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Spécificités de la détention administrative en temps de conflit armé et conciliation avec la Convention européenne des droits de l’homme

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Academic year: 2022

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Spécificités de la détention administrative en temps de conflit armé et conciliation avec la Convention européenne des droits de l'homme

SASSÒLI, Marco

SASSÒLI, Marco. Spécificités de la détention administrative en temps de conflit armé et conciliation avec la Convention européenne des droits de l'homme. In: Les relations entre droit international humanitaire et droit européen des droits de l'homme: quelles perspectives ?. Paris : Ministère de la défense, 2015. p. 94-107

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:96288

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SPÉCIFICITES DE LA DETENTION ADMINISTRATIVE EN TEMPS DE CONFLIT ARMÉ ET CONCILIATION AVEC LA CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

Intervention de Marco SASSOLI, Professeur et directeur du Département de droit international public et organisation internationale à l’Université de Genève ; ancien délégué au Comité international de la Croix-Rouge*.

I. Introduction

Lorsque j’aborde des questions relatives au droit international humanitaire (DIH) dans les conflits armés non internationaux (CANI), il me paraît habituellement essentiel de tenir compte de la perspective des groupes armés. Pour autant, la présente contribution traite exclusivement des obligations mises à la charge des États lorsqu’ils détiennent des membres de groupes rebelles dans un CANI. Ces obligations sont prévues tant par le DIH que par le droit international des droits de l’homme (DIDH), deux branches dont on estime souvent qu’elles se contredisent sur cette question, en particulier lorsqu’on raisonne à l’aune de la liste exhaustive des fondements admissibles d’une privation de liberté prévue par l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH).

Je rappellerai tout d’abord les règles applicables à la détention en période de conflit armé international (CAI), dans la mesure où le DIH s’est développé en premier lieu dans le cadre de ces situations. Je présenterai ensuite ce qui est clairement réglementé par le DIH des CANI – le traitement humain des personnes privées de liberté – pour aborder enfin les questions qui ne sont pas réglées par les traités de DIH (ni, à mon avis, par le DIH coutumier) : à savoir sur quelles bases, pour quelles raisons et en vertu de quelles procédures, il est ou non licite de détenir des membres de groupes armés ou d’autres personnes considérées comme ennemies dans un CANI. La controverse principale en la matière porte sur le point de savoir si on peut y appliquer par analogie les règles du DIH applicables aux CAI et dans l’affirmative, si cette réglementation prévaut sur – ou modifie tout au moins – celle de la CESDH.

II. Le régime de détention des conflits armés internationaux

La troisième Convention de Genève (CG III) prévoit tout d’abord un régime de traitement détaillé pour les combattants tombant au pouvoir de l’ennemi, qui deviennent

*Cette intervention consiste largement en une traduction en français de la contribution « Legal Framework for Detention by States in Non- International Armed Conflict », Collegium 45 (Automne 2015), Actes du Colloque de Bruges, Détention en conflit armé, 16-17 octobre 2014, pp. 51-65. L’auteur aimerait remercier très chaleureusement Léa BASS et Camille PERON pour avoir traduit la plus grande partie de ce texte en français.

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alors des prisonniers de guerre1. La quatrième Convention de Genève (CG IV), quant à elle, prévoit un régime pour les civils ennemis internés pour d’impérieuses raisons de sécurité, qui deviennent des internés civils2. S’agissant des raisons permettant un tel internement, les prisonniers de guerre peuvent être internés du simple fait de leur appartenance à des forces armées ennemies pour la durée du conflit, sans qu’il soit nécessaire de procéder à un examen individuel de leur situation3. En revanche, l’internement d’un civil ennemi doit être justifié par d’impérieuses raisons de sécurité4. L’existence de telles raisons doit être constatée dans une décision individuelle, qui peut être prise par une autorité administrative.

L’intéressé a ensuite un droit de recours contre cette décision, qui ne doit pas nécessairement pouvoir être exercé devant un tribunal indépendant5.

Dans un arrêt récent, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a estimé que les exigences de l’article 5 de la CESDH (qui ne seraient pas satisfaites par ce type de contrôle simplement administratif) doivent, « dans la mesure du possible, s’accorder » avec les régimes relatifs à l’internement des Conventions III et IV décrits plus haut6. De manière surprenante, la Cour de Strasbourg a de la sorte justifié une détention qui ne figurait pourtant pas dans les cas limitativement énumérés à l’article 5 de la CESDH, alors même que l’État concerné n’avait pas au préalable fait usage de son droit prévu à l’article 15 de la CESDH, lui permettant de déroger, « en cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation » aux garanties de l’article 57.

III. Les règles conventionnelles sur le traitement des personnes détenues

L’article 3 commun aux Conventions de Genève dispose que ceux qui ne participent pas ou plus directement aux hostilités, « y compris les membres des forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité sans aucune distinction de caractère défavorable ». Toutes les personnes détenues (en relation avec le conflit) tombent par définition dans cette catégorie. L'article ajoute ensuite quelques détails en interdisant les exécutions sommaires, la torture, les traitements cruels, les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants, et la prise d'otages. Il prévoit en outre que les blessés et les malades doivent être soignés et permet au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), ainsi qu’à d'autres organismes humanitaires impartiaux d’offrir leurs services, inter alia pour visiter les personnes détenues.

