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Son portrait physique. Son portrait moral: ses défauts et ses qualités.

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S¥su 3

C H A P I T R E C I N Q U I E M E

Son portrait physique. Son portrait moral: ses défauts et ses qualités.

Son portrait physique.

Nombre de contemporains s'accordent â dire que l'habitant jouit généralement d'une excellente santé. En serait-il autrement avec un climat aussi salubre et une nourriture aussi substantielle? Dès 1640, le jésuite Vimont note que "l'air du pais est bon

1

* et que les colons qui y vivent "sont en bonne santé" 1

Comme la plupart des contrées froides, la Nouvelle-France est épar-

1 Relation de ce qui s'est passé/en la/ Nouvelle France en l'année M> D O XL>/ enuoié au R. P. Prouincial de la Compagnie de Iesvs par le P. Barthélémy Vimont, de la/ mesme Compagnie, Supérieur de la Residence de Kebec./ (A Paris,/ Chez Sébastien Cramoisy/

imprimeur ordinaire du Roy, rue/ S. Jacques, au Cicogne/ M. DC.

XLI.), 6.

(2)

2 3 monde . Emile Salone le constate ainsi:

"Dès 1663, les faits démontrent d'une façon absolue que le rameau français s'est désormais acclimaté sur laterre américaine.*. Ici, point de fièvres qui couchent les colons, dans d'autres pairbies du monde. Le mal de terre redouté des hivernants qui

s'entassent dans les chambrées et se nourrissent de salaisons apportées d'Europe, tout ça n'a pas prise sur labitant qui a bâti sa maison, qui vit de sa chasse, de sa pêcne, de son blé, de son bé­

tail. . . ■

Voyons d'autres témoignages. "Les Canadiens sont tous grands, bien 4

faits, robustes et vigoureux et accoutumés â vivre de peu" , écrit­on a Denonville le 12 novembre 1685. Vers 1704, La Hontan observe que

"les Canadiens ou Creoles sont bien faits,robustes, grands, forts, 5

vigoureux, entreprenans, braves et infatigables..." . Mais l'ha­

bitant aurait tendance â prendre ses aises, ce qui le rendrait moins endurant â la fatigue. Vaudreuil s'en inquiète en novembre 1712:

" H faut absolument diminuer, dit­il, le nombre de chevaux et remet­

tre les habitants â aller en raquette. Il est de 1'interest de ceux qui sont en tête de la colonie que les habitans soient forts et ro­

6 bustes"

2 II faut faire exception pour les épidémies de variole qui ont ra­

vagé le pays au XVIIIe siècle.

3 Emile Salone, op. cit.. 116.

4 Nouvelle­France ~ Documents historiques, op. cit., 226. Notes du Ministre au sujet de plusieurs lettres de M. de Denonville —

12 novembre 1685.

5. La Hontan, Mémoires de l'amérique Septentrionale, op. cit.. 1: 81.

6 RAPQ, 1947­1948, 176. Correspondance entre M. de Vaudreuil et la

Cour, ­ 9bre 1712.

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la santé physique du Canadien: 7

"Les Français qui habitent le Canada, précise-t-il, sont de corps bien faits, agiles, vigoureux, jouissant d'une parfai- te santé, capables de soutenir toutes sortes de fatigues et belliqueux, ce qui a fait que les armateurs français ont tou- jours donné pendant cette dernière guerre (celle de la suc- cession d'Espagne) le quart de plus de paye aux Français- Canadiens qu'aux Français d'Europe".

Selon le fonctionnaire, le froid et la neige, qui sévissent de la mi- novembre au début d'avril, purifient l'air de toutes les maladies. "Ce- la est vrai, qu'on ne voit point de maladies contagieuses «an Canada, si elles n'y sont pas apportées d'ailleurs comme il est arrivé plusieurs fois depuis 20 â 25 ans par le peu de précaution qu'on a eu lorsque les navi- res qui y transportaient des troupes de France qui avaient contracté des maladies dans leur traversées y sont arrivées et par le commerce défen- du qu'on a fait avec les Anglais de la Nouvelle-Angleterre d'où on a ap- porté plusieurs maladies qu'ils contractent avec les îles de l'Amérique qui ont causé beaucoup de mortalité parce que la bonne constitution des corps des Canadiens les rend beaucoup plus susceptibles au mauvais air

8 que ceux des Européens" .

En 1721, le Jésuite Charlevoix prétend que le Canadien est physique- ment plus beau que le Français: "Nous n'avaons pas dans le royaume de

province où le sang soit communément plias beau, la taille si avantageu- se, le corps mieux proportionné" . •Lerchovn lirr » ii<p Beauchesne ne parle 9

pas différemment

7 I b i d . . 1922-1923, 59. Mémoire de Ruette d'Auteuil au duc d'Orléans, 12 décembre 1715.

8 Loc. c i t .

9 Charlevoix (Pierre F.-X. d e ) , op. c i t . . L e t t r e V I I I .

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pas différemment en 1732 . Hocquart tient pareil langage quelque six ans plus tard: "Les Canadiens sont généralement grands, bien fait, d'un tempérament vigoureux" . Le Beau renchérit: "Comme le climat du Pays 11 est froid, ils (les habitants) parviennent à une belle vieillesse. J'y ai vu quantité de bons Vieillards, forts, droits et point caducs

11

. 12 L'administrateur Boucault, qui séjourne à Québec vers 1754, observe

qu' "il n'est pas de climat plus sain que celui-là (du Canada), il n'y règne aucune maladie particulière au pays; celles que j*y ay vu régner

13

étaient apportées par les vaisseaux français" . Mais le fonctionnai- re aurait parlé trop vite, puisqu'il ajoute, un peu plus t»d: "Il y a

cependant quelques femmes attaquées de gouttes, ce qui provient, à ce 14

qu'on prétend, des eaux de neige" . Par ailleurs le Canadien se mon- tre méfiant a l'égard de mesures médicales pour prévenir la picote.

Montcalm en convient le 8 mai 1756: 15

"La petite vérole a fait de grands ravages en Canada l'hi- ver dernier; cette maladie n'y paroît que de loin en loin, mais elle toujours funefcte et épidémique. L'inoculation qui commence â s'introduire en France, en Suisse et dans le Nord, n'y fera pas sitôt des progrès. Les sauvages n'ai- ment pas les innovations, et les Canadiens joignent quelque- fois a une dévotion estimable, des préventions qui leur fe- ront rejeter une méthode que je crois utile â la conserva- tion de l'espèce humaine, sous prétexte qu'il n'est pas per- mis de donner un mal certain, quelque petit qu'il soit, pour un bien; il peut y avoir quelque degré d'incertitude".

Grâce â sa bonne condition physique, l'habitant excellerait dans

10 Beauchesne, op. cit.. 11: 13.

11 AC, rapport pour l'année 1886, vol. 57: 76.

12 Le Beau, op. cit

Ttf

1: 63.

