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«Quelles solutions proposer au tourment actuel de notre société : le viol incestueux»

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Academic year: 2022

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Ici vient quiconque

Mars 2021

« Quelles solutions proposer au tourment actuel de notre société : le viol incestueux »

Coup sur coup, plusieurs cas d’inceste dans des familles de personnalités politiques et médiatiques, ont secoué l’opinion publique en quelques semaines. Quoique chacun dispose de la présomption d’innocence, ces « affaires » ont d’ores et déjà permis que se dénouent les langues. Le fait que ces dénonciations d’inceste aient eu lieu dans de tels milieux particulièrement bien repérés participe de l’éclat qui illumine désormais la société. Que ces dénonciations arrivent après les deux confinements que nous avons vécus, ne se doit pas au hasard tant la logique politique en fut incestueuse.

Pourtant jusqu’à ce jour, l’inceste n’est mentionné dans le droit français que de manière très indirecte via l’introduction « des viols et agressions sexuelles qualifiés d’incestueux » dans la loi 14 mars de 2016 sur la protection de l’enfance. Déjà en 2002, une commission de sénateurs avait tenté d’inscrire clairement la prohibition de l’inceste dans le code pénal. Une réflexion est en cours pour faire sauter la prescription en matière de crimes incestueux. Ce sera une avancée notoire. Mais nous proposons :

« Que l’interdit de l’inceste soit mentionné dans la Constitution ! »

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Effectivement, Freud et après lui Lévi-Strauss ont montré que l’interdit de l’inceste faisait l’humanité de l’Homme. Il faut préciser cela : le désir en sa part « naturelle » est incestueux, le petit garçon désire sa mère et la petite fille son père, mais le sujet entre dans le bain de la civilisation par l’interdit de l’inceste que symbolise le « tu ne peux pas » du père. Il faut considérer ici le point de bascule auguré par le non catégorique : c’est en renonçant à la mère que l’enfant entre dans la loi et dans la culture. Le travail de civilisation comme l’appelle Freud repose sur l’interdit de l’inceste, ce désir qu’il ne faut pas. A bien y regarder, le désir incestueux est non seulement la cause du parricide œdipien, mais bien au-delà, il est la clef de voûte de la criminalité humaine.

En tant que psychanalystes ne sommes-nous pas trop souvent prêts à voler au secours des enfants ou des adultes qui ont subi un inceste une fois que le mal est fait ? Pourquoi ne pas dire l’interdit en amont ? Le livre collectif codirigé par Ernestine Ronai et le Juge Edouard Durand Violences sexuelles qui sortira en mars prochain (aux éditions Dunod) porte pour sous-titre : En finir avec l’impunité. Cette impunité n’est pas que juridique, elle incombe aussi à tout adulte responsable de sa position de sujet, elle préoccupe de nombreux psychanalystes.

Allons plus loin donc. L’homme est structurellement coupable d’une faute qu’il ne pourra jamais payer, désirer sa mère, c’est le péché originel si l’on veut. D’où notre demande : si la faute du désir incestueux est constitutive de l’humanité de l’homme, n’est-ce pas dans la constitution, et nommément dans la Constitution française, que l’interdit lui faisant face doit trouver sa place ‒ sans besoin que cela implique une quelconque pénalisation accrue ? Freud ne craignait rien de se positionner en tant que psychanalyste dans le débat public et peser ainsi sur les questions législatives. C’est aussi ce que nous ferons en interpellant prochainement quelques parlementaires et constitutionnalistes sur l’inscription de l’interdit de l’inceste.

Jean Marie Fossey, Guillaume Nemer et Gérard Pommier

Le succès est-il possible ?

Jean-Marie Fossey vient d’obtenir un rendez-vous avec un sénateur, membre de la commission des lois constitutionnelles ! Jusqu’à ce jour, l’inceste n’est mentionné dans le droit français que de manière très indirecte et rien ne le pénalise en tant que tel. Freud et après lui Lévi-Strauss ont pourtant montré que son interdit est ce qui fait l’humanité de l’Homme. Le désir incestueux est la cause du parricide œdipien, il est la clef de voûte de la criminalité humaine. De nombreux psychanalystes sont prêts à voler au secours des enfants qui ont subi un inceste une fois que le mal est fait, mais comme le législateur, il ne faudrait surtout pas que ce désir soit pénalisé en tant que tel, entre adultes consentants. La faute du désir incestueux est constitutionnelle de l’humanité. C’est donc dans la Constitution que cet interdit doit être mentionné, sans que cela implique l’idée d’une pénalisation. L’homme est constitutionnellement coupable d’une faute qu’il ne pourra jamais payer

Guillaume Némer Jean-Marie Fossey

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(c’est le péché originel si on veut). Est-il possible de réviser la Constitution en y incluant cet interdit fondamental à l’humanité ? C’est la question posée aux parlementaires, en souhaitant la rédaction d’un projet de loi.

Gérard Pommier

A quoi sert-il de lutter ?

Les acquis du « progrès moral »

Baudelaire disait et Lacan l’a répété souvent après bien d’autres : il n’y a pas de progrès. Le progrès matériel, celui des sciences et des techniques, n’engendre à lui seul aucune perspective nouvelle.

En revanche, Baudelaire a avancé et Freud a lui aussi utilisé cette idée qu’il y avait dans l’histoire de l’humanité des moments de « progrès moral ». A quoi servent nos luttes ? La Fondation Européenne est sur le point d’ouvrir un grand chantier qui mettra l’interdit de l’inceste au rang de la Constitution. A quoi cela avance-t-il une telle progression ? Je vais prendre un exemple pour faire comprendre ce que peut être le « progrès moral ». Lorsque j’ai fait mes études de médecine et que j’étais interne en psychiatrie, les internes de l’époque faisaient régulièrement des soirées appelées

« taunus ». Dans ces soirées, ils faisaient venir des prostituées et ces orgies étaient plus ou moins directement subventionnées par les laboratoires. Et puis les luttes féministes sont passées par là. A ma connaissance, cette pratique du taunus n’existe plus dans aucune salle de garde, où d’ailleurs la moitié des internes et des médecins sont des femmes. C’est un cas très précis où l’on voit très bien ce que peut être le « progrès moral ». De même, si nous réussissons à pousser la question de l’interdit de l’inceste jusqu’à sa constitutionnalité, on peut très bien espérer que cela va entraîner un important changement moral dans le rapport des adultes aux enfants et d’ailleurs aussi bien des adultes entre eux. Actuellement, de profondes modifications sont en travail dans la société. Les pratiquants et les défenseurs des violeurs sont partout mis en question, et seulement en considérant les conséquences du viol incestueux et pas du tout sa cause. C’est à cette cause que nous nous attaquons aujourd’hui, en rendant ainsi à la psychanalyse ce qui lui est dû car si quelqu’un a bien montré le caractère constitutionnel de l’interdit de l’inceste, c’est bien Freud. Avançons-nous donc sur ce chemin !

Gérard Pommier

Gérard Pommier

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Agir contre l’inceste !

La forteresse des mensonges et des silences imposés aux victimes d’inceste se fissure aujourd’hui, les pans entiers de ses murs épais et impénétrables tombent. L’interdit de parler, l’interdit de penser, l’impossibilité d’exister hors de l’emprise de l’autre ont gâché et détruisent encore les vies entières. Il est temps que ces ignominies cessent !

S’appuyant sur l’œuvre de Freud, sur la nécessité pour l’humain de refouler le désir incestueux pour s’humaniser, les membres de la Fondation européenne pour la psychanalyse se battent depuis trente ans de son existence contre l’inceste et ses crimes. Aujourd’hui notre requête d’inscrire l’interdiction de l’inceste dans la Constitution a reçu un accueil favorable, le président de la FEP Jean-Marie Fossey va être reçu par un sénateur.