1 Voir Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, du 12 août 1949 (ci-après : Convention III).

2 Voir Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949 (ci-après Convention IV), art. 79-135.

3 Art. 21 Convention III.

4 Art. 42 et 78 Convention IV.

5 Art. 43 et 78 Convention IV.

6 Voir CEDH, Hassan c. Royaume Uni, Requête no 29750/09, arrêt de la Grande Chambre, 16 septembre 2014, para. 104.

7 Voir ibid., para. 101.

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Le Protocole additionnel II (PA II) développe l'article 3 commun. Il s’applique toutefois à un nombre plus restreint de CANI que l'article 3 ne le prévoit8. La première disposition relative au traitement des détenus dans le PA II est l'article 4, intitulé « garanties fondamentales », montrant l'influence du DIDH et l'interaction entre les deux régimes. Il contient en son paragraphe 2 une liste non exhaustive d’actes interdits, qui s’ajoutent à ceux déjà proscrits par l'article 3 commun : punition collective et pillage (des effets personnels des détenus). Le paragraphe 3 contient des dispositions spécifiques relatives au traitement des enfants, notamment de ceux qui ont été arrêtés, exigeant que ces enfants reçoivent une éducation, et soient le cas échéant regroupés avec les membres de leur famille également détenus. La disposition la plus détaillée et la plus spécifique relative au traitement des détenus dans le PA II figure en son article 5. Il s’applique aux personnes privées de liberté pour des raisons liées au conflit armé et décrit certains aspects du traitement que ces personnes doivent se voir garantir, en sus des aspects déjà évoqués à l'article 4 et à l'article 3 commun. Il s’agit notamment de l’accès à la nourriture et à l’eau potable, des garanties en matière de santé et d’hygiène, du droit des détenus à bénéficier de secours collectifs et individuels, de pratiquer leur religion, ainsi que du droit de bénéficier de conditions de travail décentes. Le deuxième alinéa de l'article 5 exige des autorités détentrices, mais seulement « dans toute la mesure de leurs moyens », qu’elles détiennent séparément les hommes et les femmes, sauf lorsque les membres d'une même famille sont logés ensemble, qu’elles permettent aux détenus de correspondre avec leur famille, et qu’elles s’assurent que les lieux d’internement et de détention ne soient pas situés à proximité de la zone des combats. Les autorités détentrices doivent aussi permettre aux détenus de bénéficier d'examens médicaux.

Dans le cadre de l'initiative actuelle du CICR sur le renforcement de la protection juridique des détenus dans les CANI9, le CICR a engagé des consultations avec les Etats, en vertu d'un mandat qu’il détient de la Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, sur la possibilité de détailler les modalités du traitement humain et de fixer des règles spécifiques pour certains groupes vulnérables. Les juristes du CICR considèrent également que des garanties supplémentaires pour les personnes détenues dans les CANI peuvent d'ores et déjà être dégagées du DIDH et, par analogie, des Conventions de Genève (probablement des règles très détaillées de la Convention IV sur le traitement des internés civils, figurant aux articles 79 à 135)10.

IV. Base légale de la détention administrative et procédures de contrôle applicables

8 Voir Art. 1 (1) du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), du 8 juin 1977 (ci-après : Protocole II).

9 Voir 32e Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, « Le renforcement du droit international humanitaire protégeant les personnes privées de liberté, Projet de résolution & Rapport final », Document établi par le CICR, octobre 2015, en ligne : http://rcrcconference.org/wp-content/uploads/sites/3/2015/04/32IC-DR-and-report-on-persons-deprived-of-their-liberty_FR.pdf

10 Jelena Pejic, “The protective scope of Common Article 3: more than meets the eye”, 93 International Review of the Red Cross 189 (2011), pp. 215-219.

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Pour les CANI, les traités de DIH n’abordent pas les questions relatives aux motifs, aux fondements et à la procédure en vertu de laquelle les personnes peuvent être détenues en dehors d’une procédure judiciaire. Ces questions interdépendantes sont particulièrement pertinentes pour les membres d'un groupe armé organisé. Par analogie à ce que le CICR suggère en matière de ciblage dans un CANI11, on pourrait limiter ce concept de « membres d’un groupe armé organisé » aux seules personnes exerçant une fonction de combat continue dans un groupe armé. Dans le restant de cette contribution, nous nous y référerons avec le terme « insurgés ».Une partie de la doctrine et certains Etats veulent appliquer par analogie à ces personnes le régime relatif aux prisonniers de guerre (PG) prévu par la CG III (sans leur donner les droits correspondants, car ils ne bénéficient pas du privilège du combattant dans les CANI). D'autres suggèrent de leur appliquer par analogie le régime des internés civils prévu par la CG IV, tandis que d'autres encore veulent appliquer, en l'absence de règles de DIH, le DIDH, soit en tant que lex generalis, ou, comme je voudrais le suggérer, en tant que lex specialis à propos des questions examinées dans cette section. Le CICR a adopté sur ce point une position institutionnelle, dont il ne prétend pas qu'elle correspond à des obligations juridiques existantes. Il se réfère à elle en tant que cadre juridique et indicateur, sans préciser ce qui relève du droit et ce qui relève de la directive institutionnelle12. Parallèlement, le CICR traite de ces questions avec les États dans son initiative précitée sur le renforcement de la protection juridique des détenus dans les CANI.

