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Quand la réussite individuelle nuit à la solidarité intragroupe : Le rôle des dynamiques identitaires associées aux trajectoires de mobilité sociale ascendante

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Thesis

Reference

Quand la réussite individuelle nuit à la solidarité intragroupe : Le rôle des dynamiques identitaires associées aux trajectoires de mobilité

sociale ascendante

CHIPEAUX, Marion

Abstract

Ce travail de thèse vise à comprendre pourquoi certaines personnes ayant hérité d'une appartenance sociale stigmatisée (e.g., femmes, membres de minorités ethniques) se désolidarisent, après une réussite sociale ou professionnelle, des autres personnes qui partagent cette appartenance stigmatisée. Adoptant une perspective identitaire considérant la multiplicité des appartenances composant l'identité sociale d'une personne, nos recherches illustrent comment les ajustements identitaires (i.e., distanciation ou approche) associés aux trajectoires de mobilité sociale ascendante (i.e., l'acquisition d'une appartenance sociale de meilleur statut que l'appartenance sociale héritée) influencent le degré de solidarité dont les personnes témoignent envers les membres de leur groupe hérité. En s'intéressant à trois contextes de recherche distincts, c'est-à-dire, la mobilité socio-économique des travailleurs transfrontaliers français en Suisse, la naturalisation en tant que trajectoire de mobilité, et la mobilité professionnelle des femmes, nos travaux offrent une analyse comparative permettant [...]

CHIPEAUX, Marion. Quand la réussite individuelle nuit à la solidarité intragroupe : Le rôle des dynamiques identitaires associées aux trajectoires de mobilité sociale ascendante. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2020, no. FPSE 766

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:146420 URN : urn:nbn:ch:unige-1464200

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:146420

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Quand la réussite individuelle nuit à la solidarité intragroupe : Le rôle des dynamiques identitaires associées aux

trajectoires de mobilité sociale ascendante

Thèse doctorale

Présentée par Marion Chipeaux

Université de Genève

A la Faculté de Psychologie et

des Sciences de l’Education de l’Université de Genève et à l’Ecole Doctorale Lémanique de Psychologie Sociale

En vue de l’obtention du titre de :

« Docteure en Psychologie sociale »

Septembre 2020

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Remerciements

Si l’on m’avait dit il y a quelques années que je serais amenée un jour à soumettre une thèse en vue de l’obtention du titre de « Docteure en Psychologie », je n’y aurais

probablement pas cru. Là d’où je viens, ces trajectoires ne sont tout simplement pas

envisagées. En partie parce qu’elles sont méconnues, mais surtout parce que les priorités sont ailleurs, et que peu de personnes ont la possibilité de se former si longtemps. Je ne suis donc pas peu fière de présenter ce travail aujourd’hui. Un travail qui, de façon cocasse, s’intéresse justement aux personnes qui, malgré un héritage social peu avantageux, vont réussir à se frayer un chemin dans la hiérarchie et à atteindre des positions socialement reconnues.

Ces six dernières années m’auront donc bien sûr permis de développer une certaine expertise des dynamiques identitaires et attitudinales associées aux trajectoires de mobilité sociale ascendante. Mais de façon plus générale, elles m’auront également permis de questionner plus profondément la personne que je suis et celle que je souhaite devenir. Ce n’est donc pas sans un pincement au cœur que je remercie tout particulièrement mes deux co- superviseurs, le Prof. Fabio Lorenzi-Cioldi, et la (future, je l’espère) Prof. Clara Kulich, pour m’avoir accompagnée tout au long de ce travail. Grâce à leur expertise scientifique tout d’abord, mais également leur humanité, leur ouverture d’esprit et leur disponibilité, j’ai pu avancer sereinement en me sachant entourée. Je les remercie également pour avoir su me remotiver dans les moments un peu plus difficiles, et plus généralement pour la confiance qu’iels m’ont accordée. Et bien que toutes et tous les collègues que j’ai pu rencontrer au sein des laboratoires de Psychologie Sociale de l’Université de Genève et de l’Université de Lausanne ont sans nul doute contribué d’une manière ou d’une autre à m’accompagner dans mon chemin de thésarde, je profite aujourd’hui de remercier tout particulièrement Vincenzo Iacoviello, pour avoir toujours eu les mots justes (consciemment ou non d’ailleurs, trop fort ce

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3 Vinc’), ceux qui poussent à se remettre en question, autant sur le plan professionnel que personnel.

Ensuite, ce sont les personnes chères à mon cœur que je souhaite saluer, des personnes qui m’ont permis d’avancer sans jamais me retrouver déconnectée de ma réalité. Je pense premièrement à mon père, Jacques Chipeaux, un homme qui a su avancer en dépit des nombreuses difficultés rencontrées ; un homme qui a toujours mis le bien-être de ses enfants au premier plan, nous encourageant à ne jamais baisser les bras et à toujours garder la tête haute ; un homme dont je suis particulièrement fière et à qui je dédie aujourd’hui ma réussite.

Deuxièmement, merci à mon frère, Olivier Chipeaux, qui a toujours montré à quel point il croyait en moi, qui m’a soutenue dans les périodes difficiles, et qui m’a chouchoutée de toutes les façons possibles pendant la phase de rédaction du présent travail. Que ce soit en me

nourrissant lorsque j’oubliais de le faire moi-même, en forçant la pause qui me permettait ensuite de revenir au travail la tête plus légère, ou bien en m’initiant aux punchlines de Scylla, merci frangin d’avoir été là, et merci tout simplement d’être toi. Troisièmement, merci à mon amour, Thiebo Dianko ; une rencontre inattendue, mais salvatrice. Un homme aux côtés duquel la vie paraît plus simple, qui a le don de faire ressortir le meilleur de chacun-e, et qui me fera bientôt l’honneur de me dire « oui », je m’en réjouis.

Finalement, un grand merci à la Prof. Eva Green, au Prof. Juan-Manuel Falomir- Pichastor, et au Prof. Serge Guimond, qui m’ont fait le plaisir d’accepter de prendre du temps pour évaluer et discuter avec moi le présent travail de thèse.

A Annemasse, le 02 Septembre 2020, Marion Chipeaux.

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Table des Matières

Remerciements ... 2

Introduction Générale ... 6

Vue d’Ensemble ... 12

Cadre Théorique ... 18

L’Identité Sociale ... 20

La Construction de l’Identité Sociale... 21

Notions de Statut Social ... 22

Stratégies d’Amélioration de l’Identité Sociale ... 24

Les Identités Multiples ... 26

La Mobilité Individuelle Dans les Sociétés Occidentales Contemporaines ... 27

Phénomène de Distanciation du Groupe de bas Statut Social ... 29

L’Anticipation de la Mobilité Individuelle ... 34

Le Présent Travail ... 35

Partie Empirique ... 40

Vue d’ensemble ... 42

Chapitre 1 : La Mobilité Socio-Economique des Travailleurs/ses Transfrontaliers ... 44

