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Les Lausannois ?: tous des immigrés !...

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Les Lausannois ?: tous des immigrés !...

KAENEL, Gilbert

Abstract

Sur le thème de la migration, la réflexion peut remonter aux âges les plus reculés, aux temps d'avant le canton de Vaud, d'avant la Suisse, d'avant même Lousonna, la bourgade gallo-romaine florissante sur les rives de Vidy durant les premiers siècles de notre ère.

KAENEL, Gilbert. Les Lausannois ?: tous des immigrés !. Mémoire vive , 2003, vol. 12, p. 6-9

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:116890

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Sur le thème de la migration, la réflexion peut remonter aux âges les plus reculés, aux temps d'avant le canton de Vaud d'avant la Suisse, d'avant '

même Lousonna, la bourga- de gallo-romaine florissante sur les rives de Vidy durant les premiers siècles de notre ère ...

1 Migration préhistorique à l'image d'un groupe de Bochiman au Kalahari.

D'après: C. Valientc NoaiÛes,

"Les Bochiman et l'eau", Geni:vc, 1979

Quel rapport peut-on trouver entre les réalités du début du XXIe siècle et les interprétations des préhistoriens? Pas de lien direct évidemment, mais une manière d'envisager avec recul les événements contemporains, les prises de position souvent égoïstes, les a priori dépréciatifs de certains de nos concitoyens ou les décisions politiques unilatérales concernant "l'autre", ''l' étran- ger". De tels jugements restent fondés sur la conviction des habi- tants qui occupent actuellement un pays, une région - la Suisse, Lausanne, par exemple - d'être dans leur bon droit. Au sens de la loi, certaines attitudes de rejet pourraient paraître légitimes. N'ou- blions pas, toutefois, que sur son territoire actuel la Suisse n'est devenue que très récemment un Etat, au sens de l'histoire; qu'el- le ne constitue pas une nation, à proprement parler; et qu'on ne peut évidemment pas considérer ses habitants comme faisant par- tie d'une "ethnie"!

La survie de l'espèce

L'archéologie et l'histoire, tout comme l'ethnolo<>ie d'ailleurs, nous montrent le chemin de la

modes~ie

sinon de l'humilité. Sans remonter aux origines de l'homme en Afrique, au premier peuplement de l'Europe, suivi de la conquête du monde par homo sapiens sapiens initiée il y a plus de 100 000 ans, les phénomènes migratoires ont toujours joué (et jouent encore aujourd'hui) un rô_le déterminant, indisso- ciable du comportement humain; les migrations ont marqué la diversité biologique et culturelle des humains, tout en garantissant la survie de l'espèce.

Soulignons ~e fait que l'homme a été nomade la plus grande partie de son existence (plus de 99%); ce n'est qu'à une date "récente", il y a 10 à 15 000 ans dans le

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Proche-Orient méditerranéen, qu'il est progressivement devenu sédentaire, en se transformant en éleveur et en agriculteur. Dans la région lausannoise, aucun témoin des dernières périodes du Paléolithique rythmées par les glaciations du Quaternaire n'a été exhumé à ce jour, antérieur à la fonte des glaces en grande partie achevée vers 13 000 av.

J.-C.

et l'établissement de conditions climatiques proches de l'état actuel, dès le Mésolithique (9500 - 5500 av.

J.-C.

environ).

Aujourd'hui encore d'ailleurs, à la surface du globe, certains groupes humains restent tributaires du mode de vie des chasseurs- cueilleurs, en migrations saisonnières au gré de l'épuisement de leurs ressources alimentaires; mais leurs territoires, confinés dans les zones polaires ou désertiques les plus défavorisées, diminuent comme peau de chagrin ... (fig. 1).

Quant aux migrations auxquelles on assiste en ce début de

xxre

siècle, elles illustrent l'instinct de survie de populations souffrant de la famine en raison de conditions climatiques ou écologiques qui se détériorent, ou sont étroitement liées à des facteurs économiques ou politiques: travail saisonnier des forces vives du groupe hors de son territoire - pour ne pas parler d'esclavage-, conflits ethniques, guerres ... Il est évident que de telles migrations ont de tout temps existé, mais on n'est en mesure de les appréhender dans leur infinie complexité qu'à partir du moment où l'on dispose de l'écriture, d'une histoire transmise par les textes.

Des nomades, puis des colons

Les premières traces d'une présence humaine à Lausanne, sur les rives de Vidy, remontent au VIII° ou VII' millénaire avant notre ère. L'histoire de ces derniers chasseurs-cueilleurs du Mésolithique ne peut être abordée qu'à l'aide des témoins matériels de leurs cul- ture, témoins que les archéologues s'ingénient à mettre au jour avec la plus extrême minutie et à interpréter. Ils restituent ainsi des petits groupes humains, familiaux ou tribaux (quelques dizaines d'individus), installant périodiquement leur camp saisonnier sur les rives du lac Léman, façonnant autour du feu leurs outils et armes de chasse en silex taillé, consommant cerfs et sangliers dont la forêt voisine regorge ... Quelques traces d'une présence de la fin du Mésolithique ont également été reconnues sur la colline de la Cité.

