G ERGONNE
Variétés. Essai de dialectique rationnelle
Annales de Mathématiques pures et appliquées, tome 7 (1816-1817), p. 189-228
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I89
VARIÉTÉS.
Essai de dialectique rationnelle ;
Par M. G E R G O N N E.
DIALECTIQUE RATIONNELLE.
DANS
unouvrage qui
neporte
certainement pasl’empreinte
déla
timidité des opinions,; l’auteur, qui
n’avaitjamais
faitprofession-
de
beaucoup
deménagement
pour les doctrines reçues, etqui
écrivait d’ailleurs dans- des circonstances bien propres à
dégager
sapensée
de toute contrainte :CoNDORCET,
dans sonEsquisse
d’un tableauhistorique
desprogrès
del’esprit humain, s’exprime,
ausujet
dela
Dialectique d’ARISTOTE,
de la- manière-suivante
:«
Aristote ,
dans sa-logique ,
réduisant les démonstrations à une» suite
d’argumens assujettis
à la formesyllogistique , divisant
ensuite» toutes les
propositions
enquatre
classesqui
les renferment toutes;1» enseigne
àreconnaître- , parmi
toutes les combinaisonspossibles
1)
de
cesquatre classer prises
trois àtrois ,
cellesqui répondent
» des
syllogismes concluans,
etqui
yrépondent
nécessairement. Par ce» moyen, l’on
peut juger
de lajustesse
ou du vice d’unargument,
»
en sachant
seulement àquelle
combinaison ilappartient;
et l’art» de raisonner.
juste
estsoumis ,
enquelque
sorte,à
désprocédés
»
techniques
».» Cette idée
ingénieuse
est restée mutilejusqu’Ici (*); mais peut-
(*) Il eût été fort à désirer pour
l’esprit humain, qu’èlle
n’eût été quecela;
mais c’est malheureusement sur elle que s’est élevée, sous le nom pompeux de
Métaphysique ,
une vaine et contentieuse science ; une science toute de mots , dans Tom.VII , n.°
VII , I.erjanvier I8I7.
26I90
DIALECTIQUE -
» être doit-elle un
jour devenir
lepremier pas
vers unperfectionnement
» que l’art de raisonner et de discuter
semble
encore attendre ».A
l’époque
où Condorcet écrivaitceci ,
il y avaitdéjà plus d’un
demi-siècle que la
dialectique d’Aristote enseignée pourtant
encore dansquelques
établissemensgothiques
étaittombée , parmi
les,gens du bon ton , dans le discrédit le
plus complet ;
et lepetit
nombre des
partisans qu’alors
ellepouvait
encorecompter ,
l’enten- daient eux-mêmes assezmal,
comme on enpeut juger
par ce quela
plupart
en ontécrit..
Mais ,
par l’effet de l’une desfluctuations
sifréquentes
dans lesopinions
deshommes ,
cette mêmedialectique
asemblé ,
dans cesderniers
temps
, avoirrepris
un peu defaveur ;
non pasprobablement
parce que les
principes
en sontsains ,
et encore moins sans douteparce que Condorcet en a
parlé
d’une manière assezfavorable ;
maisapparemment
parcequ’elle s’enseignait
au bontemps passé ,
et que,depuis plusieurs
années, Retour aux vieilles doctrines est le cri de ralliement d’un certainpublic (*).
Entraîné,
dans cescirconstances , à
fairedes
cours delogique
dans une école
publique , j’ai
dûrépugner
d’autant moins àme
prêter
augoût qui commençait
à se manifester de nouveau enlaquelle
on a vainement cherché à masquer, sous.la sévérité desformes ,
le videabsolu du fond. Il est, au
surplus ,
fort douteux que la manie danalist des acultés de l’arnequi, depuis plusieurs
années , tourmente certainsadeptes
en France 1 doiveproduire
des fruits beaucoupplus précieux.
Ilsprétendent
avoirdécouvert que penser c’est sentir ; mais , en admettant même
qu’il
y ait àquelque
chose deplus
qu’une extension nouvelle et arbitraire donnée à Lasigni-
fication du mot sentir , on ne
conçoit
pas tropquel parti
peut tirer de cet’emaxime ,
celuiqui
se trouve arrêté dansquelque
recherche un peuépineuse.
