Mery, Joseph
Le sage et le fou
^
'Heî^
i/ii,^ 3/t'}4lii'^'
LE SAGE ET LE FOU
COMÉDIE
RepiésenlOf, pourl,i iMomicTc fois, àl'.iiissurle Tlie;Ui'u-Fi;iii(.ais le 6iioiil 18o-2.
—
l'AKls—
IMI'ItIMK
PAU
J.CLAYE
lîT c", RUE SAl.NT-BENOir, 7.LE SAGE ET LE FOU
COMÉDIE
EN
TROIS ACTES,
ENVERS
MÉRY ET BERNARD LOPEZ
9 f 9
PARIS
MICllEI.
LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS
RUE
VIVIENN E, 2 BIS 1852]JBR4à;
. (^AR 8 'm \
A UN CRlTlnUE.
Mon
cher ami.Vous m'avezaccuséd'une chose grave; aussijevous réponds, malgrémeshabitudes. Onsortdeseshabitudesunefoispar an.
Non, M. Bernard Lopezn'apasabusé de
mon
ingénuitéenme
proposant de faireavec luinotre comédieleSageet le Fou. Je nesuis pastombé enaveugL'dansunguet-apousimmoral.
Lethéâtre n'estpaslachaire. Ilfautparleramourauthéâtre,
c'estindispensable; jene vois pas
môme
lanécessité d'yparler d'autrechose. Cet inépuisable sujeta des recoins scabreux : ce n'estpasma
faute.Cequisepassedansnotrecomédie trouveses originauxdanstoutes lesrues deParis.—
Parlezauxportiers.Mais probablement vousn'avezpasvouluattendrelalinde
ma
comédie. Ily adans unepiècede Molièreune scène quiparai- traitfort imraorabîsionl'isolaitdureste : c'estlascèue oùune femmedità un
homme
quil'oltsède:Allez voirsinoussommes
seuls... [ïarlufe). VaiitTe soir, mi monsieuratressaillid'indi- gnationdanssastalle; son voisinluiademandé:Qu'avez-voiis
?
—
J'aiunversafl'reuxdansl'oreille,arépondul'indigné.—
Quel vers?—
Levoici:Unamourconjugalestunlon|j;adultère.
Cette citationfaite,lemonsieurindignéest sorti,sansdeman- der sacontre-marque, etil a raconté ce vers infâme à tousles échosduPalais-Uoyal. Le lendemain notre comédie étaitmiseà l'index dansun autre feuilleton,toujours à propos de ce
même
vers.Iln'y aqu'un malheur pourlemonsieurindigné,c'estque ceversn'existepasdansnotrecomédie,ou que,dumoins,ilest horriblement tronqué. Les sourds devraient être exemptés du théâtre,
comme
delagarde nationaleetde laconscription.Quelquesprovinciauxingénuscroientqu'unauteiu' seprésente imbeau matinà des comédiens, et leurdit:«Tenez,voilà
ma
pièce,jouez-la, »et que les comédienslajouent le lendemain.
Mais vous,
mou
cherami,voussavez bien toutce qu'ilfautsubir d'heuresterriblespourarriveraulustreetausuccès.Ilfaut tra- verseruucomité delectrire,un examen de censeurs rigoureux, imeautrelectureauxartistesetquaranterépétitionspendantles- quelleschaquehémisticheestdébattu entrelesouffleuret lepom-pier.
Comment
voulez-vous qu'une choseévidemment immorale nesoitpas expurgée dans cetimmensetravail d'alambic avant la première représentation? Savez-vous bien,mon
cher ami, qu'enma
qualitédejoueuriïéchecs,dedamesetdez«/tù-/,jouant àcejeu desquarante répétitionsavecl'attention laplusscrupu- leuse(demandez aux comédiens),jenelaisserais pas entre les mainsdemesadversairesunpioti,unepièce, imatout qui se- raient de nature à compromettrema
partie? \'oyez ensuite oîi peut vousconduireun zèlesans doutehonorable, mais exagéré pourlacause delamorale?Cen'estpas moique vousattaquez; ce n'estpasnonplusBernard Lopez: vousattaquezcetimmense jurycomposéde deuxmillejuges qui ontapplaudi notrecomé-die, scèneparscène,etpresque versparvers.Quoi! nous avons
fait une œuvre immorale, et dans ce monde d'élite il ne s'est trouvé personne pour protester
comme
on proteste au théâtre!Quelle idéedonnez-vousdupremierpublicdumondeàlaprovince lointainequivouslit! Siunepièceatteinteduviceque voussi- gnalez osaitaujourd'huise montrerauthéâtre,unsiffletàdeux millebouchesla feraitrentrerdansle néant;jamais onn'aurait entenduplusstridentorage: ilsembleraitquelethéâtre passeen
wagon
dansunsouterrain dechemindefer.Et notez bien ceci encore:vous n'attaquez passeulementles
hommes
decegrandpublic,vouscensurez aussi,etpeugalam- ment,lesfemmes.Un
de vos plusspirituelsconfrères,unécrivain quiseconnaît très-bienenthéâtre,M.JulesdePrémaray, rendant comptede notrecomédie, s'exprimeainsi-.Quelles toilettes! que dediamants! d'émeraudes!detopazes d'Ecosse! de saphirs! de rubis! d'ambre et d'éventails ruisselants d'or! Eh bien!mon
cherami, savez-vousce que faisaient les charmantes et
nom-
breuses propriétaires de toutesces belleschoses? Elles ont déchiré leursgants àforce d'applaudir;c'est il.JulesdePrémarayqui leraconte,et vousl'avezvuprobablementvous-mêmeaussi.
Ma
comédieaccusée d'immoralité, crime prévuparlecode de Thalie, adonccomparu auxplus solennellesdes assises,etvoilàlever- dictrendu. Respect àlaloi.Celane
me
regardeplus.Je profite de cette lettrepour payer notretribut de remercî- ments aux comédiens, nos innocents complices; à Maillart, si élégant,sijeune,sivifdanslerôledeLéon;son succès aétéim
triomphe: àLeroux,qui acomposé son rôle difficile avec une habileté,unescience,uneréservemerveilleuses:àAnselme, nou- veauvenu auThéâtre-Français,etdéjà naturalisé surleterrain desexcellentes traditions. Aux femmes ensuite, toutes jolies et
charmantes, pirivilége du gynécée de laComédie-Française; à M"'^Favart,sitouchante parladiction,latenue etlecœur dans
lerôledeClotilde; étoilequiselève avec tantd'éclat,etmontera bien haut; àMue Théric, ravissante
comme
un dahlia rosé, et poétiquecomme
imepenséeamoureusedeseizeans; à Mi'eBiron, qui nesecontentejamaisd'êtrebelle, et qui jouecomme
siellene l'étaitpas; à M"» Saint-Hilaire, soubrette du meilleur ton, qui apporteauthéâtrel'espritdontelleéblouitlemonde.Laplus grandepartd'un succès appartient toujoursaux artistes,surtout quandles artistessontlescomédiens duThéâtre-Français.