13 RAPQ, 1920-1921, 15.

14 Loc. cit.

15 Journal du marquis de Montcalm, op. cit.. 59.

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Guillaume de Parscau Du Plessix, note que "les Canadiens sont robustes et babitués, dès leur bas âge, â courir les bois, et â supporter les fatigues de la chasse. Les Anglais, qui ne sont ni aussi alertes, ni aussi braves, se laissent toujours surprendre parce qu'ils n'exercent pas comme nos cana- diens à faire la guerre dans les bois, ce qui nous donnera toujours la supé- riorité, puisqu'on ne peut se battre que dans les bois qui couvrent toute l'é- tendue de ce pays, â moins de se tenir enfermés dans des forts, ainsi que les Anglais le font" 16

A vrai dire, la picote serait l ' u n des rares maux qui menaceraient la san- té de l'habitant. Le 13 novembre 1757, selon Montcalm: "La petite vérole qui n'est regardée en Canada que comme une maladie populaire qui prend tous les vingt ans, fait du ravage cette année, quoi qu'on l'ai eue il y a deux ans" . Malgré tout, les hommes du pays restent en bonne condition physique. Vers la mi-juin 1758, le marquis de Vâudceùil propose "d'envoyer un détachement de

18

vingt bone Canadiens vigoureux pour gàinisônlâ Sadht*iBegis?r . Et le même d'in- former Lévis, le 3 octobre 1759, qu'il "met en mouvement tous les Abénaquis de Saint-François et un nombre de Canadiens vigoureux pour aller â la recherche des Anglois qui étoient dans ces barges (â l'Ile-aux-Noix)" . 19

Le Canadien serait ordinairement joli, d'après les dires d'«nn officier mi- litaire qui séjourne â Québec en septembre 1760. Un jour qu'il en rencontre vin plus laid, il s'empresse d'observer que c'est "contre l'ordinaire des ha- bitants du pays généralement bien faits..." 20

16 RAPQ, 1928-1929, 221. Journal d'une campagne au Canada â bord de la Sau- vage (mars-juillet 1756), par Louis-Guillaume de Parscau Du Plessix, en-

seigne de vaisseau.

17 Journal du marquis de Montcalm, op. cit.. 317.

18. Ibid.. 366. " ~

19. Lettres du marquis de Vaudreuil, op. cit.. 113.

20 Voyage au Canada dans le nord de l'Amérique septentrionale, op.cit.. 193.

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Séjournant â Montréal le 28 janvier 1771, Aûférey s'étonne que tant d'ha- bitants soient atteints de pneumonie malgré le bon air qu'ils respirent. Le voyageur remarque que plusieurs Canadiens meurent "avant d'arriver â l'âge de maturité; mais aussi quand ils y sont parvenus, ils atteignent presque tous à la vieillesse" . Si l'on en croit le docteur Kenneby, médecin doc aimées 21 des armées anglaises stationnées au pays, le mode de chauffage des maisons serait â l'origine de la maladie: 'S'ils (les ruraux) y substituoient un au- tre méthode de se procurer de la chaleur, précise le praticien, ils vivroient tfês-longtemps... leur habitude est de tenir leur poêles toujours extrême- ment échauffés; quand ils viennet du dehors, où il fait si froid, et qu'ils entrent dans une de ces chambres, ils sont presque suffoqués. Combien cela île doit—il pas être dangereux pour la santé, surtout pour les enfans, qui,

22 sans cesse, passent du chaud au froid" •

Dès le début du XLXe siècle, un autre visiteur nous parle des traits phy- siques du terrien: "The visage of the Habitant, dira Lambert, is long and thin, His complexion sunburnt and sworthy and not unfrequently of a darker hue than of the Indian. His eyes, though rather small, are dark and lively;

his nose prominent; his cheeks lank and meagre; his lips small and thin; his chin sharp and projecting" • Après des observations sur le hâle et les 23 traits des adultes, le narrateur poursuit, en parlant des enfants: 24

"The children of the Habitans are generally pretty when young;

but from sitting over the stoves in winter, and labouring in the fields in summer, their complexion becomes swarthy, and their features ordinary and coarse".

21 Thomas Anburey, op. cit., Is 128-129.

22 Loc. cit.

23 John Lambert, op. cit., 1: 158.

24 Loc. cit.

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Vers le même temps, un autre voyageur, Heriot, se plaît â parler ainsi de la santé des Canadiens: 25

"Their constitution, at an early period of life, is healthy

and robust; and they can with patience and resolution encounter great fatigues, when necessity calls for exertion. Both men and women frequently live to an advanced period of life, but they soon look old, and their strenght is not of long duration", Enfin Talbot ajoute, quelque deux décennies plus tard: 26

"Le froid de lfthiver (canadien), quoique rude, ne produit pas d'effets nuisibles à la constitution humaine, excepté ceux que l'on peut éviter au moyen de légères précautions".

25 George Heriot, op. cit., 255.

26. Edward Talbot, op. cit., 1: 330.

(8)

Son portrait moral Ses défauts.

L'habitant témoigne d'un esprit d'indépendance qu'on dénote d'ailleurs chex d'autres paysans du monde. C'est qu'il ignore la contrainte économi*

que. La propriété d'un sol, qui lui donne ce dont il a besoin pour l'en- tretien et la subsistance de sa famille, lui permet d'exprimer librement

sesopinions â qui veut l'entendre. De l'indépendance â l'insubordination il n'y a qu'un pas, que le campagnard ne se formalise pas de franchir.

Souvent il n'obéit pas aux consignes ou aux ordonnances des officiers ci- vils et militaires chargés de l'administration du pays. Gomment en irait-il autrement, guisque le Canada est une contrée difficile a policer, tant â cause de son étendue que des difficultés qu'on éprouve pour se transporter d'un endroit â l'autre. Pour Jichapper facilement â toute recherche, le Ca- nadien n'a qu'à se plonger dans les bois, qui sont toujours en bordure de sa demeure.

Par ailleurs la traite incite l'habitant â la désobéissance. Gouverneurs et intendants ont beau vouloir réglementer la traite, même la proscrire, rien n'empêche le Canadien de se livrer â une activité aussi lucrative. Enfin l'au- tochtone n'est pas pour le colon un exemple de soumission éo d'obéissance;

l'indigène ne fait que ce qu'il veut et refuse toute contrainte. Quoi qu'il

en soit, l'esprit d'indépendance de l'habitant se manifeste sur les plans re-

ligieux, civil et militaire.

(9)

Plan religieux.

