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La Yougonostalgie et les Monuments Fantômes de l'espace Post-yougoslave

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La Yougonostalgie et les Monuments Fantômes de l'espace Post-yougoslave

NAEF, Patrick James

Abstract

L'espace post-yougoslave est caractérisé par des courants nationalistes importants et antagonistes, entraînant d'intenses conflits de mémoire. Cependant, les notions récentes de « yougonostalgie » et « yougosphère » semblent renvoyer à une représentation plus englobante de la mémoire, étant associée à l'identité yougoslave en opposition aux identités nationales renforcées par les guerres des années 1990. La question qui sous-tend cette analyse est d'établir dans quelle mesure des éléments relevant de la période yougoslave, conceptualisés en termes de « patrimoine socialiste », sont promus afin de proposer, au-delà des différences nationales, un patrimoine partagé.

NAEF, Patrick James. La Yougonostalgie et les Monuments Fantômes de l'espace Post-yougoslave. Revue d'études comparatives Est-Ouest, 2015, vol. 46, no. 04, p.

157-183

DOI : 10.4074/S0338059915004064

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:79990

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LA Y

OUGONOSTALGIE ET LES MONUMENTS FANTÔMES DE L

ESPACE POST

-

YOUGOSLAVE

Patrick NAEF

Université de Californie à Berkeley (naef.patrick@gmail.com)

RÉSUMÉ : L’espace post-yougoslave est caractérisé par des courants nationa- listes importants et antagonistes, entraînant d’intenses conflits de mémoire.

Cependant, les notions récentes de « yougonostalgie » et « yougosphère » semblent renvoyer à une représentation plus englobante de la mémoire, étant associée à l’identité yougoslave en opposition aux identités nationales renfor- cées par les guerres des années 1990. La question qui sous-tend cette analyse est d’établir dans quelle mesure des éléments relevant de la période yougos- lave, conceptualisés en termes de « patrimoine socialiste », sont promus afin de proposer, au-delà des différences nationales, un patrimoine partagé.

MOTS CLÉS : yougonostalgie, patrimoine, guerre, socialisme, partisans, parcs mémoriels.

Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2015, vol. 46, n° 4, pp. XXX

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Patrick Naef

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IntroductIon

Les modes d’habiter sont animés par des dynamiques à la fois maté- rielles et idéelles (Bailleul & Feildel, 2011) ; c’est principalement dans la seconde optique que s’inscrit cette analyse. Sabine Vassart, par exemple, a analysé la façon dont l’individu investit un espace non seulement phy- siquement, mais aussi symboliquement : « les lieux sont ainsi chargés

alors bien plus que se loger, s’abriter » (Vassart, 2006, p. 10). Il appa- raît ici qu’habiter implique des relations avec son environnement, pour les imaginaires participant à créer ces relations.

Si l’on entend explorer les dynamiques qui sous-tendent la notion d’habiter dans l’espace post-yougoslave, l’analyse des représentations mémorielles et symboliques en jeu est donc essentielle. La mémoire participe largement à la recomposition des identités qui fait suite à la fragmentation de la Yougoslavie. De plus, elle s’inscrit fréquemment l’importance des monuments dans la structuration de l’espace, intro- duisant les concepts de continuité et de rupture : « l’espace social est hérissé de monuments non directement fonctionnels […]Étrangement,

un lieu, qui leur fournit un ancrage symbolique. Cependant, ils peuvent aussi servir de frontières – de ruptures – menant à un contexte où cer- voient réléguer en marge de cet espace symbolique.

leurs travaux comment, en l’absence d’éléments normalement associés aux frontières (murs ou postes de contrôle), le paysage mémorial de Vukovar, en Croatie orientale, est délimité par des barrières symboliques constituées par ces lieux de mémoire (mémoriaux, ruines, statues, etc.).

B. Baillie souligne que la gestion du patrimoine culturel dans cette ville contribue à créer un espace où certains sont « dedans » (la majorité

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La YougonostaLgieetLesmonumentsfantômesdeLespacepost-YougosLave 3

en avant les mémoriaux pro-croates associés à la Guerre Patriotique1, les autorités locales participeraient ainsi à la croatisation du territoire (Baillie, 2011). D’un autre côté, face aux nationalismes, les notions de

Courrier des Balkans

sentiment positif et empreint d’une nostalgie de la période yougoslave, La seconde se base sur les liens économiques qui ont perduré entre les anciennes républiques, en dépit de l’éclatement de la Yougoslavie2.

souvent mises en concurence, accréditant l’idée d’un remplacement des que les commémorations, la construction de mémoriaux et la gestion du tourisme, des éléments historiques – de la Seconde Guerre mondiale aux entre parenthèses » (Frykman, 2003), voire détruits. Le questionnement qui sous-tend cette analyse est d’établir si une dynamique englobante, notamment celle qu’induisent les notions de « yougonostalgie » et de de

« yougosphère », peut s’observer lorsque le patrimoine culturel est en jeu. Il s’agit de déterminer comment sont actuellement interprétés des lieux de mémoire associés à la Yougoslavie. Des éléments, tels ceux liés au patrimoine socialiste, peuvent-ils représenter une mémoire moins et non aux nouvelles nationalités post-yougoslaves ? Pour revenir à la notion d’habiter évoquée plus haut, le patrimoine socialiste peut- il proposer des référents identitaires fédérateurs aux divers groupes nationaux se partageant le territoire post-yougoslave et ainsi permettre

1. Les Croates désignent en général la Guerre de Croatie comme la « Guerre patrio- tique » ou de « Guerre d’indépendance », alors que les Serbes tendent à utiliser l’appellation de « Guerre de libération ».