Abstract ... 47

Study 1 ... 57

Study 2 ... 67

General Discussion ... 83

Chapitre 2 : La Naturalisation en Tant que Trajectoire de Mobilité... 88

Abstract ... 91

Study 1 ... 98

Study 2 ... 107

Meta-Analyses ... 120

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General Discussion ... 122

Conclusion ... 123

Chapitre 3 : La Mobilité Professionnelle des Femmes ... 126

Abstract ... 129

Study 1 ... 139

Study 2 ... 147

Study 3 ... 154

General Discussion ... 168

Conclusion ... 169

Discussion Générale ... 170

Retour sur les Hypothèses ... 173

Analyse Comparative des Mécanismes du Phénomène de Désolidarisation ... 179

Conclusion ... 185

Bibliographie ... 186

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6

Introduct

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on Générale

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8 L’idée selon laquelle l’égalité sociale s’établira automatiquement lorsque davantage de membres de groupes désavantagés atteindront des positions sociales dominantes est très répandue. Pourtant, un nombre croissant d’observations tend à indiquer que les personnes issues de groupes désavantagés se désolidarisent des membres de leur groupe d’origine après une réussite sociale ou professionnelle. De nombreuses illustrations de ce phénomène nous sont offertes dans l’actualité. Les femmes occupant des positions professionnelles à hautes- responsabilités, telles que Julie Bishop, la première femme à occuper le poste de ministre des affaires étrangères en Australie, ou encore Karin Perraudin, présidente du groupe Crédit Mutuel, et ancienne présidente de la Banque Cantonale Vaudoise, se font souvent remarquer pour leurs prises de position peu favorables à la lutte contre les inégalités entre les hommes et les femmes. En 2013, suite à sa nomination, Julie Bishop déclara : « Je ne vois pas de plafond de verre. Le nombre de femmes dans le ministère est destiné à augmenter […] Je ne me suis jamais considérée comme un symbole féminin. Je crois que les gens sont promus sur la base de leur mérite » (ABC News, 2013). Dans une interview radiophonique accordée en 2015, Karin Perraudin se prononça à son tour publiquement contre les mesures de quotas visant à promouvoir l’ascension professionnelle des femmes (L’1dex, 2015). De par leur statut de personnalités publiques, Julie Bishop et Karin Perraudin représentent malgré elles des

illustrations particulièrement visibles d’une dynamique bien répandue au sein de la population tout-venant. La littérature en psychologie sociale comprend en effet tout un domaine de recherche autour du phénomène de la reine des abeilles (i.e., Queen Bee, en anglais). Ce phénomène, initialement décrit par Staines et collaborateurs (1974), documente la tendance qu’ont certaines femmes ayant réussi professionnellement dans des domaines dans lesquels elles sont sous-représentées, à se distancier des autres femmes, en exprimant notamment des attitudes peu favorables envers les mesures visant à promouvoir l’ascension professionnelle des femmes (pour une revue de littérature voir Derks et al., 2016, ou Faniko, Chipeaux et al.,

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9 2018 pour une publication en français). Ainsi, la présence de ces femmes dans les positions à responsabilité est rarement bénéfique à la carrière des autres femmes, et leur implication dans des comités de sélection n’augmente pas les chances des candidatures féminines (Bagues et al., 2017).

De façon intéressante, la même tendance s’observe en ce qui concerne les personnes issues de minorités ethniques. Prenons par exemple l’homme politique français Jean Messiha.

Arrivé en France à l’âge de huit ans sous le nom de Hossam Messiha, et naturalisé 12 ans plus tard (occasion à laquelle il change de prénom), Jean Messiha fait aujourd’hui partie du

paysage politique français et se distingue par son engagement au sein du parti d’extrême droite « Rassemblement national ». Lors d’une interview sur l’Internet, Jean Messiha déclara que selon lui : « La France n’a plus besoin d’immigration […]. Il est temps de fermer la vanne » (Radio Sputnik, 2018). Non loin de là, Toni Iwobi, originaire du Nigéria, arrive en Italie à l’âge de 22 ans. Naturalisé italien des années plus tard, il est aujourd’hui le premier sénateur italien noir et défend les couleurs du parti politique de droite « Lega Nord », connu pour ses positions restrictives en matière d’immigration. Lors d’un rassemblement, Toni Iwobi déclara: « Il est temps de stopper l’invasion ! Pourquoi les enfants des étrangers devraient-ils devenir italiens comme ça ? Ce n’est pas juste. » (Capital News, 2018). Là encore, Jean Messiha et Toni Iwobi ne sont que des illustrations particulièrement visibles d’une dynamique sociétale avérée. Dans le contexte européen, les données montrent en effet que les personnes d’origine étrangère ayant été naturalisées sont moins favorables à ce que les immigrants perçoivent des aides sociales, en comparaison aux personnes d’origine étrangère non naturalisées (Kolbe & Crepaz, 2016). Dans le contexte suisse, lors d’un référendum en 2014 concernant une initiative proposant de limiter l’immigration massive, les personnes d’origine étrangère ont par ailleurs voté plus favorablement que les autochtones (Stribis &

Polavieja, 2018).

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10 Mais alors, comment expliquer que les personnes issues de groupes désavantagés socialement puissent en venir, après une réussite sociale ou professionnelle, à se désolidariser des membres de leur groupe d’origine, et à légitimer un système pourtant défavorable à ces derniers ?

Afin de trouver réponses à ces questions, ce travail de thèse adopte une perspective identitaire en s’intéressant à la façon dont les personnes se forgent une représentation d’elles- mêmes à partir des groupes sociaux auxquels elles appartiennent : c’est la notion d’identité sociale (Tajfel & Turner, 1979, 1986). Comme nous le verrons plus en détails dans

l’introduction théorique, tous les groupes sociaux ne sont pas également valorisés dans la société. Certains sont en effet relativement désavantagés comparés à d’autres (Sidanius &

Pratto, 1999), et cela n’est pas sans conséquence pour l’identité sociale des membres de ces groupes. Les membres des groupes sociaux les plus avantagés peuvent en effet jouir de leurs privilèges et bénéficier d’un accès facilité aux positions sociales dominantes, ces mêmes positions qui offrent aux personnes un accès privilégié aux ressources et au pouvoir. A l’inverse, les membres des groupes sociaux les plus désavantagés doivent user de diverses stratégies afin d’améliorer leur identité sociale, et donc leur position dans la société. Et alors que certaines personnes décident de s’unir aux autres membres du groupe afin d’améliorer la valorisation du groupe au sein de la société, d’autres personnes, comme Julie Bishop, Karin Perraudin, Jean Messiha, ou Toni Iwobi, s’orientent dans des trajectoires de mobilité individuelle qui visent à promouvoir particulièrement leur ascension personnelle.

Dans ce travail, nous chercherons dans un premier temps à mettre en évidence les ajustements identitaires qui s’opèrent au fur et à mesure que les personnes issues de groupes sociaux désavantagés (e.g., les femmes en comparaison aux hommes, les personnes d’origine étrangère en comparaison aux autochtones) avancent dans leurs trajectoires de mobilité individuelle. Puis, dans un deuxième temps, nous examinerons dans quelle mesure ces

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11 ajustements identitaires pourraient être à l’origine du phénomène de désolidarisation parfois observé chez ces personnes en mobilité.

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Vue d’Ensemble

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14 Afin d’appréhender les trajectoires de mobilité individuelle à travers lesquelles les personnes telles que Julie Bishop, Karin Perraudin, Jean Messiha ou Toni Iwobi améliorent leur position dans la société, ce travail de thèse parcourt dans un premier temps les courants théoriques classiques s’intéressant au processus de mobilité sociale ascendante. Il théorise ensuite ce processus dans le cas particulier des identités multiples, c’est-à-dire non pas comme le passage d’un groupe désavantagé au groupe plus avantagé sur la même dimension hiérarchique (Tajfel & Turner, 1979, 1986) ; Mais plutôt comme l’acquisition, sur une autre dimension, d’une nouvelle appartenance qui se trouve être plus valorisée que celles dont les personnes ont hérité à leur naissance (e.g. sexe, origine ethnique ; Linton, 1936). Nous verrons alors comment le fait d’appartenir simultanément à des groupes sociaux valorisés différemment au sein de la société peut représenter un véritable conflit identitaire pour ces personnes ; Un conflit qui, nous le montrerons, engendre des ajustements identitaires susceptibles d’influencer le phénomène de désolidarisation discuté précédemment.

Dans un deuxième temps, ce travail présente les résultats des recherches que nous avons menées durant ces six dernières années. Cette partie empirique prend la forme de trois articles scientifiques, organisés selon trois chapitres distincts.

