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View of De l’écrivain au traducteur imaginaires. Entretien avec José-Luis Diaz au sujet de sa théorie de l’auteur

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Résumé

En examinant la notion et la fonction de l’auteur à l’époque romantique, notamment dans L’Écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique (2007), José-Luis Diaz a mis en place et éprouvé une série de concepts spécifiques qui participent d’un renouvellement dans l’approche de la figure de l’écrivain dans le domaine francophone. Dans le prolongement des précédents entretiens de la revue, le présent dialogue a consisté à inviter M. Diaz à revenir sur les principes globaux, sur la spécificité et sur l’intérêt de sa théorie auctoriale. Celle-ci se trouve non seu- lement mise en dialogue avecles notions développées par Dominique Maingueneau et Jérôme Meizoz, mais elle est aussi mobilisée pour repenser quelques-unes des notions clés de la réflexion de José-Luis Diaz dans leurs rapports avec la traduction et la figure du traducteur.

Abstract

By examining the notion and the function of the author during the Romantic period, particularly in L’Écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique (2007), José-Luis Diaz developed and tested a series of specific concepts which are part of an innovative approach to the notion of the author in the francophone field. Continuing the line of the previous interviews published in this journal, this interview consisted in inviting M. Diaz to return to the global principles, specificity and interest of his auctorial theory. This theory is not only confronted with the notions developed by Dominique Maingueneau and Jérôme Meizoz, it is also used in order to reconsider some of the key concepts of Diaz’s reflexion in relation to translation and the notion of the translator.

De l’écrivain au traducteur imaginaires

Entretien avec José-Luis Diaz au sujet de sa théorie de l’auteur

Propos recueillis par Karen Vandemeulebroucke & Elien declercq

Pour citer cet article :

« De l’écrivain au traducteur imaginaires. Entretien avec José-Luis Diaz au sujet de sa théorie de l’auteur », propos recueillis par Karen Vandemeulebroucke & Elien

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Geneviève Fabry (UCL) Anke Gilleir (KULeuven) Gian Paolo Giudiccetti (UCL) Agnès Guiderdoni (FNRS – UCL) Ortwin de GraeF (kuleuven) Ben de bruyn (FWO - KULeuven) Jan Herman (KULeuven)

Marie HoldswortH (UCL) Guido latré (UCL)

Nadia lie (KULeuven) Michel lisse (FNRS – UCL)

Anneleen masscHelein (FWO – KULeuven) Christophe meurée (FNRS – UCL)

Reine meylaerts (KULeuven) Stéphanie Vanasten (FNRS – UCL) Bart Vanden boscHe (KULeuven) Marc Van Vaeck (KULeuven) Pieter Verstraeten (KULeuven)

Olivier ammour-mayeur (Monash University - Merbourne) Ingo berensmeyer (Universität Giessen)

Lars bernaerts (Universiteit Gent & Vrije Universiteit Brussel) Faith binckes (Worcester College - Oxford)

Philiep bossier (Rijksuniversiteit Groningen) Franca bruera (Università di Torino)

Àlvaro ceballos Viro (Université de Liège) Christian cHelebourG (Université de Nancy II) Edoardo costadura (Friedrich Schiller Universität Jena) Nicola creiGHton (Queen’s University Belfast) William M. decker (Oklahoma State University)

Dirk delabastita (Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix - Namur)

Michel delVille (Université de Liège)

César dominGuez (Universidad de Santiago de Compostella

& King’s College)

Gillis dorleijn (Rijksuniversiteit Groningen)

Ute Heidmann (Université de Lausanne)

Klaus H. kieFer (Ludwig Maxilimians Universität München) Michael koHlHauer (Université de Savoie)

Isabelle krzywkowski (Université de Grenoble) Sofiane laGHouati (Musée Royal de Mariemont) François lecercle (Université de Paris IV - Sorbonne) Ilse loGie (Universiteit Gent)

Marc mauFort (Université Libre de Bruxelles) Isabelle meuret (Université Libre de Bruxelles) Christina morin (Queen’s University Belfast) Miguel norbartubarri (Universiteit Antwerpen) Olivier odaert (Université de Limoges) Andréa oberHuber (Université de Montréal)

Jan oosterHolt (Carl von Ossietzky Universität Oldenburg) Maïté snauwaert (University of Alberta - Edmonton)

ConseilderédaCtion - redaCtieraad

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Lieven d’Hulst (KULeuven – Kortrijk) Hubert roland (FNRS – UCL)

Myriam wattHee-delmotte (FNRS – UCL)

Interférences littéraires / Literaire interferenties KULeuven – Faculteit Letteren Blijde-Inkomststraat 21 – Bus 3331

B 3000 Leuven (Belgium)

ComitésCientifique - WetensChappelijkComité

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éCrivain au traduCteur imaginaires

Entretien avec José-Luis Diaz au sujet de sa théorie de l’auteur

Propos recueillis par Karen vandemeulebrouCke & Elien deClerCq1 À l’heure actuelle, la notion d’« auteur » en analyse du discours française se trouve revalorisée, sans pour autant être rabattue sur des soucis d’explication des textes par la vie de l’auteur. Si les travaux de Dominique Maingueneau et Jérôme Meizoz – inter- viewés pour cette revue par Reindert Dhondt et par David Martens2 – ont contribué à renouveler les modalités d’approche de la question de l’auteur, ceux de José-Luis Diaz s’inscrivent à plusieurs titres dans la même lignée. Diaz, professeur de littérature française à l’Université Paris-Diderot, est l’auteur de L’Écrivain imaginaire : Scénogra- phies auctoriales à l’époque romantique (2007)3, de Devenir Balzac. L’Invention de l’écrivain par lui-même (2007)4, de L’Homme et l’œuvre (2012)5 – titre provocateur car il fait signe vers une tradition longtemps décriée – et de nombreux articles. En examinant la notion et la fonction de l’auteur à l’époque romantique, il s’agit pour lui de mettre en place une série de concepts spécifiques. Dans le prolongement des précédents entretiens de la revue, il nous a paru opportun et intéressant d’inviter M. Diaz à revenir sur les principes globaux, sur la spécificité et sur l’intérêt de sa théorie auctoriale. Celle-ci se trouve mise en dialogue avec, notamment, les notions développées par Maingueneau et Meizoz, mais elle est aussi mobilisée pour repenser quelques-unes des notions clés de sa réflexion dans leurs rapports avec la traduction et la figure du traducteur.

Karen Vandemeulebroucke et Elien declercq – Une première question a trait au titre d’un de vos ouvrages majeurs, et par conséquent aussi à un point essentiel de votre pensée : « L’Écrivain imaginaire ». L’adjectif « imaginaire » doit sans doute être compris dans le sens de « qui a trait à l’image ». Cette image de l’auteur est pour vous une image de soi qui capte en même temps la vue de l’autre, ou encore, un schème abstrait qui permet à l’écrivain de faire son entrée sur la scène littéraire. Cependant, nous nous demandons si l’adjectif « imaginaire » ne rappelle pas trop les travaux de Gaston Bachelard ou de Jean-Pierre Richard. Qu’est-ce qui a donc motivé le choix de

1. Karen Vandemeulbroucke est Chargée de recherches du Fonds de la recherche scien- tifique - Flandre (FWO) à la KU Leuven - Campus de Courtrai ; Elien declercq est Docteur en Lettres, Research Fellow - KU Leuven - Kulak).

