Pollution atmosphérique et Santé humaine
Rémy Slama, avec Xavier Morelli
Directeur de Recherches à l’Inserm
Centre de Recherche Inserm-CNRS-Univ. Grenoble-Alpes (U1209) Institut Albert Bonniot
Equipe d’Epidémiologie Environnementale appliquée à la Reproduction et la Santé Respiratoire
Grenoble Remy.slama@inserm.fr
Grenoble, 11 janvier 2016
Fardeau de maladie (France, 2010)
DALY: Disability-adjusted life years lost (années de vie en bonne santé perdues) Burden of disease project, Univ. Washington, www.healthdata.org
Réglementation sur les particules en suspension (PM
2.5moyenne annuelle)
10 12 25
PM
2.5, c on ce nt ra tio n an nu elle ( µ g/ m
3) Europe
Valeur
USA
recommandée par l’OMS
Emission et transport de
polluants atmosphériques
Exposition humaine (domicile, travail,
déplacements)
Effets sanitaires
Impact sociétal et économique
Non systématique au niveau individuel (hétérogénéité de
la sensibilité des sujets)
A court, moyen et long terme
Santé respiratoire, cardiovasculaire,
mortalité, absentéisme…
L’épisode de smog de Londres de 1952
Recherche scientifique concernant l’impact sanitaire de la pollution atmosphérique
• Au cours des 60 dernières années, un important corpus scientifique s’est développé
Plus de 11 000 publications scientifiques
• Nombreuses disciplines concernées
Biologie fondamentale, expérimentation animale et humaine (toxicologie), recherche clinique, épidémiologie, études d’impact sanitaire, interventions…
Effets sanitaires certains ou très probables des particules atmosphériques
Ces connaissances ont entraîné la mise en place d’une réglementation dans la majorité des pays industrialisés
USA à partir de 1950, France et UE à partir de 1970-80 Poumons
• Inflammation
• Stress oxydatif
• Exacerbation de la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), de l’asthme
• Diminution de la fonction respiratoire
• Cancer du poumon
Cœur
• Altération de la fonction cardiaque
• Stress oxydatif
• Augmentation de l’ischémie cardiaque
• Augmentation du risque d’infarctus
Circulation sanguine
• Coagulation augmentée
• Athérosclérose
• Dysfonction endothéliale
• Hypertension, vasoconstriction
Cerveau
• Augmentation de l’ischémie cérébrale
30
(Schwartz, Env Health Perspect, 2002) 1,5% de décès en
plus pour 10 µg/m3
Concentration de l’ensemble des PM20 2,5(µg/m3)
Intervalle de
confiance
L’impact de la pollution sur la
mortalité à court terme est linéaire
• Absence d’effet de seuil
• Il n’y a pas de niveau sans risque
Augmentation du risque de décès (%) 0 2 4 6
10 0
Les particules atmosphériques augmentent le risque de décès à court terme
Effets à court terme : ceux qui s’observent dans les jours suivant l’exposition.
Les particules atmosphériques augmentent le risque de décès à long terme
(études de cohortes)• Cohorte : Suivi à long terme de sujets initialement indemnes de maladie
• Recueil d’information au niveau individuel sur les facteurs de confusion potentiels (tabac, âge, …) et les maladies
• Mise en relation de
l’exposition long terme (sur plusieurs années) avec le risque de maladie à long terme
Pour une augmentation de 10 µg/m3des PM2,5:
- Augmentation de 8% du risque de mortalité à long terme
- Augmentation de 12% du risque de mortalité pour cause cardiovasculaire à long terme
Ce ne sont pas que les sujets “fragiles” qui souffrent des effets de la pollution
Cas de maladie attribuables à l’exposition aux PM 2.5 à Grenoble et Lyon (court et long terme)
(Morelli et al.,en révision)
Evénementde santé Nombre total d’événements /an
Nombre de cas attribuables aux PM (part du total)
Intervalle de confiance à 95%(part du total)
Mortalité toute cause (non-accidentelle)
Grenoble 2 250 114 (5,1%) 71–157 (3,2–7,0%)
Lyon 8 150 491 (6,0%) 305–675 (3,7–8,3%)
Petit poids de naissance à terme1
Grenoble 133 31,4 (23,6%) 12.0–49.4 (9,0–37,1%)
Lyon 474 131 (27,6%) 50.8–202 (10,7–42,6%)
Incidence du cancer du poumon
Grenoble 195 13.2 (6,8%) 6.1–19.7 (3,1–10,1%)
1Poids de naissance <2500g chez les naissances à terme (≥37 semaines de gestation) 9.9(7,4%)
42 (8,9%)
Hypothèse alternative sur la relation dose-réponse Zone de Grenoble : 25 communes couvrant 385 000 habitants
Résolution de la 68 ème Assemblée Mondiale de
la Santé (26 mai 2015)
Réalité en milieu urbain : exposition au long terme à des niveaux supérieurs aux
recommandations de l’OMS
Source : Air Rhône-Alpes
« Pics » ou « pas pic » : où est le risque le plus élevé ?
