont il est certain et généralement admis qu’elle est liée à la législation judiciaire de C. Gracchus3. Dans la recherche moderne, cette loi ‘épigraphique’ est souvent identifiée à la lex Acilia connue surtout par Cicéron, qu’il qualifie, comme la lex Calpurnia, de lex de pecuniis repetundis4, alors que d’autres savants l’appellent lex repetundarum sans

1. Cf. Cic. 2Verr. 3, 195 ; Brut. 106 ; Off. 2, 75 (lex de pecuniis repetundis) ; Cluent. 147 : (quaestio... de pecuniis repetundis). Dans la littérature moderne, on emploie aussi les intitulés lex repetundarum et quaestio repetundarum.

2. Cf. Cic. diu. In Caec. 17 sq. : tota lex de pecuniis repetundis sociorum causa constituta… haec lex socialis est, hoc ius nationum exterarum est; 2Verr. 2, 15: quae sociorum causa constituta est; diu.

In Caec. 66: exterae nationes, quae in amicitiam populi Romani dicionemque (sunt). Pour la notion d’exterae nationes chez Cicéron, cf. Pis. 34 où il est question de lettres que les consuls sont chargés d’envoyer aux exterae nationes.

3. Sur ce document, voir maintenant l’édition avec traduction et commentaire et bibliographie exhaustive de Lintott 1992, p. XV-XIX, 16-33 et 88-169, ainsi que celle de Crawford 1996, p.

39-42 et 65-112.

4. Cf. Cic. Verr. 51 et diu. In Caec. 17. Cette lex Acilia est aussi mentionnée par Ps. Ascon.

231 Stangl.

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se prononcer sur l’identité de son auteur5. Par souci de clarté, je la dénommerai dans cet article ‘loi gracchienne’.

La quaestio de (pecuniis) repetundis instaurée par la lex Calpurnia est d’une très grande importance pour les historiens parce que, en raison des énormes enjeux financiers et politiques qu’elle impliquait, l’attribution des sièges des jurés du tribunal fut une des causes principales du conflit qui opposa l’ordre sénatorial à l’ordre équestre aux derniers temps de la République, les chevaliers contestant aux sénateurs le monopole que leur avait donné la lex Calpurnia6. En 122, C. Gracchus fit voter une loi qui transférait aux chevaliers la majorité voire la totalité des sièges au tribunal, ce qui leur donnait un moyen de pression exorbitant sur les sénateurs. Cette loi joua un rôle important dans les conflits qui aboutirent, en 88, à une guerre civile entre Sylla, qui voulait rétablir l’autorité du Sénat, et Marius qui défendait les intérêts des publicains et des gens d’affaires.

Sylla ayant remporté la victoire en 82 et s’étant fait élire dictateur, il restitua aux sénateurs la totalité des sièges dans la quaestio de repetundis et dans les autres tribunaux permanents qui avaient été créés entretemps. Enfin, en 70, une lex Aurelia mit fin à ce conflit en attribuant un tiers des sièges aux sénateurs, un autre tiers aux chevaliers et le dernier tiers aux tribuni aerarii qui semblent avoir été eux aussi des membres de l’ordre équestre7.

La loi gracchienne est par ailleurs d’une importance capitale pour les historiens du droit romain car elle décrit dans le détail la procédure que devait suivre le préteur responsable à partir du moment où il avait reçu la plainte de victimes d’extorsions commises par des magistrats ou des promagistrats du peuple romain.

Il devait d’abord s’assurer que le plaignant était légitimé à intenter devant le tribunal une accusation contre un magistrat ou un promagistrat du peuple romain et, si tel était le cas, à lui donner un patronus s’il le demandait. Il devait ensuite constituer un jury selon des critères minutieusement décrits par la loi et citer un certain nombre de témoins. Après avoir entendu les deux parties, le jury devait prononcer son jugement par un vote au bulletin secret et fixer la somme que l’accusé devrait verser à sa victime s’il était jugé coupable. On relèvera que le tribunal ne devait se prononcer que sur le montant des indemnités que l’accusé devrait verser au plaignant s’il était jugé coupable, mais qu’il n’était pas question d’une éventuelle condamnation pénale8.

Le sujet auquel je vais consacrer cet article est différent : je vais traiter des relations de Rome avec ses alliés et ‘sujets’ et donc de l’organisation et du fonctionnement de l’empire romain aux derniers temps de la République. Je vais plus précisément examiner deux questions fondamentales auxquelles je crois pouvoir apporter des réponses plus satisfaisantes que celles qu’on a proposées jusqu’ici : la première concerne les catégories de personnes que la loi veut protéger et à qui elle permet donc de porter plainte devant le tribunal contre des magistrats

5. C’est ce que font Lintott et Crawford.

6. Sur ce conflit, qui tient une grande place dans tous les manuels sur la fin de la République, cf. surtout Nicolet 1966, p. 467-613 et Nicolet 1972.

7. Sur les tribuni aerarii, cf. Nicolet 1966, p. 598-610.

8. Sur le contenu de la loi gracchienne, voir l’excellente présentation qu’en fait Lintott 1992, p. 16-25. De la littérature très considérable sur cette loi, on retiendra en particulier : Pontenay de Fontette 1954, p. 37-70, Schmidlin 1963, Eder 1969, p. 120-231, Venturini 1979 et Venturini 1997.

ou des promagistrats du peuple romain et la seconde consiste à définir les rôles respectifs, après l’institution de la quaestio de repetundis par la lex Calpurnia, du Sénat et de la quaestio de repetundis dans la répression des extorsions et autres abus de pouvoir commis par des magistrats ou des promagistrats romains au détriment d’alliés et de ‘sujets’ de Rome.

Les catégories de personnes habilitées à porter plainte pour concussion contre des magistrats ou des promagistrats romains étaient énumérées au tout début de la loi gracchienne. Dans ce qui est conservé de cette énumération (le début manque), sont nommés les alliés de droit latin ou des nations étrangères, ceux qui sont soumis à la puissance romaine ou qui sont amis du peuple romain (… nominisue Latini exterarumue nationum, quoiue in arbitratu dicione potestate amicitiaue populi Romani…), ce qui correspond assez bien à ce que dit Cicéron dans les deux passages de son discours contre Caecilius cités plus haut. L’interprétation de cette première ligne de la loi gracchienne et de ce que dit Cicéron dans son discours contre Caecilius est très controversée parce que, dans les sources antiques, les notions d’‘alliés’, d’‘amis’ ou de ‘sujets’ ne sont pas clairement définies et permettent donc toutes sortes d’hypothèses. Pour ne citer que des études récentes, C. Venturini a soutenu dans son ouvrage de 1979 que dans la loi gracchienne les alliés ne désignaient que les alliés d’Italie, que les nations extérieures étaient les provinciaux assujettis par Rome et que ceux qui étaient ‘soumis à la puissance de Rome’ étaient les autres alliés et amis de Rome9. Cette classification arbitraire a été justement critiquée par J.-L. Ferrary dans le compte rendu qu’il a fait de l’ouvrage de Venturini10, elle a également été remise en question par A. N. Sherwin-White, pour qui les socii étaient ceux qui étaient liés à Rome par un traité en bonne et due forme11, et par E. S. Gruen, qui soutient que les titres d’alliés ou d’amis faisaient partie du langage diplomatique et ne devaient pas être interprétés d’une manière trop stricte12. A. W. Lintott a quant à lui estimé dans son commentaire de cette loi que la vérité devait être à mi-chemin entre l’interprétation de Sherwin-White et de celle de Gruen13. Certains savants qualifient les catégories de personnes concernées de ‘sujets et d’alliés’14, ce qui correspond assez bien aux énumérations de la loi épigraphique et de Cicéron, alors que pour d’autres, ce sont des pérégrins15. Le plus souvent, ils sont qualifiés de ‘provinciaux’, ce qui laisse entendre que cette loi visait surtout, voire exclusivement, les gouverneurs de province et les exactions qu’ils pouvaient commettre au détriment de leurs administrés16. Il règne donc une grande incertitude sur les catégories de personnes concernées par la lex Calpurnia.