Il en est à peu
près
de nos facultésintellectuelles
comme de nos facultésphysiques;
elles se
perfectiannent beaucoup
moins par l’analiseque
par l’exercice.(*)
Il y
a eu un temps , en France , où il suffisait à une doctrine d’être nouvelle pour être favorablement accueillie ;aujourd’hui
c’est tout le contraire.On avait certes
grand
tortalors ;
mais .a-t-on moins tortaujourd’hui ?
RATIONNELLE.
I9Ifaveur de
ladialectique
de nospères, qu’au
fond leplus
gravereproche
que l’onpourrait
luifaire ,
seraitpeut-être,
comme le ditCondorcet,
den’être qu’une
sorte depierre
d’attente dans l’édificede nos
connaissances ;
et que , dans ce casmême,
la recherche deses
règles ,
pourvuqu’on n’y
consommât pastrop
detemps
et desoins ,
n’en offrirait pas moins un exerciceutile,
et unmodèle
deplus
de la méthode à suivredans
la recherche de lavérité.
Mais,
en me déterminant àdévelopper
cesrègles, j’ai
dû cherchers’il ne serait pas
possible
deperfectionner
et decompléter d’avantage l’exposition qu’on
enfait
communément. Une idée mise en avant parEuler,
mais delaquelle
ilparaît
n’avoirpoint
tiré tout leparti1 qu’elle semblait offrir ,
m’asingulièrement
aidé dans mondessein,
et
j’en
ai fait une des hasesprincipales
dupetit
écrit que l’on va lire.Clarté, rigueur
et brièveté : tel est letriple
but quej’ai
euconstamment en vue , et dont
je
désirerais bien ne m’êtrepoint
trop
écarté.Si l’on
s’étonnait
de rencontrer de telles matières dans un- recueil de la. nature decefui-ci; j’observerais,
pour majustification,
que d’abord les sciences exactes sont , pour ainsidire ,
les seules dans,lesquelles
lesprocédés
de ladialectique
rationnelle soientrigou-
reusement
applicables ;
etqu’ensuite
la doctrine quej’expose ,
etplus
encore la forme souslaquelle je
laprésente ,
ne sauraitguère
être bien saisie que par des
géomètres,
ou du moins par ceuxqui possèdent l’esprit géométrique ;
et voilàapparamment pourquoi
la
plupart
despartisans
et des adversaires de cette doctrine la louentou la
dénigrent uniquement
surparole ;
cequi ,
pour le dire en-passant ,
ne meparaît
pas extrêmement raisonnable.Au
surplus ,
ces matières sontaujourd’hui
tellementperdues
devue,
qu’à
défaut de tout autremérite ,
l’essaiqu’on
va lirepeurrait
presque
prétendre
à celui de la- nouveauté. Si d’ailleurs il n’estpoint
proprement nouveau pour lefond,
on Jejugera peut-être
tel
quant
à la forme.I92 DIALECTIQUE
§. I.
Des idées et de
leurétendue.
1. Avoir
l’idée
d’unechose,
c’est en êtresimplement affecta, soit
par
l’effet
de saprésence effective ,
soit par le souvenirqu’on
ena , soit enfin par un acte de
l’imagination.
C’est ainsi quej’ai
ac-tuellement l’idée de la
plume qui
trace ceslignes ,
celle de la ville deBerlin,
celle du chevalPégaze.
2. Les idées sont dites individuelles ou
particulières, lorsque,
Comme dans ces
exemples ,
elles ne serapportent qu’à
desindividus.
Elles
sontdites,
aucontraire , générales
buuniverselles , lorsqu’elles conviennent,
à lafois, à plusieurs objets ;
et telles sont, parexeemple,
les idées de
plume ,
de ville et de cheval. Ces dernièressont
aussiappelées abstraites,
parce que nous les formons ennégligeant
lesdifférences entre les
objets auxquels
elles serapportent ,
pour ne .lesenvisager uniquement
que sous lerapport.
de cequ’ils
ont decommun.