• Un jour avec pic est plus nocif pour la santé de la population qu’un jour sans pic
• Le risque global correspond aux effets à court et à long terme des niveaux de pollution sur l’ensemble de l’année
• Or les pics de pollution (tels que définis actuellement) sont relativement rares (quelques jours par an)
• De plus, la relation entre pollution et maladie est
approximativement linéaire : un jour avec une pollution à 80 µg/m
3est à peu près aussi nocif que 4 jours à 20.
• Il y a beaucoup plus de jours à 20 qu’à 80 ou plus…
• En conséquence, globalement, l’essentiel de l’impact sanitaire de la pollution atmosphérique en milieu urbain est dû aux jours où il n’y a pas de pic de pollution
• Pour des raisons similaires, l’impact sanitaire n’est pas concentré spatialement dans les zones (très limitées) ou les limites
réglementaires annuelles ne sont pas respectées.
« Le Haut Comité de Santé Publique souligne qu’une politique centrée sur la gestion des « pics » a peu d’impact sur l’exposition au long cours de la population et que la priorité doit être donnée à la réduction des expositions chroniques. »
(HCSP, 2012)
www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=265
Une diminution de la pollution atmosphérique a un effet à long terme sur l’espérance de vie
Une diminution de 10 µg/m3
des niveaux moyens de particules fines à l’échelle de la ville sont associés avec un gain d’espérance de vie de 6 à 9
mois de la population. (Pope, New England Journal of Medicine, 2009)Es pé ra nc e de v ie
Concentration atmosphérique des particules
fines (PM2,5)
Intervention
Emission et transport de
polluants atmosphériques
Exposition humaine (domicile, travail,
déplacements)
Effets sanitaires
Impact sociétal et économique
Que faire ?
Interventions visant à limiter les niveaux de pollution atmosphérique
• Sur le trafic routier
–
Offre de transport
–
Zones à trafic limité (Low emission zones)
–
Sur les normes d’émission des véhicules (normes Euros)
• Sur l’habitat (isolation) et le mode de chauffage
• Sur les comportements (modes de transport…)
• Sur la composition des carburants, le mix énergétique
• Sur l’information du public
–
Sites Internet pour optimiser ses trajets du point de vue de l’exposition
à la pollution atmosphérique
Résolution de la 68 ème Assemblée Mondiale de la Santé (26 mai 2015)
Quelle amélioration de la qualité de l’air viser ?
• Privilégier les mesures permettant d’atteindre une diminution des niveaux moyens
• Au niveau spatial, réduire les “points chauds” a du sens mais est très insuffisant
• L’idéal (du point de vue sanitaire et du point de vue de la justice environnementale) serait de ramener toute la population à la valeur recommandée par l’OMS…
• Les mesures qui, globalement, ne permettent pas de gagner
moins de 2 à 3 µg/m
3sur la moyenne annuelle de l’ensemble
de l’agglomération sont sans impact sanitaire conséquent.
Les Low Emission Zones (Europe, 2014)
Source : ADEME, 2014Cas de Paris
Evolution des concentrations de particules fines atmosphériques (2001-2010)
0 20 40 60 80 100 120 140 160
2001 2003 2005 2007 2009
Paris Colonne1
Co nc en tr at io n de pa rt ic ul es fin es (P M
2,5)
(indice: 100 en 2001)Année
Changement du mode de mesure à Paris en 2007
Et à Tokyo ?
Evolution des concentrations de particules fines atmosphériques (2001-2010)
0 20 40 60 80 100 120 140 160
2001 2003 2005 2007 2009
Paris Tokyo
Nie ve au de pa rt ic ul es fin es (P M
2,5)
(indice: 100 en 2001)Année
Changement du mode de mesure à Paris en 2007
-44%
(Hara, J Air Waste Manag, 2013)
Conclusion
• Les polluants atmosphériques ont un impact certain sur la morbidité (santé respiratoire, cardiovasculaire…) et la mortalité
– Effets non systématiques au niveau individuel mais réels à l’échelle des populations – Effets à court et long terme : ce ne sont pas que les sujets « fragiles » qui payent
• Il n’existe probablement pas de seuil en-dessous duquel la pollution n’a plus d’effet sanitaire
– Viser une diminution des niveaux moyensd’exposition, pas seulement des pics
• Chaque année « d’attente » fait payer à notre société un important coût sanitaire, économique et financier.
• Des interventions entraînant une diminution conséquente de l’exposition humaine (moyenne annuelle) aux polluants atmosphériques peuvent permettre une amélioration notable de la santé des populations
– Ces interventions peuvent avoir un effet bénéfique pour la santé assez rapidement
– Il n’y a pas d’action miracle, mais un ensemble de mesures complémentaires à mettre en œuvre dans tous les domaines concernés.