9. Venturini 1979, p. 51-91.

10. Ferrary 1983.

11. Sherwin-White 1984, p. 58-70.

12. Gruen 1984, p. 13-95.

13. Lintott 1992, p. 111. Sur la distinction entre socii et amici, voir aussi Bowman 1990 et Zack 2013 (qui fait un historique très détaillé de la recherche depuis Mommsen).

14. Cf. Kleinfeller 1914, dont la définition est reprise par Simon 1972 et 2001, ainsi que par Eder 1969, p. 59 et par Lintott 1992, p. 14.

15. Cf. p. ex. Kunkel 1963, col. 726, Nicolet 1972, p. 212 et Richardson 1987, p. 9.

16. Cf. p. ex. Frank 1930, p. 375, qui dit explicitement que cette loi visait les gouverneurs de province ; Schmidlin 1963, p. 6 ; Nicolet 1966, p. 473 ; Eder 1969, p. 34 avec la n. 1, p. 37 ; Richardson 1987, p. 1.

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Mais ce n’est là qu’un aspect de la question. Il serait tout aussi important de savoir au nom de qui les plaignants intentaient un procès à un magistrat ou un promagistrat romain, s’ils le faisaient pour défendre des intérêts privés ou en tant que représentants d’une cité, d’un peuple ou d’un souverain. Le début de la loi gracchienne, qui est très mutilé, permet de penser que les plaignants défendaient normalement voire toujours des intérêts privés, mais la clause de cette loi qui concernait le paiement aux plaignants des sommes que l’accusé jugé coupable avait été condamné à leur rembourser (l. 60-63) nous apprend que ces plaignants pouvaient être aussi bien des particuliers défendant des intérêts privés que les représentants (legati) d’une ciuitas, c’est-à-dire d’une communauté politique, ou d’un souverain. Cette clause est pratiquement ignorée des études et commentaires que j’ai cités au début de mon article (n. 3), qui semblent considérer comme allant de soi que les plaignants défendaient des intérêts privés17. Ils semblent ne pas connaître le passage de la deuxième action de Cicéron contre Verrès (2 Verr.

2, 8-14) où l’orateur relate la manière dont s’est engagé le procès contre l’ex- gouverneur de Sicile. Il commence par affirmer (§ 8-9) que jusqu’alors jamais les cités de Sicile n’étaient venues se plaindre à Rome d’un gouverneur à titre officiel (publico consilio) et que jamais jusqu’alors elles n’avaient apporté officiellement (publice) un témoignage contre un gouverneur. Il dit ensuite qu’avant l’ouverture du procès, des délégations de cités siciliennes (legationes uniuersae) s’étaient adressées aux consuls pour leur faire part de leurs doléances et qu’elles étaient venues demander à L. Métellus, qui avait été désigné pour succéder à Verrès, de venir dans sa province le plus tôt possible (§ 10) et que « de la province tout entière, à titre public et à titre privé (publice priuatimque), les plus nobles et les premiers citoyens (étaient) venus et que les cités les plus importantes et les plus illustres (avaient) mis la plus grande force à poursuivre le châtiment des injustices qui leur avaient été faites » (§ 11). Plus loin, il fait la distinction entre les personnes qui étaient parties à Rome sans en avoir reçu l’ordre du peuple et du sénat de leur cité et les délégués (legati) « qui avaient reçu mandat et qui étaient chargés de porter contre Verrès le témoignage de leur peuple » (§ 14). La quaestio de repetundis instaurée par la lex Calpurnia était donc compétente pour recevoir aussi bien les plaintes des ciuitates, c’est-à-dire des communautés politiques, représentées par des délégués officiellement mandatés pour le faire (legati) que celles de particuliers défendant des intérêts privés. Dans le cas du procès contre Verrès, ce sont de toute évidence les plaintes des cités de Sicile représentées par des legati officiellement mandatés pour le faire qui ont été déterminantes.

Ce constat m’amène à la question des rôles respectifs du Sénat et de la quaestio de repetundis dans la répression des extorsions et autres abus de pouvoir commis par des magistrats ou des promagistrats au détriment des alliés, amis et sujets du peuple romain. Sous la République, le Sénat a été l’assemblée qui, tout au long de l’année, a supervisé et géré l’ensemble des affaires publiques, aussi bien dans

17. .Voir surtout ce qu’en dit Lintott 1981, qui mentionne la clause en question (p. 181), mais qui considère très explicitement, aux p. 168-176, que les plaignants étaient avant tout des particuliers défendant des intérêts privés. Lintott (1992) évoque également cette clause dans sa présentation du contenu de la loi (p. 18), mais n’en mesure pas du tout la signification dans le commentaire qu’il en fait aux p. 142-144. Voir aussi ce qu’en disent Ferrary 1983, p. 70 (« en leur nom propre ») et Richardson 1987, p. 9 (“individual peregrini”).

le domaine de la politique intérieure que dans celui de la politique extérieure et de la conduite de la guerre. C’est au Sénat qu’il appartenait de recevoir les ambassades étrangères et de décider des réponses à leur donner, c’est au Sénat qu’il appartenait d’établir des relations d’amitié ou d’alliance avec d’autres États et de déterminer le statut des États qui se soumettaient de gré ou de force à l’autorité romaine. C’est aussi le Sénat qui, au début de chaque année civile, répartissait les provinces entre les magistrats et les promagistrats et qui leur donnait les directives pour la gestion de leur mandat. C’est donc logiquement au Sénat qu’il incombait de veiller à ce que ces magistrats et promagistrats n’abusent pas, au détriment des alliés, amis et sujet du peuple romain, des pouvoirs qu’il leur avait donnés et c’est effectivement ce qu’il a fait jusqu’au milieu du iie siècle en recevant les doléances des victimes d’extorsions et d’autres crimes commis par des magistrats ou des promagistrats et en prenant les mesures nécessaires pour y remédier. On ne sait pas en revanche si et dans quelle mesure l’instauration de la quaestio de repetundis en 149 a dépouillé le Sénat de ses prérogatives dans ce domaine. On sait toutefois, par Tite-Live et par Valère Maxime, qu’en 140 des délégués (legati) envoyés à Rome par les habitants de la province de Macédoine pour se plaindre des exactions commises par leur gouverneur furent reçus par le Sénat18. W. Eder, qui est le seul des auteurs cités aux n. 8 et 17 à s’être intéressé à cette question, a mis cette ambassade des Macédoniens en relation avec l’affaire des alliés de Sicile à l’époque de Cicéron dont je parlerai plus loin et avec le senatusconsultum Caluisianum de l’an 4 av. J.-C., et il en a conclu qu’après la promulgation de la lex Calpurnia le Sénat a conservé les prérogatives qui avaient été les siennes jusqu’alors et que c’est le Sénat qui a continué de recevoir les plaintes des victimes des magistrats et promagistrats romains et de décider des mesures à prendre19. Le fait qu’avant l’ouverture du procès de Verrès des envoyés des cités de Sicile s’adressèrent aux consuls pour leur faire part de leurs doléances, sans doute dans l’espoir que les consuls les introduisent auprès du Sénat, plaide en faveur de cette hypothèse. Mais C. Venturini, qui est avec Lintott un des spécialistes les plus connus de la quaestio de repetundis, affirme exactement le contraire en des termes très catégoriques : pour lui le Sénat aurait perdu, par la lex Calpurnia, cette compétence d’entendre les plaintes des victimes des magistrats et promagistrats romains et de décider des mesures à prendre20.