Le 1er décembre 1670, Louis Gaboury en appelle d'une sentence que le juge prévéVt de Lyret a prononcée contre lui le 26 octobre précédent. Gaboury a- vait alors été condamné a donner "une vache et le proffict d'une année d'i-

celle selon l'estimation qui en seroit faicte par gens a ce cognoissans, en outre, d'astre attache au posteau public trois heures de temps, et ensuite estre conduict au devant de la porte de la Chapelle de l'Isle d'Orléans, où estant a genouils, les mains joinctes nue teste demander pardon a Dieu, au Roy et a justice pour avoir mange de la viande pendant le Caresme sans en demander permission a l'Eglise, et a vingt livres d'amende aplicable aux oeuvras pyeuses de la dicte paroisse, et aux despens" . 27

L'appelant n'aura pourtant pas gain de cause. Mais le manquement au jeûne n'est pas la principale désobéissance du Canadien. Certains se font tirer l'o- reille pour payer la dîme. Sous ce rapport "tin grand nombre d'habitans veu- lent tromper le curé" , écrit Monseigneur de Pontbriand le 22 août 1742. 28 Par ailleurs, d'aucuns n'observent pas toujours le repos dominical. A tel point que le 13 janvier 1688, Migeon de Branssat défend, sous peine de con- fiscation des grains, "datteler Les Chevaux Et les Boeufs pour travailler

ou porter les grains au Moullin Et ailleurs" les dimanches et Jours fériés. 29 Même des bagarreurs ne respectent pas le voisinage des temples. Le 1er fé- vrier 1706, il est "fait défense â tous les habitans de ce pays (La Nouvelle-

27 Jugements et délibérations du Conseil Souverain, op. cit., 1: 642.

28 Archives canadiennes, C. LIA, 78.

29 Ordonnances en feuilles, 13 janvier 1688. A. J. M.

(10)

France) de contester aux portes des Eglises, de prendre querelle et en venir aux coups pour auaune affaire, à paine de dix livres d'amende" . Le 25 mai 30 1709, l'intendant Raudot se rend â la demande du curé Boucher, de Pointe-Lévis, pour interdire aux habitants de "faire marcher leurs charrois les jours de

31

fête et le dimanche" . Les officiers de milice ont toute autorité pour ar- rêter les contrevenants. La même observation sera reprise plus tard à l'in- tention des habitants de Vaudreuil qui transportent de La pierre en charret- te durant la grand-messe dominicale. Selon le curé Deguire, le bruit des véhicules dérange les fidèles qui assistent â l'office divin . 32

Gare â ceux qui s'avisent de déranger l'équilibre économique de la colo- nie. En 1714, â cause de la fluctuation de mes marchés agricoles, quelques paroisses des environs de Québec s'agitent au poifct que des pelotons d'habi- tants armés organisent une marche sur la cité de Champlain. Craintif, M* de Vaureuil s'adresse au ministre pour lui Recommander l'envoi de forces poli- cières destinées à "tenir l'habitant dans le respect" . 33

Voilà que l'esprit d'indiscipline gagne les clercs. En 1715, monseigneur de Saint-Vallier informe les membres du Conseil de Marine que les prêtres canadiens "ne donnent aucun agrément aux ecclésiastiques qui viennent de france" . Même que certains d'entre eux auraient "trouvé le moyen d'en 34 dégoûter plusieurs" . Plus tard, en octobre 1729, on déplore "l'humeur 35

300rdonnance des intendants et Arrets portant règlements du Conseil Supé-

rieur de Québec. (Québec. 1806). 171. ~~~ — — — — _ — 31 Ordonnances et Jugements des Gouverneurs et intendants, op. cit., 111: 426.

32 Greffe du notaire Joseph Gabrien, des Cèdres. A. J. M.

33 RAPQ, 1930-1931. Correspondance de M. de Vaudreuil a Pontchartrain, 16 septembre 1714.

34 Archives canadiennes, C. 11 A, 35.

35 APQ, Manuscrits relatifs â l'histoire de la Nouvelle-France, série 3.

t. XI, no 2327.

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monseigneur Dosquet voudrait "mettre un curé français entre deux pa- roisses gouvernées par des prêtres canadiens" . 36

Revenons â Vaudreuil. Bar esprit civique, ce même gouverneur décide d'aller rencontrer les habitants de Longueuil pour les convaincre de la nécessité des corvées aux fortifications de Montréal. Nous sommes vers la mi-octobre 1717. Les habitants ne prisent guère les recommandations du gouverneur et lui refusent toute collaboration. Ils décrochent même le fusil de la solive enfuMée et restent sous les armes deux jours et une nuit, sans que les soldats du roi osent les inquiéter . Plus tard, 37

â l'automne de 1720, Bégon songe â opérer des saisies chez certains ha- bitants aisés des environs de Montréal. Mal lui en prit, car devant la ré»

siatance des terriens, l'intendant renonce â son projet "pour ne pint s'exposer au Tumulte" . Dans une missive envoyée a Maurepas le 18 mai 38 1725, Vaudreuil s'inquiète du fort esprit d'indépendance que l'on trouve

"chés tous les habitans de la campagne" . Les administrateurs sivils 39

conviennent que les paroisses ne sont â peu près pas policées. Dès oc- tobre 1730 Beauharnois et Hocquart «danandent au ministre îfeurepas de 3eur envoyer

40 , trois oanpagnjes de gardes suisses pour *¥aiie valoir l'autorité duRoy " . En 1736 Hcwquart

36. Auguste Gosselln, op. cit.. 11: 81.

37 APQ. Correspondance de Vaudreuil (Vaudreuil au Conseil de la Marine, 17 octobre 1717).

38 Ibid.. (Vaudreuil au Conseil de la Marine), 17 octobre 1717.

39 Ibid.. (Vaudreuil a Maurepas, 18 mai 1725).

40 RAC, 1886, 52-59. Beauharnois et Hocquart à Maurepas, 15 octobre 1730.

(12)

prês lui Franquet: "Les Canadiens de l'état commun sont indociles, en- têtes et ne font rien qu'à leur gré et fantaisie" . On se rappelle que 42 la loi de 1745, défendant sous peine d'amende et même de démolition l'é- rection de toute maison sur un lopin n'excédant pas un arpent et demi de largeur. Malgré une législation aussi sévère, des habitants, ceux de l'Ile d'Orléans en particulier, décident de construire comme ils l'en- tendent.

Pour contenir l'habitant, Hbnquière et Bigot réclament plus de trou- pes. Le 29 septembre 1749, Jonquière tente d'obtenir des régiments pour surveiller la campagne. Bougainville dira des Canadiens: "Ils sont un

43 44 peuple indocile" . Et plus loin: "L'habitant est fier et vaniteux" .

Selon Hocquart: "Les Canadiens ont une trop bonne opinion d'eux-mêmes" . 45 Pour monsieur de la Corne, "le public canadien est un terrible animal" . 46 Appréciations vraiment peu flatteuses. En 1754, le chevalier Raymond vi- site le poste du Lac-des-Deux-Montagnes. Faisant un rapport de sa mission â M. de Surlaville, l'officier accuse des paysans de Vaudreuil de se livrer au troc des fourrures au mépris de l'ordonnance royale 47. Louis Séguin, un habitant de l'Anse de Vaudreuil et major de milice par surcroît, main- tient un comptoir de traite a Oka malgré l'opposition personnelle de M.

de Rigaud et de l'ingénieur Franquet. A l'époque en tire les bannes f Ac elles, 48

41 Loc. cit.

42 Franquet, op. cit.. 191.

43 RAPQ, 1924-1925 — Joarnal de M. de Bougainville.

44 RAC, 1886. Correspondance de l'intendant Hocquart.

45 Loc. cit.

46 St-Luc de la Corne, op. cit., 37.

47 RAPQ, 1927-1928, 343. Mémoire sur les Postes du Canada adressé â M. de Surlaville, en 1754, par le chevalier de Raymond.