Mais que de luttes derrière nous ! Que de silences, de fins de non-recevoir, d’escamotages et de résistances ! Et que c’est difficile de renoncer à des privilèges d’abuser, de violer, d’instrumenter l’autre, obtenus grâce aux positions de pouvoir et de toute-puissance patriarcales.

Car une par une, les victimes se sont mises à parler, affrontant les menaces, les humiliations les dangers des nouvelles violences, encore et encore impunies, le mépris et les moqueries insoutenables. Elles ont trouvé le courage de parler, de dire leur vérité d’enfants brutalisés, bravant les intimidations sordides, au risque de nouvelles humiliations suivies d’une surdité muette, et d’effacement de leurs vérités, de leurs existences. Tout d’abord il y a eu un livre, puis un récit timide, puis un film, une déclaration publique. Les voix de plus en plus nombreuses de ceux qui n’ont été que des amas de souffrances invisibles se sont levés. Des témoignages de crimes commis sur eux par leurs plus proches, sensés veiller sur eux, explosent. De plus en plus de voix sont venues soutenir ceux et celles qui se tapissaient dans l’ombre, effrayés, jamais crus, jamais pris au sérieux, ridiculisés. Mais grâce aux plus vaillants d’entre eux, petit à petit les plaintes qui seraient restées sans réponse dans les tiroirs des commissariats ou des juges, classées « sans suite » sont arrivées à être relues, revisitées, réexaminées. Ne plus supporter de se taire, parler, dire l’horreur, dire l’impensable. Ils ont fini par faire foule ! Une fille sur cinq, un garçon sur onze ! Et la moitié avant l’âge de onze ans ! Les psychanalystes sont censés connaître mieux que quiconque les ravages de l’inceste -puisque c’est au cœur de leurs préoccupations. De la possibilité de sa mise à distance décide non seulement de notre santé mentale, mais de notre humanité. Comme Gérard Pommier le rappelle dans son livre à paraître au mois de mai, l’inceste est le lit de tous les crimes. Son interdiction est constitutive de notre humanité.

Le respect de son interdiction autorise notre liberté de parole, de la parole qui donne la vie. Or (est-ce une surprise ?), on entend peu la voix de nos collègues ! Et lorsqu’ils se prononcent c’est dans un non-sens que leurs déclarations vont encore trop souvent ! Comme dans une tribune largement médiatisée, une analyste qui déclare que c’est faute de pas avoir un père fort que l’inceste prolifère. Donc c’est dans une nostalgie du patriarcat, le père qui ferait la loi à sa femme et aux enfants est encore convoqué, bien qu’il s’agit du père violeur de toute évidence, celui qui défend à sa femme de travailler et qui écrase ses fils et ses filles, le père dont la libération des femmes sonne la fin de partie. C’est justement son déclin qui permet de libérer la parole, de se confronter à l’inceste, si tabou mais si largement admis.

D’autres préconisent que nous devons apprendre aux enfants à dire non à leur violeur, à dire clairement ce qu’il leur arrive. Or, les victimes de l’inceste ont essayé de parler depuis longtemps, toujours en vain. Elles ont parlé mais elles n’ont jamais été entendues, comme le démontre le livre

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de Camille Kouchner. Personne n’a voulu les écouter, même pas la justice ! Le moment où la parole des victimes peut enfin être entendue n’est pas neutre : il est le fruit avant tout des longues luttes des femmes. Le père qui incarne la loi est celui qui dénie sa part féminine. Le masculin, le paternel dans ce cas riment avec la force brute, où les femmes portent la castration pour deux. Les pères sont là pour punir, battre leurs enfants comme ils ont été battus ; Les violer comme ils ont été violés, dans un abus de pouvoir vertigineux qui les hisse au-dessus des lois. Les exemples récents des victimes d’inceste montrent que des hommes de pouvoir se sont permis l’impensable, sans remord ni vergogne. Ils ont fait comme ils ont appris à faire. Un père tout-puissant ça rend fou, nous l’avons bien vu avec le cas du Président Schreiber magnifiquement décrit par Freud.

Le patriarcat comme idéal nourrit l’espoir d’un pouvoir abusif : « demain moi aussi je pourrais jouir perversement grâce à mon statut qui flatterait l’idée de ma toute puissance… »

Comme l’écrit l’anthropologue Dorothée Dussy l’inceste est le berceau de toutes les dominations. « S’il y a interdit, ce n’est pas de violer les enfants de la famille, c’est plutôt de parler des incesteurs » affirme-t-elle. « L’inceste représente le paroxysme de domination puisque la relation entre les deux parties est totalement dissymétrique plus encore que dans autres formes de viols. Ce qui distingue encore l’inceste c’est qu’il y a un attachement entre le bourreau et la victime. C’est cela qui fracasse les victimes et les rend dingues. »

« Les campagnes de sensibilisation s’adressent aux enfants mais jamais aux violeurs, aux incesteurs. Ils s’organisent pour se cacher et pour faire taire leurs victimes et leur entourage qui leur est subordonné, » constate si justement D. Dussy.

Mais si on considère simplement que ce sont des fous, des malades, on dépolitise la question, on reste complices du crime. De même que lorsqu’on hésite à entrer dans la lutte.

Gorana Bulat-Manenti

Viol et inceste

Voici un extrait d’une interview de janvier 1988, reprise dans mon livre Événements I Psychopathologie du quotidien (Coll Points Seuil, 1992) ;

comme quoi les vagues sont récurrentes.

Q : Comment expliquez-vous toutes ces affaires de viol, de même nature, comme à répétition ?

- Le viol est une catastrophe du sexuel qui signale que les fantasmes n'ont plus cours, que la parole n'a plus de valeur, et qu'alors on passe à l'acte. Ce passage à l'acte relève d'une certaine forme de débilité, non pas au sens lourd et psychiatrique ; disons : débilité affective, celle qui ignore les médiations, les détours symboliques, les limites nécessaires ; elle peut même être intelligente ; beaucoup de pères violeurs sont des cadres "responsables"... Cette débilité actualise une sorte d'éblouissement devant la possession qui, de possible devient totale. Dans le viol, on met la main directement sur la rencontre du corps de l'autre, qui est accessible autrement, par la parole, la relation, le jeu de l'espace-temps et des distances...

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Il ne faut pas sous-estimer le rôle de la débilité dans nos rapports sociaux. Récemment, deux jeunes gens ont violé une petite fille puis l'ont massacrée, et ils ont mis la chose sur le compte d'une scène

"initiatique"; oui, un petit accès de sacralité, qui pour eux exigeait l’acte brut, réel ; ils symbolisent avec la chair ; et symbolisent surtout l’échec social et familial à élaborer pulsions et fantasmes.

Q : Mais pourquoi de telles séries d'agressions sur des enfants très jeunes ? Pourquoi tous ces crimes en même temps ?

- Il peut y avoir des effets d'accumulation, d'insistance secrète qui explosent par moments en série.

Mais le fond est assez stable : la moitié des violeurs de fillettes ou d'adolescentes sont des pères, leurs pères ; cela indique un fond régressif, un gisement d'immaturité énorme, une incapacité à assumer l’existence de l'inceste et son interdit. Ce passage à l'acte est aussi un cri de détresse d'identités affectives molles, mal cernées. Souvent, le violeur s'identifie à la personne qu'il viole.

Q : Quel est le profil, si l'on peut dire, d'un violeur d'enfants ?

- Un profil bas, il se baisse vers lui-même enfant, s'identifie avec, ou investit cet enfant d'une image de sa propre enfance, à saisir fébrilement pour s'y inscrire car au fond il en est saisi. Parfois, il peut violer cet enfant par... amour en quelque sorte, pour inscrire l'amour à toute force, pour arracher à cet enfant la preuve d'amour qu’il n'a pas eue. Comme s’il voulait fonder son identité là-dessus. Et quand les voisins disent : "Mais vous savez, il avait l'air tout à fait normal", cela rappelle qu'au cœur du normal il y a le monstrueux, et que le normal lui-même, maintenu comme tel, comme une entité idéale, est producteur de monstrueux.