Je vais tenter d’apporter des réponses à ces incertitudes en examinant cas par cas les plaintes contre des magistrats ou des promagistrats que le Sénat a été amené à traiter avant la promulgation de la lex Calpurnia21. Il est en effet établi et incontesté que c’est la multiplication, à partir de la fin du iiie siècle,

18. Liv. Per. 54 et Val. Max. 5, 8, 3 qui disent tous deux explicitement qu’il s’agissait de legati, que ceux-ci s’adressèrent au Sénat, que les sénateurs les auditionnèrent et se préparaient à délibérer lorsque le père de l’accusé leur demanda de suspendre leur décision et de lui permettre de parler d’abord lui-même à son fils.

19. Eder 1969, p. 91-101.

20. Venturini 1997, p. 75 : “Il plebiscito interrompa infatti la precedente possibilità senatoria di invitare o meno, in seguito a valutazione discrezionale, un magistrato a concedere il giudizio recuperatorio”.

21. Cet inventaire a déjà été fait par plusieurs savants, mais pas de façon systématique et exhaustive et pas dans la perspective des questions que j’examine ici : cf. Ferguson 1921, p. 89-94 ; Pontenay de Fontette 1954, p. 15-24 ; Eder 1969, p. 6-57.

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des plaintes adressées au Sénat contre des magistrats ou des promagistrats qui a rendu nécessaire la création d’un tribunal permanent. Il paraît donc légitime d’en conclure qu’a priori les délits dont eut à connaître la quaestio de repetundis à partir de 149 devaient être de même nature que ceux que le Sénat eut à traiter avant l’instauration de ce tribunal et que les victimes de ces délits devaient être les mêmes. Pour ce qui est des rôles respectifs du Sénat et de la quaestio de repetundis après la promulgation de la lex Calpurnia, la comparaison qu’a faite W. Eder entre l’ambassade des Macédoniens en 140 d’une part et l’affaire de 171 et le Senatusconsultum Caluisianum de 4 av. J.-C. d’autre part y apporte une réponse à mon avis décisive.

La politique du Sénat envers les alliés et les amis de Rome avant la

lexcalpurnia

Dans la gestion de la politique étrangère, le Sénat se trouva confronté dès les dernières années de la 2e guerre punique aux ambitions et à la cupidité de ses chefs militaires, ambition et cupidité qui étaient contraires aux intérêts de l’État romain lui-même, le principal danger étant que ces chefs ambitieux et cupides étaient enclins à provoquer ou à faire durer des conflits22. Le Sénat avait par ailleurs la responsabilité de protéger les amis et alliés de Rome, ainsi que les États étrangers avec lesquels Rome avait des relations pacifiques, des actes de guerre injustifiés et des exactions que pouvaient commettre les chefs militaires et les gouverneurs de province et il dut à de nombreuses reprises intervenir dans ce sens. Cette sollicitude du Sénat envers eux n’était toutefois pas désintéressée car l’empire romain était une immense mosaïque de peuples et de cités dont la grande majorité était liés à Rome par des traités ou par des relations d’amitié, et c’est en grande partie grâce à ses amis et alliés que Rome construisit et conserva son empire, en particulier pendant la 2e guerre punique d’abord, lors de la conquête de la Méditerranée ensuite. Rome devait donc pouvoir compter sur leur fidélité et pour ce faire elle devait, dans la mesure du possible, agir contre l’avidité des chefs militaires et des gouverneurs de province. On connaît par Tite-Live un certain nombre d’interventions du Sénat, la première datant de

22. C’est ainsi qu’en 203 un consul à qui le Sénat avait attribué comme province l’Italie méridionale passa en Sicile avec l’intention de se rendre en Afrique avec ses troupes et de poursuivre la guerre contre Carthage (Liv. 30, 24, 1-4). En 201, un des deux consuls chercha vainement à se faire attribuer l’Afrique comme province alors que le Sénat était en train de négocier la paix avec les Carthaginois (Liv. 30, 40, 7-15). En 196 les deux consuls, qui désiraient poursuivre la guerre contre Philippe V alors que le Sénat avait décidé de faire la paix avec le roi de Macédoine, tentèrent vainement d’obtenir que la Macédoine soit décrétée province consulaire (Liv. 33, 25, 4-10). Deux ans plus tard, un consul tenta à son tour d’obtenir la Macédoine, mais lui aussi en vain (34, 43, 1-9). En 189, le Sénat donna mandat à un des deux consuls de mettre au point le statut des peuples et cités d’Asie Mineure qui avaient dépendu du roi séleucide Antiochos III, mais ce consul tenta, au lieu d’accomplir sa mission, de reprendre les hostilités contre le roi Antiochos en franchissant la frontière que le Sénat avait définie avec celui-ci et, après avoir vainement tenté de provoquer les garnisons qui gardaient cette frontière, il s’en prit aux Galates sans l’autorisation ni du Sénat ni du peuple romain (Liv. 38, 45).

l’année 205 et le plus grand nombre de l’époque de la 3e guerre de Macédoine (171-168). Les voici :

․ En 205, Locres Épizéphirii, cité grecque qui était devenue une alliée de Rome à l’époque de la guerre contre Pyrrhus, qui s’était donnée à Hannibal pendant la 2e guerre punique et qui fut reprise en 205 par Scipion l’Africain, alla se plaindre à Rome des exactions et des outrages que lui avait fait subir ensuite la garnison romaine, en rappelant son ancienne alliance avec Rome et en faisant valoir qu’elle s’était rendue à Scipion de son plein gré. Après avoir entendu les envoyés locriens, les consuls leur accordèrent une audience sénatoriale et le Sénat délibéra, après avoir pris connaissance de leurs doléances et après avoir fait sortir les délégués du temple où il s’était réuni, des mesures à prendre. Il décida d’ordonner une enquête, de faire arrêter et juger les principaux coupables, de rendre à la cité de Locres sa liberté et ses droits et d’indemniser ses citoyens pour les dommages qu’ils avaient subis. Il décida enfin d’envoyer à Locres un préteur avec une commission de dix membres pour vérifier sur place les dires des envoyés locriens. Cette commission commença par restituer au temple de la cité les trésors sacrés que les soldats de la garnison romaine avaient pillés et entreprit ensuite de faire restituer aux Locriens les biens que ces soldats leur avaient volés et de faire libérer les habitants de condition libre. Le préteur qui présidait la commission déclara alors aux Locriens que le peuple romain et le Sénat leur rendait leur liberté et leurs lois. Enfin, les Romains jugés coupables des méfaits accomplis furent enchaînés et envoyés à Rome pour y être jugés par l’assemblée du peuple23.

․ En 187, la cité d’Ambracie, qui avait été pillée et dépouillée de ses œuvres d’art par le consul M. Furius Nobilior, alla se plaindre au Sénat d’avoir été traitée comme une ennemie alors qu’elle s’était rendue volontairement ; le Sénat lui donna raison et décida de rendre aux Ambraciotes les biens dont ils avaient été dépouillés et de leur permettre de vivre en liberté et selon leurs lois (Liv. 38, 43, 2-44, 6).

․ En 173, le consul M. Popilius fut envoyé en Ligurie pour combattre les Ligures qui avaient pris les armes contre Rome. Après avoir défait l’armée ligure sur le territoire des Statellates, Popilius s’en prit à la cité de ce peuple, dont les habitants se rendirent après s’en être remis à la bonne foi du peuple romain. Bien que ceux-ci se soient rendus sans opposer de résistance, le consul leur enleva à tous leurs armes, détruisit leur ville et les fit vendre, eux et leurs biens. Lorsque les sénateurs prirent connaissance du traitement infligé aux Statellates par Popilius, ils en furent scandalisés parce que les Statellates étaient les seuls parmi les Ligures à ne pas avoir pris les armes contre Rome et s’en étaient remis à la bonne foi du peuple romain sans opposer de résistance. Ils estimèrent que le sort survenu à tant d’innocents implorant la bonne foi du peuple romain constituait le plus détestable précédent « au point que personne n’oserait plus jamais faire sa soumission ». Le Sénat ordonna en conséquence au consul M. Popilius de

23. Cf. Liv. 29, 6-9 et 16-22, avec les décisions du Sénat en faveur de Locres en 19, 7-8.

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remettre en liberté les Statellates en restituant leur argent aux acheteurs et de leur rendre leurs biens ainsi que leurs armes24.