3.- De même que
la
considération des caractères communs àplusieurs
individus donne naissance à’une
idéeabstraite ,
la consi- dération des caractères communs àplusieurs
idées abstraites en fait naître deplus abstraites, lesquelles peuvent, à
leur tour, donner naissance a d’autresqui
le soientdavantage
encore , et ainsi indé- finiment. C’est par une suite depareilles opérations
que, parexemple,
- nous nous élevons
progressivement
aux notionsabstraites-
decérisier, d’arbre ,
devégétal,
de corps e t d’être.4.
Dans cetteprogression
de notionsabstraites,
lesplus générales
sont dites contenir celles
qui
le sontmoins, lesquelles, à l’inverse,
sont dites contenues dans les
premières ;
c’est de là que naît la notion de l’étendue relative de deux idées. Une idée nepeut
doncêtre dite
plus étendue qu’une
autrequ’autant
que cette dernière faitpartie
de lapremière. C’est, par exemple
dans ce sens que l’onI93
peut
dire que l’idée de rose est moins étendue- que celle defleur.
Mais ,
bien que leséléphans
soientincomparablement
moins nom-breux que les
mouches ,
on ne serait pas mieux fondé a dire que l’idéed’éléphant
est moins étendue que celle demouche , qu’on pourrait
l’être à dire que cette dernière idée est moins étendue que lapremière,
parcequ’il n’y
a là ni idée contenue, ni idée contenante.5. Examinons
présentement quelles
sont les diverses circonstances danslesquelles
deuxidées , comparées
l’une àl’autre , peuvent
setrouver relativement à leur étendue. Cette
question
revient évidem-ment à demander
quelles
sont les diverses sortes de circonstances danslesquelles
deuxfigures
ferméesquelconques ,
deuxcercles ,
par
exemple,
tracés sur un mêmeplan , peuvent
se trouver l’un parrapport
àl’autre ;
l’étendue dechaque
cerclereprésentant
ieicelle de
chaque
idée.Or,
I.° De même que ces deux cercles
peuvent
être totalement hors l’un del’autre ;
ilpeut
se faire aussi que deux idées soient tout-à-fait
étrangères
l’une àautre,
sous lerapport
de leurétendue ;
et
c’est ,
parexemple ,
le cas des idées de Polonais etd’Espagnol;
c’est
également
le cas des idées de thermomètre et demicroscope.
Nous
représenterons à
l’avenir ce genre de relation par(H).
Onreconnaît
qu’elle
a lieu entre deuxidées,
toutes les foisqu’il
estévidemment
impossible
d’en trouver une troisièmequi
soit à lafois
contenue dans l’une et dans l’autre.
2.° De même que deux cercles
peuvent simplement
secouper
l’un et
l’autre ;
ilpeut
aussi se faire que deux idées se conviennent dans unepartie
seulement. de leurétendue ;
de sorte que , outre lapartie
commune, chacuned’elles ait,
deplus
unepartie
étran-gère à l’autre ;
etc’est ,
parexemple ,
le cas des idées de vieillardet de
médecin ;
c’est encore celui des idées degentilhomme
et de savant.Nous
représenterons
à l’avenir ce second genre de relation par(X).
On reconnaît
qu’elle
a lieu entre deuxidées ,
toutes les -fois que l’onpeut
d’abord en trouver unetroisième ,
contenue à la fois dansl’une
et dansl’autre,
etqu’en
outre chacune de cesdeux idées
I94 DIALECTIQUE
peut
encontenir quelqu’une qui
soit tout à faitétrangère à
l’autre3.°
De même que deuxcercles peuvent
se confondre l’un ètl’autre;
ilpeut
se faire aussi que deux idées se conviennent exac-tement,
sous lerapport
de leurétendue, auquel
cas elles nepourront
différer
auplus
que parl’expression ;
etc’est ,
parexemple,
lecas des idées de Batave et
de Hollandais,
c’est encore celui desidées de Pallas et de Minerve. Nous
représenterons
àl’avenir
cetroisième genre de relation par
(1).
