TROIS
Projet de recherche de Charles Lemaire
LE CIEL, L’HOMME, LA TERRE
À propos de l’artiste
Enfant de la balle, Charles Lemaire découvre très tôt le théâtre au côté de son père et de sa troupe dans le Nord de la France. Formé principalement au Petit Conservatoire, école d’art dramatique pour fils et filles de comédiens de cette troupe familiale, il comprend à l’âge de 17 ans, lors de la disparition de son père, que la scène reste la seule chose qui le tient en vie.
Après hypokhâgne et khâgne, il valide son master en choisissant l’Esthétique de la Scène à la faculté de Lille III afin de participer à une réflexion sur les répétitions de Li de Carolyn Carlson au Centre National Chorégraphique de Roubaix. Il écrit son mémoire sur le Butô, puis continue son chemin d’interprète avec Vincent Thomas de la compagnie Now Where Theater, avec qui il jouera dans nombreuses de ses créations : notamment Ubu Roi de Alfred Jarry au Festival d’Avignon et en tournée au Mali. Avec lui il découvre le mouvement dansé, véritable prise de conscience de son acte théâtral dans l’espace.
Après avoir travaillé et observé Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil lors de rencontres inédites puis Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang pendant leur session de création au Musée du Louvre, il voit se dessiner l’importance de la danse et la volonté de s’écarter d’une dramaturgie classique. Le corps nous donne des choses invisibles qui vont au-delà d’une situation. Le mouvement du corps nous ouvre le chemin d’une danse post dramaturgique, une danse qui parle de ce qu’il reste d’une situation, des mystères enfouis dans le corps de la personne qui la (re)vit.
En 2014, il décide de trouver sa danse, son propre mouvement en créant à la Ménagerie de Verre, dans le cadre des studiolabs, sa première pièce dansée. A M O R est la tentative de réaliser la cartographique d’un rêve où l’architecture du temple d’Angkor Vat se glisse dans l’intime, les ruines du souvenir d’un proche disparu aux frontières de ce palais. Ici la danse
se respirent, s’appuient sur l’air. D’abord des gestes, des rituels, des points d’ancrage avec de simples objets du réel : une table, une chemise, des bâtons de bois. Et puis le design, magnifiant ces premières formes de travail entre talisman et nostalgie, du verre au tissu.
Au cœur du mouvement, le design donne aux objets l’appartenance à un véritable viatique où fonds et formes s’enlacent. Ce projet a été soutenu par le CCN d’Orléans, le CDC la Briqueterie, le CDC Paris-Réseau Micadanses, le Musée national des arts asiatiques (Guimet) et le centre national de la danse. Il sera qualifié de «prometteur» par Nicolas Villodre, journaliste à France Culture.
A M O R fera également l’objet d’une expo-performance à la Biennale du Design de Venise en octobre 2015 à l’Institut Culturel International de Venise. L’occasion, en plus des objets et de la danse, de découvrir un film chorégraphique réalisé au Musée national des arts asiatiques (Guimet) de Paris et soutenu par la Cinémathèque de la Danse, à partir d’authentiques éléments du temple d’Angkor. L’exposition et les performances seront considérées par le journal national italien, la Stampa, comme «l’un des temps forts culturels de 2015».
Depuis février 2016, Charles Lemaire continue son travail autour de l’intime des corps et des espaces avec V I L L A. C’est un projet chorégraphique qui propose de mettre en relation la Villa Noailles, construite par Robert-Mallet Stevens à Hyères et la Villa Arpel, imaginée par Jacques Tati pour son film Mon Oncle, plus particulièrement à travers les figures de Marie-Laure de Noailles et d’Alain Bécourt (Gérard Arpel, le petit garçon du film). Après avoir regardé un film ou une oeuvre architecturale, où vont les images de cette rêverie ? Les images restent dans nos corps mais quel est cet espace nostalgique ? Que deviennent le réel, l’imaginaire, les sentiments de notre vie et de nos rêves dans l’espace de la maison ? Prévu pour la saison 2017-2018, le projet est soutenu par le CCN d’Orléans, la Ménagerie de Verre, la Villa Noailles, la Villa Cavrois, le CDC - le Gymnase, le CDC - la Briqueterie, l’Institut culturel international de Venise.
Charles Lemaire tient également le rôle principal du premier long-métrage de Thibault Arbre, Et Maintenant Nous Sommes en Vie, produit par Title Média (production belge). Sortie américaine et canadienne prévue en septembre 2016, France et Belgique en 2017. Le film a été sélectionné dans de nombreux festivals internationnaux, notamment les prestigieux festival des films du monde de Montréal et festival international du film de Shangai.
