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Entre intransigeance confessionnelle et casuistique diplomatique : pratiques de la diplomatie pontificale à la cour de France du XVIe siècle 

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Academic year: 2021

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Entre intransigeance confessionnelle et casuistique

diplomatique : pratiques de la diplomatie pontificale à

la cour de France du XVIe siècle 

Alain Tallon

To cite this version:

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L’Europa divisa

e i nuovi mondi

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© 2011 Scuola Normale Superiore Pisa isbn 978-88-7642-424-3

Questo volume è stato stampato con il contributo di

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La complessità del mondo: sguardi europei Machiavelli e gli antiquari

Carlo Ginzburg 3 Aporìe dell’universalismo

Gian Mario Cazzaniga 9 Sull’Itinerario di Ludovico di Varthema

Carla Forti 21 Ombre imperiali. Le Navigationi et viaggi di G.B. Ramusio

e l’immagine di Venezia

Massimo Donattini 33 Guillaume Postel cosmografo: qualche nota sulla carta polare del 1578

Marica Grendi Milanesi 45 Il «teatro» del mondo. Giuseppe Rosaccio (1530 ca.-1620 ca.)

tra Firenze e Bologna

Elide Casali 55 Relativismo culturale e «armonia del mondo»:

l’enciclopedia etnografica di Johannes Boemus

Diego Pirillo 67 L’ordine cristiano e il mondo. Francisco de Támara

traduttore di Hans Böhm

Giuseppe Marcocci 79 Osservando il nemico. Luigi Ferdinando Marsigli e il mondo turco

Andrea Gardi 93 Ethnographies of Error

James Amelang 105 Lodovico di Borbone, aristocratico «cultor prestante de’ naturali e

chimici studj» alla fine dell’Antico regime

Giuseppe Olmi 117 Le frontiere della fede

Kolonialismus als Kulturkampf?

Wolfgang Reinhard 137

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vi Indice

Language Acquisition and Missionary Strategies in China, 1580-1760

Ronnie Po-chia Hsia 147 L’expérience de la mission et la carte européenne des savoirs sur le

monde à la Renaissance: Antonio Possevino et José de Acosta

Antonella Romano 159 ¿Una mirada de Acosta a los orígenes de la Compañía?

Especulaciones en torno a la Peregrinación de Bartolomé Lorenzo

Claudio Rolle 171 Imagining the ‘Indies’: Italian Jesuit petitions for the overseas

missions at the turn of the seventeenth century

Camilla Russell 179 Autobiografia e vocazione in una littera indipeta inedita del gesuita

Pierre-Joseph-Marie Chaumonot, missionario in Canada (1637)

Giovanni Pizzorusso 191 Propaganda, diffamazione e opinione pubblica:

i gesuiti e la querelle sui riti malabarici

Sabina Pavone 203 Le Lettere provinciali e la critica di Pascal all’idolatria gesuita.

Tra propaganda e opinione pubblica

Girolamo Imbruglia 217 Come catechizzare il ‘turco’: Tyrso Gonçalez de Santalla

Giovanna Fiume 227 Fonti europee e cultura arabo-islamica di fronte ai balli africani:

missionari, viaggiatori, trattatisti

Alessandro Arcangeli 241 Erasmo in convento: lo statuto per il beaterio di Nuestra Señora

de la Piedad di Brianda de Mendoza (1524-34)

Maria Laura Giordano 253 Missionari dell’Anticristo. Ginevra e la difesa della frontiera spirituale

tra Cinque e Seicento

Daniela Solfaroli Camillocci 265 Politica, religione e confronti tra culture

Roots and Branches: Ibero-British Threads across Overseas Empires

Anthony Pagden, Sanjay Subrahmanyam 279 El cardenal Portocarrero y la cultura española de la transiciÓn

de los siglos XVII al XVIII

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vii Indice

Iglesia y Estado en la carrera política del cardenal Giulio Alberoni

Rosa M. Alabrús Iglesias 313 L’appello ai turchi nell’Italia del Rinascimento

(ancora sullo «scontro delle civiltà»)

Giovanni Ricci 323 Entre intransigeance confessionnelle et casuistique diplomatique:

pratiques de la diplomatie pontificale à la cour de France du XVIe siècle

Alain Tallon 333 Il caso di Martino Becano tra l’Inghilterra e l’Europa

Stefania Tutino 343 Strategie politiche e trame occulte nell’Europa del Seicento:

le ‘relazioni del cappuccino’, Valeriano Magni e Albrecht von Wallenstein

Alessandro Catalano 357 Gli studenti tedeschi a Bologna nella seconda metà

del Cinquecento fra conflittualità e convivenza.

Carla Penuti 367 Un progetto di ricerca progressivo per lo studio

della ‘geografia umana’ delle università

Gian Paolo Brizzi 379 Un giornale cattolico degli Stati Uniti durante la prima guerra

mondiale: «The Pilot» di Boston

Umberto Mazzone 387 L’Africa in Europa: Spagna, storia e memoria

da Unamuno alla Seconda Repubblica

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La rupture de l’unité religieuse de la Chrétienté latine est contemporaine de la généralisation en Europe des ambassades permanentes comme le mode le plus cou-rant de relations entre États. Ces deux phénomènes sont certes indépendants l’un de l’autre et l’on ne saurait voir dans cette concomitance une sorte de passage de relais entre une communauté politique à fondement essentiel-lement religieux, la Chrétienté, à une société des princes et des États dont les relations se laïcisent en des pratiques diplomatiques avant tout dictées par la raison politique. La naissance de la diplomatie permanente dans l’Italie du XVe siècle est on le sait beaucoup plus liée à la

géné-ralisation des États princiers, qui développent par ces ambassades permanentes des stratégies politiques que le reste de l’Europe imite dès le début du XVIe siècle1.

La rupture confessionnelle contrarie cette stratégie qui vise à étendre hors des frontières de son État le réseau personnel d’information et d’influence dont dispose le prince. Les tentatives de contournement de cet obstacle produisent bien, mais involontairement, une sorte de dé-passement du conflit confessionnel et même une forme de sécularisation, dans un sens qui n’a rien à voir avec celle que nos sociétés contemporaines expérimentent: les princes laïcs doivent inventer un moyen de coexister malgré leurs divergences confessionnelles et alors même qu’ils s’affirment à l’intérieur de leurs possessions et par-fois sur la scène européenne comme le champion de leur confession.