Tout d’abord, le premier chapitre traite de la mobilité socio-économique des travailleurs/ses transfrontaliers et s’intéresse au conflit identitaire que peuvent ressentir les personnes d’origine française vivant dans les régions frontalières à la Suisse, lorsqu’elles parviennent à trouver une activité professionnelle sur le territoire helvétique. Jamais étudiée à notre connaissance, cette population représente pourtant un terrain de recherche

particulièrement intéressant pour appréhender les dynamiques associées aux trajectoires de mobilité ascendante. Bien que la France et la Suisse soient deux pays voisins, ils se

distinguent en effet par plusieurs aspects. En France, la situation économique est plus difficile, le taux de chômage est élevé (7.1% ; INSEE, 2020), et de plus en plus de Français

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15 ont du mal à se loger. Dans le but d’améliorer leur niveau de vie, les Français-es qui habitent les régions frontalières à la Suisse sont nombreux/ses à franchir les frontières pour trouver un emploi sur le territoire helvétique, où le taux de chômage est plus bas (3.2% ; OFS, 2020) et le salaire médian (6538 Francs Suisses, soit environ 6025 euros ; OFS, 2020) plus de trois fois supérieur au salaire médian français (1845 euros ; INSEE, 2020). En acquérant le statut de frontalier, les Français-es acquièrent donc un niveau socio-économique plus élevé, un pouvoir d’achat supérieur et un accès facilité au logement, comparativement à ceux/celles qui

continuent de travailler en France. Cependant, dans leur nouvel environnement professionnel, les travailleurs/ses frontaliers français-es sont un groupe stigmatisé (Maurisse, 2016), et particulièrement à Genève où certains partis politiques ont fait de la lutte anti-frontaliers leur cheval de bataille (e.g., Mouvement Citoyen Genevois, MCG).

Dans ce chapitre donc, nous examinerons dans quelle mesure les trajectoires de mobilité socio-économique des travailleurs/ses transfrontaliers français-es sont associées à un phénomène de désolidarisation avec les autres Français-es. Ensuite, nous mettrons en évidence les ajustements identitaires associés à ces trajectoires de mobilité. Enfin, nous

examinerons dans quelle mesure le phénomène de désolidarisation découle de ces dynamiques identitaires.

Le second chapitre s’ancre quant à lui dans le domaine de la migration et s’intéresse à la naturalisation en tant que trajectoire prototypique de mobilité (Kulich et al., 2015; Politi, Chipeaux et al., 2020; Politi, Roblain et al., 2020). A travers la procédure de naturalisation, les personnes d’origine étrangère entreprennent volontairement une trajectoire visant à être légalement, politiquement et socialement reconnues comme membres à part entière du groupe majoritaire national (Diehl & Blohm, 2003). Elles se retrouvent donc relativement avantagées en comparaison aux personnes d’origine étrangère non-naturalisées et améliorent ainsi leur niveau de vie (Enchautegui & Giannarelli, 2015). Dans le cadre de nos recherches, nous nous

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16 sommes plus particulièrement intéressés au conflit identitaire que les personnes d’origine portugaise peuvent ressentir lorsqu’elles entreprennent le processus de naturalisation en Suisse. En effet, bien que la population portugaise constituait encore la deuxième

communauté étrangère en Suisse en 2018, en représentant 12.3% de la population étrangère totale (OFS, 2019), elle reste une population discriminée, surreprésentée dans les activités manuelles et plus généralement dans les échelons inférieurs de la hiérarchie professionnelle (Fibbi et al., 2010).

Dans ce chapitre donc, nous examinerons dans quelle mesure la naturalisation des personnes d’origine portugaise en Suisse est associée à un phénomène de désolidarisation avec les autres personnes d’origine portugaise. Ensuite, nous mettrons en évidence les ajustements

identitaires associés à ces trajectoires de mobilité. Puis, nous examinerons dans quelle mesure ces dynamiques identitaires pourraient être à l’origine du phénomène de désolidarisation.

Le troisième et dernier chapitre se penche sur la mobilité professionnelle des femmes et s’intéresse au conflit identitaire qu’elles peuvent ressentir lorsqu’elles parviennent à gravir les échelons de la hiérarchie professionnelle. Alors qu’en moyenne sur l’ensemble des pays européens, 66% des femmes avaient une activité professionnelle en 2017, les personnes occupant des positions à hautes-responsabilités étaient en moyenne deux fois plus susceptibles d’être des hommes (Commission Européenne, 2019). Ainsi, alors qu’elles améliorent leur position comparativement aux autres femmes, les femmes qui s’engagent dans un processus de mobilité professionnelle se retrouvent souvent confrontées à des environnements hostiles, dominés par les hommes.

Dans ce chapitre, il sera alors question d’investiguer la mesure dans laquelle les trajectoires de mobilité professionnelle des femmes sont associées à un phénomène de désolidarisation avec les autres femmes. Puis, nous examinerons les ajustements identitaires associés à ces

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17 trajectoires de mobilité, pour finalement investiguer dans quelle mesure ces dynamiques pourraient être à l’origine du phénomène de désolidarisation.

Enfin, ce travail propose une discussion générale dans laquelle seront notamment soulevées les similarités et différences observées en fonction des contextes étudiés. Cela permettant de mettre en lumière les contributions de ce travail avant de finalement en pointer les limitations et de discuter des pistes de recherches futures.

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18

Cadre Théorique

En partie adaptée d’un chapitre théorique publié :

Chipeaux, M., Kulich, C., Iacoviello, V., & Lorenzi-Cioldi, F. (2017). Mobilité sociale : Quand la réussite de l’un entrave celle des autres. Conflits constructifs, conflits destructifs: Regards psychosociales, 121-136.

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20 Le concept d’identité est un concept qui fascine depuis longtemps les chercheuses et chercheurs en sciences humaines et sociales. Alors que certain-e-s se focalisent sur les aspects personnels de l’identité, c’est-à-dire ce qui fait d’un individu un être à part entière et distinct des autres (Deschamps & Devos, 1999), d’autres s’intéressent davantage aux aspects sociaux de l’identité, c’est-à-dire, à « la partie du concept de soi d’un individu qui découle de sa connaissance de son appartenance à un ou des groupes sociaux, ainsi que de la valeur et de la signification émotionnelle attachées à cette (ces) appartenance(s) (p. 63 ; Tajfel, 1978).

L’Identité Sociale

Parmi les nombreuses théories sociales qui s’intéressent à ce concept d’identité, la Théorie de l’Identité Sociale en est certainement l’une des plus influentes (TIS, Tajfel &

Turner, 1979, 1986). Développée dans le but d’expliquer les comportements individuels, cette théorie se fonde sur l’observation que les comportements des personnes peuvent être

catégorisés selon un continuum allant d’un pôle interpersonnel à un pôle intergroupe. Les comportements catégorisés à l’extrême du pôle interpersonnel sont des comportements issus/motivés par les personnes elles-mêmes, leurs caractéristiques individuelles, et

éventuellement par l’interaction qu’elles ont avec une seule autre personne. Ainsi, du côté de ce pôle, on s’approche d’une conceptualisation de l’individu en tant qu’être unique, ayant sa personnalité, et l’on considère que les comportements qu’il émet découlent directement de cette individualité. On retrouve donc ici la notion d’identité personnelle, introduite

précédemment. Vers l’autre pôle, on retrouve l’idée de comportements motivés par des dynamiques entièrement liées à l’appartenance sociale des personnes impliquées dans l’interaction. La personne est alors le membre d’un groupe, son incarnation, elle en est la représentante. C’est la notion d’identité sociale.

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21 La Construction de l’Identité Sociale

De façon importante, l’identité sociale se construit à travers deux processus

principaux : un processus de catégorisation et un processus de comparaison. Le processus de catégorisation est un processus socio-cognitif qui permet aux personnes d’appréhender et de donner du sens à leur environnement, en triant et organisant les informations qu’elles

perçoivent (Salès‐ Wuillemin, 2006). A travers ce processus, les personnes construisent, pour chaque catégorie, une représentation mentale prototypique qui reprend les caractéristiques identifiées comme centrales à la définition de la catégorie (Théorie du Prototype : Rosch, 1978 ; Salès‐ Wuillemin, 2006). La catégorisation d’un objet dans une catégorie spécifique est donc conditionnelle à la balance entre d’une part, les similarités de l’objet avec le prototype idéal de la catégorie (i.e., processus d’assimilation) et d’autre part, les différences entre l’objet et le prototype (i.e., processus de contraste, Moscovici, 1961 ; Rosch, 1978).

