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Mais c est qu il se moque de moi! dit l homme. Voyez, ma tante, il vient encore de m appeler «monsieur

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Academic year: 2022

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Chapitre 1

E

h bien, eh bien, voilà enfin nos deux petits sauva‑

geons ! Toujours vêtus comme des mendiants et bronzés comme des gitans ! Et en retard, de surcroît !

Bien qu’encore ébloui par la clarté du jour, Alphonse a tout de suite identifié Gertrude Mondevert à sa petite voix aiguë et irritante. Dans la pénombre de la vaste salle à manger, il distingue la silhouette trapue de la vieille fille, à la gauche de sa grand‑mère. De l’autre côté de l’immense table en bois sombre se tient un homme aux moustaches bien cirées, vêtu d’une redingote boutonnée malgré la chaleur du mois d’août : c’est Gustave, le frère de Gertrude.

Quoi qu’en dise Gertrude, Alphonse n’a pourtant pas l’impression d’être si mal habillé. D’accord, il porte encore son paletot de grosse toile et une culotte rapiécée, mais il a quand même mis ses plus beaux souliers. La critique ne vise‑t‑elle pas plutôt Léontine, sa jeune sœur ? Celle‑ci, en effet, a les cheveux tout emmêlés, et sa belle robe à fleurs est déchirée en plusieurs endroits…

Sans se laisser démonter, le garçon rajuste le bandeau noir qui couvre son œil droit, prend la main de sa sœur et s’avance crânement.

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– Veuillez nous excuser, Bonne‑Maman, dit‑il en s’adressant à la maîtresse de maison, une vieille dame distinguée, aux cheveux d’un blanc neigeux et aux yeux très bleus.

– Nous étions encore au ruisseau quand nous avons entendu la cloche du déjeuner. La mule ne voulait plus bouger, et Alphonse a été obligé de lui dire des gros mots en patois pour la faire avancer, explique la fillette.

– C’est bon, Léontine, dit la grand‑mère d’un ton ferme, mais sans élever la voix. Nos voisins Mondevert nous font la surprise de s’inviter à notre table. Venez donc les saluer…

Alphonse échange un regard rapide avec sa grand‑

mère : malgré son ton courtois, il a bien vu que cette visite impromptue ne lui était pas agréable. Sans enthou‑

siasme, il s’avance vers les visiteurs.

– Bonjour, monsieur. Bonjour, mademoiselle.

– Allons, allons, les enfants ! Pas de ça entre nous, lance Mondevert, faussement jovial. Vous pouvez nous appeler « oncle Gustave » et « tante Gertrude ».

– Oui, monsieur, lui répond Alphonse, impertur‑

bable.

– Mais c’est qu’il se moque de moi ! dit l’homme.

Voyez, ma tante, il vient encore de m’appeler « mon‑

sieur » !

– Gustave, intervient la vieille dame d’une voix tou‑

jours égale, ce n’est pas parce que vous avez jadis épousé

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ma pauvre nièce –  Dieu ait son âme  – que vous devez nécessairement considérer ces enfants comme vos neveux. Quant à moi, je préfère que vous m’appeliez

« madame de Treyssigne », comme vous l’avez toujours fait, plutôt que « ma tante ».

L’homme sourit d’un air crispé, puis répond d’un ton doucereux :

– Nous sommes quand même votre plus proche famille. Le jour venu, il faudra bien que quelqu’un s’occupe de ces deux orphelins, vous ne croyez pas ?

– Orphelins ? réagit vivement Léontine. Mais c’est quand on a des parents qui sont morts qu’on est orphelin.

Papa n’est pas mort : il est en Guyane ! Et Maman est allée le chercher.

– Écoute, ma petite fille, siffle Mondevert, je ne sais pas ce que te raconte ta grand‑mère, mais ton père n’a pas donné de ses nouvelles depuis plus de deux ans.

Quant à ta mère, elle est partie depuis quatre mois déjà, et on ne sait pas ce qu’elle est devenue. D’ailleurs…

– Il suffit, Gustave ! le coupe Mme de Treyssigne. Ma fille va bien, soyez‑en sûr !

– Nous reparlerons de cela en tête‑à‑tête au moment du café, ma tante, insiste Mondevert en articulant bien les deux derniers mots. Si vous le voulez bien…

À cet instant, Mélanie, la cuisinière et femme de chambre du château, fait son entrée pour servir les

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crudités et tente de détendre l’atmosphère par quelques mots aimables. Mais Gertrude Mondevert, qui n’a pas quitté les enfants des yeux, les assaille de réprimandes :

– Léontine, la politesse exige qu’on ne se mette à manger qu’après la maîtresse de maison. On ne te l’a pas appris ? Et toi, Alphonse, peux‑tu m’expliquer pourquoi tu gardes tes mains sous la table ?