2. « La fabrique d’une notion. Entretien avec Jérôme Meizoz au sujet du concept de “posture” », propos recueillis par David martens, dans Interférences littéraires/Literaire interferenties, nouvelle série, n° 6, mai 2011, pp. 199-212. [En ligne], URL : http://www.interferenceslitteraires.be/node/19 ; « Un réseau de concepts. Entretien avec Dominique Maingueneau au sujet de l’analyse du discours littéraire », pro- pos recueillis par Reindert dHondt & David martens, dans Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 8, mai 2012, pp. 203-321. [En ligne], URL : http://www.interferenceslitteraires.be/node/162

3. José-Luis diaz, L’Écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Paris, Champion, « Romantisme et modernité », 2007.

4. id., Devenir Balzac. L’Invention de l’écrivain par lui-même, Paris, Christian Pirot, « Balzac », 2007.

5. id., L’Homme et l’œuvre, Paris, P.U.F., « Les Littéraires », 2012.

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ce titre-là au détriment peut-être d’un renvoi plus général à une « théorie de l’auteur », un titre certes moins spécifique mais peut-être aussi moins ambivalent ?

José-Luis Diaz – Sur la dernière proposition, selon laquelle mes propres ré- flexions prendraient leur base à partir de Gaston Bachelard ou Jean-Pierre Richard, il m’est facile de répondre non. Là ne sont pas du tout mes points de départ ; et si le titre choisi le fait penser, c’est le titre faux ami qu’il faut incriminer. L’imaginaire dont je traite est d’emblée et de part en part un imaginaire social. Le titre joue en fait sur trois tableaux :

1). Il veut suggérer à quel point à l’époque romantique, qui est mon objet d’étude, devenir écrivain, ou plutôt « poète », voire si possible « génie », est un rêve, un fantasme : on s’imagine écrivain, on joue à être écrivain, on s’alloue le rôle d’écri- vain, mais (j’y insiste sans cesse), non pas tout seul dans son coin, en fonction d’un imaginaire personnel, ou universel, mais en fonction d’une topique, d’un éventail de scénographies déjà rôdées et en fonctionnement dans le champ littéraire que je considère comme un espace scénique et concurrentiel. Ce n’est pas en thématicien que j’envisage les choses, mais en historien des conduites et des postures littéraires à un moment donné. L’imaginaire est ici un imaginaire social, partagé. Les scéno- graphies auctoriales sont des patterns à la fois d’autoreprésentation, de mise en spec- tacle de soi, de médiatisation de soi aussi, mais également de conduite et d’écriture.

On ne se contente pas d’être « poète » en écrivant des « vers ; on « est » poète aussi dans la vie, on se prend pour poète selon divers scénarios changeants et concur- rents. À l’époque romantique, il est aussi important de vivre poétiquement, selon divers protocoles, que d’être poète en réalisant cette identité dans le discours : il y a même alors dépréciation du « versificateur » qui n’est poète que sur le plan textuel.

Mais là où le discours reprend tous ses droits, c’est que c’est bien souvent autour d’un mot-nucléus, passe-partout pourtant, comme « poète », « barde », « intellec- tuel », « scripteur », que la prise d’identité et son émission médiatique se fait.

2). Par ailleurs, dans ce même ordre d’esprit, le mot d’imaginaire suggère aussi que l’époque dont je traite fut particulièrement féconde, inventive, imaginante en ma- tière de représentations et de scénographies auctoriales, alors que les époques précé- dentes, que j’ai étudiées de manière contrastive, marquent au contraire une certaine immobilité. Si je distingue cinq scénographies romantiques, et à l’intérieur de chacune entre elles des sous-espèces, c’est déjà le signe d’une telle prolixité. Nous sommes à une époque de révolution littéraire tous azimuts où chaque écrivain a à cœur d’inventer de nouvelles manières d’être écrivain, et donc aussi de construire sa scénographie et de poser sa voix. Et il est très commun alors — et depuis lors — qu’un même écrivain dé- finisse plusieurs scénographies, successivement voire même souvent conjointement.

3). Le titre insiste enfin sur le fait qu’il y a en effet en matière de prestation auctoriale une composante « qui a trait à l’image », pour reprendre votre expression, ou plutôt, de manière bien plus générale et abstraite, à la représentation mentale, mais aussi à la mise en spectacle, et qui n’est donc pas seulement d’ordre discursif au sens strict. En effet, on peut aussi « s’imaginer écrivain », « s’inventer écrivain », se

« dire écrivain », se « poser écrivain » en référence à des styles de vie qui n’engagent que peu le discours au sens propre, ou encore à des représentations plastiques ; en tout cas, des représentations plastiques, plus ou moins formalisées (de la statue à l’esquisse) comptent aussi pour une (petite) part dans la prise d’identité en tant

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qu’écrivain, puis dans la réception par le public de la scénographie auctoriale une fois adoptée. Mais je ne suis pas spécialiste de cet aspect des choses, et pour ma part j’ai at- taché la plus grande importance au balisage discursif de ces scénographies. L’identité auctoriale, définie au plan des représentations (et dans une transaction constante avec les représentations en cours et les représentations des lecteurs) est ainsi pour moi à double usage : discursif, mais aussi existentiel (et donc à la fois biographique et social).

Entre ces deux pôles, l’instance que j’appelle « imaginaire », mais qu’on pourrait tout aussi bien appeler – et que j’appelle aussi « représentative » ou encore « spectaculaire », ou mieux encore « scénographique » – est là pour faire le lien. On écrit en poète mou- rant, selon une lyrique datée ; mais on se comporte aussi en tant que tel (à moins de tricheries, qui sont il est vrai fréquentes…) ; et cela parce qu’on adopte une attitude, une posture, une scénographie fantasmatique, non pas personnelle, mais en vigueur sur le marché des attitudes (et qu’on aménage toujours peu ou prou, il va de soi). C’est dire que l’instance « imaginaire » (en ce sens-là, très général) n’est pas séparable selon moi de la distribution sociale des scénographies possibles.

K.V. & E.D. – Nous proposons ici un schéma permettant de visualiser votre théorie de l’auteur. Il nous servira d’instrument pour mettre en évidence, dans la suite de cet entretien, plusieurs de vos concepts clés.

Comme vous l’avez souligné dans votre entretien avec Dominique Maingueneau et Ruth Amossy, votre point de départ n’a pas été celui d’un analyste du discours, puisque vous visez principalement des constructions identitaires6. Toutefois, vous indiquez aussi que « les deux

6. Ruth amossy & Dominique MainGueneau, « Autour des ‘scénographies auctoriales’ : en- tretien avec José-Luis Diaz, auteur de L’Écrivain imaginaire (2007) », dans Argumentation et Analyse du

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démarches tendent en fait à se rejoindre » . Dans quelle mesure inscrivez-vous alors votre

« théorie de l’auteur » dans une approche discursive7 ? Concevez-vous le « discours » dans le même sens que Dominique Maingueneau ? Pour ce dernier, le texte littéraire n’est pas un objet isolé, mais « participe d’une aire déterminée de la production verbale » et doit dès lors être compris comme un discours qui ne peut pas être lu indépendam- ment de ses conditions d’émergence. Parallèlement, Jean-Michel Adam visualise ainsi la double structure du discours8 :

Les analystes du discours partent de l’idée qu’il n’y a que du discours, rien en dehors du discours. Il nous semble que vous partez en revanche de la conception du discours comme un texte : « c’est d’abord par des moyens littéraires qu’un écrivain définit son attitude. C’est par des textes et des paratextes qu’il peut se choisir une posture apte à fonctionner comme un ‘indicatif ’ »9. L’organisation des dispositifs est dès lors différente, car vous distinguez aussi un articulateur interne au discours, qui est celui de la topologie imaginaire. Pourriez-vous davantage expliciter votre point de vue ?

