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POLITIQUES PUBLIQUES DES DROGUES ET MODÈLES DE DÉPENDANCE

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POLITIQUES PUBLIQUES DES DROGUES ET MODÈLES DE DÉPENDANCE Fabrice Etilé

Presses de Sciences Po | « Revue économique » 2004/4 Vol. 55 | pages 715 à 744

ISSN 0035-2764 ISBN 2724629809

DOI 10.3917/reco.554.0715

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-economique-2004-4-page-715.htm

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et modèles de dépendance

Fabrice Etilé

*

Nous montrons que les politiques publiques des drogues, des plus libérales aux plus paternalistes, trouvent un fondement théorique dans les différents modè- les de dépendance proposés dans la littérature. Ceux-ci se distinguent par des hypothèses portant sur la dynamique des préférences des consommateurs de dro- gues, la forme de leurs préférences instantanées, l’imperfection de l’information sur les risques des drogues et la rationalité de leurs préférences dynamiques. Les recherches actuelles visent à tester ces modèles et, par conséquent, à évaluer l’intérêt des politiques publiques associées. Si les politiques de prix sont efficaces, cela ne semble pas être le cas des politiques d’information. Les programmes ciblés d’assistance et d’information ont été peu étudiés. L’évaluation empirique de l’effi- cacité des politiques publiques nécessite, pour la France, une amélioration subs- tantielle du dispositif d’observation.

DRUG POLICIES AND MODELS OF ADDICTION

This paper compares a number of economic models of addiction. We show that they are all characterised by specific assumptions relating to tastes, changes in tastes, information and dynamic consistency. From a normative point of view, this rich set of assumptions may justify liberal as well as paternalistic public policies. Current resear- ches thus aim at testing these assumptions in order to evaluate the efficiency of asso- ciated drug policies. Better data are needed for this research agenda in France.

Classification JEL : D11, D12, D6, D83, I12.

INTRODUCTION

Mener une analyse correcte du marché des drogues suppose de connaître la forme précise des fonctions d’offre et de demande. Or, d’une part, l’offre de drogues est strictement réglementée1. D’autre part, pour connaître la forme de la

1. Pour des analyses des effets de la pénalisation sur la qualité des produits, la structuration statique et dynamique du marché, cf., entre autres, Poret [2002], Clark [1999], Kopp [1997], Miron et Zwiebel [1995], Kopp [1994], Choiseul-Praslin [1991].

* INRA-CORELA, 65 boulevard de Brandebourg, 94205 Ivry-sur-Seine cedex.

Courriel : etile@ivry.inra.fr.

Remerciements : Andrew Clark, Pierre-Yves Geoffard, Séverine Gojard, Pierre Kopp, Louis Lévy-Garboua, Anne Lhuissier, Lise Rochaix-Ranson, Sébastien Lecocq, les participants aux projets

TEAM/MILDT. Deux rapporteurs anonymes m’ont aidé à améliorer considérablement une première version. Cet article a été rédigé avec le soutien financier de la MILDT et de l’INSERM dans le cadre d’un projet de recherche du TEAM (Université Paris I). L’auteur porte seul la responsabilité de ses propos.

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demande, il faut disposer d’un modèle pertinent de dépendance, puisque ce phénomène distingue les drogues des autres biens. Dans cet article, nous ne nous intéressons pas aux particularités de l’offre, mais plutôt aux fondements précis que les politiques publiques de la demande de drogues peuvent trouver dans les divers modèles de dépendance proposés jusqu’ici dans la littérature.

Dans l’imaginaire collectif, le toxicomane est un individu foncièrement irra- tionnel, puisqu’il est dépendant d’un produit pour la jouissance duquel il a abdiqué « son droit à la liberté1 ». Réduite au pire à la délinquance, au mieux à la maladie mentale, la toxicomanie est longtemps restée un sujet d’étude tabou parce que, semblait-il, il était vain de rationaliser des comportements mortifères.

Cependant, avec l’augmentation de la morbidité du tabac et de l’alcool, et la diffusion et la banalisation de l’usage de drogues illicites et de médicaments psychotropes, il est apparu clairement qu’on ne pourrait apprendre à « vivre avec les drogues2 » qu’à condition d’inventer de nouveaux modes de régulation de leurs usages. Pour ce faire, il faut comprendre les motivations des consomma- teurs et, par conséquent, abandonner la figure du drogué, simple « victime de son produit parce que coupable d’un déficit de volonté3 », pour celle de l’usager de drogue, individu rationnel responsable de ses choix. Pour les pharmacologues, le mot « drogue » désigne toute « substance agissant sur le système nerveux central et dont l’usage abusif provoque des perturbations graves, physiques et mentales, ainsi qu’un état de tolérance et de dépendance4 ». La drogue tend à créer mécaniquement la dépendance. Dans cette optique, il semble difficile d’accorder à l’usager de drogue la maîtrise de sa biographie. Or, les enquêtes sociologiques ou ethnographiques montrent la diversité des modes de consom- mation. Elles distinguent les usages utilitaire et récréatif, dans lesquels le consommateur garde la maîtrise de la temporalité et du contexte de sa consom- mation, de l’usage nocif (ou abus) et de la dépendance, caractérisés par une consommation chronique qui génère des coûts psychologiques, sanitaires et sociaux importants pour l’individu et la société (Ehrenberg et Mignon [1992], Ehrenberg [1996]). Cette distinction entre usage, abus et dépendance est claire- ment posée en psychologie à travers l’inscription de ces concepts dans la noso- logie psychiatrique nord-américaine du DSM-IV (American Psychiatric Asso- ciation, 1994)5. Pour les psychologues et les psychiatres, comme pour les sociologues, la progression de l’abstinence vers la dépendance s’explique à la fois par les propriétés du produit consommé, la personnalité du consommateur et le contexte social dans lequel il évolue : la drogue ne condamne pas son usager à la dépendance. De manière analogue, les analyses économiques de la dépen-

1. P. Marcilhacy, rapporteur de la Commission des lois du Sénat, 27 octobre 1970.

2. Ehrenberg [1996].

3. Ehrenberg [1995].

4. Frydman et Martineau ([1998], p. 44). Il y a tolérance lorsque les effets diminuent nettement en cas d’usage continu d’une même quantité de produit.