2. À cet égard, l’on peut citer l’exemple de la chaîne slovène de supermarchés Mercator qui est présente dans la quasi-totalité de l’espace post-yougoslave, ou encore celui de la maison d’édition croate VBZ opère en Serbie, Slovénie et Bosnie-Herzégovine.

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si des lieux de mémoire associés à la Yougoslavie peuvent dépasser les divisions ethno-nationales renforcées durant les guerres des années dans l’ensemble de l’espace post-yougoslave est d’abord proposé, puis une attention plus précise est portée à certaines études de cas : l’abri mémoriaux de Sutjeska, Vraca et Dudik, les deux premiers situés en

Ces sites sont abordés selon une conception large des lieux de mémoire. On entend par là des lieux où la mémoire se cristallise, suivant une dimension matérielle, telle qu’un musée ou un mémorial, ou immatérielle, telle qu’une cérémonie commémorative ou un hymne national. Pierre Nora a fait ressortir la distinction entre certains moins évidents, comme le calendrier révolutionnaire, voire inconnus,

être conceptualisés de la sorte, de même qu’un lieu « moins évident », tel qu’un abri antiatomique. Il importe, avant tout, selon Pierre Nora, lieu d’apparence purement matérielle comme un dépôt d’archives, n’est lieu de mémoire que si l’imagination l’investit d’une aura symbolique » patrimonialisation de ces sites, voire leur mise en tourisme, participe à Bourgon, si les lieux de mémoire servent principalement à désigner des éléments évoquant des violences engendrées par des guerres, ils sont également traversés par des logiques d’appropriation complexe, ainsi que par des enjeux politiques, économiques, idéologiques et identitaires (Bourgon, 2013). L’objectif de cette contribution vise donc à explorer ces logiques d’appropriation, ainsi que les dynamiques politiques et identitaires qui les sous-tendent3.

3. Les données présentées ci-dessous ont été récoltées lors de plusieurs périodes de terrain entre 2010 et 2011 en Bosnie-Herzégovine et en Croatie. Elles sont principalement issues d’entretiens semi-directifs avec des acteurs impliqués dans

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1. desconflItsarmésauxconflItsdemémoIre

certains éléments historiques sont mobilisés, voir re-convoqués après une période d’oubli, alors que d’autres sont effacés. De plus, d’un côté comme de l’autre, la propagande nationaliste se fonde sur des processus mises en avant pour légitimer les actes des d’autres. Des évènements historiques datant de la Seconde Guerre mondiale, et d’autres antérieurs dans la rhétorique nationaliste qui caractérise de nombreux discours politiques et médiatiques en ex-Yougoslavie. Dans certains cas, la politisation de la mémoire participe aussi à la négation du passé socialiste (Putnik, 2011). Le développement des nationalismes contribue ainsi à l’émergence de trous de mémoire en entremêlant questions nationales et les Croates sont encore souvent assimilés au mouvement oustachi4 par leurs adversaires et détracteurs, alors qu’inversement, les Serbes sont désignés comme tchetniks5, certains groupes nationalistes allant même

ordre d’idées, l’assimilation des Bosniaques à des Turcs remonte, quant à elle, à un passé encore plus lointain.

la gestion du patrimoine et dans la promotion touristique à Vukovar, ainsi qu’à Sarajevo. De plus, certaines données sont le résultat d’un travail d’analyse de contenu, essentiellement lié à la presse locale et internationale.

4.

antiyougoslave. Il connaît son heure de gloire durant la Seconde Guerre mondiale avec la création de l’État indépendant de Croatie (NDH), un état fantoche sous lois antisémites et procède à l’extermination d’un grand nombre de Juifs, Serbes et Roms, en grande partie dans le camp de Jasenovac.

5. Le mouvement tchetnik est d’abord appuyé par les Alliés jusqu’à ce que ces derniers décident de transférer leur soutien aux partisans de Tito. Les unités tchetniks, dominées par les Serbes, sont avant tout monarchistes et nationalistes.

Ainsi, au cours de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux tchetniks entrent de l’Axe. Après la guerre, les tchetniks sont considérés par certains comme des traitres au régime communiste de Tito, alors que pour d’autres du côté serbe, ils sont perçus au contraire comme des résistants.