On reconnaîtqu’elle
a lieu entredeux
idées, lorsqu’il est
à la foisimpossible qu’une
idée contenuedans l’une ne le soit pas aussi dans
l’autre,
etqu’une
idéeétrangère
à
l’une ne le soit paségalement
à l’autre.4.° Enfin ,
de même que deux cerclesinégaux peuvent
être tellementsitués , l’un
parrapport
àl’autre,
que leplus petit
soit totalement renferme dans leplus grand ;
deux idéespeuvent pareillement
êtretelles que
l’une ,
moinsétendue ,
soitentièrement
contenue dans,l’autre , qui le
serad’avantage ;
etc’est,
parexemple ,
le cas desidées de
Français
etd’Européen ;
c’èst ellcore celui, des idées desculpteur
etd’artiste.
Nousreprésenterons à
l’avenir cette dernièresorte. de
relation
par(C)
ou par(),
suivant des circonstancesqui
seront
expliquées plus
loin. On reconnaîtqu’elle
a lieu entre deux,idées lorsque ,
nepouvant
trouver aucune idée contenue dans lapremière qui
ne le soiten
mêmetemps
dans laseconde ,
onpeut
au
contraire ,
en trouverqui
soient contenues danscelle-ci
sansavoir
riende
commun avec l’autre..6.
Et,
de mêmequ’il
estimpossible
deconcevoir,
entre deuxcercles
situés sur un mêmeplan ,
d’autres sortes de situations res-pectives
que cellesqui
viennent d.’êtresignalées ;
il doit êtreégalement impossible de concevoir,
entre deuxidées>, d’autres
relations d’étendue que celles que nous venons de faire connaître.7-. Nous avons
choisi
lessymboles caractéristiques-
de ces relationsde la, manière
qui
nous a paru laplus.
propre à bien lier lesigne
à la chose
signifiée ;
et c’est une attentionqui ,
toutepuérile qu’elle
peut
semblerd’abord,
nousparait
dequelque importance.
La lettreI95 (H) ,
initiale du motHors, désigne
lesystème
de deux idéesabsolument l’une hors de
l’autre ,
comme le sont les deuxjambes
verticales
de cette lettre. Ces deuxjambes peuvent
être ensuite considérées comme s’étant croisées pour former la lettre(X) ,
des-tinée à
rappeler
lesystème
de deux idéesqui ,
eneffet ,
se croisentou se
coupent
enquelque
sorte l’une et l’autre. Ces mêmesjambes
peuvent
enfin être considérées comme s’étant confondues pour former la lettre(I),
que nousemployons à représenter
lesystème
de deuxidées
qui
coïncident exactement l’une avecl’autre ;
cette lettre estd’ailleurs l’initiale du mot
Identité , qui
est aussi la dénominationqui
convient au genre de relation dont ils’agit.
Onpeut
remarquer , deplus ,
que les troislettres ( H, X, 1),
tout comme les relationsqu’elles sont
destinées àrappeler,
sontsymétriques,
etconséquem-
ment non
susceptibles
dechanger d’aspect
par leur renversements Mais il n’en estplus
ainsi de la lettre(C) qui ,
par son ren-versement ,
sechange
en() ;
aussi avons - nous destiné cettelettre à
rappeler
une relationdans laquelle
les deux idées nejouent pas le
mêmerôle ,
une relationqui
n’estpoint réciproque.
Cettelettre est d’ailleurs l’initiale commune des deux mots Contenante et
Contenue , qui expriment
en effet l’état relatif des deuxidées (*).
§
II.Théorie des
propositions.