5. La consommation d’alcool du samedi soir constitue un usage récréatif. Le dopage est un exemple d’usage utilitaire. Lorsqu’il y a utilisation répétée du produit dans des contextes de risque physique (conduite automobile) ou que l’usage engendre des problèmes judiciaires, sociaux ou inter- personnels répétés (bagarre, absentéisme scolaire, etc.), il y a abus. Pour les psychiatres/psycholo- gues, la dépendance se caractérise par des symptômes divers en sus des effets adverses précédem- ment cités. Ces symptômes peuvent n’être présents qu’en partie : tolérance et/ou syndrome de manque (dépendance physique), incapacité à contrôler l’usage en présence d’effets adverses, abandon d’activités sociales, etc.

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dance placent l’individu et non le produit au centre de leur réflexion, et modéli- sent les choix de consommation de drogues à partir d’hypothèses portant sur les préférences des agents, et les contraintes sociales, économiques et biologiques auxquelles ils sont soumis.

Si les usages récréatifs et utilitaires peuvent être analysés à l’aide du modèle économique standard, il semble a priori plus difficile de rationaliser les compor- tements d’abus et de dépendance. Il s’agit en effet de mettre au jour les motiva- tions sous-jacentes à la poursuite de consommations qui génèrent, à plus ou moins long terme, plus de désutilité que de bien-être. Poursuivant cet objectif sans renoncer à l’axiomatique néoclassique, Becker et Murphy [1988] proposent un modèle d’addiction rationnelle dans lequel le consommateur choisit de devenir dépendant : il sait que sa consommation présente de drogue contraint ses choix futurs, via la formation d’un stock de consommation. Par conséquent, l’intervention de l’État doit se limiter à l’internalisation des coûts sociaux de la consommation en matière de santé ou d’ordre public. Ce modèle fondateur de l’économie de la dépendance repose sur une vision normative très stricte de la rationalité, dont plusieurs auteurs s’écartent avec des conséquences importantes en matière de régulation. Par exemple, si l’on suppose les adolescents mal informés sur leurs préférences (Orphanidès et Zervos [1995]), l’État peut légiti- mement chercher à diminuer les contraintes générées par leurs choix présents sur leurs futurs comportements d’adultes (Laux [2002]). D’autres modèles se diffé- rencient par des hypothèses portant sur la forme des préférences instantanées (Barthold et Hochman [1988], Suranovic et al. [2001]), l’évolution des préfé- rences temporelles des individus (Orphanidès et Zervos [1998]) ou la cohérence temporelle de leurs choix (Gruber et Köszegi [2001])1. Nous montrons qu’il est possible de fonder sur ces hypothèses la plupart des politiques de régulation actuellement menées, des plus libérales aux plus paternalistes. Nous présentons en regard les principaux travaux empiriques s’appuyant sur ces modèles, afin de préciser leur intérêt et celui des politiques publiques correspondantes.

Dans la deuxième section, nous décrivons les différentes politiques publiques mises en œuvre par les États pour réguler leur consommation domestique de drogues licites et illicites. Nous présentons les concepts économiques qui permettent de modéliser la dépendance et de caractériser le paternalisme éven- tuel d’une politique publique. Les sections suivantes présentent simultanément les principaux outils de politique publique et les modèles économiques qui en justifient l’usage. La section 3 présente le modèle d’addiction rationnelle de Becker et Murphy [1988], qui s’appuie sur une hypothèse de formation d’habi- tude, tout en assurant par ailleurs la cohérence temporelle des choix individuels.

Prêtant à l’usager une rationalité omnisciente, il ne laisse à l’intervention publique que le soin d’internaliser le coût social de la consommation. Il est possible de justifier les politiques d’assistance et d’information en relâchant les hypothèses de convexité des préférences ou d’information parfaite (sections 4 et 5). Ces modèles délégitiment, via l’axiome de cohérence temporelle des choix, les politiques paternalistes basées sur l’interdit, l’injonction thérapeutique et la (sur)taxation qui sont pourtant très répandues. On peut leur redonner une assise théorique en supposant explicitement qu’un même individu peut avoir, au cours

1. Les choix intertemporels d’un individu sont temporellement cohérents si, à environnement inchangé, l’agent fait ce qu’il a dit qu’il ferait.

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du temps, plusieurs identités conflictuelles (section 6). Nous concluons sur un programme de recherches et sur les défaillances du système français d’observa- tion de la consommation de drogues.

POLITIQUES PUBLIQUES, RATIONALITÉ ET DÉPENDANCE Politiques publiques des drogues, externalités et rationalité

Les politiques publiques des drogues actuellement menées par la plupart des États développés poursuivent deux objectifs : d’une part, limiter le coût social de la consommation ; d’autre part, protéger le consommateur potentiel de prati- ques d’intoxication jugées déviantes ou dangereuses au regard de normes légales ou médicales de référence.

La limitation du coût social des drogues mobilise des instruments macro et microéconomiques suivant la distinction de Pacula et Chaloupka [2001]. Au niveau macroéconomique, il s’agit d’augmenter le prix implicite de la consom- mation (prix complet). Les principaux outils utilisés sont la taxation (pigou- vienne) et les interdictions de consommer. Leur utilisation suppose que l’agent ajuste sa consommation de drogues aux variations de prix. Ceci va à l’encontre du sens commun, qui nie la capacité de l’individu dépendant à peser les coûts et les bénéfices de sa consommation de drogue. Si des interdictions de consommer dans certains lieux ou certaines circonstances (lutte contre le tabagisme passif ou interdiction de la conduite en état d’ivresse) sont souvent édictées, la prohibition de la vente ne se justifie par la limitation du coût social que si l’on considère à la fois qu’il existe des effets d’influence ou de pression des pairs, que la consom- mation d’un adolescent se traduira demain par un coût sanitaire à la charge de la société du fait de la persistance temporelle des consommations addictives (Laux [2002], Kenkel et al. [2002]) et qu’à partir d’un certain niveau de taxation le marché noir évince le marché légal.

À un niveau microéconomique, l’imperfection de l’information possédée par les agents sur les dangers des drogues justifie la mise en place de programmes de prévention primaire visant à empêcher l’initiation, et de prévention secon- daire des risques de l’usage par l’amélioration des conditions sanitaires de la prise de drogues, le test des produits, etc. De nombreux États ont également initié des politiques d’assistance aux usagers via l’aide au sevrage – de la substitution à la méthadone aux consultations de tabacologie. Ces actions supposent que les consommateurs cherchent à maximiser leur plaisir tout en minimisant les coûts générés par la drogue, et misent sur leur capacité à maîtriser la prise de risque.