J.-L. D. – Si le mot de « discours » ainsi employé au sens très large inclut non seulement les moyens d’énonciation mais aussi de réception, tout ce qui constitue le transit langagier et social d’un texte, ou disons plus généralement d’un énon- cé, mes propres dispositifs scénographiques n’en sont alors qu’un des aspects. Ils contribuent à régler la distribution des places de discours, tant au niveau de l’émet- teur que du récepteur, tout en réglant des places sociales. Ma question est bien la même que celle des analystes du discours : comment un texte (un énoncé), littéraire ou non, fonctionne – en dépendance par rapport à des représentations mentales ? Comment il s’écrit, se balise, se marque, s’émet, s’adresse, se reçoit – mais j’ajoute : dans un contexte historico-social donné. Et ce dernier syntagme est important, car je me considère d’abord comme un historien. Les scénographies auctoriales fonctionnent au niveau de la prise d’identité d’auteur, mais servent aussi au marquage du texte, et permettent sa reconnaissance : car la lecture est aussi décryptage d’un projet

discours, n° 3, « Ethos discursif et image d’auteur », s. dir. Michèle bokobza kaHan & Ruth amossy

2009, p. 12 [En ligne], URL : http://aad.revues.org/678

7. Voir aussi L’Analyse du discours dans les études littéraires, s. dir. Ruth amossy & Dominique mainGueneau, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2003.

8. Jean-Michel adam, Linguistique textuelle. Des genres de discours aux textes, Paris, Nathan, 1999, p. 39.

9. José-Luis diaz, L’Écrivain imaginaire..., op. cit., p. 127.

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sémantico-pragmatique, qui ne peut s’empêcher de faire confluer sur l’auteur et son

« langage auctorial » pas mal de son activité. Elles sont des attitudes, des postures, des prises de rôle imaginaires (entendons « en représentation mentale », mais aussi en termes de mise en spectacle de soi), mais impliquent aussi, de manière nécessaire et intimement liée, des scénographies d’énonciation et des dispositifs d’adresse.

Quant à la dimension topologique, elle désigne en effet un schème abstrait qui règle de manière structurale la position de celui qui prétend au rôle d’écrivain, en adopte les insignes et en joue la partition textuelle : cela, selon une grammaire très simplifiée, qu’on peut représenter par des schémas simples, en nombre limité : survol, effraction, tangence, excentricité, arabesque, etc. Et c’est l’avantage de la notion de « paratopie » de Dominique Maingueneau10 que de poser ces espaces à partir desquels l’écrivain éta- blit sa parole, comme étant des espaces « para », en rupture, à l’écart, selon divers styles et grammaires spatiales de prise de distance qu’il convient de dégager. Mais l’important n’est pas tant la situation paratopique inscrite dans le social en tant que telle, que son utilisation et sa déclinaison dans le registre des représentations, voire des fantasmes à rentabilité sociale : rien à voir par exemple entre la mise en scène à grand spectacle de l’exil par le Hugo exilé de Guernesey, et celle, un peu plus d’un siècle avant, de Voltaire, exilé en Angleterre, lui, et auteur des Lettres anglaises. La situation out est bien du même ordre, mais Voltaire en tire liberté et mobilité, intellectuelle et Hugo effets d’outre- tombe. L’essentiel n’est donc pas l’exil, mais la mise en scène de l’exil : différente de nouveau pour le Chateaubriand exilé à Londres sous la Révolution.

K.V. & E.D. – Procédons au concept suivant dans le schéma : la « scénogra- phie auctoriale ». Vous traitez de la dimension théâtrale de la scénographie (pré- sence d’un éditeur, d’un public, etc.), que vous rattachez au plan réel. Or, en même temps, vous indiquez que la scénographie donne la possibilité de parole et construit des topologies imaginaires, idée qui s’inscrit dans l’ordre de l’imaginaire. D’où notre question : comment faut-il appréhender le statut ambivalent – s’il est bien ambiva- lent – de cette notion de « scénographie » ?

J.-L. D. – Oui, la scénographie est polyvalente plutôt qu’ambivalente : elle est scénographie « imaginaire », au sens « faible » du mot qui vient d’être rappelé ; elle propose aussi au sujet biographique et social qu’est l’écrivain un rôle à jouer (ou à ne pas jouer) dans la vie de tous les jours : à cet égard, elle règle des détails qui sortent du « discours », sauf à le considérer au sens très large, où le mot perdrait de son sens : heures de coucher, boissons favorites, genre de vie familiale et sexuelle, etc. Enfin, mes scénographies sont aussi, comme chez Dominique Maingueneau, des scénogra- phies d’énonciation, bien que dans l’état actuel de mes travaux, cela apparaisse de manière trop discrète (je m’emploie à y pourvoir). Car c’est tout mon effort actuel que de tenter de mieux corréler ces divers niveaux, et de comprendre et faire apparaître les synergies entre scénographies imaginaires et scénographies d’énonciation.

K.V. et E.D. – Comment définiriez-vous ce que nous pouvons appeler le

« métadiscours » par rapport aux notions de « discours », de « paradiscours » et d’« énonciation » ? Le métadiscours joue-t-il un rôle dans la médiation entre l’image

10. Dominique mainGueneau, op. cit., pp. 70-116.

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construite de soi et l’effectuation dans le discours ? Appartient-il dès lors au plan réel, imaginaire ou textuel ?

J.-L. D. – Ce ne sont pas là des notions que j’utilise, bien que j’en recon- naisse la grande utilité. Je ne veux donc pas me risquer à des définitions sur un espace terminologique que je ne contrôle pas bien. En revanche, la vraie ques- tion que je me pose aujourd’hui – et que, je crois, nous nous posons tous –, c’est bien en tout cas de chercher les articulations entre « image construite de soi » et son « effectuation dans le discours ». Comment passe-t-on du plan mental des représentations, en partie préétablies, au plan de la performance ? Telle est la vraie – et rude – question. Il est évident que le métadiscours joue un rôle dans ces complexes opérations de transposition, ou si l’on veut de traduction (car c’en est bien une, là aussi…), et entre deux plans de « valeur existentielle » diffé- rents. Mais ce serait quand même un peu trop simple que de s’attendre à trouver dans une préface ou une note de bas de page le « commutateur » magique nous permettant de voir comment on passe d’un plan à l’autre. L’articulation entre les deux plans ne se trouve qu’au prix d’une élaboration où les « recettes » et

« modes d’emploi » que propose parfois le métadiscours sont à évaluer dans un ensemble plus vaste.

Il me semble que le métadiscours règle surtout les imaginaires de discours, et non le discours lui-même. Là aussi, l’instance de la représentation me semble inévitable ; et il peut donc y avoir ainsi distance, décalage entre le discours et ses imaginaires a priori.

K.V. & E.D. – Vous considérez la « topologie imaginaire » comme un maillon central et décisif dans un processus très ample : celui de l’écrivain qui, désireux d’entrer sur la scène littéraire, s’investit dans une scénographie auctoriale. Si nous avons bien compris, la topologie est un énoncé matriciel valant pour la médiation entre l’imaginaire et le discursif, ou encore, un schème qui permet justement l’ins- tallation du discours.

Dans l’entretien que vous avez accordé à Ruth Amossy et Dominique Maingueneau11, vous stipulez en même temps que votre notion de « topologie ima- ginaire » est à rapprocher de ce que Maingueneau appelle la « paratopie », à cette différence près que votre topologie abstraite n’est pas forcément à chercher dans une insertion sociale. Comment voyez-vous concrètement le rapport entre les deux notions ? La paratopie de Maingueneau nous apparaît comme un processus qui se veut constamment ambivalent, dans le sens qu’il y a une dispersion continue entre les trois instances que Maingueneau distingue : l’être civil, l’écrivain et l’énonciateur.