8. La
perception
d’unrapport d’étendue
entreplusieurs idées ,
simultanément
présentes
à lapensée
est cequ’on appelle
unjuge-
(4) Tout ce
qui
va suivre étant absolument subordonné à lasignification
quemous venons d’attacher à chacune de ces lettres ; il est essentiel, avant d’aller
plus
loin , de se la rendre bien familière. Ce doit être une chosetrès-facile ,
d’après
lesexplications
danslesquelles
nous venons d’entrer.I96 DIALECTIQUE
ment ; et ce
jugement, manifesté
par dessignes sensibles , prend le
nom d’e
proposition. La proposition
est ditesimple , lorsqu’elle
n’estrelative
qu’à
deuxidées seulement ;
c’est la seule dont il seraques-
tion ici.9, Toute
proposition doit ,
au moinsimplicitement, présenter
troisparties. ;
savoir : I.° lesujet
oupetit-
terme,qui
est l’idée que l’on dit être ou n’être pas , en tout ou enpartie ,
contenue dansl’autre;
2.° l’attribut ou
grand
terme,qui
est , aucontraire
l’idée delaquelle
on dit que lesujet fait
ou ne faitpoint partie ; 3.° enfin,
la
copule qui exprime
la nature durapport
entre l’es deux termes de laproposition.
Nousreprésenterons
constammentl’avenir
lesujet
oupetit
terme parP,
et l’attribut ougrand
terme parG;
et nous nous conformerons à
l’usage
universel deslogiciens , qui
est d’énoncer ou d’écrire d’abord le
sujet y
ensuite la.copule puis
enfin l’attribut(*)..
I0. Une
proposkion
est diteaffirmative
ounégative ,
suivantqu’elle
énonce que le-sujet
est ou, n’estpoint
contenu , en tout ouen
partie ,
dans rattribut. Cette différence entre les.propositions
détermine
cequ’on appelle
leurqualité.
II. Une
proposition
est dite universelle ouparticulière,
suivantque le
jugement qu’elle
énonce serapporte
à. tout lesujet
ou seu-lement à une
partie
indéterminée dé cesujet.
Cette différence entreles
propositions
détermine cequ’on appelle
leurquantité.
I2. En
ayant
doncégard,
à lafois ,
à laquantité
et a laqualité,
nous aurons à
distinguer,
en tout,quatre
sortes dépropositions
;. et,comme , dans tout ce
qui
vasuivre 3
nous aurons continuellement besoin de lésmentionner ,
nous leur éjecterons dessignes abréviatifs.
Voici
ces-signes,
ainsi que les formulesgénérales.
despropositions qui
leurrépondent respectivement
:.(*) Les dénominations de
grand
et depetit
termes tirent leurorigine
de ceque d’ordinaire l’attribut a
plus
d’étendue que le.sujet; je
les. conserveici,
parce
celles
me seront utiles.Propositions
I97
Il faudra donc avoir le soin de substituer mentalement aux ca-
ractères A, N,
a , n ,lorsque
nous lesemploîrons ,
lespropositions
dont ils sont les
symboles abrégés ;
en serappelant bien , i.0
queles
grandes
lettres(A, N) désignent
despropositions universelles
etles
petites (a, n)
despropositions particulières ;
2.° que les(A, a) désignent
despropositions
affirmatives et les(N, n)
despropositions négatives (*).
13. La recherche la
plus importante à faire ,
dans la théorie despropositions,
est , sanscontredit ,
celle des caractèrespropres â
reconnaître si une
proposition
donnée est vraie ou fausse. Avant denous occuper de cette
recherche ,
observons d’abord que , bien que les relations d’étendue entre deux idées que l’on compare nepuis-
sent être
(6) qu’au
nombre dequatre seulement ;
le nombre de cesrelations s’élève néanmoins à
cinq , lorsque
les deux idées sont con-sidérées comme termes de
proposition ;
la raison en estqu’alors
, dansle
quatrième
cas , Gpeut
tantôt contenir P et tantôt être contenu en lui. Al’avenir,
pourdistinguer
ces deux’cas Fun del’autre ,
(*) A la
rigueur ,
touteproposition
affirmative peut , sanschanger
de sens,être rendue
négative
etréciproquement ;
il nes’agit
pour cela que de substituer à l’attribut un motqui
en soit l’exactenégation,.
comme on le voit danscet exemple :
LAGRANGE est MORT; LAGRANGE n’est
point
VIVANT. Mais on nesaurait,
sans en altérer le sens , rendre
particulière
uneproposition
universelle , ni uni-verselle une proposition
particulière ;
et cela à cause de l’indétermination que doit nécessairement avoir le sujet, dans lespropositions particulières.