․ En 171, le Sénat entendit des envoyés des provinces d’Espagne venus se plaindre des exactions dont s’étaient rendus coupables leurs gouverneurs de province, disant qu’eux, qui étaient des alliés de Rome (socii), étaient plus maltraités et dépouillés que des ennemis. Comme, parmi d’autres indignités dont ils se plaignaient, il était manifeste qu’on leur avait extorqué de l’argent, le Sénat chargea le gouverneur d’une des deux provinces d’Espagne de donner aux plaignants une commission de 5 récupérateurs ainsi que la possibilité de se choisir des avocats (patroni). Après avoir pris sa décision, le Sénat fit introduire les délégués des peuples espagnols et leur fit lire son décret. Le Sénat prit ensuite des mesures pour protéger à l’avenir les Espagnols en interdisant aux gouverneurs de fixer le prix du blé ni de forcer les Espagnols à leur vendre leurs vingtièmes à un prix arbitrairement fixé par eux ; il leur interdit également d’installer des préfets dans leurs cités pour faire rentrer l’argent (Liv. 43, 2).

․ L’année suivante, en 170, le Sénat reçut une série d’ambassades dont l’une avait été envoyée par un roi gaulois (on apprend par le contexte que le royaume de ce monarque était situé au nord des Alpes) pour se plaindre d’un consul qui avait ravagé le territoire de peuples qui étaient des alliés de ce roi et il reçut également une ambassade de trois peuples d’Illyrie venus se plaindre pour les mêmes raisons du même consul : à ce monarque et à ces trois peuples, le Sénat fit répondre que si ces exactions avaient vraiment été commises, il ne les approuvait pas et qu’il entendrait le consul concerné lorsqu’il serait revenu à Rome25. Mais les nombreuses ambassades qui affluèrent à Rome cette année-là venaient surtout du monde grec en raison de la guerre que Rome avait déclarée l’année précédente au roi de Macédoine Persée. Certaines de ces ambassades étaient venues pour faire savoir au Sénat que leur cité avait choisi de prendre le parti de Rome et qu’elles avaient déjà prouvé leur fidélité à Rome en fournissant aux chefs militaires romains des troupes, du blé ou d’autres aides matérielles.

C’est ce que firent notamment la cité de Lampsaque, qui demanda au Sénat d’être admise dans l’amitié du peuple romain et que le Sénat fit inscrire dans le registre des alliés de Rome (formula sociorum) (Liv. 43, 6, 7-10), et les Crétois, à qui le Sénat fit savoir que s’ils décidaient honnêtement de préférer l’amitié du peuple romain à celle du roi Persée, il répondrait comme il conviendrait de le faire envers des alliés sûrs (certi socii)26. D’autres cités, qui étaient au contraire restées fidèles au roi de Macédoine, avaient été soumises par la force des armes et avaient été, comme les Statellates en 173, traitées de manière très brutale par les généraux romains qui avaient réduit leur population en esclavage et avaient pillé et détruit la ville, ce qui fut le sort notamment de trois cités béotiennes, Coronée, Haliartos et Thisbé : le Sénat réagit en désapprouvant

24. Liv. 42, 8. L’asservissement impitoyable des Statellates par Popilius eut effectivement pour conséquence que l’année suivante les Ligures reprirent la guerre avec encore plus de détermination.

25. Liv. 43, 5, 1-5. Tite-Live nous apprend ensuite (§7) que l’ambassade chargée de donner au prince gaulois la réponse du Sénat se rendit trans Alpis. Le Sénat avait déjà envoyé des ambassades à des Gaulois habitant au nord des Alpes en 186 et en 183 (Liv. 39, 22, 6-7 et 39, 54-55, 3).

26. Liv. 43 ,7, 1-4 : en fait, les Crétois avaient fourni précédemment des troupes au roi Persée et le Sénat voulait qu’ils concrétisent leur fidélité à Rome en les rapatriant.

systématiquement cette brutalité et en faisant libérer les populations asservies27. D’autres cités enfin, qui étaient des alliées ou amies de Rome et qui étaient restées fidèles lorsqu’avait éclaté la guerre contre Persée, avaient été victimes de la cupidité et de la brutalité de généraux romains et venaient demander réparation au Sénat, ce qui fut notamment le sort d’Abdère, qui fut pillée et détruite par le préteur L. Hortensius parce qu’elle contestait la somme d’argent et la quantité de blé qu’il exigeait d’elle, et de Chalcis qui, ayant ouvert ses portes au préteur Lucrétius et à son successeur L. Hortensius et aux marins de leur flotte, avait subi de ces hommes les pires outrages et les pires exactions : le Sénat ordonna à Hortensius et à Lucrétius de rendre la liberté à ceux des Abdéritains et des Chalcidiens qu’ils avaient réduits en esclavage ; Lucrétius fut accusé devant l’assemblée du peuple par deux tribuns de la plèbe et condamné à une lourde amende28. À la suite de ces affaires, le Sénat promulgua et fit diffuser dans tout le monde grec que désormais les alliés et amis de Rome ne devraient plus tenir compte des exigences des généraux romains, à l’exception de celles qui avaient été décidées par le Sénat (Plb. 28, 13, 11 et Liv. 43, 17, 2).

De cette liste des extorsions et autres abus de pouvoir commis par des gouverneurs ou des chefs militaires romains durant cette période, on peut distinguer quatre catégories de victimes :

․ La première catégorie est la catégorie des ‘provinciaux’, c’est-à-dire des peuples, et cités intégrés dans une circonscription administrative permanente gouvernée par un préteur. Les peuples espagnols venus se plaindre à Rome de leurs gouverneurs en 171 sont les seuls à appartenir à cette catégorie, mais bien qu’ils fassent partie d’une province permanente administrée par un gouverneur, ces ‘provinciaux’ n’étaient pas des sujets, mais des alliés (socii)29. Tite-Live fait une distinction très claire entre les alliés et les sujets à propos des ambassades qui affluèrent auprès du proconsul M. Claudius Marcellus après la prise de Syracuse en 212 (Liv. 25, 40, 4): les Siciliens qui n’avaient pas abandonné Rome ou qui étaient rentrés dans son amitié avant la prise de Syracuse furent reçus et traités avec honneur, en alliés fidèles (socii fideles), alors que ceux qui s’étaient rendus par crainte, après la prise de Syracuse, se virent dicter des lois de vainqueurs à vaincus. De même, après la prise d’Agrigente en 209, certaines cités furent prises d’assaut, alors que d’autres se rallièrent à Rome de leur plein gré (uoluntaria deditione in fidem uenerunt) et furent traitées comme telles (Liv. 26, 40, 14). On

27. Cf. Liv. Per. 43 et Zonar. 9, 22 (destruction et asservissement de cités béotiennes en 171 par le consul P. Licinius Crassus et libération des populations asservies sur décision du Sénat) ; Liv. 42, 63, 3-11 (prise et destruction d’Haliartos par le préteur C. Lucrétius Gallus) ; Liv. 43, 4, 11 (libération sur ordre du Sénat de la population de Coronée) ; Plb. 27, 5, 3 et Sherk 1969, no 2 (restitution à Thisbé de son autonomie et de son territoire).

28. Cf. Liv. 43, 4, 8-13 (destruction de la cité d’Abdère, asservissement de sa population et libération de celle-ci sur ordre du Sénat) ; Liv. 43, 7, 5-43, 8 (outrages et exactions commis à Chalcis par les préteurs Lucrétius et Hortensius et leurs hommes, ordre donné aux deux préteurs de rendre la liberté aux Chalcidiens qu’ils avaient réduits en esclavage et condamnation de Lucrétius par l’assemblée du peuple).