D'où venaient ces premiers habitants? Ils faisaient _partie des groupes nomades qui sillonnaient l'ouest du Plateau suisse et entretenaient des relations privilégiées avec le monde rhodanien

(on a découvert des parures en coquillages méditerra- néens dans plusieurs sites vaudois), également jusqu'en Allemagne du Sud.

Dès le VI' millénaire av.

J.-C.,

un nouveau mode de vie, développé quelques milliers d'années auparavant au Proche-Orient, s'installe progressivement dans la région lémanique. Des vestiges d'occupations sur la colline de la Cité, une vaste nécropole de plus de 120 tombes en cistes de pierre fréquentée durant plus de 1500 ans à Vidy (fig. 2), des palafittes (stations la- custres) de la fin du V' au milieu du III• millénaire, représentent les premières marques de l'exploitation

2 Un des premiers immigré lausannois:

tombe en pleine terre d'un homme d'une trentaine d'années.

Néolithique moyen, entre 4500 et 4000 av.

J.-C. Cimetière de · Lausanne-Vidy.

Photo: Fibbi-Aeppli, Grandson 2

des terres défrichées, gagnées sans relâche sur la forêt, de l'appropriation aussi de ces terroirs par des commu- nautés sédentaires. Plusieurs menhirs signalent avec force cet ancrage, en relation directe avec la sphère reli- gieuse.

Les débuts de l'agriculture sont liés à l'arrivée de pay- sans méditerranéens, de colons remontant la vallée du Rhône et franchissant les Alpes, qui ont dû se mêler (pacifiquement?) aux chasseurs-cueilleurs; ces derniers ont alors adopté la nouvelle économie productrice en remplacement de leurs activités prédatrices ancestrales.

Les apports extérieurs sont identifiés par les archéo- logues grâce à la culture matérielle: ils reconnaissent des ~tyles différents dans la céramique, les décors, les outils, les parures, ou des matières premières provenant d'autres régions.

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Ils donnent des noms à ces cultures: sur un substrat qualifié de Cortaillod en Suisse occidentale (pour simplifier), on restitue l'arri- vée de populations originaires de la partie est de la Suisse au XXXIII° siècle av. J.-C. (culture de Horgen), ensuite du Midi de la France, par l'intermédiaire du Jura, dès le XXIX• siècle (groupe de Lüscherz). Puis vient se greffer un nouvel apport de Suisse orienta- le (culture de la Céramique cordée) à la fin du XXVIII• siècle, qui donne l'Auvernier-Cordé. Le Campaniforme lui succède entre 2450 et 2200 av. J.-C. environ: une période brève, marquée par des objets communs à une vaste ère géographique, comme les gobelets (cam- paniformes justement, soit en forme de cloche), en céramique fine richement décorée, à haute valeur idéologique, et par de grands mouvements de populations à l'échelle de l'Europe. Des apports de l'actuelle République tchèque et d'Allemagne sont individualisés jusque dans nos régions. Même sans textes à l'appui, migration, acculturation, intégration font partie du vocabulaire explicatif des archéologues.

De l'âge du Bronze à l'âge du Fer, Celtes et Helvètes

Comme pour le Néolithique, les habitants de la région lausan- noise durant l'âge du Bronze sont assimilés à des cultures bien définies (par exemple "civilisation du Rhône" au Bronze ancien, 2200 - 1600 av. J.-C., ou "groupe Rhin-Suisse-France orientale"

à la fin du Bronze final, 1150 - 800 av. J.-C.). Appropriation (hé- réditaire?) du sol, démographie en forte augmentation, compéti- tion voire conflits entre communautés, se laissent restituer à tra- vers la fouille et l'étude des sites et des vestiges mis au jour.

A partir de l'âge du Fer, on superpose des caractéristiques ethniques aux époques dites de Hallstatt (VIII· -

S. av. J.-C.) et de La Tène (V• - I•' s. av. J.-C.): on considère que l'on a affaire à des Celtes, en se référant aux auteurs grecs. Ces Celtes sont qualifiés d'Helvètes sur le Plateau suisse au I•' siècle av. J.-C., à nouveau à la suite des textes, de celui du général romain Jules César en particulier.

Les habitants de l'Europe ont donc acquis une "identité" au regard de l'autre. On peut la comparer, toutes proportions gardées, à celle des "Indiens" des Amériques, inventée par Christophe Colomb ... Mais que recouvre réellement cette identi- té et quand s'est elle constituée? Avant les premières mentions d'Hécatée de Milet et surtout d'Hérodote au

v•

siècle av. J.-C.

bien sûr, au cours de l'âge du Bronze certainement, voire à la fin du Néolithique. Cette identité celte repose sur une communauté

3 Masques en pâte de verre multicolore vers 350 av. J.-C. Fabriqués en Tunisie, ils ont été,mis au jour dans la tombe d'une jeune fille, peut-être une Phénicienne, à Saint-Sulpice. Ech.1:1.