Cela ne se fait pas sans de grandes difficultés, surtout quand les États mettent en place une politique d’exclu-sion confesd’exclu-sionnelle très stricte. Les relations anglo-es-pagnoles sont un bon exemple de cet obstacle confes-sionnel qui vient mettre en péril des intérêts stratégiques communs. Si, dans un premier temps, les ambassadeurs espagnols n’éprouvent pas de désagréments liés à leur statut d’étrangers catholiques dans un pays protestant, il n’en est pas de même pour le représentant d’Elisabeth Ière à Madrid, le clerc anglican John Man2. La demande

anglaise de voir s’établir une forme de réciprocité dans la liberté religieuse de l’ambassadeur et de ses serviteurs

est repoussée par Philippe II et si John Man lui-même voit son immunité diplomatique respectée, cela n’est pas le cas de sa suite, menacée par l’Inquisition. Le rappel de Man en Angleterre en 1568 inaugura la dégradation des relations entre les deux royaumes, qui avait pourtant su traverser la première décennie du règne d’Elisabeth dans une entente relativement cordiale, malgré leurs engage-ments opposés dans les guerres de Religion françaises.

Toutes les cours européennes avaient ainsi à trancher, ou le plus souvent à louvoyer, entre impératif confes-sionnel et respect de conventions diplomatiques tacites, qui voulaient que l’ambassadeur ne soit pas inquiété pour pratiquer sa religion, quand bien même elle serait bannie de l’État où il se trouvait. Seul le pape se voyait épargner ce tracas: il ne serait pas venu à l’esprit à un État protestant d’envoyer un ambassadeur permanent auprès de celui que de Londres à Wittenberg en passant par Genève, l’on appelait au mieux «l’évêque de Rome», au pire «l’Antéchrist». La rupture définitive de toute relation diplomatique avec la papauté faisait partie des étapes marquant le passage à la Réforme. La diplomatie pontificale de la Renaissance n’avait pourtant pas de spé-cificité religieuse évidente, comme en témoignent, parmi de nombreux autres témoignages possibles les conseils du cardinal Bibbiena, un des principaux diplomates de la Rome de Léon X, aux nonces et ambassadeurs3. Leur

machiavélisme un peu naïf aurait pu convenir à n’im-porte quel envoyé d’un prince laïc, même si Bibbiena commence par prôner de «mostrarsi verso i principi e popoli universalmente catholico e devoto christiano». La suite cependant ne consiste qu’en des avis pratiques sur le moyen de gagner la confiance de ses interlocuteurs, de bien négocier, d’informer exactement le «padrone», comme on peut les trouver à l’infini dans la littérature diplomatique de la Renaissance. La confessionnali-sation de la diplomatie pontificale se fait lentement et relativement tardivement, même s’il ne faut pas négliger les éléments proprement religieux dans les négociations des diplomates romains. J’ai pu montrer ailleurs que dès le début du règne de Paul III le nonce en France dans

Entre intransigeance confessionnelle et casuistique

diplomatique: pratiques de la diplomatie pontificale

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ses audiences avec le roi très chrétien aborde fréquem-ment les thèmes classiques du concile, de la croisade, de la paix entre les princes chrétiens, voire de la réforme des abus: le représentant du souverain pontife n’attend pas le Concile de Trente pour se comporter en agent de diffusion sinon de la ‘Réforme catholique’ telle qu’elle émerge après 1563, du moins des thèmes favoris des mi-lieux réformateurs depuis le début du XVe siècle4.

Ce processus de confessionnalisation de la diplomatie pontificale, plus complexe qu’il n’y paraît, commence à Rome même. Si la capitale du monde catholique n’avait pas à recevoir de représentants des États protestants, la papauté se montra de plus en plus exigeante sur la par-faite orthodoxie des envoyés des princes restés fidèles à Rome. De Paul IV à Grégoire XIII se multiplièrent même les incidents sur le sujet. L’un des premiers ambassa-deurs récusé pour une hétérodoxie supposée est Juan de Figueroa, gouverneur intérimaire de l’État de Milan, que Philippe II avait désigné pour le représenter auprès de Paul IV en 1558. Le pape refusa dans un premier temps de le recevoir, d’après l’ambassadeur français Philibert Babou de la Bourdaisière, parce qu’ «il le tenoit pour hérétique et ennemy de ce siège à cause de plusieurs propos qu’on a rapporté au pape qu’il avoit tenuz estant à Millan et que là il avoit fait emprisonner un curseur de nostre saint Père»5. Babou de la Bourdaisière ajoute que

ce refus du pape ravit les partisans du parti éboliste, les cardinaux Pacheco et Carafa ainsi que le duc de Paliano, car Figueroa est proche du duc d’Albe et devait rempla-cer un éboliste, Juan de Vargas. Paul IV doit d’ailleurs finalement accepter le choix du roi catholique, même si Figueroa meurt sur le chemin de Rome.

Les envoyés français deviennent par la suite l’objet pri-vilégié de la méfiance pontificale. Il s’agit pour Rome de marquer son désaveu de la politique religieuse suivie par les dirigeants français à partir de 1560, condamnée aussi bien par des papes ‘modérés’ comme Pie IV qu’intransi-geants comme Pie V. L’insistance sur l’hétérodoxie des ambassadeurs français est aussi un moyen de pression efficace sur le roi très chrétien, permettant notamment d’éluder ses demandes de réformes des structures ecclé-siastiques ou de concessions liturgiques. Cette diabo-lisation de diplomates qui pour la plupart d’entre eux ont juste manifesté des sympathies évangéliques en un temps où la fracture confessionnelle ne semblait pas irrémédiable entretient une tension forte entre les cours de France et de Rome pendant tout le second XVIe siècle.

Les représentants de Charles IX au concile de Trente en sont les premières victimes: le chef de la délégation, Louis de Saint-Gelais, seigneur de Lanssac, est très vite accusé à Rome d’être «l’ambassadeur des huguenots», et l’on dit

des deux autres membres de la délégation française, Ar-naud Du Ferrier et Guy Du Faur de Pibrac, qu’ils «sont les Français les plus hérétiques de tout le royaume»6.

L’ambassadeur français à Rome, André Guillard, sieur de l’Isle, n’est pas mieux traité et Pie IV peut dire qu’il l’a supporté «encores qu’il fust de contraire relligion»7.

François de Noailles, évêque de Dax, envoyé par Cathe-rine de Médicis à Rome en 1563, ne peut accomplir sa mission, faisant l’objet avec d’autres évêques français d’une citation devant le Saint-Office. On peut noter qu’en Espagne, les représentants du roi très chrétien font l’objet de la même suspicion en raison de divers témoi-gnages devant les tribunaux inquisitoriaux les accusant de sympathies pour la Réforme, voire de prosélytisme8.

Si chaque nomination ou rumeur de nomination d’un ambassadeur français à Rome fait l’objet d’une enquête discrète ou au moins d’une appréciation sur l’ortho-doxie de la personne concernée de la part des envoyés pontificaux, le plus souvent, l’évaluation est nuancée9,

mais quand le Saint-Siège a jugé qu’une personne était suspecte, son opposition devient nette et le bras de fer peut être interminable, comme dans le cas de Paul de Foix. Ce parlementaire issu de la plus haute noblesse avait été compromis dans l’affaire de la Mercuriale, qui avait vu en 1559 des parlementaires modérés s’opposer à la politique de répression d’Henri II et s’était soldée par l’exécution d’Anne Du Bourg. Cela suffit pour lui valoir les pires tracas dans sa carrière diplomatique et ecclésiastique en raison des soupçons de Rome sur son orthodoxie et de l’existence d’une procédure ouverte contre lui au Saint-Office10. Dès 1566, Pie V le refuse

comme ambassadeur à Rome, refus renouvelé en 1573 par Grégoire XIII quand Charles IX compte l’envoyer pour se féliciter avec le pape de l’élection de son frère au trône polonais. Devant les protestations du roi de France, le nonce Salviati fait l’éloge de l’action du Saint-Office: «È un tribunale di tanta consideratione appresso a tutti i Pontefici che ciascuno usa di differirgli molto, perché dalla vigilanza sua dipende la conservatione illesa dall’heresie in tutte le parti del mondo, nelle quali hanno essecutione i suoi decreti, et il braccio della giustitia fa-vorevole. Di modo che questo era il più utile tribunale che hoggi fusse al mondo, et che più meritasse di essere protetto et favorito, et non altramente trattato». Charles IX répond par l’ironie en défendant l’orthodoxie de Paul de Foix: «io so che egli ha gran voglia di esser cardinale, alla quale dignità gl’Ugonotti non aspirano»11.

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335 Pratiques de la diplomatie pontificale à la cour de France du XVIe siècle

Paul de Foix peut le rappeler au roi pour s’en indigner: «il n’y a nul autre prince qui se soit jamais meslé de s’indigner de la vie de ceux que vous lui aviez envoiez pour ambassadeur»12. À Venise, l’ambassadeur

fran-çais Arnaud Du Ferrier analyse bien dans une lettre au roi le conflit en termes de pouvoirs et de juridictions, y voyant la preuve des insupportables prétentions ponti-ficales à imposer le jugement du pape contre les liber-tés gallicanes, «entre lesquelles la principale a tousjours esté que vos sujets de quelque qualité ou condition qu’ils soient ne peuvent en aucune cause estre tirez à Rome». Les papes veulent profiter de la crise religieuse pour faire plier les pouvoirs temporels, mais, ajoute Du Ferrier, «si la chose est considérée comme il appartient, l’on trou-vera que trois et quatre cens ans avant que Luther nas-quist, vos prédécesseurs roys se sont opposez à telles en-treprises qui procèdent plustost d’ambition que de zèle de religion». L’ambassadeur donne l’exemple de Venise, qui a imposé Niccolò da Ponte comme son représentant à Rome alors que Pie V le refusait en raison de son hété-rodoxie présumée13.

Pourtant, les États catholiques se trouvent assez dépourvus devant la stratégie romaine, comme en té-moigne l’impuissance des rois de France dans l’affaire Paul de Foix. Henri III, qui avait hérité du problème, va même jusqu’à menacer Grégoire XIII de retirer ses ambassadeurs de Rome, mais sans beaucoup émouvoir le souverain pontife. Le cardinal de Côme décrit ainsi au nonce la réaction de Grégoire XIII: «S. B.ne che non è fanciullo da spaventare con minaccie, né fa le risolutioni sue con così leggier fondamento che habbia a rivocarle per brevetto è stata salda ne la risolutione fatta per debito del carico che tiene, per honor de la persona sua, et per servitio di Dio benedetto […]. Che deve S. M.tà conside-rar quello che siano per giudicare de la M.tà Sua gli altri Principi Christiani, vedendola ritirata dal commercio di questa Santa Sede per cagione ingiusta: soggiongendo ancor che S. M.tà pensi che le stati e i Regni non si hanno da governare con furia et con impeto, ma con quieto et maturo consiglio, havendo risguardo al beneficio et ser-vitio de suoi sudditi, li quali sono dati da Dio benedetto sotto il governo di S. M.tà, perché siano governati con termini giusti et temperati, et non con colera, et impeto, col quale causando S. M.tà disordine alcuno sarà obliga-ta di renderne conto a Sua Divina Maestà, la cui ira si ha-verebbe a cercar di temperare, et non accrescere essendo ella pur hormai troppo grande sopra cotesto Regno»14.

Le pape faisait de la norme confessionnelle l’incarnation de la raison politique, face au désordre provoqué par les caprices royaux, incapables de se plier à la clarté des principes romains.

Mais s’il était possible au pape d’imposer aux États catholiques cette norme confessionnelle, interprétée de la façon la plus stricte, pour leur représentation à Rome, il lui était beaucoup plus malaisé de convaincre ces États, contraints de se confronter à la nouvelle nature pluri-confessionnelle de l’Europe, d’adopter l’intransigeance pontificale. Les nonces n’hésitent pas à intervenir quand la présence d’un ambassadeur protestant leur semble menacer la foi catholique, mais leur intervention est le plus souvent inefficace et toujours inopportune. Encore en 1604, le nonce à Venise se plaint que l’ambassadeur d’Angleterre ouvre son prêche au tout venant, craint que cela n’aboutisse à une prédication protestante en italien et demande à la Sérénissime de l’exiler à Murano. Les autorités vénitiennes se contentent de prier poliment l’ambassadeur ne plus recevoir d’étrangers dans ses prêches15. Dans un contexte diplomatique qui cherche

habituellement à minimiser l’antagonisme confes-sionnel, les interventions du représentant pontifical détonnent et mettent bien souvent dans l’embarras les cours qui le reçoivent.

Les occasions cependant ne sont pas fréquentes pour les légats et les nonces de se trouver dans une telle si-tuation. Les cours catholiques de l’Europe méridionale n’accueillaient que rarement des agents diplomatiques protestants et plus rarement encore des ambassadeurs résidents. C’est principalement à la cour impériale, dès avant la paix d’Augsbourg, puis à celle du roi très chré-tien après la mort de Henri II, que les diplomates ro-mains sont confrontés à un véritable milieu pluriconfes-sionnel. Cet article se concentre sur le cas français, mais il est bien évident qu’il faut le confronter à celui, assez différent, de la cour impériale. Dans les années 1530 et 1540, légats et nonces ont pu espérer y mener des négo-ciations qui auraient ramenées les hérétiques dans le giron de l’Église romaine et cet espoir a laissé des traces dans les comportements, même bien après que toute ten-tative irénique ou simplement de dialogue soit rejetée par principe par Rome. L’irruption du calvinisme dans l’Empire et ses âpres controverses avec le luthéranisme ont aussi pu conduire certains nonces à regarder avec un œil plus affable les luthériens les plus orthodoxes. Le nonce Giovanni Delfino fait ainsi l’éloge de l’électeur de Saxe qui expulse les prédicateurs calvinistes de ses terres et répond même en 1577 à une invitation à se rendre à Dresde, où il est reçu avec un faste qui le touche16. S’il

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336 Alain Tallon

royaume déjà fortement unifié où la coexistence confes-sionnelle ne pouvait se couler dans les structures poli-tiques très lâches du Saint Empire romain germanique. La diplomatie pontificale a été très brutalement mise devant le fait accompli d’une cour de France qui après avoir affirmé sa volonté de combattre sans pitié la dissi-dence religieuse change de politique et opte pour un dia-logue avec les réformés et leurs sympathisants. Certes, la découverte d’une ample adhésion à la Réforme au sein même de la plus haute aristocratie française date de la fin du règne de Henri II. Mais la volonté de ce roi et de son successeur, François II, gouvernant sous la tutelle des Guise, de réprimer sévèrement les manifestations de cette dissidence semble intacte. Ce n’est plus le cas après la conjuration d’Amboise de mars 1560, qui voit le gouvernement français changer de politique en quelques mois et convoquer une première assemblée à Fontai-nebleau où l’amiral de Coligny et son frère le cardinal de Châtillon peuvent s’exprimer librement. La mort de François II et l’accession à la régence de Catherine de Médicis pour le jeune Charles IX achève le proces-sus d’une tolérance informelle à la cour de France, qui devient biconfessionnelle de fait, au grand scandale des catholiques les plus intransigeants, au premier rang des-quels figurent l’ambassadeur de Philippe II, Chantonnay, et le nonce pontifical Sebastiano Gualterio17. Ce dernier,

déjà nonce en France de 1554 à 1556, avait connu la cour de Henri II au temps des persécutions sans états d’âme des dissidents. Il avait ensuite servi les Carafa à Rome, pour recevoir à nouveau la charge de représenter le pape Pie IV auprès du très chrétien en mars 1560. Il fait des rapports systématiquement négatifs sur la politique religieuse suivie par les gouvernants français et attaque tout spécialement Catherine de Médicis, ce qui justifie son remplacement par le plus souple Prospero Santa Croce18. Gualterio conserve cependant à Rome un rôle

d’expert des affaires françaises.

Sa ligne intransigeante est donc la première réponse à la coexistence confessionnelle que la diplomatie pontificale doit désormais affronter à la cour de France. Elle se voit cependant substituer une toute autre politique, incarnée par le légat Ippolito d’Este, cardinal de Ferrare, et dans une moindre mesure le nonce en France Prospero San-ta Croce. Le légat, envoyé comme ultime recours pour empêcher un concile national en France, était depuis des décennies un des piliers du parti français en Italie, com-blé d’honneurs et de bénéfices par François Ier et Henri II.

Prince fastueux de la Renaissance, il devenait dans une curie romaine marquée par un tournant intransigeant un vestige un peu anachronique de temps plus riants ou en tout cas plus enclins au compromis et à la

négocia-tion. Son idéal diplomatique reste celui exprimé par le cardinal Bibbiena sous Léon X et c’est ainsi qu’il aborde la délicate question des rapports qu’un représentant du Saint-Siège peut avoir avec de grands personnages ouver-tement hérétiques qu’il côtoie dans une cour étrangère. Son attitude a été brocardée dès l’époque et les railleries des contemporains ont été volontiers reprises par les his-toriens, sans chercher à comprendre la logique propre du cardinal. Un épisode est toujours cité en exemple pour montrer son inadaptation aux temps nouveaux de l’af-frontement confessionnel, quand, le 12 novembre 1561, le légat accepte de se rendre chez la reine de Navarre pour y écouter le prêche d’un ministre, Jean de La Tour, à condition que Jeanne d’Albret lui rende la politesse et vienne écouter un des ses prédicateurs. La présence du lé-gat à un prêche calviniste provoqua un véritable scandale chez les catholiques les plus zélés, qui alertèrent Rome. Pie IV et Charles Borromée firent savoir au légat tout leur mécontentement. Par la suite et jusqu’à l’époque contemporaine, les commentaires sur un tel épisode furent sévères, estimant que le cardinal de Ferrare s’était ridiculisé, d’autant plus que si Jeanne d’Albret vint bien avec ses dames écouter le sermon du franciscain Angelo Giustiniani, ce fut pour mieux s’en moquer19.

Les explications du légat lui-même n’ont jamais été prises au sérieux, alors qu’elles révèlent de façon très claire sa conception de l’action diplomatique dans un contexte pluriconfessionnel. Sa présentation de l’affaire dans une lettre au cardinal Borromée du 15 novembre 1561 insiste d’abord sur l’insistance que la reine de Navarre a mise à son invitation, soutenue par Catherine de Médicis qui dit que le légat lèvera ainsi l’objection que «costoro che ten-gono le nuove openioni han sempre in bocca dolendosi che non sono acettati da noi con alcuna humanità, per la quale possono esser tirati a resipiscenza»20. Ferrare admet

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337 Pratiques de la diplomatie pontificale à la cour de France du XVIe siècle

Le cardinal de Ferrare ne faisait qu’appliquer un cer-tain nombre de préceptes devenus des lieux communs de la pratique diplomatique: complaire au prince auprès duquel on est envoyé, se montrer ouvert, laisser le mau-vais rôle de l’obstiné à son antagoniste dans une négo-ciation. Tout au plus le légat pontifical percevait-il le danger d’être mal jugé par ceux qui ne s’arrêtent qu’aux moyens sans considérer la fin. Il comprenait aussi le danger de toute confusion confessionnelle et insiste sur le fait qu’il n’y a eu aucune communion de prière lors de cette assemblée. Cette évacuation de la dimension reli-gieuse ne pouvait bien sûr pas satisfaire tous ceux pour qui le simple contact avec les hérétiques était déjà occa-sion de scandale. La violence des réactions catholiques, en France comme à Rome, surprend un cardinal qui croyait avoir pris les précautions suffisantes. Quelque semaines plus tard, il écrit très amer à Carlo Visconti, évêque de Vintimille et parent du pape, qu’il sait bien qu’on ne doit pas procéder de la même manière dans les négociations concernant la religion et dans celles concernant l’Etat. Si les problèmes français ne relevaient que de la religion, il ne se serait pas comporté ainsi, mais ils sont en fait liés à des intérêts particuliers et la religion n’est qu’un prétexte21.

Il développe cet argument dans une autre longue lettre de justification auprès du cardinal Borromée22. Il y

rap-pelle sa condition d’envoyé sur le terrain, au contraire de ceux qui jugent de loin la situation. Il affirme sa parfaite orthodoxie face à ceux pour qui aller écouter un prêche est signe manifeste d’hérésie: «Ne penso già che per essere stato ad una di queste prediche io habbia ad essere tenuto per ugonotto, che Dio sa con che pia-cere et che intentione io vi andassi, ma so ben quando occorse metter la vita per la religione, io non cederei a niun chietino che sia». Il accuse les catholiques français qui l’ont dénoncé de duplicité, se scandalisant du geste sans conséquence du légat, alors qu’ils demandent au pape des concessions telles sur les images ou la com-munion sous les deux espèces, voire sur le dogme même de la transsubstantiation, qu’ils conduisent di-rectement le royaume à la confession d’Augsbourg. Le cardinal de Lorraine et ses manœuvres autour de cette confession, mais aussi Catherine de Médicis et son en-tourage persuadés de la nécessité de concessions litur-giques sont ici visés. Une attitude intransigeante de la part des représentants pontificaux ne conduirait qu’à une rupture, sur le modèle anglais. Dans ses lettres sui-vantes, Ferrare reste sur cette position et fait valoir le terrain gagné par la cause catholique, notamment avec le ralliement progressif d’Antoine de Bourbon, roi de Navarre23.

Ippolito d’Este était sans doute allé le plus loin dans cette attitude qu’il serait anachronique d’interpréter comme irénique, ou même comme un refus du dur-cissement confessionnel. En un certain sens, le cardi-nal niait aux huguenots toute qualité religieuse, même celle d’hérétiques, et les considérait sur un strict plan politique, comme des adversaires à réduire par la négo-ciation et ses pratiques propres, puisqu’on ne pouvait le faire par les armes. La diplomatie pontificale conserve encore pendant le règne de Pie IV ce réflexe de traiter la contestation religieuse en phénomène sinon exclusi-vement politique, du moins largement réductible à un traitement analogue aux conflits temporels. Le nonce Prospero Santa Croce, qui avait remplacé le trop intran-sigeant Sebastiano Gualterio, a ainsi la même ligne de conduite: s’il ne se livre pas à des gestes aussi spectacu-laires que celui du légat se rendant au prêche de la reine de Navarre, Santa Croce n’évite pas le contact des sus-pects ou des hérétiques. Il multiplie ainsi les visites au cardinal de Châtillon à la fin de l’année 1561 et au début de l’année 1562 dans l’espoir de ramener ce dernier dans le giron romain. Après la guerre civile et avec le retour des huguenots à la cour, le nonce continue de chercher à provoquer des défections individuelles, n’hésitant pas pour cela à rencontrer les hérétiques les plus notoires. Après la clôture du concile de Trente, il fait savoir ainsi aux frères Châtillon que le pape est prêt à les accueillir en cas de résipiscence et même à favoriser leur récon-ciliation avec les Guise24. La réponse très ironique que

lui font transmettre Coligny, d’Andelot et le cardinal de Châtillon est leur bonne volonté pour maintenir les pré-rogatives du pape en matière d’annates ou de provisions, ce qui conduit le nonce à renoncer à ses approches25.

Pendant le séjour de la cour à Lyon en juin 1564, lors du grand tour de France de Catherine de Médicis et Charles IX, Santa Croce apprend que Pierre Viret espérait succé-der à Calvin, qui venait de mourir, et se montrait dépité de voir Théodore de Bèze prendre cette place. Immédia-tement, il entre en contact avec le réformateur, ce qui d’après lui plaît à la reine de Navarre et suscite de grands espoirs chez Catherine de Médicis. Le nonce, informant Borromée de la négociation, reste très prudent: «Non voglio per questo che V. S. ill.ma non entra in molta spe-ranza perché poche volte si è veduto che un heresiarcha si sia convertito, pur non si mancarà d’ogni diligentia: almeno si darà grandissima satisfattione alla Regina, mostrando alla M.tà sua che dal canto nostro si fa tutto per caminar per questo via quieta et di concordia che è appunto l’humore et desiderio della Maestà sua»26.

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338 Alain Tallon

semble vouloir le prolonger par un véritable colloque entre théologiens des deux confessions que le nonce refuse, conformément à la ligne désormais adoptée par Rome.

Comme Ippolito d’Este, Prospero Santa Croce adopte cette posture d’ouverture avant tout pour prendre l’avantage auprès de Catherine de Médicis en montrant une forme de disponibilité à sa politique de pacification des esprits, mais sans grande illusion sur les possibili-tés réelles d’obtenir des défections. Les quelques espoirs retombent vite, par exemple en ce qui concerne le prince de Condé27. Quand le nonce affirme à l’ambassadeur de

Philippe II que les huguenots peuvent être réduits indi-vidus par indiindi-vidus, il s’agit plus de prévenir les critiques de la diplomatie espagnole, bien plus intransigeante, que de réelle conviction28. Contrairement au cardinal de

Fer-rare, mal vu à Rome, Santa Croce bénéficie de l’appui de Pie IV et de Charles Borromée. Ce dernier lui assure dans une longue lettre en chiffre du 20 septembre 1564 que le Saint-Siège est prêt à toute la mansuétude néces-saire si le prince de Condé, le cardinal de Châtillon ou même Jean de Monluc, évêque de Valence – «se ben non potemo poco fidarci per le tante mutationi che ha fatte, et par la mala vita che sempre ha tenuta» – sont gagnés par le nonce29. La raison est expliquée par le neveu de Pie

IV dans la même lettre: Rome redoute qu’une attitude trop intransigeante, que lui demande avec insistance l’Espagne, ne provoque une rupture entre la France et le pape, dans un moment où les relations entre le roi catho-lique et le Saint-Siège se dégradent. Borromée conseille donc à Santa Croce de résister aux pressions de l’ambas-sadeur espagnol, y voyant un plan de Philippe II pour réduire le pape, brouillé avec le roi très chrétien, à son entière merci30.

Ce souci de conserver les bonnes grâces de Catherine de Médicis dans une conjoncture internationale délicate pour la papauté explique cette stratégie d’une très rela-tive ouverture, qui autorise les contacts et le dialogue avec les hérétiques officiellement dans l’espoir de les faire revenir au catholicisme et officieusement pour se montrer moins intransigeant que l’adversaire dans une cour gagnée à un idéal de paix. Cela n’empêche pas la di-plomatie pontificale, quand elle en a l’occasion, de cher-cher à limiter l’influence des protestants auprès du roi et de la reine-mère, voire de les écarter complètement. Quand la guerre civile éclate au printemps 1562 et que le gouvernement royal demande une aide financière au Saint-Siège, l’une des conditions posées est que la régente chasse de la cour non seulement tous les huguenots, mais aussi les personnes suspectes comme Michel de L’Hospital31. En temps de paix, les nonces doivent

veil-ler à éloigner de l’entourage royal les huguenots les plus convaincus. Louise de Clermont, très spirituelle épouse d’Antoine de Crussol, comte d’Uzès, proche amie de Catherine de Médicis et calviniste déclarée, est ainsi une des bêtes noires de Rome et quand elle revient à la cour en décembre 1563, le nonce est chargé par Borromée de reprocher à la reine mère l’accueil chaleureux qu’elle lui a fait32. Santa Croce se charge aussi de faire appliquer

toutes les clauses des édits ou des ordonnances défavo-rables aux huguenots. Une ordonnance du 19 juin 1563 interdit les prêches dans les lieux où se trouve la cour. En juin 1564, alors que le roi est à Lyon, le nonce demande et obtient l’interdiction des prêches dans cette ville, malgré l’opposition de Jeanne d’Albret et de Coligny33.

La capacité de la diplomatie de Pie IV à faire preuve de courtoisie, dans le sens premier du terme, dans des relations individuelles avec des hérétiques ne doit pas faire oublier qu’il s’agit d’une tactique parmi d’autres au service d’un objectif, vaincre l’hérésie par la diplomatie puisqu’il semble impossible de le faire par les armes34.

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339 Pratiques de la diplomatie pontificale à la cour de France du XVIe siècle

sommes aux antipodes de l’attitude du cardinal de Fer-rare ou du nonce Santa Croce quelques années plus tôt. Ces derniers, s’ils avaient peu d’illusions sur la chance d’une conversion, ne voulaient pas manquer l’occasion de marquer leur ouverture. La nouvelle diplomatie pon-tificale met au contraire en scène son intransigeance.

Cette attitude se poursuit après la mort de Pie V, avec un refus notamment de paraître aux cérémonies publiques, et tout particulièrement aux cérémonies religieuses, si des hérétiques y sont présents. La société des princes vivait au rythme des baptêmes, mariages et funérailles de ses membres et la rupture confessionnelle, si elle avait gênée le déroulement normal de cette socia-bilité princière, ne l’avait pas interrompue. Les rois de France faisaient célébrer des services de requiem à la mé-moire d’autres souverains défunts, quand bien même ils étaient d’une autre confession: François Ier fit ainsi dire

une messe à Notre-Dame pour Henri VIII. Les nonces se voyaient dans ces occasions confrontés à leur double statut de membre d’un corps diplomatique tenu d’assis-ter à ces cérémonies religieuses et de représentants d’un souverain pontife qui pouvait difficilement les caution-ner ces cérémonies religieuses puisque des hérétiques y étaient associés. En 1573, le nonce Antonio Maria Sal-viati, successeur de Frangipani pourtant beaucoup plus modéré et proche de Catherine de Médicis, refusa ainsi d’assister au baptême de la fille de Charles IX, Marie-Elisabeth de France, prétextant d’un rhume. La vraie raison de ce refus, évidente pour tous, était le choix de la marraine, Elisabeth Ière d’Angleterre, représentée par

William Somerset, comte de Worcester. Sa présence explique Salviati à Rome aurait donné l’impression qu’il approuvait qu’une reine hérétique soit admise à partici-per à des cérémonies catholiques, «dal che anco sarebbe nato, che con l’essempio harei dimostrato a questi po-puli (che non sono però i più zelanti del mondo) che si può liberamente conversar con gl’heretici, intervenir con loro ne gl’atti spirituali, et che è bene di chiamarli per compari»36. Le cardinal de Lorraine a beau lui faire

valoir que lui-même, le cardinal de Bourbon et le car-dinal de Guise assisteront à la cérémonie et qu’il doit se régler sur leur comportement, le nonce se refuse à suivre l’exemple de cardinaux français qui ne valent pas ceux de la Curie37. Salviati avait aussi par avance annoncé

qu’il n’irait pas au dîner puisque l’ambassadeur anglais devait manger à la table du roi avec celui de l’empereur et du duc de Savoie, quand tous les autres ambassadeurs seraient relégués à une autre table. Ce conflit de pré-séance est interprété par le nonce comme une nouvelle faveur faite aux hérétiques et il ajoute «che mi dispiaceva questo modo di fare di Francia, dove s’usano delle

scon-venevolezze, volendo vanamente persuadere che si fac-cino per interesse di Stato»38. Grégoire XIII fait savoir à

Salviati qu’il approuve sa conduite39.

Il ne faut pas cependant surestimer la portée de tels comportements et l’importance que leur accordaient les contemporains. Catherine de Médicis certes reproche à Salviati son absence, n’accepte pas son excuse d’un rhume et menace d’écrire à Rome pour demander à son ambassadeur de se plaindre auprès du pape. Salviati qui rapporte cette conversation à Galli ajoute: «Io vedendo che ciò mi diceva ridendo et burlando, gli ricordai che del medesimo tenore dovesse scrivere contro di Portu-gallo, che sta in letto con la gotta»40. Le rire et les

plaisan-teries occultent l’affrontement, dans l’intérêt des deux protagonistes. La reine mère ne veut pas d’un conflit ouvert avec Rome, le nonce ne peut pas se cantonner à sa simple attitude d’intransigeance. Car cette dernière isole la diplomatie pontificale dans une posture qui n’est pas tenable politiquement ou plutôt qui l’exclut du champ politique. En refusant, contrairement à ce que faisaient encore le cardinal de Ferrare ou le nonce Santa Croce dans la première moitié des années 1560, de prendre en compte cette dimension politique du conflit confes-sionnel, le Saint-Siège et ses représentants ne pèsent plus sur les négociations internationales, dont ils refusent le langage et les comportements. Grégoire XIII constata à plusieurs reprises avec amertume cette exclusion de Rome du jeu politique international comme des évo-lutions internes à chaque royaume. En 1574, il rêve de procurer une union entre France et Espagne contre leurs sujets rebelles, mais, explique Galli, «per l’esperienza de tempi passati ha conosciuto che le lor MM.tà fanno più volentieri queste cose intra di loro senza il mezo d’altri et massime de preti»41. La rigoureuse séparation entre

religion et politique, normes confessionnelles et négo-ciations diplomatiques finit par se retourner contre son initiateur, la papauté intransigeante du second XVIe

siècle. Catherine de Médicis a ainsi beau jeu de répondre au nonce Ragazzoni qui lui reprochait de la part de Sixte Quint ses négociations avec Henri de Navarre «che S. B.ne come vicario di Christo in terra può ben sapere più delle cose divine, che non sa lei, ma che delle cose tem-porali ciascuno conosce meglio quelle de’ suoi paesi»42.

