ESSAI
SUR LA VIE
ET SUR LES TABLEAUX
DU POUSSIN.
Par le C
enCAMBRY,
de l’Académie des Antiquaires DE CORTONE.
A PARIS,
DE L’IMPRIMERIE DE
P.DIDOT
L’AINÉ.AN
VII.A,
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PRÉFACE.
Quelques personnes ont demandé
mon
Essai sur lePoussin
. Ilparut en
1783... Je suis obligé
d’emprunter l’exem-
plairequisertà sa réimpression.Quand
je fis cetouvrage,
j’avoisune profonde estime pour
legrand homme
que
j’essayoisde
faire connoître;mais
iln’étoitpas
encore dans mon
espritau
de- gréde
supérioritéoù mes voyages font
placé. Je n’avo:s pasvu
la totalitédes ta-bleaux
, desdessins, des gravures, des es- quisses,
que
j’aidepuis examinés
; jen’au- rois
pu prononcer
avec sécurité ceque
j’avance avec conviction,
qu’aucun
pein- tre n’eut desconceptions
aussisublimes,
aussigrandes
, aussi poétiques sur-tout,
que
cegrand
maître.Un
faitpeut
contribuer àdémontrer
cette assertion. Javoisle projet
de donner
centmorceaux de
l’espècede ceux que
j’aidécrits
dans
cetessai;tousles tableauxde
l'Italie,
de
l'Angleterre, etc...Toutes
les(
4
)estampes,
toutesles esquisses delaFran-
ce,de Naples, de
Florence, n’ontpu me
fournir, je
ne
dispas
laquantitéde mor- ceaux que
jecherchois,mais
vingt,mais
dix, quipussent
êtreplacésdans
la galeriedu
Poussin.U Ecole d Athènes
est sansdoute un
chef-d’œuvre de
disposition, d’expression,de
dessin;mais
quelle unité d’action réunit tantde personnages
?que
résulte-t-il
de
cetensemble incohérent de
philo-sophes de
touslesâges?
Que
ditaux yeux
d’unhomme peu
versédans
la théologie cettetroupe de
papes,de
prélats réunis près d’une hostie placéedans un
vastesoleilde métal?
Les
trois actions, les trois théâtresde
la
Transfiguration
... cevilain petitpos-
sédé contrastantavec un demi-dieu
qui s’élèvedans
les nuages.... arrachant les apôtresà
l’extase qu’ils dévoientéprou-
vercomme témoins du
plusgrand
desmystères
, n’offrentaux
spectateursque
des incertitudes et desinconvenances.
Dans
lesNoces de Psyché
, Jupiter( 5 )
alamajesté
du
dieu desdieux
;Neptune
,
l’attitude et le sourcil
du dominateur de
l’océan...; Pluton, l’air refrogné
du
dieu desOmbres...;
riende modeste
et d’é- lancécomme Psyché
,d
ardentcomme
l’Amour Tous
ces êtres sont placésdans un espace
qu’ils remplissent;mais que
ditau cœur,
à Pesprit, à l’imagina- tionmeme,
cetassemblage?
Parlerai*jedes
conceptions
extravagan- tesd
eRubens
yde
ses éternellesallégories,du
soleilàfigurehumaine
, traversant surun char
les signesdu zodiaque
àcôté d’unévènement
historique;de
lanaissancede Louis XIII?
Le
Tintoret, entraînépar
safougue
,
Paul Vèronese
,par son
insouciance ,Jordaens
,par
la facilitéde son pinceau
et le
burlesque de
ses idées,ont commis
des
anachronismes,
desfautesimpardon-
nables.
Un
tableauparfaitement
dessiné, peint avec supériorité,du
coloris le plus bril- lant, n’estqu’une
expositionde
person-nages quand une
actionune
etpoétique11e(
6
)réunit
pas
,n anime
pas les êtres qui lecomposent On peut
décrira lemouve- ment,
laphysionomie,
l'attitudede chaque personnage
placédans
lescompositions
desplusgrands
maîtres,admirer
le clair- obscur, lebeau
idéal, la disposition desgrouppes de
leursouvrages; mais
rare-ment,
saisis d'unegrande
idée, ils font tout concourir à la développer, àpéné-
trerl'observateur
d'un sentiment profond ou
d’une exaltationsublime
,comme
lePoussin.
C’est, à
mon
avis, ce qui luidonne une
supériorité réelle surles peintresles plus célébrés, etce qui
m’engage
àréimprimer un
travail utile peut-êtreen
cemoment
où
laFrance
entière vientadmirer
les chefs-d'œuvrede
l'Italie. Ilfautpréserverd'un enthousiasme
aveugle,ou d’un
dé-couragement dangereux,
les élèves qui,trompés par
des éloges répétéspendant
trois cents
ans
, etpar une
exaltation très excusablecependant
, croientqu’on ne peut
égalerlesRaphaël,
les Carrache, etc.qu’en
vivant sous le cielheureux
qui les vitnaître.( 7 )
Un
justepressentiment m’annonce qu’un
jour leFrançois, libre, débarrassédu joug de
l’opinionultramontaine, de
celle des peintres
voyageurs
, desama
-teurs aveuglés et crédules,, égalera, sur- passera les
grands
maîtresde
l’Italie.Le Sueur
et.Lebrun
pourroientdéterminer
à le penser...Le Poussin
ledémontre.
