A TABLE
Je pense encore à cet objet Oublié, perdu, obsolète, Victime d'un total rejet :
L'alliance en bois de ma serviette. Ce rond de buis était gravé De mon prénom, en italique, Couvert d'un vernis délavé Je l'aimais comme une relique. Je vois encore ce doigt bagué Tout près de la jolie faïence Que ma grand-mère m'a léguée Avec amour et bienveillance. Les assiettes avaient toutes un fond Peint aux couleurs de méthylène Avec les thèmes en colophon Des fables du cher La Fontaine. Un jour pour essuyer ma bouche Du papier me fut proposé Comme un enfant avec sa couche Sur un orifice opposé.
Pour ce qu'on nous met dans la bouche En souhaitant que l'on me pardonne D'en remettre encore une couche Et de crier comme Cambronne. A présent face à mes convives Nés d'une autre génération Ils insistent pour que je vive Dans l'univers de leurs passions. Avec son manque d'attention Mon interlocuteur aphone Evite la conversation
Pour mieux surveiller son iPhone La tête penchée vers la table Souhaitant le bénédicité Pour son téléphone portable Auteur de ses félicités. Mais où est donc leur avantage Dans ce monde tout connecté Quand leur vie n'est qu'un formatage Pourquoi à mon tour m'addicter ? Retrouver mon rond de serviette Retrouver ma vieille faïence Pouvoir enfin faire causette Sur des sujets sans importance. Notre dialogue sans le verbe, Sans un regard, est inhumain Et il n'est rien de plus superbe : Te voir... parler... saisir ta main...