29. Dans les études sur la quaestio de repetundis il y a une tendance à ignorer que les peuples espagnols venus se plaindre à Rome étaient des alliés (c’est ce que font notamment Lintott 1981, p. 170 sq. et Ferguson 1921, p. 92) ou à considérer que ‘sujets’ et ‘alliés’ sont synonymes (c’est ce que font Schmidlin 1963, p. 6 et 22-28 et Eder 1969, p. 34 et 37).

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trouve la même distinction chez Cicéron (2Verr. 3, 12-13), qui confirme que de son temps il y avait en Sicile des cités qui avaient été accueillies dans l’amitié et la protection de la loyauté (fides) des Romains30, avec le statut qui avait été le leur auparavant, alors que d’autres, très peu nombreuses, avaient été soumises par la force des armes. Lampsaque et les Crétois, qui envoyèrent des ambassadeurs au Sénat en 170 pour solliciter l’amitié de Rome, correspondent parfaitement à ce qu’étaient les peuples et cités accueillis dans l’amitié et la protection de la loyauté des Romains.

․ Font partie de la deuxième catégorie les peuples, cités et monarques que les sources littéraires et les inscriptions qualifient globalement d’alliés et d’amis de Rome, la distinction entre alliés et amis n’étant pas vraiment claire31. Ce sont les plus nombreux : en faisaient partie la presque totalité des peuples et cités grecs dont Rome avait reconnu l’indépendance après ses victoires sur Philippe V et Antiochos III ; en faisait également partie le peuple juif32. Comme le montre la réponse du Sénat à la cité de Lampsaque et aux Crétois, les qualifications d’‘alliés’ ou d’ ‘amis’ n’étaient pas simplement des titres honorifiques, mais des statuts reconnus unilatéralement par le Sénat à ceux qui les avaient mérités par leur attitude envers Rome. Concrètement, les peuples cités ou monarques à qui le Sénat avait accordé le statut d’alliés ou d’amis étaient inscrits dans un registre (formula amicorum ou formula sociorum), ce qui leur donnait le droit d’envoyer des ambassades au Sénat, et leur statut d’alliés ou d’amis était affiché publiquement au Capitole sur des tablettes de bronze33. Le statut d’allié ou d’ami pouvait se matérialiser par un véritable traité en bonne et due forme, mais ce n’était pas nécessairement le cas, comme le montre la décision du Sénat en faveur de la cité de Lampsaque34. L’essentiel était que ce statut impliquait de la part des alliés ou amis de Rome un loyalisme sans faille, qui pouvait se concrétiser par une participation aux guerres menées par Rome, mais il engageait réciproquement la fides du peuple romain envers ses amis et alliés, avec entre autres l’obligation de les protéger contre les exactions des magistrats et des promagistrats romains.

․ Les peuples et cités de la troisième catégorie sont ceux qui avaient été les alliés ou les sujets d’un ennemi de Rome et qui furent soumis par l’armée romaine

30. Sur l’importance de la fides dans les relations de Rome avec ses amis et alliés, cf. Lintott 1981, p. 164-172 et Freyburger 1986, p. 195-199, qui interprète correctement la fides entre Rome et ses amis et alliés comme une « loyauté réciproquement due par des peuples alliés » (p. 197). Cf.

aussi David 2006 et Cursi 2013.

31. Cf. supra, p. 3.

32. Cf. l’inventaire de Sherwin-White 1984, p. 58-70.

33. La cité de Lampsaque ayant demandé le statut d’amie de Rome fut inscrite dans la liste des socii (Liv. 43, 6, 10), de même qu’un prince macédonien peu après (Liv. 44, 16, 7). Mais un siècle plus tard, des particuliers ayant rendu d’éminents services à Rome furent inscrits dans la formula amicorum (cf. Sherk 1969, no 22, 12-15, avec le commentaire de Sherk). Sur la raison d’être de l’enregistrement dans les archives des alliés et amis de Rome, cf. l’excellent article de Bowman 1990, qui a parfaitement compris, en se référant à l’incident des espions illyriens (cf.

infra, n. 35), qu’il donnait aux ambassadeurs de ces amis le droit d’être entendus par le Sénat, l’hospitalité publique (hospitium) qui leur était offerte n’étant que le corollaire de leur statut diplomatique (la question de savoir si la formula sociorum et la formula amicorum n’étaient qu’un seul et même registre ou deux registres différents est sans importance ici).

34. Inversement, le traité de paix entre Rome et Antiochos III conclu à Apamée en 188 était une amitié perpétuelle sanctionnée par un véritable traité (Plb. 21, 43).

pendant la guerre. Ils font donc partie des ciuitates qualifiées par Cicéron de bello subactae et par Tite-Live de uicti a uictore. Des peuples et cités de cette catégorie, certains se soumirent sans opposer de résistance, mais furent néanmoins traités par les généraux romains avec une extrême brutalité, ce qui fut le sort de Locres Épizéphirii, d’Amphipolis et des Statellates, alors que d’autres, qui tentèrent effectivement de résister comme le firent plusieurs cités béotiennes au début de la guerre contre Persée, furent anéanties et leur population asservie et vendue.

Pour les uns comme pour les autres, le Sénat blâma les chefs militaires incriminés et leur ordonna de faire libérer les gens qu’ils avaient réduits en esclavage.

․ À la quatrième catégorie enfin appartiennent des nations habitant en-dehors de la zone d’influence de Rome et correspondant aux nationes exterae dont parle Cicéron, nations extérieures qui entretenaient avec les Romains des relations diplomatiques cordiales mais qui n’étaient apparemment pas liées à eux par un statut d’allié ou d’ami. C’était le cas du souverain gaulois Cincibillus, dont le royaume était situé au nord des Alpes, et des trois tribus victimes des pillages du consul C. Cassius.

De toutes ces affaires incriminant des magistrats ou des promagistrats romains, seule la plainte des alliés espagnols contre les gouverneurs de leurs provinces peut être considérée comme un litige relevant de l’administration de l’empire et de la politique intérieure. Dans toutes les autres affaires, les magistrats ou promagistrats concernés étaient des chefs militaires ayant reçu du Sénat un commandement opposant Rome avec ses alliés à un autre État ayant lui aussi ses alliés ou ses sujets, et ces affaires relevaient donc de la politique extérieure.

Comme je l’ai dit (p. 5) la politique extérieure en général et la conduite de la guerre en particulier étaient de la compétence et de la responsabilité du Sénat, il incombait au Sénat de contrôler les chefs militaires et de veiller à ce qu’ils respectent les instructions qu’il leur avait données. C’est au Sénat qu’il appartenait d’établir les contributions en hommes ou en fournitures que les chefs militaires pourraient exiger des alliés et des amis de Rome et c’est aussi au Sénat qu’il appartenait de décider de la manière dont devaient être traités l’adversaire et ses alliés. Pour gagner ses guerres et construire son empire, Rome devait pouvoir compter sur ses alliés et il était donc nécessaire que le Sénat protège ceux-ci contre la cupidité et l’ambition des chefs militaires. Il était aussi dans l’intérêt de Rome que le Sénat encourage les alliés et les sujets de l’adversaire à changer de camp et que, pour y parvenir, que les alliés et les sujets de l’ennemi soient traités avec ménagement. Comme le fait dire Tite-Live aux sénateurs à propos de l’asservissement des Statellates en 173 (Liv. 42, 8, 6), « le sort survenu à tant de milliers d’innocents implorant la bonne foi du peuple romain (fides populi Romani) avait constitué le plus détestable précédent, au point que personne n’oserait plus jamais faire sa soumission ». C’est pour cette raison que le Sénat a systématiquement ordonné de rendre la liberté à des populations asservies sans son accord.