Votre topologie n’est-elle pas exempte de cette dimension problématique, juste- ment parce qu’il s’agit d’une « topologie de la transgression », ou encore d’un « prêt- à-être-écrivain » comme vous le dites, qui cherche à faire son entrée sur la scène littéraire, mais qui, une fois cette position acquise, adopte une position forcément moins contestable ?

J.-L. D. – Je vois au contraire une grande similitude entre nos deux concep- tions. S’il est vrai que je cherche le schème abstrait qui singularise structurellement

11. Ruth amossy & Dominique mainGueneau, art. cit., p. 13.

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une scénographie donnée, il est bien évident qu’il ne s’agit là que d’une structure virtuelle qu’il me semble important de repérer pour bien distinguer des postures différenciées, mais qui n’existe qu’incarnée, mise en acte, dans une topographie à la fois sociale et textuelle.

Comme Dominique Maingueneau, mais en les nommant autrement, je dis- tingue trois instances, et les découpe aussi comme lui : l’homme social et biogra- phique ; l’écrivain imaginaire, « spectaculaire », « scénographique » et « médiatique » ; l’auteur textuel. La différence est dans le terme médian, car pour moi l’écrivain est un personnage qui fonctionne au niveau de l’imaginaire social, et dans une dis- tribution des rôles scénique, ce que n’explicite pas, me semble-t-il, le concept de Dominique Maingueneau. Pour moi, comme pour Valéry : « écrire, c’est entrer en scène ». L’écrivain imaginaire se situe donc, non au plan du réel mais au plan des fictions, que la société contrôle, étiquette, estampille. À l’écrivain débutant sont ainsi offertes diverses fictions possibles, étalonnées, balisées : et je ne me suis proposé rien d’autre que me faire l’histoire de ces fictions-là, en prenant pour objet d’étude une période où elles bougent et deviennent essentielles au jeu littéraire. Mon idée propre est qu’il y a influence de cette instance-là, pourtant virtuelle, sur les deux autres, qui ont pourtant un bien plus grand degré de « réalité » : le réel et le textuel.

On vit ainsi, dans la vie de tous les jours, selon des imaginaires et des scénographies virtuelles, et on écrit aussi en cherchant à les traduire en mots. Mais il est évident que l’interaction agit, puisque le mode de vie adopté en conformité avec un groupe (dandy, bohème, etc.), peut enclencher des imaginaires, et que le choix d’un genre (par exemple) impose les imaginaires datés qui lui sont assortis.

K.V. & E.D. – À vouloir nous former une image plus concrète de la topo- logie, nous nous demandons s’il serait légitime de parler d’un portemanteau au- quel l’écrivain peut accrocher sa patère ou son crochet ; le portemanteau étant un schéma abstrait, la patère une construction textuelle permettant de concrétiser le passage au discours ? Ou d’autres comparaisons seraient-elles plus adéquates à vos yeux ? Nous songeons également à ce que Maingueneau appelle des « embrayeurs paratopiques », ou encore, des renvois textuels concrets à la paratopie ou à la posi- tion problématique de l’auteur en tant qu’être empirique. Votre topologie, qui joue principalement sur le plan de l’imaginaire, se laisse-t-elle également observer sur le plan textuel, à travers des « embrayeurs » ?

J.-L. D. – Non, la métaphore proposée de la patère n’est pas pour moi par- lante. La topologie traverse le sujet, elle est sa structure ombilicale, son orientation, son schème à la fois existentiel, discursif et textuel. Autre métaphore possible, moins corporelle : elle le vectorise, elle le situe, lui, sujet de discours et de vie, par rapport à cet autre massif ombreux à investir et à surprendre qu’est « le monde », à la fois public et communauté sociale. Il est la petite flèche du schéma qu’il m’arrive de faire, et la question est de savoir où il va et comment il se situe par rapport au cercle, qui repré- sente, lui, le monde social. Elle est aussi, si l’on veut, un schéma chorégraphique que l’écrivain-danseur a intériorisé, et dont il répète souvent, à divers niveaux, la structure.

Je le dis d’autant plus qu’a beaucoup compté dans ma rêverie conceptuelle cet « art de prendre des positions » dont parle si bien le Neveu de Rameau.

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Mon concept de topologie fonctionne ainsi aux trois niveaux : imaginaire, réel, textuel. Mon idée est certes que son plan d’émergence virtuel, en structure pro- fonde si l’on veut, est celui des représentations, d’emblée médiatisées par le social ; mais je marche aussi dans la vie et je traverse la rue en fonction de schèmes de cet ordre ; et quand j’écris, je me positionne et je positionne mon lecteur en fonction d’eux. Ainsi, il est en effet facile de trouver des « embrayeurs paratopiques », pour reprendre le juste concept de Dominique Maingueneau, c’est-à-dire des marquages au cœur même des textes du dispositif mental d’autoreprésentation, d’énonciation, d’adresse et de réception qui les structure. Ainsi, pas de texte qui ne balise au moins implicitement ses conditions d’énonciation et de communication, de façon explicite dans quelques cas, au moyen de quelques mots de passe plus elliptiques, mais sou- vent faciles à reconnaître dans le cas général.

K.V. & E.D. – Encore à propos de ce niveau de l’imaginaire. La topologie imaginaire conserve-t-elle ses liens avec la vie réelle ? En d’autres termes, cette topologie a-t-elle également un pendant sociologique ? Si oui, comment voyez-vous alors les rapports entre votre définition de la topologie et celle de la posture chez Jérôme Meizoz, qui consiste à la fois en un versant sociologique et un versant dis- cursif ou textuel, mais qui ne prévoit pas de structure intermédiaire comme le plan imaginaire ?

J.-L. D. – Oui, comme je l’ai dit déjà avec insistance, le topologique est aussi affaire de vie réelle : traverser la rue, prendre femme ou non, se coucher tard ou tôt, vivre in ou out, dans la mansarde du bohème ou rue Fortunée, comme Balzac, la topologie est là aussi pour le dire. Cette topologie est sociale puisque que loin d’être un schème mental universel, elle définit surtout l’attitude à prendre dans la vie sociale, et, pour un écrivain (ou un écrivant), dans cette autre vie qu’est la vie auctoriale et, au cœur de celle-ci, la vie proprement textuelle (si l’on peut dire).

J’ai du mal à comprendre qu’on puisse plaquer en direct le social sur le tex- tuel, ou l’inverse, sans médiation, à moins d’inclure dans le social l’imaginaire social, ce que fait, je le devine, Jérôme Meizoz. Le plan des représentations me semble déterminant, et c’est à son niveau médiateur que se jouent les véritables inventions.

Comment écrivons-nous ? que faisons-nous avant d’écrire ? et donc avant discours ? Rêvasser, idéer, nous représenter, nous promettre, pencher vers ceci, vectoriser ce qu’on dirait avant même que ce ne soit dit, nous dire que ça pourrait commencer ainsi, qu’on irait de tel endroit à tel endroit, que ça pourrait plaire à tel ami, déplaire à tel autre, etc. Voilà situé le plan tout virtuel des représentations. C’est le moment où entre vie(s), lectures préalables et écriture, tout se joue : le genre est choisi, le niveau de langue, la forme de l’adresse, mentale d’abord avant de devenir au sens propre discursive. À plaquer en direct du réel sur du textuel, il manque cette ins- tance médiatrice rêveuse sans laquelle il n’y aurait ni texte… ni vie. On peut l’appeler prédiscursive comme le fait Maingueneau, mais au prix d’une sorte d’impérialisme du discours : bien moins compromettant que le célèbre « tout est texte » des années 70, il est vrai, mais qui en garde peut-être quelque trace.