Il a été également primé, par deux fois, meilleur premier film au festival international du film de Rhodes Island, ainsi qu’au festival international du film de Houston.
Photographie de Charles Lemaire par Lisa Lesourd, 2014.
À l’origine du projet
Interprète au théâtre et au cinéma, mon rôle était de raconter les contours d’une situation en tant que personnage. Seulement je voulais aller à l’intérieur de moi-même et créer des formes plus proche de la structure de mes sentiments. C’est ce qui m’a mené à la mise en scène et à la chorégraphie.
Dans mon premier projet A M O R, la danse s’est imposée comme un moyen pour pénétrer les choses. Je souffrais de la mort de mon père assassiné au Cambodge, près du Temple d’Angkor.
Je n’arrivais pas à me consoler, je me disais : “tu dois aller au plus près de sa mort, de son corps et du temple”. Avec le mouvement, je souhaitais faire corps avec l’architecture d’Angkor, offrir le corps comme le lieu d’un passage entre le monde des morts et celui des vivants. Je ne suis jamais aller à Siem Reap et j’imaginais pouvoir réparer la structure de son corps en explorant la beauté spatiale du temple.
Avec mon deuxième projet V I L L A, en cours de préparation, j’ai compris l’importance de vouloir créer des moments où la nostalgie d’un temps passé cherche à pénétrer l'esthétique des espaces.
Ici mon désir de construction est de faire corps avec des esthétiques de différentes natures, celle du cinéma de Jacques Tati, sa maison Arpel, de l’architecture de la Villa Noailles réalisée par Robert Mallet-Stevens. Mais aussi l’esthétique d’une vie et d’un habitant d’une construction : celle de Marie-Laure de Noailles, la propriétaire de la Villa, et de Gérard, le petit garçon de la maison Arpel dans le film Mon Oncle. Je crois que derrière cette idée d'esthétique, c'est le sentiment qui
« Se glisser dans les choses. Mes envies de création ont toujours été viscéralement orientées dans ce sens. »
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prédomine. Dans cette création, on se dirige vers un sentiment sur une construction, je recherche l’origine d’un ressenti comme élément constructeur d’une architecture de la nostalgie.
Je constate que sont toujours présents cette force et cette dynamique de recherche dans mon travail : aller au coeur de quelque chose. J’ai la sensation de travailler avec le ressenti, c’est pour moi la source première de la mémoire du monde. Travailler sur cette forme de spontanéité avec le réel demande à réagir coeur à coeur. Comment continuer l’expression de mon travail ? Cela m’amène à me pencher sur la nature même des choses. Mais aller à l'origine des choses c'est peut-être simplement me diriger vers la nature, me glisser au plus près de son souffle, voilà ce que j’aimerais. Suivre, ressentir la structure de la terre créatrice est un désir profond qui répond à mon envie première d’ouverture. J’aime à penser qu’il est possible de s’approcher au plus près de ce qui anime la structure même de la nature, à savoir : la terre comme l'architecte de la vie, le ciel comme l’incarnation d’un flux, avec au milieu l’Homme. Peut-être s'agit-il ici du mouvement éternel de tout homme : se jeter dans le mouvement même de la nature.
Les structures de la nature se pose sur mon épiderme
Le projet
Replacer sur scène le corps dans le flux de la nature
Mon souhait est d’utiliser la nature et de manipuler avec le corps toutes ses formes (fleurs, plantes) afin d’exprimer le caractère changeant et éphémère des hommes. En effet, je crois que seuls la signification et le sens des compositions florales et corporelles sont éternelles. Dans la tradition japonaise, le rituel de la composition florale est très proche de cette idée. L’hôte recevait son invité et lui offrait, en rassemblant trois fleurs, un temps de contemplation. Lors de ce moment l’homme se percevait dans son entièreté : au centre, entre le ciel et la terre.
L’harmonie créée favorisait le bien-être et la méditation sur l’existence.
Le rituel au coeur de la relation homme/nature
À 17 ans, j’étais allé voir Lettere Amorose de Raimund Hoghe, j’ai toujours été fasciné par la simplicité avec laquelle il parlait d’amour, suivant une légère installation de petits rituels. Je me dis que peut-être la contemplation des éléments de la nature permettrait aux spectateurs de se redéfinir comme faisant parti d’un bloc (ciel-homme-terre). Je souhaite montrer le rythme éternel de la plénitude et du vide, qu’on puisse se balancer entre ces deux notions au centre de la création et de l’acte théâtral afin de trouver une forme de détachement dans ce grand tout.