Tom. VII. 27
I98 DIALECTIQUE
nous
désignerons
constamment par(C)
celuioù
lesujet
oupetit
terme P sera contenu dans l’attribut ou
grand
termeG ;
et nousreprésenterons
au contraire par()
le cas où ce sera, àl’inverse,
le
sujet ou petit
terme Pqui
contiendra l’attribut ougrand
terme G.14.
Cette convention ainsiétablie,
si nousexaminons,
pour chacun de noscinq
cas ,quelles
sont celles de nosquatre propositions A, N,
a, n,qui peuvent
être énoncées avecverité ,
P etdnt constam-sujet
et Gattribut ;
nous pourrons renfermer les résultats de cetexamen dans le- tableau suivant :
Cas
supposés
seulespropositions vraies.
Ce tableau nous
apprend
que, parexemple,
si les deux termes sont dans le cas(C), c’est-à-dire ,
si l’attribut G contient lesujet P,
on pourra dire certainement etuniquement
(*) Il
est
essentiel de remarquerqu’en logique
uneproposition particulière
est admise, lors même que la
proposition
universelle entre les mêmes termes est vraie.Ainsi,
parexemple, la proposition Quelques
HOMMES sont MORTELS;qui, dans le discours ordinaire , semblerait
inepte ,
est néanmoins reçue enlogique.
RATIONNELLE. I99
I5. Nous
pouvons
ensuiteordonner,
aucontraire
cetableau
par
rapport
auxquatre
sortes depropositions y
cequi donnera
celuiqu’on voit
ici:Propositions vraies seuls
caspossibles.
Ce tableau
résout laquestion
inverse de laprécédente ; il montre y
parexemple ,
que si laproposition
(n)
....Quelque
P’ n’éstpas G ,
est
vraie,
tout ce’qu’on
pourra certainement enconclure,
c’est que-ses deux. termes se trouvent nécessairement et
uniquement
dansquelqu’un, 4es
trois casH , X , ; c’est-à-dire, qu’ils-
sonttout-à-fait
étrangers,
l’un àl’autre;
ouqu’ils
ont seurement unepartie
de- leur étendue
qui
leur est commune , ou. bient encoreque G
est entièrement contenu dans
P;
mais ils nepeuvent
se trouver dansaucun des deux cas
I, C ;
c’est-à-direqu’ils
ne-pourront
se con-fondre,
etque
ne pourra contenir P. Ceserait l’inverse,
si cettemême
proposition
était connue comme fausse(*)..
16. Les divers cas
qui répondent
àchaque
sortede proposition présentent ,
ausurplus,
un, caractère commun etexclusif y
aussi:aisé a
apercevoir qu’utilev
àsignaler ;
on,voit ,
eneffet,
(*) Il n’ese aucune
langue
connue danslaquelle
uneproposition exprime pré-
cisément et exclusivement dans
lequel
de noscinq;
cas se trouvent les deuxrtermes
qui
la composent ; une tellelangue,
si elle existait, serait bienplus précise
que les nôtres ; elle auraitcinq
sortes de-propositions ;
et sadialectique
serait toute. différente de celle- de nos
langues.
200
DIALECTIQUE
1.° Que le caractère
commun est exclusifdes deux
casI, C , qui
seulsrépondent
à laproposition (A),
est que lesujet
n’a aucunepartie
de son étendue hors de l’étendue del’attribut ;
2.°
Que
le caractère exclusif du casH, qui
seulrépond à
laproposition (N),
est que les deux termes n’ont aucuneportion
deleur étendue
qui
leur soit commune ;3.°
Que
le caractère commun et exclusif desquatre
casX, I, C , , qui
seulsrépondent
à laproposition (a),
est que les deuxtermes ont au moins une
partie
de leur étenduequi
leur est commune4.° Qu’enfin
le caractère commun et exclusif des trois casH , X , , qui
seulsrépondent
à laproposition (n),
est que lesujet a
au moins une
partie
de son étendue hors de l’étendue de l’attribut(*).