La prise de conscience de cette exclusion du jeu politique est sans doute une des raisons qui conduisent la papauté à arbitrer la plus difficile décision qu’elle ait eu à prendre en ce second XVIe siècle, la réconciliation d’Henri IV,

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res-340 Alain Tallon

tait encore pour longtemps dans les cours pluriconfes-sionnelles de l’Europe d’Ancien Régime une exception diplomatique, rappelant par son seul comportement et au prix de son relatif isolement la rupture religieuse que la plupart des États voulaient sinon gommer, du moins contourner.

Alain Tallon

1 Sur les diplomaties permanentes florentines et milanaises du XVe

siècle, voir R. Fubini, Italia Quattrocentesca. Politica e diplomazia

nell’età di Lorenzo il Magnifico, Milano 1994.

2 G.M. Bell, John Man, the Last Elizabethan Resident

Ambassa-dor in Spain, «The Sixteenth Century Journal», 7, 1976, pp. 75-93.

Le refus de Philippe II d’accorder cette immunité s’explique peut-être par le fait que l’ambassade anglaise était devenue, d’après des témoignages il est vrai plus tardif, un lieu de discussion hétérodoxes, W. Thomas, La represión del protestantismo en España 1517-1648, Louvain 2001, p. 272 note 218.

3 Biblioteca Apostolica Vaticana [BAV], Borg. Lat. 49, fol. 111v-4.

Une version imprimée est donnée par G.L. Moncallero, Il

cardina-le Bernardo Dovizi da Bibbiena umanista e diplomatico (1470-1520). Uomini e avvenimenti del Rinascimento alla luce di documenti inediti,

Firenze 1953, pp. 640-2.

4 A. Tallon, Le nonce en France au XVIe siècle, agent de diffusion de la Réforme catholique ?, dans I. Zinguer, M. Yardeni (edd.), Les deux Réformes chrétiennes. Propagation et diffusion, Leiden-Boston

2004, pp. 122-37.

5 Bibliothèque nationale de France [BNF], ms. Cinq Cents

Col-bert 343, p. 171, PhiliCol-bert Babou de la Bourdaisière au roi, Rome, 6 décembre 1558.

6 La corrispondenza del cardinale Ercole Gonzaga, presidente del

concilio di Trento, ed. G. Drei, «Archivio storico per le provincie

parmensi», 17, 1917, pp. 185-242; 18, 1918, pp. 29-143: 17, 1917, p. 220, lettre de Francesco Gonzague au cardinal de Mantoue, Rome, 28 mars 1562.

7 BNF, ms. Fr. 16039, fol. 39, Villeparisis à la reine, Rome, 29

no-vembre 1565.

8 Thomas, La represión, pp. 242-3, 259 note 199.

9 On peut avoir un exemple des difficultés qu’éprouvent les

cardi-naux ou les diplomates romains à s’orienter dans les choix politico-religieux complexes des Français du temps des guerres de Religion. Quand il est ainsi question en 1575 de nommer ambassadeur un pa-rent des Montmorency, Christophe Jouvenel, sieur de La Chapelle-des-Ursins, le cardinal Galli demande aussitôt au nonce Salviati de mener une enquête: «Con avviso dato da V. S. del ragionamento che costì passa di mandar qua Ambasciator ordinario Mons. de la Chapella era bene che insieme ella desse informatione de le qualità de la persona, massime ne le cose de la religione, se ben fu a Roma

un’altra volta in tempo di Pio IV di santa memoria, potrebbe d’al-hora in qua haver fatto gran mutatione». Salviati répond: «Non ci è più pensiero di far venir costà Mons. de la Chapelle. La conscienza del quale io non so come si stia. Non credo già che da che venne a Roma sotto Paolo et Pio Quarto, sia mutato d’opinione appreso le persone. Come nipote del Conestabile di bona memoria, credo che alle volte sia stato sospetto: nondimeno sempre è andato alla messa mai portò l’arme contro’l Re, et per San Bartolomeo era in Parigi tra quei, che s’impiegavano nel servitio di S. M.tà contro gli Hugo-notti. Argomenti de quali in questo paese sì fa gran conto. Et quanto alla maniera dell’huomo mi par ben certo essere tale di non essere havuto a discaro dal Principe, appresso al quale havesse a risedere», in Correspondance du nonce en France Antonio Maria Salviati, edd. P. Hurtubise, R. Toupin, Roma 1975, 2, pp. 305-6, Galli à Salviati, Rome, 19 septembre 1575, et p. 318, Salviati à Galli, Paris, 10 octobre 1575.

10 N. Didier, Paul de Foix à la mercuriale de 1559, son procès,

ses idées religieuses, «Mélanges d’archéologie et d’histoire de l’Ecole

française de Rome», 56, 1939, pp. 396-435 ; Id., Paul de Foix et

Gré-goire XIII, 1572-1584. Une suite de la mercuriale de 1559, «Annales

de l’université de Grenoble», n.s., 17, 1941, pp. 93-245 ; E. Bonora,

Giudicare i vescovi. La definizione dei poteri nella Chiesa postridenti-na, Roma-Bari 2007, pp. 218 sq. Le procès ouvert contre Paul de Foix

par la congrégation du Saint-Office est perdu, mais son existence est attestée par une mention dans un recueil de procédures ouvertes contre des évêques français: voir Archivio della Congregazione per la Dottrina della Fede, S. O., St. St., R-4 d, fol. 620.

11 Correspondance du nonce en France Antonio Maria Salviati, 1, p.

695-6, Salviati à Galli, Châlons-sur-Marne, 2 décembre 1573.

12 Cité par Didier, Paul de Foix et Grégoire XIII, p. 142.

13 BNF, ms. Cinq cents Colbert 366, pp. 452-3, Du Ferrier au roi,

Venise, 14 décembre 1573.

14 Correspondance du nonce en France Antonio Maria Salviati, 2,

pp. 258-9, Galli à Salviati, Rome, 11 juillet 1575.