48 Franquet, op. cit.

r

151.

(13)

voir

Autre fait non moins significatif, comme nous allons. Les nécessités de la guerre obligent Montcalm â servir une ration de viande chevaline aux troupes. Si les régiments réguliers acceptent assez bien cette nou- velle mesure, les milices de la colonie, par contre, ne prisent guère cette dernière décision du général. Mais La situation empire lorsqu'on s'avise de distribuer de la viande chevaline aux habitants. Bougainville le note le 9 novembre 1757s "Les femmes de Montréal, écrit-il, ont été le jetsr (le cheval)

49

aux pieds de M. de Vaudrauil" . Voici que les insubordonnés trouvent désor- mais leurs meilleurs coryphées chez le beau sexe. L'autorité ne doit cepen- dant rien brusquer, puisque, du propre aveu de Bougainville, "toute émeute est contagieuse dans un pays où l'air inspire l'indépendance" . Enfin, Kalm ter- 50 mine sur ce ton: "L'Habitant est fier et hautain" . 51

Revenons aux fidèles. Le 9 juillet 1756, le curé de Varennes se plaint

de l'irrespect de certains paroissiens. Les doléances du prêtre sont riches en détails de toutes sortes. Ecoutons la narration qu'en fait Jean-Victor Morin, commissaire de la marine et subdélégué de l'intendant: 52

"Sur des plaintes, précise le fonctionnaire, qui nous ont été portées mar mr. La Coudray prestre curé de la paroisse de Varenne qu'au mépris et irrévérence da lieu Saint, quantité de jeunes ha- bitants de la ditte Paroisse ont la témérité d'en- trer dans l'Eglise peddant la célébration des saints mystères dans nm équipage tout a fait indécent ayany leurs bonnets ou des mouchoirs sur la teste, leurs culottes relevées jusqu'à la moitié de la cuisse et leurs bas tout â fait ravalés, avec des mantelets tout ouverts".

49 RAPQ, 1923-1924, 315.

50 Loc. cit.

51 Kalm, op. cit., 11.

52 Archives publiques du Canada — Fonds Verreau, carton 13, no 64.

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dix livres â tous ceux qui porteront pareil accoutrement pour se rendre â l'église.

Arrêtons-nous â ce dernier exemple, signe d'un climat d'indiscipline qui surprendra plus d'un profane.

Civil —

En diverses occasions le Canadien ne serait guère plus respectueux de l'autorité civile. Les lois les plus sévères ne l'empêcheront pas d'aller trafi- quer en Nouvelle-Angleterre. Frontenac s'en plaint â Colbert le 14 novembre 1674*

"Il faudrait, dit-il, pour cela que les habitants y fussent moins accoutumés au libertinage, qu'on fut plus autorisé et qu'on eût plus de moyens pour les en châ-

((53)

tier"

Les observations du gouverneur trouvent-elles une oreille attentive en

(54)

France? A tout événement, dès le 22 avril 1675, le roi écrit â Frontenac:

"Je veux que vous continuiés â faire chercher et arrêter partout et punir sévèrement tous les cou- reurs de bois et même qu'avec le Conseil Souverain et par l'avis des principaux habitants vous fas- sies des règlements de police pour empêchiés sous des peines sévères qu'aucun habitant ne fasse aucun trafic particulier avec les sauvages, n'aille au de- vant d'eux dans des jours de marchés publics où tous les sauvages rapportent leurs marchandises".

D'autre part, le 1er avril 16<80, des mesures sont prises "pour enpes- cher les suites fâcheuses qui pourroient naistre des attroupements des fils d'ha-

' (55)

bitants de lisle de montreal"

m

ce climat d'insoumission est ainsi confirmé par (56)

l'auteur d'une lettre adressée â Denonville le 12 novembre 1685:

53 RAPQ, 1926-1927, 67. Lettre du gouverneur de Frontenac au Ministre Colbert (14 novembre 1674)

54 Ibid., 83* Lettre du roi au gouverneur de Frontenac (22 avril 1675) 55 Documents en feuille — 1er avril 1680. A.J.M.

56 Nouvelle-France — Documents Historiques, op. cit., 1: 225.

Notes du Ministre au sujet de plusieurs lettres de M. de Denonville —

12 novembre 1685

(15)

dès le moment qu'ils peuvent porter un fusii£ leurs pères n'osent plus rien leur dire, Comme ils ne sont pas accoutumés au travail et qu'ils sont pau- vres, ils n'ont d'autres ressources pour vivre que de courir le bois où ils font une infinité de dé- sordres".

Et le narrateur de conclure: "La plupart de la jeunesse du Canada est entièr«3ment corrompue" . Voilà un jugement pour le moins radical. 57 Est-il exagéré? Chose certaine, c'est que le Canadien ne se montre pas toujours respectueux des lois. En mars 1688, un habitant de Montréal, Mathurin Martin, est condamné pour rébellion envers l'autorité civile.

Le coupable sera conduit â la grande porte de l'église paroissiale, où il demeurera tête nue et fers aux pieds pendant une heure, avec au col un écriteau portant les mots: "Rebelle â la justice" . 58

Le terrien n'est pas plus condescendant pour le Seigneur, surtout quand il doit donner des jours de corvées. D'aucuns refusent d'y par- ticiper sans être nourris. Un habitant de Portneuf, nommé Mar cot, ne parle pas autrement. Le 22 janvier 1716, l'intendant Bégonjjl sévit con- tre ce censitaire qui refuse "d e se nourrir et de se servir de ses ou- tils dans les deux corvées qu'il est obligé de donner par chacun an au

59

dit sieur Robineau (seigneur de Portneuf)" . De plus, plusieurs per- sonnes, dont les frères Joseph et Louis Chapelain, Thérêr»e Chaillé, veuve de François Nault, et le fils de ce dernier ne veulent pas "payer annuellement quelques journées de corvée auxquels ils sont obligés sui- vant les tiltres et concession â eux accordées..." 60

57 Loc. cit.

58 Documents en feuilles — mars 1688. A. J. M.

59 Edits, ordonnances, déclarations et arrêts relatifs â la tenure sei-

gneuriale, op. cit., 57. —(Ordonnance qui condamne les habitants

de la seigneurie de la Chevrotière â donner leurs corvées franches

sans qu'il soit besoin de leur fournir ni nourriture, ni outils

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^mences et récoltes -

ou Loc. cit.