1. Le DIH conventionnel et coutumier des CANI ne fournit pas de réponses claires

Le DIH applicable aux CANI laisse sous-entendre que toutes les parties à un conflit armé ont recours à l’internement et la détention13, mais je ne pense pas que cela puisse être considéré comme une base légale permettant de recourir à l'internement (et encore moins comme une indication des raisons qui le fondent et de la procédure applicable). Le droit coutumier n’apporte pas d’éclairage sur cette question. L'étude sur le droit coutumier du CICR mentionne simplement (en se référant surtout à la pratique des organes de protection des droits de l’homme) qu'il existe en DIH coutumier (à la fois dans les CAI et les CANI) une interdiction de recourir à la détention arbitraire. En interprétant cette interdiction, l'étude indique que la base légale de l'internement doit être préalablement prévue par la loi et

11 Nils Melzer, Guide interprétatif sur la notion de participation directe aux hostilités en droit international humanitaire, Genève, CICR, 2009, pp. 34-37, en ligne:

<https://www.icrc.org/fre/assets/files/other/icrc_001_0990.pdf>.

12 Jelena Pejic, “Procedural Principles and Safeguards for Internment/Administrative Detention in Armed Conflict and Other Situations of Violence”, 87 International Review of the Red Cross 375 (2005), pp. 377-391. L’article comporte la mention « The views expressed in this article reflect the author’s opinions and not necessarily those of the ICRC », ce qui n’est plus le cas, car « le CICR a adopté en 2005 une position institutionnelle intitulée « Principes en matière de procédure et mesures de protection pour l’internement ou la détention administrative dans le cadre d’un conflit armé et d’autres situations de violence ». Ce document, qui est fondé sur le droit et la politique institutionnelle, a été annexé au rapport Le droit international humanitaire et les défis posés par les conflits armés contemporains présenté par le CICR à la Conférence internationale de 2007. » Document 31IC/11/5.1.2, p. 21, en ligne: https://www.icrc.org/fre/assets/files/red- cross-crescent-movement/31st-international-conference/31-int-conference-ihl-challenges-report-11-5-1-2-fr.pdf).

13 Art. 5 et 6 du Protocole II.

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réaffirme l’existence d’une « obligation de donner à toute personne privée de liberté la possibilité de contester la légalité de sa détention »14.

2. La position institutionnelle du CICR

Pour le CICR, le fait de priver des personnes de leur liberté pour des raisons de sécurité (par opposition à la détention aux fins de poursuites pénales et au régime distinct de l’internement des prisonniers de guerre en CAI) est « une mesure de contrôle exceptionnelle », qui peut être prise à la fois en CAI et en CANI, à l’initiative de l'exécutif et non pas du pouvoir judiciaire15. À juste titre, le CICR estime qu’« alors même que ce type de privation de liberté est fréquent dans des conflits armés et d’autres situations de violence à caractère international ou non international, la protection des droits des personnes qui en sont les victimes n’est pas suffisamment développée16». Étant donné que, dans les situations de conflit armé, le DIH et le DIDH s’appliquent simultanément, le CICR estime qu'il est possible d'envisager de combler certaines des lacunes procédurales en DIH en se référant aux traités de DIDH ainsi qu’aux instruments non contraignants et à la jurisprudence en DIDH, qui peuvent compléter les standards minimum du DIH17. Les principes généraux suivants sont alors applicables à l’internement ou la détention administrative : a) elle doit être considéré(e) comme une mesure exceptionnelle ; b) elle ne peut jamais se substituer à des poursuites pénales ; c) elle ne peut être ordonné(e) qu’au cas par cas, à titre individuel et sans discrimination aucune (l’internement de masse s’assimilerait à une punition collective) ; d) la détention administrative doit cesser dès que les raisons de sécurité qui l’ont motivée n’existent plus et enfin ; e) la détention administrative doit respecter le principe de légalité.

Il est à souhaiter que le CICR réussira à faire accepter par les États ces règles dans le cadre du processus déjà mentionné plus avant, visant à renforcer le DIH applicable à la détention dans les CANI. Les derniers rapports indiquent cependant que les États ne souhaiteront pas adopter des règles contraignantes en la matière18. A considérer que ce cadre reste un « cadre indicatif » tel que proposé par le CICR, ou qu’il se mue en « lignes directrices » reflétant les discussions entre États, il ne serait toutefois pas possible d’imaginer que les organes de protection des droits de l’homme pourraient se référer dans leurs interprétations des traités du DIDH à de telles règles non contraignantes, à la manière de ce qu’a fait la CEDH en ce qui concerne les règles du DIH conventionnel applicables dans les CAI19. On peut encore moins imaginer qu’ils reconnaîtraient que ces normes non

14 J.-M. Henckaerts et L. Doswald-Beck, Droit international humanitaire coutumier, Vol. I, Bruxelles, 2006, p. 464.

15 Pejic, “Procedural principles and Safeguards for Internment/Administrative Detention in Armed Conflict and Other Situations of Violence”, op. cit. (note 12), p. 375.

16 Ibid., p. 376.

17 Ibid., p. 379.

18 Voir CICR, Strengthening International Humanitarian Law Protecting Persons Deprived of their Liberty, Synthesis Report from Regional Consultations of Government Experts, Geneva, ICRC, 2013, pp. 30-31, en ligne: https://www.icrc.org/eng/assets/files/2013/strengthening- protection-detention-consultations-synthesis-2013-icrc.pdf ainsi que le Document établi par le CICR en vue de la 32e Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, op. cit. (note 9), p. 30.

19 Hassan c. Royaume-Uni, (note 6), en particulier paras 104-106.

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obligatoires pourraient constituer, dans la terminologie que je préfère, la lex specialis par rapport aux règles claires et contraignantes du DIDH.