Ilyaeudéjàdeux jugements enappel depuislepremier ver- dict;la cause continued'être gagnée pour nous,
mon
cher ami.Décidémentla pièce esttrès-morale. Un auteur se trompe, un
critique setrompe,
même
quand ilest spirituel, savantetingé- nieuxcomme
vous; mais trois assis sde public nese trompent jamais.Votre accusé innocent etamidévoué
,
Méry.
UaoùH8.52.
PERSONNAGES
LÉONDECOURVILLE,jeunelionime àlamnije. MM.AIaillart
MAURICECOURTOIS, avocat. Leroux.
MONSIEUR THOMASSIN,riche propriétaiieaux
Ardennes. Anselme.
MADAME
DUBOURG, peintre deportraits. Mines Favart.MADAME NOGENT
,jeune venve, tenantnnemaisonmenblée. Biron.
CLÉMENCE,fille<leTlinmassin. Théric.
ÉMERANTINE, contnnère. Saint-Hilaire.
La scène se passe à Paris, en 1852, chezmadame Nogent.
Lestroisactes danslemêmedécor.
LE SAGE ET LE FOU
'>»E>
-&^
,©-5<iACTE PREMIER
Unrichesalonbourgeois; troisportesaufomletporteslatérales au secondplan; àdroite, surlederantdelascène,un sofa; àgauche
,
une cheminée avec glace et pendule.
—
Les indications sont prises do lasalle.SCENE PREMIERE
MADAME NOGENT, TIIOMASSIIS
,CLÉMENCE
entrant par le fond.
TH
M
AS SIN.Comment
donnerun
balàmon
secondétage!Voyonssi le premier
me
convient davantage.MADAME
NOGENT
, précédantTUomassin etsa fille.Un
bel appartement! c'estlenuméro
trois.Il vient d'êtreoccupé par
un
majorhongrois; Etlorsqu'il estvacant,jele prendspourmoi-même.
Lemobilierest neuf, d'une richesseextrême.
Voyez
comme
c'estgrand,comme
c'estspacieux!Ah
! pourdonnerun
bal, vous serezbeaucoup mieux
Qu'en votre logementàmon
secondétage!4
2
LE SAGE ET LE FOU.
S'il faut que votrebourse ytrouve
un
avantage.Louez donccelocalrien qu'unjour;en loyer Je
me
contenterai devousfaire payer Le prixd'une semaine.TIIo
M
As sIN.Oh! ma
charmante hôtesse, Jereconnais bienlà votredélicatesse.MADAME NO CENT,
piquéeetminau.la.it.Hôtesseest
un
vieuxmot.TH MAs sIN.
]N'est-ce point
un
hôtel?M
ADAM
E NO GEKT.Aucunement,
monsieur,je netiens riende tel.De
laconfusionje seraisdésolée.Jetiens, c'estmeilleurgenre,
une
maison meublée.CLÉMENCE.
Mon
père asi longtemps vécu dansson canton.Qu'il ignore lesmots
du moderne bon
ton.MADAME NOGENT.
Je vousledisais donc. Pour donner
une
fête,Chaque
pièceestchezmoi
distribuée et faite:On
causeici sans bruit; pour danser nous allonsDu
côtédu
jardin danslesautres salons.Etle fracas du bal ne peut pas vous distraire
Quand
ici vousparlez enfamille; aucontraire.Ah! comme
je rêvais déjà depuislongtemps D'avoir dansma
maison deces bals éclatants Qui font stationner, dans leplusnoble style, Calèches etlandaus devant le péristyle.THOMASSIN.
Étrangersà Paris, il nousfaut votre appui.
ACTE
I.MADAME NO
GEN
T.Que
vousconnaissezpeu
lesgrands balsd'aujourd'hui!Sachezdonc qu'on
emprunte
, en des salonsillustres,
Guirlandes et festons, girandoles et lustres, Grandslaquaisimposants, petits
grooms
exigus,Vermeil seigneurial des richesambigus.
Le système d'emprunt, étendantsesconquêtes, Fait, dansplusd'un salon,
emprunter
desbanquettes;Et, tousnos jeunesgensse faisantvieux causeurs,
On
amême
parfoisemprunté
des danseurs.THOMASSIN.
Rien nesera trop beau pour marier
ma
fille.J'aurai des conviés, amis dela famille.
Clémence
et moi pourtantdésirons recevoir Quiconque vous voudrezamener demain
soir, Nousestimant heureux qu'à ce bal on assiste...MADAME
N GEN T, tirantun papier.Merci, monsieur.
—
Jeveux vousprésenterma
liste.Lisant.
Monsieur deCourville...
CLÉMENCE.
Ah
!MADAME NOGENT.
Quoi! VOUS le connaissez?
CLÉMENCE,
avec embarras.Si nousleconnaissons!...
THOMASSIN.
Courville?... Mais assez.
C L É
M
ENCE.Aux
Ardennes,j'étaisautrefois sa voisine.4
LK SAGE ET LE FOU.
TH
M
As sIN.Le château de sa
mère
estprès demon
usine.MADAME NOGENT.
Ah! n'est-cepasque c'est
un
jeunehomme
charmant?Mais nous enparlerons dans
un
autremoment.
Voyez donc cette liste.
TH
M
AssIN.A
VOUSjem'en rapporte...Etc'estl'appartement(lueplutôt il m'importe De connaître...
MADAME NOGENT.
Venez, jeveux vous fairevoir Lapiècedontje fais quelquefois
mon
boudoir.De mon
mari défunt lorsqu'unami s'informe, J'ymontre
son portrait ornéd'un uniforme.EllesortavecThomassinpar lagauche.