17. De là résultent évidemment les théorèmes que voici :
I. Pour
qu’une proposition universelle
affirmative soitvraie ,
ilest nécessaire et il
suffit
que lesujet
n’ait aucunepartie
de sonétendue hors de l’étendue de l’attribut.
Il. Pour
qu’une proposition
universellenégative
soitvraie,
ilest nécessaire et il
suffit
que ses deux termes n’aientaucune partie
de leur étendue
qui
leur soit commune.III. Pour
qu’une proposition particulière
affirmative soitvraie,
il est nécessaire et il
suffit
que ses deux termes aient au moinsune
partie
de leur étenduequi
leur soit commune.IV. Enfin,
pourqu’une proposition particulière négative
soitvraie,
il est
nécessaire
et ilsuffit
que lesujet
ait au moins unepartie
de son étendue hors de l’étendue de l’attribut.
(*) Tout ce
qui précède
deviendra d’une évidence manifeste si, à la manièred’Euler,
onprend
lapeine
de tracer lessystèmes
de cerclesqui répondent
auxcinq
cas , en marquant, danschaque système
l’un des cercles d’un P et l’autred’un G.
Il est
évident que
cesquatre
théorèmes donnent enmême temps
les caractères defausseté
despropositions (*).
18. Le
sujet
et l’attribut étant les mêmes dans deuxpropositions
I.° Si elles diffèrent à la fois en
quantité
et enqualité ,
commeCA , n)
ou(N, a),
elles sont dites Contradictoires.2.° Si elles diffèrent
uniquement
enqualité,
ou elles sont uni-verselles ,
comme(A, N), auquel
cas elles sont ditescontraires;
ou bien elles sont
particulières,
comme(a, n),
et alors elles sontappelées
sub-contraires.3.°
Enfin , lorsqu’elles
diffèrentuniquement
enquantité ,
comme(A, a)
ou(N , n) ,
lesparticulières
sontdites
subalternes des universelles.I9.
Or,
en consultanttoujours
notre tableau du n.11I5 ,
onvoit
sur le-champ ,
I.° que deuxpropositions
contradictoires em-brassent
ensemble tous les cas , sans en avoir aucunqui
leur soit(*) On demandera sans doute comment il arrive que, tandis que la vérité
et la fausseté des
propositions
semblent si faciles àreconnaître ,
les hommessont néanmoins si peu d’accord sur un
grand
nombre d’entre elles ? En écartant même ce que l’intérêt,l’ignorance
et lespassions
diverses peuvent exercer d’in- fluence sur nosjugemens ;
on peut, je crois ,assigner
à cephénomène
deuxcauses
principales :
lapremière
est que, par paresse ou parprécipitation ,
nousformons souvent des
jugemens
sur des idées que nous n’avons paspris
lesoin de bien circonscrire : la seconde consiste en ce que,
très-fréquemment ,
nous attachons différens noms aux mêmes
idées ,
ou le même nom à des idéesdifférentes ;
d’où il résulte que , d’uncôté ,
une mêmeproposition
n’apoint
le même sens pour tout le monde, et que d’un autre , deux
propositions
très-différentes , quant à l’expression , peuvent 3 a
l’inverse ,signifier
la mêmechose
dans la
pensée
de ceuxqui
les énoncent.Aucun de ces inconvéniens ne se rencontre dans les sciences
mathématiques;
etvoilà
pourquoi
elies ont étéjusqu’ici
les seules sciences exactes. Pour que les autres sciences devinssent telles , il faudrait doncqu’à l’exemple
de celles-là,elles fixassent, d’une manière
précise,
par des définitions , le sens des motsquelles emploient.
Mais cela est-ilgénéralement possible ?
Il est,je crois ,
permis
d’en douter.202
DIALECTIQUE
commun ; 2.°
que deux propositions
contraires n’ontégalement
aucuncas
qui
leur soit commun, mais ne les embrassent pas tous ; 3.°v
qu’à l’inverse,
deuxpropositions sub-contraires,
non seulement em-brassent
tous les cas , mais en ont deplus qui
leur sontcommuns 4.0 qu’enfin
la subalterne d’uneproposition
embrasse les mêmes casqu’elle,
mais en a d’autres en outrequi
lui sontparticuliers.