Lorsqu’on parle de catégorisation sociale, on parle notamment du processus cognitif qui permet aux personnes de catégoriser autrui, au même titre qu’elles-mêmes, en fonction de leurs appartenances sociales (voir également la Théorie de l’Auto-Catégorisation, TAC : Turner, 1999). Cela permet aux personnes de se situer dans leur environnement en identifiant les catégories sociales auxquelles elles appartiennent, et celles auxquelles elles

n’appartiennent pas.

De ce processus de catégorisation sociale découle le processus de comparaison sociale à travers lequel l’individu va attribuer une valence (positive ou négative) à son identité

sociale. Ce processus, initialement théorisé par Festinger (1954), est un processus socio- cognitif à travers lequel les personnes cherchent à identifier ce qui est juste (dans le cas de pensées, de croyances, ou d’opinions). Appliqué à la notion d’identité sociale, ce processus permet aux personnes d’obtenir une indication de leur valeur personnelle, à partir de la valorisation sociale - qui renvoie à la notion de statut social, nous y reviendrons ci-après -

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22 dont jouissent les groupes sociaux auxquels elles appartiennent. Le processus de comparaison sociale consiste donc à comparer, sur une dimension donnée, un endogroupe à un exogroupe (Turner, 1979). Lorsque les comparaisons intergroupes sont favorables à l’endogroupe, les personnes bénéficient d’une identité sociale dite positive et distincte. Cependant, lorsque les comparaisons intergroupes sont défavorables à l’endogroupe, leur identité sociale est dite négative, ou du moins, peu positive (Tajfel & Turner, 1986). C’est notamment le cas pour les femmes (en comparaison aux hommes) sur la dimension hiérarchique du genre, ou encore des personnes d’origine étrangère (en comparaison aux autochtones) sur la dimension

hiérarchique de la citoyenneté.

Notions de Statut Social

Ainsi, même si les sociétés modernes occidentales affichent la volonté d’offrir à toutes et à tous les mêmes ressources et opportunités, elles restent des sociétés hiérarchisées qui favorisent certains groupes, dont le statut social est élevé (e.g., les hommes, les autochtones), au détriment d’autres dont le statut social est plus faible (e.g., les femmes, les personnes d’origine étrangère), en leur attribuant une part disproportionnée de la richesse globale, du pouvoir et du prestige (Kamiejski et al., 2012 ; Sidanius & Pratto, 1999). De façon

importante, le statut social associé à un groupe va influencer les trajectoires de ses membres, et cela notamment à travers deux dynamiques.

Statut Social et Normes. Tout d’abord, le statut social associé aux groupes influence les normes véhiculées au sein des groupes (Lorenzi-Cioldi, 2009). D’un côté, les groupes qui jouissent d’un statut social élevé (i.e., les groupes Collection) mettent l’accent sur des normes d’individualisme, d’indépendance et valorisent l’accomplissement de soi (voir aussi

Iacoviello & Lorenzi-Cioldi, 2015). De l’autre, les groupes de plus faible statut social (i.e., les groupes Agrégat) véhiculent des normes qui favorisent les comportements collectivistes et

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23 l’interdépendance entre leurs membres. Il apparaît ainsi qu’en fonction du statut social de leurs appartenances, les personnes sont socialisées à des normes différentes qui les amènent à développer des tendances comportementales différentes (Kohn & Scholer, 1969 ; Turner, 1999). En cas de déviance, elles s’exposent d’ailleurs à la sanction sociale (voir par exemple Rudman & Glick, 2001), et cela même de la part des membres de leur endogroupe (Marques et al., 1988) pour qui la sanction est un moyen de réaffirmer les normes du groupe (Pinto et al., 2010).

Statut Social et Stéréotypes. Le statut social des groupes va donc, à travers la

valorisation de normes différentes, contribuer à façonner les stéréotypes associés aux groupes sociaux et à travers lesquels les personnes sont perçues et perçoivent les autres (Salès‐

Wuillemin, 2006). Mais alors qu’une des fonctions majeures des stéréotypes est de faciliter notre compréhension du monde (Hamilton & Trolier, 1986), ceux-ci participent souvent à la création de théories implicites de personnalité amenant à une généralisation abusive qui attribue à l’ensemble des membres d’un groupe les mêmes caractéristiques (Leyens, 1983).

Les stéréotypes sont en ce sens définis comme « des ensembles de croyances partagées à propos des caractéristiques personnelles, généralement des traits de personnalité, mais aussi des comportements, propres à un groupe de personnes » (p. 129, Leyens et al., 1994). Les personnes ne sont donc pas jugées à partir de leurs caractéristiques personnelles, mais à travers le spectre de leurs appartenances groupales. Certains stéréotypes sont de nature

purement descriptive, tandis que d’autres, de nature prescriptive/proscriptive, font référence à des caractéristiques centrales à la définition de la hiérarchie intergroupes (Burgess & Borgida, 1999 ; Heilman, 2001 ; Prentice & Carranza, 2002). Ces derniers renvoient respectivement à des comportements que les personnes se doivent d’adopter/ne doivent pas adopter, et sont ceux sur lesquels elles sont le plus susceptibles d’être sanctionnées en cas de non-respect (Rudman & Glick, 2001 ; Heilman & Parks-Stamm, 2007), nous y reviendrons tout à l’heure.

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24 Selon le Modèle du Contenu des Stéréotypes (MCS, Fiske et al., 2002), les stéréotypes s’articulent autour de deux dimensions principales : la dimension de chaleur, qui renvoie à une première évaluation permettant de sonder s’il y a menace ou pas, et la dimension de compétence, qui correspond à une seconde évaluation visant à déterminer dans quelle mesure la cible du jugement est capable d’accomplir, ou peut atteindre ses fins (Fiske et al., 1999).

D’après Cuddy et collaborateurs (2008), le statut social d’un groupe est perçu comme dérivant directement des capacités et des efforts de ses membres. Par conséquent, les membres de groupes de haut statut social sont généralement perçus comme des personnes plus compétentes que les membres de groupes de bas statut. À l’inverse, sur la dimension de chaleur, ce sont les membres de groupes de bas statut social, ceux qui ne constituent pas une menace, qui bénéficient d’une évaluation plus favorable (Kervyn et al., 2009).

En somme, que ce soit à travers les stéréotypes positifs dont iels bénéficient, ou bien en raison des normes auxquelles iels ont été socialisés, les membres de groupes de haut statut social sont encouragés à se concentrer sur le développement de leur identité personnelle (Iacoviello & Lorenzi-Cioldi, 2015 ; Iacoviello & Lorenzi-Cioldi, 2019). En revanche, les membres de groupes de bas statut social ne bénéficient pas d’une identité sociale positive, iels sont donc motivés à l’atteindre et disposent pour cela de plusieurs stratégies.

Stratégies d’Amélioration de l’Identité Sociale

L’une des propositions principales de la TIS fait en effet état d’une motivation universelle à rechercher et/ou maintenir une identité sociale qui soit positive et distincte (Tajfel & Turner, 1986). Il existe plusieurs stratégies qui sont organisées sur un continuum opposant d’un côté, la croyance en la possibilité de changement social et de l’autre, la croyance en la possibilité de mobilité sociale (individuelle) (Tajfel & Turner, 1986). Du côté de la mobilité, on retrouve des croyances relatives à la possibilité, pour un individu seul, de

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25 circuler d’un groupe de bas statut social à un groupe de meilleur statut, afin de redorer son identité sociale. De l’autre côté, c’est l’idée d’une structure sociale dans laquelle un individu seul, ne peut se mouvoir. Les personnes insatisfaites quant à leur identité sociale n’ont alors pas d’autres choix que d’espérer un changement dans l’organisation de la structure sociale en question (Becker et al., 2012 ; Tajfel & Turner, 1986).