Elles reconnaissent aussi que les usagers de drogues font face à des coûts spéci- fiques, liés par exemple à la dépendance physique, à des habitudes de vie parti- culières ou au manque d’information sur la qualité des produits. Elles limitent enfin le coût sanitaire de la consommation et contribuent à diminuer la crimina- lité en stabilisant socialement les toxicomanes.

La protection du consommateur vise un contrôle des choix individuels par l’utilisation des mêmes outils que ceux qui servent à limiter le coût social de la consommation. L’intervention de l’État s’appuie sur des normes socialement

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construites1 qui résument la perception légitime, à un moment donné, de l’intérêt et de la dangerosité à court et à long terme de l’usage de tel ou tel produit. Le niveau de consommation optimal pour le régulateur peut différer du niveau qui internalise simplement le coût social. Ceci se produit dans deux cas de figure : tout d’abord, lorsque les préférences que ces normes sociales attribuent au consommateur, résu- mées par la fonction de bien-être social du régulateur, diffèrent des préférences que révèlent les choix des individus ; ensuite, puisque la consommation est risquée, lorsque l’intervention du régulateur contraint l’ensemble des usagers (via une taxe par exemple) et qu’elle est calibrée sur la base d’un risque moyen alors que le risque individuel est idiosyncratique (Sandmo [1983]). Dans ces deux situations, la politique publique est qualifiée de paternaliste. Par exemple, l’injonction théra- peutique2 en l’absence de troubles à l’ordre public est une mesure paternaliste, qui suppose que la drogue obère la liberté de choix de son consommateur qui serait alors incapable de décider de ce qui est le meilleur pour lui sur le long terme. En revanche, lorsque l’injonction thérapeutique est appliquée à la suite d’un constat d’infraction commise sous l’emprise d’une drogue (conduite en état d’ivresse par exemple), elle peut s’apparenter à une mesure de limitation du coût social futur de la consommation. Finalement, ce ne sont pas tant les outils utilisés qui caractéri- sent le degré de paternalisme des politiques publiques, que l’objectif qu’elles pour- suivent en termes de réduction de la demande.

La diminution des externalités imposées par le consommateur à la société ou à l’individu qu’il sera demain est l’objectif principal des politiques publiques des drogues. L’analyse économique de l’efficacité de ces politiques fait face à deux enjeux. D’une part, quels modèles utiliser pour mesurer et/ou comprendre la réac- tion des usagers dépendants aux politiques publiques ? D’autre part, est-il possible de fonder en théorie l’existence de politiques paternalistes ? Pour répondre à ces deux questions, il est nécessaire d’étudier les hypothèses des modèles de dépen- dance. Dans la suite de cette section, nous montrons que ces modèles s’articulent autour de deux concepts essentiels – préférences conditionnelles et cohérence temporelle des choix –, qui permettent de modéliser le processus de dépendance et de justifier, dans certaines limites, les politiques paternalistes.

Préférences conditionnelles et cohérence temporelle des choix Intuitivement, la consommation de produits addictifs se distingue d’autres consommations par les contraintes qu’elle crée sur les comportements ultérieurs de l’agent, dont elle semble modifier les préférences. Considérons, en figure 1, l’arbre de décision type auquel est confronté un individu qui doit faire le choix de consommer (choix C) ou non (choix A) une drogue à et à . La

1. Pour quelques éléments historiques relatifs à la construction des normes sociales encadrant l’usage de drogues, cf. Ehrenberg [1995] et De Munck [1996]. La norme de consommation sociale- ment admise peut, bien entendu, varier selon les groupes sociaux. Castelain [1996] montre, à propos des usages de l’alcool chez les dockers du Havre, que le « trop boire », tel qu’il est défini par les médecins (« deux verres ça va, trois verres bonjour les dégâts »), reflète une norme médicale qui n’a rien à voir avec la norme de consommation propre au style de vie de ces ouvriers. Nourrisson [1990]

propose une histoire sociale de l’invention de la maladie alcoolique, qui montre comment les mouve- ments hygiénistes en font un vice populaire.

2. L’injonction thérapeutique désigne l’obligation de soin imposée à l’usager de drogue par l’État. Elle est souvent mise en œuvre comme alternative à la prison.

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modification des préférences révélées par les choix des agents peut se traduire simplement par la conditionnalité des choix présents aux choix passés. Notons la relation de préférence conditionnelle pour a préféré à b à l’instant t conditionnellement à l’état S dans lequel est l’individu. Considérons un agent qui n’a aucune expérience des drogues. Il est initialement dans l’état d’absti- nence . S’il consomme à , il sera confronté à nouveau au choix de consommer en seconde période. Cependant, à , ses préférences ne seront plus conditionnelles à l’état , mais à l’état . L’impact de la consom- mation de drogue sur les préférences révélées se traduit formellement par : . Cette hypothèse est utilisée par la plupart des modèles d’addiction pour modéliser un fait stylisé essentiel : la consommation présente de drogue contraint les préférences futures du consommateur.

Supposons que ; mais . On dit que l’agent est

naïf lorsqu’il n’anticipe pas l’impact de sa consommation présente sur ses préfé- rences futures. Il est rationnel si, au contraire, il anticipe la modification de ses préférences en cas de consommation. L’agent naïf préférerait à avoir un usage occasionnel du produit (séquence ), puisqu’il pense que ses préfé- rences à seront et non . Il consomme donc à mais réitère sa consommation à : son choix effectif à ne correspond pas au plan qu’il s’était fixé à . Ce choix est dit temporellement incohérent au sens où l’individu ne fait pas ce qu’il pensait faire alors que l’environnement est inchangé (Strotz [1956], Hammond [1976]). Cette situation correspond bien à l’idée que le sens commun se fait du consommateur de drogues : un individu incapable de modérer ses pulsions. Il aurait besoin, afin de faire des choix simi- laires à ceux d’un agent rationnel, de contraintes externes sur ses choix de consommation. Ainsi, l’incohérence temporelle des décisions est une justifica- tion essentielle (pour l’économiste) des politiques paternalistes1.