(16)

Certains Canadiens ne respecteraient pas plus les propriétés sei- gneuriales. Le sieur de Rigauville, seigneur de Bellechasse, se plaint qu'on entaille les érables de son domaine. Nombre d'arbres meurent à la suite de cette opération. Les pertes sont telles que le 20 mars 1716, Bégon "défend aux dits habitans de continuer ainsi sous peine

61

de dix livres d'amende" . Mais â quoi bon tous ces avertissements, puisque "les Canadiens, c'est-à-dire, les Créales du Canada, observe Charlevoia en octobre 1720, respirent en naissant un air de liberté" • 62

Reconnaissons que l'habitant n'a pas tous les torts et qu'il a par- fois raison de maugréer contre le seigneur. Par contrat passé devant le notaire Normandin en date du 3 mars 1716, Pierre Piet dit Trempe, de Berthier, acquiert une concession au fief d'Orvilliers, alors pro- priété de Pierre-François Pelletier Antaya. Voilà que celui-ci s'ar- roge le droit d'ensemencer le lopin, ce que le censitaire lui conteste,

et pour cause. L'intendant Bégon donne gain de cause au plaignant le 18 mai 1722 puisque "au préjudice de ses titres dont le dit Antaya a une parfaite conoissance, le dit Antaya s'est avisé d'ensemencer sur les guerets faits par le dit Trempe sur la ditte terre et veut l'o- bliger d'en déguerpir, ce qui étant contre toutte sorte de fcègle" 63

Aux dires de Vaudreuil, tin soulèvement serait toujours possible.

Le gouverneur ne voudrait pas par exemple qu'on reconstruise, au même

^ Ordonnances des Intendants et arrêts portant règlement au Conseil supérieur, op. cit.. 265.

62 Charlevoix, op. cit.. 111:79.

63 Edits, ordonnances, déclarations et arrêts, op. cit.. 77.

(17)

endroit, le marché qui a été détruit par l'incendie de la Place d'ar- mes. "S'il arrivoit une émeute, écrit-il le 21 janvier 1722, le jour que le marché se tient, cette place, étant alors fort embarrassée par le grand nombre de gens et les aharrettes qui s'y rencontrent, les mu- tins pourroiènt facilement surprendre le corps de garde et s'en sai-

64

sir..." Tout est a craindre, surtout que le Canadien n'accepte ja- mais de bon gré les impôts. Beauharnois et Hocquart ne parlent pas au- trement au Ministre le 8 octobre 1731: "Les habitants qui sont natu- rellement indépendants, n'accepteront pas la levée d'un minot de blé

65

par cheval" . En novembre 1748, ce sont les censitaires du Cap- Saint-Ignace qui refusent de payer levus rentes en argent (cours du pays), ainsi que le voudrait le seigneur Vincelotte . Le 12 avril 6$

1749, c'est â force d'ordonnances que «ite la Galissonnière et Varin contraignent les habitants â se conformer aux règlements aux règle-

déjAâ établis pour la coupe du bois .

Quelquefois le Canadien se montre impulsif. Au cours d'une que- relle, l'un d'eux saisit monsieur de Selles â la Gorge. Ce dernier blesse son antagoniste et l'affaire rebondit devant les tribunaux.

64 Nouvelle-France. Documents historiques, op. cit.. 175.

65 AC, C. G., Vol. 54, fol. 106. (Beauharnois et Hocquart au Minis- tre, 8 octobre 1731).

66 Ordonnances et jugements des gouverneurs et intendants, op. cit..114.

67 Repertoire des arrêts, édits. mandements, op. cit.. 114.

(18)

Le 7 mars 1758, Bourlamaque informe Lévis que "deux bons bourgeois témoins donnèrent le tort â l'instant â l'insolent canadien" . 68 A vrai dire, l'habitant ne s'est jamais trop laissé impressionner par les officiers civils et militaires, si huppés soient-ils. En 1759, on fait des levées de boeufs pour nourrir les troupes. L'opération n'est pas facile. Le 13 août de la même année, Vaudreuil écrit â de Lanaudière que les habitants de Maskinongé cachent leurs animaux pour ne pas les remettre aux agents du roi . Le 2 octobre suivant, Bi- 69 got confie à Lévis: 70

"J'ai su dans ma route d'où provenoit le peu de volonté de la part de certains habitans pour livrer et battre le blé. Elle a été occasionnée par la nouvelle que le P. Béré, recollet, qui porta les lettres de la prise de l'officier anglois â la Présentation avoit répandue. Il dit aux habitans que les ennemis perçoient par les Rapides, et ces habi- tans, se croyants déjà aux Anglois, regrettoient leur blé, pendant %ue les François ne le paieroient pas".

68 Lettres de M. de Bourlamaque. op. cit.. 207.

69 BRH, Vol. XXXII, no 11, novembre 1926, p. 693. (Lettre du marquis de Vaudreuil! Mr de Launaudiêre — 13 aoust 1759).

70 Collection Lévis, LX: 6l — Bigot à Lévis, 2 octobre 1759.

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(19)

Militaire.

L'esprit d'indépendance des Canadiens ne s'accomode pas mieux à la discipline militaire. Dès 1736, Hocquart, qui les "trouve na- turellement indociles, voudrait qu'on choisisse "comme officiers dans les Costes les habitans les plus sages, et les plus capables de commander" Le 20 novembre 1757, Lévis informe Malartic que "les 71 habitants sollicitoient le régiment de Béarn â une sédition et â refuser de prendre les vivres..." Le gouverneur priverait même 72 les troupes pour ne pas mécontenter le peuple. C'est du moins ce qu'écrit Montcalm, trois jours pous tard: "M. le marquis de Vaudreuil, craignant que les subsistances manquassent a Montréal, et peut-être encore plus les murmures et les jérémiades de ses chers Canadiens, a envoyé chercher deux cents quarts de farine dans les magasins de Carillon, ce qui nous prive de vingt-huit mille rations pour l'entrée

73

de campagne" Peine perdue, car les habitants se montrent de plus en plus indociles. U s refusent carrément de manger de la viande chevaline. Le 8 décembre de la même année, le gouverneur demande a Dalquier et à Malartic de se rendre à la distribution des denrées, avec des troupes,"parce que le peuple, sous main, formentoit les sol- dats a ne pas prendre de cheval" . Le 9 décembre, Bigot propose 74

71 Guy Frégault, op. cit.. 269.

72 Journal ; des Campagnes du Chevalier de Lévis. op. cit.. 20 no- 73 Journal du marquis de Montcalm, op. cit.. 319.

74 Journal des Campagnes du Chevalier de Lévis. op. cit.. 119.

(20)

l'adoption d'un règlement prohibant l'abattage des veaux, mais, en- chaîne-t-il, "reste S. savoir s'il sera bien exécuté; car on a accou- tumé le peuple â avoir un grand esprit d'indépendance, et â ne connoî- tre ni règle ni règlement" • Et l'intendant d'ajouter, cinq jours 75 plus tard: 76

"Par les nouvelles de Montréal, il y a toujours de la fermentation dans les esprits au sujet de la réduction de la ration et de la distribution de dheval. Le soldat y est moins docile qu'à Québec, parce qu'au lieu dêtre caserne, il est logé chez l'habitant qui l'excite".