De façon importante, la position sur ce continuum varie en fonction de trois caractéristiques de la structure sociale (Tajfel & Turner, 1986). La stabilité de la structure sociale tout d’abord, renvoie à la possibilité perçue d’un renversement de la hiérarchie intergroupe. La légitimité de la structure sociale renvoie quant à elle la perception de justice associée à cette hiérarchie (i.e., la supériorité du groupe de haut statut est-elle légitime, juste ?). Enfin, la perméabilité des frontières intergroupes fait référence à la possibilité perçue de passer du groupe de bas statut au groupe de haut statut, sur la même dimension

hiérarchique.

Parmi ces trois caractéristiques, la perméabilité des frontières intergroupes s’avère particulièrement importante. Selon la TIS, dès lors qu’il y a perméabilité perçue, les personnes qui cherchent à améliorer leur identité sociale s’orientent dans une stratégie individuelle (Tajfel & Turner, 1986; Ellemers, et al., 1990), et cela d’autant plus que la hiérarchie est perçue comme légitime et stable (Bettencourt et al., 2001). En d’autres termes, les personnes quittent leur appartenance qui jouit d’un bas statut social et elles rejoignent, à mesure de travail et d’efforts personnels, le groupe qui jouit du meilleur statut sur la même dimension hiérarchique. C’est la stratégie de mobilité (sociale) individuelle. En d’autres termes, dès lors que les personnes perçoivent une perméabilité minimale, elles cherchent à améliorer leur statut sur le plan individuel (Day & Fiske, 2017). Ce n’est que si elles échouent et qu’elles attribuent leur échec à de la discrimination qu’elles vont alors se rapprocher de leur groupe et s’orienter vers des stratégies collectives visant le changement social (Taylor & Mc

(28)

26 Kirnan, 1984). De façon intéressante, la littérature montre que plus les personnes avancent dans la hiérarchie (e.g. les personnes qui occupent une position de cadres/managers), plus elles ont tendance à percevoir la structure sociale comme étant perméable (e.g., les employé- e-s, Lorenzi-Cioldi, 2009).

En cas de frontières intergroupes perçues comme imperméables, les personnes s’orientent vers des stratégies collectives, qui varient en fonction du degré de stabilité et de légitimité de la structure sociale. La compétition sociale est une stratégie collective à travers laquelle les membres d’un groupe cherchent à contester la position du groupe de haut statut (e.g., les manifestations, les grèves), et intervient lorsque la hiérarchie est perçue comme peu stable, ou illégitime (Ellemers et al., 1990 ; 1993). En revanche, lorsque la hiérarchie est stable ou légitime, les membres du groupe n’ont pas d’autre choix que d’essayer de

revaloriser l’image de leur groupe (Ellemers et al., 1993). Il n’est alors plus vraiment question de contester la hiérarchie (Becker et al., 2012), mais plutôt de « redorer le blason » du groupe afin qu’il soit moins pénible de vivre avec l’image qui en découle. On parle alors de créativité sociale. Pour cela, les personnes peuvent introduire dans la comparaison une dimension hiérarchique sur laquelle la comparaison intergroupe leur est plus favorable, modifier la valorisation de la dimension pertinente pour la hiérarchie intergroupe (e.g., le mouvement

« Black is beautiful » aux USA dans les années 1960), ou changer le groupe de comparaison (i.e., comparaison descendante, Festinger, 1954 ; voir aussi Abrams & Hogg, 2010 ; Jackson et al., 1996).

Les Identités Multiples

Alors que la TIS est incontournable dans l’appréhension des dynamiques identitaires associées aux contextes intergroupes, elle ne renseigne pas sur les manières dont les

personnes intègrent leurs multiples appartenances sociales (Amiot et al., 2007). Or, tout individu est membre d’une multitude de groupes sociaux (Burke & Stets, 2009 ; Tajfel &

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27 Turner, 1986), qui peuvent être hérités, c’est-à-dire, imposés dès la naissance et difficilement changeables (e.g., sexe, origine ethnique ; Linton, 1936) ; ou bien acquis, c’est-à-dire

atteignables par les personnes tout au long de leur vie, à force de travail et d’efforts personnels, et qui ont donc par nature des frontières plus perméables (e.g., statut professionnel, nationalité, niveau d’éducation ; Linton, 1936).

Comme nous l’avons précédemment abordé, lorsque les personnes héritent d’une appartenance sociale dévalorisée, elles ne peuvent s’engager dans une stratégie de mobilité sociale individuelle au sens de la perspective tajfelienne. Néanmoins, comme nous l’avons vu à travers les trajectoires de Julie Bishop, Karin Perraudin, Jean Messiha ou Toni Iwobi, ces personnes ont la possibilité d’acquérir sur une autre dimension hiérarchique, une appartenance socialement plus valorisée.

La Mobilité Individuelle Dans les Sociétés Occidentales Contemporaines

La littérature a en effet montré que dans les sociétés occidentales contemporaines, la valorisation de la responsabilité individuelle au détriment de facteurs plus contextuels et sociétaux (Lorenzi-Cioldi, 2017 ; Ross, 1977 ; Joffe & Staerklé, 2009) a contribué à promouvoir les conduites individuelles (Wright et al., 1990 ; Wright, 2001a). Ce faisant, le phénomène de cristallisation des statuts, selon lequel les différentes appartenances d’un individu tendent à être cohérentes en termes de statut social, se retrouve affaibli (Lenski, 1954). En raison de cette idéologie méritocratique (McCoy & Major, 2007), ainsi que des nombreux mouvements sociaux du siècle dernier (e.g., mouvements féministes, de droits civiques), les personnes ayant hérité d’une appartenance de bas statut social ont ainsi commencé à accéder aux rangs supérieurs de la hiérarchie sociale et professionnelle.

Inconsistance Statutaire et Menace à l’Identité Sociale. En acquérant une appartenance plus valorisée que celle dont elles ont hérité, ces personnes font l’expérience

(30)

28 d’une mobilité individuelle (Ellemers & Van Laar, 2010) et deviennent ainsi simultanément les membres de groupes de statuts inégaux (Lenski, 1954). En raison de l’opposition discutée précédemment entre d’un côté, les normes et les stéréotypes associés aux groupes de bas statut social, et de l’autre, les normes et stéréotypes associés aux groupes de plus haut statut (Cuddy et al., 2008 ; Fiske, et al., 2002 ; Lorenzi-Cioldi, 2009), ces personnes font face à un conflit identitaire. Confrontées à la dévaluation de leur appartenance de bas statut social dans leur nouvel environnement (i.e., menace à l’identité sociale, Branscombe et al., 1999), elles ont tout intérêt à se détacher des normes qui en découlent (Branscombe & Ellemers, 1998 ; Ellemers, 2001). Cependant, ces personnes s’exposent à un processus de sanction sociale en déviant de ce qui est attendu des membres de leur groupe de bas statut social. Initialement décrit par Rudman en 1998, ce processus fait référence au contre-coup (i.e., backlash, en anglais) que subissent les personnes issues de groupes de bas statut social lorsqu’elles se comportent de façon incongruente aux stéréotypes qui découlent de leur appartenance. Dans le domaine du genre, ce processus désigne notamment les préjugés et comportements discriminatoires dirigés à l’encontre des femmes qui se montrent agentiques lors des procédures de recrutement (Heilman et al., 2004 ; Rudman & Glick, 2001).

Voyons à présent quelles sont les stratégies dont ces personnes disposent pour faire face au dilemme auquel elles sont confrontées.

Stratégies de Gestion de la Menace à l’Identité Sociale. Selon le sociologue Lenski (1966), les personnes qui possèdent des appartenances inconsistantes en termes de statut social auraient « une tendance naturelle à se représenter selon leur appartenance de plus haut statut, et à attendre que les autres en fassent de même » (p. 87). Néanmoins, la littérature montre que les stratégies mises en place en réaction au sentiment de menace qui peut découler de cette inconsistance statutaire seraient dépendantes du niveau d’identification au groupe de bas statut social (Branscombe et al., 1999). Lorsque les personnes sont fortement identifiées

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29 au groupe dont l’identité sociale est menacée, elles auraient tendance à se rapprocher des autres membres du groupe afin de gérer la menace de façon collective (Modèle Rejet- Identification, Branscombe et al., 1999 ; Wright, 2001b). A l’inverse, les personnes

relativement peu identifiées à leur groupe de bas statut social, auraient quant à elles tendance à s’en distancier psychologiquement, à défaut de ne pouvoir le quitter physiquement

(Branscombe et al., 1999 ; Ellemers, 2001).