Nous pouvons maintenant revenir à la lex Calpurnia et apporter pour commencer une réponse à la question des catégories de personnes habilitées à porter plainte contre des magistrats ou des promagistrats auprès de la quaestio de repetundis. Il apparaît d’abord évident que le qualificatif de ‘provinciaux’ souvent utilisé dans la littérature moderne est totalement inapproprié. Lorsque cette

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quaestio fut instituée en 149, seule la partie occidentale de l’empire était organisée en provinces permanentes administrées par un préteur. Il est d’autant plus inapproprié que les peuples et cités intégrés dans ces provinces n’avaient pas tous le même statut : comme le disent Tite-Live et Cicéron à propos de la province de Sicile, il y avait dans les provinces deux grandes catégories de peuples et de cités ayant des statuts fondamentalement différents, ceux qui avaient été accueillis par Rome comme des amis ou des alliés et ceux qui avaient été considérés comme des ennemis vaincus en raison de leur résistance armée ou de leur comportement vis- à-vis de Rome et qui étaient devenus de ce fait des sujets du peuple romain. On constate la même distinction dans l’Orient grec lors de la guerre contre Persée, où la grande majorité des amis et alliés que Rome comptait en Grèce restèrent fidèles, où certains des alliés et sujets du roi Persée changèrent de camp pendant les hostilités et furent de ce fait accueillis en amis par le Sénat et où d’autres alliés et sujets de ce roi lui restèrent fidèles et furent traités en ennemis vaincus.

Il faut en rester à ce qu’en disent la loi épigraphique et surtout Cicéron. Les personnes habilitées à porter plainte contre des magistrats ou des promagistrats auprès de la quaestio de repetundis, qu’elles le fassent à titre privé ou en tant que représentantes de leur communauté politique, étaient d’abord et surtout celles qui étaient les alliées et les amies de Rome, c’est-à-dire celles que le Sénat avait accueillies comme telles et avait fait inscrire dans le registre des alliés et amis du peuple romain ; elles pouvaient être aussi bien des alliées ou amies intégrées dans des provinces administratives permanentes que des alliées ou amies non intégrées dans des provinces administratives permanentes. La seconde catégorie était celle des sujets, c’est-à-dire des peuples et cités soumis par la force des armes ou qui s’étaient rendus par crainte et avaient de ce fait été traités comme des ennemis vaincus, et la troisième la catégorie des nations extérieures, c’est-à-dire des peuples, cités ou monarques vivant en-dehors de la zone d’influence de Rome.

Les affaires traitées par le Sénat avant la lex Calpurnia nous donnent par ailleurs des informations très précieuses sur la manière dont le Sénat gérait les plaintes qu’il recevait. De ce point de vue, les plaintes de Locres Épizéphirii en 205 (Liv. 29, 6-9 et 16-22) et des alliés espagnols en 171 (Liv. 43, 2) sont particulièrement significatives. Les délégués des Locriens s’adressèrent d’abord aux consuls en suppliants, demandant « qu’on leur permît de se présenter devant les sénateurs, afin de se plaindre des épreuves qu’ils avaient subies », ce qui montre qu’il dépendait des consuls de leur donner audience devant le Sénat ou de le refuser (Liv. 29, 16, 7-17, 1)35, Après les avoir entendus, le Sénat délibéra en leur absence36 et décida qu’il désapprouvait les outrages et les exactions qu’ils avaient subies, que le principal responsable devrait être jugé, que les habitants

35. Le rôle déterminant des magistrats supérieurs dans la procédure est également attesté par un incident survenu peu avant la guerre contre Persée : des Illyriens étant venus à Rome pour espionner sous le prétexte d’être des ambassadeurs, il leur fut demandé par le Sénat qui les interrogeait pourquoi ils ne s’étaient pas adressés à un magistrat pour lui faire connaître leur venue et les motifs de celle-ci. Les Illyriens n’ayant pas donné d’explication satisfaisante, le Sénat décida de ne pas leur fournir de réponse comme il l’aurait fait à des ambassadeurs (Liv. 42, 26, 3-6).

36. Après avoir été entendus par le Sénat, les envoyés de Locres furent priés de sortir du temple où le Sénat était réuni (Liv. 29, 19, 3) et il en fut fait de même avec les espions illyriens (cf. n. 35). Inversement, les délégués des alliés espagnols furent invités, après les délibérations du Sénat, à revenir pour prendre connaissance des décisions prises (Liv. 43, 2, 4).

de Locres qui avaient été asservis devraient être libérés et leurs biens restitués et fit nommer une commission chargée de se rendre à Locres pour exécuter les décisions prises en faveur de la cité et pour arrêter et envoyer à Rome les responsables des crimes commis au détriment des Locriens (Liv. 29, 19, 7-8 et 21, 4-12). Dans le cas des alliés espagnols, le Sénat retint comme manifestes, parmi les outrages dont ils se plaignaient, les extorsions d’argent et décida de créer une commission de cinq récupérateurs chargés de faire restituer aux victimes les sommes d’argent dont elles avaient été dépouillées (Liv. 43, 2, 1-3). Le Sénat pouvait aussi vouloir confronter, avant de prendre une décision, le magistrat ou le promagistrat incriminé avec les plaignants, ce qu’il fit à l’encontre du consul C. Cassius et du préteur C. Lucrétius (Liv. 43, 5, 1-5 et 43, 8). Dans le sénatus-consulte pour Thisbé (cf. supra, n. 27), on constate en outre que le Sénat se prononçait sur les demandes des légats point par point, donnant une réponse positive pour certaines d’entre elles et une réponse négative pour d’autres. On voit par là que les délibérations du Sénat après l’audition des légats venus se plaindre des méfaits de magistrats ou de promagistrats romains, délibérations qui se faisaient après que ces délégués eurent été priés de se retirer, étaient d’une importance décisive dans la procédure contre des magistrats ou des promagistrats accusés d’extorsions ou d’autres délits. Il appartenait au Sénat de décider si et dans quelle mesure ces accusations étaient justifiées et le cas échéant de décider des mesures à prendre. Dans presque tous les cas, le Sénat désavouait les magistrats ou promagistrats incriminés et leur ordonnait de réparer dans la mesure du possible les injustices qu’ils avaient commises, surtout lorsqu’il s’agissait de populations réduites en esclavage. Il s’agissait là de décisions purement politiques et disciplinaires qui étaient indépendantes d’une éventuelle procédure judiciaire. Dans l’affaire de Locres, le Sénat commença par désavouer les méfaits commis par la garnison qui s’y trouvait, décida de réparer dans la mesure du possible les outrages et les pillages que les Locriens avaient subis et décida en outre de rendre à la cité sa liberté et ses lois, décisions qui étaient indépendantes de la procédure judiciaire contre les responsables de ces méfaits. De même, dans la procédure contre les gouverneurs d’Espagne, le Sénat commença par décider que, des accusations portées contre ces gouverneurs, les extorsions d’argent étaient incontestables et c’est à la suite de cette décision qu’il fit nommer une commission de récupérateurs pour les juger. De même encore, dans la procédure contre C. Lucrétius, le Sénat ordonna à celui-ci, après avoir entendu l’accusé et ses adversaires, de faire libérer les habitants de Chalcis qu’il avait réduits en esclavage, indépendamment de la procédure judiciaire engagée contre lui par des tribuns de la plèbe et de sa condamnation à une amende par l’assemblée du peuple.