3. Les raisons pouvant justifier la détention

Le DIH est traditionnellement considéré comme une branche du droit international visant à interdire et à prescrire certains comportements, au profit des personnes touchées par les conflits armés. Si le DIH des CANI ne contient pas de liste des raisons pouvant justifier la détention, ni n’exige que le droit interne prévoit de telles raisons, cela pourrait signifier que du strict point de vue du DIH, les États jouissent d’une liberté d’appréciation totale en la matière. Certes, selon l'étude du CICR, le DIH coutumier interdit la privation arbitraire de liberté, tant dans les conflits armés internationaux, que non internationaux20. Cette règle a cependant largement été dégagée du DIDH et c’est seulement au regard de cette branche du droit que l'étude indique que les raisons de l'internement doivent être préalablement prévues par la loi21. Par conséquent, c’est seulement à cause du DIDH qu'une discussion sur les raisons de nature à justifier la détention dans les CANI a surgi. En effet, en vertu du DIDH, toute détention nécessite l'existence d'une base légale prévue en droit interne. Une personne ne peut être privée de sa liberté que « pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi22 ». Sur la question distincte des raisons pour lesquelles le droit interne peut autoriser la détention, la plupart des traités de DIDH généraux, universels et régionaux interdisent l'arrestation ou la détention arbitraires23. Seul l'article 5 de la CEDH énumère précisément et de manière exhaustive les raisons permettant de priver une personne de sa liberté. La détention administrative ne figure pas parmi ces raisons et est donc irrecevable en vertu de cette disposition24, sauf si elle vise à empêcher une personne de commettre une infraction concrète et déterminée25.

La CEDH a toutefois récemment jugé que la pratique des États, en conformité avec laquelle la CESDH doit être interprétée, montre qu’en période de CAI, un État n’a pas besoin de procéder à une dérogation (au titre de l'article 15 de la CESDH) pour pouvoir détenir des prisonniers de guerre ou des internés civils. La Cour a ainsi préféré « accommoder » la liste exhaustive des raisons permettant la détention contenues dans l'article 5 de la CEDH avec le DIH des CAI, qui prévoit l'internement des prisonniers de guerre et des civils pour des raisons impérieuses de sécurité, sous réserve, pour les civils, du respect des garanties procédurales prévues dans la Convention IV26.

20 Henckaerts et Doswald-Beck, op. cit. (note 14), pp. 455-466.

21 Ibid., pp. 459-462.

22 Art. 9 du Pacte international sur les droits civils et politiques, du 16 décembre 1966 (ci-après : Pacte). Voir aussi Art. 5(1) de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950 (ci-après : CESDH), Art. 7 de la Convention américaine des droits de l’homme, du 21 novembre 1969 (ci-après : CADH), et Art. 6 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, du 27 juin 1981 (ci-après : CADHPR).

23 Art. 9 (1) du Pacte, Art. 7 (3) de la CADH et Art. 6 CADHPR.

24 Hassan c. Royaume-Uni, (note 6), para. 97.

25 Voir CEDH, Guzzardi c. Italie, Requête no. 7367/76, du 6 novembre 1980, para. 102.

26 Hassan c. Royaume-Uni, (note 6), paras 101-103.

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Du point de vue du DIDH tout au moins, la question se pose de savoir si le DIH des CANI prévoit une telle base légale permettant la détention des insurgés. Deux instances de juridiction britanniques ont, avec force et arguments détaillés, nié que le DIH des CANI fournissait une telle base légale, permettant la détention d’insurgés27. Nombreux sont ceux toutefois, dont les États-Unis, qui estiment que tel est bien le cas. Cette position est renforcée par la propension implicite ou explicite des Etats-Unis (et de beaucoup d'autres) à appliquer par analogie le DIH des CAI aux CANI. Même le CICR estime que « both treaty and customary IHL contain an inherent power to intern and may thus be said to provide a legal basis for internment in NIAC ». Cependant, il ajoute : « a valid domestic and/or international legal source (depending on the type of NIAC involved) setting out the grounds and process for internment, must exist or be adopted in order to satisfy the principle of legality28 ». La relation entre ces deux phrases n’est pas claire.

La position selon laquelle le DIH des CANI fournirait une base légale pour la détention de membres de groupes armés peut invoquer le fait que la CG III (en particulier son article 21) est généralement considérée comme offrant une base légale suffisante pour interner des prisonniers de guerre. Aucun État ne dispose en effet, dans sa législation nationale, d’une base légale distincte pour l'internement des prisonniers de guerre. Ce qui était alors la Commission européenne des droits de l'homme n'avait ainsi pas jugé nécessaire de déterminer si la détention des prisonniers de guerre chypriotes par la Turquie était ou non constitutive d’une violation de l'article 5 de la CESDH29, alors même que cette forme de détention n’apparaissait pas dans la liste exhaustive des raisons prévues par cette disposition pour justifier la détention. En ce qui concerne la CG IV, nombreux sont ceux qui soutiennent qu'elle fournit une base légale suffisante pour interner des civils protégés pour des raisons impérieuses de sécurité30. Toutefois, dans la mesure où son article 78 prévoit que «[l]es décisions relatives à [...] l'internement seront prises suivant une procédure régulière qui devra être fixée par la Puissance occupante, conformément aux dispositions de la présente Convention », il serait également possible de considérer que la Puissance occupante devrait légiférer (en forme d’ordres militaires) pour établir une base légale claire permettant l'internement et détailler les raisons qui le justifient, et non pas seulement la procédure applicable.