Ne prenez
pas cette assertionpour l’engouement d’un novice
; j’aivu
cent mille tableauxdepuis 1783
, et je n’aipaschangé
d’avis.Des
obstacles réels, actifs, des obsta- clesd’imprévoyance
,nuisent aux
progrès des artsen
France.L’opinion
n’estpas
assezformée
sur leur utilité> sur leur nécessité; des idéesparcimonieuses
nuisentencore
à leurs dé-veloppements
; lesentiment
des arts n’a pasreçu par
les observationsdu
cabinet,par
les discussions des cercles,
par une
impulsion
générale enfin, l’étendue, la vivacité, laprofondeur qu’un
jour il doit avoir.Pas un
professeur,pas une
conférence,
C
8
)pas un bon
livre,
ne répandent
les idées, les principes qui les feroient valoir;nos
galeries sont expliquéesau peuple par de
simples gardiens, qui
mêlent, con- fondent
lesnoms
,fhistoireetdes peintres et des tableaux, et quipropagent
des er- reurs qu’il estpresque
impossiblede
dé- truire.Les ouvrages
élémentairesquon pour-
roit consulter
en France
sur la peinturesont d’une
foiblesse (comme ceux de Fé-
libien), d’une sécheresse
(comme ceux de de
Piles), quinuisentau
génie...Arnaud,
Vatelet,
Lemierre, ont
écrit plutôten
hommes
d’espritquen hommes
pénétrésde
lagrandeur de
fart qu’ilsavoientexa- miné. Les
dissertationsde
l’académiede
peinture n’offrentque
des détails d’ar- tistesou
des observationssouvent minu-
tieuses.
Les
livresélémentairesdeviennent
plus nécessairesque
jamais;mais
le peintre écritpeu,
etl’homme de
lettres connoit trèsrarement
les principes et la pratiquede
fart.(
9
)On
trouva trèsheureux
autrefoisun
projet
que
les circonstancesm’ont em-
pêché
d’exécuter.Je
vouloisdonner
laviede douze
peintres, etmêler
les préceptesde
fartet lesdescriptionsde
leurstableauxau
récitde
leur vie particulière.La
règle ainsi voilée eût produit plus d’effet; elleeût
perdu
la sécheresse et leton
doctoraldont
elle apeine
à se débarrasser: j’au- rois traitédu
colorisen
parlantdu Ti-
tien ,
du
dessin à l’articlede Raphaël
,
de
la partiepoétique
des tableauxen retouchant mon
Essai sur le Poussin.D’Alembert
,Le
B....,Condorcet, me
pressèrent
vivement de
réaliser ceplan auquel
ils applaudirent. Jene
faipas entièrement abandonné.
Les
chefs-d'œuvrede
l’Étrurië,de
l’an-cienne Grèce
etde
l’Italie,
forment
à Paris le plus richeMuséum
qu'aientpos-
sédé les
modernes, Le
palais des Césars,le palais
doré de Néron,
la vigned'A-
drien, lesthermes de
Dioclétien,de Ca-
racalla
,
renfermoient
desstatuesde mar-
bre,de bronze
,de
basalte,de
granit,
( 10
)
de porphyre
,en
plusgrande
quantité,
plus parfaites
que
celles quinous
sont acquisesparnos conquêtes
;mais
jedoute
quils fussent aussi richesen
tableaux.Les
écoles desquatorzième
etquinzième
siècles
ont
produitune
sigrande
quantitéde
merveilles, les artsanalogues
à la peinturese sont tellement perfectionnés ,qu’on
seroit tentédeprononcer en
faveur des peintresmodernes
contreceux de
l’antiquité.
Les
descriptionsde
Pausanias,de
Pline,
de
Philostrate, leriche cabinetde
Portici,ne
fourniroientpas un argu-
ment
positifcontre l’êtreassez témérairepour
proférer ce hardijugement.
Les
galeriesde
Dresde,,de Dusseldorf,
les tableaux
deVienne
, tous les cabinetsde
laHollande, de
la Flandre,de P An-
gleterre,
Naples,
Florence,Gènes, Ve-
nise et
Rome
réunis ,ne pourroient
àprésent former une
galeriecomparable
à celleque nous
possédons.Nos
richesses sontimmenses
;mais malheureusement
lesgrandes composi-
tions
de
laFlandre
etde
l’Italie sontC i 1 )
placées
dans un
local qui n’apas
l'élé- vation et lalongueur
nécessairespour
quon
lesexamine
à la distancepour
la-quelle ils
ont
été faits.Elles sont placées
dans un
jour défa- vorable.Leurs
défauts, leurs perfectionsmême,
nuisent
àl’effet quellespourroient
pro- duire isolément.L’historique
de
tantd’ouvragesn’estpasindiqué
, ladescription n’en estpas
faite.On
n’a point arrêté le projetde
les faire graver avec le soin, les talents, lesdépenses
et les dispositions nécessairespour que
lepremier Muséum du monde
soit multiplié
par
lesmeilleurs artistesde F Europe,
etdans une proportion grande
qui leur permettroit toute espècede dé- veloppement.