Figure 1. Arbre de décision type du consommateur de drogues

1. L’intervention paternaliste de l’État se justifie également lorsque les usagers sont en état de dissonance cognitive. Dans ce cas, en effet, ils sous-estiment volontairement le risque, car celui-ci génère un coût psychique de peur et de stress (Akerlof et Dickens [1982]). À notre connaissance, il n’existe pas de modèle de dépendance basé sur cette hypothèse. Par ailleurs, le paternalisme n’a de légitimité pour l’économiste orthodoxe que lorsqu’il prend pour norme de référence le comporte- ment de l’agent néoclassique parfaitement informé.

a Ɑ苲t,Sb

S = A t = 0

t = 1

S = A S = C

Ɑ苲1,A≠Ɑ苲1,C

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t = 0

t = 1 C

A

C

A C

A

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On peut finalement tenter de modéliser la consommation de drogues à partir de différents postulats sur la rationalité des agents. Si l’on considère que les consommateurs de drogues sont rationnels, c’est-à-dire qu’ils sont temporelle- ment cohérents, et si leurs préférences sont convexes et qu’ils sont parfaite- ment informés des conséquences de leurs actes, alors le régulateur n’a d’autres raisons d’intervenir que l’internalisation du coût social de la consommation.

En relâchant progressivement ces conditions, nous décrivons dans les sections qui suivent l’éventail des politiques publiques, des plus libérales aux plus paternalistes.

PRIX ET ADDICTION RATIONNELLE

Dans cette section, nous présentons le modèle d’addiction rationnelle qui permet, sans renoncer aux hypothèses de rationalité standard, de prédire les réac- tions du consommateur dépendant aux variations du prix complet de la consom- mation. Ceci permet de calibrer les interventions macroéconomiques visant à internaliser le coût social de la consommation.

Préférences conditionnelles et formation d’habitude

Le conditionnement des préférences présentes par les choix passés génère un effet d’habitude liant décisions passées et présentes, que Pollak [1970] propose de modéliser en introduisant dans la fonction d’utilité des arguments qui résu- ment l’histoire de l’agent. À la date t, l’utilité de l’agents’écrit par exemple : (1) avec

où est la quantité consommée à la date t. Le stock capture l’effet d’une mauvaise habitude, car , et se forme selon le processus suivant :

(2) La consommation n’est source d’utilité que si elle dépasse un niveau néces- saire , défini comme la somme des besoins élémentaires de l’individu et de sa consommation de la période précédente pondérée par un facteur de dépré- ciation individuel δ. Finalement, les préférences sur la consommation présente sont conditionnées par les choix passés. Le consommateur est naïf lorsqu’il n’anticipe pas l’effet de sa consommation présente sur son stock d’habitude des périodes ultérieures :

(3) Dans ce cas, il ne tient pas compte des contraintes futures engendrées par ses choix présents : ses choix sont temporellement incohérents. Sa fonction d’utilité intertemporelle s’écrit à la date t, , où β est son coeffi-

Ut Ut( )ct = U(ct,St) = f c( t–St) f ′>0,f ″<0

ct St

∂U

∂St --- ⭐ 0

St = S*+(1–δ)ct1

St S*

ct

τ

∀ >t,Sτ = St

Vt βτtU[cτ,St]

τ=t T

=

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cient d’escompte subjectif et T son horizon de décision. Par conséquent, quelle que soit la valeur du coefficient d’escompte, c’est-à-dire l’importance accordée au bien-être futur, l’individu maximise une fonction d’utilité intertemporelle additive et séparable, sous une contrainte de budget usuelle. Lorsqu’il y a forma- tion d’habitude en environnement certain, la propriété de cohérence temporelle des choix est obtenue si l’on impose aux préférences du consommateur une condition de rationalité supplémentaire : les préférences intertemporelles, si elles existent, doivent satisfaire la condition de forte récursivité conditionnelle aux choix passés (Robin et Lévy-Garboua [1988]). Ceci signifie que la fonction d’utilité intertemporelle doit pouvoir s’écrire à chaque instant t sous la forme :

Les choix passés conditionnent encore les préférences sur les consommations présentes et futures, via , mais la fonction d’utilité intertemporelle n’est plus séparable. Dans le cas de la fonction d’utilité (1), cette condition est satisfaite et le processus de formation d’habitude est qualifié de rationnel lorsque le consommateur anticipe la formation d’habitude :

(4) Spinnewyn [1981] montre que ce modèle de formation d’habitude rationnelle est formellement équivalent à un modèle sans formation d’habitude, dans lequel le prix présent réel d’un bien prend en compte les coûts actualisés de la consom- mation future du même bien, générés par l’effet d’habitude qui diminue le niveau de richesse réellement disponible. Les choix présents contraignent les choix futurs, interdisant à l’agent de retrouver le même plaisir au même prix. Cette contrainte s’exprime par l’existence d’une corrélation temporelle positive et stable entre consommation passée et présente qui, inversement, caractérise la consommation de biens formateurs d’habitude. L’hypothèse de formation d’habitude rationnelle explique les effets d’habitude, sans recourir à des argu- ments ad hoc en termes de modification des préférences, car les préférences intertemporelles restent stables (Stigler et Becker [1977]).

Le modèle d’addiction rationnelle de Becker et Murphy [1988]

Nous présentons maintenant les principales caractéristiques du modèle d’addiction rationnelle, suivant l’exposé de Chaloupka [1991]. La fonction d’utilité instantanée de l’individu lors de la période t est croissante concave en trois arguments : le capital santé ; l’« euphorie » produite par la consomma- tion du bien addictif ; et d’autres biens agrégés en :

(5) La santé dépend de biens producteurs de santé agrégés en , et du stock de drogue accumulée dans l’organisme à la suite des consommations passées.

L’euphorie dépend à la fois de la consommation courante et du stock . Enfin, est produit à partir de biens intermédiaires et de temps, variables résu- mées avec dans un vecteur .

Ut(ct,…,cT ; ct1,ct2,…)

Ft(ct,Ut+1(ct+1,…,cT ; ct,ct1,…) ; ct1,ct2,…).

=

ct1,ct2,…

τ

∀ >t,Sτ = S*+(1–δ)cτ1

Ht

Rt Zt

Ut = U H[ t,Rt,Zt]

mt St

ct St

Zt

mt Yt

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(11)

(6) (7) Les auteurs supposent donc que l’euphorie augmente avec la consommation présente (effet primaire du produit ), et que l’euphorie marginale est d’autant plus forte que l’individu a consommé du produit dans le passé . C’est une hypothèse d’accumulation de capital humain, qui peut traduire un renforcement pharmacologique (Tassin [1998]) ou sociologique de et par l’usage du produit (H. Becker [1985]1). De plus, les psychotropes détruisent le capital santé , et l’euphorie diminue avec la consom- mation passée (effet de tolérance, ). L’effet de tolérance traduit l’existence d’une dépendance physique2 (American Psychiatric Association [1994]). L’agent est soumis de plus à une contrainte d’accumulation similaire à (4) :

(8) où δ est un facteur individuel mesurant la dépréciation physique du produit dans l’organisme de l’individu. On peut également supposer que le salaire reçu par l’individu est affecté par la consommation passée du produit, qui a des consé- quences sur son capital humain, donc sur sa productivité : avec , . Si β est le facteur d’escompte de l’individu, alors le programme3 du consommateur s’écrit :

(9)

où et est libre. La durée de vie T est exogène. Lorsque le taux d’escompte est égal au taux d’intérêt, et en notant λ l’utilité marginale de la richesse (constante sur le cycle de vie), la condition du premier ordre pour la consommation à la date t s’écrit :

1. Becker et Murphy ([1988], p. 677) notent aussi « Past consumption of c affects current utility through a processus of learning by doing, as summarized by the stock of consumption capital ».