K.V. & E.D. – Le concept d’« ethos » connaît actuellement un regain d’intérêt indéniable dans les études littéraires. Vous ne vous y référez pas explicitement dans

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vos ouvrages. Pourtant, dans L’Écrivain imaginaire, vous offrez une description très précise et pertinente de ce qui pourrait être interprété comme l’« ethos » d’un écrivain : « L’image ne se contente pas d’assurer une façade sociale. Si sa fonction première est d’assigner à l’écrivain une identité pour autrui, par effet de miroir elle lui assigne d’emblée une identité pour soi. Revenant en feed-back sur son émet- teur, après réfraction – réelle ou virtuelle – dans le regard de ses lecteurs, elle est pour lui l’occasion d’un perpétuel : Qui suis-je ? qui aimante la série de ses œuvres successives »12.

Cette description nous paraît précieuse car précise. À l’opposé de la défi- nition d’« ethos » élaborée par Amossy13 et par Maingueneau14, elle se rapporte non seulement à la mise en scène de soi (ou « autoreprésentation » en termes meizoziens) mais aussi de la représentation par l’autre, appelée « âme seconde » par vous15 et « hétéro-représentation » par Meizoz16. De plus, contrairement à la posture de Meizoz, votre définition permet de montrer l’ethos comme le résultat d’une construction du lecteur (tout comme chez Amossy 1999 & 200617). Voyez- vous effectivement dans cette description une définition de l’ethos qui inclut ces différentes instances ? Et l’ethos reste-t-il un concept problématique, selon vous ?

J.-L. D. – L’ethos chez Aristote postule la prise en compte de l’auditeur pu- blic, suppose de la part de l’orateur une attention à lui plaire, en tout cas à ne pas le choquer, en respectant les règles d’urbanité, de bienséance et aussi les règles de rhétorique en usage. C’est donc un mode contractuel de s’énoncer publiquement, étant entendu que le contrat peut consister, tout au contraire, à rompre le pacte, ou du moins à le brusquer, ou à le redéfinir à nouveaux frais.

Si je ne me sers pas de la notion dans L’Écrivain imaginaire, et si j’avais ini- tialement quelque résistance à l’employer, je la trouve de plus en plus utile, bien qu’un peu dangereuse dans ses usages contagieux et inexperts. Mais ce n’est pas de sa faute…

On ne peut se passer en effet d’un concept qui désigne le discours en tant que pragmatique sociale et essaye d’en définir comme les couleurs, les gammes si l’on préfère. Pragmatique sociale en effet, puisque, dans mon esprit on n’adopte pas une stratégie discursive pour le seul plaisir, mais pour essayer d’intervenir dans l’univers social des discours, voire plus si affinités ; et l’ethos joue à cet égard le rôle d’un régulateur. Il offre ainsi un nuancier — pas si étendu que cela — des formes discur- sives possibles, marquées au sceau du social. Je le vois comme un climat de parole qu’on adopte, et qu’on essaie d’instituer, qui signifie presque sans que le sens ne soit compris, et qui en impose juste par la qualité de la « sono » ; certains parlent à

12. José-Luis diaz, L’Écrivain imaginaire..., op. cit., p. 24.

13. Voir entre autres Ruth amossy, « L’ethos au carrefour des disciplines : rhétorique, prag- matique, sociologie des champs », dans Images de soi dans le discours. La construction de l’ethos, s. dir. Ruth amossy, Lausanne-Paris, Delachaux et Niestlé, 1999 ; id., La présentation de soi. Ethos et identité verbale, Paris, P.U.F., « L’Interrogation philosophique », 2010.

14. Voir entre autres Dominique mainGueneau, op. cit., pp. 203-221.

15. José-Luis diaz, L’Écrivain imaginaire..., op. cit., p. 143.

16. Jérôme meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine, « Érudi- tion », 2007, p. 45.

17. Voir Images de soi dans le discours. La construction de l’ethos, s. dir. Ruth amossy, Lausanne- Paris, Delachaux & Niestlé, 1999 ; id., L’Argumentation dans le discours, Paris, Armand Colin, « Fac.

Linguistique », 2006.

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voix basse, d’autres crient, parlent de haut, avec une voix de fausset : l’ethos serait la composante sociale de ces manières d’être dans le discours.

Je vois l’ethos comme le résultat d’une négociation au plan de la communi- cation, et pour avoir beaucoup travaillé sur la réception des œuvres et des scéno- graphies romantiques, je sais à quel point le malentendu est la norme en la matière.

Mais il n’importe : nous écrivons comme si nous devions être compris, et quand nous sommes en face, en place de lecteur, nous sommes sûrs de comprendre… Les ethè agissant comme régulateurs et signalisateurs, permettent des connivences un tout petit peu moins douteuses, du moins dans un espace chronotopique donné.

K.V. & E.D. – Vous vous attardez sur la distinction entre un « jugement » ou une « détermination a priori » et un « jugement a posteriori »18. Dans votre entre- tien avec Amossy et Maingueneau, vous faites la distinction entre l’« image pré- construite » (ou la « scénographie auctoriale préconstruite») et l’« ethos d’énoncia- tion »19. Si nous avons bien compris, cette distinction joue au niveau de l’imaginaire.

Mais si c’est le cas, à quoi renvoie alors cet « a priori » ? Est-ce à un moment qui précède le moment de performance ou d’énonciation ? Et est-ce que ce moment d’énonciation a ses répercussions sur le plan de l’imaginaire ?

J.-L. D. – Dire que la scénographie auctoriale est préconstruite, c’est tout sim- plement postuler qu’elle n’a pas à s’inventer à chaque acte d’énonciation singulier, mais se dégage à titre de « bourse des possibles » de toutes les prestations élocu- toires déjà réalisées comme de toutes les manières d’être écrivain (ou écrivant) déjà utilisées et normées. Mais je ne confonds pas les deux plans : celui des représenta- tions (l’écrivain « imaginaire »), et celui des prestations discursives (celui des ethè), même s’ils sont en corrélation étroite, et que l’un est la face textuelle de l’autre (ils sont, eux aussi, comme les deux faces d’une même feuille de papier…)

K.V. & E.D. – Maingueneau opère la distinction – problématique peut-être – entre l’« ethos prédiscursif » et l’« ethos discursif ». Le premier précède le discours et est également qualifié d’« ethos préalable » par Amossy, dans la mesure où il ne se produit pas nécessairement en dehors de l’espace discursif. Le second se construit dans et par le discours. Dès lors que pour vous l’image a priori ou a posteriori se déve- loppe sur le plan spécifique de l’imaginaire, et davantage alors dans l’énonciation que dans l’énoncé, vous semblez éviter le problème de l’ethos préalable et discursif, qui peut changer ou non à travers le discours. Mais le fait de ramener cette distinc- tion au niveau de l’imaginaire n’est-il pas à son tour problématique ? Ne vaudrait-il pas mieux la situer à la croisée des différents plans (réel, textuel ou imaginaire) ?