Sans dire un mot, l’intéressé sort de leur cachette les mains qu’il avait pris soin de dissimuler, et les pose bien à plat sur la table. Elles sont aussi crasseuses l’une que l’autre, tachées d’encre bleue et couvertes d’une pous‑

sière noirâtre. Léontine, la fourchette immobilisée devant la bouche, semble hypnotisée par le contraste saisissant qu’elles forment avec la nappe de lin blanc, finement brodée et soigneusement repassée.

Alphonse rougit. Il se sent bien un peu coupable d’avoir oublié de se laver les mains, mais il est surtout embêté pour sa grand‑mère, car il sait que c’est elle que visent les Mondevert avec leurs critiques. Gertrude, à coup sûr, va en profiter pour l’accabler de reproches sur sa façon d’élever les enfants.

Mélanie, qui a suivi toute la scène, a du mal à contenir son hilarité. En l’entendant glousser, Léontine part aus‑

sitôt d’un fou rire incontrôlable, bientôt imitée par son frère. Mme  de Treyssigne garde son sérieux, mais on

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voit bien qu’elle en aurait fait autant si la bienséance ne l’en avait empêchée.

– Je ne vois pas ce qu’une telle saleté peut avoir d’amusant, grince Gertrude, un peu désemparée. Je n’ai jamais rien vu d’aussi… repoussant.

En transformant la scène en épisode comique, Mélanie lui a coupé l’herbe sous le pied, et la vieille fille a ravalé toutes les remarques désagréables qu’elle s’apprêtait à lancer.

– Vous avez raison, glisse la grand‑mère en souriant.

C’est une sorte de record que mon petit‑fils vient de battre là. Allez, Alphonse, file te laver les mains ! Et ne reviens que quand elles seront aussi propres que cette nappe.

Lorsque le garçon est de retour, l’incident semble clos.

Gertrude est tout entière accaparée par son assiette, rem‑

plie à ras bord de la délicieuse cuisine de Mélanie. Quant à Gustave, il s’est lancé dans une longue description de ses derniers voyages d’affaires et de ses rencontres avec des gens importants.

– Quel raseur ! souffle Léontine à l’oreille de son frère. Pauvre Bonne‑Maman, elle se retient de bâiller…

– En plus, je te parie qu’il en invente les trois quarts…

Alphonse écoute distraitement le monologue de Mondevert, quand un changement de ton lui fait tendre l’oreille.

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– … Et, comme il passe quelques jours chez nous, je me suis permis de l’inviter à venir tout à l’heure pour visiter votre remarquable demeure.

– Vous avez invité qui ? l’interrompt la grand‑mère, alarmée, elle aussi, par cette dernière phrase.

– Le docteur Paturon, de la Faculté. Il était impen‑

sable qu’il séjourne dans notre beau pays sans venir admirer le château de Treyssigne.

– Vous auriez quand même pu me prévenir, Gustave.

– C’est un homme très intéressant, il ne vous ennuiera pas. Il vient juste pour le café.

Quelques instants plus tard, quand ils entrent au salon, l’homme est déjà là et se lève en sursaut du fau‑

teuil dans lequel il était assis.

– Voici le docteur Paturon, dont je vous ai parlé tout à l’heure, lance Mondevert, toujours jovial.

– Enchantée, répond la maîtresse de maison d’une voix glaciale.

Le docteur tente un baisemain maladroit, puis essaye de se rattraper par un compliment plus gauche encore :

– Madame, on m’avait vanté votre beauté, mais j’avoue qu’on était au‑dessous de la vérité. Vous avez dû faire tourner bien des têtes, dans les bals du Second Empire…

– Est‑ce une façon de me faire remarquer mes soixante‑dix ans ? lui répond Mme de Treyssigne du tac au tac.

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– P… pas du tout, marmonne Paturon en rougissant.

Je…

– Ma tante, l’interrompt Gustave, je souhaiterais maintenant aborder avec vous des questions plus déli‑

cates. Peut‑être serait‑il préférable que…

D’un mouvement de tête, il désigne les enfants ; Alphonse comprend qu’on va leur demander de sortir.

– Allez, les enfants, c’est l’heure des grandes per‑

sonnes.