SCÈNE
II.CLÉMENCE,
seuleetrêveuse.Léon,je
m'en
souviens!—
Nous étions tousdeux
seuls,A
la grilledu
parc, dansl'alléeaux tilleuls,Cette dernièrefois qu'ensemble nous parlâmes, llêvant
un
seulquatrain pour nosépithalaines!...Oh!
c'étaitdema
part desaveuxinnocents.Enfantillage pur!... Car,j'avais quatorzeans...
Et pourtant,malgrémoi,
quand
j'y pense... j'entremble!...Quel hasard de
nouveau
nousfait trouver ensemble!Fallait-il qu'avec
moi
Léon serencontrât Lesoir de ce bal oùje signemon
contrat?...ACTE
I.Etquevais-je éprouver toutà coup à sa vue?...
lîemettons-nous... Depuisla dernièreentrevue, Quatre sièclesbien longs, quatreans sesont passés!
Ah!
tousnos souvenirs doivent être effacés!...Et qui m'assureencor que Léon reconnaisse Cellequedistingua sapremière jeunesse?
Iln'estplusrevenulà-bas au
doux
pays;Et c'estsans trahison, du moins, queje trahis.
SCÈNE
III.THOMASSI^, CLÉMENCE.
THOMASSIN,
à la portek gauche.Soit! provisoirement,au premierjem'installe.
AClémence, enl'appelantàlui.
Regarde! Il fait,je crois, très-clairdanscette salle Pour finirtonportrait... Qu'enpenses-tu?
CLÉ M
EN G E, s'appi-ochant.Voj'ons!...
Bien!...
TH JIAs sIN.
J'aidit de descendreet pinceauxetcrayons...
Nousvoilà seuls,
ma
fille; écoute-moi, Clémence...Une
nouvellevieaprèsdemain commence
Pour nous.Ton
mariageest arrêté; tu dois Faireun
très-))onaccueil à MauriceCourtois;C'estton futurépoux,
un
excellentjeunehomme
Quisefait respecter partout,
quand
il senomme;
C'est
un
des avocats qui font leplusdebruitAu
Palais, Son état est fortbon
; il conduitG Lt:
SA GE ET LU FOU.
A
tout;un
avocat, lorsqu'il afait son stage, Devienttoutcequ'il veut... etmême
davantage.Quisait?Puis,quantaux
mœurs,
lemonde
esttrès-content Desmœurs
decejeunehomme,
etvoilà l'important! Les mœurs!...CLÉMENCE.
c'esttrès-bien;mais,jeledissansreproche
Pour
votreprotégé, lorsquel'instantapprocheDe
signer le contrat, il retarde toujours.Etpour tantde délaischerche mille détours.
T
H M
AssIN.Je n'ai pasremarqué.
—
C'est assezquejesenteQue mon
choix paternel tetrouve obéissante;Etjene
comprends
pas,moi
quisuissijoyeux,Que
lamême
gaîténe soitpasdans tesyeux.CLÉMENCE,
souriant.Je suiscequ'unefille à
mon
âgedoit être:Que
dirait-ondemoi
sijefaisais paraîtreTrop
dejoie?Avec
soin jegardemes
secrets:Dans
un
hôtelgarni lesmurs
sont indiscrets.THOMASSIN.
Laprudencetevient,
ma
fille, debonne
heure.CLÉMENCE.
Je cache encor douxjours
ma
joieintérieure, Maiscomme
il faut avoirun
visage riantVous
verrezsije suisgaieenme
mariant.THOMASSIN.
Noussignons le contrat
demain
dansune
fête!c L É:\iEN cE.
C'estcharmant!etdéjà
ma
robeesttouteprête.J'ai des fleursdeBatton pour
mes
cheveux! Je vaisACTK
I.Coniiiiander uii chapeau chez Maurice Beauvais.
TH
M
As sIN.Mais oùdiable as-tu pristous ces
noms
de toilette?CLÉMENCE.
Mon
éducation neserait pascomplèteSije lesignorais!
THOMASSIN.
OÙ
les a-t-elleappris?C'estla premièrefois qu'ellevient à Paris.
CLÉMENCE.
MaisParis vientchez
moi
touslesjoursdel'année; Je lislesfeuilletons; vous m'avezabonnée
Au
journal de laMode,
etcela vous fait voirQue
nousn'avons besoin de rien pour toutsavoir.THOMASSIN.
Elleen saitplus quemoi.
CLÉMENCE.
Beau
miracle! vousêtes Enfoncé touslesjoursdans deux ou troisgazettes;Mais sanslirejamais lesfeuilletons...
Eh
bien!Dans
lesPremiers-Paris on n'apprend jamaisrien.THOMASSIN,
à part.Voilà cequ'on appelle
une
fille ingénue!Avec unsoupii-.
Ah!
CLÉMENCE, rcganlant lapendule.
Madame Dubourg
n'estpas encorvenue
!Ellem'a
demandé
deux séances;je croisQue, pour peindre
un
portrait,on enmet
plusdetrois.Mon
père, vousserezcontent dumien
,ma
pose Est charmante:je tiensàlamain une
rose;8 Lli SArili liT
LE FOU.
.I(^suis iionclialaninient assise, etj(>souris De bonheur, en songeant quej'iialjite l'aris.
Oh
!madame Dubourg
est une grandeartiste!THOM
ASSIA.Maisellea,jelesais,des motifs d'être triste.
J'ai
connu
son mari; c'étaitun
libertin,
'l'i'oisfois f)lusâgé qu'elle... et, parun beau matin,
Ayant
et lapoitrineet la liourse malades, LeDubourg
a cinglé, je crois, verslesBarbades.C hKME NCE.
OÙ
sansdoute ilestmort?THOMASSIN.
Ah
! qui peutle savoir?...MadameDubourgentretrès-agiti-e
.
SCÈNE
IV.CLÉMENCE, THOMASSIN, MADAME DUlîOUUC.
THOMASSIN.
C'estelle.
MADAME DUBOURG,
hors cVhaleme.Permettez, monsieur.... jeveuxm'asseoir.
CLÉMENCE.
Ah!
mon
Dieu! qu'avez-vous?
MADAME DUBOURG.
Jesuistoutetroublée...
Dansce mauditParis,
une femme
isolée Est à plaindre!... Devantle café CardinalUn
jeune homme...un
lion qui lisait unjournal S'estjetébrusquement
devantmoi...ACTE
1.THOMASSKN.