J.-L. D. – J’ai déjà dit que, selon moi, la notion d’ethos prédiscusif offre un petit risque d’impérialisme du discours, puisque tout le hors discours est ainsi vec- torisé pour le discours. Mais je ne tiens pas non plus, bien que la notion me semble difficile à éviter, à remplacer à toute force prédiscursif par imaginaire, le mot n’étant pas lui-même, je le reconnais volontiers, sans prêter à des connotations indésirables. Il est évident en tout cas que l’ethos se joue sur un plan, disons, méta-, par rapport aux

18. José-Luis diaz, L’Écrivain imaginaire..., op. cit., p. 23.

19. Ruth amossy & Dominique mainGueneau, art. cit., p. 7.

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actes singuliers de discours. Va donc pour ethos prédiscursif, bien que cela suppose une antériorité qui reste à penser et à évaluer dans chaque cas. Mais en tout cas un tel niveau, méta- ou pré- me semble essentiel, quel que soit le nom qu’on lui donne et la structure temporelle qu’on lui attribue. Sinon, il n’y aurait pas cette régularité relative, cette socialité aussi des comportements énonciatifs et communicatifs, que la notion d’ethos postule à juste titre. L’essence de l’ethos, c’est de préexister aux prestations discursives successives, à titre de possible, et d’être une forme – et aussi une « éthique » (« morale de la forme », disait Barthes) – discursive commune à tout un groupe. En allant à la limite, on pourrait même dire que l’ethos prédiscursif, pro- tocole virtuel d’énonciation et de communication, que le discours ne fait qu’actua- liser et ne peut qu’infléchir sauf à rompre le pacte qui le fonde, compte bien plus que l’ethos discursif, qui n’en est dans la plupart des cas que la réalisation concrète, au fil des actes scéniques de parole.

K.V. & E.D. – Vous avancez l’idée que l’image de l’auteur20 est double dans le sens où elle revient « en feed-back sur son émetteur »21, ou encore, qu’il s’agit

« pour l’écrivain non tant de se ‘voir’ vraiment sous des traits individuels que de se mettre à distance : se re-présenter, se voir comme un autre en un miroir qui simplifie ses traits. L’image, c’est alors son double en tant qu’il est offert en gage, aisément consommable par l’imaginaire social »22. Voyez-vous l’image comme une somme d’ethè différents ? Ou s’agit-il plutôt d’un seul ethos qui se veut la résultante de l’image originale et de son double ? Quel serait ensuite le rôle du lecteur dans cette construction de l’ethos ou des ethè ?

J.-L. D. – Image d’auteur et ethos sont pour moi intimement liés (la feuille de papier…), mais ne se situent pas au même niveau, car, à la différence de Dominique Maingueneau, je distingue instance de représentation et instance discursive, et je trouve qu’on a intérêt à le faire, sous peine de confusion : à force, sinon, de tout mettre dans l’ethos, on ne sait plus ce qui n’est pas lui… Ainsi, selon moi, une même image peut se traduire selon plusieurs ethè, plusieurs « plans » discursifs, ou encore donner lieu à diverses performances génériques, bien qu’un air de famille se retrouve, bien sûr, entre les divers modes de mise en discours d’une même scénographie : l’ethos pour moi se situe du côté du discours au sens étroit (énoncé et mise en acte énonciatif et communi- catif), mais est en dépendance avec les représentations mentales qui se déploient, elles, dans l’espace de l’imaginaire social. J’admets bien volontiers que ces représentations sont elles-mêmes « discours », ou plutôt, en effet, « pré-discours » ou méta-discours » pour une très large part, si on donne au mot discours son sens large. Mais « discours » d’un autre ordre, et en un autre sens du mot, qui risque donc de prêter à confusion.

K.V. & E.D. – De même, lorsque vous évoquez dans L’Écrivain imaginaire dif- férents niveaux dans un scénario auctorial – le méta-modèle d’un courant littéraire, le scénario auctorial de toute une époque, celui d’une école ou d’un groupe, d’une œuvre ou d’un moment particulier23 – ces scénarios renvoient-ils à autant d’ethè dif-

20. Pour le lien entre l’ethos et l’image d’auteur, voir aussi le troisième numéro de la revue Argumentation et analyse du discours, op. cit.

21. José-Luis diaz, L’Écrivain imaginaire..., op. cit., p. 24.

22. Ibid., p. 45.

23. Ibid., pp. 81-82.

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férents ? Ou s’agit-il là plutôt d’un seul ethos concret qui change selon la perspec- tive adoptée ? En d’autres mots, pourriez-vous préciser davantage le lien entre votre

« scénario auctorial » et le concept d’ethos ?

J.-L. D. – Au plan des scénarios, il me semble en effet qu’on peut les envisager à différents niveaux et à divers degrés de généralité : cela va du scénario d’école ou d’« équipe » (d’époque me semble aujourd’hui une exagération inutile) au scénario idiosyncrasique adopté par un écrivain pour une œuvre, et déjà modulé voire trans- formé de fond en comble à la suivante. L’étude de la syntagmatique des scénogra- phies d’un même écrivain est ainsi un exercice passionnant : et elle doit se mener en parallèle avec celle de ses pratiques en matière d’ethos (au sens strict), qui en sont la face discursive. Avec l’idée qu’il y a influence réciproque constante entre les deux instances, sans qu’on puisse savoir souvent ce qui est premier.

Mais il est évident qu’un même scénario connaît des modulations variées, comme il apparaît dans le cas de celui du « poète mourant », défini de manière différente quant à ses aspects représentatifs et scénariques par ses divers contri- buteurs : ainsi, il existe des traits communs évidents entre la version qu’en donne Millevoye en 1812 et celle qu’en donne Lamartine en 1823, tous deux dans des poèmes prenant pour titre, sujet et héros un « poète mourant ». Pourtant, il s’agit de déclinaisons assez différentes, dont la différence tient à des aspects idéolo- giques, historiques, génériques. De même, dans les deux cas l’ethos est différent, à la mesure de la différence qui existe entre une élégie brève sans connotation chrétienne, et une méditation philosophique bien plus longue, éloquente, où, en dépit du titre générique, tout l’appareil sublime de l’ode est mis en batterie. Mais Lamartine lui-même a donné deux versions successives de ce même poème, la première (1817) encore très néoclassique et criblée encore de références mytho- logiques, et faisant, à l’antique, du poète un aiglon transpercé d’une flèche, la seconde faisant de lui un cygne et un ange retournant aux cieux, et donnant la parole en direct au jeune mourant, dans un incipit élégiaque, avant de lancer la machinerie plus pompeuse de la méditation chrétienne, mise pourtant elle aussi dans la bouche de ce mourant déjà atteint par l’agonie, et prétendument peu savant en l’art des vers. L’image (et donc aussi la partition posturale, scénarique et j’ajoute médiatique) du poète mourant semble dans les trois cas la même, et il est facile de dégager les permanences, mais les différences aussi sautent aux yeux ; tant au plan des représentations, des scénarios, que des choix discursifs (des ethè).

Mais il convient aussi de chercher dans les trois cas des variantes en termes de positionnement dans le champ littéraire, ou encore de stratégie éditoriale : un recueil d’élégies pour Millevoye, publié au moment où le genre est en grande mode encore (mais alors que Millevoye a pu pratiquer de tout autres genres avant, bien moins « romantiques » : une satire sur « Les jalousies d’auteur », en 1801, un

« Discours en vers sur l’indépendance des gens de lettres » primé par Académie en 1806) ; une non-publication pour le poème de 1817, resté au stade du brouillon ; enfin, une publication avec nom d’auteur dans les Nouvelles Méditations pour le

« Poète mourant » de 1823 (alors que les premières avaient paru anonymes).