Remarques cliniques

Parfois l’inceste se produit, comme entre frère et sœur adolescents, sans forçage ou violence de la part de l’un ou l’autre, mais sous la pression pulsionnelle, ludique ou séductrice, dans laquelle les deux sont pris ; et l’inceste les couvre, les satisfait et les oppresse, les deux apparaissent comme les victimes de la pulsion conjuguée à l’absence d’une parole qui la contienne. Et quand cette parole revient sur la scène par la voix de la victime, c’est la crispation de tout l’entourage qui le rejette. Les deux en sortent comme ils peuvent, souvent astreint à un refoulement plus grand et à d’autres symptômes. Je pense à un ado qui a 20 ans n’arrive toujours pas à « avoir une fille », « ça foire toujours au dernier moment ». Il se révèle que sa maladresse (« je ne sais pas m’y prendre ») répète son hébétude lors de l’inceste où il ne savait pas s’y prendre pour pénétrer sa sœur (et il fait le geste de rater la chose). Bien qu’il nie l’avoir forcée, c’est sans doute vrai : elle se mettait sur le lit des parents et lui demandait un massage et tous deux s’effondraient dans la jouissance retenue. En l’occurrence, c’est lui qui a voulu en parler aux parents et elle a menacé de passer par la fenêtre, preuve qu’ils y étaient tous deux parties prenantes ; C’est un exemple d’inceste sans viol.

Dans le cas où c’est mené par le père ou le grand-père, le forçage est évident, le chantage aussi, puis l’habitude, l’hébétude, l’endormissement jusqu’au sursaut tardif, ou pas.

Difficile de ne pas voir que les agents actifs de l’inceste sont piégés par la pulsion sur un mode où ils sont incapables d’envisager qu’ils puissent la satisfaire ailleurs comme si leur esprit et leur imagination était cerclés par le rapport sexuel parental qui les fascine à leur insu. Les deux acteurs de l’inceste semblent livrés à la scène primitive telle que Freud nous en parle, ils la répètent alors

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qu’elle manque et que ses premiers protagonistes sont absents. Mon hypothèse est que l’inceste est un remake incongru ou grotesque du coït parental, dans un cadre où les parents n’en ont pas transmis l’interdit ; en quoi ils sont impliqués. Il n’est pas rare que l’inceste frère-sœur doive se faire sur le lit des parents.

La lâcheté de l’entourage signifie qu’il se défile non pas devant la vérité mais devant la dette : comme si on lui demandait de payer un arriéré, de payer son absence ou sa complicité. Et comme c’est trop coûteux, il nie la dette en bloc et on reporte la facture sur celle ou sur celui qui rompt le silence.

Pour les incestes d’ados et parfois d’adultes, les mères complices semblent se poser comme gardiennes de la pulsion et de la maison : pourvu que ça ne sorte pas ailleurs ; que le mari ou le fils n’aille pas courir loin du foyer.

Curieusement, on trouve autour de l’inceste des ingrédients reconnus de la perversion : déni de réalité, déni de la castration, clivage du moi. Pourtant, dans le cas des adolescents, l’inceste satisfait à ces conditions sans qu’on puisse dire qu’ils sont pervers. (Preuve au passage que définir la perversion par ces trois critères est inadéquat). Je préfère la définir par l’affirmation de la loi narcissique. C’est pleinement vérifié dans le cas où l’un des deux est adulte, père ou grand-père, grand frère, oncle. À la fille mineure ou même enfant, l’adulte impose sa loi narcissique sans nullement tenir compte de l’autre, et même si cet autre ne proteste pas, il est violé au nom de la loi narcissique déguisée en loi d’amour. Dans le viol incestueux, la loi narcissique viole l’interdit de l’inceste qui est une loi symbolique essentielle.

Des témoignages de victimes de viols incestueux, ou de personnes qui ont gardé le silence alors qu’elles savaient et qui ont donc laissé faire1, expriment surtout de la honte, du désarroi, de la culpabilité. La cause de ces affects pénibles tient à ce que ces sujets ressentent qu’avec leurs simples corps et leur petite histoire, ils ont transgressé toute une loi du genre humain. C’est comme si le monde entier et pas seulement leurs proches se retournait contre eux et leur demandait des comptes pour avoir violé (ou pour ne pas s’être insurgé) contre le viol de cette loi ou pour avoir gardé le silence. Ces affects expriment donc que l’interdit de l’inceste s’est transmis confusément à ces victimes (du viol ou du silence) et qu’elles se débattent avec cet interdit comme si, elles ayant failli, c’est l’ordre du monde qui s’effondrait alors que c’est leur articulation à l’ordre du monde qui est, non pas effondrée, mais très ébranlée. D’où le sentiment de solitude, d’accablement, de honte et de faute. Parfois l’une des personnes rompt le silence et parle pour la victime qui, elle, voulait le garder.

Elle se sent alors soulagée, réintégrée, expurgée de sa honte, rédimée. En affrontant la honte par l’aveu, elle est purifiée de sa honte. La victime directe elle aussi a besoin de se purifier, elle est à ses yeux couverte de honte. Elle se sent coupable non pour avoir été consentante ou pour y avoir pris du plaisir mais plus simplement pour avoir transgressé une loi universelle qui dit que « ça ne se fait pas », pour en avoir été l’exception.

1 Celui récent de Camille Kouchner, La familia grande, a connu un grand succès.

Peau d’Anne - Gravure Gustave Doré

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Soit dit en passant, si les parents transmettaient explicitement l’interdit de l’inceste et faisaient sobrement sentir son caractère symbolique et universel, ce serait une bonne chose. Il est vrai que certains auraient du mal à le transmettre parce qu’ils sont structurés par l’inceste sans qu’il ait été commis. Quant à l’idée de mettre cet interdit dans la Constitution, ce n’est pas le lieu adéquat pour le transmettre. Outre que cela créditerait un texte politique d’une force symbolique qu’il n’a pas, sauf aux yeux des usagers de la politique.

Écho biblique

L’interdit biblique de l’inceste n’est pas sans intérêt ; voici un extrait où je le commente2.

« On commence par un principe : Nul homme ne doit approcher, pour la dénuder, une chair de sa chair (expression souvent traduite par : proche parent, homme ou femme). Le verset se conclut : Je suis YHVH. Autrement dit, il n'y a pas de justification autre que l'existence du divin, supposé être l'essence même du symbolique. En somme, l'inceste porte atteinte au symbolique dans son essence, et le symbolique s'oppose à l'inceste. Ce pourrait être une raison pour appeler incestueux (ou incestuel) tout ce qui entrave, dans une famille, la transmission du symbolique ; mais le texte s'abstient de cette surenchère : il y a tant de façons de malmener le symbolique dans une famille, autres qu'incestueuses.

En revanche, on va préciser cette proximité de chair. Viennent d'abord le père et la mère : Ne dévoile pas la nudité de ton père et celle de ta mère

; puis le verset ajoute : C'est ta mère, ne dévoile pas sa nudité. Ainsi, le père est interdit au titre de son lien avec la mère, le référent de l'interdit c'est d'abord la mère ; le texte veut interdire le "retour" à l'origine. En somme : ne reviens pas vers le corps d'où tu viens. Donc, une fille qui couche avec son père vient se replonger dans la mère. Un père qui couche avec sa fille la rabat vers la mère, et l’empêche d’en sortir.

De là, on passe aux relations par où transite la chair interdite ; appelons-les relations transitives ou transférées.