Quelle audace!
MADAME DUBOURG,
•
On
insulte toujours unefemme
qui passe!C'est la
mode
aujourd'hui... moi, j'ai hâtéle pas;Ilétaitsur
ma
trace, etneme
quittait pas;Mais ce n'est rien... voyez
comme
j'étaisémue!
J'aivu...
mon
braceletd'or...tomber
danslarue, Etma main
qui tremblait n'apu
leretenir!J'en suisaudésespoir... c'était
un
souvenir!CLÉMENCE.
De
votremari?MADAME DUBOURG.
Non...oui... j'ai perdulatète!...
Il
me
l'avaitdonné
laveilledema
fête.Onehlcnildubruit. Suspciisiuii.
SCENE
V.Les Précédents, COURVILLE.
L É X.
ParaissantaufonJ avecungarron.
—
Augarçon d'hôtelNe
disrienà madame... icijeveuxentrer.Il s'avaiico(^trostestupôf.dten aperceraiitClémence.
C'est elle!quel
bonheur me
la faitrencontrer!...Oui, c'estelle!...
clémence,
à part.Léon!... Oui, Léon deCourville!.
Ellesortavecprccipitatiin.
1.
10
LK SAGE ET LE FOU.
SCÈNE
VI.Les Mêmes,
moinsCLÉMENCE.
LÉON,
àmailame Dubourg en rendantlebracelet.Un
braceletperdu dans cettegrande villeNe
seretrouve pas, c'estle sortdes bijoux;Une
foisle hasard se faitgalantpourvous.MADAME DU BOURG.
C'est bien, monsieur;je n'ai quedesgrâces à rendre.
THOMASSIN,
montrantla porte àgaucho.Ma
fille en cettepit'ce avoulu vousattendre.MadameDubourgsalue et sortdumêmecôtéque Clémence.
SCÈNE VIL
TIIOMASSIN, LÉON DE COUIVVILLE.
TH
M
AssIN.Mais jelereconnais!... Monsieur Léon!... C'estlui!...
LEON. Useretourne versThomassinet lereconmit;ilsseserrentla mai
Ah! monsieurThomassin!... jesavaisqu'aujourd'hui Quelque chose d'heureux m'arriveraitsans doute
,
Carjen'ai rencontré, cematin, sur
ma
route,Que
desfemmes
avecun
visagecharmant
;Ce présagepublic
me trompe
rarement.Vous
à Paris!TH
M
As sIN.Alais oui.
LÉON.
Vraiment,(|uelle aventure
ACTE
I.Vousa doncfait quitter votremanufacture, Et puis, par
un
hasard, pour moi fort obligeant, Vousamène
à Paris, chezmadame
Nogent?Tn
M
As sIN, arec mystire.J'y vienspour uneaffaire...
une
affairemajeure, Etnous en causerons...LÉO
i\.Causons-en.
THOMASSIN.
Toutà l'heure.
Nous avonsbienle
temps
de causerentre nousDe
ceschoses... Voyons,mon
cher, que faites-vous?L É ^
\
Ce qu'on faitàParis;jenefais rien;j'existe:
Moi seul,je reste gai,dans cesiècle sitriste; Je cultive lesjours,j'effeuilleles instants :
Jesuisjeune, depuis.,, queje n'ai plus vingt ans.
Parde charmantssecrets, que
ma pudeur
doit taire.Je chassede chez
moi
l'ennui célibataire;Je m'instruisau métierdu mariage; mais
,
Pourm'instruirelongtemps,je n'épouse jamais.
Des richessesdu
cœur ma bouche
estsiprodigueQue
je manqueraisd'airdansune
seule intrigue.Pourrespireràl'aise, il
me
faut desamours
Qu'un plaisirinconstant rajeunit touslesjours.Enfin,sivousvoulez lire au fond de
mon àme.
Jesuisnétrop jalouxpour n'aimer qu'une
femme;
J'enaime doncplusieurs àlafois; c'estainsi
Que
j'épargne àmon
frontlesridesdu
souci.Lecalme intérieur
du
couvent cénobite .N'abandonnejamaisla maison quej'habite;12
LE SAGE ET LE FOU.
Les scènes de i'ureurqueles
femmes
nousfont ,\o lézardentjamaismon
tranquille plafond;Jamaislajalousie, à
mon
seuil, ne déchaîneUn amour
isolé,ce frère de la haine:DansParis,
mon amour
éparpille un sérail;Les sultansl'onten gros, jele cueilleen détail.
Sousla sérénité de l'azurqui m'abrite
,
J'ai tissul'édredonsoyeux
du
sybarite;Et si
mes
voluptéstrouventune
douleur C'estle pli d'unegaze, ou le pli d'unefleur.ÏHOMASSIN,
coBsteinr.(}uelles
mœurs!
LÉON.
Excusez lesvicesdu bel âge, Lafauteestà Paris, qui n'estpas
un
village,
Mais
un
département, etdontleshorizonsOnt
cinq cent milleamours
etvingt mille maisons.^\»ulez-vousluaintenant quetoutchange deface Cihezmonsieur Thomassin? Voulez-vous queje fasse
Ma
révolution en troisjours?THOMASSIN.
Jeveux bien; l'^tdites-moi, pourvous, cequ'il faut faire?
LÉON.
Hien.
Donnez-moi votrefdle, etje pars;j'abandonne Paris, cequ'ilpromet, cequ'il vend, cequ'il donne;
Jevaism'ensevelir
comme
dansun
couvent.Chezvous;etj'étudie, etje
me
faissavant;Pourtousles villageoisje bâtis
une
école;Je deviens président d'un comiceagricole;
ACTE
I. 13 Je deviensphilanthropeenragé;jemaigris;Je teins
mon
frac en vert etmes
cheveux engris; J'élève les moutons, lesbœufs,lesorphelines, Leschèvres du Thil)et, lesraces chevalines;C'estl'œuvredeClémence; accordez-moisa
main
,
Jesuisjeuneaujourd'hui,j'auraicent ansdemain.
THOMASSIN,
ému.Eh
bien,je suischarmé
detoutceque vousdites;Vos paroles, jecrois,nesontpas hypocrites;
Etqu'il
me
seraitdoux,h parler franchement, n'être votre soutienpourcebeauchangement
;Alais...
LÉON.
Pointde inaif;,monsieur Thomassin,jevousprie;
Dèscesoir, auplus tard,jevends
ma
galerie, Trentetableauxde choix, dontlaventeesttoujoursAnnoncée
, etqu'on vient voirchez moi tous lesjours.Je nelesvends jamais;j'en
demande
dessommes
Fabuleuses,autemps d'avariceoù nous
sommes;
Et tout Parisoisifvientperdreses
moments
A cemusée, ouvert dansmes
appartements.Pour dorer
mes
ennuis, voyez cequej'invente.Cher monsieur Thomassin!
une
éternelle vente!Afin quetoute
femme
ait le droit, belle ou non.D'y venir sansjamais
compromettre
son nom.Eh
bien, pourcommencer une
nouvelle vie.Voilà ce(ju'aujourd'hui
même
je sacrifie;Etje
me
fais, afin derompre
avec Paris, Commissaire-priseur, pourtout vendreàvil prix.THOMASSIN.
Ne
vendez rien... je suisforcéde vousapprendreU LK
SAGi-ET
1. 1£FOU.
Que
j'ai déjà choisi... aLÉON.
Mes
tableaux?...TH
M
AssIN.Non,
un
gendre.LÉON.
Que
dites-vous?THOMASSIN,
souriantavec malignité.
Je disquedepuis bienlongtemps
On
connaît et vosmœurs
etvosgoûts inconstants.Près de l'usinedontjesuis propriétaire, Votre
mère
possède, à titre héréditaire,Un domaine
légué parvosnolîles aïeux.Aussi,
comme
voisin, vousconnaissant bienmieux, Je dis que de nos Ijois arpentant leslisières,
Vousavez quelquefois
compromis
desrosi'res!...I,É N.
Passons sur cesdétails.
THOMASSIN.
Je dis que depuis lors, Eussiez-vous été fils deprinces ou delords,
Ayantdesdroitssurtout, à tout pouvant prétendre,
J'aijuré que jamais vous ne seriez
mon
gendre.J'ajouteque, chez moi, c'est
un
pointrésolu.L'époux de
mon
enfantparmoi
doitêtreélu.Et je
donne
àma
filleun
trésordeménage
,
Un
avocatn'a.yantrien desgoûtsde son âge.Jeune
homme du moment
et vieillarddu
passé, .Méthodique, frugal, studieux, compassé.Etqu'enfinj'ai
connu
i)ar unejilaidoii-ieQuim'avalu, monsieur, vingt arpents deprairie.
ACTE
I. 15LÉON.
Ce gendre, quel qu'ilsoit,je voudrais Ijien le voir.
TH
M
As sIN.C'est aisé,car bientôtje vais lerecevoir.
LÉO
N.Tant mieux! nousviderons laquerelle enfamille.
Jel'attends; et s'ilvient parler à votre fille ,
Jel'arrête;ets'il veut
marcher
droit àson but, Jele tue; ilme
faut celapourmon
débutITHOMASSIN,
effrayé.Revenez au
bon
sens!...LÉO
N.Et quel estcejeune
homme?
THOMASSIN,
allant àlap<.rto.Que
vousimporte?..Ilvient!., je l'entends...LÉON.
lise
nomme?
ïH -AIAs s1 1\.
Courtois...
LÉON.
Et son
prénom?
T
HOMA
SSlN.Maurice... Le voici!
L KON, àl'art,consterm'.
Bon! c'est
un
coup de foudre en plein soleil... Merci, Destin!SCÈNE
VIII.Les
:\1è\ies,MAUIUCE, COUUTOIS.
AIAURIC E, allant àThoma^sinet luiserrantlamain.
Mon
cher beau-père!ir,
LE SAGE ET LE FOU.
THOMASSIN.
/\h! cetteexactitude iMe plait, monsieur Courtois.
MAURICE.
J'ai fermé
mon
étude Pour troisjours; à troisjoursmes
procèssont remis..l'ai toutcongédié, clients, clercs et
commis,
Code, dossiers, exploits, procédurecivile...
LEON,
s'avanc;ant.Tous lesennuis, enfin....
MAURICE,
se retournant-Ail! Léon deCourville!
(ils seserrentlamain.) TH
M
AS SIN.Vous VOUS connaissezdonc
beaucoup?
MAURICE.
.le l'ai tiré D'un mauvaispas.
THOMASSIN,
joyeux.Vraiment?
LÉON.
.le t'ai bien admiré Cejour-là... cher Maurice...
THOMASSIN.
Et pourrait-on connaître Le...?
r,K N.
Voici... Je prenais d'assaut unefenêtre
A
minuit, sans passer parla porte... .Te tais Lenom,
lenuméro,
larue oùje montais...Une
patrouillegrise, à cemême
instant passe,ACTE
I. 17 Et voit unêtrehumain
suspendu dans l'espace,A
trente piedsdu
sol... L'héroïque sergent M'ordonne de descendre et d'être diligent.J'obéis; ilfallaitjouer
un
rôleinfâme,Pour sauver
mon
honneur,compromettre une
femme.Jene balançai point... enprisonjefus mis, Etde deux
noms,
lemien
seulresta compromis.TH
M
As sIN.Je
comprends
; c'estalorsquevotre ami .Maurice Vous rendit au Palais...LÉON.
Un
éclatantservice.Carla fenêtreavait
un
mari;jaloux;néEn
Corse;un
Othello, maisperfectionné.Ilsoupçonnait
un
peu,du moins
jele suppose, Avec sonœil vitré, le fin fond dela chose, Et, pourbiense venger d'un semblable malheur.Me
faisaitvolontiers passerpour un voleur.Sij'étaisrelâché
comme amant
,—
sursonâme
Iljuraitqu'àl'instantil poignardait sa
femme.
Oh! plutôt quecela, quoiqu'il pût arriver, Je
me
seraisperdu, certes, pour lasauver!Ilserrelamainde Maurice.
Jelui dis : Imagine! invente! enfin découvre
Un moyen
quel qu'ilsoit pourquema
prison s'ouvre!...Fais au besoin, ami, ce que danspareilcas.
Pour sauverleurs clients, font lesgrands avocats;
Ta
parole, pour moi, peutsechanger enmanne.
Affirme hardiment queje suis
monomane.
Quand
par lesubstitutje vais être attaqué.Invoque adroitement
mon
cerveau détraqué.18
LE SAGE
I:T Ï.E lOli.Tu
te frappas le front, tu tegrattas roroille;Ta
harangue pour moi n'eutjamaissa pareille!Oui! tu te rappelas, ingénieuxCourtois,
Ou'un
homme
peutla nuits'exposersurles toits, Sanscraindre detomber
d'unbond
au vestibule...'J'u
me
fisno1)lement passerpoursomnambule
!lùi cette qualitéjen'étais pas
amant
,
Etle Corse n'eut pas àremplir son serment;
Et tu prouvas qu'on dortbien en touteposture;
Et tu fus approuvé par la magistrature!.,.
TH
M
\ ssIN.Quellefâcheuse affaire il avait surlesbras!
MAURICE,
àThomassin.:\Iaisiln'est pas
du
boisdont on faitlesingrats.L
ÉO
N, à part.J'avais
un
bienfaiteuraumonde,
on lemarieAvec Clémence
! Ilfautgarderma
galerie,
Et vivreenphilosophe, en doranttous
mes
jours, Etme
faire trois cent soixante-cinqamours De
rente; c'estconclu.THOMASSIN.
Vous
êtes,mon
cher gendre,Un
Cicéronmoderne,
etj'irai vousentendi'eAu
Palais.LÉON.
Au
l^alais! La tribunel'attend!Maurice, avant six mois, serareprésentant!
Aujourd'hui, c'estparlàqu'unjeune
homme commence.
M
AURIGE.Marions-nousd'abord...
ACTK
I. 19THOMASSIN.
lîien! allons voirClémence...
Elle iDOse...
On
lui faitson portraitaupastel...Tbomassinsortparla gauche,en invitantlesdeuxjeunes gensàlesuivre.
SCÈNE
IX.MAUIUCE,
LÉO-\.:mA URICE.
Viens saluer
ma femme.
LÉON.
Oh!
non... j'aidans ThôtelUne
visite à rendreà des Anglais.MAURICE.
Va
vite Etreviens-nousIjientôt... tu sais (luejet'inviteV
ma
noce.LÉO
.\.Merci.
M
A U RIGE.Tu
te fais donc prier?L É X.
En
y venant,j'aurais peur deme
marier.Je crains, danslesfléauxqui
menacent mon
âge,
Lepluscontagieux de tous, le mariage, Et je
demande
àDieuquema
lune de miel Brille par son absenceà l'horizon du ciel.M
A uRICE.Jeunefou!
20
LE SAGE ET
Lli 1"UU.LÉON.
C'estun
mot corrompu
par Tusage, Et quisouventdevientsynonyme
desage.Mauricesort.
SCÈNE
X.LÉON,
seul.Jeune fou!
me
dit-il; lui, c'estun
sage; il prendUne femme;
il épouseun
capital qui rend Vingt mille francs derente, enstyle de notaire;C'est
un
sage! ladotle faitpropriétaireDu
jourau lendemain; il spécule très-bien,
Ettire hal)ilement
un
millionde rien!C'est
un
sage! mais moi, sije m'éloigneviteDe
lanoce etdu
bal oùce mari m'invite.Où
je puis apporterdes souvenirs d'amour Quiterniraientl'azur virginal de cejour,On me
traitede fou!...Ton
bienfaitquime
lie M'obligesagement
àgarderma
folie,Maurice! etsijamaisje reprends
ma
raison,Va! sans êtreinvité, j'entre dans ta maison.
Maurice revienttrès-agitc.
SCÈNE
XI.LÉON, MAURICE.
JIA UF. ICE.
Toutestperdu, Léon!
ACTE
I. 21LÉON.
Voyons... parle... raconte...
Que
s'est-il doncpassé?MAU
RICE, a.cablé.Laisse-moidans
ma
honte,
Ne
m'interrogepas...LÉON.
Jeveuxt'interroger;
S'il s'agitd'un péril,jeveux le partager.
MAURICE.
Merci!... tu ne
peux
rien... Jenesaisquerésoudre.Quellefatalité,
mon
Dieu!.., quel coup defoudre!LÉON.
Veux-tu
donc
t'expliquer enfinplusclairement?MAURICE,
l.as.Sais-tu ce quej'aivu dans cetappartement?
LÉON.
Non.
MAURICE.
Elle,
mon
ami!LÉON.
Qui? mais qui donc elle?
Explique-toi.
MAURICE.
Clotilde!...
LÉON,
de plus enplus étonné.Ail! Clotilde?... et laquelle?...
Ilenestplus devingtpar rue etpar faubourg.
QuelleClotilde,enfin?
M
AU RICE.Ah!
madame Dubourg!
22
LE SAGE ET LE FOU.
LÉON.
Ah
!madame
Diil)Ourg!MAURICE.
Comprends-tu?
LÉON.
Ton
front blême, Courtois,m'a
faitenfinrésoudre ce problème;Mon
amitié naïve, éloignant toutsoupçon.Donnaittrop devertusà tes
mœurs
de garçon.Paris
compte un
quartierdont l'amourestle maire;Le mariage y reste àl'état de chimère.
Tu
t'esmariélà?MAURICE, d'un tonpudibond.
Pourplusd'uneraison
,
Nous
nedemeurons
pas danslamême
maison.Ma
réputation parlesuccès accrue...LEON,
l'interrompant.Et vous ne logezdonc que dansla
même
rue?...MAURICE,
arr-c pudiMir.Nous
sommes
séparéspartrentenuméros.LÉON,
riant.Tartufe,dans-siongenre, enfante des héros!
MAURICE.
Ah! ne m'accable pas... Toutà l'heure son
âme A
paru s'échapper dansun
regard de flamme;Ellealaissé tonil)er
deux
motspluséloquentsQue
tousmes
plaidoyers...LÉON.
Quelssont cesmots?
MAURICE.
Cinq ans!
ACTE
I. 23 Oui, cettefemme —
ùtoi, Léon,jeleconfie,Ma donné
sonamour
et cinqansdesa vie!Cinq ans d'affection, cinq ans de dévouement, Cinq ansdejoursheureux, passés
comme un moment.
Elle fut
ma
raison dansl'ardentpremierâge;Dans mes
abattementselle futmon
courage;Ma muse
auprès de quimon
travails'achevait;Puis quelquefois
ma sœur
veillant àmon
chevet.Que
te dirai-je, ami?Si lemonde
consacre Lemariageseul, etnon
sonsimulacre,Il semble, après cinq ans, qu'on ne redoute rien;
Une
intrigue paraît saintecomme un
lieu;Aprèscinq ans, l'amours'associe àl'estime Etse
donne un
vernisd'union légitime.LÉON.
Moije n'en eusjamais decettelongueur-là;
Jetecroissurparole... etlafin?
AlAURICE.
M'yvoilà :...
J'aivoulum'établir...
Tu comprends
toutdesuite Qu'il fallutréformermes
vieux plans deconduite.Rompre
avecmon
passéfrivole ettoutbainiirDe mon cœur,
pourentrerpur dansmon
avenir.Comme
je n'avaispointde reprocheà lui faire.J'aicessé
brusquement
de lavoir;je préfère Ce genre de ruptureà cesemportements
Quiserventde prétexte aucommun
desamants.Quinzejours sont passés; je croisqueje
commence Une
nouvellevie... etlà... prèsdeClémence
Je rencontreClotilde...
24
LE SAGE ET LE FOU.
LÉON.
Ah!
mon
Dieu!M
A uRIcE.Tout
mon
sang Se glace,etje reculeenla reconnaissant!...LK N.
Écoute,
mon
ami, ces sortesd'aventuresOffrent, pour
dénouement
, denombreuses
ruptures, Et selon qu'on nous aime,ou
bienque nous aimons.Il y fautdéployerplus ou moins de
poumons.
Que
te dirai-je, ami?Pour
tedélivrerd'elle, Prouve-lui clairementqu'elle fut infidèle,
C'esttoujours vraisemblable.
MAURICE,
très-vivement.Oui, mais cen'estpasvrai
Pour
elle; et vainementjele luisoutiendrai.LÉON.
Fat!
MAURICE.
INon, maisjelui dois etrends cette justice.
LÉON.
Oh
!tul'aimes toujours.MAURICE.
Non,
Léon.LÉON.
Si, Maurice.
MAURICE.
Non
, te dis-je!Avecagitation.
Elle vient,je crois, de cecôté...
LÉON,
écoutant.Oui,c'est le frôlement d'unsatinirrité!...
iM;ulauic Lmlii.iurg- cnti-cJiarla porteàgaucho.
ACTE
I. 2SCÈNE
XII.MADAME DUBOURG, MAURICE, LÉON.
MADAME DUBOURG,
à part.Il n'estpasseul!
AllantàMaurice,etd'un tonimpérieux:
Monsieur, votre bras.
MAURICE,
irrésolu.Mais,
madame!..
MADAME DDBOURG,
indiquantlaporte à gauche.Voulez-vousque plus haut icijele réclame?...
Maurice, commeobéissantà une fascination,lui donnele tras et sortavecelleparlefond.
SCÈNE
XIII.LÉON,
seul.Par
une femme
ainsi se voirhumilié!C'esttrop fort!... pauvreesclave à sachaîne lié, Il
marche
avec lespieds d'autrui! Voilà bien l'homme, Lefou, quide sagesse areçule diplôme!Moi, qui n'admisjamais
un amour
exigeant, Jedescends ausalon demadame
Nogent;Carj'ai mis dansl'herbierde
mes
tendres annales Cette fleurprintanièreauxgrâces automnales!...Maisde peurque trop fort
mon âme
l'adorât, Jeme
suissouvenud'un vers de feuDorât, Oui, saisi deregretpourles follestendresses.Disait: Il estpassé letempsdes cinqmaîtres.ses!...
2
26
LE SAGE ET LE FOU.
Etje n'ai pasvoulu,
même
encore aujourd'hui, Pouvoir prendre pourmoi
cequ'ildisaitpourlui!...Comptantsur ses doigts.
De
Rieux, grandedame,
et Léda,fl nancirre (Demon cœur
touteclasse est la créancière).Un
bas-bleudiaphane, aulyrisme exigeant;Trois.
— Quant
autiers-état, c'estmadame
Nogent;Quatre!
— Donc,
en comptantlaviveÉmérantine, Total, cinq!O
Dorât, dans tongoûtjem'obstine!—
C'estbienpourquoije puis venirdemain
au bal.En ami
de Maurice, etnon
pas en rival!...D'un
amour
qui m'enchaîneun
autreme
délivre;Les
femmes
sontpourmoi
lesfeuilletsd'unseul livre Jemets encinq tableauxlamême
passion;Etsuisaussichangeant... qu'une conviction.
Il sort.
FIN DU PREMIER ACTE.
-•|s-«>-S>-g>Çi3(;6 r":r<S-<**-*-
ACTE DEUXIÈME
.Mi'meilécorqu'au iireuiicracte. — LefondestiUumiué puurun bal.
SCENE PREMIERE.
MADAME ^O^.E^T, É.MÉRANTINE.
l\Iai.lame Nogent est debout devant la î^lace. Émérautiiie met la demi main à sa toilette.
MADAME NOGENT,
àÉmcrantine.Ma
toilette de bal est-elle bien?ÉMÉRANTINE.
Vous êtes
Du
goût leplus exquisdanstoutes vostoilettes,Du
soinle pluscharmant
, le plusdélicat; mais Jevoustrouve cesoirplusbellequejamais.MADAME NOGENT.
Grâceclvotretalent...
É
M
ÉRA N TINE.Non
, grâce àvotretaille Si bienprise, madame...Oh!
lorsqueje travaille Pour vous,je suis à Taise, etne redoute rien.Etje sais qu'en public
mon
ouvrageirabien,
Carsi quelquedéfautà
mes yeux
sedérobe,
Un
coi'psparfaittoujours doit corrigerlarobe.28
LE
S AGI-:ET LE FOU.
MADAME LOGENT.
f-'latteuse!...
ÉJIÉ R A N TINE.
Quelcorsasse! uni
comme un
miroir...Comme
ils serontheureux ceuxquipourront vousvoir Danser toutela nuit!... avecquelle tristesseJeregrettecesoirde n'être pascomtesse!
Voilàqu'il
me
fautfuir, là, tout justeaumoment Où
je voudrais resterpourvoir ce bal charmant.MADAME NOGENT.
Ah!
j'entendsannoncer quelqu'un!É
M
É R A NTINE.Je
me
retire...A part.
J'évitece quelqu'un...j'auraistrop àlui dire...
Ellesoi'tàgauche avec safemmede chambre.
SCÈNE IL
MADAME LOGENT, LÉON,
uuixuciuct àu
maiu.LÉON.
J'arrive le premier.
MADAME NOGENT.
C'estlouable, vraiment!
Je vous reconnaisbien à cet empressement.
LÉON.
Avanttout, permettezquejevouscomplimente!...
Quel luxe!queléclat! quel goûtdélicieux!
Un
ensemblesibeau faitlecharme
desyeux, Et toutadorateurému
qui vouscontemple,
Croitque votre salonva sechanger entemple.
ACTE
II. 29MADAME NOGENT.
Vous
me
ditescela... c'estfortbeau; niaispoui'tantA
bien d'autres que moi vous enditesautant.LÉO
N.A
(;i,ui ,madame
?MA
DAME
A GEXT.-Maisd'abord,monsieur,à toutes.
LÉO
X.(lardez-vous delecroire.
MADAME NOGENT.
Oh!
je n'aiplusdedoutes, Etdu
moins, quantàtrois.LÉON.
Qu'avez-vousdoncappris?
MADAME NOGENT.
Ces choses-là toujourss'apprennentà Paris; Etquoiqu'on aitécrit,jecroisquesurlaterre
Il n'estpas
une
ville avecmoins demystère.LÉ N.
Vous m'intriguezbeaucoup; je seraiscurieux Desavoir...
MADAME NOGENT.
Quoi! trois
noms? Madame
de Rieux, PuisLéda, puis, enfin, Sigismond de Saint-Ange, l''emme-auteur,un
bas-bleu qui, pourdonnerlechange, V'rendcenom
masculin,— pseudonyme charmant
Quiluivientd'uneterre, ou, dit-on,d'unamant.—
Ma
jalousieest-elle assezbien éclairée?LÉO
N.Elle estsansfondement aucun, belleadorée.
30 Lli
SAGE KT LE FOU.
MADAME NOGENT.
Ah!reflVonté menteur! sijamaisjevouscrois!...
LÉON.
J'ai
rompu
ce matin avectouteslestrois!MADAME
N (;E NT.C'estbien plusfort,monsieur.
—
Léon,dois-jevouscroire?LÉON.
Je pourrais, aubesoin, vousen donnerl'histoire
Avec
tousses détails.MADAME NOGENT.
Fi donc! detelsaveux!
Puis-je lesvouloir?
LEON,
bas, ensouriant.C'estle pluscher de ses\(eux.
MADAME NOGENT.
lecrainsàchaqueinstantque le
monde
n'arrive.LÉON.
Prêtez enattendant
une
oreilleattentive.MADAME NOGENT.
Ceseramalgrémoi. \Lais quoi! voussouriez!
Voyons,
commencez
donc!LÉON.
Écoutez-moi... Voyez Avec queltact aisé, f|uellegrâceingénue Je quitte
une
beauté,quand
je l'ai trop connue...Madame
deIlieux,rêvantun
autreÉden
,
M'aprié de la suivreaux eaux de
Wiesbaden
: Or, cette excursionneme
convenaitguères,
Etnous avons
rompu
sans des plaintes vulgaires...Pourcellequirépond au doux
nom
de Léda, C'estune
Danaé de laplacelîréda,ACTE
II. 31Non
moinsinaccessibleen sonhumeur
affableQue
ladame
inventée autrefoispar la Fable;Et
comme
Jupiter, toutmoderne
:\Iondor Ouvriraitson boudoir avecune
clé d'or.Ellene mentait pasavec seslèvres d'ange Lorsqu'ellem'avouait
un
seulagentde change;Maisj'aivoulusavoirtoutela vérité;
C'étaient trois-tiersd'agent quiformaient l'unité! L'addition pouvait lui paraîtrecorrecte; •
Leschifl'resaujourd'hui sont tout cequ'on respecte!
Jen'ai plus
maintemant
qu'àvousnarrer àfondMon dénouement
aveclabelleSigismond,
Femme
pleinedestyle etdedésinvolture,Menant
de frontsonâme
et lalittérature;Élégiaqueauteur, vivant de sonétat.
Avec
lapensionqu'elletient de l'État.Rompre
avecun
bas-bleun'est paschosecommode
;J'aitrouvéSigismond en traindefaire uneode...
Contre un sexe trompeur... pasle vôtre... le mien...
Avant de l'écouter, je latrouvais très-bien.
Maiselle
me
l'a lue... et c'est lacatastrophe.J'ai criticfué deuxvers à la find'unestrophe.
Sigismond, en courroux, sur-le-champ m'affirma Qu'ellem'ôtaitle droit de l'appelerIrma;
Je la vois irritée; aussitôtje m'écrie :
Quoi! la plusjeune
muse
est changée en furie!Qu'en dira
Mnémosyne?
etqu'en ditApollon?Et lasainte colline? et le sacré vallon?
J'oubliais,en faisant ainsi
du
selattique,Que mon
bas-bleu brillaitd'indigo romantique;Jugez!jeprendsgants,stick,deuxchapeaux,...etjepars.
32
LE SAGE ET LE FOU.
Lalaissantpoingsserrés, cheveuxet versé|)ars!
Oui, voilà
ma
journée avec sesaventures!Trois insolubles
nœuds
coupés partroisruptures!Voyez
comme,
ici-bas, l'amourest limité, Etcombien
peu d'instantsdureune
éternité!MADAME NOGENT.
Vousêtes, savez-vous,
un homme
abominable.LÉOiX.
Je n'attendais pas moins qu'un
compliment
seml)lable.M
AU AMENOGENT.
i\on,je veux vous haïr.
LÉON.
1laïssons-nous toujours.
La hainefaittrès-ljicn au milieu des
amours!
Ilporte àseslèvres la niaiuîlemadame Nogeut.
—
Tliomassiii entreaunn'raomoment.SCÈNE
III.MADAME NOGENT, LÉON, TlIOMASSlxN.
^. THOJIASSIN,i
part.Ah!
je n'espérais pas des surprises pareilles!...Il faudrait à Paris
manquer
d'yeux et d'oreilles.MADAME NOGENT,
à Léon.Le monsieur du second!
Que
va-t-il donc penser?LEON,
àmadameNogent.Oh! rassurez-vous... rienqui vouspuisse offenser.
PlusbautàTliomassin.
Je rendais à
madame
un tribut légitime.Faisantle gestede porterune maingalammentàseslèvres.