Phénomène de Distanciation du Groupe de bas Statut Social

Ce phénomène de distanciation (i.e., self-group distancing, en anglais) a été mis à jour dans le domaine du genre, où il est plus connu sous le nom de phénomène de la reine des abeilles (i.e., Queen Bee, en anglais) en référence au comportement hostile de la reine de la ruche envers ses rivales. Initialement décrit par Staines et collaborateurs en 1974, ce

phénomène désigne la tendance de certaines femmes (i.e., les moins identifiées) qui ont réussi professionnellement à se distancier des autres femmes (Derks et al., 2016 ; Faniko, Chipeaux et al., 2018). De façon importante, ce phénomène de distanciation peut être observé autant sur des dimensions identitaires, qui font référence à la façon dont les personnes se perçoivent en fonction de leur appartenances sociales, que sur des dimensions plus attitudinales, nous y reviendrons ci-après. De plus, bien qu’il ait été mis en évidence dans le domaine du genre, le phénomène de distanciation n’est pas un phénomène réservé aux femmes. Comme nous le verrons ci-après, les recherches sont de plus en plus nombreuses à documenter des

dynamiques similaires lorsque les membres d’autres groupes hérités de bas statut social entreprennent une trajectoire de mobilité.

Distanciation identitaire. Sur le plan identitaire, les personnes vont chercher à réduire l’importance qu’elles accordent à leur appartenance héritée de bas statut social. En d’autres termes, elles tendent, comme Lenski (1966) le suggérait, à ne plus se considérer

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30 comme un membre à part entière de ce groupe et donc à ne plus se percevoir conformément aux stéréotypes qui en découlent (Ellemers, 2001). Dans le domaine du genre, les études montrent en effet que les femmes peu identifiées à leur groupe de genre qui évoluent dans des positions dans lesquelles leur identité de femme est dévaluée, s’attribuent davantage de caractéristiques typiquement associées au groupe de haut statut (i.e., les hommes) qu’elles n’en attribuent aux autres femmes (Derks, Ellemers et al., 2011 ; Derks, Van Laar et al., 2011

; Faniko et al., 2017), allant jusqu’à se percevoir comme étant tout autant agentiques que leurs collègues masculins (Ellemers et al., 2004). Dans le domaine de la migration, Derks et ses collaborateurs (2015) ont mis en évidence la même tendance. Ainsi, lorsque la mobilité professionnelle est associée à une menace à l’identité sociale de bas statut, le moins les travailleurs Hindous sont identifiés à leur minorité ethnique, le plus iels s’attribuent de caractéristiques typiques du groupe de haut statut (i.e., les Hollandais) et le moins iels en attribuent aux membres de leur minorité ethnique ; assurant de ce fait une différenciation maximale entre eux/elles et les autres membres du groupe (Ellemers et al., 2004). La littérature regorge ainsi de travaux permettant de mettre en évidence comment à travers la distanciation identitaire, les individus qui font l’expérience d’un sentiment de menace à leur identité sociale se détachent de leur appartenance dévaluée. De plus, ces travaux montrent que lorsque la distanciation s’observe en termes d’identification, alors elle tend également à s’observer sur d’autres dimensions identitaires (e.g., l’auto-stéréotypisation, Derks, Ellemers et al., 2011 ; Derks, Van Laar et al., 2011 ; Derks et al., 2015).

Distanciation Attitudinale. Sur la dimension attitudinale, jusqu’à présent, la

littérature a mis en évidence que les personnes telles que Julie Bishop, Karin Perraudin, Jean Messiha ou Toni Iwobi, ont en effet tendance à exprimer des attitudes hostiles envers les membres de leur groupe d’origine (Kulich et al., 2015), ou bien encore dans le domaine de la migration, à se montrer discriminatoires envers les personnes primo-arrivantes (Sarrasin et al.,

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31 2018) et moins favorables à l’octroi de l’aide sociale aux personnes d’origine étrangère

(Kolbe & Crepaz, 2016). Ces attitudes, qui résultent d’une évaluation négative font donc référence à une composante plutôt affective des attitudes (Hovland & Rosenberg, 1960).

D’autres travaux montrent également que les personnes qui font l’expérience d’une trajectoire de mobilité individuelle ont tendance à adhérer davantage à l’idéologie méritocratique (Day &

Fiske, 2017 ; Kulich et al., 2015), et à se montrer moins favorables envers les mesures politiques dites de discrimination positive (Faniko et al., 2012 ; Faniko et al. 2016). Dans le domaine de la migration, les résultats montrent que les personnes naturalisées sont plus sceptiques à l’égard de l’immigration (Just & Anderson, 2015), tendent à soutenir des politiques néfastes à l’encontre des personnes d’origine étrangère (Politi, Chipeaux et al., 2020), allant parfois jusqu’à se montrer aussi zélées que les nationaux sans origine étrangère lorsqu’il s’agit de protéger les intérêts de la société d’accueil (Stribis & Polavieja, 2018). Des attitudes qui, en somme, sont cette fois davantage relatives aux connaissances et croyances des personnes, et qui illustrent donc une composante plus cognitive des attitudes (Hovland &

Rosenberg, 1960).

Dans notre travail, nous contribuons à cette littérature en examinant plus

spécifiquement la composante conative du phénomène de distanciation attitudinale, c’est-à- dire la composante relative aux tendances comportementales que les personnes développent relativement à l’objet, donc ici à leur groupe hérité (Hovland & Rosenberg, 1960). Les recherches récentes de Politi, Giroud et collaborateurs (2020), bien que non spécifiquement vouées à l’étude du processus de mobilité individuelle, tendent en effet à indiquer qu’en raison de leurs interactions avec le groupe majoritaire, les membres de minorités ethniques peuvent parfois se montrer moins enclins à s’engager dans des actions collectives visant à revendiquer plus d’égalité de traitement. En considérant donc qu’à travers la réalisation de la mobilité, les membres de groupes de bas statut social se retrouvent en contact avec les

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32 membres du groupe de plus haut statut, il apparaît raisonnable de penser qu’un pattern

similaire puisse être observé dans notre contexte d’intérêt.

Finalement, que ce soit donc en termes identitaires, ou bien en des termes plus

attitudinaux, la littérature s’accorde sur le fait que les trajectoires de mobilité individuelle des membres de groupes sociaux désavantagés soient associées à un phénomène de distanciation du groupe de bas statut social. Cependant, rares sont les travaux à s’être intéressés aux relations qu’entretiennent entre elles les différentes dimensions (i.e., identitaires et attitudinales) sur lesquelles se manifeste ce phénomène de distanciation.

Relations Entre Distanciation Identitaire et Distanciation Attitudinale. A notre connaissance, les travaux de Kulich et collaborateurs (2015) sont les premiers qui opèrent une comparaison directe entre les personnes issues de groupes désavantagés ayant acquis une appartenance plus valorisée dans un contexte relativement hostile à leur appartenance héritée (i.e., mobiles) et celles ne l’ayant pas fait (i.e., non-mobiles). Ce faisant, ces travaux

permettent de tester plus généralement dans quelle mesure la réalisation de la mobilité (i.e., l’acquisition d’un meilleur statut par les membres de groupes hérités de bas statut social) suffit à produire un sentiment de menace à l’identité sociale. Tout d’abord, leurs résultats ont révélé qu’en comparaison aux personnes non-mobiles, celles ayant réalisé une mobilité exprimaient des attitudes plus négatives envers les membres de leur groupe hérité. Cependant, et de façon particulièrement intéressante, les résultats ont montré que ce phénomène de distanciation attitudinale était expliqué par une dynamique identitaire d’approche du groupe acquis de haut statut social (en termes d’identification) ; et non pas, comme cela était attendu, par une dynamique identitaire de distanciation du groupe hérité de bas statut social (Kulich et al., 2015). De ces travaux, deux choses semblent donc importantes à retenir. Premièrement, bien que le phénomène de distanciation puisse être exacerbé chez les personnes faiblement identifiées à leur groupe hérité de bas statut social (Derks, Ellemers et al., 2011 ; Derks, Van

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33 Laar et al., 2011 ; Derks et al., 2015 ; Derks et al., 2016), il apparait ici comme plus

généralement associé à l’acquisition d’une position sociale plus élevée que celle héritée. De plus, il semble que ce phénomène de distanciation attitudinale soit nourri par une dynamique identitaire d’approche du groupe de meilleur statut (Kulich et al., 2015), et non pas par une dynamique de distanciation identitaire en termes d’identification. En effet, alors que cela semble à première vue paradoxal, ces résultats indiquent que les personnes mobiles peuvent conserver leur identification à leur groupe hérité tout en manifestant de façon simultanée des attitudes hostiles à l’égard de ses membres.