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1.1. LepaLimpsestepost-yougosLave

Durant les guerres de Bosnie et de Croatie, certains groupes barbes en référence au mouvement, ainsi que l’étendard marqué d’une tête de morte qui le symbolise. Les crimes commis par les oustachis durant la Seconde Guerre mondiale sont très souvent instrumentalisés, amenant une forme de légitimation historique aux exactions des crimes oustachis perpétrés 50 ans plus tôt sont inlassablement mobilisés Inversement, du côté croate, le patrimoine oustachi est progressivement et aux autres gloires oustachies sont de plus en plus fréquentes dans les discours politiques et la culture populaire (Baker, 2010).

se perpétue dans le domaine de la gestion du patrimoine culturel. Les monuments construits par les uns sont détruits ou condamnés à l’oubli par les autres, dans l’objectif de créer un paysage culturel et mémoriel

public, à travers la destruction de tous les monuments serbes hérités de l’occupation. De plus, des symboles anciens sont aussi réactivés, permettant au nouveau gouvernement de mettre en œuvre sa politique nationaliste. L’indépendance croate est rapidement matérialisée par l’émission de nouveaux timbres et de la monnaie locale, la Kuna, une référence directe à celle utilisée lors de la Seconde Guerre mondiale ou encore la création du nouveau drapeau en damier, qui a suscité une controverse en raison de son lien avec la période fasciste (Girod, 2002).

Certains objets patrimoniaux apparus après la Seconde Guerre mondiale semblent toutefois se placer au-delà de ces catégories nationales.

unité » les fondations d’un État où aucun groupe national ne se trouve

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à mater d’une main de fer toute forme d’opposition nationaliste. Dans ce contexte, l’idée d’uniformiser l’identité yougoslave est largement Guerre mondiale, de nombreux monuments sont érigés pour célébrer la

les monuments réalistes caractéristiques de l’après-guerre sont alors remplacés par des parcs mémoriels, basés sur une conception plus

de visite incontournables pour les touristes et les écoles, et certains constituent même des sites de réception pour les dignitaires étrangers.

lorsque nombrede ces lieux sont détruits par la guerre. Ces destructions relèvent de dommages collatéraux ; elles sont aussi très souvent les conséquences d’actes ciblés visant à effacer une mémoire associée aux partisans6

s’affaiblit et les tensions entre les différentes nations de la république

mémorielles distinctes et souvent en opposition se développent avec la formation de sept états indépendants .

se sont formés, qui s’inscrivent dans le territoire à travers la construction

allemande, connaît par exemple un destin mouvementé : elle est 6. La contribution de Putnik (2011) présente un inventaire détaillé de la destruction des monuments socialistes.

La Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, la Serbie, le Monténégro et le Kosovo. Notons pour ce dernier, que l’indépendance du Kosovo, proclamée en 2008, est toujours sujette à contestation au sein de l’ONU. Son statut est notamment encore remis en question par certains pays, dont la Chine et la Russie, membres du Conseil de sécurité.

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renversée pendant le siège de Vukovar, replacée sur son socle durant statue de Tudjman en 2003. Il n’est tout simplement pas concevable place centrale un monument à la gloire de son premier président, tout en conservant une statue partisane. Car Tudjman, qui s’est battu avec les Partisans durant la Seconde Guerre mondiale, n’en a pas moins été exclu du parti communiste par la suite à cause de ses écrits critiques, puis condamné à deux ans de prison en raison de sa participation au Printemps croate .

également les fonds destinés à la gestion du célèbre mémorial de Jasenovac et accorde à la région de Lonjsko Polje où il se situe le statut désacraliser le mémorial : désormais l’attention du public ne porte plus 2011). Durant la Guerre de Croatie et après, de nombreux autres monuments partisans sont détruits suite à des actes de vandalisme, ou simplement conformément à la volonté des autorités sur place. Pour beaucoup, ces destructions sont vues comme des mémoricides, et ces actes alimentent d’autant plus la rhétorique nationaliste serbe. Des constructions symboliques récemment mises en avant par les uns entrent anciennes. Nombre de références partisanes sont, par exemple, rejetées nation croate.

1.2. patrimoinesociaListeetyougosnostaLgie

« patrimoine socialiste ». S’agissant du « patrimoine partisan », l’ex-

Croatie intitulée le Printemps croate a été menée par des nationalistes.

Jasenovac est durant la Seconde Guerre mondiale un des plus importants camps de concentration d’Europe. Il est entièrement géré par l’administration du NDH.

plus célèbres.

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à la résistance yougoslave, elle est également souvent utilisée en oppo- sition à celle du « patrimoine oustachi ». Ce dernier peut être assimilé au patrimoine croate dans son ensemble ; la formule relève néanmoins toutes les nationalités étaient présentes dans la résistance antifasciste de la Seconde Guerre mondiale, Croates inclus.

Le patrimoine socialiste est également mobilisé dans un courant sentiment positif, et, comme son nom l’indique, une certaine nostalgie envers la période socialiste yougoslave. Certains chercheurs ont récemment tenté de déconstruire cette notion (Palmberger, 2008 ; sur un âge d’or yougoslave qui serait caractérisé entre autres par une facilité de voyager, des salaires plus élevés et des usines productives.

Ceci est mis en regard de l’insécurité économique et sociale liée au contexte de l’après-guerre dans la plupart des régions d’ex-Yougoslavie (Palmberger, 2008). Ce courant s’exprime généralement dans la sphère culturelle, plus précisément dans le cinéma, la musique, l’iconographie, manière, la yougonostalgie exprime le fait que, face à la fragmentation certaine unité culturelle n’a jamais cessé d’exister. L’historienne Radina

Je pense qu’on ne fait que commencer à redécouvrir cette part de l’héritage socialiste. On a passé vingt ans à le noircir, il est temps d’entamer des tomber dans les stéréotypes.10

Cependant, pour Monika Palmberger, dans un contexte dominé par des courants nationalistes exclusifs la yougonostalgie ne serait pas seulement orientée vers le passé, mais constituerait également une

la dimension paralysante que comporterait la yougosnotalgie, pour des

10. Propos tirés d’une interview sur Radio Slobodna Europa, 2012.

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ibid.).