Ainsi, « La femme de ton père, ne dévoile pas sa nudité, c'est la nudité de ton père3 ». (Donc celle de ta mère…) De même : Ta sœur, fille de ton père ou de ta mère, née dans la maison ou au dehors, ne dévoile pas sa nudité. Elle se rattache transitivement à la chair de ta mère. Tout ceci est en amont de toi. En aval, on a : La nudité de la fille de ton fils, de la fille de ta fille ; interdit de les dévoiler, car elles sont ta chair. Autrement dit, si elles couchent avec toi c'est comme si elles couchaient avec leur père, ou leur mère, qui sont tes enfants. De même pour la fille de la femme de ton père, car elle est ta sœur, ou la sœur de ton père car c'est la chair de ton père, ou la sœur de ta mère car c'est la chair de ta mère4.

2 Voir Lectures bibliques. Le texte commenté est dans Lévitique 18

3 Lévitique 18, 8.

4 On pourrait ajouter, c’est le même principe : ne couche pas avec le fils de ta femme, pour couvrir le cas Duhamel, qui se double il est vrai de pédophilie.

Bible de Gutenberg

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On a ainsi comme un réseau ou une toile centrée sur la mère, en amont et en aval du sujet. Dans la foulée, il est posé : La nudité d'une femme et de sa fille, tu ne dois pas les dévoiler5; pas plus que la fille de son fils ou la fille de sa fille. Car c'est sa chair. Là, le texte interdit de confondre les générations.

De même : « Ne prends pas une femme avec sa sœur pour créer une rivalité en découvrant la nudité de l'une avec celle de l'autre, de son vivant »6. Ici, le texte interdit de créer une rivalité entre proches, mais il limite cette rivalité aux sœurs. Dans son survol de l’inceste, le texte biblique semble vouloir

"couvrir" plusieurs thèmes : le retour à l'origine, l'écart des générations, la rivalité entre proches, l'impureté transitive (qui se transmet). Ce dernier thème étant illustré par l’interdit de coucher avec une femme qui a ses règles : car il y a une trace de sang, donc de vie qui s’interpose. Et il est interdit de verser le sang dans le rapport sexuel. C’est impur, donc in-ceste (non chaste).

Les pseudo-explications de cet interdit ne manquent pas.

Parfois elles posent que l’inceste met en relation deux « identiques » (identité de sang ou d’humeurs) et nous donne comme argument : nos sociétés répugnent à la mise en rapport de l’identique » ; car

« le court-circuit de l’identique est censé avoir des effets dévastateurs ». On ne voit pas l’explication.

Au mieux, ces propos sont un nouveau postulat auquel on ramènerait l’inceste ; pourquoi pas ? Mais cela ne couvre pas le champ incestuel dans la richesse de ses thèmes, tels que les déploie le passage biblique.

Pour Lévi-Strauss, l’interdit de l’inceste pousse à l’exogamie et « contribue à » instituer le social par

« l’échange des femmes ». Il retient donc un trait biblique (pas de retour charnel à l’origine).

L’interdit de l’inceste, comme tel, devient symbole du refus de se réduire à ce-qu’on-est et de revenir à son origine pour y jouir d’une jouissance adulte, une jouissance ultérieure, sexuelle, faite pour créer de l’avenir (créer des histoires d’amour et de nouvelles générations). La jouissance sexuelle est faite pour s’ouvrir un nouveau monde.

Au fond, cet interdit de l’inceste est appelé non seulement à être respecté, mais à être lui-même un symbole actif, un symbole de vie. Car son respect va de soi pour tout le monde ou presque ; là n’est pas l’essentiel. Pour toute loi, pas seulement pour celle-ci, c’est l’aspect symbole-actif qui est bénéfique, et non le simple énoncé. »

L’argument de Freud dans son Moïse s’offre le luxe inutile de montrer que l’inceste en soi n’a rien de spécialement terrible, mais c’est sans doute pour railler ceux qui voudraient fonder l’interdit sur le fait que ça révulse nos sentiments « naturels », ce qui est absurde. L’argument de Freud sur le fait que l’inceste n’est pas en soi monstrueux, est juste sur le plan réaliste mais faux sur le plan symbolique. C’est d’ailleurs par ce point de vue réaliste qu’il réfute toutes les croyances religieuses et qu’il passe à côté de la religion ; car les gens qui tiennent à certaines croyances, y tiennent, non pas pour leur contenu mais pour la valeur symbolique de la croyance elle-même, qui est un transfert d’amour collectif sur un objet, dont la force symbolique tient à ce transfert et non au contenu. J’ai développé cet argument dans mon livre Nom de Dieu (2002) au chapitre : Limites de Freud sur la question. Le même argument vaut pour l’interdit de l’inceste. Ce n’est pas parce que l’inceste comporterait en lui-même quelque chose d’horrible, et l’argument réaliste réfute très bien cette idée, c’est parce que son interdit a acquis une valeur symbolique, qu’on surinvestit ensuite, et sans doute après coup, par des réflexions sur l’interdit du retour à l’origine, ou comme le pose la Bible sur le

5 . Lévitique 18, 17.

6 . Lévitique 18, 18.

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principe d’altérité, lequel, sur le plan de la parole donnerait le principe dialectique : toute signification est sujette à discussion. C’est cette dimension symbolique qui compte, et pas le sentiment qu’on a d’être révulsé par l’inceste. Cette dimension est abstraite et universelle, non pas au sens réaliste où elle n’aurait pas d’exception, mais au sens symbolique où tout groupe humain peut avoir à s’y mesurer.

Aujourd’hui, des révolutionnaires veulent refonder les choses et arracher de telles croyances à leur origine irréaliste ou absurde ou pas vraiment universelle (puisqu’il y a des exceptions, encore l’argument réaliste). Leur démarche n’est pas gênante, on attend seulement de voir les fruits qu’elle produit, sachant que pour l’instant, ce n’est pas très convaincant et c’est souvent plein de sophismes. Par exemple : l’interdit de l’inceste n’est pas totalement universel, donc il ne relève pas de « la nécessité », donc il n’est pas nécessaire, donc il est superflu. En théorie, on pourrait voir les choses en terme d’entre-deux (un de mes concepts) : d’un côté il y a ceux qui observent l’interdit et de l’autre côté il y a ceux qui pratiquent l’inceste par coutume tribale, et entre les deux il y a ceux qui le pratiquent sous le signe de la faute, et ceux qui pratiquent l’interdit sous le signe du désir.

Autant l’inceste dans telle tribu où il a cours a sa valeur symbolique pour elle, autant sa prétention à en avoir dans nos cultures comporte l’accent commun débile-pervers.

Perversion

La posture perverse a pour symétrique la posture débile, et dans l’inceste, les deux se côtoient, s’entremêlent. Outre l’auto érotisme comme dans le viol, puisque le violeur se retrouve seul à jouir d’un objet inerte, on y trouve aussi des pères qui ne se voient pas chercher ailleurs quand la femme leur coupe le sexe et qui s’effondrent sur leur enfant. Fait divers : un couple frère-sœur vivant maritalement, paisible (« ça ne dérangeait personne ») se met en tête de demander au chef de l’État une dérogation pour… se marier ; pour inscrire ça dans une loi ; ici, débilité et perversion coïncident.

Ils pensent l’interdit de l’inceste comme une loi écrite, garantie par un chef d’État, qui peut donc faire une petite dérogation au nom d’un réel précis : l’entente d’un couple « exceptionnel ».

Quant à la jouissance proprement pédophile, elle rappelle le viol d'enfant, mais ici c’est dans le

« consentement » et la confiance : l'enfant croit en l'adulte qui le traque, qui le veut pour en jouir comme d'un objet ; comme d'une image de lui-même faite objet ravissant. Le pédophile aime cette confiance enfantine, qu'il écume et savoure. Si l'enfant est une fillette, elle croit en son père, elle l'aime dans le lien qui les lie, elle ne peut pas penser que ce lien est l'épice nécessaire au plaisir de cet homme. Du reste, s'il n'était que frustré sexuellement, pourquoi n'irait-il pas voir une pro ? C'est qu'il a le besoin impérieux d'agir avec sa fille son propre fantasme d'inceste avec sa mère, quand il était enfant, cet enfant qu'il est resté. Et dans le cas pédophile, il a besoin de « profaner » cette confiance de l’enfant.