Cette distinction entre les décisions prises par le Sénat de donner suite aux plaintes contre des magistrats ou des promagistrats et d’ordonner aux magistrats ou promagistrats incriminés de réparer dans la mesure possible les injustices qu’ils avaient commises, décisions qui étaient purement politiques et disciplinaires et qui étaient indépendantes d’une éventuelle procédure judiciaire d’une part, et les procédures judiciaires que le Sénat pouvait ordonner à leur encontre d’autre part, vont nous aider à mieux comprendre ce que nous savons des rôles respectifs du Sénat et de la quaestio de repetundis instituée par la lex Calpurnia. On rappellera

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d’abord que la délégation envoyée à Rome en 140 par les habitants de la province de Macédoine s’adressa au Sénat, qui l’auditionna et entreprenait de délibérer sur la décision à prendre lorsque le père de l’accusé demanda aux sénateurs de le laisser en discuter d’abord avec lui : comme l’a déjà relevé W. Eder37, le rôle du Sénat dans cette affaire a été tout à fait semblable à celui qu’il avait joué en 171 pour traiter de la plainte des alliés espagnols. On rappellera ensuite que la quaestio de repetundis avait pour seule compétence, comme son titre l’indique, de faire restituer aux victimes les sommes d’argent dont elles avaient été dépouillées, ce qui correspond au mandat que le Sénat donna en 171 aux récupérateurs pour contraindre les gouverneurs d’Espagne à restituer les sommes dont ils avaient dépouillé les provinciaux ; la quaestio de repetundis n’avait donc pas la compétence de recevoir des plaintes pour des délits pouvant entraîner une peine capitale. On rappellera enfin qu’avant l’ouverture du procès de Verrès des délégations de cités siciliennes s’adressèrent à plusieurs reprises aux consuls pour leur faire part de leurs doléances, ce qui correspond à ce que firent en 205 les envoyés de Locres et permet de penser que l’intention des envoyés siciliens était de convaincre les consuls de les introduire auprès du Sénat comme l’avaient fait les consuls en 205, et ceci confirmerait que le Sénat pouvait effectivement avoir un rôle à jouer dans la répression des extorsions et autres abus de pouvoir commis par des magistrats ou des promagistrats.

Pour apporter à cette question une réponse que je crois définitive, je vais, comme l’a fait Eder mais d’une manière un peu différente, reprendre le senatus- consultum Calvisianum.

Le senatusconsultumcaluisianum

Le senatusconsultum Caluisianum, appelé ainsi du nom d’un des deux consuls qui ont présidé la séance du Sénat qui a voté ce décret est le 5e d’un ensemble de cinq édits d’Auguste mis au jour à Cyrène dans les années vingt du siècle dernier. Il a été publié en 1927 par G. Oliveiro avec un commentaire et a fait ensuite l’objet de trois commentaires approfondis, les deux premiers publiés en 1928 par A. von Premerstein et par J. Stroux/L. Wenger, le troisième en 1940 par F. de Visscher38. Ce sénatus-consulte réglemente la procédure des procès de repetundis et est, avec la loi épigraphique de l’époque de Caius Gracchus, la seule réglementation sur les procès de repetundis dont nous ayons le texte original.

Le sénatus-consulte a été publié sous la forme d’un édit de l’empereur Auguste, qui fait savoir que le sénatus-consulte qui a été voté en sa présence et avec sa signature sera diffusé dans toutes les provinces afin que soit rendue manifeste à tous les habitants des provinces sa sollicitude et celle du Sénat pour la protection des sujets de l’empire contre les extorsions et autres injustices.

Le sénatus-consulte lui-même commence par exposer dans ses considérants les raisons qui ont amené Auguste à soumettre au Sénat son projet de décret. Dans

37. Eder 1969, p. 91 sq.

38. von Premerstein 1928, p. 478-531 ; Stroux, Wenger 1928, p. 112-136 (qui renvoient à l’article de von Premerstein) ; de Visscher 1940, p. 135-183.

cette introduction, le Sénat évoque les lois de repetundis que les ancêtres avaient promulguées dans le passé pour que les alliés de Rome puissent aisément agir en justice pour le tort qui leur aurait été fait et recouvrer les sommes dont ils auraient été dépouillés, mais constate que la forme de ces procès était telle qu’elle entraînait les plus grandes dépenses et incommodités pour ceux-là mêmes en faveur desquels la loi avait été faite et prend, pour accélérer et faciliter la procédure, les décisions suivantes :

1, si des alliés veulent, au nom d’une communauté ou comme particuliers, porter plainte auprès d’un magistrat ayant la compétence de convoquer le Sénat, ce magistrat aura l’obligation de les mener devant le Sénat et de leur donner un patron qu’ils auront eux-mêmes choisi pour parler pour eux devant le Sénat ;

2, après l’audition des plaignants, le magistrat devra, dans la même séance, procéder par tirage au sort à la désignation d’une commission de neuf sénateurs dont quatre pourront être récusés à tour de rôle par les plaignants et les accusés.

Ces juges auront uniquement à connaître et à juger les affaires où quelqu’un est accusé d’extorsion aux dépens de communautés politiques ou de particuliers (le texte exclut les cas où les plaignants introduiraient une accusation capitale) et ils auront à décider de restituer toute la somme d’argent que les demandeurs auront prouvé leur avoir été extorquée, en tant que particuliers ou communautés politiques, les juges devant rendre leur sentence dans les trente jours.

Comme l’ont relevé dès le début les commentateurs de ce sénatus-consulte, la procédure décrite par le législateur est tout à fait semblable à celle que suivit le Sénat en 171 au sujet des alliés de la province d’Espagne. A. von Premerstein a supposé, dans son excellent commentaire, qu’Auguste aurait connu ce précédent par Tite-Live ; il constate par ailleurs plusieurs similitudes entre ce sénatus-consulte et la loi gracchienne (p. 484-490) et conclut qu’en définitive le sénatus-consulte n’a pas changé grand-chose à la législation existante (p. 523 sq.). Stroux/Wenger font également le rapprochement du sénatus-consulte augustéen avec la procédure suivie par le Sénat en 171, tout en mettant en doute l’influence qu’aurait pu avoir Tite-Live sur Auguste (p.126 sq.). Quant à F. de Visscher, il doute lui aussi qu’Auguste ait pris chez Tite- Live le modèle de la procédure instaurée par le SC Calvisianum, pensant plutôt que le souvenir de cette pratique se serait conservé au sein du Sénat (p. 156- 158). Ces commentateurs ne s’interrogent en revanche pas du tout sur le rôle qu’aurait pu avoir le Sénat selon la lex Calpurnia et les autres lois de repetundis républicaines. Des similitudes entre le sénatus-consulte et la loi gracchienne que relève von Premerstein aucune ne concerne le rôle du Sénat dans la procédure.

Stroux/Wenger tirent des considérants du SC Caluisianum la conclusion que la procédure instaurée par ce sénatus-consulte aurait été en opposition délibérée à celle de la lex de repetundis existante (p. 119), alors que de Visscher constate qu’en 140 la délégation macédonienne s’adressa au Sénat mais estime que ces procédures devant le Sénat devaient être devenues exceptionnelles (p. 158). Pour résumer : jusqu’à la promulgation de la lex Calpurnia, il aurait appartenu au Sénat de recevoir les plaintes des alliés de Rome contre des magistrats ou promagistrats et de décider des suites à donner à ces plaintes ; avec la promulgation de cette lex Calpurnia, le Sénat aurait été dessaisi de cette compétence, qui aurait été transférée à la quaestio de repetundis, avec pour conséquence que les plaignants

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se seraient désormais adressés directement au président de cette quaestio ; le SC Caluisianum de 4 av. J.-C. aurait ainsi restitué au Sénat les compétences qu’il avait eu avant la promulgation de la lex Calpurnia et qu’il aurait perdues après la promulgation de cette loi.

Mais une relecture sans préjugé du SC Caluisianum donne raison à von Premerstein et donne tort à Stroud-Wenger et à de Visscher : le SC Caluisianum n’a pas changé grand-chose à la législation existante et cela vaut également pour le rôle du Sénat dans la procédure. Dans le préambule, le SC Caluisianum dit très clairement que le but recherché par Auguste était de simplifier et d’accélérer les procédures pour éviter aux plaignants les dépenses et les incommodités que leur imposait la procédure existante. Effectivement, comme je l’ai souligné dans la présentation du document, cette préoccupation revient du début à la fin du texte : le sénatus-consulte ordonne au magistrat de convoquer le Sénat le plus vite possible, de constituer dans la même séance la commission qui devra juger les accusés, de veiller à ce que les plaignants et les accusés récusent quatre des neuf jurés dans les deux jours qui suivent et d’ordonner aux juges de rendre leur sentence dans les trente jours. Enfin, le magistrat devra limiter la convocation de témoins en ne prenant en considération que ceux qui résident en Italie et en fixant leur nombre à cinq au maximum s’il s’agit de particuliers et à dix au maximum pour ceux qui agissent au nom d’une communauté. On ne trouve en revanche rien, absolument rien, dans notre document, qui laisse entendre qu’Auguste ait voulu par ailleurs restituer au Sénat, dans la procédure des procès de repetundis, des compétences qu’il aurait perdues après la lex Calpurnia. Les similitudes entre la loi gracchienne et le SC Caluisianum que von Premerstein avait relevées dans son commentaire donnent, tout au contraire, l’impression qu’à part la simplification et l’accélération de la procédure pour épargner aux plaignants les dépenses et incommodités que leur imposait la procédure existante, Auguste n’a fait que reprendre les lois ‘des ancêtres’, c’est-à-dire la lex Calpurnia et les autres lois républicaines.