– Oh, juste un sucre dans votre café, Bonne‑Maman, implore Léontine.

– D’accord. Mais, après ça, tu files.

La fillette, en réalité, est trop contente de quitter le salon. Mais, avant de refermer la porte, elle tire discrè‑

tement la langue à Gertrude Mondevert. Dans le couloir, elle rattrape Alphonse, qui semble absorbé dans la contemplation d’un des portraits accrochés au mur.

– Tu as vu la tête de la grosse Gertrude quand je lui ai tiré la langue ? J’ai cru qu’elle allait s’étrangler. C’était trop drôle.

Comme son frère ne paraît pas l’entendre, elle s’in‑

quiète :

– Qu’est‑ce qui t’arrive ? Tu as l’air bizarre.

– C’est injuste, on nous chasse pile au moment où les choses deviennent intéressantes.

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– Tu trouves ? Moi, les histoires de Gustave me font bâiller, comme Bonne‑Maman.

– Il a peut‑être des nouvelles de Maman. Et ce docteur, il a l’air bizarre.

– Ah bon ? Je n’ai rien remarqué. Allez, viens, Fonfonse : Fernand a promis de nous emmener dans sa charrette chercher du foin pour les lapins.

– Arrête de m’appeler Fonfonse, et zut pour les lapins ! Il faut que je me débrouille pour entendre la suite de cette conversation.

– Eh bien, si c’est ce que tu veux, je te laisse, alors.

Sans plus se préoccuper de son frère, elle court réveiller le pauvre Fernand, l’homme à tout faire du château et le mari de Mélanie, qui n’a pas terminé sa sieste. Pendant ce temps, Alphonse longe discrètement la façade du château et vient s’accroupir au‑dessous de l’une des fenêtres ouvertes du salon, le nez dans la vigne vierge qui recouvre la façade. Il reconnaît aussitôt la voix de Mondevert :

– … J’ai reçu la semaine dernière un mot de M.  Guidon. C’est un ami proche, et il devrait bientôt être élu député de Guyane. Quand votre gendre Vaublanc a disparu, je lui en avais parlé. Il m’avait transmis quelques informations qui montraient qu’en huit années passées là‑bas, Vaublanc s’était forgé une bien médiocre réputation… Marie a préféré se rendre elle‑même sur

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place. Je reconnais bien là son caractère impulsif et irréfléchi qui lui fait si souvent prendre des décisions regrettables. Passons… Dès que M.  Guidon a su que votre fille était arrivée à Cayenne, il lui a immédiate‑

ment proposé ses services…

Alphonse se fait plus attentif : c’est la première fois qu’il entend parler de sa mère depuis qu’elle est en Guyane, à la recherche de son mari.

– … Il faut vous dire que la situation de Marie n’était pas brillante. Elle n’avait plus ni bagages ni argent. À ce qu’a compris mon ami, elle n’avait même pas pu vous écrire. Touché par sa détresse, il lui a proposé de l’aider financièrement et de lui avancer l’argent du retour. Mais vous connaissez Marie : elle préfère persévérer dans ses erreurs plutôt que d’avouer s’être trompée. Elle a dégotté, je ne sais trop comment, un guide indigène un peu dou‑

teux, puis elle a quitté Cayenne pour s’enfoncer dans les terres hostiles. Depuis, on est sans nouvelles d’elle, et M. Guidon craint le pire.

– Ma fille est vivante, Gustave, intervient alors Mme de Treyssigne. Je le sais.

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ouverture : Julien Castanié.

13,90

978-2-210-96372-6

Alphonse et sa sœur Léontine vivent avec leur grand- mère au château de Treyssigne en attendant le retour de leur mère, partie chercher leur père disparu. Mais les Mondevert, de lointains cousins par alliance, rêvent de devenir les tuteurs des enfants pour récupérer le château familial. Heureusement, Pierre de Lompret, parrain fantasque d’Alphonse, propose de l’accueillir avec sa sœur chez lui, à Paris.

Très vite, Alphonse et Léontine ont l’impression que l’hôtel particulier de Pierre est le théâtre d’activités secrètes.

Et bientôt, leur voisin, le jeune duc de Schlesburg, est retrouvé mort... Le parrain d’Alphonse est alors accusé d’assassinat, puis arrêté. Tandis que les Mondevert se frottent les mains, Alphonse va tout faire pour innocenter son parrain. L’aventure ne fait que commencer !

Le premier tome d’une formidable trilogie d’aventures, dans la veine des Arsène Lupin, avec tous les ingrédients

des grands romans policiers !

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