On
laisse circuler sur les tableauxdu Muséum de
vieux préjugés, des contes invraisemblablesqu’on entend
avechu- meur
serépéterdans
touslesgrouppes....Il est
temps
d’apprécier,de
juger avec sévérité lesmodèles de
l’art quiva
re-( 12 )
naître
en France
, d’éloigner toute erreurdelà
tète des jeunes élèves, d’écarterles récits merveilleuxde
Vasari,deMisson, de
Félibien....Que
d’ouvrages n’ontde
célébritéque par
l’époquede
leur nais- sance,que par
l’enthousiasme qu’ilsdé- terminèrent dans un
sièclesanslumières
!A
l’instantoù
l’école françoiseva né- cessairement
seréformer
etpar
lesprin-
cipesgénéraux
qu’elle adopte, etpar
laprésence de
tantde chefs-d’œuvre
,on
négligede préparer
les enfants àl’initia- tion qu’ilsvont
recevoir.Nous avons un
conservatoirede mu-
sique,
nous
n’enavons
nipour
la peinture nipour
lasculpture.Le
peintre doitapprendre
dès la plus tendreenfance
à devenir maîtrede son
pinceau.... Il obtientun
prix, passe àRome
,où nécessairement
ildoit étudier, copierles restesprécieuxde
l’antiquité....Il rentre
en France
,où
la nécessitéde
travailler
pour
vivredégrade son
talent,
qui bientôt doit s’éteindre sous les fleu-
rons
et lesarabesques
des boudoirs.A
( i3 )
quelle
époque
a-t-ilpu
selivreraux
étudesanalogues
àson
art?...Mœurs,
histoire,convenances,
il ignore tout.... Il est le froidcopisted’un
trait pilléou dans Ho-
mère ou dans
Virgile,chez Tite-Live ou chez
Tacite, sans leremanier
, sij’oseme
servir
de
cette expression triviale , sans se l'approprier enfin:de
là fignorance,
hélas! tropcommune
, quidégrade
,
qui
tue les plus brillants génies.
Créons donc une
école des arts,mais
quine
soit passeulement une
sallede
dessin ,de charges
etde
caricatures....Sans une ame
élevée , sansun
esprit polipar
la fréquentation deshommes,
sansde grandes connoissances du monde, de
la poésie ,
de
l’histoire ,de
lamorale
,
un
peintrene
serajamaisqu’un
êtremé-
diocre
,
que
l’instrument qui trace bienou mal un contour
sans esprit et sans grâces.Je vois avec transportarriver
une épo- que où
legouvernement
et ses ministres s’occuperont essentiellementde
réglerlesconceptions
indigestesquijusqu’àprésent( i4 )
ont
conduit les artistesen
France. L'ar-gent
, lesprix , lesrécompenses
, leshon- neurs même
,ne
suffîroientpaspour
for-mer
degrands hommes.
..Ilfaut des études préliminaires; ilfaut, etc... cequon ne peut développer dans une préface.—
Mais, hélas! toutseroitperdu, si lesbeaux
artsdevenoient un métier
, silesrécompenses dues au
vraitalent sedistribuoientcomme
une
solde àtousceux
qui , sans vocation,
se
dévoueroient
à leur service; sicinq ou
six artistes
en
crédit régloîent l’opinion,
obsédoientles ministres, sortoient
du
cer- cleque
l’artleur a tracé...; s’ilsvouloient toutdominer,
s’ils classoientdans
leur risibleempire
,sous
letitresibizarrement
employé
d’artiste, lepoète, lenaturaliste, l’historien,lephilosophe
, desacteurs,desdanseurs,
des baladins, etc...; s’ils for-moient
enfinune
détestable corporation vers laquelletous les êtresmédiocres
ten-dent
avecun entraînement presque
in- vincible.ESSAI
SUR LA VIE
ET SUR LES TABLEAUX
DU POUSSIN.
La Normandie
peut se glorifier d’avoirfait naître le Poussin,
comme
elle se vante d’avoir enfanté les Corneille. Elle adonné
des rivaux à Sophocle, et des
égaux
àRa-
phaël.
Le
Poussin naquit àAndely
, de parents pauvres, honnêtes, et nobles,en
i5g4. Jevais
donner un
précis de sa vie: j’auraisans cesse sous lesyeux
le portrait grave et sé- vère de cegrand homme
; il va présider à cet écritcomme
celuide
Scaliger présidoitaux
travaux des critiques deson
siècle.( 16 )
Le
Poussin,dèsqu’ilputtenirun
crayon*manifesta
son
goûtpour
le dessin; il tra- çoit surseslivres tous les objets qui lefrap- poient. Il fut contrarié; mais QuintinVa-
rin lui trouva tant de facilité, tant de dis- positions, qu’ilengagea
ses parents àne
le* plus contraindre, à laisser agir
un
gé- nie qu’il aidalui-même
de ses conseils.A
dix-huit ans le Poussin sentit
ou
la foi- blesse de sonpremier
maître,
ou
lepeu
de
ressourceque
les talents trouventen
province: il s’échappa, se rendit à Paris.Le
hasard lui fît connoîtreun
jeune sei-gneur du
Poitou qui l'accueillit, lui four- nitun
as vie, et lesmoyens
de se perfec- tionner dans l’art vers lequel il étoit en- traîné.La
peinture enFrance
étoit alorsau
berceau.Avant
François Ier, la profession
de
peintre n'étoit pas séparéede
cellede
vitrier;
on
faisoit demauvais
portraits,on
peignoit des vitraux d’église. Enfin maître
Roux
et le Primatice ornèrent Fontaine-bleau
de
leurs compositions : l;on
vit sor- tirde
leur écoleSimon
leRoy,
les Dori-gny
,Lerambert
,Charmoy,
Dubreuil;Jean
Cousin,homme
étonnant dans son siècle,( *7 )
dont on admire
encore et le génie et la fa- cilité;Freminet
, qui, trop séduit par les
tableauxde Michel-
Ange,
força lesattitudesde
ses ligures et s’écarta de la belle et sim- ple nature, etc.Tels étoient les peintres françois prédé- cesseurs
du
Poussin. Il sentit leur insuffi- sance, secoua le jougque
la médiocrité deFerdinand
Elle,peintre
flamand
, etdeF
Al-lemand,
autre peintre qu’il avoit prispour
maître, imposoit à son génie, etne
s’at-tacha plus qu’à copier des dessins et des estampes de Piapliaël et de Jules
Romain.