En matière de scénographies, le principal souci de l’historien consiste donc à essayer de choisir au mieux le degré de généralité pertinent propre à faire appa- raître des régularités, des structurations scénographiques communes à un groupe,

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et donc aussi des variantes et des évolutions. Il faut souvent faire confiance aux mots de passe contagieux et qui durent : « Homme de Lettres » (au sens noble, entre 1760 et 1810), « homme sensible », « poète mourant, « poète penseur »,

« dandy littéraire », etc. On n’est pas « bohème » de la même façon lorsque le scé- nario se cherche vers 1842, et, dans les années 80, quand il est déjà rangé au maga- sin des postiches qui ont beaucoup servi. Mais c’est bien autour de la commune figure du bohème, avec ses traits pertinents majeurs aisément repérables à tous les niveaux, que ses diverses réalisations se disposent à titre de variantes déclinées de manière diachronique, mais aussi en termes de genres d’élection : peu de chose à voir en effet entre les articles de Petit Journal d’abord publiés par Murger dans le Corsaire-Satan, puis la pièce de théâtre écrite en collaboration avec un faiseur et jouée avec succès en 1849, et le roman à chapitres courts publié en 1851. La recherche du niveau le plus pertinent pour favoriser les comparaisons n’est pos- sible qu’en considérant une période historique définie en fonction d’un certain état du champ littéraire, et en envisageant la topographie d’ensemble des scéno- graphies co-présentes, leur degré relatif d’activité et de modernité (ou d’obsoles- cence), mais aussi les positionnements sociaux et institutionnels des écrivains qui en déploient la partition, et enfin leurs réalisations discursives possibles dans le champ des ethè à disposition.

K.V. & E.D. – Les questions suivantes consistent à replacer votre pensée dans une perspective comparatiste. Elles ont trait en particulier au sujet de la traduc- tion et de la figure du traducteur. Pouvons-nous distinguer ou développer plusieurs topologies différentes lorsque nous étudions des textes traduits ? Autrement dit, est-il légitime de parler aussi de schèmes abstraits ou de différentes formes de « traducteurs imaginaires » ? Nous songeons en l’occurrence au traducteur invisible ou au traduc- teur visible24. Le premier apparaîtrait dans des traductions « pures », sans entourage, sans préface, sans spectacularisation quelconque ; le second se montrerait davantage à l’avant-plan, par exemple dans une préface ou dans des notes. Un traducteur visible aurait-il plus de chances pour faire son entrée sur la scène littéraire, puisqu’il profite par réverbération du prestige de l’auteur qu’il traduit ?

J.-L. D. – Oui, il me semble légitime de traiter le traducteur comme un énon- ciateur ancillaire, second, souvent effacé, mais qui ne manque pas dans certains cas de revendiquer une certaine forme de visibilité, et donc d’entrer dans la scène – et la joute – des fictions auctoriales en vigueur. Votre distinction du traducteur invisible et du traducteur visible me semble très pertinente et joue bien, non en termes d’ethos, mais bien de visibilité sur la scène où se joue la « comédie littéraire ».

Raison de plus pour reconnaître la légitimité d’une telle instance de représenta- tion et de fiction. Les cas célèbres de Letourneur (Young, Shakespeare), Loève-Vei- mars (Hoffmann), Baudelaire (Poe), François-Victor Hugo (Shakespeare), Larbaud (Joyce), témoignent à l’envi de la possibilité de jouer la partition traductoriale sur le mode de la quête de visibilité et de la recherche de reconnaissance. Structuralement, on retrouverait des traits semblables dans la prestation scénique et médiatique du critique, cette autre « âme seconde » (Sainte-Beuve), soit qu’il se donne pour un adjuvant d’auctorialité complice, soit qu’au contraire il s’emploie à réduire l’auteur

24. Voir entre autres Lawrence Venuti, The Translator’s Invisibilty. A history of translation, London- New York, Routledge, 1995.

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commenté à une caricature simplifiée, mais qui a sa vertu elle aussi, parce qu’elle permet à l’auteur en question de se voir dans une glace déformante, et qu’elle contri- bue à gérer aussi la socialisation de son image. Pas de prestation auctoriale efficace sans le phénomène de « l’auteur vu d’en face », comme le suggère une des parties de L’Écrivain imaginaire, et donc la prise en compte, anticipée ou rétroactive, de cette cap- tation par l’autre à laquelle l’auteur se sait soumis.

Si le couple formé par l’auteur et son traducteur n’est pas de même nature que celui de l’auteur et du critique, s’il fonctionne en principe plus « en sympathie », il est évident que l’intervention du traducteur n’est pas nulle, loin de là, ne serait-ce que parce que, dans bien des cas, il double son travail textuel d’un travail métadiscursif et média- tique (préfaces, articles de presse, biographies, etc.), allant même dans certains cas-limites à utiliser l’auteur traduit comme un adjuvant à usage propre, comme une béquille de sa propre mise en scène auctoriale : le cas de Baudelaire est à cet égard parlant. Dans les cas où cette dimension scénique et médiatique n’existe pas, comme le traducteur ne doit pas seulement rendre le sens, mais le transposer dans des imaginaires sociaux et des ethè différents, ceux de la langue d’accueil, il a grande liberté malgré tout pour contrôler et infléchir le degré de transférabilité des représentations et des modalités discursives.

K.V. & E.D. – Dans la lignée de la question précédente, le traducteur peut sans doute être compris comme une instance intervenant sur le plan de l’imaginaire.

Mais peut-il d’après vous également être perçu comme une instance qui joue un rôle, ou qui prend la parole, au moment de l’énonciation ? Dans le cas d’un traduc- teur invisible, y aurait-il alors une coalescence stylistique et éventuellement idéolo- gique totale entre l’ethos du traducteur et celui de l’auteur ? Ou vaut-il mieux parler d’un ethos double ou réduplicatif, dans le sens que le traducteur écrit aussi à son propre compte, surtout lorsqu’il s’agit d’un traducteur visible ?

J.-L. D. – La coalescence n’est bien sûr jamais totale, et pour une part le traduc- teur écrit en effet pour son propre compte : mais comme les décalages sont ici subtils, je n’irais pas jusqu’à parler d’un ethos double. Nous sommes toujours entre les deux extrêmes potentiels, celui de la coalescence absolue (impossible) et celui de la duplicité énonciative avérée (qui ferait du traducteur un « traître » plus ou moins revendiqué).

K.V. & E.D. – Le traducteur se veut-il aussi une « âme seconde »25, à l’instar de l’éditeur, c’est-à-dire quelqu’un qui aide à transmettre le message de l’écrivain ou qui est un de ses « adjuvants d’auctorialité »26 ?

J.-L. D. – Oui, cette expression de Sainte-Beuve, employée par lui pour le critique « en sympathie » qu’il a été lui-même à ses débuts par rapport à Hugo et au Cénacle (acceptant non sans renâcler parfois son statut ancillaire en le décorant de cette belle auréole) me semble valoir aussi pour bien des autres adjuvants d’aucto- rialité : le traducteur, oublié dans mon énumération, en fait bien sûr partie, et aux premières loges. Car le traducteur, pour le faire bref, ne traduit pas seulement du texte, il traduit (et donc aussi « transporte ») « de l’auteur »…

25. José-Luis diaz, L’Écrivain imaginaire..., op. cit., p. 143.

26. Id., p. 24.

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K.V. & E.D. – Si l’écrivain se met en scène comme un parodiste ou un iro- niste, il crée une certaine polyphonie, ou plus particulièrement encore, une certaine bivocalité : bivocalité émanant de l’énonciateur (ce qui est dit et ce qui n’est pas dit) et bivocalité émanant du co-énonciateur (ce qui est saisi et ce qui n’est pas saisi). Ce dédoublement des instances (co)-énonciatrices donne-t-il lieu à un dédoublement de l’ethos ? Et, plus généralement, un tel dispositif constitue-t-il une topologie ou une manière de faire son entrée sur la scène littéraire, comme c’est le cas pour le

« plongeur littéraire » pendant le romantisme fantaisiste ou ironique ?