Chose plus grave, â l'insubordination s'ajouterait la malversa- tion. Montcalm en parle â Lévis le 23 du même mois:

"Je rouvre ma lettre, mon cher chavalier, écrit-il, pour vous dire que ce pays-ci est le centre des friponneries de tout genre, que le boucher s'avi- soit de troquer de bons chevaux destinés à la boucherie contre des chevaux maigres, étiques et ayant des plaies. Il a fallu en faire jeter deux â chacune des deux demises distributions. Pour remédier *a cet abus, les officiers-majors visi- tent la viande sur pied, et voient que les che- vaux tués soient de bonne qualité".

L'atmosphère de Noël n'inciterait pas les Canadiens au calme et â la paix. Le 25, le général écrit: "Le peuple de Montréal fer- mente toujoxiB» et excite les soldats de Béarn a une sédition. La

seule vigilance, activité et prévoyance de M. le chevalier de Lévis

75 Journal du marquis de Montcalm. op. cit.. 323.

76 Ibid.. 325.

77 Lettres du marquis de Montcalm. op. cit.. 102.

(21)

y a remédier jusqu'à présent. M. le marquis de Vaudreuil soutient trop le peuple..." 78

L'habitant cache davantage son grain pour le soustraire aux levées du pourvoyeur de l'armée. Vers la mi-mars 1759, c'est â peine si on recueille le tiers de ce qu'on escomptait trouver dans la région de Montréal . Lorsqu'il vend des denrées, le campagnard exige d'être 79 payé en argent de France. Un édit le contraint d'accepter celui du pays, mais Montcalm se hâte aussitôt de commenter: "Les habitants qui craignent une révolution commencent â ne faire aucun cas des or- donnances..." 80

La situation ne s'améliore pas. Le 16 juin 1759, le militaire écrit: "Les cajeux doivent partir, le 8 au soir, avec deux cents Ca- nadiens en canots, pour les soutenir contre les berges, mais les Ca-

81 nadiens ont refusé net..."

Pour compliquer le travail des administrateurs, voilà que le cam- pagnard veut être payé rubis sur l'ongle. Le 5 juillet suivant, é- crit un narrateur, on a dû faire "la recherche des grains dans le gou-

82

vernement de Montréal l'argent â la main..." Devant le raéconten- tement général, Bigot renonce a saisir par la force les céréales.

cit 78 Journal du marquis de Montcalm. op.. 327.

79 Jbid^, 494.

80 Ibid.. 503.

81 Ibid.. 547.

82 Ibid.. 567.

83 Ibid.. 569.

(22)

D'aucuns craignent le pire. A tel point que Montcalm écrira, au len- demain de la bataille des plaines d'Abraham: "Le soldat françois ne connoit plus de discipline, et au lieu d'avoir formé le Canadien, il en a pris tous les défauts" . Et Lévis de renchérir: "La désertion 84 des habitants continuoit toujours étant bien difficile de l'arrêter dans la ciraonstance où l'on étoit" , et: "la consternation étoit 85 générale dans la colonie; les habitants qui étoient retournés chez eux après l'affaire de Québec et qu'on avoit renvoyés, s'excusoient de marcher, disant qu'ils étoient malades" 8$

Vaudreuil, qui a toujours défendu les Canadiens, s'afflige â son 86 tour de constater que la plupart "des miliciens se rebutent"

Pour les inciter â plus d'obéissance, Lévis recommande aux capitaines de les "mener... avec douceur" . Puis, le 15 mai 1760, le chevalier 87 ajoute: "Si nous sommes obligés de lever le siège de Québec, nous de- vons nous attendre â être entièrement abandonné des habitants et â beaucoup de mauvaise volonté pour ne rien fournir que par la force

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supérieure" . Il y a pourtant des exceptions. Dix jours plus tard, le militaire écrit à Montcalm pour lui faire part de l'excel- lente conduite des miliciens de Chambly, mais, se hâte-t-il d'ajouter,

"ceux des autres paroisses se sont très mal conduits" 89

84 Ibid.. 615.

85 Journal des Campagnes du chevalier de Lévis. op.. cit.. 127.

86 Lettres du marquis de Vaudreuil. op. cit.. 127.

87 Journal des Campagnes du chevalier de Lévis. op. cit.. 248.

88 Lettres du chevalier de Lévis. op, cit.. 309.""

89 Ibid.. 319.

(23)

D'autre part, le munitionnaire ne parviendrait pas à recueillir les denrées nécessaires à l'alimentation des troupes. Plusieurs

90

habitants refusent carrément de l'aider. Le chevalier de la Cor- ne n'est pas plus heureux. Bivouquant aux Cèdres le 1er août 1760, il est abandonné par son détachement, "qui étoit tout d'habitants de l'Ile Pérault (sic) ou de Montréal" . Vaudreuil voudrait que 91 l'on témoigne plus de sévérité â l'égard des coupables. Mais le pourrait-on? Voici ce qu'en pense Lévis le 16 du même mois: 92

"Je sens bien que toute la nécessité d'un exemple sévère au sujet des déserteurs et ne puis désap- prouver l'ordre que vous avez donné à M. de Bour- lamaque de publier â cet égard ion ban sous peine de la vie; mais je crains vu les circonstances, que cela n'ai de fâcheuses suites, surtout si M.

de Bourlamaque ne se trouve dans le cas de faire casser la tête â quelque Canadien".

De son côté Bourlamaque n'a pas plus d'autorité. Ecoutons-le dire a Lévis le 22 août 1760: 93

"... les habitants de Sorel qui avoient très bien servi jusqu'à cet heure, sont tous retournés chex eux. Ceux de Saint-Ours, que j'avois gardés chez eux pour le service de l'armée, refusent tout ser- vice, et je suis obligé d'envoyer an détachement de soldats dans cette paroisse pour en tirer quel- ques secours. J'ai fait, a la main armée, une le- vée dans Maska et les autres paroisses; ils déser- tent tous."

Mêmes doléances, deux jours plus tard. Pierre Lapointe, un offi-

90 Ibid.. 372.

91 Ibid.. 298.

92 Lettres du marquis de Vaudreuil, op. cit.. 206.

93 Lettres de M. de Bourlamaque au chevalier de Lévis. op. cit.. 89.

(24)

ficier des milices de Terrebonne, menace de quitter le service si on n'a pas plus d'égards pour ses hommes. Adeems Bourlamaque: "Le lieutenant de la compagnie de Deschamps, â Rppentigny et le passager Belle-Humeur, ont refusé d'obéir a un ordre que je leur avois donné." 95 La situation serait loin de s'améliorer, car le même narrateur écritf le 1er septembre 1760: "J'ai commandé quarante miliciens, ce matin, pour battre des grains; ils ont refusé nettement de le faire, et ont

96

menacé de déserter tous" . Les chefs ne se montrent pas plus obé- issants. Le 7 octobre 1760, les capitaines de milice de Batiscan, Sainte-Anne-de-la-Pérade, Sainte-Marie et Saint-Bierre-les-Becquets ne daignent même pas répondre â une convocation des autorités an-

glaises. Le cololael Burton, gouverneur de la région des Trois-Ri- viêres, les réprimande quelques jours plus tard: 97

"J'ay ordre de vous témoinger la surprise de Mr.

le Gouverneur, de ce que vous avés négligés de vous rendre aux ordres qui vous ont été signifiés de venir hier matin au Gouvernement; il s'attend

a plus de ponctualité de votre part, et il seroit fâché que votre négligence â L'avenir, Le forçat â" en ve-

nir à des remèdes qu'il sera toujours bien aise d'é- viter".