Qu’on
imagine la sensationque
ces chefs-d’œuvre
produisirent surun
être aussibien organisé, et la chaleur qu’il mit à les étu- dier et à s’en pénétrer.Au
milieu de ses travaux,un
ordre rappela son jeuneami
dans le sein de sa famille.Le
Poussin l’ac-compagna
dans sa province ;mais
lesmé-
pris qu’il essuya, l’humiliation d'être traité
comme un
premierdomestique
parlamere de
son protecteur, le décidèrent à retour- nerà Paris. Il fallut travailler sur la route, peindrepour
vivre; ce fut alors qu’il lit à Bloisdeux
tableauxpour
les capucins.La
position
de l’homme
influa surson
ou- 2( i8 )
vrage; ces tableaux sont médiocres. Les Bacchanales qu’il lit dans le
mémo
tem« spour
le châteaude Chiverny
sont plus es-timées ;
on
loue la sagesse de cettecompo-
sition.
Le
Poussin arrive enfin a Paris, harassé, fatigué, découragé.Malgré
la force deson tempérament,
iltombe malade,
etne
se rétablit entièrement qu’aprèsun an
de sé- jour chez son père.Son
goûtpour
la pein- ture n’avoitpas étédétruitparcette maladie.On
apeu
de détails sur plusieurs voyages,sur quelques tableaux qu'il lit en province.
Il résolut d’aller à
Borne,
se rendit à Flo- rence , et par des obstaclesdont on
ignore la nature fut obligé de revenir en France.Les chefs-d’œuvre de
lltalie l’appeloient avec trop de forcepour
qu’ilabandonnât
le projet
de
les visiter; il partit deLyon dans
ce dessein ;mais de nouveaux
obsta- cles le rappelèrent.En
1623 les jésuites de Paris célébrè- rent la canonisation de saint Ignace et de saint François Xavier.Le
Poussinfutchargé de faireen
six jours six tableauxpour
cette fête
; il les exécuta. Il lit plusieurs ouvrages
pour
différents particuliers dans( 19 )
le cours de cette
meme année
, et peignît le trépasde
la Viergepour
l’église deNo-
tre-Dame.
A
cetteépoque
le CavalierMarin
,
qui devina le génie
du
Poussin, le rechercha,le prit chezlui , lui ht connoître les poètes italiens et leur génie, l’enflamma
du
désirde
voirRome
, et lui proposade
lemener dans
cette ville. Cette proposition avanta- geusene
fut pas acceptée, par des raisons
qu’on
ignore.Peu de temps
après le Poussin força tous les obstacles qui jusqu’alors avoient renversé ses projets; il se rendit à
Rome.
Le
CavalierMarin
le reçut avec transport;mais
obligé de partirpour
Naples,où
bien*tôt il
mourut,
il lerecommanda
à Marcello Sacchetti, qui lui procura la faveur
du
car- dinal Barberini,neveu du pape Urbain
VIII.Par une
fatalité désespérante , cenouveau
protecteur.partitpour
ses légations,etlaissa le Poussin sans connoissances, sans res- sources, sans argent, etne
sachant à qui vendre ses ouvrages. Il n’avoit pas le style qu’on aimoit àRome
; il eutbeaucoup
de peineà tirerquatorzeécusdedeux
tableaux de batailles qu’il avoit exécutés avec tout2.
(
20
)le talent qu’il développa dans ses meilleurs ouvrages.
François
Duquesnoy,
sculpteur savant, modeloit alors d’après l’antique, et subsis- toit de ce travail pénible. Il logeoit avec
le Poussin:
une
conformité de talents et d’infortune les réunit; ils firentensemble un
métier demanœuvres
, sans négliger l'étude de leur art et celle des grands maî-tres qu’ilsavoient sous les
yeux
; semblables à ces jeunes gens qui la nuit fendoient des pierres dans les carrières, et le jour assis- taientaux
leçons de la philosophie!Le
cardinal Barberini de retour àRome,
3e Cavalier del
Pozzo
,amateur
éclairé , savant dans les antiquités, dans les belles- lettres,
donnèrent
enfinaux
ouvragesdu
Poussin l’éclat qu’ils méritoient.Ce
der- nier lui lit obtenir malgré ses rivaux le privilège d’exécuter le saintErasme
qu’on voità Saint-Pierre , et luilit fairepour son
cabinetY
apparitionde
laVierge à
saint Jacques, la peste des Philistins, etc.Le
cardinal lui
commanda deux
tableaux, leGermanicus mourant
, et la prisede
Jéru-salem par
Titus.Ces
chefs-d’œuvre décii- lerent lesyeux
des Italiens; dès cemoment
( 21 )
on
vanta le Poussincomme un
des maîtres de son art.Bientôt sa réputation se répandit en France:
une
foule de particuliers lui de-mandèrent
des tableaux de chevalet, luidonnèrent
des proportions, desmesures
, auxquelles il fut obligé de s’assujettir.M.