L'administration américaine d’Obama estime que, dans son prétendu conflit armé contre Al-Qaïda, les Talibans et les « forces associées », celles et ceux qui fournissent un soutien substantiel à l'ennemi peuvent être détenus, comme pourraient l’être des

27 Voir High Court of Justice, Queen’s Bench Division, Serdar Mohammed v. Ministry of Defence, du 2 mai 2014, [2014] EWHC 1369 (QB), arrêt confirmé en appel dans UK Court of Appeal, Civil Division, Serdar Mohammed v Secretary of State for Defence, du 30 juin 2015, [2015]

EWCA Civ 843.

28 Pejic, “The protective scope of Common Article 3: more than meets the eye”, op. cit. (note 10), p. 207.

29 Rapport de la Commission dans l’affaire Chypre c. Turquie du 10 juillet 1976, European Human Rights Reports Vol. 4, pp. 532-533, para.

313.

30 Hassan c. Royaume-Uni, (note 6), paras 104 and 105.

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prisonniers de guerre en période de CAI, pour l'ensemble de la durée du conflit31. C’est seulement pour des raisons politiques que les Etats-Unis ont choisi de ne pas les détenir plus longtemps que nécessaire et qu’ils ont mis en place un examen périodique de la nécessité de poursuivre leur internement32. Ils ajoutent que, dans la logique du DIH, ceux qui peuvent être ciblés (c'est-à-dire au moins les membres d'un groupe armé exerçant une fonction de combat continue, qui peuvent de ce fait être ciblés à tout moment) peuvent également, comme un moindre mal, être détenus. À mon avis, c’est exact, mais cela n’exclut pas que les motifs justifiant une telle détention et que la procédure qui encadre celle-ci doivent être précisés. Il est intéressant de noter que lors des consultations régionales organisées par le CICR dans le cadre de son initiative visant à renforcer la protection juridique des détenus dans les CANI, c’est seulement lors de la consultation européenne (à laquelle participaient également des experts gouvernementaux des États-Unis, d’Israël et du Canada) que plusieurs États ont insisté sur une approche fondée sur le statut des personnes privées de liberté en CANI, selon laquelle il serait possible de détenir les membres d'un groupe armé, en raison de leur seule appartenance au groupe33. À mon sens, il ne peut être trouvé dans le DIH conventionnel de base légale suffisante qui permettrait à un État de détenir des membres de groupes armés ennemis, sans que cet Etat n’ait besoin de légiférer. Quant à l’hypothèse que la base légale de la détention serait fournie par le DIH coutumier, le nombre d’Etats confronté à des CANI et ayant adopté une législation spécifique visant à autoriser la détention d’insurgés, montre au contraire qu’il n’existe pas de pratique générale, ni une opino juris générale, selon laquelle le DIH fournirait à lui seul une base légale suffisante.

4. Les garanties de procédure pour les personnes détenues sans procès

Certains font valoir que les garanties procédurales dont doivent bénéficier les personnes internées sont inexistantes. Ceci procède d’un raisonnement par analogie avec le régime applicable aux prisonniers de guerre, aux termes duquel la puissance détentrice ne doit pas leur offrir de telles garanties avant de pouvoir les interner comme prisonniers de guerre. D’autres raisonnent par analogie avec les garanties prévues par la CG IV en matière de détention administrative des internés civils, tandis que d'autres encore exigent le respect des garanties de droits de l’homme, qui comprennent un droit d'engager une procédure d'habeas corpus. Ceux qui veulent procéder par analogie ont des difficultés à expliquer comment ces garanties qui ont été fabriquées – et parfois enrichies – par transposition à partir d’un autre régime – celui des CAI - peuvent prévaloir sur les garanties incontestables de DIDH.

31 Voir US District Court for the District of Columbia, In Re : Guantánamo Bay Detainee Litigation, Respondents’ Memorandum Regarding the Government’s Authority Relative to Detainees Held at Guantánamo Bay, Misc. No. 08-442 TFH (2009), en ligne:

<http://www.usdoj.gov/opa/documents/memo-re-det-auth.pdf>.

32 Comité des droits de l’homme, Replies of the United States of America to the list of issues (13 septembre 2013), UN Doc.

CCPR/C/USA/Q/4/Add.1, para. 89.

33 CICR, Regional Consultation of Government Experts, Strengthening International Humanitarian Law Protecting Persons Deprived of their Liberty, Montreux, Switzerland, 10-11 December 2012, Geneva, ICRC, pp. 16-19, en ligne:

https://www.icrc.org/eng/assets/files/2013/strengthening-protection-detention-consultations-montreux-2012-icrc.pdf.

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a. Les arguments en faveur et contre l'application par analogie du DIH des CAI aux CANI L'approche tendant à se référer – dans les CANI – aux règles applicables en CAI reflète la tendance générale à rapprocher le régime juridique applicable aux CANI à celui des CAI34. Cela a des aspects positifs, mais aussi délicats. D'une part, l’effet positif serait de rendre sans objet les controverses sur le point de savoir si un conflit donné serait international ou non international, ou alors mixte, puisque le droit applicable serait toujours le même. Il n’y a en outre pas de réelles différences entre un CANI tel que celui ayant opposé les forces gouvernementales sri-lankaises et les LTTE dans le Nord du Sri Lanka en 2008 et le CAI entre l'Érythrée et l'Éthiopie en 1999. Allant dans le sens de l'application par analogie des règles sur les prisonniers de guerre, l'article 3 de la CG III encourage les parties à un CANI à « mettre en vigueur par voie d'accords spéciaux tout ou partie des autres dispositions de la présente Convention ». Si les parties en conviennent, elles pourraient donc appliquer les règles de la Convention III aux insurgés, qui ne prévoient pas de procédure individuelle applicable aux décisions en matière d’internement. Au moins en 1949, lorsque cette disposition a été adoptée, les États ont apparemment considéré que l'application du statut de prisonnier de guerre n’était pas préjudiciable à des insurgés dans un CANI. En effet, des accords spéciaux conclus au détriment des victimes de la guerre seraient interdits en vertu du DIH35 et on ne peut pas considérer que l’article 3 de la CG III encourage des accords interdits. Même sans un accord, un gouvernement pourrait d’ailleurs obtenir le même résultat, à savoir le statut de prisonniers de guerre des insurgés, en ressuscitant le concept de reconnaissance de la belligérance d'un groupe armé qui est tombée en désuétude36.