15 Voir le récit qu’en fait l’ambassadeur français à Henri IV:

«Mon-sieur le Nonce s’est plaint à ces Seigneurs que l’Ambassadeur d’An-gleterre faisoit prescher chez luy à porte ouverte, et que si on le luy permettoit en Anglois, qu’un de ces jours il en feroit autant en Ita-lien, et que pour éviter les maux que cette contagion peut apporter, il seroit bon de le prier de se loger à Moran ou ailleurs à l’escart. Cette plainte portée au Sénat, il fut dit que le Roy d’Angleterre estoit un si grand prince et duquel cette République pouvoit recevoir tant de bien et de mal, qu’il se falloit bien garder de l’offencer aucunement; et y en eut mesmes qui s’advancèrent de dire que son amitié estoit trop plus nécessaire à cette République que la vostre, vos moyens ne paroissant que dans vostre Estat, là où les vaisseaux Anglois courent toutes les mers, si bien qu’il fut résolu de prier simplement l’Am-bassadeur de ne recevoir nuls estrangers en son presche» (Lettres et

ambassades de Messire Philippe Canaye, seigneur de Fresne, conseiller du roy en son conseil d’Estat, Paris, Estienne Richer, 1635, 2/2, p. 398,

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341 Pratiques de la diplomatie pontificale à la cour de France du XVIe siècle

16 A. Koller (ed.), Nuntiaturen des Giovanni Delfino und des

Bar-tolomeo Portia (1577-1578), Tübingen 2003, p. 137.

17 L’ouvrage vieilli de L. Romier, Catholiques et huguenots à la

cour de Charles IX. Les États généraux d’Orléans. Le colloque de Pois-sy. Le “concordat” avec les protestants. Le massacre de Vassy (1560-1562), Paris 1924, reste cependant utile pour retracer les péripéties de

ce changement majeur.

18 Correspondance des nonces en France Lenzi et Gualterio,

1557-1561, ed. J. Lestocquoy, Roma 1977.

19 Voir le récit de Lucien Romier, très hostile au cardinal, dans

Ro-mier, Catholiques et Huguenots, p. 270. Autre provocation, venant un vendredi, Jeanne d’Albret apporte sa propre nourriture pour ne pas faire maigre.

20 BNF, ms. Italien 1364, fol. 18.

21 Ibid., fol. 49v, lettre du 31 décembre 1561. 22 Ibid., fol. 64-73, même date.

23 Voir ainsi sa lettre à Borromée du 31 janvier 1562 dans

Docu-menti circa la vita e le gesta di S. Carlo Borromeo, ed. A. Sala, Milano

1861, 3, pp. 116-8.

24 BAV, Patetta 1153, fol. 283, Santa Croce à Gallio, Paris, 7 janvier

1564.

25 Ibid., fol. 293v, Santa Croce à Borromée, Paris, 23 janvier 1564. 26 Ibid., fol. 334v, lettre au cardinal Borromée, Lyon, 17 juin 1564.

Voir aussi les autres lettres à Borromée sur cette affaire fol. 332, s.d. [juin 1564], et fol. 337v, 21 juin 1564; les commentaires de l’ambassa-deur espagnol Francisco de Alava dans Archivo documental español, Madrid 1952, 6, pp. 275-6, 292, Alava à Philippe II, Lyon, 22 et 29 juin 1564.

27 Voir les lettres de Santa Croce à Borromée et à Gallio dans BAV,

Patetta 1.153, fol. 218v, Amboise, 15 avril 1563, ou fol. 283v, Paris, 7 janvier 1564.

28 Archivo documental, 6, p. 357, Alava à Philippe II, Condrieu, 13

août 1564.

29 BAV, Barb. lat. 5759, fol. 146v-8v. Pour Condé, Borromée espère

que sa conversion sera facile «stando la morte di quella perversa sua moglie et li stimuli del fratello [le cardinal Charles de Bourbon] et la natura sua che è più presto leggiero […] insieme poi con la gratia di Dio N. S.re».

30 Ibid., fol. 145v-6.

31 Archivio Segreto Vaticano, Nunziature diverse 274/2, fol. 522v,

Pie IV au cardinal de Ferrare, Rome, 20 mai 1562.

32 BAV, Barb. Lat. 5759, fol. 26rv, Borromée à Santa Croce, Rome,

16 décembre 1563.

33 BAV, Vat. Lat. 6.410, fol. 1rv, Santa Croce à Morone, Lyon, 12

juin 1564. Sur l’utilisation par Santa Croce de l’édit de pacification d’Amboise, officiellement condamné par Rome, voir A. Tallon,

Rome et les premiers édits de tolérance, d’après la correspondance du nonce Prospero Santa Croce, dans M. Grandjean, B. Roussel (edd.), Coexister dans l’intolérance. L’édit de Nantes (1598), Genève-Paris

1998, pp. 339-52.

34 Pour ne donner qu’un exemple de la volonté intacte

d’éradica-tion du protestantisme et du rejet de toute tolérance, Gallio répond à Santa Croce qui l’informe d’une peste survenue à Lyon pendant le séjour de la cour: «Dio volesse almeno che la detta peste non incru-delisse senon in persona degli heretici, poichè per colpa loro si può credere che ella sia mandata; ma dubito che la divina giustitia vorrà castigar loro dell’heresie et li Catholici della toleranza, et di questo modo ognuno ne patirà» (BAV, Barb. Lat. 5759, fol. 128, Gallio à Santa Croce, Rome, 20 juillet 1564).

35 Correspondance du nonce en France Fabio Mirto Frangipani

(1568-1572 et 1586-1587), ed. A. Lynn Martin, Rome, 1984, p. 106,

Frangipani à Rusticucci, Paris 9 octobre 1570.

36 Correspondance du nonce en France Antonio Maria Salviati, 1, p.

397, Salviati à Galli, Paris, 2 février 1573.

37 «In quello che dice l’Ill.mo di Lorena, che essendo qui

cardi-nali, mi dovevo in tal caso consigliar con esso loro, conosco che dice il vero, se i cardinali che ci sono fussino simili à V. S. Ill.ma, et a qualch’un’altro della nostra Corte» (ibid., p. 398).

38 Ibid.

39 Ibid., p. 420, Galli à Salviati, Rome, 23 février 1573. 40 Ibid., p. 402, Salviati à Galli, Paris, 4 février 1573. 41 Ibid., p. 802, Galli à Salviati, Rome, 22 mars 1574.

42 Girolamo Ragazzoni évêque de Bergame, nonce en France.

Cor-respondance de sa Nonciature 1583-1586, ed. P. Blet, Roma-Paris

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