desNoyers
, secrétaire d’état et surin- tendant des bâtimentsdu
roi, résolutde
l’attirer; il lui fit offrirmille écus d’appoin-
tement
,un logement
auLouvre
: ces pro- positions avantageuses furent rejetées.Le
Poussin,heureux
alors parsamodération
,
au milieu des chefs-d’œuvre de Fltalie,
ne
pouvoitse résoudre à s’en éloigner. Il céda cependantaux
instances,aux
persécutions deM.
deChanteloup
, maître-d’hôtel
du
roi
, qui fit le
voyage
deRome
exprèspour Fen
arracher, et le conduisit à Paris
en
1640.Le
Poussin fut accueilli parM.
desNoyers
,embrassé
parle cardinaldeRiche
lieu, qui portoit jusqu’au délire l’amour des grands talents. O11 l’établit
aux
Tuile- ries,
où
le goût et la générosité avoient rassemblépour son
usage plusde meubles de
toute espècequ’un homme
aussi sim-ple, aussi sage, 11e pouvoit en desirer.
Le
( )
20 mai
1641, le roi le reçut à Saint-Ger-main,
s’entretint long-temps
avec lui, lenomma
son premier peintre, luidonna
mille écus d'appointement, et lui
comman- da deux
grands tableaux,Fun pour
lacha- pelle deSaint-Germain
, l’autrepour
cellede
Fontainebleau. Il s’occupa de cescom-
positions avec ardeur, fît, par ordre, des frontispicespour
les livresqu’on
imprimoit à l’imprimerie royale, etdisposa des cartonspour
lagrande
galeriedu
Louvre. Ily vou-
loit représenter
en
bas-reliefs,en forme
de stuc,une
suitedes actions d’Hercule.Le
Poussin devoit s’attendre et s’atten- doiteneffetaux
persécutionsqu’ilessuya; la jalousie, l'envie, lamédiocrité, seliguèrent contre lui.On
dénigra ses meilleurs ouvra- ges , et son superbe tableaude
saint Ger-main
, et celuides miraclesde
saintFran-
çois
Xavier au Japon
, et ce qu’il avoit faitpour
la galeriedu
Louvre.On
prétendoitque
son Jésus-Christ desjésuitesavoit plus Pair d’un Jupitertonnant que
d’un Dieu de
miséricorde;
que
son colorisétoitterne,que
les contours de ses figures étoient secs et sans esprit.
Vouet
et ses disciples l’atta- quèrent en public et dans les cercles parti-(
^
)culiers;
Fouquière,
excellent paysagiste, qui se croyoiten
droit d’ordonner seul de tous lesornements
de lagaleriedu Louvre
,devint son ennemi. L’architecte le Mercier sur-tout
,
choqué que
le Poussin eût fait briser desornements
, descompartiments
trop lourds qu’il ayoit exécutés dans leLouvre
, cabala contre lui h la tête d’une troupe demaçons
et demanœuvres. Le
Poussinne
céda pointaux
efforts de ses adversaires, leur répondit avec force, sou- tint ( ce sont ses expressions) cc qu’il n’au-cc roit jamais
pu
prêterau
fils deDieu un
«
visage de torticolis et de pèredon
cet,vu
cc qu’étant sur la terre
parmi
leshommes
cc il étoit
même
difficile de le considéreren
cc face>3. Ilfinit cettelettre parces
mots
qui peignent son caractèremâle,
incapable de se prêteraux manœuvres
sourdes qui cap- tiventlessuffrages etfonttaire lacalomnie
: ce J’écris , j’agispour
rendretémoignage
àcc la vérité et 11e
tomber
jamais dans la dat-cc terie
, qui sont trop opposées
pour
seren-cc contrer ensemble. x>
Cependant
les tracasseries qu’il éprou- voit, les criailleries qui le troubloient, ledécouragèrent: persuadé
que
laFrance n
é-( 24 )
toit pas le pays des
beaux
arts, qu’on
ne
sentoit point
pour
leurschefs-d’œuvre l’en- thousiasme qui transporte les Italiens , ilchercha des prétextes
pour
la quitter: des affaires, l’envie deramener
safemme
, luien
fournirent. Il partitpour Rome
vers la fin de septembre 1642» ets’y fixapour
ja- mais.La mort du
cardinal de Richelieuen
1643, celle de Louis XIII cinqmois
après,
la retraite de
M.
desNoyers,
rompirent tous ses engagements.Qu’on ne
récuse pasles motifs de retraite
que
je prêteau Pous-
sin; voici les p opres termes d’une de ses lettres : rc
La
négligence et le troppeu
d’a-cc
mour que ceux
de notre nation ontpour
cc les belles choses est si grande, qu’à peine
ce sont-elles faites qu’on n’en tient plus
cc
compte, mais au
contraireon prend
sou-« vent plaisir à lesdétruire. «
Quoi
qu’ilen
soit, ce fut à cetteépoque que
le Poussincommença
àjouird’une cer- taine aisance et d’une tranquillité philoso- phique. LouisXIV
fit acquitterexactement
la pension qui lui avoit été accordée par Louis XIII.