2. Becker utilise le mot « tolerance », qu’il emprunte à la littérature pharmacologique. Contrai- rement à l’interprétation proposée par Kopp [1997], il nous semble que l’hypothèse

traduit effectivement l’existence d’un effet de tolérance et non d’accoutumance. L’accoutumance se caractérise par un désir de persister à prendre un produit pour retrouver la sensation de bien-être qu’il engendre, sans tendance notoire à augmenter les doses. Elle s’assimile à une dépendance psycholo- gique, par opposition à la dépendance physique caractérisée par la tolérance et/ou le manque (Schmelck [1993]).

3. Dans lequel représente le prix du bien en t, le bien agrégé étant pris comme numéraire.

représente la dotation initiale du consommateur, r le taux d’intérêt sur des marchés financiers supposés parfaits.

Ht H[mt,St] avec ∂H

∂m--->0 ∂H

∂S

---⭐ 0 ∂2H

m2

---<0 ∂2H

∂S2 ---<0

, , ,

=

Rt R[ct,St] avec ∂R

c

--->0 ∂R

∂S

---<0 ∂2R

∂c2

---<0 ∂2R

∂S2

---<0 ∂2R

∂S∂c --->0

, , , ,

=

∂R⁄∂c>0

2R⁄∂c∂S>0

( )

∂H⁄∂S⭐ 0

( )

∂R⁄∂S⭐ 0

∂R∂S 0

St+1 = ct+(1–δ)St

wt wt = w[ ]St

∂w⁄∂S⭐ 0 ∂2w⁄∂S2<0

pt A0

Maxy t( ),c t( )V( )0 βtU H[ t,Rt,Zt]

0 T

=

(6), (7), (8) 1 1+r

( )t

--- [Yt+ptct] ⭐ A0

0 T

(--- 1+1r)t w[ ]St

0 T

+ S0 = 0 ST

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(12)

(10)

L’individu consomme à l’optimum une quantité qui égalise l’utilité marginale courante de la consommation et son prix complet . Ce dernier est la somme du prix de marché et des coûts futurs anticipés de la consommation présente, en termes d’effets d’habitude et de destructions de capitaux humains.

Qu’est-ce que l’addiction (ou la dépendance) rationnelle ?

Becker et Murphy [1988] définissent la dépendance comme un état dans lequel une augmentation de la consommation présente augmente la consomma- tion future1. Pour comprendre pourquoi, considérons pour simplifier la fonction d’utilité quadratique suivante (où , , sont introduits directement à la place

de ) :

(11)

avec . Lorsque et ,

l’équation dynamique de la consommation dérivée de (10) s’écrit simplement : (12) avec . et sont également fonction des paramètres de préférence. est un aléa représentant l’incertitude sur les préférences des périodes t et , donc autocorrélé au premier ordre. Les consommations présentes et passées sont des compléments intertemporels si θ⭓ 0, soit puisque par hypothèse et sont négatifs. Ceci permet de caractériser tout bien potentiellement addictif pour l’individu (Becker et al. [1994]). Dans le cas général, les auteurs montrent qu’il y a complémentarité intertemporelle si, et seulement si, la condition de « complémentarité adjacente » est respectée. Avec une fonction d’utilité quadratique et pour un modèle en temps continu (les autres hypothèses étant maintenues) cette condition s’écrit (Becker et Murphy [1988]) :

(13) où σ est le taux d’escompte individuel. La condition , bien que nécessaire, n’est plus suffisante. En effet, même si , il n’y a plus dépendance lorsque l’effet de renforcement ou le taux d’escompte σ sont trop faibles,

1. « I define habitual behavior as displaying a positive relation between past and current consumption ; economists call these goods complements […] An addiction is defined simply as a strong habit. » Becker [1992], p. 329-330.

t⭓ 0 ∂Ut

ct ---

, λpt β [β(1–δ)]τ(t+1) ∂Uτ

∂Sτ ---

τ=t+1 T

=

β [β(1–δ)]τ(t+1)wτ

∂Sτ ---

τ=t+1 T

– Πt

= =

Πt

Yt ct St Ht,Rt,Zt

U Y[ t, ,ct St] 1

2--- ayyYt2 1

2--- accct2 1

2--- assSt2 acsctSt acct ayyt asst

+ + + + + +

=

ayy,acc,ass,as<0 ; acs,ac,ay ⭓ 0 ∂w⁄∂S = 0 δ = 1 ct = θct1+βθct+101pt+ε˜t

θ = – acs⁄(accass) θ0 θ1 ε˜t

t+1

2U⁄∂c∂S = acs>0 ass acc

σ+2δ

( )acs>– ass

acs>0 acs>0

2U⁄∂c∂S

( )

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(13)

lorsque l’effet du produit s’estompe rapidement (δ faible) ou lorsque la dépen- dance physique et les effets sur la santé croissent trop vite avec la consommation passée ( élevé en valeur absolue).

On note qu’il peut y avoir complémentarité adjacente des consommations même en l’absence d’effets nocifs de la consommation passée, c’est-à-dire lorsque . Afin de réconcilier le modèle d’addiction rationnelle avec le registre lexical utilisé en pharmacologie, en psychologie et en sociologie, nous proposons de qualifier la complémentarité adjacente des consommations d’accoutumance, et de définir la dépendance par l’accoutumance en présence d’effets adverses (tolérance et effets sur la santé). En effet, l’accoutumance peut exister sans effets adverses de la consommation et se caractérise uniquement par une persistance de la consommation. L’usage ne peut être qualifié de dépendant que s’il a des effets adverses (American Psychiatric Association [1994]).

