Une artiste au pays des soignants
Pourquoi l'hôpital accueille-t-il des artistes ?
La question est posée - nous est posée avec parfois une certaine brutalité. L'hôpital dont tout le monde s'accordera à reconnaître sa mission de producteur de soins a-t-il réellement le temps et les moyens de s'intéresser à des initiatives a priori sans rapport avec son activité ? Après tout, chacun décide s'il est amateur d'art dans sa sphère privée et de loisirs ! Haut lieu de performance médicale et de fonctionnalité organisationnelle, en attente d'efficacité malgré d'éternels dysfonctionnements, quels bénéfices l'hôpital peut-il attendre d'une activité à faible valeur d'usage telle que l'art ?
Alors quoi ? L'hôpital ne serait qu'un système d'organisation gérant son fonctionnement en autarcie ? L'hôpital serait une somme coordonnée de technologies, de protocoles et de gestes réparateurs ? L'hôpital serait-il toujours condamné à penser son périmètre à l'aune d'une perpétuelle austérité ? Mais qu'en est-il, dans ce cas, de la légitime interrogation citoyenne de la population quant aux choix à effectuer pour son devenir ? Qu'en est-il de sa responsabilité sociale et territoriale qui légitime sa participation active à la Capitale européenne de la culture en 2013 dont chacun sait que les enjeux sont transversaux à tous les secteurs de la société ? Enfin, qu'en est-il de sa charge émotionnelle, psychique et symbolique – matériau de prédilection de la création artistique – dès lors que ses usagers fréquentent l'hôpital dans les moments les plus cruciaux, de la naissance à la mort, de leur parcours de vie ? Permettre à un artiste de poser son regard sur le quotidien de la cellule productive de l'hôpital, de lui donner forme à partir de son langage, c'est partager avec tous la question de l'être et du devenir de l'hôpital.
En intégrant Ymane Fakhir, artiste photographe et vidéaste, au cœur de leur unité pendant 8 mois, les personnels du service de neurochirurgie se sont engagés dans une prise de risque liée à la construction libre et subjective de l'activité de soins. Il faut leur rendre hommage pour leur curiosité et leur ouverture d'esprit.
Qu'est-ce qu'un hôpital ? Telle est donc bien la question posée par le travail artistique d'Ymane Fakhir. Il est un lieu de prise en charge médicale de personnes atteintes de pathologies, en l'occurrence de maladies neurologiques. Une définition objective qui devrait mettre tout le monde d'accord. Mais dès lors que l'on s'intéresse à la question du point de vue – question centrale pour tout photographe – la réponse ressemble à un kaléidoscope.
L'hôpital est-il le même pour le malade et pour le soignant ? Est-il le même pour le médecin et l'infirmier ou l'aide soignant hospitalier ? Est-il le même pour l'administratif ou le technicien ? L'hôpital est le fruit des vécus et des constructions subjectives de tous ceux qui l'investissent. L'artiste, qui a d'abord écouté et regardé, a finalement trouvé sa place pour poser son objectif et construire les images de la réalité dont on lui a demandé d'être le témoin.
Ces œuvres, présentées en primeur à l'hôpital, puis dans le cadre d'une exposition au Fond Régional d'Art Contemporain – Provence-Alpes- Côte d'Azur, mobiliseront la sensibilité et les interprétations de leurs spectateurs. J'en propose néanmoins la lecture suivante : par leur beauté et leur pureté formelles, ces images installent les gestes les plus quotidiens et les plus prosaïques de la pratique du soignant dans des univers qui nous évoquent la douceur, la beauté et le voyage. Elles révèlent ainsi l'indicible du geste soignant, au-delà de toutes les contingences, la permanence de l'empathie d'une main qui touche le corps de l'autre…pour en prendre soin.
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Carine Delanoë-Vieux
Chef de projet affaires culturelles – Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille