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SOLITUDE ET COMBAT DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE

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SOLITUDE ET COMBAT DES INTERMITTENTS DU

SPECTACLE

par Archibald

Notre dossier sur le théâtre - voir la (( Revue )) de février 1992 - a suscité plusieurs réactions, dont cet article d'Archibald, le pseudonyme d'un groupe de jeunes (( inter- mittents du spectacle)), expression qui recouvre les metteurs en scène, les comédiens, les scénaristes et l'ensemble des techniciens. Par-delà, en effet, la création d'une œuvre théâtrale, quels sont le statut de 1'(( intermittent )), sa situation sociale, de quelle manière vit-il les (( aides )) de l'Etat ou des différentes institutions parapubliques

?

Il ne veutpas, au nom de l'art, d'une image mythique de l'artiste, être marginalisé. Il veut être reconnu pour ce qu'il est, un travailleur. En novembre dernier, on s'en souvient, les (( intermittents du spectacle )) avaient manifesté pour défendre leur régime Assedic mis en cause par le CNPF.

Cette crise, génératrice d'inquiétude, sert de point de départ

à

cette réflexion.

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1ùen estlasituation des intermittents du spectacle au début de l'année 1992? Ceux-ci s'inquiètent toujours d'une possible remise en question de leur couverture sociale.

Plusieurs propositions qui vont dans ce sens ont été émises ces derniers mois, mais elles restentàl'état de projets brumeux, qui n'ont donné lieu à aucune décision concrète, ni même à un projet

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cohérent. Les intermittents du spectacle voient donc leur régime Assedic bénéficier d'un an de sursis au moins. D'autre part, on n'a rien entrepris pour dissiper leurs craintes: le ministre de la Culture vient de se prononcer en faveur de leurs revendications, le ministre du Travail a exprimé sa désapprobation. Dure est la cohabitation de l'économique et du culturel : face aux indécisions du libéral- socialisme, les intermittents sont pour l'instant renvoyés à leurs inquiétudes.

Cette situation, pour le moins nébuleuse, nous donne l'occasion de faire le bilan de nos aventures sur ce terrain miné. Nous sommes des intermittents du spectacle. Comme la plupart d'entre eux, nous sommes jeunes, nous avons, en moyenne, vingt-cinq ans.

Nous sommes des techniciens de cinéma, de télévision, de théâtre;

des comédiens, des chanteurs et musiciens, des artistes de cirque;

des metteurs en scène, des scénaristes. Nous aimerions faire le point sur la grève de l'automne dernier, sur notre statut social, et les difficultés que nous rencontrons àle vivre.

Les premières propositions de modification de la couverture sociale des intermittents du spectacle ont été émises après qu'on s'est soudainement alarmé devant l'énorme déficit de l'Assedic- spectacle. On peut fournir plusieurs explications à ce constat. La première est de nature conjoncturelle. Nous n'avons pas grand- chose àen dire, si ce n'est que le débat nous semble s'étendre bien au-delà de notre cas particulier. Nous ne tenons pas à servir la démagogie ambiante. Si l'Assedic va mal, c'est la faute aux intermittents du spectacle : air connu, un homme de théâtre, justement, nous en a parlé dans une pièce qui s'appelle Têtes rondes et Têtes pointues(1). Nous avons bien du mal à faire du spectacle, mais, depuis quelque temps, on s'en chargeànotre place: spectacle que cette odieuse campagne de dénonciation des « indemnités exorbitantes )) qu'ont touchées certaines célébrités de la scène et de l'écran. Le régime Assedic veut qu'un haut salaire, dans la mesure où il a cotisé, reçoive des indemnités proportionnellesàses revenus lorsqu'il se trouve au chômage. Nous ne voyons pas ce que cela a de plus révoltant dans le cas de telle actrice célèbre que dans celui d'un cadre supérieur d'une entreprise. Ces indemnités, comme ailleurs, sont plafonnées:à540 F par jour pour les comédiens, contre 900 F pour les journalistes, par exemple. De plus, ces exemples

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célèbres que les media ont montés en épingle ne représentent qu'une infime minorité dans la population des intermittents du spectacle. Va-t-on sacrifier près de 50000 personnes mal payées en désignant une poignée de boucs émissaires qu'on s'est chargé au passage de traîner dans la boue? Encore une fois, têtes rondes et têtes pointues.

Une autre explication que l'on peut fournir au déficit de l'Assedic-spectacle réside dans la pratique courante du travail non déclaré, que facilite la faible durée des contrats. Si les risques sont faibles, un employeur est toujours ravi de faire 50% d'économies sur les salaires qu'il doit verser, en les allégeant des cotisations sociales. C'est parfois une question de survie: dans la quasi-totalité des petits spectacles non subventionnés et des petits courts métrages, les cotisations ne sont pas acquittées; mais comment faire autrement? Personne n'irait voir un spectacle d'inconnus à 300 F la place, et l'on sait bien qu'un court métrage n'est jamais rentable, à de rares exceptions près. Il faut savoir, toutefois, que de telles pratiques n'ont rien d'inhabituel dans de grosses productions: les dessous-de-table sont monnaie courante au cinéma, même sur des tournages aux budgets conséquents les «participations amicales »

se multiplient sur les génériques de fin.

Quant à l'employé, il s'accommode tant bien que mal de cet état de fait; parfois, par amitié (il nous est arrivé à tous de travailler sur de petits spectacles désargentés); parfois, parce qu'il sait qu'il doit en passer par là : dans le milieu fermé du cinéma, l'intégration d'un technicien à une équipe de tournage passe maintenant, d'une façon systématique, par un premier travail non payé, ou non déclaré.

Il arrive, enfin, que l'employé préfère ne pas être déclaré, pour des raisons touchant aux mécanismes de l'Assedic-spectacle. S'ildépasse un certain quota d'heures à l'année, un intermittent ne touche ses indemnités qu'après un délai de carence qui peut s'avérer probléma- tique, vu la précarité de l'emploi: les périodes de travail intensif, pour les plus chanceux, ne durent jamais que quelques mois, voire un ou deux ans; commence ensuite la«traversée du désert »,Reste que la grande majorité des intermittents du spectacle sont plus habitués au chômage qu'au travail excessif.

Pour toutes ces raisons, l'employé consent parfois à travailler au noir. Mais ce n'est pas la seule explication à la multiplication du

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travail non déclaré. Il y a aussi les employeurs malhonnêtes, qui remettent àl'intermittent sa feuille de salaire, en «oubliant» de lui préciser qu'ils n'ont pas acquitté leurs cotisations. De grands employeurs tels que la Mairie de Paris (2), la SNCF, la RATP ne sont-ils pas redevables à l'Assedic-spectacle et aux Congés-spectacle de cotisations impayées? Dans le milieu du cinéma, les faillites «à propos »de maisons de production-champignons sont également bien connues.

A un bout de la chaîne, donc, un certain nombre de pratiques qui se répandent de plus en plus dans les professions du spectacle, bien souvent à l'initiative des employeurs; à l'autre bout, les récriminations du patronat contre le déficit chronique de l'Assedic- spectacle. La journée de grève du 10 novembre 1991 fut décidée en réaction à la proposition du CNPF (maintes fois réitérée ces dernières années) de supprimer les annexes 8 et 10 au régime général de l'Assedic, qui établissent la spécificité des intermittents du spectacle, et de redéfinir ces derniers comme des travailleurs intérimaires. Cette grève a mobilisé tous les syndicats du spectacle.

Le CNPF a émis par la suite une seconde proposition : la création d'une caisse autonome, provisoire à ce que l'on a cru comprendre, qui dépendrait du ministère de la Culture. Nous avons encore peu d'informations sur cette nouvelle proposition, et les syndicats sont divisésàson sujet. Pour notre part, nous y reconnaissons la même stratégie d'exclusion que dans la première. Nous nous inquiétons d'un projet qui va à l'encontre de la solidarité interprofessionnelle, et la sollicitude que le ministère de la Culture nous a témoignée nous préoccupe tout autant que la réprobation du CNPF et du ministre du Travail.

L'univers kafkaïen de l'Assedic-spectacle

Nous ne voudrions pas que l'on oublie que la notion d'«intermittents du spectacle »a été introduite pour désigner une population professionnelle, et qu'elle se rattache au monde du travail bien plutôt qu'à celui de la culture. Si la campagne de diffamation àlaquelle on a assisté ces derniers temps se nourrit du préjugé que les acteurs ne sont pas des travailleurs à part entière, alors il est

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peut-être bon de rappeler quelques vérités. A commencer par celle-ci : pour ce qui les concerne, les acteurs tiennent à affirmer leur activité comme un métier. C'est à ce titre qu'ils font partie de la population des intermittents du spectacle. De plus, cette dernière ne comprend pas que les acteurs, loin de là!mais aussi tout le corps des techniciens, des ingénieurs et des ouvriers du spectacle, soit environ 50 000 personnes inscrites sur les registres des Congés- spectacle. Cette population est jeune (les intermittents de plus de quarante ans ne sont que quelques centaines) et, pour sa plus grande majorité, mal payée : il faut savoir que près de la moitié des intermittents ne reçoivent même pas l'équivalent du Smic. Encore ces derniers sont-ils privilégiés par rapport à tous les travailleurs du spectacle qui n'ont pas la chance d'être inscrits sur les registres de l'Assedic. Tous les jeunes qui font leurs débuts dans le monde du travail connaissent bien ce cercle vicieux : pour pouvoir se déclarer comme chômeur, il faut avoir été employé durant un certain nombre d'heures. Le problème prend une acuité particulière dans le cas des intermittents du spectacle, en raison de l'extrême précarité de l'emploi, et des exigences de l'Assedic comme de l'ANPE.

Pour bénéficier de la couverture sociale de l'Assedic, il faut

avoir travaillé 1014 heures sur une période de 18 mois: ce qui représente 125 jours de travail pour un technicien, et en moyenne, 125 representations pour un comédien. Pour un travailleur intermit-, tent, qui effectue ses débuts dans un milieu très fermé, il est difficile de répondre à de telles exigences. Les premiers contrats sont sporadiques, et portent sur des échéances brèves. Pour les comédiens de théâtre, par exemple, il s'agit le plus souvent de quelques dizaines de représentations, et, à moins de travailler sur une grosse production, les heures de répétition, pour des raisons d'économie, ne se verront pas déclarées. Dans le milieu du cinéma, le premier emploi non payé est devenu une sorte de tradition obligée. Les « stagiaires»qui acceptent sans rechigner tout un lot de charges subalternes sur un tournage, dans l'espoir toujours déçu de «se former »,en sont un bon exemple. Quant aux scénaristes, ils ne sont payés le plus souvent qu'à la remise du scénario, et les indélicatesses des employeurs sont fréquentes.

Les seuls à se sortir rapidement de cette jungle du premier emploi sont les quelques privilégiés issus de formations agréées par

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l'Assedic, qui les font bénéficier de conditions particulières (507 heures sur 12 mois, soit le régime des intermittents déjà inscrits) : par exemple, le Conservatoire national d'art dramatique, les écoles nationales de cinéma (Louis-Lumière et la Femis). Mais de telles formations ne diplôment guère plus de quelques dizaines de personnes par an, et la plus grande partie des travailleurs du spectacle doit patienter de longs mois avant de faire valoir son droit à une couverture sociale. La lourdeur des démarches qu'il faut accomplir n'arrange en rien les choses. Tous les salariés redoutent l'épreuve du labyrinthe administratif, mais dans le cas des employés à employeurs multiples que sont les intermittents du spectacle, ce labyrinthe prend des proportions insoupçonnées. Nous ne nous étendrons pas sur ce «parcours du combattant »que connaissent bien tous les travailleurs, avec les heures et les heures d'attente dans les bureaux de l'Assedic, etc. Nous nous contenterons de signaler quelques traits spécifiques au régime particulier des intermittents : - le manque de transparence de l'Assedic et de l'ANPE; vu le nombre des contrats à déclarer, l'absence de communication entre ces deux organismes (par exemple, ils n'ont pas les mêmes critères d'admissibilité) complique à l'extrême les démarches;

- la spécificité des démarches à accomplir: aucune informa- tion n'est disponible sur la nature particulière de ces formalités, et il n'y a que les syndicats pour permettre à l'intermittent de s'orienter dans la jungle administrative. Bien souvent, les bureaux de l'Assedic ne sont pas au courant des conditions du régime des intermittents du spectacle; ces derniers ont bien la possibilité de faire transférer leur dossier vers le bureau spécialisé de l'Assedic-spectacle. Mais ce bureau est surchargé par les dossiers, et s'avère incapable de les traiter efficacement. Les cas de dossiers qui s'égarent à l'Assedic- spectacle sont légion;

- la nécessité de pointer tous les mois. Siun intermittent omet de remettre sa déclaration à l'ANPE dans les délais, il se trouve automatiquement radié, sans le moindre préavis ;

- les indemnités qui se font attendre. Un retard de 6 mois est monnaie courante, on a vu des attentes se prolonger jusqu'à plus de 2 ans. Inutile d'insister sur les conséquences désastreuses que peuvent avoir de tels retards pour des travailleurs qui vivent d'emplois précaires. Mais dans ces conditions, il n'y a rien d'étonnant

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à ce que certains intermittents touchent des indemnités énormes : en effet, plusieurs centaines de journées de travail payées d'un seul coup suite au délai de carence et aux retards administratifs, cela peut représenter une très grosse somme.

A tous ces problèmes administratifs s'ajoutent un certain nombre de difficultés quotidiennes, qui témoignent de la mauvaise intégration sociale des intermittents du spectacle: dans l'impossibi- lité de fournir des feuilles de salaire régulières, ceux-ci ont le plus souvent de grandes difficultés à trouver un logement. Suite aux retards de leurs paiements, la plupart sont surendettés auprès de leurs banques, auxquelles ils versent des agios considérables. Enfin, le régime de la Sécurité sociale, qui ne couvre un travailleur que dans un délai d'un an après la fin de son dernier emploi, pose des problèmes dans un milieu où, nous l'avons dit, les «traversées du désert »sont courantes.

La dialectique culture-économie

Le système de couverture sociale des intermittents du spectacle n'est donc pas parfait, loin s'en faut, mais il a le mérite d'exister. Depuis le milieu des années quatre-vingt, il s'est trouvé en butte aux attaques répétées du CNPF, notamment pour ce qui touche aux annexes 8 et 10. A cet égard, l'attitude de l'Etat n'a dissipé en rien nos inquiétudes. Au-delà des revendications sociales, les intermittents du spectacle sont engagés dans une lutte pour la reconnaissance de leur statut. Derrière les suggestions du CNPF, comme la proposition de rattacher l'assurance-chômage du spectacle au ministère de la Culture, nous entrevoyons le mythe de1'«artiste»,

et pourquoi pas, du « bohème » : cette vieille idée selon laquelle les sphères de l'art se situeraient bien au-dessus de celles de l'argent, et qui verrait un scandale à ce qu'un travailleur du spectacle fasse son métier pour autre chose que « l'amour de l'art », et ne se complaise pas dans une sorte de «misère éclairée »,

Il y a un certain nombre de caractéristiques de la situation des intermittents du spectacle que nous sommes prêts à assumer : par exemple, la précarité de l'emploi, qui nous semble inhérente à notre statut. D'autres, en revanche, nous sont imposées par une politique

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dont nous ne voulons pas. Nous le répétons, nous tenons à être considérés comme des travailleurs, et ce n'est pas un quelconque

«préjugé artistique»,fût-il le mieux intentionné du monde, qui nous aidera à exercer notre métier convenablement. Du CNPF, nous n'attendons pas grand-chose, et il nous semble logique que des employeurs trouvent dans ce préjugé l'occasion de substantielles économies de cotisations. Plus inquiétante nous paraît l'attitude de l'Etatànotre égard, et notamment celle, vaguement paternaliste, du ministère de la Culture. Il ne faut pas mélanger les domaines : s'il semble normal que ce dernier subventionne un «projet culturel »,

on s'étonnerait, en revanche, de le voir défendre les droits sociaux des ouvriers qui ont bâti la pyramide du Louvre. A notre avis, ce ministère n'a pas grand-choseàvoir avec les revendications sociales des intermittents du spectacle; mais, puisqu'il s'y trouve mêlé, cela vaut peut-être la peine de dire deux mots sur ses interventions sélectives. La controverse latente opposant le ministre du Travail, Mme Aubry, qui s'est prononcée en faveur de la révision des annexes 8 et 10, au ministre de la Culture, M. Lang, favorable à leur maintien, nous semble symptomatique d'un certain malaise de l'Etatàl'égard des questions «culturelles», Le gouvernement s'est surtout signalé, ces derniers temps, par son profond embarras devant de tels problèmes. A chaque fois, on retrouve la même hésitation entre le libéralisme et l'interventionnisme dans le monde du spectacle : par exemple, l'Etat laisse mourir telle ou telle société privée au nom de la libre entreprise, et maintiendra telle autre en vie à coups de millions. Nous ne voulons pas nous faire les apôtres du libéralisme en matière de culture, on sait trop les conséquences désastreuses de ce type de politique. Nous constatons seulement que, par un tel compromis, le gouvernement s'assure un véritable droit de vie ou de mort sur le monde du spectacle. Car qu'est-ce qui oppose au fond Mme Aubry et M. Lang? Quels sont les partis en présence : celui du cœur contre celui du porte-monnaie, 1'« idéal culturel »

contre les réalités économiques? En dernière analyse, nous ne pensons pas que cela soit vrai : un même impératif motive en fait les deux attitudes - celui de la rentabilité. La seule différence réside dans la nature des préoccupations de chacun des ministres : l'un recherche la rentabilité économique, l'autre la rentabilité culturelle;

au bout du compte, il n'y a d'opposition qu'en apparence.

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Il est à noter d'ailleurs que la notion de rentabilité économique n'est pas étrangère au ministère de la Culture, notamment pour ce qui concerne le domaine du cinéma. Le président du Centre national du cinéma n'a pas cessé de le répéter depuis sa nomination, il faut que le CNC devienne un organisme rentable. La décision, prise il y a quelques années, de permettre à des films«grand public »de bénéficier d'avances sur recettes, s'inscrit dans la même perspective.

Enfin, l'on apprenait voici quelques mois que le Grec, un organisme chargé d'aider à la création de courts métrages de recherche qui ne seront pas commercialisés, avait vu ses subventions diminuées de moitié.

Venons-en à la «rentabilité culturelle» : qu'entendons-nous par cette expression? Un spectacle culturellement rentable jouit d'un écho médiatique, d'un prestige qui sert une certaine idée de la culture, et asseoit par là même l'autorité des organismes qui l'ont subventionné. Cette notion de«rentabilité culturelle» nous inquiète, parce qu'elle peut nuire à tout un ensemble de «petits artisans »

du spectacle qui ne recherchent pas forcément l'innovation, ni le succès économique qui leur permettrait de se passer d'une aide gouvernementale. Il ne faut pas noircir le tableau : toutes les subventions d'Etat n'obéissent pas à l'exigence du « coup média- tique », mais il est vrai qu'elles prennent de plus en plus l'allure d'opérations de«sponsoring» issues du secteur privé; l'Etat investit dans le culturel à la manière d'une entreprise, et il se montre de surcroît un investisseur timide. Tous ceux qui ont tenté de monter un spectacle savent bien comment la recherche de subventions devient vite un cercle vicieux : il est très difficile d'obtenir l'assentiment des organismes s'il n'y a pas l'assurance que le projet se fera, c'est-à-dire si ce dernier ne bénéficie pas déjà d'autres soutiens.

Si nous avons mentionné ces deux impératifs (économique et culturel), c'est que nous nous sentons pris au piège de la dialectique à laquelle ils aboutissent. Il est faux de dire que le culturel et l'économique s'opposent: il s'agit là de deux enjeux radicalement différents; ils entretiennent des rapports complexes qui ne sont certainement pas ceux d'une exclusion radicale. Or, l'idéologie ambiante va dans le sens de cette simplification grossière, et nous redoutons qu'il en aille de même de l'attitude gouvernementale à

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notre égard, même si elle se veut bienveillante. Et nous retrouvons ici les têtes pointues. On s'accommodera bien des gens du spectacle, àcondition qu'ils ne se départissent pas de leurs deux rôles aisément identifiables: le «courageux avant-gardiste»et 1'« ami du vulgaire».

Nous ne voudrions pas que le gouvernement, sous couvert de libéralisme, renoue, fût-ce timidement, avec la tradition de l'Etat- censeur, celle du régime de Vichy, àqui nous devons la mise en place du CNe. Encore une fois, nous attendons de l'Etat qu'il se préoccupe un peu plus de notre statut de travailleurs, et un peu moins de nos convictions artistiques, qui sont notre affaire : nous avons surtout besoin d'une protection sociale, et d'une plus grande ouverture des subventions.

On n'a pas fini de parler de l'économique et du culturel pour les années qui viennent, alors que se dessine la construction de l'Europe. Comme tous les travailleurs, nous nous partageons entre l'enthousiasme et l'appréhension. Lesannées qui nous attendent sont riches d'opportunités, mais aussi de dangers pour l'exercice de notre métier. Notre système de protection sociale a ses défauts, mais nous croyons possible d'y remédier; et nous réaffirmons qu'il est nécessaire, et qu'il a contribuéàassurer le dynamisme des spectacles français. La plupart des travailleurs du spectacle en Europe n'ont pas notre chance. Nous ne voudrions pas que la construction de l'Europe se fasse, pour nous, au prix d'un nivellement par le bas;

et nous nous demandons avec inquiétude si tel n'était pas le sens des récentes attaques dont le statut des intermittents du spectacle a fait l'objet.

Archibald

1. Bertolt Brecht.

2. Notammentàl'occasion du centenaire de la tour Eiffel, comme l'a rappelé, en septembre 1991, l'Evénement du jeudi.

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