D'autre part, de solides arguments remettent en question la possibilité de transposer les règles applicables en matière d’internement en CAI aux CANI. Il existe des différences fondamentales entre les deux types de conflits, qui peuvent remettre en cause l’effet utile de cette transposition. Les CANI mettent souvent aux prises des groupes qui ne sont pas bien structurés, si bien qu’il est beaucoup plus difficile de déterminer – à des fins d’internement – les personnes qui appartiennent ou qui n’appartiennent pas à un groupe armé, que d’identifier celles qui appartiennent aux forces armées gouvernementales. Le DIH positif des CANI n'a pas même prescrit explicitement que les insurgés doivent se distinguer de la population civile, comme tel est pourtant le cas en CAI. Rejoindre et quitter un groupe armé est en effet une entreprise relativement informelle, tandis que les membres des forces armées gouvernementales sont formellement incorporés et démobilisés. Dans la mesure où les groupes armés sont illégaux, leurs membres font de leur mieux pour ne pas être identifiés comme tels. Au moment de l’arrestation d’un individu, un tribunal peut se prononcer sur sa qualité de membre de groupe rebelle. Cependant, ce tribunal n’aura pas à

34 Voir, en général, Marco Sassòli, “The Convergence of the International Humanitarian Law of Non-International and of International Armed Conflicts: Dark Side of a Good Idea”, dans: Biaggini, Diggelmann and Kaufmann (éds), Polis und Kosmopolis, Festschrift für Daniel Thürer, Zürich/Baden-Baden, Dike/Nomos, 2015, pp. 678-689.

35 Art. 6, CG III.

36 Henckaerts et Doswald-Beck, op. cit. (note 14), p. 466.

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se prononcer si la personne arrêtée est considérée par analogie comme un prisonnier de guerre, dès lors que la puissance détentrice accepte de la traiter comme tel37. Ensuite, alors que dans les CAI, les prisonniers de guerre doivent être libérés et rapatriés à la fin des hostilités actives38, le rapatriement est logiquement impossible dans les CANI classiques, limités au territoire d'un seul État. Même dans les cas où la fin des hostilités actives peut être déterminée, aucune obligation de libérer les rebelles n’est mise à la charge des autorités étatiques par le DIH39.

b. Le régime posé par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

Toute personne privée de liberté doit être informée, dans le plus court délai après son arrestation, des raisons de sa privation de liberté40. En outre, une personne arrêtée a le droit de porter sa cause devant un tribunal, afin qu’il puisse statuer sans délai sur la légalité de la détention (et ordonner la libération de la personne si la détention est illégale)41. Le tribunal ne doit pas nécessairement être une juridiction pleinement indépendante et impartiale. Il doit toutefois avoir un caractère judiciaire et ne prendre des décisions qu’après une procédure contradictoire, qui fournit les garanties individuelles appropriées, en permettant à l’individu de contester les raisons de sa privation de liberté. Ces garanties comprennent le droit à une assistance juridique si le recours ne peut être exercé efficacement autrement. Le tribunal doit statuer dans un délai qui n’est pas spécifié par la jurisprudence des organes conventionnels et qui dépend des circonstances propres à chaque espèce. Cependant, la procédure doit débuter dans les jours suivant l’arrestation, après que la demande de révision ait été introduite par l’individu.

En tant que tel, le droit à la liberté et à la sûreté peut faire l’objet de dérogations en cas de guerre ou en cas d'autre danger public menaçant la vie de la nation. La CEDH a ainsi accepté dans le passé que certaines violations du droit au juge prévu à l'article 5 (4) de la CESDH puissent être couvertes par une dérogation faite au titre de l'article 15 de ladite Convention42. La Cour pourrait toutefois en décider autrement aujourd'hui, dans la mesure où la pratique internationale s’est entre temps développée vers la reconnaissance de la nature intangible de l'habeas corpus. La Cour a par exemple jugé qu'un délai de quatorze jours avant que le requérant ne puisse comparaître devant une autorité judiciaire, ainsi que l’absence d'accès à un avocat et l’impossibilité de communiquer avec sa famille et ses amis, étaient contraires à la Convention et cela en dépit d'une dérogation effectuée par l'État concerné43. En outre, il est souvent affirmé que le droit à l'habeas corpus est indérogeable

37 L’art. 5, CG III prescrit que les tribunaux détermineront le statut de la personne retenue uniquement lorsqu’une puissance détentrice veut contester son statut de prisonnier de guerre.