Récemment, un modèle à deux voies a été mis en évidence en ce qui concerne le phénomène de distanciation attitudinale qui tend à s’observer chez les personnes d’origine étrangère naturalisées (Politi, Chipeaux et al., 2020). La première voie, nommée la voie de la transformation, illustre qu’en cas de naturalisation motivée par une volonté d’obtenir les avantages dont bénéficient les membres de la société d’accueil (i.e., motivations

instrumentales), les personnes naturalisées ont tendance à moins se distancier de leur groupe d’origine sur le plan identitaire, ce qui en retour est associé à une moindre distanciation attitudinale (ici mesurée sur sa composante cognitive). La seconde voie, nommée la voie de l’incorporation, illustre qu’en cas de naturalisation motivée par une envie de faire partie intégrante de la société d’accueil (i.e., motivations d’appartenance), les personnes naturalisées ont tendance à se rapprocher sur le plan identitaire de leur nouvelle appartenance, ce qui en retour promeut le phénomène de distanciation attitudinale du groupe hérité. Ces travaux suggèrent ainsi que le phénomène de distanciation attitudinale observé chez les personnes mobiles pourrait résulter autant d’une dynamique identitaire d’approche du groupe de plus haut statut, comme l’ont montré Kulich et ses collaborateurs (2015), que d’une dynamique identitaire de distanciation du groupe hérité de bas statut social, comme le prédirait la littérature classique découlant de la théorie de l’identité sociale (Branscombe et al., 1999 ;

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34 Ellemers, et al., 1990 ; Tajfel & Turner, 1986). Plus récemment encore, Politi, Giroud et al.(2020) ont mis en évidence que l’association entre la dynamique identitaire de distanciation du groupe hérité de bas statut et le phénomène de distanciation attitudinale pouvait être modérée par la mesure dans laquelle les personnes réussissent à se construire une identité duale. C’est-à-dire, une identité qui regroupe leur appartenance héritée de bas statut social et leur nouvelle appartenance acquise de plus haut statut social dans un tout cohérent (voir Fleischmann & Verkuyten, 2016, pour une discussion à propos des différentes

conceptualisations et méthodes de mesure des identités duales).

En somme, bien que ces travaux aient permis d’améliorer la connaissance du

phénomène de distanciation, en suggérant une influence des dynamiques identitaires sur les dynamiques attitudinales chez les individus ayant réalisé une trajectoire de mobilité (e.g., femmes cadres, immigrants naturalisés), ils ne permettent pas comprendre comment ces ajustements identitaires se façonnent au cours du processus de mobilité individuelle.

L’Anticipation de la Mobilité Individuelle

Selon l’approche sociologique de Merton (1968), la mobilité individuelle est en effet souvent précédée, ou tout du moins facilitée par la possession d’attitudes favorables envers le groupe qui fait l’objet du désir de mobilité. Ces attitudes, que Merton décrit dans les termes d'une socialisation anticipée, auraient selon lui deux fonctions, dont la première serait

d’augmenter la probabilité de réussite de la mobilité. Dans le même ordre d’idées, la première phase du Modèle de Développement et d’Intégration de l’Identité Sociale (Amiot et al., 2007), la phase de catégorisation anticipée (i.e., anticipatory categorization, en anglais) décrit le processus d’ancrage à travers lequel les personnes qui anticipent l’acquisition d’une nouvelle appartenance vont donner du sens à cette appartenance et développer un sentiment

d’attachement y relatif (Otten & Wentura, 2001). De façon consistante, Matschke &

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35 Sassenberg (2012) ont montré que lorsque les personnes étaient motivées à rejoindre un groupe, les stratégies d’approche augmentaient l’identification à ce groupe, indépendamment du fait que les personnes aient été finalement rejetées ou acceptées par le groupe.

La deuxième fonction de la socialisation anticipée serait, d’après Merton (1968), de faciliter l’intégration au groupe une fois celui-ci rejoint. D’après le modèle à double-voie mis en évidence dans le domaine de la migration (Politi, Chipeaux et al., 2020 ; voir également Kulich et al., 2015), les personnes mobiles issues de groupes hérités de bas statut social peuvent en effet être motivées à témoigner de leur loyauté envers leur nouveau groupe acquis (voir également Wright & Taylor, 1999), et cela afin de compenser leur non-prototypicité qui découle de leur appartenance héritée (Jetten et al., 2003 ; Noel et al., 1995).

En conclusion, bien que le phénomène de distanciation puisse être exacerbé par la réalisation de la mobilité individuelle, la littérature présentée ici suggère qu’il pourrait plutôt en être un antécédent, contribuant à augmenter les chances de succès dans la trajectoire de mobilité. C’est pourquoi, dans le présent travail, nous investiguerons à la fois les contextes de mobilité accomplie et anticipée.

Le Présent Travail

Dans ce travail de thèse, il est ainsi question d’approfondir la connaissance autour du phénomène de distanciation observée chez les personnes issues de groupes hérités de bas statut social, qui font l’expérience d’une mobilité individuelle en acquérant une nouvelle appartenance de plus haut statut. Bien que la littérature dispose de travaux attestant de ce phénomène, il reste difficile d’en dresser un portrait précis, et cela pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, rares sont les travaux à avoir investigué les relations qu’entretiennent entre- elles les différentes dimensions sur lesquelles ont été observées les dynamiques de

distanciation. Bien que des recherches récentes (Kulich et al., 2015 ; Politi, Chipeaux et al.,

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36 2020 ; Politi, Giroud et al., 2020) tendent à indiquer que les dynamiques identitaires seraient responsables de l’apparition du phénomène de désolidarisation (i.e., dynamique attitudinale), ces mécanismes restent encore relativement méconnus. Ensuite, la plupart des travaux qui s’intéressent au phénomène de distanciation se focalisent sur les personnes qui ont accompli le processus de mobilité. Bien que cela permette d’identifier les modérateurs de ce

phénomène (Derks, Ellemers, et al., 2011 ; Derks, Van Laar et al., 2011 ; Derks et al., 2015 ; voir également Paustian-Underdhal et al., 2017), cela ne permet pas d’investiguer dans quelle mesure ce phénomène de distanciation est intrinsèquement lié au processus de mobilité lui- même. Enfin, les manifestations de ce phénomène de distanciation ont été documentées dans des contextes variés (e.g., domaine du genre, de la migration), dans lesquels les

méthodologies d’enquête et d’analyse diffèrent. Ce faisant, les résultats observés manquent de comparabilité.

Afin de répondre à ces limitations, notre travail propose tout d’abord une analyse plus fine du processus de mobilité. En effet, nous distinguons d’une part, les personnes ayant acquis une appartenance de haut statut social (i.e., les personnes mobiles) de celles ne l’ayant pas fait (i.e., les personnes non-mobiles). Cela nous permettant de mettre en évidence dans quelle mesure les dynamiques investiguées sont effectivement associées à la réalisation de la mobilité (i.e., l’acquisition d’un statut plus élevé). D’autre part, parmi les personnes non- mobiles, nous distinguons celles qui expriment le souhait de s’engager à l’avenir dans une trajectoire de mobilité individuelle (i.e., les personnes anticipatrices) de celles qui

n’expriment pas ce souhait (i.e., les personnes non-anticipatrices). En s’intéressant à la phase d’anticipation, notre travail offre une perspective novatrice et explore le caractère évolutif du phénomène de distanciation au fur et à mesure des étapes du processus de mobilité.

Deuxièmement, dans la continuité des récents travaux (Kulich et al., 2015 ; Politi, Chipeaux et al., 2020 ; Politi, Giroud et al., 2020), nous investiguons systématiquement le rôle des

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37 dynamiques identitaires dans l’expression des dynamiques attitudinales. Troisièmement, en considérant que les ajustements identitaires associées au processus de mobilité peuvent être relatifs tant au groupe hérité de bas statut social qu’au groupe acquis de plus haut statut (Kulich et al., 2015 ; Politi, Chipeaux et al., 2020 ; Politi, Giroud et al., 2020), nous examinons ces deux dimensions. Enfin, en adoptant une méthodologie similaire dans trois différents contextes, nous proposons une analyse comparative permettant de plonger dans la complexité des enjeux identitaires associés aux multiples trajectoires de mobilité ascendante : la mobilité socio-économique des travailleurs/ses transfrontaliers, la naturalisation des

personnes d’origine étrangère et la mobilité professionnelle des femmes.

Objectifs de Recherche et Hypothèses

De façon générale, deux objectifs sont visés. Tout d’abord, il sera question d’identifier les ajustements identitaires (i.e., d’approche du groupe acquis de haut statut et de distanciation du groupe hérité de bas statut) associées aux différentes étapes du processus de mobilité (i.e., mobilité réelle ou anticipée). Ensuite, nous chercherons à mettre en évidence le rôle de ces dynamiques identitaires dans l’apparition du phénomène de désolidarisation.

De ces objectifs découlent trois hypothèses principales. Dans l’Hypothèse 1, nous nous attendons à une réduction linéaire de la solidarité intragroupe au fur et à mesure des étapes de la mobilité individuelle (i.e., effet linéaire tel que non-anticipateurs  anticipateurs  mobiles). Dans l’Hypothèse 2, nous attendons un effet linéaire des étapes de la mobilité individuelle sur les dynamiques identitaires. Plus précisément, que ce soit en termes de distanciation du groupe hérité de bas statut social (i.e., le groupe d’origine, Hypothèse 2a) ou bien d’’approche du groupe acquis de haut statut (i.e., le groupe visé par la mobilité,

Hypothèse 2b), nous postulons une augmentation linéaire au fur et à mesure des étapes de la mobilité. Enfin, dans l’Hypothèse 3, nous nous attendons à ce que les dynamiques identitaires

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38 observées au fur et à mesure des étapes de la mobilité individuelle (en termes d’identification) expliquent le phénomène de désolidarisation attendu dans l’Hypothèse 1.

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39

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40

Partie Empirique

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41

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42 Vue d’ensemble

Dans ce travail, les hypothèses qui viennent d’être présentées ont été testées à travers trois contextes : la mobilité socio-éonomique des travailleurs/ses transfrontaliers, la

naturalisation des personnes d’origine étrangère, et la mobilité professionnelle des femmes.

Dans chacune de ces trajectoires de mobilité, on retrouve d’un côté, une appartenance héritée de bas statut social, et de l’autre, une appartenance acquise de meilleur statut.

Dans le contexte de la mobilité socio-économique des travailleurs transfrontaliers, l’appartenance héritée de bas statut social est l’identité française, et l’appartenance de haut statut qui est visée par la mobilité est le statut de frontalier. Les hypothèses 1, 2a et 3 ont été testées dans ce contexte.

Dans le contexte de la naturalisation des personnes d’origine étrangère, l’appartenance héritée est l’identité portugaise, et l’appartenance de haut statut qui est visée par la mobilité est le statut de citoyen suisse. Toutes les hypothèses ont été testées dans ce contexte.

Enfin, dans le contexte de la mobilité professionnelle des femmes, l’appartenance héritée est l’identité de femme, et l’appartenance de haut statut visé par la mobilité est le statut de femme cadre. Les hypothèses 1, 2a et 3 ont été testées dans ce contexte.

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44 Chapitre 1 :

La Mobilité Socio-Economique des Travailleurs/ses Transfrontaliers

Article publié :

Chipeaux, M., Kulich, C., Iacoviello, V., & Lorenzi-Cioldi, F. (2017). “I want, therefore I am”–Anticipated upward mobility reduces ingroup concern. Frontiers in Psychology, 8, 1451.

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46

“I want, therefore I am” - Anticipated upward mobility reduces ingroup concern

Marion Chipeaux, Clara Kulich, Vincenzo Iacoviello, and Fabio Lorenzi-Cioldi

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47 Abstract

Empirical findings suggest that members of socially disadvantaged groups who join a better-valued group through individual achievement tend to express low concern for their disadvantaged ingroup (e.g., denial of collective discrimination, low intent to initiate

collective action). In the present research, we investigated whether this tendency occurs solely for individuals who have already engaged in social mobility, or also for individuals who psychologically prepare themselves, that is ‘anticipate’, social mobility. Moreover, we

examined the role of group identification in this process. In two studies, we looked at the case of ‘frontier workers’, that is people who cross a national border every day to work in another country where the salaries are higher thereby achieving a better socioeconomic status than in their home-country. Study 1 (N = 176) examined attitudes of French nationals (both the socially mobile and the non-mobile) and of Swiss nationals toward the non-mobile group. As expected, results showed that the mobile French had more negative attitudes than their non- mobile counterparts, but less negative attitudes than the Swiss. In Study 2 (N = 216), we examined ingroup concern at different stages of the social mobility process by comparing the attitudes of French people who worked in Switzerland (mobile individuals), with those who envisioned (anticipators), or not (non-anticipators), to work in Switzerland. The findings revealed that anticipators’ motivation to get personally involved in collective action for their French ingroup was lower than the non-anticipators’, but higher than the mobile individuals’.

Moreover, we found that the decrease in ingroup concern across the different stages of social mobility was accounted for by a lower identification with the inherited ingroup. These

findings corroborate the deleterious impact of social mobility on attitudes toward a low status ingroup, and show that the decrease in ingroup concern already occurs among individuals who anticipate moving up the hierarchy. The discussion focuses on the role of the discounting of inherited identities in both the anticipation and the achievement of a higher-status identity.

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48 Individuals are members of inherited social groups defined, for instance, by their gender, ethnicity, or age. They belong simultaneously to more malleable categories qualified by their educational and professional achievements. The present work is interested in how individuals cope with such multiple group memberships, in particular when these

memberships are associated with different value and prestige (i.e., social status). Nowadays, most societies are still organized around a hierarchical principle of distribution of resources and power, creating and reinforcing economic, cultural, and political inequalities. Some groups are associated with a high social status whereas others with a low one (Tajfel &

Turner, 1986; Sidanius & Pratto, 1999). Nevertheless, while in traditional societies the various group memberships tended to be aligned in status (Lenski, 1954), the stronger social fluidity of contemporary societies leads individuals to belong to multiple groups of conflicting status. For example, individuals from disadvantaged inherited backgrounds (e.g., women, ethnic minorities) may achieve higher status through professional attainments. The present research seeks to better understand the socio-psychological processes at play when individuals are confronted with such status inconsistency due to upward mobility. We first consider how they cope with the contradicting demands arising from such multiple group memberships, by investigating their concern for the inherited low-status group members who did not achieve social mobility (Study 1) and more generally toward the inherited low-status ingroup (Study 2). We then investigate whether the anticipation of social mobility already leads to a

decreased ingroup concern.

Although being hierarchically organized, modern societies are characterized by an ideal of meritocracy that leads people to believe that personal investment and efforts are main causes of success (McCoy & Major, 2007). People are encouraged to focus on their personal trajectory and to engage in individual strategies in order to improve their social standing and to achieve self-worth (Tajfel & Turner, 1986; Wright, 2001). The social mobility strategy, as

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