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« Offrir la composition
d’un paysage naturel
instantanément lyrique
et originel. »
Je ne sais pas si je cherche une esthétique qui se rapproche de la danse ou du théâtre, je cherche une forme simple, comme une prière, un rituel. Presque de la manipulation d’objets : montrer la beauté d’une fleur par exemple. Mon souhait serait qu’on puisse y voir non pas une esthétique mais une forme de surgissement du souvenir. Ainsi les mouvements sur scène produiraient un effet d’imprégnation des formes de la nature dans l’esprit du spectateur.
Un cadre rudimentaire plein de lumière
Aujourd’hui, dans ce projet et dans cette recherche, je ne peux considérer le lieu où se déroulent les actions, le théâtre, comme le lieu du factice et de l’artifice : les projecteurs, la scène, le jeu.
La forme à laquelle je tends est un dispositif sacré. J’ai eu la chance à 20 ans de jouer Ubu Roi d’Alfred Jarry au Mali dans une distribution Franco-Malienne. Je me souviens avoir parcouru les villages avec la troupe, nous représentions le spectacle le soir : quelques chaises autour d’un feu, de la boue au sol, des femmes et des enfants. Outre le caractère rudimentaire, nous jouions à ciel ouvert en contact avec les éléments de la nature : l’eau, la terre, le feu. La nature était présente, non pas comme un moyen pour réaliser le spectacle mais comme une interaction directe et définitive avec le corps. Nous ne pouvions pas nous passer d’elle, sans le feu pas de lumière, sans la boue pas de scène. Cela nous plaçait d’une part dans une forme d’écologie de moyens et d’esprit. Nous nous sentions d’autre part faisant parti d’un tout, chacun à sa place. La nature n’était pas perçue comme une donnée intellectuelle mais comme le prolongement d’une voix, d’un mouvement. Je foulais le sol et je me sentais africain. C’était simple et puissant.
La nature incarnée
Dans son dernier mail, mon père, lorsqu’il était au Cambodge peu de temps avant sa mort, m’a décrit une forêt d’hévéas et de frangipaniers, ce fut pour lui, le dernier moment de bien-être et d’extase de sa vie. La toute dernière image que j’ai de lui, c’est cette nature. Je me dis que ce n’est pas un hasard. À jamais le frangipanier sera marqué de l’empreinte de fascination de mon père.
Les sentiments humains peuvent-ils se mêler à la beauté de l’arbre et de ses fleurs ? De la même manière, les visions de personnes revenant d’une expérience de mort imminente évoquent sans cesse la vision paradisiaque d’une forêt sur les ailes d’un papillon. Est-ce que la terre et ses fruits ne favorisent-ils pas l’émanation des sentiments ? Il est vrai que plus on donne de l’attention à une plante, plus elle sera belle. N’y a t il pas quelque chose de fructueux dans le fait de rapprocher sentiment et nature ? Existe t-il un lyrisme commun à la nature et aux sentiments humains.
Peut-on façonner une fleur aux couleurs des sentiments des hommes ?
« Assembler des
éléments naturels
et corporels afin
de pénétrer les
structures de la
nature. »
« Ce projet ne sera peut-être
pas tout à fait de la danse ni
du théâtre mais une forme qui
émerge juste pour répondre
à ce besoin d’exprimer
ce tout, cette recherche
d’aller au coeur du rapport
premier de l’Homme et de
la nature. Dans un moment,
le spectateur se perçoit en
tant qu’être humain dans une
globalité : le ciel, l’Homme et
la terre. »
«Quelque chose à chercher, proche de l’offrande, du recueillement ou de la prière.»
Le programme de recherche
- Le dessin : chercher l’essence d’une forme botanique afin de créer des images mentales imprégnées dans tous les nerfs du corps percevant
- L’exploration d’un travail vidéo suivant la structure créatrice de la nature et la structure du rêve - La réappropriation du processus des compositions florales japonaises et son expérimentation sous forme de performance
- La quête d’un mouvement en lien avec la locomotion des graines dans l’air, la pousse des plantes et des arbres avec la photosynthèse
- La tentative de manipulation scénique d’éléments naturels issus de différents milieux vivants - La découverte de la botanique grâce à des cours dispensés par le Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris
- La pratique agricole dans un champs familiale à Caullery dans le nord de la France : faire pousser des plantes et des fleurs façonnées par la parole, l’expression d’un sentiment, le souvenir d’un
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