Daniel Sibony

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Pour une inscription de l’interdit de l’inceste en amont de l’acte incestueux

Hier Eva Thomas écrivait Le viol du silence, Christine Angot publiait trois livres dont l’implacable Une semaine de vacances, pour décrire l’emprise de l’acte incestueux. Lydia Guardo témoignait avec Le silence des autres, que l’inceste peut être une violence « ordinaire ».

Aujourd’hui Camille Kouchner avec La Familia grande met la France des médias, des réseaux sociaux en émoi, en nous disant combien « l'inceste, ça fout en l'air la famille … ».

Et faudra-t-il demain un nouveau livre pour réveiller la conscience collective.

Relevons, que cet évènement littéraire, vient soulever rien de moins de ce qui est au cœur de la structuration psychique, le processus même de l’humanisation : l’interdit de l’inceste. Un interdit qui joue sa partie au sein de cette unité intime, fermée, celle de la famille. Un interdit qui signifie renoncer à la jouissance de l’Autre, pour laisser l’enfant devenir un être de parole, un être différencié, ouvrant ainsi les voies de l’altérité. Avec l’acte incestueux c’est cette altérité qui est entamée. Les relations de la parenté deviennent brouillées, menacées avec les conséquences, les ravages sur la sphère psychique, que les analystes, les professionnels de la justice, de la protection de l’enfance, de la santé mentale, de l’éducation connaissent si bien.

1. Dans ce sens, le gouvernement, sous la pression de diverses associations de défense des droits de l’enfant, a mis au travail cette question. Mais à peine certaines propositions sont-elles faites, comme celle d’Éric Dupond-Moretti en faveur d’un seuil d’âge de non-consentement fixé à18 ans pour l’inceste, que déjà les mises en garde contre le risque d’inconstitutionnalité se font jour, ou encore que des voix littéraires s’élèvent pour dénoncer la limite et le danger d’une telle loi.

La question de l’inceste se révèle difficile à traiter, uniquement avec les lois pénales nécessaires.

Pourquoi ? Balzac répondrait « l’histoire se fausse au moment même où elle se fait ». Qui irait réclamer aujourd’hui les têtes de Marguerite et Julien de Ravalet, ces « beaux Incestueux de Tourlaville », comme les nommait Barbey d'Aurevilly. Cette chronique normande passionnée, que démontre-t-elle : rien de moins que ce nous disait Freud, que le désir incestueux est présent pour chacun, attendu qu’il est à l’origine du désir. Gérard Pommier, dans son prochain livre Racine cubique du crime, incestes, avance que le désir incestueux est la cause du parricide œdipien, que la "causalité psychique de la criminalité jusqu’au bout" c'est

"l’angoisse de l’inceste". Sans la prise en compte de cette lecture clinique, traiter la question de l’inceste mènera une fois de plus à une impasse, laissant toute sa place au voile du refoulement. C’est pourquoi il y a matière et nécessité à ce que les psychanalystes, avec leur savoir de la cure, prennent place dans ce débat.

2. Cette question de l’inceste est difficile à traiter parce que la réponse donnée se situe uniquement dans l’après-coup de l’acte incestueux. Il y a assurément lieu de penser la mise en place d’actes de prévention en faveur de la limitation de la jouissance de l’Autre. Si Le fantasme de l’inceste, est à l’origine de tous les désirs, de l’accès au savoir, Dolto rappelait aussi que ce désir est dangereux quand il n’est pas mis en langage. Elle affirmait aux parents, il faut dire cet interdit, dire aux enfants que « c’est inscrit, et ça devrait être repris à l’école, dès la classe maternelle. ». Pourtant la réalité est là, ce tabou de l’interdit de l’inceste, ne trouve guère sa place dans le discours parental, ni d’ailleurs dans la sphère scolaire ou encore associative.

Marguerite et Julien

Peinture de Christèle Hervieu

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3. Cette question de l’inceste est délicate et complexe, car elle s’appuie sur une loi fondamentale de l'humanité, celle de l’interdit de l’inceste, une loi symbolique, non-écrite. Si le terme incestueux est présent, celui d’« inceste » est absent du vocabulaire juridique français. C’est une particularité de notre droit, celle de viser l’inceste mais de ne pas le nommer. Une position qui montre bien que l’inceste n’est pas une infraction sexuelle comme une autre. Avec un risque, celui que dénonçait la professeure de droit Annick Batteur en 2000, qu’à travers « cette Sagesse ou démission ? (…) transparaît la volonté non déclarée, mais ferme, que l’inceste consommé reste dans le secret des alcôves. ».

Ces questions, ces réserves, ces débats aigus ne sont pas seulement ceux de la justice, la réserve d’une inscription possible dans la loi est familière aussi du milieu analytique. Même si Freud, rappelons-le, pouvait écrire que l’on peut s’appuyer sur la loi lorsqu’il s’agit de réprimer ces motions naturelles de nature incestueuse, « forces de pulsion des névroses ultérieures ».

Au nom de tout cela il serait tentant de se tenir dans le silence de cette complexité, à l’abri de ce tumulte médiatique. Mais au regard de cette tragique « Familia grande » et bien d’autres, des attentes de notre société, des 5 à 10 % de français victimes de violences sexuelles, des 70 % de plaintes pour agressions sexuelles sur mineur classées sans suite, d’un Mazneff écrivant Vanessavirus, n’y a-t-il pas nécessité d’ouvrir des voies, pour ne pas taire cet interdit de l’inceste et même l’écrire pour qu’il prenne ou reprenne une haute valeur symbolique structurante.

L’inscrire, en prenant en compte sa complexité tant sur le plan psychique, que dans sa dimension symbolique, en le dégageant des limites de la loi pénale nécessaire, dans le chapeau des lois, celui de la constitution, voilà une voie que quelques-uns d’entre nous proposons au législateur.

Jean-Marie Fossey

Inceste quotidien et hypo-sexualité

Note de Gérard Pommier : Le texte de Laura Pigozzi qui suit est important car il met l’accent sur « l’inceste maternel », aussi ravageant que les autres formes d’inceste.

L’infantilisation quotidienne qu’on voit dans les familles est à double sens : les parents dorlotent leurs enfants, s’identifient à eux et demandent en retour à être choyés. Parmi les formes de relation humaine, l’identification est la plus primitive, mais elle n ’est pas adaptée à la relation entre parents et enfants qui devrait, elle, rester asymétrique. Consacrer toute sa vie à son enfant, sans même se concéder de distractions et autres plaisirs, peut rendre difficile d’accepter le fait qu’il s’agit là d’une opération sans réciprocité, sinon sous la forme limitée de soutien dans la vieillesse, car comme F. Dolto l’écrit, « on doit apprendre à l’enfant à ne rien devoir à ses parents sauf celui de les assister au cours de leur grande vieillesse comme les parents assistent les enfants dans leur première jeunesse ». Le droit au soin, propre à l’enfance et à la vieillesse, ne peut pas être attendu au plus fort de la jeunesse d’un enfant ou de la pleine maturité d’un parent.

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Sous couvert de soins, aujourd’hui plus qu’autrefois, un air incestueux peut souffler sans qu’il y ait un inceste réel : l’intrusion psychique compte comme abus. La civilisation post-œdipienne est celle qui transgresse le tabou de l’inceste mère-enfant et qui, à défaut de référence paternelle, s’auto- fragmente en s ’effondrant dans la bouillie collective de l’immaturité. Moustapha Safouan écrit : “Je soutiens la thèse que le complexe d’œdipe constitue en principe la colonne vertébrale de la fonction socialisante de la famille”. La civilisation post-œdipienne, privée de ses tabous fondateurs – par exemple celui « non écrit » selon lequel plutôt que l’enfant, c’est le père qui dort avec la mère – n’offre aucun soutien à la famille quant à une ouverture de l ’enfant à la socialité.