La théorie de l’addiction rationnelle à l’épreuve des données On pourrait expliquer le comportement des usagers dépendants par leur naïveté quant aux effets d’habitude ou par leur appartenance au sous-groupe des agents rationnels ayant un coefficient d’escompte quasi nul et qualifiés de myopes. Dans les deux cas, ils ne percevraient pas les coûts futurs de leurs comportements courants. L’analyse de la dépendance proposée par Becker et Murphy balaye ces thèses en montrant que la dépendance s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs, dont les prix et le revenu. Ceci semble s’accorder avec un certain nombre de faits stylisés. Ainsi, alors que les individus les plus pauvres, les plus jeunes et les moins éduqués1 déprécient plus fortement le futur, les enquêtes en population générale montrent que les individus des classes aisées ont un risque plus élevé de consommation que ceux des classes populaires (Etilé [2000]), ce qui signifie qu’effets prix et revenu ont un rôle tout aussi important que le taux d’escompte. De plus, s’il est vrai que la prévalence de l’usage de drogues illicites est beaucoup plus élevée chez les jeunes, les drogues licites sont consommées, parfois abusivement, dans toutes les classes d’âge (Henrion [1995]).

Il est possible de tester plus directement le modèle. En effet, si le consomma-

teur est myope ou naïf , la consom-

mation future ne doit pas avoir d’effet sur la consommation présente : l’estima- tion de l’équation (12) permet donc de valider empiriquement le modèle. Par ailleurs, il est possible de calculer des élasticités prix de long terme, supérieures aux élasticités prix de court terme, puisqu’une réduction de la consommation courante a un effet cumulatif sur les consommations futures via le stock d’habi- tude. Le rapport des élasticités de long et de court terme est d’autant plus élevé que l’individu est accoutumé : ce rapport permet donc de classer les produits en fonction de l’accoutumance qu’ils engendrent en moyenne. En revanche, l’équa- tion (12) ne permet pas d’identifier , qui mesure l’effet de l’habi- tude sur le bien-être.

1. Becker, Grossman et Murphy [1991] : « Poorer and younger persons also appear to discount the future more heavily » (p. 239), proposition étayée par le modèle théorique de Becker et Mulligan [1997].

2U⁄∂S2

∂U⁄∂S⭓ 0

β= 0

( ) (∀t>t,∂Uτ⁄∂Sτ= ∂wτ⁄∂Sτ= 0)

as = ∂U⁄∂S

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(14)

Le modèle d’addiction rationnelle a été appliqué à l’évaluation de l’élasticité aux prix de marché des consommations de cigarettes (Chaloupka [1991] et Becker et al. [1994]), d’alcool (Grossman et al. [1998]), de café (Olekalns et Bardsley [1994]), de cocaïne (Grossman et Chaloupka [1998]) et d’opium (Van Ours [1995]). Les élasticités de long terme estimées sont toujours supérieures à celles de court terme, et supérieures à celles estimées sur des modèles n’incor- porant pas de formation d’habitude. L’élasticité de court terme pour la cigarette est d’environ – 0.4 contre – 0.75 pour celle de long terme. Pour l’alcool, on obtient respectivement – 0.4 et – 0.65, pour la cocaïne – 0.7 et – 1.35 et pour l’opium – 0.7 et – 1. Excepté Van Ours [1995], tous les auteurs trouvent que la consommation future a un effet significativement positif sur la consommation présente.

D’un point de vue économétrique, les équations retenues lors des estimations ne sont pas bien spécifiées. Tout d’abord, les processus d’autocorrélation temporelle des résidus sont mal modélisés. En retenant la spécification et la méthode utilisée par Becker et al. [1994], Auld et Grootendorst [2002]

montrent, sur données agrégées canadiennes, que les agents sont rationnelle- ment dépendants à la plupart des biens alimentaires (lait, jus d’orange, etc.), résultat qui disparaît lorsque les résidus sont correctement traités. Par ailleurs, lorsqu’on travaille sur données individuelles, il est nécessaire d’introduire dans l’équation (12) un effet fixe individuel, pour contrôler les hétérogénéités inob- servables. Lorsqu’on omet l’effet fixe, les coefficients des consommations passées et futures sont biaisés à la hausse, leur somme étant presque égale à 1 comme le trouve Chaloupka [1991]. Enfin, la consommation prédite par l’équa- tion (12) peut prendre des valeurs négatives. Il faut donc modéliser les consom- mations nulles. Or, il existe des spécificités propres à la décision de consommer, qui n’est pas uniquement déterminée par le prix de marché et les conséquences anticipées de la consommation (Jones [1989]). Ainsi, pour des raisons de goût, certains individus ne consommeront jamais. Labeaga [1999] remédie à l’ensemble de ces problèmes en estimant un modèle double-hurdle avec hétéro- généités inobservables, qui modélise séquentiellement la décision de fumer ou non et le choix du niveau de consommation. Il trouve alors, pour la demande de tabac des ménages espagnols, des élasticités plus faibles : – 0.27 à court terme et – 0.36 à long terme.

Cependant, les coefficients d’escompte β, identifiés grâce à l’équation (12) par le rapport des coefficients de et , correspondent à des taux d’intérêt anormalement élevés ou parfois négatifs. De plus, Fehr et Zych [1988] construi- sent une expérience contrôlée isomorphe au modèle de Becker et Murphy [1988]. Sur les 1 500 décisions qui furent prises au cours de deux expériences, seules 13 % d’entre elles sont optimales au sens de la théorie de l’addiction rationnelle. Dans 18 % des cas, il y a sous-consommation, et dans 69 % des cas de surconsommation. La consommation moyenne constatée est significative- ment supérieure (au seuil de 5 %) à la consommation optimale pendant les deux tiers du jeu. Lorsque la décision optimale implique une perte, 99 % des sujets choisissent de surconsommer afin de l’éviter, 75 % d’entre eux obtenant alors une utilité positive.

Finalement, bien que le modèle ne décrive pas correctement le comportement des usagers, l’addiction est rationnelle au sens où la consommation future a un impact sur la consommation présente : les agents anticipent (même imparfaite- ment) l’effet d’accoutumance.

ct1 ct+1

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(15)

Addiction rationnelle et intervention publique

La demande de drogue est donc réactive aux variations du prix de marché, quel que soit le produit. Puisque l’agent a des préférences parfaitement infor- mées, la taxation sert à réduire et à internaliser une partie des externalités, en matière de santé notamment (Harris [1980]), tandis que des interdictions de consommation peuvent être édictées dans certains lieux ou certaines circons- tances afin d’augmenter le prix complet de la consommation et d’éviter certaines nuisances spécifiques (tabagisme passif, accidents). Aux États-Unis, l’interdic- tion de fumer dans les lieux publics a diminué la prévalence du tabagisme dans la population travaillant sur les lieux visés, et réduit la consommation moyenne des fumeurs. Cependant, de telles restrictions n’ont d’effet que si elles touchent, en plus des lieux de travail, certains lieux publics tels que les restaurants (Chaloupka et Warner [2001]).