20. De tout cela
résultent
évidemment les théorèmes que voici I. Deuxpropositions
contradictoires ne sauraient être ni en mêmetemps
vraies ni en mêmetemps fausses ;
de sorte que de la vérité de l’unequelconque
résulteinévitablement
la fausseté del’autre ,
toutcomme de la fausseté de l’une
quelconque
résulte nécessairement lavérité
de l’autre.11. Deux
propositions
contraires ne sauraient êtrevraies
en mêmetemps,
filais. ellespeuvent
fortbien
être fausses Fune et l’autre.Ainsi
la vérité de l’unequelconque
entraine bien inévitablement lafausseté
del’autre ;
mais la fausseté de l’unequelconque
n’entraînepas nécessairement la vérité de l’autre.
III. Deux
propositions sub-contraires
ne sauraient être fausses enmême
temps ,
maiseUes peuvent
fort bien être vraies l’une et l’autre.Ainsi ,
la fausseté del’une quelconque
entraîne bien inévitablement la vérité del’autre ;
mais la vérité de l’unequelconque
n’entraînepas nécessairement la fausseté de l’autre.
IV.
En6n , lorsque
deuxpropositions
sontsubalternes
l’une del’autre ,
la vérité de laproposition
universelle entraine bien celle de laproposition particulière ,
tout comme la fausseté de celle-ci en-traîne aussi la fausseté de-
l’autre ;
mais la fausseté de laproposi- tion
universelle n’entraîne pas celle de laproposition particulière
tout comme la vérité de celle-ci n’entraîne pas celle de l’autre.
2I. On
appelle
inverse ouréciproque
d’uneproposition
une autreproposition
, de mêmesquantité
etqualité,
entre les mêmes termes,ne différant
uniquement
de cellè-làqu’en
ce que lesujet
y apris
la
place
de l’attribut et l’attribut celle dusujet;
d’où il suit que,lorsqu’une proposition
estréciproque
d’uneautre,
celle-ciest, à
son,RATIONNELLE.
203tour ,
réciproque
de lapremière ; c’est-à-dire ,
end’autres termes,
que laréciproque
de laréciproque
d’uneproposition
est cette pro-position
elle-même.22.
Onappelle
converse d’uneproposition
une autreproposition
dans
laquelle
l’attribut de lapremière
estdevenu sujet
et sonsujet attribut ;
maisqui
a en outre laquantité
et laqualité requises
pour être uneconséquence
nécessaire de cettepremière proposition.
23. La converse d’une
proposition
en est dite la conversesimple, lorsqu’elle
en est en mêmetemps
laréciproque ,
c’est - a -dire , lorsqu’elle
n’endiffère uniquement
que par latransposition
destermes ; dans le cas
contraire ,
elle .en est dite la converse par accident.24.
Onpeut , à
cesujet,
se proposer laquestion suivantes
uneproposition
étantdonnée ,
découvrir si elle aquelques
converses ,et
quelles
ellespeuvent
être ? C’est l’art de résoudre cettequestion qui
est
appelé,
enlogique,
conversation despropositiors,
dont ilnous,
reste
présentement
à découvrir lesrègles.
25. Nous avons ici deux classes distinctes de
propositions à
com-parer ; dans celles de la
première,
P estconstamment sujet
et Gattribut ;
nous continuerons à lesreprésenter
parles
caractères(A, N,
a,n) :
dans celles de laseconde ,
aucontraire, G devient sujet
et Pattribut ; puis
donc que les termes y sontrenversés , il
se
présente
naturellement de leur affecter les mêmescaractères ren- versés ; c’est-à-dire, (~, N, p, u).
26.
Cela posé,
en continuant dereprésenter
constamment par(C)
le cas où G contientP,
et par()
celuioù,
aucontraire,
c’est P
qui contient G ; formons pour
lesproposons (P
p,u),
un tableau semblable à celui que nous avons formé