Un jeune japonais, un jour m’a dit : “avec la perte de la dignité du père, on a perdu la dignité de la famille”. Un enfant qui dort avec sa mère, ou qui passe beaucoup de temps entre ses bras, comme cela se passe dans la re-fœtalisation de l’hikikomori, a tout ce qu’il convoite mais perd le nécessaire, c’est-à-dire, le manque sur lequel se fonde la possibilité même de l’existence.

L’air incestueux, présent de manière diffuse dans de nombreuses familles contemporaines, favorise une hypo-sexualité parmi les adolescents. En effet, la sexualité hikikomori concerne aussi nombre de garçons qui ne sont pas hikikomori, c’est-à-dire qui ne vivent pas enfermés dans leur chambre, isolés du monde. Parmi les adolescents, on perçoit une vague méfiance à l’égard de l’amour et une forme diffuse d’inhibition du désir : une hypo-sexualité, une sexualité vécue sur un ton mineur ou pas du tout vécue dans la réalité, mais uniquement sur le web, alors que les corps adolescents devraient au contraire en incarner l’explosion. La chute tangible d’éros parmi les jeunes se lit aussi à travers la nette séparation qu’ils opèrent entre pulsion et amour : lorsqu’ils ont des rapports sexuels, ils ne veulent pas s’impliquer émotionnellement – « Je l’ai fait seulement pour voir comment c’était » - comme si le cadre de l’intimité érotique manquait de cette part de rêve et d’imaginaire : et pourtant sans ces envols d’espoir, seraient-ils voués à la désillusion, la vie s’appauvrit. Il est possible que cette faible implication découle du fait que le monde affectif de l’adolescent soit déjà saturé et séquestré par la fermeture familiale. Une enquête révèle que 40% des jeunes garçons japonais sont vierges. Il s’agit d’une frange de la population qui s’étend bien au-delà de l ’adolescence, ce qui laisse penser qu’une adolescence non épanouie pourrait le demeurer pendant longtemps.

L’inceste quotidien provoque une chute de l’intimité chez les jeunes. "L’intimité est recherchée mais nest pas nécessaire" dit une jeune fille de 17 ans en parlant d’elle et de ses paires aux prises avec ceux qu’on s’appelle "les premiers amours". A cette intimité vécue sur un ton mineur faite de contre- valeur spéculaire, d’un narcissisme exaspéré dans lequel les corps des adolescentes explosent dans la capitalisation des images en ligne. Je parle du site Onlyfans, un réseau social où une fille, ou un garçon, peut partager - seulement avec ses fans payants - du matériel photographique qui les dépeint. C’est une plate-forme très simple, également annoncée sur Instagram, où chaque personne suivie coûte à l’utilisateur un minimum de 10 $ pour les comptes non populaires. Les contenus inclus dans l’abonnement de base ont pour but d’inciter les fans à payer plus pour des vidéos de plus en plus personnalisées. Nous ne pouvons pas considérer ce phénomène comme une simple migration de la prostitution sur le web, puisqu’il concerne des étudiantes et des étudiants qui vivent à la maison et des jeunes qui n’ont pas la capitalisation de leur corps comme seule chance de survie.

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Il est possible que la moindre implication avec un sujet appartenant à la communauté des pairs dépende du fait que l’intimité de l’adolescent ait déjà été saturée, et dans certains cas saisis, par le plus maternel familial, de l’intimité domestique qui envahit les enfants aujourd ’hui. La virginité prolongée trop longtemps ou jetée pour s’en débarrasser sans attendre une relation faite d’intimité et d’échanges psychiques plus mûrs auxquels on ne se sent pas prêt, sont les variables d’un corps qui reste enfant, qui n’entre pas dans la vie, qui n’a développé aucune confiance dans le monde et qui, finalement, ne quitte la maison ni émotionnellement ni en pratique.

Une sorte d’anorexie de l’intimité contamine nos adolescents et les préserve de ce que toute intimité comporte : la perte.

Laura Pigozzi

Toujours l’inceste !

La prohibition de l’inceste, n’est pas une loi parmi d’autres mais La loi universelle de l’humanité permettant de poser l’interdit fondateur.

Pendant longtemps on a fait croire que l’inceste concernait les milieux populaires soi-disant alcoolisés ! Bien sûr, il n’en est rien, ce fléau perturbant l’ordre générationnel, traverse toutes les classes sociales, d’ailleurs il aura fallu que l’inceste soit révélé dans la sphère du pouvoir pour qu’on en parle au grand jour.

Aujourd’hui nous ne pouvons dire, comme le font certains, que l’affaiblissement de la fonction paternelle aurait pour conséquence le

« dérapage » dont il est question dans les témoignages : le père aurait perdu sa fonction symbolique, son autorité et passerait donc plus facilement à l’acte, une telle interprétation serait un appel au renforcement de l’ordre patriarcal ! Les abus incestueux sont commis de cette place inéquitable de toute puissance, incarnée par une figure d’autorité familiale. L’inceste passe par l’intimidation, le silence imposé, comme cet homme si apprécié qui disait à sa nièce, enfant : Si tu parles, je leur dirai, cette petite phrase ambiguë, l’a d’emblée fait basculer dans la peur, cette menace inverse la responsabilité ! L’enfant sentait confusément qu’elle vivait quelque chose d’interdit, c’est par une somatisation, suivie d’une hospitalisation, qu’elle a pu mettre fin à ces violences tant psychiques que corporelles.

La dénonciation de l’inceste ébranle le socle de notre société, c’est-à-dire la famille patriarcale, et les détenteurs de l’autorité. Cette famille, berceau de la domination qui s’exerce sur les femmes et les enfants, est le lieu clos de l’intimité où sévissent parfois les violences.

Si celui qui est censé transmettre la loi humanisante l’enfreint lui-même, ne faudrait-il pas que cette loi symbolique d’exception soit rappelée et inscrite en toutes lettres dans la Constitution ?

Aspasie Bali

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Séminaires des Membres

Séminaire de Jean-Jacques Tyszler

Séminaire de Gorana Bulat-Manenti

Le vendredi 19 mars à 14 heures, au CMPP de la MGEN à Paris, séminaire « du réel des Lieux et des Terrains », clinique de l'exil et de la demande d'asile, animé par

Ilaria Pirone, Carolina Porto, Aïcha Fisher, Daphné Cohen et Tyszler Jean-Jacques.

CMPP, Centre de santé de la MGEN, 178 rue de Vaugirard, 75015 Paris

Voir la vidéo sur le récit : https://vimeo.com/490678082

Espace Analytique le 16 mars 2021

L’acte analytique et ses conditions face aux dogmes et aux préjugés tenaces Depuis le début de sa création le féminin représente une source d'inspiration

inépuisable qui permet à la psychanalyse de se rafraichir et de se réinventer.

Cependant la récitation des dogmes, l’accrochage douteux aux silences arrogants, aux postures méprisantes et autoritaires persistent encore trop souvent, freinant son épanouissement en maintenant les impasses datant des

siècles révolus. Certains concepts et un nombre d’attitudes techniques et théoriques rigides sont élevées au rang de vérités éternelles. Les femmes, les

homosexuels, les enfants, les personnes âgées, les plus vulnérables parmi nous en souffrent toujours et encore.

Quelles sont les pulsions et les angoisses, les refoulements en jeu qui maintiennent une ambiance rétrograde ? De quoi pouvons-nous

nous autoriser à faire différemment ?

L’enseignement de Françoise Dolto peut-il nous guider dans cette recherche ? L’actualité brûlante des dénonciations de situations d’inceste ouvrent à la parole débridée, nouvelle, libérée dont les psychanalystes se doivent de tirer

des leçons et à la soutenir.

A partir des exemples de la clinique actuelle nous allons examiner les résultats et les problèmes, ouvrir le débat aux idées qui dynamisent et

apportent le renouveau à notre métier toujours à reconsidérer et à reconstruire à la lumière d’une nouvelle l’époque, celle qui nous appartient

avec ses apports si souvent occultés.