En
vainM.
desNoyers
, remisen
place, voulutle rappeleren
France;son
ame
sensible etdélicate souffroitencore des( )
chagrins
que
son enfancemalheureuse
etque
lajalousie
de
sescompatriotesluiavoientfait éprouver dans sa patrie. Il se livra sans re- lâcheaux charmes
desa profession, quin’é-
toit plus troublée par lesdégoûts de la
mi-
sère.
On
vit naître sous son pinceauune
multitude de chefs-d’œuvre Il fitpour M. de Chanteloup
le ravissementde
saintPaul
.Ce
petit tableau, qu’onplaça près de
la vision dfEzéchiel par Raphaël, soutint ce voisinage sansrienperdreà la comparaison.
Il
commença
sesSacrements
en 1644? et les finit
en
1648. Cette sublimecomposition prouve
qu’il n’avoitperdu
ni sa force ni sa chaleur. Il écrivoit alors : ceJeme
sens,en
ce vieillissant
, plus
enflammé que
jamaisdu
ec désir
de
bien faire... ».Dans
les inter- valles de ce dernier travail, ilenvoya
aupré- sident deThon
sonfameux
tableaudu
Cru- cifiement. Il achevapour M.
Pointel leMoïse
sauvé deseaux
, si biencomposé
,
si sage, etqu’on peut mettre
au
rang,pour ne
pas dire au-dessus, des millemorceaux
de différents maîtres qui traitèrent cebeau
sujet.
Tant de
chefs-d’œuvre, sonJugement de
Salomon
, laGuérison
des aveuglespar
C
26
)Jésus-Christ près
de
Jéricho, desPaysages dn
plusgrand
style, portèrent enfinlagloire
du
Poussin an plushautpériode: mais Page,une
application trop forte, des fibres tropviolemment
agitées, luidonnèrent en 1662 destremblements, destiraillementsqui nui- sirent
un peu
à l’exécution de ses derniers ouvrages, toujours conçus avec lemême
génie. Il acheva pourtant, en 1664*
pour
leduc
de Richelieu, les quatre Saisons qu’il avoitcommencées
en 1660.Il
mourut en
1660, âgé de soixante etonze ans, et fut enterré dans l’égiise de Saint
Laurent
inLucrina
sa paroisse.Le
Poussin étoit d’une taille élevée, d’un forttempérament;
son port étoit plein de noblesse , saphysionomie imposante
et sé- vère; son œil étoit vif etperçant.Son
carac- tère indépendant, soname
nourrie de ceque
lamorale
offre de plus grand, de ceque
Pimagination des poètes enfantede
plus sublime , irfluoient sur son extérieur: sim- ple etmodeste,
il écrivoit: ce J’ai honte decc
me
voir placé avec deshommes
dont lece mérite et la vertu est au-dessus de
moi
ce plus
que
l’étoilede Saturnen’estau-dessus( 27 )
«c denotretête».
Son
style,sa conversation étoient figurés
, poétiques :
Raphaël
estun
ange,comparé auxmodernes,
disoit il; c'estun âne
auprès desanciens.ce II faut
qu’un
peintre, écrit-il dansune
ce lettre,
commence
parladisposition, puiscc par l'ornement, le
décorum
, la beauté,ce ia grâce, lavivacité, le
costume
, lavrai-<c semblance, et le
jugement
par-tout: cesce dernières parties sont
du
peintre etne
cc
peuvent
s’enseigner; c’est lerameau
d’orcc de Virgile,
que
nulne
peut trouver nicc cueillir s’il n’estconduit parle destin.55
Rien
n’égalasa délicatesse et la simplicitéde
sesmœurs:
il reçut cent écuspour son Enlèvement de
saintPaul
;
il en renvoyala
moitié, et répéta ce trait
de
désintéresse- ment.Sa
fortunequand
ilmourut
n’étoit pas de vingt mille écus.Le
cardinalMas-
simi , qu’il reconduisoitune lampe
à lamain
, lui reprocha dene
pas avoirun
valetpour
le servir, ccJe vous plains bien davan-ce tage,
monseigneur,
d’en avoirtant», luiréponditil.
Sa femme, sœur du Guaspre,
avec laquelle il vécut dans la plus parfaite intelligence,mourut
peii detemps
avant( 23 )
lui , et
ne
lui laissa pas d’enfants. Tl l’avoitépousée par reconnoissancedes soinsqu’elle et sa famille avoient eus de lui dans
une
forte maladie.
L’amitié
du
CavalierMarin
, les étudesque
le Poussin fit dans le riche cabinetdu
Cavalier del
Pozzo
, leshommes
célèbres qu’il fréquenta, ses études en tout genre
,
donnèrent
à sa conversation cettenoblesse, cetteabondance
qui le faisoit écouterdu peu
d’amis qu’il admettoit à sesprome- nades ou
dans son attelier. Les grands le recherchèrent: il les vit sans transport et sans trouble; il les étonnoit par la forcede
ses discours
, par la beauté de ses pensées;
et son génie recevoit d’eux
l’hommage
qu’il rendoit à l’éclatde leur rang.Raphaël
et JulesRomain
furent ses pre- miers modèles. Les couleursdu
Titien le séduisirent; ilen
trouva lamagie
dange- reuse, et craignitde négligerle dessin, ceLe
cc
charme
de l’un, disoit-il
, pourroit faire
« oublierlanécessité del’autre x>. Il
admira
sur-tout les tableauxdu Dominicain
, mais
ne
s’asservit à lamanière
d’aucun peintre.Personne ne connut mieux que
lui lebeau
idéal:persuadé qu’ilne
se trouveque
chez( 29 )
les anciens
, il étudioit leurs
moindres com-
positions , modeloit , dessinoit leurs ou- vrages.