Suivant cette conceptualisation, on peut ainsi explorer certains lieux de critiques sur les contextes nationalistes et exclusifs qui caractérisent l’espace post-yougoslave. De plus, pour revenir à notre questionnement de base, on peut se demander si la perspective yougonostalgique, contribue à une vision plus partagée de l’histoire, dans la mesure où elle mobilise des éléments qui ne se rattachent pas à une identité nationale en particulier, si ce n’est à l’identité yougoslave. Si l’on croit Standley- Prentice de l’ICCROM11, la présentation d’éléments historiques

peut prendre la forme d’expositions basées sur un patrimoine commun, par exemple en choisissant des thèmes archéologiques ou historiques antérieurs à l’émergence des différences culturelles qui sous-tendent le Le Caffe Tito, situé à côté du musée d’histoire de Sarajevo, peut déjà partiellement illustrer ce courant yougonostalgique par sa décoration armes de l’époque rappellent la mémoire du Maréchal Tito. On peut également mentionner le parc Yugoland

Serbie, représentant une miniature de la Yougoslavie ; il a néanmoins dû autre initiative, telle que la production d’une compilation de musiques d’or où les minorités comme les Roms voyaient encore leur culture promue sur le plan national. De plus, des sites ou projets mobilisant le patrimoine socialiste apparaissent également dans le paysage moins en partie, représentatifs de ce courant yougonostalgique. On peut déjà remarquer les nombreuses représentations de Tito, proposées sur dans les centres touristiques de Bosnie-Herzégovine et vendues parmi d’autres souvenirs militaires de l’époque (Figure 1).

11. Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels

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FIGURE 1

T-shirts à l’effigie de Tito, dans une boutique de souvenirs à Mostar

© P. Naef, août 2010.

ouvertes aux touristes. Durant la période socialiste, ce site était un lieu de pèlerinage national pour les Yougoslaves et un site touristique d’une certaine importance. Pourtant, après la guerre, la réouverture des grottes de Drvar au marché touristique a d’abord rencontré une opposition Senja Causevic :

Les agences internationales ne désiraient pas participer à ce projet, le explications sur le fait que ce projet était associé à une dimension touris-

- rait, le projet a pu être mis sur pied.

s’est caché sur l’île de Vis au large de la Croatie, où les grottes qui l’abritaient sont aujourd’hui également visitées par les touristes.

Staro Stelo, la ville natale de Tito, représente aussi un site d’impor- culte de la personnalité dont a joui Tito de son vivant, en précisant que

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De son vivant, Tito a créé des lieux touristiques à sa propre gloire. Le plus bel exemple du culte de la personnalité est bien la création d’un d’indépendance, Staro Stelo recevait environ 500 000 visiteurs par an et

Toujours en lien avec Tito, le 2 octobre 2012, une galerie de la ville

« Tito dans les œuvres d’artistes », présentant une collection d’œuvres absentes de la scène artistique pendant vingt ans. Cette initiative est suivie de la proposition d’un projet de circuit touristique sur le thème de la mémoire de Tito et de la tradition antifasciste. Ce tour comprendrait différents musées en lien avec des célèbres batailles menées par les outre, le 11 mai 2013, des milliers de personnes se sont rendues à Jablanica

Partisans lors de la bataille de la Neretva (Courrier des Balkans, 2013).

On peut observer le même engouement en Slovénie lors de la journée de la résistance où plus de 10 000 citoyens se sont réunis pour chanter des hymnes socialistes (Lusa, 2013).

Si Pinteau constate avec le temps une diminution dans l’attrait pour la personne de Tito, il observe en revanche une augmentation d’intérêt pour des lieux représentant le caractère totalitaire du régime (Pinteau, la volonté de transformer l’ancienne île carcérale de Goli Otok en développer sur l’île un tourisme « carcéral » où les touristes auraient été soumis aux conditions des travaux forcés, mais « sans être battus » »

La promotion touristique de l’île carcérale de Goli Otok semble plus constituer une antithèse du courant yougonostalgique, son histoire mettant en avant des éléments plutôt sombres de la période titiste.

De plus, certains sites brièvement présentés ci-dessus s’attachent davantage à décrire la tradition antifasciste, qui a précédé la création Caffe Tito ou de

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Yugoland, s’intègrent dans la perspective yougonostalgique, d’autres exemples témoignent d’un rapport à cette notion plus ambivalent. Des éléments en lien avec le patrimoine partisan, s’ils précèdent la période yougoslave, représentent tout de même une époque où des combattants de toutes nationalités confondues – les Partisans – luttaient ensemble.

Dans cette optique, ils peuvent constituer une vision partagée de l’his- toire yougoslave, en contradiction avec certaines conceptions nationa- listes exclusives. Finalement, dans le secteur touristique, des éléments consommés par des touristes locaux pour véritablement s’intégrer dans une dynamique yougonostalgique.

- pelle le temps où la Yougoslavie disposait d’une armée puissante et dotée de moyens considérables : le Bunker de Konjic, construit par Tito durant la guerre froide.

