Correspondances en Onco-Urologie - Vol. VII - n° 2 - avril-mai-juin 2016 78
V O C A B U L A I R E
>> C E L LU L E S*
Par Alain Rey, directeur de rédaction du Robert, Paris
L'évidence moderne de la notion de cellule, concept central de la science générale de la vie, peut empêcher de percevoir le lent processus d’abstraction d’où procède ce concept.
Cellula est clairement le diminutif de cella, qui désigne en bon latin une pièce d’habita- tion dans un logis. Simple “petite chambre”
à l’époque classique, cellula s’est spécialisé à basse époque (Ve siècle) pour s’appliquer soit au lieu clos où est enfermé un prisonnier, soit à la chambrette d’un moine. Ce n’est qu’au Moyen Âge qu’apparaît l’image de la cellula à propos d’une formation anatomique : simple métaphore, au début du XVIe siècle, lorsque le mot désigne une vésicule ou l’élément d’une ruche. Ce sont les savants anglais, au XVIIe siècle, tel Hooke, qui géné- ralisent l’emploi de cellula, en anglais cell, à propos du liège, et le mot gagne l’anatomie humaine, quand l’Encyclopédie de Diderot (1752) parle de cellules adipeuses.
Le latin, l’anglais – qui emploie cell –, le français et l’allemand convergent pour donner au mot une valeur plus générale.
Mais le dictionnaire de médecine de Léon Robin (souvent attribué à Émile Littré, qui n’est responsable que des étymologies) doit encore défendre l’emploi de cellule lorsqu’il ne s’applique pas à une cavité. Pourtant, les botanistes français ( notamment Dutrochet)
et allemands (Schwann, en 1839) décelaient déjà dans tout tissu végétal des cellules formées d’une paroi, d’une “masse de la cellule” et d’un noyau. La biologie alors nouvelle (Lamarck est l’un des deux créa- teurs du mot et de la notion) étend rapide- ment l’idée de “cellule” en tant qu’unité du vivant aux tissus animaux, aux “germes”, aux êtres qu’on nommera “unicellulaires”.
Vers 1855, Virchow fait de la cellule le maître mot de l’embryologie, en déclarant : omnis cellula e(ex) cellula. À la fin du XIXe siècle, l’explo ration interne de la cellule amorce l’évolution de la biologie vers la génétique : un peu à la manière de l’atome, qui trahit son étymologie en devenant un système complexe, la cellule mérite d’être comparée à un laboratoire chimique d’une infinie complication.
Du coup, l’idée d’ “unité élémentaire”
se réfugie dans des emplois tout diffé- rents du mot, de la cellule d’un parti poli- tique à la cellule rythmique ou à la cellule photo- électrique. La “cellule” vivante, sa complexité, sa variété – de la cellule osseuse au neurone, à la bactérie… –, son fonctionne- ment jusqu’au niveau moléculaire, résultent d’un immense investissement sémantique échappant complètement à une origine latine familière et simple : la “chambrette”
métaphorique est au XXIe siècle détentrice des secrets de la vie.
* © Le Courrier de la Transplantation 2004;3(IV):125.
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