Le séminaire aura lieu par ZOOM à 21h : le 16 mars et le 18 mai.

Par ZOOM ( les codes seront annoncés en mars) 0681406172 gorana.manenti@icloud.com

0681406172

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Séminaire d’Orsola Barberis et Ahmed Bouhlal

Séminaire du Dr Horacio Manfredi

Séminaire d’Hélène Godefroy et Orsola Barberis

Nous partirons cette année du malaise que suscite la définition du suicide « meurtre de soi-même

», pour voir ce qui s’y joue véritablement et pour essayer de déterminer, dans cette joute infernale, la part du nom et la part du corps. Pour ce faire, nous allons nous appuyer sur la notion de place, puisque la scène suicidaire nous y invite. Dans le Réel, tout est présence et aucune absence n’y est possible. Toutefois, en s’appuyant sur Lacan, nous pouvons voir qu’il y a une exception. En effet, « il n’y a pas d’absence dans le réel. Il n’y a d’absence que si vous suggérez qu’il peut y avoir une présence là où il n’y en a pas ». Dans le symbolique, le garant de la présence étant l’absence, l’opposition de la présence et de l’absence suppose la possibilité d’un manque, manque qui relève de l’ordre symbolique. Dans le suicide, il se produit comme une collision entre la présence et l’absence dont le résultat est l’effacement de la place. Le suicide semble être le dernier acte d’un jeu qui a sans doute trop duré entre deux combattants, mais ces deux combattants sont en réalité le même.

Le 17 mars

Orsola Barberis 06 22 13 16 73 Ahmed Bouhlal 06 73 48 83 70

Les hallucinations

Jeudi 25 mars à 21heures par zoom Pour obtenir le lien écrire à : helene-godefroy@orange.fr

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Séminaire de Claire Gillie

Séminaire de Griselda Sarmiento

Séminaire de Laura Kait et Leandro Carmona

Jeudi 11 mars Espace analytique

"De l'Au-delà à l'Ailleurs". En ZOOM. Écrire à gillie.claire@gmail.com pour recevoir les identifiants.

Association Lacanienne Internationale Jeudi 25 Mars à 12h

Fondation de la Maison des Sciences de l’homme Avec la participation d’Olivier Courtemanche

« L’identification du sujet sur fond de Malaise dans la culture » Nous allons nous arrêter sur les leçons 10 et 11 du Séminaire

« L’identification ». Lacan avançait lentement sur son idée du Réel et du langage, pour élaborer en théorie ce que sa pratique lui enseignait : la naissance du Sujet à partir du trait unaire qu’il reprend du trait unique de

Freud, en le modifiant…

Le séminaire aura lieu par ZOOM

gricelda.sarmiento6@gmail.com tel 06 13 52 57 03

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Vient de paraître

LA PAROLE

Avec la participation de Gérard AMIEL, Patrick ANDERSON, Paul-Laurent ASSOUN, Marika

BERGES-BOUNES

Reprenons la question de la parole en psychanalyse, et pour deux raisons essentielles : nous assistons aujourd’hui à une dépréciation de la parole et de sa fonction. C’est à ce déclin que s’opposent les écrivains, les poètes, les artistes, les cinéastes… et les psychanalystes. La deuxième raison concerne le rôle majeur de la parole dans ce qui a été l’origine de l’invention de Freud à partir de la découverte de l’inconscient. Lacan, à la suite de Freud, a montré qu’une cure psychanalytique ne tient son efficacité que de la parole.

Depuis la fondation de la psychanalyse, il n’existe pas d’Inconscient formulable dans ses variations sans une doctrine de la parole qui est le Réel du langage et par conséquent de la cure. Lacan en marquait les enjeux : « Ne savons-nous pas qu’aux confins où la parole se démet commence le domaine de la violence et qu’elle y règne déjà même sans qu’on l’y provoque ? ». À travers l’expérience terrible de Frédéric von Hohenstaufen, on voit aussi qu’unenfant à qui on ne parle pas, meurt.

Enfin, peut-on intéresser un élève sans la parole ? Un transfert est- il possible par ordinateur ? Comment transmettre un savoir sans ce que la parole ouvre dans un transfert, une trouvaille inconsciente qui n’existe dans son efficience que dans un rapport à l’Autre ? C’est ce qui nous amène à repenser la place de la parole aujourd’hui, dans notre culture, et particulièrement dans notre pratique analytique.

A la recherche de l’autre temps

Préface de Alain Connes

Daniel Sibony : Le temps : quoi de plus familier ? quoi de plus insaisissable ?

Daniel Sibony en donne dans ce livre des aperçus pénétrants. Il est question du temps complexe et rationalisé de la physique ou de la métaphysique, abordées sans lourdeur, mais non sans payer son tribut au mystère.

Il est question aussi du temps de la mémoire et de la nostalgie, cet « effort pour remonter le désir épuisé vers les lieux d’autrefois où il était plein de lui-même ; comme des poissons remontent le flux vers des lieux où se reproduire ».

Au fil des pages, Daniel Sibony dit la place qu’occupe le temps dans nos vies : chacun est concerné, entre le désir de « prendre son temps », la crainte d’être « pris » par le temps et l’angoisse de vieillir.

Le propos est riche des multiples ressources de l’auteur : mathématicien, physicien, théologien, psychanalyste exposant des cas très parlants. Avec un art consommé du verbe, il exploite en virtuose la façon propre qu’a le langage d’ensemencer et d’éclairer la réflexion.

Rien d’étonnant si, dans sa préface, le grand mathématicien Alain Connes invite à lui prêter « la plus grande attention ».

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« J’ai appris avec le temps que le processus analytique en tant que tel était si efficace qu’il ne devait pas être impossible de l’aménager à mesure de celui qui traverse une mauvaise passe, lui proposant par exemple des séances plus longues, plus fréquentes et, pourquoi pas, dans les moments de crise, d’une journée entière. » Christopher Bollas Réunissant une quinzaine de contributions de psychanalystes de nombreux pays et différents courants, Psychanalyse et vie covidienne propose une première approche de la façon dont la pandémie de Covid-19 pourrait infléchir la pratique psychanalytique.

Des changements imposés au cadre (séances en ligne), jusqu’à la prise en compte du trauma de l’isolement et du… Réunissant une quinzaine de contributions de psychanalystes de nombreux pays et différents courants, Psychanalyse et vie covidienne propose une première approche de la façon dont la pandémie de Covid-19 pourrait infléchir la pratique psychanalytique. Des changements imposés au cadre (séances en ligne), jusqu’à la prise en compte du trauma de l’isolement et du… Ana de Staal est psychanalyste, membre de la Société de psychanalyse freudienne (SPF), traductrice et éditrice. Elle est co- fondatrice des Éditions d’Ithaque, et a traduit et publié en français certains des grands auteurs de la psychanalyse contemporaine tels qu’André Green, Christopher Bollas, Thomas Ogden et Antonino Ferro.

Howard Levineest pychanalyste superviseur à l’Institut de psychanalyse du Massachusetts et professeur à l’Institut psychanalytique de la Nouvelle- Angleterre, EUA. Il a publié en français Transformations de l’irreprésentable, théories contemporaines de la cure

(Ithaque, 2019).

Psychanalyse et vie covidienne Détresse collective, expérience individuelle Sous la direction d'Ana de Staal & Howard Levine Avec les contributions de Christopher Bollas, Patricia Cardoso de

Mello, Bernard Chervet, Joshua Durban,

Antonino Ferro, Serge Frisch, Steven Jaron, Daniel Kupermann, Howard Levine, François Lévy, Riccardo Lombardi, Elias et Alberto Rocha Barros, Ana de Staal, Jean-Jacques Tyszler

Editions Ithaque

La clínica del amor Informes con Sebastian Gutiérrez.