Dessins de Verena loeliger tirés de: Kaenel Gilbert, Recherchei JUr la période de La Tène en S1tiSIC occidentale, Cahiers d'archéologie romande 50, Lausanne, 1990, Pl.16, 54, 55.

4 Bracelet en bronze de Lausanne, vers 300 av. J.-C. De style Celte oriental, de Bohême notamment. la femme qui le portait était peut-être originaire de cette région. Ech. 2:3.

Dessins de Verena loeliger tirés de: Kaenel Gilbert, Rcchr:rches mr fa période dt La T~ne en S1tim occidentalc1 Cahiers d'archéologie romande 50, Lausanne, 1990, Pl.16, 32.

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Il ressort de ces quelques lignes que la mobilité des linguistique sans doute (à la manière de nos langues d'origine personnes, et pas seulement des choses ou des idées, indo-européenne), sur une communauté culturelle aussi (art, reli- constitue depuis les premiers balbutiements de l'hu- gion, réalisations matérielles) au-delà de la diversité des peuples manité un des fondements du développement tech- dont les noms ont été transmis par l'histoire. nique, social, économique, culturel ou politique des L'archéologue quant à lui reconnaît toujours "l'étranger" en parti- sociétés, aussi bien de chasseurs-cueilleurs que des culier grâce à ses parures, qu'il assimile à de véritables cartes premiers "Etats" qui émergent en Europe tempérée à d'identité: par exemple, une sépulture de Saint-Sulpice du IV• la fin de l'âge du Fer; que les migrations d'individus siècle av. J.-C. est considérée comme celle d'une jeune Phénicienne ou de groupes humains ont toujours existé et qu'elles puisqu'elle porte "ses" petits masques en pâte de verre originaires_ représentent un apport génétique et culturel essentiel, de la Tunisie actuelle (fig. 3); de la même manière, certains brace.- pour les uns comme pour les autres. Le repli identi- lets découverts dans la région lausannoise, datés des environs de taire est vraiment sans fondement aù regard de l'his- 300 av. J.-C., pourraient trouver leur origine en Bohême actuelle, toire: le Lausannois moyen est en fait le produit d'in- où l'on propose de situer la "patrie" des personnes, les femmes en nombrables métissages entre sapiens sapiens issus de~

l'occurrence, qui les portaient (fig. 4). Il est tentant d'y chercher la horizons les plus différents, métissages qui, autrefois trace archéologique de différentes migrations celtiques, dont les comme aujourd'hui à l'heure de la mondialisation, plus célèbres sont rapportées par les Anciens (pensons au sac de restent source de communication, d'échange, d'enri- Rome au début du IV• siècle av. J.-C., aux oies du Capitole!), mais chissement sans cesse renouvelés. 1

aussi de déplacements de groupes humains plus restreints, voire d'individus: alliances, échanges d'otages, mariages ...

Rappelons au passage, même si l'émigration n'est pas le sujet de ce dossier, la célèbre épopée des Helvètes au printemps 58 av. J.-C., bien décidés à quitter le Plateau suisse, les rivages idylliques du Léman, pour aller s'installer en Saintonge. César les défit près de Bibracte et les renvoya d'où ils venaient. De telles migrations, d'ampleur variable, comparables dans leur processus (préparatifs, accords avec un peuple d'accueil) à celle évoquée dans cet épisode, ont dû se répéter à d'innombrables reprises durant la préhistoire ...

sans qu'il y ait un Jules César. pour les raconter.

Un apport essentiel

Si l'archéologue définit en général l'identité d'un individu ou son appartenance à un "peuple", pour la préhistoi~e récente, sur la base de la culture matérielle, il observe aussi une formidable rapi- dité d'acculturation et d'intégration dans !'Antiquité: pensons aux Burgondes, germaniques, déportés en territoire gallo-romain autour du Léman en 443/444 de notre ère, en provenance du Rhin moyen: une ou deux générations plus tard, ils ne se distin- guent plus, dans la mort du moins si l'on en croit leurs parures ou leurs armes, des habitants "locaux" qui les avaient accueillis;

peut-être leur restait-il des résidus de leur langue germanique?

L'archéologue est totalement démuni face à cette question cultu- relle fondamentale!

Pour en savoir plus

Sur la présence et la chronologie des occupations préhistoriques lausannoises, voir en dernier lieu: Kaenel Gilbert et Moinat Patrick: "Du Néolithique à Charlemagne: quelques millénaires de pratiques funéraires" in Mémoire Vive.

Pages d'histoire lausannoise 11, 2002, p. 6-13.

Crotti Pierre et Kaenel Gilbert:

"Des objets racontent la Préhistoire"

in Lausanne. Un lieu, un bourg, une ville, Lausanne, Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, 2001, p. 36-43.

Kaenel Gilbert: "Et puis des brav's typ's un peu froids I Qu'étaient pas encor' des Vaudois" in Revue historique vaudoise, 2003, à paraître.

Langaney André, Hubert van Blyenburgh Ninian, Sanchez-Mazas Alicia: Tous parents, tous différents, Paris Musée national d'histoire natuielle, Musée de l'Homme, Ed. R. Chabaud, 1992.

Références

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