Notons que la prohibition d’un produit génère des externalités : la délinquance induite par le marché noir et les risques sanitaires accrus par manque de contrôle.

Supposant les agents parfaitement rationnels, on pourrait fonder une révision du classement légal des drogues sur le calcul des seules externalités. Il est possible, en effet, qu’une légalisation de certaines drogues entraîne une hausse de leurs consommations sans que leurs coûts sociaux explosent par rapport à la situation actuelle et en comparaison avec les coûts sociaux très élevés de l’alcool et du tabac1. Cependant, si a priori tous les produits peuvent faire l’objet d’une régula- tion fiscale, un marché noir important se crée là où les taxes sont trop élevées. Le compromis entre modération de la charge fiscale et nécessité d’internaliser les coûts sociaux doit être comparé au coût total de la prohibition.

Puisque la théorie de l’addiction rationnelle ne laisse au régulateur que le soin d’internaliser les externalités par une action sur les prix, nous allons maintenant montrer qu’il est possible d’enrichir ce modèle afin d’analyser la pertinence d’autres outils et objectifs de politique publique.

ASSISTANCE ET FORME DES PRÉFÉRENCES INSTANTANÉES La section précédente a montré pourquoi les prix ont un impact sur la demande de drogues d’usagers dépendants. Dans cette section, nous tentons de montrer qu’il est possible de justifier l’existence de politiques d’assistance par la présence de coûts d’ajustement spécifiques à l’arrêt.

Préférences non convexes : la drogue comme bien totalitaire Pour des fonctions d’utilité complexes, le modèle de Becker et Murphy [1988]

prédit l’existence d’une multiplicité d’états stationnaires, stables ou instables. Par conséquent, dans ce modèle, un individu peut être dépendant pour un niveau très

1. Kopp et Fenoglio [2000] montrent que les coûts sociaux tangibles (i.e. quantifiables) de l’alcool représentent, à la fin des années 1990, 1,42 % du PIB contre 1,1 % pour le tabac et 0,16 % pour les drogues illicites.

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faible de consommation et en présence d’effets adverses minimes. Or, le DSM IV note que la dépendance peut se caractériser par « le temps considérable passé à faire le nécessaire pour se procurer la substance, la consommer ou récupérer de ses effets » et l’abandon ou la réduction « d’importantes activités sociales, profession- nelles ou de loisirs à cause de l’utilisation de la substance » (American Psychiatric Association [1994] ; trad. fr. OFDT [1999]). Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, certaines relations au produit se caractériseraient par leur totalitarisme, c’est-à-dire que la substance occulterait tout autre objet potentiel de désir. Ceci peut se traduire par une hypothèse de non-convexité des préférences (Barthold et Hochman [1988]). Sous cette hypothèse, après s’être vu offrir les premières doses, le consom- mateur devient dépendant dès qu’il subit une forte hausse de prix, dépensant alors quasiment tout son revenu dans la drogue (Lemennicier [1992]). De plus, lorsque les prix augmentent, les toxicomanes les plus dépendants diminuent certes leur consommation de drogues, mais ils restreignent surtout leurs autres achats : hausse des taxes ou accroissement de la répression peuvent donc avoir des effets pervers.

Figure 2. Préférences non convexes et ruptures de carrières

Sur la figure 2 sont représentées des courbes d’iso-utilité associées à des préférences non convexes. Lorsque le prix de la drogue augmente, la contrainte budgétaire passe de BA à BA′ et, alors que l’individu consommait d’autres biens dans la situation initiale (en pointillés), il ne consomme plus que de la drogue dans la situation finale (traits pleins). De manière similaire, on peut expliquer l’existence d’arrêt volontaire par sevrage brutal. Becker et Murphy [1988] expli- quent que le modèle d’addiction rationnel prédit l’existence de telles ruptures de carrière1, si l’on suppose que des événements du cycle de vie occasionnent des chocs exogènes sur le stock de consommation qui se déplace de part et d’autre de niveaux critiques caractérisant les états stationnaires instables du modèle. En renonçant à la convexité des préférences, on peut l’expliquer simplement par des variations de prix et de revenu.

1. Ce terme est choisi en référence au travail de H. Becker [1985] qui voit la trajectoire du consommateur de drogues, de l’initiation à l’arrêt définitif, comme une carrière.

Autres biens

B

A′ A UA

UA′

Drogue

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(17)

Cependant, comment rationaliser l’existence de préférences non convexes sur certains biens de marché ? L’individu ne devient pas « accro » après une seule prise, découvrant brutalement sa préférence pour un produit, mais après un apprentissage plus ou moins long (H. Becker [1985], Ingold et Toussirt [1998], Tassin [1998]). Etilé [2000] modélise ce mécanisme en introduisant explicite- ment, à la suite des travaux de Michaels [1988], Becker et Murphy ([1988], annexe C) et Dockner et Feichtinger [1993], un second stock G représentant un capital de goût pour les activités « normales ». En effet, une des caractéristiques des drogues est que leur usage diminue l’utilité relative de certaines activités.

D’une part, il affecte à des termes plus ou moins longs différents capitaux humains. D’autre part, il a un effet direct sur les ressources disponibles en argent puisqu’il n’est pas compatible avec toute activité, et en temps, temps de recherche du produit s’il est illicite, temps d’extase et de « redescente » le plus souvent. Ce temps est soustrait à d’autres activités si bien que le goût pour ces dernières peut se perdre. La fonction d’utilité instantanée s’écrit alors :

avec et ,

les autres caractéristiques du modèle de Becker et Murphy étant conservées. La dépendance devient une spécialisation dans des activités liées à l’univers de la drogue. Le modèle prédit en particulier qu’un individu myope peut avoir des préférences révélées non convexes puis convexes au cours du temps. Ce modèle, qui est compatible avec la théorie de l’addiction rationnelle, distingue usagers socialement marginalisés et usagers plus insérés. Il introduit également la notion de coûts d’ajustement : l’arrêt de la consommation engendre des coûts impor- tants car le toxicomane est, de par sa dotation en capitaux humains, spécialisé dans un type d’activité et doit se réhabituer à vivre normalement.