Un fait reconnu, c'est que l'habitant n'accepte pas facilement l'au- torité des officiers métropolitains. Déjà enraciné dans le sol lauren- tien, il appartient à un groupe ethnique bien à part et ne veut obéir

94 Ibid.. 107.

95 Loc. cit.

96 Ibid.. 122.

97 Règne militaire en Canada ou administration militair (sic) de ce

pays par les Anglais, du 8 septembre, 1760, au 10 août, 1764,

op. cit.. 158.

(25)

qu'à ceux de sa race. Bougainville s'indigne du fait que "les habi­

98

tans partent sans permission (des régiments)" . Et il ajoute, dès janvier 1759: "Il n ' y a donc dans ces milices aucun ordre, aucune su­

99

bordination" . Observation vraiment révélatrice dans la bouche de ce marin de carrière. Avant lui, La Potherie notait: "Il faut qu'un Canadien soit convaincu de la valeur de son capitaine gour qu'il lui

100 obéisse"

L'indocilité de l'habitant se manifestera maintes fois après la cession du pays a l'Angleterre. Songeons qu'en janvier 1761, nombre de terriens refusent, au mépris même d'une ordonnance des autorités anglaises, de divulguer a leur capitaine de milice la quantité et les

101

différentes espèces de grains qu'ils possèdent. Plus tard, â l'autom­

ne de 1775, un scribe écrira: "On a eu recours sans succès â tous les moyens pour amener le paysan canadien au sentiment de son devoir et

102 l'engager â prendre les armes, pour la défense de la province..."

Et plus loin: "J'apprend que quelques Canadiens se trouvent avec les 103

Bostonnais sur toutes les routes" . La situation serait plus grave dans les paroisses de la rive sud et de l'île d'Orléans, où les hom­

104 mes refusent aarrément de s'enrôler

98 RAPQ, 1923­1924, 29. Instructions sur les milices, 1759.

99 Loc. cit.

100 La Potherie (M. Bacqueville de), op. cit.. 1: 110.

101 Règne militaire en Canada ou Administration Militair (sic) de ce pays par les Anglais, du 8 septembre 1760. a u 10 août 1764.

Op. cit.. 175. """ ---'--■----—-

102 Documents constitutionnels, op. cit.. 654­656. 21 septembre 1775.

UQ3 Loc. cit.

104 Loc. cit.

(26)

La collection Haldimand nous offre maints exemples de cet climat d'insubordination. Carleton écrira de Montréal, le 3 octobre 1778: 105

"Les habitans de Quinchien et de Vaudreuil sont très indociles; et n'ont aucun égard pour leurs capitaines de milice; une compagnie du régiment de Brunswick pourrait y être envoyée de Terre- bonne pour les ramener â la raison".

Même refrain le 10 décembre suivant: "Suggère d'envoyer des trou- pes qui seront conservées dans les paroisses indociles de 1'Ile-Jésus,

106

Saint-Martin, Sainte-Rose, Quinchien, Vaudreuil..." Et le 27, Carleton termine sur ce ton: "Enverra les grenadiers â Quinchien et â Vaudreuil qui ont été les paroisses les plus indociles". Le 107 terrien ne connaîtrait pas d'autre frein que la morale chrétienne.

Songeons qu'il lui est relativement facile d'échapper a ceux qui voudront lui demander compte de sa conduite, du moins aux premières heures de la colonie. A cause de son étendue, la Nouvelle-France est un territoire difficile â policer. Et puis la frange des grands bois, prête â acceuillir le milicien récalcitrant, est toujours au trécarré de la ferme. Bref, le Canadien a grandi et vécu sans connaître la dis- cipline et la contrairte.

105 Collection Haldimand. RAC, 1888: 1088, 1009 et 1010.

106 Loc. cit.

107 Loc. cit.

(27)

Indolence.

L'indolence resterait un des défauts dominants de l'habitant. A vrai dire, cette nonchalance serait plutôt l'excès d'une qualité:

la confiance en soi. Cette trop grande confiance, ne la tient-il pas de la stabilité de son bien foncier dont le rendement, même variable â cause du climat et de l'insécurité des marchés, n ' e n reste pas moins une garantie solide qui lui assure toutes les choses nécessai- res â la vie? Le terrien ne connaît pas la fièvre du spéculateur et du négociant. Cette sécurité rendrait l'agriculture trop stagnan- te. C'est en vain que les intendants multiplient les mesures pour améliorer la technique agricole. L'habitant n'est pas intéressé a accroître sa production. H s'en tient aux moyens traditionnels de culture, sans jamais songer â y apporter aucune modification.

Le 20 juillet 1667, le Conseil supérieur doit pallier a l'indif- férence du terrien en ordonnant "â ceux qui ont des chardons sur leurs terres, de les couper entièrement chaque année en dedans de la fin de

Juillet, en sorte qu'il n'en reste aucun â couper, même dans les che- mins qui passent sur les terres, sous peine de trente sols d'amende par arpent des terres qui en seront gâtées, et que ceux qui n'en au-

108 roient pas la valeur d'un arpent payeront néanmoins pour un arpent".

Le roi lui-même s'afflige de cet immobilisme. Le 8 mai 1669, il

108 Ordonnances des intendants, 1806, op. cit.. 132.

(28)

recommande â Talon:

"...de Porter par tous moyens possibles les habitans au défrichement et â la culture des terres afin non seulement qu'ils en ayent abondamment pour les nour- rir, mais mesme qu'ils en puissent assister le Royaume en cas de nécessité, et que cette abondance contribue pareillement a y attirer les français du Royaume, les- quels naturellement cherchent les Lieux ou ils peu- vent vivre avec plus d'aysance et de facilité".

L'habimant ne se préoccupe pas davantgge de la garde du cheptel.

Le 28 avril 1674, d'Ailleboust doit enjoindre aux censitaires de garder "leurs bestes â cornes et chevalines jusqu'à ce que les grains soient entièrement recueil ils, suivant les us et coutumes du pays". 110 Plus tard, en mai 1676, nouvelle réglementation a propos de l'ivraie.

Désormais on devra couper tous les chardons sur ses terres ou sur les bords des chemins qui passent devant ses propriétés. Par la même ill occasion il est fait défense "â toutes personnes de quelque dualité et condition qu'elles soient de passer ni chasser dans les terres ense- mencées, rompre, abattre, ni forcer les clotures, à peine de dix li-

112 vres dSamende..."