Récapitulation

Dans la gestion de la politique étrangère, le Sénat se trouva confronté dès les dernières années de la 2e guerre punique aux ambitions et à la cupidité de ses chefs militaires, ambitions et cupidité qui étaient contraires aux intérêts de l’État romain lui-même, le principal danger étant que ces chefs ambitieux et cupides étaient enclins à provoquer ou à faire durer des conflits. Le Sénat avait par ailleurs la responsabilité de protéger les amis et alliés de Rome des actes de guerre injustifiés et des exactions que pouvaient commettre les chefs militaires et les gouverneurs de province, et il dut à de nombreuses reprises intervenir dans ce sens. Le premier cas que nous connaissions date de l’an 205 et concerne Locres Épizéphirii, une cité grecque d’Italie méridionale qui avait pris le parti d’Hannibal au début de la 2e guerre punique et qui avait été reprise par les Romains en 205 ; outrageusement maltraitée par la garnison romaine, la cité avait envoyé une délégation à Rome pour se plaindre auprès du Sénat, qui lui

restitua son statut antérieur et fit indemniser ceux de ses habitants qui avaient été victimes d’exactions. Le Sénat eut à intervenir plusieurs fois par la suite pour des affaires semblables dans les premières décennies du IIe siècle et se trouva confronté, lors de la 3e guerre de Macédoine, à une série de plaintes d’amis et d’alliés de Rome ainsi que d’États étrangers avec lesquels Rome entretenait des relations diplomatiques pacifiques. Il reçut notamment en 171 les envoyés de peuples espagnols alliés de Rome venus se plaindre d’extorsions commises à leur détriment par les gouverneurs de leur province : le Sénat s’étant convaincu du bien-fondé de leurs doléances ordonna la création d’une commission de récupérateurs chargée de condamner les coupables à restituer aux victimes les sommes indûment extorquées. Dans toutes ces affaires, qui concernaient presque toutes des extorsions ou d’autres méfaits commis par des chefs militaires dans l’exercice de leur commandement et qui donc relevaient de la politique extérieure et de la conduite de la guerre, le rôle du Sénat fut d’auditionner les envoyés des amis et alliés victimes d’exactions et de décider si et dans quelle mesure ces accusations étaient justifiées et, le cas échéant, d’ordonner les mesures à prendre.

Dans presque tous les cas, le Sénat désavouait les magistrats ou promagistrats incriminés et leur ordonnait de réparer dans la mesure du possible les injustices qu’ils avaient commises, surtout lorsqu’il s’agissait de populations réduites en esclavage. Il s’agissait là de décisions purement politiques et disciplinaires qui étaient indépendantes d’une éventuelle procédure judiciaire. Dans les deux cas que nous connaissons où les responsables furent par la suite jugés, ils ne furent pas jugés par le Sénat mais par l’assemblée du peuple. La distinction entre la réparation accordée par le Sénat aux victimes, qui relevait de la politique extérieure, et l’éventuelle poursuite judiciaire des coupables, qui relevait de la politique intérieure, était donc parfaitement claire.

En 149, un plébiscite voté sur la proposition du tribun de la plèbe L.  Calpurnius Piso institua un tribunal permanent chargé de faire restituer aux victimes d’extorsions ou d’autres méfaits commis par des magistrats ou des promagistrats du peuple romain les sommes dont elles avaient été dépouillées (quaestio de pecuniis repetundis). Les personnes légitimées à porter plainte auprès de la quaestio étaient les alliés, amis et sujets de Rome, ainsi que les nations étrangères avec lesquelles Rome avait des relations occasionnelles. Ces personnes pouvaient agir en tant que représentants officiels de leur patrie ou à titre privé. Du rôle du Sénat dans la procédure instituée par la lex Calpurnia, on sait qu’en 140 une ambassade envoyée à Rome par les habitants de la province de Macédoine pour porter plainte contre leur gouverneur s’adressèrent au Sénat, qui leur donna audience et délibéra sur la suite à donner à leurs doléances. On sait aussi qu’avant l’ouverture du procès contre Verrès en 70 des délégations des cités de Sicile s’adressèrent à plusieurs consuls pour obtenir d’eux qu’ils les introduisent auprès du Sénat, comme l’avaient fait en 205 les envoyés de la cité de Locres Épizéphirii. Ces deux cas concrets donnent à penser qu’après la promulgation de la lex Calpurnia, le Sénat a conservé la compétence qui avait été la sienne avant la promulgation de cette loi, c’est-à-dire que c’est au Sénat qu’il appartenait de recevoir les plaintes des victimes d’exactions et d’autres méfaits, de délibérer sur le bien-fondé de ces plaintes et le cas échéant de décider des mesures à prendre.

(11)

Si tel a été le cas, la lex Calpurnia n’a fait que généraliser la procédure suivie en 171 à l’encontre des gouverneurs des provinces d’Espagne.

En 4 av. J.-C., le Sénat prit sur la proposition d’Auguste un décret qui réformait la procédure des lois de repetundis existantes. Le préambule de ce sénatus-consulte justifie la nécessité de cette réforme par le fait que dans la législation existante la forme de ces procès était telle qu’elle entraînait les plus grandes dépenses et incommodités pour ceux-là même en faveur desquels la loi avait été faite et qu’il fallait y remédier en accélérant et en facilitant la procédure. Si des alliés voulaient, au nom d’une communauté ou comme particuliers, porter plainte auprès d’un magistrat ayant la compétence de convoquer le Sénat, ce magistrat aurait l’obligation de les mener devant le Sénat et de leur donner un patron qu’ils auraient eux-mêmes choisi pour parler pour eux devant le Sénat. Après l’audition des plaignants, le magistrat devrait, dans la même séance, procéder par tirage au sort à la désignation d’une commission de 9 sénateurs dont 4 pourraient être récusés par les plaignants et les accusés et cette commission aurait à décider de restituer toute la somme d’argent que les demandeurs auraient prouvé leur avoir été extorquée. On retrouve dans ce sénatus-consulte la procédure qui avait été suivie en 205 pour la plainte des Locriens, en 171 pour celle des alliés espagnols, en 140 pour celle des habitants de la province de Macédoine et en 70 pour le procès de Verrès : les plaignants, qui étaient dans les quatre cas des représentants de leur patrie, s’adressaient d’abord à des magistrats supérieurs ayant la compétence de convoquer le Sénat, soit des consuls en 205 et en 70 ; ceux-ci les introduisaient devant le Sénat qui délibérait sur la suite à donner à ces plaintes et décidait des mesures à prendre, mesures qui consistaient principalement à réparer les torts subis par les victimes indépendamment d’une éventuelle procédure judiciaire contre les coupables. De ce constat, il s’ensuit qu’après l’institution de la quaestio de pecuniis repetundis en 149 le Sénat a conservé l’entière responsabilité des relations avec les alliés, amis et sujets de Rome et que c’est uniquement par l’intermédiaire du Sénat que ces alliés, amis et sujets de Rome pouvaient réclamer auprès de la quaestio de repetundis réparation pour les sommes dont ils avaient été indûment dépouillés.

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