38 Art. 118, CG III.

39 L’art. 6(5) du Protocole II encourage simplement l’amnistie la plus large possible.

40 Art. 5(2) CESDH.

41 Art. 5(4) CESDH.

42 CEDH, Irlande c. Royaume-Uni, Requête no. 5310/71, du 18 janvier 1978, paras 202-224.

43 CEDH, Aksoy c. Turquie, Requête 21987/93, du 18 décembre 1996, paras 78, 83 et 84.

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en DIDH coutumier44. Bien qu’il ne repose pas sur le DIDH, l'accès à la procédure d'habeas corpus pour les personnes détenues par les États-Unis dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » à Guantánamo a été accordé par la Cour suprême des États-Unis en 200445, puis supprimé par le Congrès en 2006, avant d’être rétabli par la Cour suprême pour des raisons constitutionnelles en 200846.

La CEDH a admis qu’il pouvait « ne pas être réalisable, au cours d’un conflit armé international, de faire examiner la régularité d'une détention par un « tribunal » indépendant au sens généralement requis par l'article 5 (4) » et qu’un organisme compétent au sens des articles 43 et 78 de la Convention IV pouvait suffire s’il « offr[ait], en matière d'impartialité et d'équité de la procédure, des garanties suffisantes pour protéger contre l'arbitraire »47. La Commission interaméricaine des droits de l'homme est également parvenue à la conclusion selon laquelle, en situation de CAI, un « organisme quasi judiciaire » était suffisant48. Jusqu'à présent, une telle position n'a pas été adoptée par les organes de protection des droits de l'homme concernant les situations de CANI, et à mon avis, il est peu probable qu'il en soit autrement, car il n’existe en DIH aucune disposition contraignante qui pourrait s’accorder avec la CESDH.

c. La position institutionnelle du CICR

Dans sa position institutionnelle, le CICR exige également que certaines garanties procédurales soient mises en place en matière de détention administrative afin de ne pas violer les droits des personnes détenues. Ainsi, les détenus doivent :

a) être informés rapidement des raisons motivant leur détention, d'une manière qui leur permette de les contester ou de demander qu’il soit statué sur la légalité de leur détention ;

b) être enregistrés et détenus dans un lieu d’internement connu et la famille du détenu doit être avisée de sa détention si cela n’est pas contraire à ses souhaits ;

c) avoir des contacts avec leurs représentations consulaires, s’il s’agit de ressortissants étrangers ;

d) pouvoir contester la légalité de leur internement par un organe indépendant et impartial ;

e) se voir reconnaître le droit à l'assistance juridique ;

f) se voir reconnaître le droit à un examen périodique de la légalité de leur maintien en détention, afin de déterminer si les raisons de sécurité pour lesquelles ils sont détenus continuent d’exister ;

44 Pour la pratique tendant à considérer le droit à un contrôle judiciaire de la légalité d’une détention comme non-dérogeable, voir Henckaerts et Doswald-Beck, op. cit. (note 14), pp. 465-466 et notes de bas de page, ainsi que Pejic, “Procedural Principles and Safeguards for Internment/Administrative Detention in Armed Conflict and Other Situations of Violence”, op. cit. (note 12), p. 387.

45 Cour suprême des Etats-Unis, Hamdan c. Rumsfeld, 548 US 557, 126 S. Ct. 2749 (2006).

46 Voir Cour suprême des Etats-Unis, Boumediene et al. c. Bush et al. 553 US 723, 128 S. Ct. 2229 (2008), arrêt qui pourrait même être considéré comme preuve que les Etats estiment que le droit à un contrôle judiciaire de la légalité d’une détention bénéficie même à des individus qu’ils considèrent comme combattants illégaux dans ce qu’ils qualifient comme conflit armé.

47 Hassan c. Royaume Uni, op. cit. (note 6), para. 106.

48 Coard et al c. Etats-Unis, Cas 10.951, Rapport n° 109/99, Commission interaméricaine des droits de l’homme, du 29 septembre 1999, para. 58.

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g) pouvoir, avec leurs représentants légaux, assister en personne aux procédures énumérées aux paragraphes (d) et (f) ci-dessus;

h) être autorisés à avoir des contacts – y compris une correspondance et des visites – avec les membres de leur famille ;

i) avoir accès aux soins médicaux et à l'attention que leur état exige49.

Ces garanties, bien qu’elles soient complétées par des garanties de DIDH, ressemblent beaucoup à celles dont bénéficient les civils internés pour des raisons impérieuses de sécurité, prévues par la CG IV. Si elles dessinent un régime raisonnable et réaliste, il est toutefois difficile de prétendre qu'elles reflètent, en particulier pour l’internement d’insurgés, le droit positif. Bien qu’il ait été indiqué ci-dessus que l'analogie avec les procédures prévues pour les prisonniers de guerre n’est pas appropriée aux membres de groupes armés dans un CANI, au regard du droit existant, il n’y a aucune raison (autre que le résultat souhaité) en vertu de laquelle, il devrait y avoir une analogie entre les insurgés et les civils. Cependant, c’est seulement lorsqu’il s’agit de droit contraignant qu'un tel régime pourrait selon moi être considéré comme une lex specialis, à laquelle les garanties plus étendues offertes par les traités de DIDH devraient être adaptées. A moins que les Etats, à l’issue de l'initiative actuelle du CICR visant à renforcer le DIH applicable à la détention dans les CANI, n’acceptent de nouvelles garanties procédurales de DIH qui soient contraignantes, il est fort probable qu’un organe de protection des droits de l'homme fasse alors prévaloir les dispositions du DIDH.