2. KonjIc, lesartIstesaubunKer.

La ville de Konjic se situe à une cinquantaine de kilomètres de Tito lance la construction d’un abri antiatomique dans les forêts l’armée yougoslave, ainsi que 350 élus, dans le cas d’une éventuelle attaque nucléaire. Cet ouvrage militaire, considéré comme le troisième représente un investissement d’environ quatre milliards et demi de dollars, répartis sur vingt ans de construction. Dès la mort de Tito, cet abri atomique perd de son importance et il est seulement surveillé et maintenu en l’état par l’armée, tout en en gardant son caractère secret.

travailler sur une exposition. Lorsqu’ils découvrent ce gigantesque contemporain dans ce lieu immense et atypique. L’organisation de l’évènement peut être lancée dans l’« Objet D-O », comme le nomme les acteurs concernés – la municipalité de Konjic, le ministère de la

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label Council of Europe Cultural Event Label

d’organisation de la biennale, une distinction décernée pour la première

Suivant une volonté d’intégration régionale, des artistes du monde biennale, dont une grande partie sont originaires des autres républiques d’ex-Yougoslavie. Ils sont également invités à utiliser les caractéristiques créations ont pour thèmes les guerres de Yougoslavie, la Seconde Guerre mondiale ou encore l’escalade de la puissance nucléaire. Le nom de cette biennale – Time machine – est une référence au bunker et à son appartenance à une autre époque. La première édition est intitulée No network

septembre 2011, le bunker reste ouvert au public qui peut y découvrir les œuvres d’art

Durant les quatre mois de l’ouverture du site au public, l’accès reste néanmoins contrôlé. Le bunker est en effet toujours sous administration du ministère de la Défense bosnien et il est impossible de s’y rendre de Internet de la biennale :

lettre mentionnant le nombre de visiteurs, la date et l’heure de la visite

12

via

le bus arrive au bunker et laisse les visiteurs devant une porte gardée par l’armée (Figure 2). Finalement, un soldat les accompagne dans

12.

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l’abri antiatomique ; il sera leur guide durant toute de la visite qui dure environ deux heures. Le tour commence par un exposé où le guide- soldat présente le site. Il insiste sur l’importance de rester en groupe, dans ce lieu qui constitue en effet un vaste labyrinthe :

L’armée utilise encore le bunker. Il n’y a plus de secrets. Il est possible de prendre des photos et même d’enregistrer des vidéos. L’unique condition visiter seul.13

seraient déjà rendus sur les lieux depuis l’ouverture de la biennale. Ce nombre relativement restreint peut s’expliquer par la communication très limitée autour de ce site et par la complexité de son accès.

FIGURE 2

Touristes à l’entrée de « l’objet D-O »

© P. Naef, août 2011.

Comme on peut le lire sur le site Internet de la biennale, les organisa- de faire naître un intérêt pour l’art contemporain en général :

13. Propos recueillis lors d’une visite de l’abri atomique et traduits par un touriste bosnien. (Konjic, le 24 août 2011).

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La visite d’un abri nucléaire intéresse indéniablement la plupart des gens.

jeunes générations.14

Cependant, lors de la visite, le guide est plus au courant, et surtout plus sensible aux considérations liées au fonctionnement ou à l’histoire du bunker, qu’aux œuvres d’art en général. Le système d’aération du site est ainsi expliqué avec beaucoup plus de détails que n’importe quelle œuvre d’art. Beaucoup de créations ne sont même pas présentées par le guide et si un touriste veut s’arrêter, ne serait-ce que pour prendre une photo, il court le risque d’être lâché par le groupe et perdu dans ce labyrinthe.

Dans la description du projet15, les organisateurs indiquent que sa dimension artistique – et plus précisément les « arts visuels contemporains » – sur ce site permet aussi sa préservation en tant que patrimoine culturel et historique : ‘L’intérêt du projet réside dans la préservation et la protection du patrimoine culturel et historique de cet abri, de même que dans la création d’une nouvelle valeur artistique sur ce site. La transformation de cet abri atomique en une prestigieuse institution culturelle représente l’objectif principal du projet.’16 président de l’association des guides à Sarajevo, critique au contraire le fait que certains artistes, en utilisant des artefacts du bunker dans leurs créations, ont plutôt tendance à détruire ce dernier plutôt que de le préserver :

important, comme les téléphones rouges. Certains ont déjà détruit des chaises !’

On le voit, s’il existe des deux côtés une volonté de transformer ce site en espace culturel permanent, une dynamique basée sur la préservation de ce lieu selon la mémoire qu’il représente s’oppose à une autre, plutôt dictée plus par son potentiel artistique. La fonction future de cet abri 14.

15.

16. Idem.

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atomique – entre mémorial et complexe artistique – représente ainsi un enjeu de taille pour les années à venir.

La reconversion artistique et touristique de cet aménagement hérité de la période titiste peut être considérée en partie comme représentative du sentiment yougosnastalgique introduit plus haut. Bien que cet ouvrage monumental n’ait jamais servi son objectif – la catastrophe symbole d’une époque où le gouvernement était encore en mesure de dépenser des sommes astronomiques pour sa défense ; il témoigne ainsi d’un certain âge d’or de l’économie yougoslave. D’ailleurs, si le site est présenté sur le catalogue de l’édition 2011 comme un « échec de la guerre froide », le nom de la biennale – Time Machine – illustre d’une certaine manière cette nostalgie du socialisme à travers un voyage dans le passé : « La leçon historique est ambiguë. Cependant, ce site ne devrait pas être considéré avec cynisme comme un échec politique.