Le
plusbeau
corpsd’homme ou
defemme
n’offre en effet
que
de belles parties.Quel
êtrepourroit soutenir l’approchedelaVénus
de Médicis , del’Apollondu
Belvédère. Ras-semblez
vingtmodèles
,choisissezlesformes de chaque
être qui conviendront à votre idée ; pourrez-vous, quelque
soit votre ta- lent,combiner
avec justesse leurs propor- tions nécessairement différentes?Ce
pro- cédéqu’on
prêteaux
anciensne
réussit certainement pas au premier peintre qui l’employa.Le beau
idéalne
fut fixé qu’a- près mille tentatives de ce genre ;comme
notrepoésienefutcequ’elleestdans
Racine
qu’après avoirété purifiéeparVillon, Marot,Malherbe
etCorneille, etBoileau.Quelques
étudesqu’eussentfaiteslePoussin,Raphaël
,
même
d’aprèslanature, sans lesmonuments
grecs, j’ose ledire, ils n’eussent
pu
parvenirau
degré de perfection qu’ils leur doivent.Qu’on
en juge par lesFlamands:
la pein- ture chezeux
estau moins
aussi vieillequ’en Italie; et quelsdégoûtsleurs tableaux
ne
causent-ils pasaux
vrais amateursdu
(
3o
)beau
idéal! (jene
parle ici ni des marines ni des paysages. ) Ils le dédaignent,vous
dit
on
: c’estlanaturequ’ilsaiment
, c’est la^nature
qu
ils copient, c’est la nature qu’on voitdans
leursouvrages.Eh! que m’importe
dansun
tableau la réunion de vingt têtescommunes
dont jene
connois pasles origi-naux?
c’estun beau
caractère,une
grande expressionque
je desire; c’est la finesse, la gravité,lamajesté d’unetête,
que
jerecher- che. Jen’aime pointlalance d’Achille dansla
main
d’un naindécharné, quoique
sou- vent la force s’unisse à la maigreur, à la petitesse de la taille. Jene veux
pointque Laure
soit laide si l’onme
peint Pétrarquesoupirant à ses pieds
, quoiqu’elle le fût
en
effet.
La
postérité, quineconnoît
les grandshommes que
par les faits qui sont dignes d’elle,dont
l’imaginations’exalte, s’agran- dit,s’embellit,en
songeantaux
Scipion,aux
César,aux
Brutus, estblessée de leur voir desformes flamandes, etchoquée quand on
leur prête l’attitude et l’action d’un bour-
guemestre
hollandois.On ne
doit rendre certaines difformitésque quand
elles sont consacréesparl’histoireou
parlasculpture.( 3i )
Ilseroit ridiculedeprêter à
Ésope
lesformes
d’Antinoüs, dedonner
six pieds àAlexan- dre, et difficile dene
pas priver d’un œil Philippe., sile peintrele montroiten
face.Cette discussion m’entraîneroit troploin;
revenons à notre sujet, et continuons, s’il
est possible, à faire connoître l’esprit et le caractère
du grand homme dont
j’ose es- quisserle portrait.Les
étudesdu
Poussin avoient été cellesde tout
homme
qui veut devenirun grand
peintre: il avoit appris la géométrie, l’ar-chitecture; il possédoit l’optique, la per- spective, et l’anatomie.
Les
écrits d’AlbertDure, du
savantLéonard
de Vinci, le traitéde
la peinture de Léon-Baptiste Albert, l’a-voient aidé dans ses recherches. Il se pé- nétroit de la lecture des poëtes; étudioit les
grands peintres, sans les copier; dessinoit
peu
d’après nature; modeloit en cire les figures qu’il devoit exécuter, les posoit, les grouppoit
comme
elles dévoient l’êtredans sontableau;connoissoitainsiles
beaux
effets de lumière
qu’on
voit dans sescom-
positions; et saisissantleur jeu réel, il n'é- toitpas obligé,
comme
tantd’autres, defor-C 32 )
cerles oppositions
du
blanc etdu
noirpour
faire ressortir ses ligures , fuir ses fonds, et contraster ses masses.
Siquelque objet digne de son pinceau le frappoit, il le rendoit sur ses cartons,
au
milieumême
d’une place publique. Ilfuyoit lemonde
, erroit en observateur dans les vignes des environs deRome
, sepénétroit des grandsmouvements
dela nature. Je l’aisupposé
quelquefois dans la position qu’il prête à saint Jean l’évangéliste: il le placeau
milieu d’un paysage sauvage et pitto- resque, entouré d’obélisques, de colonnes briséesque du
lierre et des ronces enve- loppent;desmontagnes
, deslacs,lesruines d’une ville, des arbres pleinsde
force etde
vigueur,une
nature active, féconde, parent le fond de son tableau: saintJean médite en
silence surlegrand
spectacle qui l’entoure; ses pensées sublimes s’élèvent;la parole de
Dieu
se fait entendre; pleind’amour,
d’enthousiasme, de respect, ilia transcrit sur ses tablettes; et la vérité, ca- chéejusqu’alors dans le seindeDieu,
vient enfin éclairer lemonde.
