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Un problème de politique forestière au Maroc : la restauration du bassin de l Oued Agaï

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Un problème de politique forestière au Maroc : la restauration du bassin de l’Oued Agaï

Jean Souloumiac

To cite this version:

Jean Souloumiac. Un problème de politique forestière au Maroc : la restauration du bassin de l’Oued Agaï. Revue forestière française, AgroParisTech, 1952, pp.262-279. �10.4267/2042/28050�.

�hal-03380132�

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2Ó2 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE

Un problème de politique forestière au Maroc : LA RESTAURATION

DU BASSIN DE L'OUED AGAI (Région de Fès)

Indice bibliographique : F 96.5: 38.8 (64)

Le mot politique qui, étymologiquement, définit les différentes formes possibles de gouvernement, a vu son acception s'étendre au fur et à mesure que l'action gouvernementale s'intéressait à des activités qui étaient jusque-là du domaine des particuliers ; et c'est ainsi qu'après une politique étrangère, une politique financière, apanages exclusifs du souverain, se sont introduits dans la langue

« la politique économique » et ses diverses filiales, parmi lesquelles

« la politique forestière ». Sans doute, la chose existait avant le terme et peut-on parler d'une politique forestière de COLBERT. Mais il n'en reste pas moins que c'est avec l'ingérence de plus en plus grande de l'Etat dans les entreprises de ses administrés que l'asso- ciation du mot politique et d'un qualificatif s'est largement ré- pandue.

Si l'on en juge par la place que la Revue des Eaux et Forêts, et la Revue forestière après elle, ont consacrée aux questions de politique forestière, il ne semble pas toutefois, au moins à l'éche- lon exécutant, sinon à l'échelon direction, que ces questions cons- tituent une des préoccupations essentielles du forestier — je parle

*ei du forestier français et, plus exactement, du forestier métro- politain — ; elles ne font pas partie de sa besogne courante et, sauf dans quelques cas particuliers, il n'apparaît pas qu'elles inter- fèrent avec la sylviculture ou la gestion du domaine boisé qui peu- vent ainsi s'exercer en toute latitude et sans arrière-pensée extra- technique.

Il n'en a pas toujours été ainsi et, sans remonter à BALZAC et ses (( Paysans », il n'est que de lire les études consacrées par la Revue à l'histoire de certaines forêts ou à l'installation des pre- miers périmètres de restauration des montagnes, pour constater que toutes les fois que, dans le passé, le forestier a voulu s'opposer aux errements traditionnellement anarchiques des populations, il a dû fai- re face à ce que l'on est convenu d'appeler des difficultés politiques et été amené, si l'on me permet· cette image, à mêler l'eau du compro-

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LA RESTAURATION DU BASSIN DE L'OUED AGAl 2 6 3

mis au vin de la technique pure. Telle est la rançon d'une disci- pline qui œuvre pour l'avenir dans un milieu humain essentielle- ment attaché à l'actuel.

Or, ces difficultés qui en France demeurent maintenant l'excep- tion dans les rapports entre forestiers et populations évoluées, c'est à chaque instant que s'y heurtent ceux qui, comme l'auteur de cet article, sont en service dans les Territoires d'Outre-Mer. Les rai- sons de cet état de choses, M. LAVAUDEN les a âprement, mais soli- dement exposées, dans son opuscule « Le problème forestier colo- nial » (1931). Je n'y reviendrai pas, tout en soulignant cependant que ce qui était vrai à Madagascar ou en Indochine conserve toute sa valeur en Afrique du Nord et particulièrement au Maroc, der- nier volet du tryptique, ainsi que n'a pas manqué de le signaler M. BOUDY, dans son ouvrage monumental « Economie forestière Nord-Africaine », analysé récemment dans les colonnes de la Revue forestière. C'est également la remarque qu'a cru devoir faire « in limine » M. le Conservateur CHALLOT dans son rapport sur le Pro- blème de la Défense et de la Restauration des sols au Maroc (voir Revue forestière : Mars 1950) lorsqu'il écrivait : « Il ne faut pas oublier que la politique a toujours dominé l'économique et le tech- nique ». Il ne faut pas l'oublier certes et la vie quotidienne se char- gerait de rappeler, s'il en était besoin, cet axiome aux forestiers marocains. Ce n'est donc pas pour eux mais pour leurs camarades métropolitains, qui pour la plupart risquent de la méconnaître que j'ai voulu, à l'occasion d'un cas concret, évoquer l'atmosphère bien particulière dans laquelle les agents du Service forestier du Protec- torat doivent œuvrer pour mener à bien la tâche qui leur a été confiée.

* ,* *

Il est vraisemblable que les quelques entrefilets consacrés, vers la fin du mois de septembre 1950, par la presse française aux inon- dations dont avait souffert la Région de Fes n'ont point retenu l'attention de beaucoup de lecteurs ; pourtant la vieille capitale mé- rinide, si riche en souvenirs, avec sa structure médiévale encore vivante en plein xxe siècle, fut à deux doigts de sa perte et ne dut d'échapper à la catastrophe qu'à un remblai providentiel. Il n'en fut malheureusement pas ainsi ailleurs et le petit centre de Sefrou, notamment, situé à quelque 30 kilomètres plus au Sud, eut lour- dement à pâtir du cataclysme: dans la nuit du dimanche 24 au lundi 25 septembre, lOtjed Agaî, qui traverse en son milieu la vieille ville et qui se présente ordinairement comme un inoffensif ruisseau aux eaux vives, soudain gonflé d'une énorme masse d'eau, de terre et de rochers, détruisit sur son passage, en quelques ins- tants, les maisons 'accrochées à ses pentes. Plus de cent victimes, soit noyées et entraînées par le flot, soit écrasées sous la chute

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des habitations, furent finalement dénombrées. Les dégâts maté- riels furent évalués à 500 millions de francs. Comme récrivait le quotidien local : « Les éléments déchaînés ont causé un véritable

« désastre. On ne peut, poursuit-il, avoir visité Sefrou hier sans

« conserver dans son souvenir le spectacle de ces centaines de Mu- (( sulmans et d'Israélites, hébétés et muets, comme frappés par un

« mal inhumain, réunis en un point où se poursuivent les recher-

« ches, rassemblés auprès de leurs boutiques ravagées, de leurs

« stocks détruits et dispersés, »

Etait-ce la première fois que l'attention du public était ainsi atti- rée sur la ville de Sefrou? Etait-ce le premier désastre dont cette cité avait eu à souffrir du fait d'être traversée par l'Oued Agaï?

Non certes, et déjà, en juin 1945 et en septembre 1949, ce cours d'eau s'était brutalement gonflé et avait fait subir aux immeubles riverains des dégâts importants. Ce qui a rendu plus dramatiques les inondations de septembre 1950, c'est le nombre élevé des vic- times, alors que les précédentes avaient, par un hasard quasi-mira- culeux, épargné les vies humaines. Sans doute, il faut imputer la violence du dernier phénomène à la hauteur d'eau extraordinaire enregistrée : 108 millimètres en 4 heures (contre 56 mm en 24 heu- res en 1949) mais il faut y voir aussi les résultats d'errements antérieurs, dont les conséquences néfastes, s'il n'y est remédié, ne peuvent aller qu'en augmentant : alors que des crues comme celles des 17 et 25 juin 1945 n'avaient pas été observées depuis 20 ans, en 5 ans, c'est par trois fois que les inondations de l'Oued Agaï ont ravagé la ville.

Avant d'examiner dans quelles conditions les services techni- ques, alertés dès 1945, avaient étudié le problème qui leur était posé, il nous paraît nécessaire de situer rapidement dans le paysage marocain la victime de ces cataclysmes successifs : Sefrou.

Située, comme nous l'avons dit, à 3Q kilomètres au sud de Fes, la ville de Sefrou qui compte environ 20.000 habitants (dont 60 % de Musulmans, 30 % d'Israélites et 600 Européens) est double- ment placée dans une zone de transition : géographiquement, d'a- bord, elle se trouve au pied du causse secondaire moyen-atlantique dont les argiles décalcifiées, accumulées au cours des siècles, fer- tiles et profondes, portent ce que l'on nomme l'oasis de Sefrou, riches jardins où poussent vigoureusement noyers, micocouliers, oli- viers et cerisiers; ethniquement ensuite, puisque Sefrou est en con- tact au Sud, à l'Est et à l'Ouest avec le groupe berbère des Ait Youssi ou d'origine berbère des Beni-Yazhra, au Nord, avec la tribu arabe des Bahlouliyn dont le centre, le pittoresque petit vil- lage d'El-Bahlil, est accroché aux deux flancs d'un ravin à 6 km environ de Sefrou.

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LA RESTAURATION DU BASSIN DE i / o U E D AGAÏ 2 6 5 Il est à noter que ce village eut à subir également une inondation qui causa d'importants dégâts matériels, le ravin en question, ordinairement à sec, ayant collecté brutalement les eaux d'un bassin de réception de 2 à 300 ha.

Sefrou comprend trois quartiers : la Kelaa, vieille casbah fortifiée édifiée sur un petit éperon qui domine la rive droite de l'Oued

Agaï, la Médina ou ville indigène, plus récente, fouillis de maisons blanches, aux ruelles étroites et, dont la seule échappée est juste- ment l'Oued Agaï; enfin le quartier européen qui s'étale largement sur les flancs de la montagne. Il n'est pas douteux que la pente très rapide de l'Oued Agaï, dans son parcours urbain, si elle con-

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tribue au pittoresque de la cité, avec ses cascades où s'ébattent les lavandières, constitue un danger permanent pour les maisons dont les fenêtres grillagées surplombent directement le vide, tout au moins tant que le cours d'eau continuera à rouler à l'improviste des flots d'eau boueuse mêlée de rochers.

On pourrait imaginer que ces crues brutales sont la conséquence d'un immense bassin de réception précédant le canal étroit de Se- frou. Il n'en est rien: comme le montre la carte ci-jointe, l'Oued Agaï et ses affluents (en dehors de quelques tributaires qui des- cendent des collines situées au Sud-Ouest de Bahlil) prennent naissance dans le massif du Jbel Kandar (point culminant: 1.768 m) et les plateaux qui le prolongent au Nord. L'ensemble du bassin versant ne représente environ que 8.000 hectares. Il est intéres- sant de noter que, sauf pour l'Oued Agaï proprement dit (dans son tiers inférieur) et son affluent de gauche qui le rejoint à l'en- droit où il s'infléchit vers l'Est, on se trouve en présence, non de véritables cours d'eau à proprement parler, mais de torrents tou- jours à sec, de thalwegs plus ou moins prononcés, simples récep- tacles des eaux de pluie et d'orage. Il s'agit là d'un faciès hydro- logique classique en pays méditerranéen.

Comment se présentent les terrains traversés? Du point de vue geologi que, la majeure partie du bassin versant est assise sur des calcaires liasiques assez durs, où surgissent même quelques poin- tements rocheux, mais qui, dans la partie nord-ouest, sont recou- verts d'une couche plus ou moins profonde de sol argilo-calcaire, toujours très caillouteux. Dans la zone qui s'étend à l'Est du som- met du Kandar, sur environ un millier d'hectares, le sol s'avère exceptionnellement d'origine volcanique: ce sont les basaltes dé- tritiques, particulièrement fertiles, mais très affouillables, du cir~

que des Boqqaïa.

Du point de vue économique, on peut reconnaître dans la zone qui nous intéresse trois grandes subdivisions : d'abord sur les pen- tes de la montagne, un taillis de chêne-vert, bien venant dans les fonds, plus diffus et plus bas sur les crêtes, mais constituant un manteau forestier continu qui fait partie de la forêt domaniale du Jbel Kandar; sur les plateaux qui prolongent ce massif boisé au Nord, un maquis de chêne-vert et d'essences secondaires (lentisque, filaria, olivier sauvage) d'autant plus rabougri que l'on se rappro- che des centres consommateurs de Sefrou et de Bahlil et qui, sous des influences diverses que nous analyserons plus bas, finit par céder la place à un glacis caillouteux, incultivable du fait de l'ab- sence de sol, où subsiste, de-ci, de-là, une souche de chêne-vert particulièrement résistante. Enfin, tout au Nord (et également dans les basaltes du cirque des Boqqaïa), une zone de cultures, entiè- rement débarrassée de toute végétation forestière et où les culti- vateurs locaux sèment, selon les possibilités d'irrigation, soit du

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LA RESTAURATION DU BASSIN DE L ' O U E D AGAÏ 2 6 7

maïs, soit de l'orge. Entre les deux dernières zones et formant transition, des terrains couverts encore de touffes de chêne-vert, que les propriétaires arrachent, coupent, brûlent peu à peu, ou dont ils contournent soigneusement avec leur charrue rudimentaire celles qu'ils ont laissées provisoirement intactes.

Au point de vue géographique, enfin, ce bassin versant se pré- sente comme une série de croupes mollement mamelonnées descen- dant doucement vers le Nord, depuis les contreforts du massif du Kandar sur lesquels elles viennent buter au Sud (Jbel Kandar : 1.768 m, Benéma: 1.717 m) et où elles présentent une altitude moyenne de 1.300 mètres, jusqu'au plateau qui domine Sefrou à l'Ouest (Fort Prioux : 949 m) et les larges vallons qui s'étalent au pied de la Kelaa Mimet à l'Est (cote 1195). Comme on le voit, la pente générale est assez douce : 350 m de dénivellée environ pour une distance à vol d'oiseau de IQ kilomètres entre le pied du cir- que des Boqqaïa et le confluent des deux branches principales de l'Oued Agaï. Mais en dehors de la large plaine de la Kelaa Mimet, ce terrain relativement plat est profondément entaillé par lOuecl Agaï et ses affluents, qui se sont creusé des vallées aux versants abrupts, même lorsque le lit mineur du cours d'eau serpente entre des terrasses alluvionnaires en général assez étroites. Dans la partie de l'Oued Agaï qui coule vers l'Est, ces versants se transforment même en véritables falaises de 6 à 8 mètres de hauteur, taillées à même les alluvions et qui, à quelques kilomètres seulement de la ville, constituent une source importante de matériaux au moment des crues, lorsque les eaux déjà chargées de limon et animées d'une force vive énorme, font basculer en les sapant par la base et en- traînent avec elles des blocs entiers de terre qui ajoutent encore à la puissance destructrice du courant.

Tel est l'état actuel que présente le bassin de réception de l'Oued Agaï ; ajoutons pour compléter sa description que la lame d'eau annuelle est d'environ 800 mm, ce qui représente, en année moyen- ne, un volume total pour l'ensemble du bassin d'environ 60 millions de mètres cubes d'eau.

Faute de documents historiques précis, pour une région qui a · toujours été à la limite de la dissidence et où les historiographes officiels des sultans marocains se sont rarement aventurés, il est impossible de se représenter la physionomie exacte de la région, il y a plusieurs siècles ou même simplement immédiatement avant le Protectorat. Léon l'Africain toutefois, parlant des Beni Bahloul (l'actuel Bahlil) écrivait que: « ces habitans sont bûcherons, les

« uns coupant le boys et les autres le charroyans dans la cité de

« Fez ». Ce fait est corroboré à la fin du χνιθ siècle, par MAR-

MOL qui, parlant du même village, remarquait que « les habitans

« sont si pauvres qu'ils gagnent leur vie à mener du bois dans

« Fez des forêts d'alentour qui sont du côté du midi ». On peut

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aisément imaginer, connaissant l'atmosphère d'insécurité de l'épo- que, que les Bahlouliyn s'éloignaient fort peu de leur village par crainte des Berbères semi-nomades qui tenaient les montagnes avoî- sinanjtes. Cette hypothèse est confirmée par l'étude floristique de la végétation : c'est ainsi que, dans les taillis dégradés dont il est parlé . plus haut, on rencontre çà et là, à l'abri des touffes de chêne-vert : Phiïïyrea angustifolia, Caïycoto{me intermedia, Olea europaea, Rhamnus oleoides, Cistus salviifolius, Thymnus sp., Teucrium friiticans, Daphne gnidium, le dernier vestige de végétation étant le palmier nain (Chamaerops humilis). Ces plantes éparses montrent que beaucoup de pentes avoisinant Bahlil et Sefrou qui sont main- tenant à peu près complètement dénudées et ne constituent que de maigres terrains de parcours étaient couvertes à une époque peu reculée d'une végétation forestiere dont il est difficile de mesurer l'importance, mais qu'on peut affirmer avoir été continue. On re- trouve ici un phénomène inhérent, en pays maghrébin, à la proxi- mité d'une ville et de terrains boisés, les habitants de la première faisant petit à petit reculer et même disparaître les seconds pour satisfaire leurs besoins en combustibles ligneux.

Dans le cas particulier de Sefrou, nous pouvons d'ailleurs invo- quer un fait tout à fait récent puisqu'il remonte à 1927 et qui ca- ractérise bien cette atmosphère dans laquelle doit travailler le fo- restier marocain.

Il nous est nécessaire à cet effet de nous engager dans une di- gression que nous préférons, pour ne point trop nous écarter du sujet, présenter sous forme de note.

Au Maroc, dès le Ie r novembre 1912, une circulaire du Grand Vizir, ins- pirée, précisait-elle, des usages immobiliers du pays, établissait une liste de

« biens qui ne pouvaient en aucune façon être aliénés qu'avec l'autorisation

« du Marhzen parce qu'il avait sur ces biens des droits de propriété ou de

« contrôle », parmi lesquels « les forêts qui, insistait la circulaire, appar-

« tiennent dans* toute l'étendue de l'Empire au Marhzen (c'est-à-dire à l'Etat)

« sous réserve des droits d'usage que pourraient avoir les tribus voisines ».

Cette circulaire fut ultérieurement confirmée par le Dahir du 7 juillet 1914 sur la propriété immobilière qui en reprenait exactement les termes en ce qui concernait les forêts classées comme biens inaliénables.

Le premier travail du Service forestier marocain, une de ses tâches es- sentielles encore aujourd'hui (car malheureusement, bien des circonstan- ces n'ont pas permis qu'il,' l'achève malgré ses 38 ans d'existence), ce fut la délimitation des forêts, réglementée, comme pour les biens domaniaux ordi- naires, par le D'ahir du 3 janvier 1916. Ce texte prévoit notamment qu'après une large publicité en tribu, une commission composée d'un représentant de l'Autorité administrative de contrôle, d'un officier des E a u x et Forêts et du Caïd (chef de tribu) assisté des Chioukh (chefs de fraction), arrête sur le terrain la limite du domaine forestier. Opération théoriquement facile, si ce domaine portait, comme sous les climats tempérés, des végétaux ligneux de grande taille. Mais au Maroc, comme dans les pays circumméditerra- néens, l'arbre demeure bien souvent de taille réduite, et la formation fores- tière apparaît diffuse: résultat bien connu, non seulement du climat, mais de l'action humaine. Il est alors facile de prévoir que la différence de concep- tion que peuvent avoir île la définition de la forêt un officier des Affaires

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La haute vallée de l'Oued Agaï.

Au fond le cirque des Boqqaïa

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L'Oued Agaï dans sa traversée de la ville de Sefrou.

L'eau est arrivée au niveau des fenê- tres en diagonale du mur de gauche.

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lui haut: Taillis de chênes-verts dégradé des bas versants de l'Oued Agaï.

Au milieu: Vue en premier plan du taillis situé sous la flèche: les personnages donnent l'échelle.

En bas: Restes du taillis au milieu de maigres champs d'orge.

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LA RESTAURATION DU BASSIN DE i / o U E D AGAÏ 2 6 9 Indigènes, au travers de ses souvenirs de France ou simplement de ses lectures et un forestier, imbu de ses connaissances techniques, ait été bien souvent l'origine de discussions, courtoises, mais sévères, entre le premier, défenseur de ses administrés qui revendiquaient le plus possible de terrains boisés pour étendre- leurs cultures, et le second, auquel une longue tradition professionnelle permettait de prédire les conséquences désastreuses d'un tel recul des formations ligneuses, surtout en montagne. Bien souvent, on doit loyalement le reconnaître, le point de vue technique Ta emporté, au prix de quelques concessions de détail. Il n'en a malheureusement pas été, de même dans le cas du bassin de l'Oued Agaï, comme nous le rappelons ci-dessus.

E n 1927, le Service des E a u x et Forêts qui poursuivait la deli- mitation des massifs boisés du Jbel Kandar avait dû, sur la demande expresse des Autorités de Contrôle, distraire du périmètre fores- tier tout un secteur couvert à cette époque, au témoignage même de vieux préposés alors en service, de broussailles denses que seuls les abus de pâturage et des exploitations désordonnées empêchaient de prospérer. Ordonnées par arrêté viziriel du 23 décembre 1921, com- mencées le 5 mars 1922, les opérations de délimitation s'étaient heurtées, dès le début, à de nombreuses oppositions des autochtones, soutenues par l'Autorité locale qui craignait (1924) « les conséquen- ce ces d'un bornage qui voudrait se montrer trop soucieux de saisir

« jusqu'à la dernière pai celle de broussailles dans une région où la

« forêt règne cependant sur de grandes étendues ». Or, l'on peut estimer entre 2 et 3.000 hectares la surface de la zone boisée, à la- quelle fût conféré, trois ans plus tard, le caractère « melk » (c'est-à- dire privé) ; c'est dire que le morceau était d'importance par rap- port à l'ensemble du bassin versant. Mais, au lendemain de la guerre du Rif, alors que la pacification n'était point achevée, il était diffi- cile pour les Services techniques de ne point consentir de conces- sions.

Dans le -cas présent, la raison invoquée par les représentants de l'Autorité administrative était loin de reposer sur des bases juridi- ques ; il ne s'agissait point pour eux d'exciper d'actes de propriété que les Berbères du lieu auraient bien été en peine de produire ; ils ont seulement fait valoir que ces boisements, ainsi distraits du ré- gime forestier, pourraient alimenter en bois de boulange la -ville de Sefrou et que, de ce fait, les forêts voisines, consacrées dans leur caractère domanial, se verraient exempter de cette charge. O r , il est un fait que tous ceux qui vivent au Maroc depuis 20 ou 30 ans ne peuvent contester: c'est que tout boisement (en dehors des bos- quets maraboutiques et encore avons-nous été témoin d'exceptions sacrilèges : sans doute s'agissait-il de santons de piètre renommée) qui n'est pas assujetti aux servitudes imposées par le régime fores- tier et au contrôle des préposés chargés de les faire respecter, dis- paraît plus ou moins rapidement pour faire place à la friche. E n raison de l'étendue de la superficie des boisements laissés à la dispo- sition des tribus dans le bassin de l'Oued Agaï, il en demeure encore,

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2 7 0 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE

après 23 ans d'exploitations abusives, des vestiges importants, mais ces reliquats boisés diminuent de hauteur et de densité au fur et à mesure que l'on se rapproche de Sefrou (la loi du moindre effort jouant ici son rôle), à tel point que les pentes qui avoisinent la ville dans un rayon de quelques kilomètres ont, comme on l'a dit plus haut, perdu totalement, sauf pour un œil exercé, le caractère boisé qu'elles avaient naguère. Ce n'est point à dire que ces pentes ainsi dénudées ont été vivifiées par des cultures ou des plantations ; sauf dans les cuvettes à sol caillouteux, mais relativement profond, de l'Ouest du bassin, où les broussailles ont fait place à des cultures annuelles, d'orge en général, soumises à un assolement, sauf dans quelques rares dépressions, éparses çà et là sur le plateau, mises' en valeur selon la même méthode extensive, les broussailles, dont le feutrage continu amortissait l'action erosive de l'eau, la forçait à s'in- filtrer en grande partie dans le sol. freinait la vitesse de celle qui ruisseliit, ces broussailles ont fait place à ce qu'au Maroc on dési- gne sous le nom imagé de « bled à parpaings », vastes étendues où il semble que la nature se soit complu à amonceler rochers et cail- loux.

Ce qu'il importe de souligner, c'est que ce phénomène de dégra- dation, de recul de la forêt, est tout à fait récent. Tout comme dans les boisements isolés de chênes-verts du Zalarh, au nord de Fès ou du Zerhoun, au nord de .Meknès qui ont totalement disparu, c'est au cours des temps modernes que cette action destructive de l'hom- me s'est exercée. Certes, les vicissitudes de la situation politique qui se traduisaient, tantôt par des arrêts dans les exploitations, tantôt par des exodes de populations, ont permis à la végétation forestière de reprendre momentanément le dessus et, s'agissant d'une essence aussi naturellement tenace que le chêne-vert, de regagner même le terrain perdu. Mais alors que, dans le reste du Maroc, ce phéno- mène de résorption forestière s'est trouvé complètement arrêté dès l'installation du service forestier qui a suivi à peu près pas à pas les traces des colonnes pacificatrices, dans le microcosme de l'Oued

&gaï, il ne pouvait, avec la paix française, que s'accentuer, puis- que la consécration comme terres melks d'une large partie des sur- faces boisées de son bassin versant autorisait tous les défrichements, au moment précis où cette même présence française permettait aux populations de s'accroître, de développer paisiblement leurs terrains de culture, de bénéficier du croît de leurs troupeaux et incitait même certaines tribus immémorialement consacrées à l'élevage ex- tensif et à sa conséquence naturelle,: le semi-nomadisme, à se sé- dentariser et à tourner une partie de leur activité vers l'agricul- ture.

En théorie, la distraction du régime forestier des boisements en question n'impliquait nullement l'accélération des défrichements, car la loi forestière marocaine réglemente la matière dans le cas de forêts privées.

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LA RESTAURATION DU BASSIN DE L / O U E D AGAl 2*Jl L'article 25 du Dahir du 10 octobre 1917 (auquel nous ferons plus loin allusion) prévoit, en effet, que le Service forestier peut s'opposer au défri- chement des bois particuliers dans les cas prévus par l'article 220 du Code forestier français (sauf le cas visé au paragraphe 50) avec, en plus, la possi- bilité d'invoquer le maintien de l'équilibre économique et social des popula- tions indigènes de la région (paragraphe 6° ajouté en 1939).

Mais, s'agissant de boisements officiellement consacrés dans leur carac- tère privatif, leurs propriétaires ont eu beau jeu pour rétorquer l'axiome de droit « Donner et retenir ne vaut » toutes les fois que le service fores- tier a voulu, comme en mai 1950, faire appliquer cette réglementation.

Les quelques données démographiques suivantes feront mieux saisir l'importance de ce double courant contraire qui devait aboutir aux catastrophes dont le présent exposé se propose de tirer les le- çons. Pour pouvoir tirer parti de statistiques susceptibles de s'ap- pliquer aussi exactement que possible à la région qui nous intéresse, il nous a paru préférable de ne retenir que les chiffres relativement récents; il n'est pas douteux qu'une comparaison qui aurait porté, par exemple, sur une période de 35 ans (1915-1950) aurait été beau- coup plus frappante; mais déjà la période de référence choisie (1934-1950) est suffisamment étendue pour être evocatrice. En ce qui concerne la population, nous nous sommes référé aux recense- ments, officiel de 1936, officieux (ravitaillement) de 1947; pour les renseignements d'ordre agricole, nous avons pris pour base les rôles du Tertib et nous avons jugé utile, pour atténuer, dans une certaine mesure, l'irrégularité des ressources agricoles dans un pays où elles sont tellement fonction d'un climat lui-même irrégulier, de faire por- ter nos renseignements sur deux années consécutives.

Le Service des Impôts ruraux appelé couramment « Service du Ter- tib » est chargé au Maroc de fixer l'assiette des impôts qui frappent les cultivateurs : le Tertib proprement dit ou Impôt sur les cultures et la Zekkat ou Impôt sur les troupeaux.

TABLEAU I. — VARIATION DE LA POPULATION

Population % d'augmentation 1936 1937 annuelle Origine

Bahlil 4.230 5-373 2,5 % Aït-Youssi:

Fraction du Kandar . . . 1.050 1.242 1,7 % Fraction des Boqqaïa . . 1.180 1.368 1,5 %

TABLEAU.

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272

Années

R E V U E F O R E S T I E R E F R A N Ç A I S E

TABLEAU I I . — STATISTIQUES AGRICOLES

Surfaces cultivées (ha) non irriguées

Nombre de têtes de bétail

irriguées Bovins Ovins Caprins

1934 1.465 331 1.805 6.831 7.517 1935 2.026 547 1.802 7.732 9.464 Moyenne 1.745 439 1.803 7.281 8.490 1949 2.533 487 973 10.251 11.785 1950 2.856 419 1.128 11.084 12.895 Moyenne 2.694 453 1.050 10.662 12.340

Observations. — En réalité, les chiffres ci-contre s'appliquent à des frac- tions qui débordent let bassin de l'Oued Agaï ; pour ce bassin lui-même, on peut admettre aussi bien pour les cultures que pour les troupeaux, des chiffres moitié moindres. Ce détail est sans importance puisque ce qui nous intéresse ici, ce ne sont pas tant les valeurs absolues que leurs variations dans le temps.

Si l'examen du tableau I ne fait que confirmer un fait bien con- nu, à savoir l'accroissement du taux démographique depuis l'insti- tution du Protectorat, l'étude du second tableau nous apparaît com- me particulièrement suggestive.

i° Cultures: Alors que la surface des cultures irriguées n'a sen- siblement pas varié (et c'est normal, quand on se rappelle avec quelle ingéniosité, malgré la pénurie d'instruments perfectionnés, le Berbère a PU· tirer parti de la moindre source pour irriguer ses champs), celle des surfaces non irriguées (terrains « hour », se- lon l'expression locale) présente une accroissement total, ramené à la période de référence choisie, de plus de 50 %. O r , il est évident que la plus grande partie de ces terrains où pousse, en général, une orge plus ou moins maigre, proviennent d'anciens terrains boisés et ont été gagnés· sur les broussailles par le défrichement. C'est ainsi, comme il m'a été donné de le voir, que le paysan Bahlouli accroît, sinon son domaine (car il s'agit plutôt d'une zone d'action que d'un lopin bien délimité, tel que le conçoit le paysan français), du moins les parcelles destinées à être emblavées. Le phénomène a été d'autant plus marqué cette année que l'hiver a été pluvieux et que la pluie a fait sortir les charrues.

2° Troupeaux: Si nous considérons maintenant le cheptel, aussi bien ovin que caprin (les bovins sont assez rares et marquent mê- me une régression très nette), nous constatons que, malgré la ter- rible sécheresse de 1945 qui a littéralement exterminé le cheptel (bien que les caprins y aient bien mieux résisté que les ovins), ce cheptel est en progression très sensible au moment où les terrains

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boisés qui constituaient pour lui les seuls terrains de parcours d'été et, pour les chèvres mêmes, les seuls pâturages, où ces terrains boisés étaient amputés de plusieurs centaines d'hectares. Les pour- centages d'augmentation ressortent, en effet, aux chiffres suivants pour la période de 15 ans considérée: Ovins: 46,5 %; Caprins:

45 %.

Dans les pays de civilisation ancienne, les hommes de la terre, qui ont acquis des exigences de la nature une expérience instinc- tive séculaire, essaient, même inconsciemment, de maintenir en équilibre « labourage » et « pâturage ». Lorsque les circonstances leur permettent d'accroître les emblavures et de restreindre les friches, ils vendent une partie de leur bétail au prorata de la dimi- nution de leurs terres de parcours. Ici, au contraire, les anciens pasteurs, devenu« cultivateurs grâce à la paix française, sont sai- sis de la frénésie de s'étendre qui possède, d'une manière plus ou moins latente, chaque paysan et continuent en toutes circonstances à développer l'importance de leurs troupeaux, par un ancien ré- flexe de pasteurs qui comptent leur richesse au nombre de têtes de bétail.

Comment ne pas s'émouvoir devant une telle conception de l'éco- nomie rurale, malgré sa fallacieuse apparence de prospérité ? Phé- nomène économique malheureusement trop fréquent au Maroc, dont on commence à mesurer les conséquences, encore peu sensi- bles, et qui, dans la petite région qui nous occupe, a provoqué, en l'espace de quelques années, les catastrophes que nous avons dé- crites au début de cet article.

* * *

A la suite de ces sinistres successifs, quelles ont été les réactions diverses des Autorités administratives, des services techniques et des populations intéressées ? Tel va être l'exposé de la deuxième partie de notre exposé.

A la suite de la crue du 17 juin 1945, le Chef du Cercle de Sefrou prenait position dans un document dont nous ne retien- drons que les conclusions.

Il nous plaît ici de rendre hommage à la netteté de vues de son auteur qui attribuait la violence de la crue « au fait du déboisement intensif à laquelle

« était soumise, depuis plusieurs années, la forêt avoisinante d'où partent les

« divers affluents de l'Oued Aga'i ».

Après avoir rappelé que la faveur qu'on avait faite aux popu- lations de distraire du domaine forestier quelque 3.000 hectares se retournait maintenant contre elles, il proposait:

Io de délimiter toute la zone boisée (sous entendu : non doma- niale) s'étendant au Sud-Ouest de Sefrou;

2° de surveiller l'exploitation de cette zone afin qu'elle soit pra-

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tiquée d'une façon rationnelle et méthodique (sous-entendu: tant que les formalités de délimitation n'auraient pas été achevées) ;

3° de reboiser les pentes abruptes de l'Oued Agaï et de ses af- fluents entre Sefrou et le massif du Kandar.

Ces propositions étaient reprises en gros dans un rapport que notre prédécesseur adressait à ses chefs, à la demande même des autorités. Laissant de côté les considérations générales sur les ca- ractéristiques du bassin versant, nous n'en résumerons que les con- clusions :

Io Réouverture ' de la procédure de délimitation pour tous les terrains encore en nature de bois.

2° Reboisement après expropriation des terrains anciennement boisés, mais trop dégradés pour être assimilés à des forêts (à l'exclusion d'une part, d'un vaste champ de tir, situé au sud du Fort Prioux, pour des raisons évidentes d'incompatibilité, d'autre part, des riches cultures des Boqqaîa, que l'on conseillait de trai- ter néanmoins par la technique spéciale et encore inusitée au Ma-

• roc de la restauration des sols).

3° Accessoirement, correction du lit des thalwegs principaux par construction de barrages.

Le projet d'ensemble était chiffré approximativement à 20 mil- lions (janvier 1946). A l'initiative du même chef de cercle, une commission était, quelques mois après, convoquée sur le terrain.

Membre de cette commissioni, nous prenions contact pour la pre- mière fois avec ce problème de l'Oued Agaï qui n'a pas cessé, de- puis de nous préoccuper. La visite malheureusement hâtive des lieux par la Commission ne porta que sur le bief inférieur du cours d'eau, mais nous eûmes alors l'occasion de constater la

» volonté bien affirmée des populations de revendiquer comme leur appartenant en propre les pentes et plateaux boisés dont la re- prise comme terres domaniales avait été envisagée. Malgré toute l'autorité du représentant territorial, il fut impossible de leur faire abandonner ce point de vue intransigeant. C'est alors que nous pen- sâmes recourir à des dispositions que, dans sa sagesse, le législa- teur avait introduites dans le Dahir formant code forestier au Ma- roc et concernant la création de périmètres de protection.

C'est l'article 30 du Dahir du 10 octobre 1917, ainsi conçu: « Il pourra être créé, par arrêté viziriel, des périmètres de protection comprenant des boisements de toutes catégories se trouvant dans les conditions de l'article 25 (cité dans la page 271) dans lesquels^ aucun défrichement ou exploitation ne pourra avoir lieu sans l'autorisation du Service des Eaux et Forêts et où l'exercice du pâturage sera soumis à la même réglementation que dans les forêts domaniales ».

Nous proposâmes d'entreprendre, sans tarder, la délimitation d'un tel périmètre, opération qui, sans rien toucher au statut fon- cier des terrains, devait permettre, dans notre esprit, de canton-

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LA RESTAURATION DU BASSIN DE L ' O U E D AGAl 2 7 5

ner les exploitations usagères dans les parties les plus vigoureuses, et d'interdire le parcours pendant 6 ans sur les parcelles les plus dégradées.

Une reconnaissance plus complète du bassin versant, effectuée en juillet 1946, nous permit de constater l'instabilité, déjà signalée par notre prédécesseur, des basaltes du Cirque de Boqqaïa et nous proposâmes de commencer les travaux de correction par ce sec- teur : ce projet partiel était chiffré par nous à 2 millions. La fer- tilité de ces terres, entièrement mises en culture, interdisait d'ail- leurs d'en entreprendre le reboisement à un moment où n'était pas encore entrée au Maroc dans le domaine des réalisations la tech- nique de la restauration des sols, qui aurait permis d'envisager simultanément sur ces parcelles l'exécution de travaux de cor- rection et la poursuite de travaux agricoles.

Il paraît opportun de renvoyer le lecteur au rapport de M. le Conservateur SACCARDY qu'a reproduit la Revue dans son numéro de mars 1950. Rappelons simplement qu'en Algérie, devant l'impérieuse nécessité de restreindre l'exten- sion des périmètres de reboisement par voie d'expropriation, au regard d'une population qu'une démographie croissante mettait de plus en plus à l'étroit, on dût s'orienter, pour l'accomplissement des missions d'intérêt général, jus- que là satisfaites par le reboisement, vers une technique originale dont le principe essentiel était le maintien du propriétaire sur son fonds.

On conçoit que des préoccupations analogues nous aient fait alors écarter le reboisement pur et simple de terres particulièrement fertiles.

La modicité des crédits mis à la disposition du Service des Eaux et Forêts pour les travaux de reboisement, à une époque où l'opi- nion publique marocaine n'était pas encore alertée sur la Défense des sols, empêcha la mise à exécution des projets déposés et, il faut bien le dire, l'atmosphère locale qui n'incitait guère alors à leur réalisation. Que s'était-il passé, en effet, entre temps? Or- donnée par Arrêté viziriel du 27 décembre 1946, la délimitation du périmètre de protection dont le principe avait été solennelle- ment retenu était fixée aux premiers jours de mars 1947. Comme cette opération devait entraîner pour les propriétaires (ou soi-di- sant tels) des terrains boisés à délimiter, diverses restrictions tem- poraires à leurs droits (pâturage, exploitation, défrichement), ceux-ci, venus nombreux à la pose de la première borne, mar- quèrent une telle hostilité que les membres de la Commission de délimitation durent, sur la demande instante du représentant de l'Autorité locale et pour éviter des incidents fâcheux, abandon- ner ce qui n'avait été qu'à peine ébauché.

Devant une telle prise de position nous ne pûmes, pendant deux années, qu'assister impuissants à la destruction progressive de l'état boisé, concrétisé par la descente vers Sefrou ou Bahlil de convois d'ânes et de mulets, chargés de broussailles ou, mieux encore, de charbon de bois extrait des souches de chêne-vert. C'est ainsi que doucement l'opinion locale se laissa aller à une euphorie

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276 REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE

confiante jusqu'au réveil brutal de la crue du 23 septembre 1949.

Une fois de plus, les services techniques furent alertés et M. le Conservateur CHALLOT, qui venait de prendre la direction, au Ma- roc, du Service tout récent de la Défense et de la Restauration des Sols, fut appelé à enquêter sur place; il me permettra de ci- ter quelques extraits particulièrement frappants du rapport qu'il présenta à l'issue de sa mission: « Le problème, écrivait-il (fé-

« vrier 1950). est d'ordre politique, au sens élevé du terme. On

« peut affirmer qu'il y a incomptabilité absolue entre l'existence

« d'une ville au débouché d'un bassin versant de plus de 7.000

« hectares, d'une part, et l'élevage de la chèvre avec liberté anar-

« chique des cultures dans le même bassin versant, d'autre part. » Il ajoutait : « Le maintien de la liberté actuelle de culture et d'éle-

« vage dans le bassin de l'Oued Agaï équivaut à une acceptation

« tacite des' cataclysmes de plus en plus graves qui déferleront

« sur la ville de Sefrou. » Malheureusement un avenir bien pro- che, puisque l'événement se produisit six mois après que ces mots furent écrits, devait donner raison à ces prédictions que l'on au- rait pu juger trop pessimistes. Il concluait, en conséquence, à l'exclusion complète de la chèvre et au traitement, par la techni- que devenue classique des banquettes, des terrains de culture sur sol affoui liable. Il attirait, enfin, l'attention sur la nécessité de considérer le bassin de l'Oued Agaï comme un tout dont « il serait

« illusoire, précisait-il, de ne traiter qu'une partie. » Technique- ment, le problème était soluble, car le Service de la Défense et de la Restauration des Sols disposait de moyens financiers puis- sants ; il restait à le résoudre politiquement.

A cet effet, nous fûmes chargé de piloter, dans des périmètres de restauration installés depuis plusieurs années dans le départe- ment d O r a n et dont les résultats étaient déjà acquis, trois notables indigènes de la fraction la plus intéressée aux travaux, parmi les- quels le Caïd des Aït-Youssi. Certes, leur étonnement fut grand de voir prospérer, sur des banquettes arrosées simplement par l'eau du ciel (qu'elles recueillent, il est vrai, intégralement) des arbres frui- tiers qui, dans leur pays, sont cantonnés sur des terrains irrigués;

leur méfiance parut apaisée lorsque les notabilités locales, avec les- quelles ils purent converser librement, se réjouirent devant eux d'avoir vu les terres de leurs administrés mises ainsi en valeur, sans que la propriété leur en fut disputée. Mais l'incrédulité de leurs contribules qui n'avaient point vu de leurs yeux ces, merveilles de- meura intacte et ce ne fut pas sans de longues discussions que les services techniques purent, enfin, passer des contrats pour le trai- tement en banquettes de vingt hectares de terrains dans le cirque des Boqqaïa. Ce n'était là qu'un bien minime commencement et le vrai problème, celui de la défense des centaines d'hectares ruinés progressivement par les défrichements, les exploitations abusives

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LA RESTAURATION DU BASSIN DE L ' O U E D AGAÏ 2 7 7

et les excès de pâturage, restait entier. La crue du 25 septembre 1950 devait, avec ses nombreuses victimes, rappeler sinistrement son importance. A nouveau l'opinion publique était alertée, avec plus d'émotion que jamais ; à nouveau, une commission se réunit, mais, sans vouloir méconnaître la nécessité impérieuse et urgente de venir en aide aux malheureux sinistrés, on peut regretter qu'elle se soit plus intéressée à l'attribution des secours qu'à l'étude des moyens propres à en éviter, dans l'avenir, le renouvellement. Mal- gré le « choc psychologique » de la catastrophe, les remèdes (ou plutôt les méthodes préventives) préconisés s'avérèrent difficiles à mettre en oeuvre, bien que tous, parmi les administrateurs, parus- sent en admettre l'intérêt. A l'heure où nous écrivons (août 1951), la seule réalisation est l'aménagement en banauettes de 20 hectares (bientôt portés, sans doute, à 40) dans les Boqqaïa. Pourra-t-on, comme il serait souhaitable, étendre ces travaux de protection sur tout le pourtour du cirque ? Pourra-t-on, comme on l'a envisagé, interdire le parcours des chèvres et la poursuite des défrichements dans la zone Nord-Ouest du bassin (secteur de Bahlil) ? Autant de problèmes, autant d'inconnues encore. Et pourtant, il ne s'agit là que d'une action fragmentaire et la zone à protéger contre les abus n'est-elle que la partie la plus dégradée du bassin, celle où la reconstitution de la couverture vivante, par le seul jeu des forces naturelles, sera très longue et ne pourra assurer, à elle seule, que dans un avenir lointain, la protection recherchée qu'il faudra com- pléter au moyen de terrassements. Alors que toute la zone Sud-Est où l'ensouchement est encore dense et où cette reconstitution aurait été plus rapide semble devoir échapper longtemps encore à l'action du Service de la Défense des Sols.

* *

Tel est, à l'heure actuelle, nettement posé, mais d'une solution encore incertaine, le problème de l'Outd Agaï et des inondations .de Sefrou. 11 nous reste maintenant à tirer la leçon des faits dont nous avons essayé de relater et le développement et les causes. .

Sur le plan technique, nous en avons assez dit pour montrer que les Services responsables sont décidés à mettre en »œuvre et ont les moyens matériels de le faire, le dispositif propre à faire dispa- raître toute menace de danger.

Nous renverrons le lecteur pour les détails de ce dispositif aux différents articles parus dans le numéro de mars 1950 de la Revue. ,

Nous voudrions au contraire, nous appesantir sur le côté poli- tique de la question. Certes, au cours des discussions qui nous ont opposé aux Autorités chargées de la gestion de l'Oued Agaï, nous avons dû quelquefois reconnaître « în petto » que leur rôle était loin d'être simple : les populations qu'elles ont à administrer sont

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frustes, incompréhensives, imbues de routines, attachées à leurs traditions et enclines, de ce fait, à regarder avec méfiance toute innovation. Nous avons pu nous-mêmes nous en rendre compte à la suite de la visite par les notables des périmètres de restau- ration oranais, visite dont nous escomptions beaucoup pourtant et qui n'a point apporté tous les résultats attendus. Mais à chacun son métier et il ne nous appartient pas de rechercher les méthodes les mieux appropriées, compte tenu de la conjoncture politique, pour faire départir ces populations de leur obstination: le specta- cle vraiment étonnant de l'évolution du Maroc, après 40 ans de protectorat, serait là pour prouver que, dans d'autres domaines, on a pu briser avec succès les cadres médiévaux où se tenait étroite- ment enfermé l'Empire Fortune. Ce qu'il nous appartient par con- tre de souligner, devant les catastrophes successives qui ont désolé la petite ville de Sefrou, ce sont les particularités d'une politique qui en est l'origine lointaine. Un des hommes qui se sont le plus penchés sur le monde musulman et notamment sur le milieu hu- main de l'Afrique du Nord n'a-t-il pas écrit récemment: « Il est

« malheureusement plus long et plus difficile de créer un ordre

« social nouveau qu'il n'est simple de laisser par indolence s'ins-

« tituer un déséquilibre permanent » ? (1)

Le bassin de l'Oued Agaï nous fait toucher du doigt un tel désé- quilibre: certes, il est à l'honneur de notre pays d'avoir fait régner l'ordre dans une région naguère en anarchie permanente, d'avoir mené, là comme ailleurs, un combat désintéressé contre les mala- dies épidémiques ou endémiques qui décimaient ses habitants, d'avoir assuré même, en cas de disette comme en 1945, des apports massifs de nourriture. Certes cette action purement humanitaire s'est également doublée d'une action économique, et pour nous en tenir au seul domaine agricole, nous évoquerons ici les aménage- ments de points d'eau, les bains parasiticides pour le bétail et toutes les réalisations des Services de l'Elevage et du Génie Rural qu'il serait injuste de passer sous silence. Mais, par une déformation professionnelle acquise à étudier des êtres organisés, les arbres, dont la vie s'étale sur plusieurs siècles, le forestier pense dans l'ave- nir et il peut reprocher à cette double action, d'avoir été et d'être encore restreinte, sinon à l'actuel, du moins à un avenir immédiat.

Ce qui eût évité, dans le petit monde qui nous occupe (mais l'extra- polation à tout le Moghreb serait facile), les catastrophes dont, d'ail- leurs, les auteurs inconscients n'ont pas été victimes, c'est une vi- sion lointaine des choses. Il aurait fallu ne point assister en specta- teurs indifférents ou même en aides bénévoles à cette transformation rapide d'une économie presque exclusivement pastorale en économie mixte. Il aurait fallu trouver autre chose que la solution facile d'une

(1) Robert MONTAGNE, in « L'Afrique et l'Asie » (ier trimestre 1951).

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REVUE FORESTIÈRE FRANÇAISE 2 7 9

coexistence, toute précaire, de cultures encore primitives et de trou- peaux en constant accroissement, alors que la population que les uns et les autres sont appelés à faire vivre est également en augmen- tation. Il aurait fallu prévoir depuis longtemps l'instabilité fondamen- tale d'un tel système qui en arrive à saper, par son action propre, ses fondements mêmes. De telles méthodes ne tendent-elles pas, en effet, à détruire le capital producteur, tant pour l'agriculture puisque le sol nourricier s'en va, à chaque orage, vers la mer, que pour l'élevage, puisque l'arbre et l'herbe qui vit sous son ombre protec- trice s'amenuisent de jour en jour ?

Les dernières inondations de Sefrou ne sont qu'un des multiples effets de ces errements et leur caractère dramatique en a souligné l'absurdité. Dans d'autres régions du Maroc, le même processus, peut-être moins spectaculaire, existe. Dans toutes les circonscriptions de notre Arrondissement, des cris d'alarme viennent d'être poussés devant les résultats des derniers recensements du Tertib, qui font apparaître un accroissement notable des troupeaux pâturant en fo- rêt. Les officiers forestiers se sont inquiétés des incidences qu'une telle situation ne peut manquer d'avoir pour l'avenir des massifs boisés placés sous leur gestion. Pour être moins apparente, parce que ne faisant pas l'objet de relèvements statistiques, l'extension des cultures au détriment des lambeaux de forêts laissés en dehors des délimitations forestières ou simplement des touffes de jujubier ou de palmier nain dont on constate maintenant, mais trop tard, les méfaits de la disparition sur les terres en pente, cette extension est indiscutable pour qui circule un peu dans le « bled ».

Le bassin de l'Oued Agaï dont nous venons de présenter l'évolu- tion au cours de ces dernières années n'est donc qu'un aspect tout particulier d'un vaste problème dont les remous politiques de l'heure cachent peut-être l'importance.

Celui qui en a analysé les causes profondes, ainsi que l'auteur de cet article a essayé'de le faire pour une petite région, ne peut envi- sager sans angoisse les conséquences possibles d'un tel libéralisme agraire, insuffisamment éclairé, semble-t-il, pour l'avenir d'un pays qui se présente, comme le Maroc, en plein développement économique et démographique.

J . SOULOUMIAC.

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