à voyager dans le temps, nous inspirant à voyager autant dans le passé que dans le futur.’

limiter à une galerie d’art : ‘

de la guerre froide et de Tito… et le plus profond des secrets ! De plus il a coûté 4 milliards aux Yougoslaves […]Ce qui veut dire que la Yougoslavie était riche… Que la Yougoslavie pouvait tout couvrir grâce à son économie.

Finalement, comme il a été mentionné plus haut, ce projet de biennale est aussi représentatif d’une dynamique d’intégration régionale, non seulement en raison des origines variées des artistes invités mais aussi du fait même de son organisation. L’édition de 2011 s’appuie

artistes invités, on constate aussi une volonté d’inclure équitablement les différentes républiques d’ex-Yougoslavie, avec la présence de neuf

est d’autant plus notable que nombre des œuvres présentées traitent

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donné que ce label a notamment pour critères la « reconnaissance de la diversité des cultures et des identités » ou l’« intégration et les droits des minorités ».

Cependant, si la dimension intégrative d’un élément patrimonial socialiste, tel que l’objet D-O, peut s’observer au niveau de sa production, son pouvoir de cohésion. Il conviendrait donc de suivre l’évolution des prochaines biennales prévues, ainsi que l’avenir institutionnel du site, sachant qu’un transfert de compétences est actuellement en discussion entre le ministère de la Défense de la Fédération de impliquerait un transfert de compétences entre les domaines militaires et touristiques, mais aussi au niveau des échelles de gouvernance, le site passant d’une gestion étatique (ministère de la Défense) à une gestion Tourisme). Ceci n’est pas sans importance, si l’on sait que cette entité est administrée sans représentation serbe, au contraire de l’État.

2.1. sutjeska, vraca, DuDikouLesmonumentsfantômes

Le Bunker de Konjic constitue un objet patrimonial socialiste apparu seulement récemment dans le paysage touristique post-yougoslave, à la différence, de nombreux sites mettant en jeu l’histoire socialiste et partisane. On en dénombre depuis plusieurs décennies dans le secteur du tourisme et du patrimoine de la région, la plupart datant des années

le plus vaste et le plus ancien parc naturel du pays, et ses ressources internationale pour la conservation de la nature.20 Cependant, le parc ne 20. Selon l’IUCN, Les aires protégées de la catégorie 2 combinent d’habitude la protection de l’écosystème aux loisirs, moyennant un zonage, à une échelle qui ne convient pas à la catégorie 1. Les aires protégées des catégories 1b et 2 ont souvent une taille comparable, mais alors que la catégorie 2 accepte (ou prévoit d’accepter) la fréquentation de visiteurs et les infrastructures nécessaires, dans la

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La YougonostaLgieetLesmonumentsfantômesdeLespacepost-YougosLave

tire pas son caratère exceptionnel de ses seules ressources naturelles,

le parc abrite plusieurs monuments en lien avec la mémoire de cet

régionale. Les ressources naturelles et historiques de ce parc, ainsi que ses caractéristiques frontalières, devraient ainsi constituer un terreau intéressant, si l’on veut tenir compte de la perspective fédératrice du patrimoine socialiste. Toutefois, à en croire Thierry Joubert, co-fondateur de l’agence touristique ‘Green Visions’sur le terrain, il semble que la promotion de ce parc soit plutôt limitée :

C’est un parc plein de monuments issus de la Seconde Guerre mondiale organisons des randonnées, mais à part nous, les employés du parc sont les seuls à voir ces monuments.21

mais dans les collines bordant Sarajevo et situées dans la fédération – l’entité bosno-croate. Ce site fut d’abord une forteresse austro-hongroise

du siège de Sarajevo, sa situation stratégique en amont de la ville en fait un des points sur la ligne de front d’où les forces assiégeantes peuvent

Guerre de Bosnie, il est toujours en attente de rénovation, bien qu’il soit inscrit comme monument national. On peut encore observer, sur ce lieu aujourd’hui abandonné, les ruines du musée qui abritait autrefois des artefacts datant de la Seconde Guerre mondiale. Il reste encore site d’importance nationale constituait un lieu de visite incontournable catégorie 1b, l’utilisation par les visiteurs est plus restreinte et se limite à ceux qui ont les capacités et l’équipement pour survivre sans assistance. Nigel Dudley, Lignes directrices pour l’application des catégories de gestion aux aires protégées (Gland, IUCN, 2008).

21.

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pour les écoles du pays et pour les dignitaires étrangers en visite en Yougoslavie. De plus, sur les murs délabrés du site, on peut encore lire

Bosniaques, Juifs, etc.

Le site est toujours en ruine à l’heure où ces lignes sont écrites, même si des projets de restauration semblent se mettre lentement en place.

que le manque d’argent est le principal frein à la reconstruction de Vraca : « Le projet est en cours. Il y a toujours beaucoup de destruction, donc il est compliqué de fournir des fonds pour tous les sites. »22 la dimension multiculturelle de ce site, un facteur déterminant pour son

de diversité culturelle, une source essentielle de diversité.23

d’un site multiculturel est une priorité.