Fragmento de la Introducción por Cristina Jarque: "Este libro tiene como objetivo plantear los problemas actuales de la clínica psicoanalítica.

Todos sabemos que, en gran medida, los sujetos que acuden al psicoanalista tienen el deseo de solucionar sus sufrimientos amorosos.

¿Con qué nos encontramos, hoy en día, en nuestros consultorios? En España, podemos observar que, sobre todo, en la clínica de mujeres, la

pasión amorosa se cobra varias vidas y además, es responsable de sufrimientos y angustias que en ocasiones traen como consecuencia numerosos intentos de suicidio. Son cifras escalofriantes (mayores que

los feminicidios e incluso que los accidentes de tráfico) las que se contabilizadas en España, cada año. Por eso es importante puntuar que

el amor no es lo mismo que la pasión amorosa, ni tampoco es lo mismo que el deseo sexual. El amor apunta al ser, pero no es devastación ni

estrago. Cuando una mujer usa el amor para negar la castración, se coloca en una posición de una vulnerabilidad escalofriante, como lo llegó a comentar Lacan en Televisión (1973), ya que esa mujer está dispuesta a darlo todo por el amor de ese hombre y esa dependencia la

conduce a los peores estragos imaginables.

Este libro nace como resultado de un trabajo que se realizó en un Congreso internacional organizado por el equipo de LaTE y que titulamos La Clínica del Amor. Varios psicoanalistas de varias ciudades

de América y Europa nos dimos cita para hablar de este tema siempre actual, porque el amor, es la base de nuestra práctica."

Nuestro agradecimiento a todos los que lo han hecho posible.

Sous la direction de Cristina Jarque

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La révolution a eu lieu…

Marie-Jean Sauret Aux éditions Le Retrait

Ne devrions-nous pas situer le lieu géographique de la révolution, dans cet écart qui n’est finalement pas différent de celui constitué par l’inadéquation des mots et des choses où le sujet divisé joue, lui, de sa subversion ? C’est dans cet écart, en effet, que peut naître et vivre le sujet divisé, la démocratie, la politique et la révolution.

125 X 210 - 210 pages - 15€

frontispice original de Bernadette Lemouzy ISBN 978-2-492070-06-8

L’adolescence en veut ! Michel Heinis Aux éditions érès

Partant de la rencontre entre jeunesse et délinquance, appuyé sur la longue expérience de l’auteur dans le champ du social, de l’éducation et de la justice, ce livre veut éclairer les contours des questions en jeu pour chaque adolescent toujours susceptible de transgresser.

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Revue Trauma, Barcelone

Textes

L’entre-deux sexuel, les trans et la loi du genre

Daniel Sibony

La différence sexuelle n’est pas binaire même si elle est vécue comme telle par certains. Ce qui est pour eux une ligne tranchée qui fait frontière est une fente qui ouvre sur un grand espace, un entre- deux (voir mon livre éponyme), c’est un entre-deux sexuel permettant d’accueillir toutes sortes de jeux et de variantes entre masculin et féminin, deux termes qui sont sans doute des cas-limites, des pôles extrêmes, idéaux et inatteignables. (Être totalement femme, ce serait quoi ? Être une femme totale ? Idem pour l’homme). Parmi ces formes que la technique rend accessibles, il y a des filles qui veulent devenir garçon ou des garçons efféminés qui se sentent plutôt filles ou des adultes qui veulent être les deux à la fois. Que ces possibilités, offertes par la technique ou produites spontanément sans aide technique, prennent pour certains un caractère inouï, transcendant ou ontologique, qu’ils en fassent quelque chose, et si cela nous apporte du nouveau pourquoi pas ? Pour l’instant, des films émouvants ou éprouvants font réfléchir, des faits divers aussi, comme cette femme « devenue » homme qui accouche avec sa barbe et surtout son utérus qu’elle a gardé ; des témoignages aussi, comme celui de B. Preciado qui exprime la jouissance d’un va-et-vient entre féminin et masculin que permet aux filles la testostérone, qui les fait paraître homme puis redevenir

Comité de redaccion : Graziella Baravalle, Marcelo Edwards Pecoraro y Rosa Navarro

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femme avant de repasser homme, et pour qui cette expérience contient le nec plus ultra sur le désir humain, ce dont nous attendons avidement des preuves plus précises. Son texte (Je suis un monstre qui vous parle) s’adresse à des psys lacaniens et leur donne une correction bien méritée puisque pour eux, les trans étaient des psychotiques. En filigrane, s’y exalte aussi la liberté de créer soi-même son corps. Nous verrons bien si et comment le message va passer, sachant que par ailleurs, des industries entières retapent le corps pour en tirer le maximum de plaisir sexuel, visuel ou performant.

Quant au fond, il n’est pas sûr que le sexe « assigné » à la naissance soit seulement le sexe biologique, car au moment où celui-ci est constaté l’enfant est déjà symboliquement et culturellement sexué, et même politiquement ; tous ces aspects sont convoqués dès la naissance et même avant. En tout cas, quand des jeunes veulent changer de sexe, on peut comprendre que l’entourage, la société l’institution les camarades expriment des résistances ; ils sont devant quelque chose qui ne va pas de soi pour eux, mais le plus remarquable est que cette résistance ne met pas si longtemps à s’estomper, les gens finissent par « intégrer », et deviennent tout sauf hostiles. Mais les effets de groupe sont inévitables ; on ne peut pas d’un seul coup reformater l’entourage et faire taire les surprises, les gênes, les consentements appuyés. En outre, les gens ont autre chose à faire - même les élèves en cours de récré -, qu’à harceler un jeune en transition. Ce sera donc absorbé par la technique médicale, juridique, éducative ou par la simple habitude comme l’a été le mariage gay ou l’ouverture de l’AMP qui n’est pas encore votée mais qui le sera.

On en a fait en milieu psy une polémique et on s’emballe beaucoup là-dessus comme pour ne pas s’atteler à des taches moins gratifiantes et plus réelles touchant la psychanalyse, de quoi la renouveler et l’enrichir d’apports nouveaux qui notamment dépasseraient la polémique avec les sciences cognitives.

Pour le public, l’apport des trans, aussi intéressant soit-il, concerne surtout les trans ; le public ne voit pas trop quoi en tirer. En revanche, certains pervers sont branchés dessus et ils aiment rendre visite (assidue et payante) à ce qu’ils appellent des « créatures », qui ont un air très féminin et un pénis conséquent : ils peuvent alors voir incarné le fantasme de leur mère, celui d’avoir les deux sexes ; ils peuvent ainsi se faire prendre dans un inceste transformé, et célébrer cette partie de leur destin que leur mère a scellée ; le résultat est souvent déprimant mais la demande est compulsive.

Autrement, allez dire à une femme capturée par sa tradition qu’elle doit réinventer son corps, qu’elle peut le dégager de l’emprise binaire et machiste, et vous verrez ce qu’elle répondra sur son plaisir sacrifié. Du reste, l’affirmation par les femmes de leur plaisir spécifique n’est pas à mettre au compte des trans, elle appartient à toutes, même si certains veulent transporter dans le même convoi tous les mécontentements.

Et la question : « devons-nous payer pour faire genre comme nous l’entendons ? » appartient à tous, ainsi que sa réponse positive. Oui, pour faire genre comme pour faire n’importe quoi, on paye si on empiète sur la jouissance de certains qui ont du pouvoir, à moins qu’on ne puisse tromper leur vigilance, jusqu’à la prochaine rencontre de gens qui ont du pouvoir, dont la jouissance sera gênée.

Si vous faites genre intello profond face à d’autres qui ont du pouvoir et qui sont donc sûrs de valoir mieux, il vous faudra payer.

Paul B. Preciado

Références

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chambre (f) = rum; valise (f) = resväska; sac (m) = väska; clé (f) = nyckel; stylo (m) = bläckpenna; crayon (m) = blyertspenna; poche (f) = ficka, trousse (f) = pennfodral;