d. Une tentative d’application du principe de la lex specialis

Lorsque l'on compare les règles du DIH des CANI qui prévoient des garanties procédurales bénéficiant aux personnes arrêtées pour des raisons de sécurité avec celles prévues par le DIDH, les premières n’ont (jusqu’à présent) aucune existence en droit positif, alors que les dernières sont claires et bien développées par la jurisprudence, sauf en ce qui concerne l’étendue admissible de dérogations. S’agissant des personnes détenues par les autorités d’un Etat, l'application extraterritoriale du DIDH à ces personnes est également moins controversée que pour d'autres questions, un détenu étant clairement sous le contrôle de ceux qui le détiennent. Les règles du DIDH doivent donc prévaloir, car elles sont plus précises et plus restrictives. L'étude sur le DIH coutumier du CICR lorsqu’elle interprète la prétendue règle de DIH interdisant la privation arbitraire de liberté à travers le prisme du DIDH semble adopter cette approche50. Il convient de noter que le résultat n’est pas si différent de celui d'une application par analogie des garanties prévues par la CG IV pour les internés civils dans les CAI, la seule différence étant, qu’en DIDH un tribunal doit statuer, alors qu’en vertu du DIH, un organe administratif est suffisant51.

49 Pejic, “Procedural Principles and Safeguards for Internment/Administrative Detention in Armed Conflict and Other Situations of Violence”, op. cit. (note 12), p. 384-390.

50 Voir Henckaerts et Doswald-Beck, op. cit. (note 14), pp. 460-466.

51 Jean Pictet (dir.), Commentaire, Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, vol. 4, Genève, CICR, 1956, pp. 280 et 394.

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La seule exception en vertu de laquelle le DIH doit prévaloir, en ce qu’il a été spécialement conçu pour les conflits armés et qu’il prévoit une règle, relève de l’existence d’un accord entre les parties au conflit ou une reconnaissance unilatérale de belligérance prévoyant la pleine application du régime des prisonniers de guerre. Ce cas serait moins favorable aux insurgés détenus car ils n’auraient pas accès à l'habeas corpus (bien qu’il doit inévitablement exister une procédure pour déterminer si une personne arrêtée est ou n’est pas un insurgé qui bénéficie du statut de prisonnier de guerre). Toutefois, ils bénéficieraient d'un régime détaillé régissant leur détention, de l'immunité contre les poursuites et du droit d'être libérés à la fin des hostilités actives.

Une première objection à une telle application du DIDH en tant que lex specialis, réside dans le fait qu’elle conduit inévitablement à imposer des exigences irréalistes aux groupes armés ou, lorsqu’elle ne s’applique qu'à la partie gouvernementale, à une inégalité de traitement entre les parties à un CANI. A considérer qu’un Etat puisse fournir une base légale à la détention en vertu de son droit interne, comment ferait l'acteur non étatique pour établir une base légale qui soit comparable ? Lors d’un conflit armé, les parties détiennent des individus, pour les empêcher de continuer à porter les armes, et cela en vue de gagner un avantage militaire. Si, en vertu du DIDH, l'acteur non étatique ne peut pas légalement détenir des membres des forces gouvernementales, il n’a d’autres choix que de libérer ces soldats capturés ou de les tuer. Le premier est irréaliste, le dernier est un crime de guerre. Si les règles applicables aux conflits armés rendent les combats impossibles, elles ne seront pas respectées, ce qui saperait ainsi toute protection prévue par le droit. Ceci pourrait conduire à ne pas appliquer le même raisonnement fondé sur la lex specialis aux groupes armés, même s’ils étaient considérés comme liés par le DIDH, ou à considérer que ces groupes ne sont liés que par le DIH.

La deuxième difficulté avec cette approche est de savoir si, en période de CANI, il est réaliste d'attendre des Etats, qui peuvent potentiellement interner des milliers de personnes, d'offrir à tous les internés, au moins quand ils le demandent, un droit de recours prompt et efficace devant un tribunal. La difficulté n’est pas seulement de traduire les détenus devant un tribunal, mais d’offrir à celui-ci suffisamment de documents et d’éléments de preuve lui permettant de confirmer ou non la légalité de la détention des insurgés. En ce qui concerne au moins les captures effectuées au cours des hostilités actives, il est irréaliste de s’attendre à ce qu’un soldat, confronté à la reddition d'un insurgé, constitue un dossier qui pourrait être utilisé devant un tribunal, quitte le champ de bataille pour témoigner en audience et recueille d'autres éléments de preuve nécessaires pour permettre à l’Etat de répondre aux arguments du détenu, tendant à démontrer qu'il ou elle n'a pas participé directement aux hostilités et n’était pas membre d'un groupe armé, alors même que les combats se poursuivent sur le terrain. L’essentiel de la question porte sur le point de savoir si l’exigence d’une procédure d'habeas corpus à mettre en place par l’Etat serait réaliste, dans la mesure où l'obligation d’y faire droit pourrait conduire à ce que la plupart des combattants arrêtés par les forces armées sur le champ de bataille soient libérés

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par un tribunal indépendant et impartial, ce qui à son tour, pourrait conduire à amoindrir le respect des règles sur le long terme, c'est-à-dire favoriser la commission d’exécutions sommaires déguisées en actes licites de guerre sur le champ de bataille, ou encore la détention secrète.

Un moyen de sortir de ce dilemme pourrait être d’infléchir considérablement les exigences afférentes à la procédure d'habeas corpus, au moins pour les personnes arrêtées au cours des hostilités. Il n’est pas certain que la CEDH ne pourrait pas faire montre d’une telle flexibilité. Le résultat d'une telle procédure d’habeas infléchie ne serait pas très différent d'une application, par analogie, de la procédure d'internement prescrite par la CG IV.

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