Cependant, si le mémorial de Vraca est présenté comme un objet patrimonial important, il ne fait toujours pas partie du panorama seul guide qui inclut la visite du site dans ses excursions. Il critique d’ailleurs ouvertement le fait que ce lieu de mémoire, qu’il considère comme l’un des plus importants d’ex-Yougoslavie, ne soit toujours pas restauré. Il ajoute que ce retard est surtout le signe de l’incapacité des acteurs culturels issus des deux entités à collaborer :

Qu’ils ne puissent pas s’entendre sur les vingt dernières années.

-

22.

23. Entretien réalisé en anglais avec un interlocuteur ayant requis l’anonymat.

(Sarajevo, le 20 juillet 2011).

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et au monde entier. C’est le plus grand mémorial antifasciste de Bosnie et on y trouve les seringues des junkies, les capotes des [fuckers], les ren-

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Yougoslavie qui compte le plus de parcs mémoriels partisans. Durant la Seconde Guerre mondiale, cette république fut la plus touchée par les combats. La Croatie et la Serbie hébergent également des monuments où les lieux de mémoire liés à la Guerre de Croatie sont certes nombreux et résolument mis en valeur, c’est beaucoup plus rare dans le cas des monuments partisans. Le parc mémoriel de Dudik, dans les environs de Vukovar, est, l’un des ouvrages les plus importants du célèbre architecte parc mémoriel est constitué d’une grande étendue d’herbe comportant un monument composé de diverses tours coniques de dix-huit mètres le courant architectural des parcs mémoriels partisans. Ce site a pour objectif de commémorer les 455 victimes des fascistes – dont une majorité de Serbes – enterrées dans les neuf fosses communes mises au jour dans ce lieu après la Seconde Guerre mondiale.

Suite au siège de Vukovar et pendant l’occupation serbe, le parc

et la rénovation d’un tel objet n’est pas une priorité dans les années

rénovation du monument de Dudik (Baillie, 2011). Finalement, le projet de construction du complexe sportif est suspendu pour des causes Vétérans et invalides de guerre croates de 24.

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Vukovar crée le club de football HNK Mitnica

entre la jeunesse de Vukovar et les anciens combattants de la guerre de Croatie. L’image du site Internet du club, censée illustrer son premier match de championnat en 2012 – une armée de chevaliers arborant des drapeaux croates – rappelle les racines militaires du HNK Mitnica

HNK Mitnica dans le parc de Dudik.

De toute évidence, le parc mémoriel de Dudik qui célèbre la mémoire des victimes du fascisme – dont, pour une grande partie, des Serbes exé- cutés par les Oustachis –, n’a pas de place dans le voisinage d’une ville- symbole comme Vukovar, emblématique de la souffrance des Croates aspirations nationalistes et militaristes sur son site Internet, s’approprie les différentes couches mémorielles mises en jeu depuis la Seconde Guerre mondiale à Vukovar ne peuvent tout simplement pas coexister.

Figure 3

Une illustration du NHK Mitnica en 2012

Note : l’image accompagne le compte rendu de la rencontre sportive, sur le site du club (www.

hnk-mitnica.hr)

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3. dIscussIon : lepatrImoInesocIalIsteentremIseentreparen-

thèsesetyougonostalgIe

son hôte lors d’un séjour à Sarajevo en 2002, choisit de lui faire visiter

groupe et nation, qui ont combattu en Yougoslavie le fascisme durant la Seconde Guerre mondiale, qui ont combattu avec Tito contre l’occupa- sont gravés sur cette pierre ; ensemble ils ont vaincu.’

socialiste qui n’est pas partagée par tous dans l’espace post-yougoslave, d’autant moins par des acteurs cherchant à légitimer des positions nationalistes exclusives. Comme nous avons pu le constater dans les exemples des parcs mémoriels partisans, leur mise en valeur se heurte

incitent à promouvoir des éléments issus du patrimoine socialiste, mettant en avant leur potentiel fédérateur. Cependant, les processus qui pourraient aboutir à leur réhabilitation sont encore loin d’être achevés.

Les parcs mémoriels de Vraca, Dudik et Sutjeska, s’ils ne sont pas détruits, peuvent illustrer ce que Jonas cultural Bracketing (Frykman, 2003). Ce concept – littéralement une « mise entre parenthèses culturelle » – décrit la manière dont certains objets sont mis en « mode d’attente ». Le mémorial de Dudik n’a certes pas été détruit comme ce fut le cas pour beaucoup de monuments partisans après l’indépendance croate, il n’en est pas moins laissé à l’abandon.

Bien qu’il s’agisse de l’une des réalisations les plus remarquables de de ce parc à la différence des nombreux monuments commémorant la « Guerre patriotique » systématiquement valorisés dans le secteur

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touristique de Vukovar25

sport, attribué à un club de football de vétérans croates, qui participe à la croatisation de ce lieu de mémoire.

Britt Baillie et Jonas Frykman soulignent que l’administration croate adopte, après la mort de F. Tudjman, une attitude ambigüe envers les mémoriaux partisans : ils ne sont pas détruits, mais ne retrouvent pas pour autant leur usage originel. J. Frykman, prenant l’exemple des monuments partisans en Istrie, démontre que ce processus de mise entre parenthèses peut s’observer dès lors qu’une « mémoire politiquement du passé socialiste, tels que certaines exécutions sommaires d’individus soupçonnés de collaboration avec les fascistes, sont devenus des armes dans le débat sur les horreurs cachées du socialisme. Ceci permettrait de

commémorant une majorité de victimes serbes, a peu de chances d’être mis en valeur par les autorités locales croates.

Si le parc mémoriel de Dudik illustre les tensions que peuvent produire les différentes couches mémorielles qui caractérisent l’espace comporter en revanche un certain potentiel fédérateur. Ce symbole de la résistance antifasciste incarne la dimension multiculturelle de la région par la diversité des victimes qu’il commémore. Il rappelle également une Yougoslavie forte à travers le souvenir des dignitaires étrangers

de Sutjeska, déserté par les touristes et absent de toutes les promotions.

Finalement, parmi les lieux de mémoire présentés ici, seul le bunker de Konjic est activement mobilisé dans des projets. Son statut est encore incertain et sa visibilité toujours limitée, mais cet aménagement hors- norme représente un enjeu important en termes de patrimonialisation, et revêt en outre certaines dimensions que l’on pourrait associer à une dynamique yougonostalgique.

Le caractère pharaonique de cet investissement hors norme rappelle une période où la Yougoslavie disposait d’une armée puissante et 25.

des défenseurs, la Croix sur le Danube, le cimetière des tanks.

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d’une économie importante au niveau mondial. Dans ce contexte, certaines œuvres présentées portent un titre explicitement orienté vers le passé, tels que After Tito, Tito, Tito’s Phantom, I only remember Happy Days ou encore A Sign For Remembrance. Cette dernière est d’ailleurs décrite comme un monument rappelant le « passé futuriste » certains monuments partisans. Toutefois, cette conception du passé n’est pas non plus dépourvue de critique. L’installation After Tito, Tito se base, par exemple, sur l’ensemble des portraits de Tito présents dans le bunker. Ceux-ci ont été photographiés et exposés par l’artiste, et ses images contemporaines et altérées, produites dans le bunker de Konjic, dans un passé trouble d’attente, de contemplation et de stase » (Livret de présentation de l’exposition). L’image de Tito est ici appréhendée comme une altération ; un processus qui peut être mis en perspective avec certaines représentations yougonostalgiques – et la dimension kitsch de bon nombre de ces installations contribue également à remettre en question cet imaginaire de « l’âge d’or les 44 œuvres exposées dans le bunker, plusieurs sont des critiques des

issues d’ex-Yougoslavie – sont une remise en question des tensions nationalistes que vivent les anciennes républiques.

Le contexte politique dans lequel s’intègrent de tels lieux de mémoire est fondamental pour saisir les dynamiques patrimoniales qui les

promus et développés sont ceux commémorant l’héroïsme croate lors de ce qui est désigné comme la « Guerre patriotique ». Le contexte nationaliste qui guide les politiques mémorielles ne laisse que peu, voire aucune place, pour la patrimonialisation d’objets qui sortent de ce que l’absence de coordination entre les institutions patrimoniales des deux entités, lèsent les projets de réhabilitation des nombreux objets partisans du pays, les plaçant entre parenthèses et contribuant ainsi à leur condition de « monuments fantômes ».

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parcs mémoriels partisans représentent une « mémoire politiquement plus risquée » qu’un objet tel que le Bunker de Konjic. La dimension de par les victimes qu’ils désignent. Dans le contexte nationaliste qui caractérise les politiques locales en Croatie orientale, la mention de victimes serbes n’a tout simplement pas de place dans le paysage

de lieu de mémoire partagé.

conclusIon

Cette analyse démontre la complexité de la gestion du patrimoine culturel en ex-Yougoslavie et son potentiel de division. De nombreux monuments, de par les victimes et les évènements qu’ils commémorent, participent à la création de frontières symboliques, entravant le mode d’habiter de ceux qui sont « en dehors » des limites. D’un autre côté, face aux nationalismes, d’autres lieux de mémoire sont imprégnés des notions de yougonostalgie, en référence à un âge d’or où ces limites étaient effacées, ou du moins atténuées, par le patriotisme yougoslave - tées ici, le questionnement était de déterminer dans quelle mesure le patrimoine socialiste pouvait représenter des symboles allant au-delà des limites symboliques produites par des monuments commémorant patriotique’.

Il a été démontré que la promotion des parcs mémoriaux présentés - tés dans la gestion du patrimoine, orientant généralement les moyens plus, dans certains cas comme à Vukovar, le caractère multiculturel du patrimoine socialiste représente lui-même un obstacle en fonction de la nationalité des victimes qu’il commémore, remettant ainsi en question son caractère fédérateur.

lieu de mémoire yougoslave connaît un certain succès, comme le

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démontre le cas du Bunker de Konjic. Bien que représentant un élément patrimonial associé de près à la guerre, une gestion intégratrice de ce site pourrait attirer des visiteurs issus de toutes les anciennes républiques de Yougoslavie, intéressés par son caractère colossal et hors norme, et ainsi contribuer peut-être à une vision plus partagée de l’Histoire.

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Références

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