Le
Poussinn’atraitéque
dessujetsgrands, nobles , ingénieux;une
idéebasseou
gros-sièrenesouillajamaislapureté
de
sesconcep- tions.Qui
s’asservit plusaux convenances,
quiconnut mieux que
lui lecostume
, qui sut lerendre avec plus d’exactitude dans les habits, lestemps
et les climats? Quelleor-donnance
,quellesagessedans ses tableaux!quelle unité dans
son
sujet! quelle liaison entresesgrouppes
! Ilne
prodiguepas, à lamoderne,
les richesses deson
porte feuille :s’ilplace des
ornements
, c’estavec réserve;on
n’yvoit point,comme dans
lescompo-
sitions
de
cesiècle, des vases antiques, des bustes, des stacues tronquées, destambou-
rins, des
masques
, desguirlandes, etce tasd’ornements
, indices dela pauvreté de l’i-magination
de celui qui les entasse; prodi- galité d’un avare quivous
offredans un
repas tout ce qu’il doit vousdonner dans
la vie.
Malgré
sa fécondité, laprofonde
connois- sance qu’il avoit de l’anatomie, iine
prête pasàses figuresdesattitudes forcées,comme
Michel-Ange
et leCarrache; fécondcomme
Rubens,
il évitelesincorrections deses des- sins et de ses compositions; savantcomme
le
Brun
, iln’estpasfroidcomme
cepeintre.Il
connut mieux que personne
lesbornes 5( 34 )
de
son art, et les passararement
: s’il réunit quelquefois dansun même champ
deshom- mes
et des dieux , des êtres imaginaires et des êtres matériels , c’estun
défautdont aucun
peintrene
s’estgaranti.On
sera peut-être surprisdecetteobservation;mais qu’on yréfléchisse.
Un homme ami
desconvenan-
ces , connoissantles idées
du
peuple éclairépour
lequel ilcompose
, peut-il
choquer
sesyeux
etson
imagination, et les blessersansménagement? Qui
peut souffrirun
dieu porté pardesanges, errantsurdesnuages
,
et travaillant à force de bras à débrouiller le chaos;
un
dieu qui , suivant nos idées , créa d’un seulmot
l’univers?Qui
peut voir le soleil , distinguer ses traits, les heures qui le suivent, l’aurore qui le précède,quand
ilnest qu
épisodiquedans un
ta-bleau P
Quand
par sa propre force Jésus-Christ sortdu tombeau, quand
lesgardes sontren- versés,quand
toutannonce
sa puissance, ces anges assis sur la pierredu tombeau
. souriantde
la terreur des soldats,me
pa- roissentau moins
inutilesdans un
superbe tableau de Raphaël.Apollon
presseamou-
reusement Daphné
qui sechange en
lau-C 35 )
ricr; sa passion est assez
marquée dans son
action et dans sesyeux
: je souffrede
voirun
froidenfantluidardantune
flècheamou-
reuse.
Si lapeinture
ne
peutexprimer
certaines positions, certainseffets, qu’elleles néglige et les laisse à la poésie :
ne
passons pas les limites des arts, il est des bornesque
legoût prescrit.
La
peinture parle principa-lement aux yeux
; la poésie parle à l’irna- gination.Ilestdecesobjetsqu’unartindustrieux Saitoffrir àl’oreille, etreculer desyeux.
La
peinture aquelque
chose devague
,
d’indéterminé,
dont
ilne
fautpasaugmen-
ter l’obscurité par
une
multiplicationde
rapports trop subtils: elle doit se borner ànous
offrirun
fait simple, à rendre avec expression les différents effetsque
ce faitunique
produit sur ses acteurs ; elle doit exciterune
sensation première de terreurou
de pitié,de
plaisirou
de gaieté, sans,pour
ainsi dire,que
la réflexion s’en mêle.La preuve
de cette assertionest l’effetsubit qu’unbeau
tableau produit sur le baspeu- ple, quiréfléchit peu.Les
épisodes doivent5.
( 36 )
être
ménagés
avec la plusgrande
réserve.Les
dieux, quelque légersque
les peintres lesfassent,sonttoujoursgrossiers etpesantsquand on
lesrapproche
deshommes
d’une classesupérieure,dont on ne
peut matéria-liser les
formes pour
subtiliser davantagecelles des êtres intellectuels.
Mettez
PAnti- nous
à côté deP Apollon du
Belvédère,Hé-
lène à côté
de H
énus, etvous
verrez si la différence des natures est assezmarquée pour
qu’ellepuisse contenter l’imagination.Je sais
que
Péclatd
'une Gloire jetteun beau
jour surun
tableau; qu’il adoucitles teintes trop fortes qu’on est souvent obligé d’employer
pour
l’expression,pour
l’effetdu
clair-obscur:mais
ilchoque ma
raison;ilnuit àl’intérêt
, à
lame
, àl’unitédu
sujet;il attire
mon
œiletme
distrait.La
Yierge, dans PExtrême-Onction de Jouvenet
, à Saint-
Germain
-l’Auxerrois, m’est insupportable.Le
sage Poussin, trai- tantlemême
sujet,segarded’introduireun
être allégorique; il n’a besoin,
pour
établirde beaux
contrastes,