J.-L. D. – Cette description me semble très juste, même si je ne mettrais pas tout à fait dans le même panier les parodistes et les ironistes (réunis, il est vrai, par la structure co-énonciative, qu’on retrouve aussi dans la traduction). Les ironies et/

ou les formes d’esprit (de witz, comme dirait Freud), en appellent en effet à la col- laboration — à la compréhension ou à la mécompréhension — des lecteurs, mis ainsi sur le qui-vive, et discriminés en fonction de leur compétence à saisir le trait d’esprit ou la pointe ironique par l’entremise de très légers « signaux ». En fait, plus que de collaboration, il s’agit me semble-t-il d’une agonistique, où le co-énonciateur est complice de pointes tombant sur des cibles tierces, mais peut tomber très vite lui-même au rang de cible, s’il n’est pas assez vif. Mais j’ajouterais simplement ceci : que les diverses scénographies ironiques entrent aussi souvent en conflit entre elles.

Un ironiste a toujours aussi au moins un autre ironiste pour cible, pour repoussoir, ou, à l’inverse pour modèle à égaler ou dépasser…

Je songe à explorer dans leurs divers espèces rivales (plus à fond que je n’ai pu le faire dans L’Ecrivain imaginaire), les scénographies et les ethè des ironistes de l’époque romantique (Musset, Gautier, Janin, Balzac, les Jeunes-France, le Petit Journal…), pris dans le chronotope étroit des années 1830-1835, où il s’agit pour chacun d’exister dans un champ de visibilité vite saturé, au moyen de happenings spirituels ou ironiques, dont les préfaces et l’écriture de presse (mais aussi certaines formes poétiques renouvelées) sont les terrains d’élection, en vertu de leur capacité à définir et mettre en branle un

« agir communicationnel ». Ce que j’ai déjà un peu fait pour les Jeunes-France27, pour Balzac28, et plus récemment pour le Musset des Comédies et proverbes29.

K.V. & E.D. – Étudiant les imaginaires qui accompagnent le processus de sacra- lisation de l’écrivain à l’époque romantique, vous dites à juste titre qu’il y a lieu de parler d’un processus qui est à la fois individuel et collectif : c’est l’époque où un écrivain particulier est mis sur un piédestal mais aussi l’âge où les attitudes littéraires sont col- lectivisées et où se déploie une stéréotypie auctoriale. Mais ce constat serait-il typique du romantisme uniquement ? Pour Meizoz, la tension entre l’individuel et le collectif semble relever de tous les temps. Selon lui, une posture n’est pas moins une position sin- gulière et unique, mais qui s’inclut toujours et simultanément dans l’emprise du collec-

27. Voir José-Luis diaz, L’Écrivain imaginaire..., op. cit., pp. 415-430. Voir aussi id., « ‘Nous tous enfants perdus de cet âge critique’ : la génération de 1830 par elle-même », dans Romantisme,

« Génération Musset », s. dir. José-Luis Diaz, n° 147, 2010, pp. 13-28 ; id.,« Préfaces 1830 : entre aversion, principe de plaisir et happening », dans Revue des Sciences Humaines, vol. 3, n° 295, « Préfaces et manifestes du XIXe siècle », s. dir. José-Luis diaz, 2009, pp. 17-54.

28. Voir la partie concernant « Portrait de Balzac en conteur phosphorique » dans id., L’Homme et l’œuvre..., op. cit., pp. 125 et sqq.

29. id., « L’esprit dans les Comédies et proverbes », en cours de parution sur le site de la SERD, Société des études romantiques et dix-neuviémistes. http://etudes-romantiques.ish-lyon.cnrs.fr

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tif30. Cela permettrait même de détecter des familles posturales31. En d’autres mots, vos topologies imaginaires seraient-elles à rapprocher des familles posturales de Meizoz, qui ne sont pas moins récurrentes ? Et sont-elles aussi un phénomène de tous les temps ?

J.-L. D. – L’époque romantique me semble quelque peu spéciale en la matière, car c’est la première fois dans l’histoire que l’invention posturale et scénographique prend une telle importance en littérature, tant dans ses aspects collectifs (c’est le début de l’âge des « écoles »), qu’au plan individuel (il y a vive concurrence de la part des « impétrants » en matière d’images, de postures et de scénographies : c’est à qui saura « faire l’écrivain », le poète ou le dandy de la manière la plus nouvelle et la plus visible). De plus, le phéno- mène se trouve alors relayé et majoré par la caisse de résonance médiatique des revues et journaux, ce qui est là aussi sans précédent. Mais, il va de soi, ce jeu entre l’individuel et le collectif est de tous les temps. Les convergences de mes scénographies et des postures de Meizoz me semblent d’ailleurs très grandes, d’autant que je ne suis pas le dernier à insister (avec Valéry, Goulemot et Oster) sur la dimension théâtrale, ludique, jouée, et innovante aussi de la « posture » (à la différence du « positionnement » façon Bourdieu, plus strictement social, moins original et moins « joué »). Il y a ainsi une part d’imposture dans la posture… (Mais postures/scénarios et positionnements sont, bien sûr, étroitement liés). Scénario ou posture : sans s’équivaloir, ces deux métaphores à usage conceptuel se complètent, la première supposant une scène plus large, plus lourde aussi, et une distribution de rôles entre diverses instances, la seconde, plus légère et sans doute plus alerte, focalisant plutôt sur la simple prise de rôle de l’acteur principal de la scène, en la présupposant originale ou marquante, car une posture trop convenue et éculée serait une posture invisible… Oui, comme vous le suggérez, j’ai tendance à prendre les

« familles posturales » de Jérôme Meizoz comme des scénographies au sens générique, tandis que les postures seraient des scénographies plus spécifiques sinon personnelles : mais on pourrait aussi s’entendre à dire postures pour les dernières et scénographies pour les premières, car je reconnais que mon concept de scénographie fonctionnant à plusieurs niveaux de généralité est à affiner. En tout état de cause, la connotation de théâtralité instantanée qu’apporte, me semble-t-il, la notion de posture me paraît fort parlante, et elle est en particulier très favorable pour les époques où le grand décorum sacralisant de l’appareil auctorial se simplifie, et où aussi le choix scénarique se fait dans un régime de concurrence juvénile, entre égaux désireux de faire bouger la topographie des places imaginaires de parole, avec l’idée qu’il faut chercher — et trouver, si possible — la meil- leure fenêtre de tir pour exister dans ce champ de visibilité étroit qu’est le champ littéraire, et donc aussi la meilleure façon d’imposer leur dire comme un faire. Car, comme le dit Hugo avant Austin, l’écrivain « commet une action », et pas seulement celui qui se prend pour un guerrier ou un aventurier. Le champ littéraire de l’après 1830, avec son concours de « plongeurs littéraires » et d’ironistes juvéniles rivaux de divers acabits, est ainsi un bon champ d’observation pour la grande petite guerre des « postures ».

K.V. & E.D. – Parallèlement, il se pose la question de savoir si votre théorie de l’auteur s’applique aussi à d’autres genres que la poésie, et même à des discours qui ne se veulent pas littéraires ?

30. Jérôme meizoz, op. cit., p. 26. Voir aussi id., La Fabrique des singularités. Postures littéraires II, Genève, Slatkine, « Érudition », 2011.

31. id., Postures littéraires..., op. cit., p. 25.

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