Coûts d’ajustement et mortalité

Suranovic et al. [1999] proposent d’introduire plus explicitement des coûts d’ajustement afin d’endogénéiser la décision d’arrêt, tout en modélisant l’hété- rogénéité des modes de sortie de la dépendance. Dans leur modèle, l’arrêt s’explique par l’impact de la consommation sur la durée de vie. Les coûts d’ajus- tement traduisent les difficultés spécifiques de l’arrêt : symptômes de sevrage physique et habitudes de vie à changer. Le modèle prédit l’existence des deux formes d’arrêt observées dans la réalité, arrêt progressif et sevrage brutal, en jouant sur la forme des coûts d’ajustement (convexes ou concaves). Ceci contraste avec le modèle de Becker et Murphy [1988], dans lequel l’arrêt n’a pas de coût spécifique et survient à cause d’un choc exogène sur le stock de consom- mation ou d’une forte hausse des prix.

Dans le modèle de Suranovic et al. [1999], à un âge donné A, l’utilité de la consommation c dépend des bénéfices présents de la consommation , des coûts actualisés de la baisse d’espérance de vie et de coûts d’ajuste-

ment : . pour et croît

lorsque c décroît à partir de , où est un niveau de référence de la consomma- tion caractérisant le degré de dépendance du consommateur ou plus générale- ment l’histoire de sa relation au produit. De plus, l’existence de coûts d’ajuste-

Ut = U[yt, ,ct St,Gt] Gt = G[yt,St] ∂G ---∂y >0 ∂G

∂S

---<0 ∂U

∂G --->0

, ,

UA( )c BA( )c LA( )c

Φ( )c UA( )c = BA( )c –LA( )c –Φ( )c Φ( )c = 0 c>cr cr cr

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ment se traduit par : . Une baisse marginale de la consommation autour de son niveau historique peut induire une baisse d’utilité supérieure à l’augmentation de bien-être engendrée par une hausse marginale de la consommation.

Lorsque les coûts d’ajustement sont convexes (fig. 3), l’individu a des préférences convexes. Il peut adapter progressivement sa consommation au fur et à mesure que le prix complet de la consommation augmente. Initialement, il consomme (égal à son niveau de référence ) égalisant prix et utilité margi- nale (au point tangent à la droite de pente λp). Au fur et à mesure qu’il vieillit, l’utilité obtenue par la consommation d’une quantité donnée diminue ceteris paribus. En effet, le coût marginal de la baisse d’espérance de vie générée par une cigarette supplémentaire augmente, puisqu’il est moins escompté, ce qui traduit intuitivement l’attention accrue à la mort qui vient avec l’âge. De plus, le bénéfice de la consommation peut diminuer avec la baisse du nombre d’usagers parmi les pairs. À l’âge , l’individu a donc ajusté sa consommation à la baisse de manière continue . L’arrêt est un processus progressif, terminé, lorsque l’utilité marginale de la première cigarette est inférieure à son prix. Lorsque les coûts d’ajustement sont concaves (fig. 4), une petite baisse de consommation engendre une grande désutilité (effet de sevrage).

L’individu s’arrête alors brutalement, lorsque le prix complet de la consomma- tion, calculé à partir de la perte d’espérance de vie actualisée, est suffisamment élevé. À l’âge A2, la courbe d’utilité étant convexe, il existe plusieurs points pour lesquels utilité marginale et prix s’égalisent (points H et I). L’individu choisit de rester à son niveau historique de consommation (point H) qui lui assure l’utilité la plus élevée. Il n’a donc pas réduit sa consommation, alors même que le coût marginal de la perte d’espérance de vie augmente. À l’âge A3, l’utilité de l’arrêt est supérieure à celle de la poursuite de la consommation au niveau historique : l’individu cesse brutalement de consommer.

Suranovic et al. [1999] modélisent explicitement l’impact de la drogue sur la durée de vie. L’horizon de vie est variable, ce qui n’est pas le cas dans le modèle de Becker et Murphy [1988], où l’horizon de vie est infini ou fixé, et l’arrêt uniquement dû à des causes exogènes : ici, le consommateur choisit simultané- ment sa durée de vie et son profil de consommation1.

Dans ce modèle, la probabilité d’arrêt augmente avec l’âge, ce qui est cohé- rent avec les observations concernant la pyramide des âges des consommateurs de drogues (licites ou illicites) et avec les travaux empiriques sur l’arrêt de la consommation de tabac (Jones [1989], [1994], Sander [1995], Douglas [1998]).

Jones [1994] montre également que la probabilité de rechute tabagique diminue avec l’âge, ce qui constitue une prédiction du modèle. Selon Suranovic et al.

[1999], la cause essentielle de l’arrêt est le souci de prévenir les conséquences sanitaires de la consommation. Jones [1997] trouve effectivement que les indi- vidus en bonne santé ont une probabilité plus élevée de cesser de fumer, alors

1. D’autres modèles supposent que la probabilité de mourir à chaque date est composée d’un risque de base et d’un risque qui augmente en fonction de la consommation passée. Ces modèles à espérance de vie endogène prédisent que les individus qui ont un risque de base élevé ont relative- ment moins d’avantages à s’abstenir de fumer. Ceci pourrait expliquer les différences sociales obser- vées dans les taux d’arrêt à l’âge adulte (Adda et Lechène [2001]).

∂Φ( ). ---∂c

c cr

∂Φ

c ---

c+ cr

>

Φ( )c

cA1 cr

LA( )c

A2>A1 cA2<cA1

( )

Φ( )c

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que ceux en mauvaise santé n’ont pas cette démarche préventive. Pour tester directement la théorie, c’est-à-dire identifier la forme des coûts d’ajustement, le choix du niveau de référence est primordial. Or, la consommation passée mesure à la fois les effets d’ajustement et d’accoutumance. Jones [1994] obtient des résultats suggérant que le pic de consommation passée ne détermine pas la déci- sion même d’arrêter de fumer, mais la réussite de la tentative d’arrêt : ce serait donc une mesure partielle des coûts d’ajustement. Contoyannis et Jones [2001]

utilisent la même mesure pour modéliser les coûts d’ajustement dans le cadre d’un modèle probit de la décision d’arrêt entre 1984 et 1991. De plus, ils obser-

Φ(c)

c

UA2(c) UA1(c)

cA1 = cr

cA2

λp

λp

Figure 3. Processus d’arrêt et coûts d’ajustement convexes

c

UA2(c)

UA3(c) UA1(c)

cA1 = cA2 = cr

I

H

J K

λp Φ(c)

Figure 4. Processus d’arrêt et coûts d’ajustement concaves

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