Le campagnard ne respecte pas toujours la propriété privée. Les exemples de ce genre ne manquent pas. Qu'il suffise de rappeler quel-

109 RAPQ, 1930-1931, 111. Correspondance de Talon. Mémoire succinct des principaux ^points des intentions du roy sur le pays de Cana- da, que sa Ma

t e

veut entremiz ez mains du sr Talon s'en allant servir d'intendant de la justice, police et finances dud. pays—

18 mai 1669.

H O Repertoire des Arrets, Edits, Mandements, Ordonnances.op. cit.. 13.

111 Ordonnances des intendants, 1806, op. cit.. 155.

112 Loc. cit. ~

(29)

ques directives des autorités civiles. Le 5 août 1697, ordonnance de Deschambault défendant de briser les clôtures, de passer sur les terres où il n ' y a point de chemin, sans le consentement des propriétaires, ou de prendre, dans les jardins, des herbes, des melons et divers légumes,

113

sous pein de dix livres d'amende. Plus tard, le 4 août 1707, défen­

se est faite par l'intendant Jacques Raudot de cueillir des noix, des raisins et même de couper les arbres et les ceps sur les terres non dé­

114 ■

sertées. Le 9 juillet 1720, le procureur du roi, Pierre Raimbault, obligera, les habitants de Lachine â enfermer leurs chevaux afin qu'ils

115

n'aillent pas piétiner les grains. Même chose, le 5 mai 1724, a­

lors que l'intendant général défend "de laisser courir les bestiaux dans les champs et prairies", enjoignant "de les garder ou de les fai­

116

re garder, à commencer du 7 de ce mois". Le 24 juillet 1732, Mi­

chel de la Rouvillière adresse les mêmes reproches aux gens de Berthier, 117

de l'île aux Castors et de l'île du Pas.

Au début du XVIIIe siècle, malgré les exhortations et les remontran­

ces de toutes sortes, la culture des plantes textiles est au ralenti.

En 1701, ion mémoire propose même d'obliger les habitants â planter le chanvre et le lin. On établirait des magasins à Montréal, Québec et

113 Répertoire des Arrets, Edits, Mandements, etc., op. cit». 50.

114 Ibid.. 67 115 Ibid.. 86 116 Ibid.. 90.

117 Ibid.. 95.

(30)

Sorel, où on achèterait le chanvre â treize livres et dix sols (ar- gent de France) le quintal. En outre, on proposait d'envoyer en Ca- nada deux cents barriques de graines pour les distribuer gratuitement aux habitants, afin qu'ils puissent les semer au printemps de 1702.

Mais les campagnards ne bougèrent pas. 118

Cet état d'indifférence inquiète Pontchartrain, qui écrit â Rau dot le 9 juin 1706: 119

"Il est bien fâcheux de constater que la colonie du Canada qui coûte tant d'argent â Sa Majesté lui soit si peu utile, et cela a cause du libertinage des ha- bitants et du peu de soin qu'on a eu de les appliquer â d'autre chose qu'à la chasse. M. Raudot les pous- sera â s'adonner plutôt â l'agriculture et â la pêche".

Il arrive que les récoltes soient médiocres, précisément parce que les moissons ont traîné en longueur. C'est ainsi que le 19 octobre 1721 Vaudreuil informe Bégon que la coupe des blés n'est pas encore terminée dans la région de Québec. 120

Mais de tout temps la course aux fourrures a fasciné le Canadien et l'a détourné de l'agriculture. Le roi en convient dans un écrit

121 qu'il adresse au gouverneur de Beauharnois le 7 mai 1726:

118 AC, correspondance générale, C. 11A, vol. 19, 213-217.

119 RAPQ, 1940-1941, 389* Inventaire des documents concernant l'E- glise du Canada — M. le comte de Pontchartrain à M. Raudot (Ver- sailles, 9 juin 1706).

120 Nouvelle-France — Documents historiques, etc.. op. cit.. 1: 175.

Délibération du Conseil, au sujet d'une lettre de MM. de Vaudreuil

et Begon, 19 octobre 1721.

(31)

"Il est nécessaire de joindre â cette fermeté de la douceur et de la justice et du désintéressement

pour gouverner les François, habitans de la colonie, lesquels sont plus enclins à courir dans les bois et a vivre comme les nations sauvages, que de cul- tiver leurs terres et d ' y estre sédentaires".

Quelques années plus tard, le 10 octobre 1730, Beauharnois et Hoc- quart désapprouvent le colon qui vend sa concession, peu de temps a- prês l'avoir acquise du seigneur, ce qui fait, disent-ils, "une sor- te d'agiot et de commerce dans le pays, préjudiciable â la colonie, sans aucune augmentation pour le défrichement et la culture des terres,

122 et entretient la paresse de l'habitan..."

Le morcellement des terres porterait l'habitant à la routine et a la recherche du moindre effort. Au lieu de défricher de nouvelles terres, d'aucuns se contentent de cultiver le lopin qu'ils ont reçu en héritage. Pour pallier â cette situation, le roi défend de cons- truire désormais des maisons sur un terrain ayant moins d'un arpent et demi de largeur et quarante de profondeur. Le 28 avril 1745, un scribe note à ce propos: 123

"Sa Majesté étant informée, que l'établissement des cultures des terres en Canada n'a pis fait les progrès qu'elle avoit lieu d'attendre de la protection et des facilités qu'elle veut bien accor- der aux habitans, que cette colonie n'a pas même

122 Correspondance entre le gouvernement français et les gouverneurs et intendants du Canada, relative â la tenure seigneuriale, op.

cit..21. MM. de Beauharnois et Hocquart, 10 octobre 1730.

123 Edits, ordonnances royaux, etc.. 1803, op. cit., 551. Ordonnance

du fioi, portant entr'autres choses défenses aux habitans de bâtir

sur les terres, â moins qu'elles ne soient d'un arpent et demi

sur quarante de profondeur — 28e. Avril 17£5.

(32)

fourni pendant quelques années, où les récoltes n'ont pas été abondantes se bornent â cultiver les portions de terres qui leur sont échues par les partages des biens de leurs pères, et qui le plus souvent se trouvent réduies â une si petite étendue, que les dits habitans ne peuvent pas y recueillir de quoi subsister..."

Bigot se montre plus sévère le 20 septembre 1749: 124

"Ils (les habitants) laissent agir la nature surtout et ce qui vient est bien venu. Ils ne cerclent pas même leur blé quoiqu'ils voient tous les ans en le coupant qu'il y a plus d'herbe que de paille, ce qui ne peut que lui avoir fait beaucoup de tort pour la quantité et pour sa grosseur".

D'autres fonctionnaires conviennent de l'indolence du Canadien.

Séjournant en Nouvelle-France, l'ingénieur Franquet écrira en 1753: 125

"Il est étonnant qu'un pays tel que le Canada, éta- bli depuis environl50 ans, où les terres sont bon- nes, produisent beaucoup sans une grande culture, et où chaque laboureur peut en avoir autant qu'il

en veut, qu'il peut en cultiver et en défricher, ne soit pas en état de produire non seulement la subsistance de ses propres habitants, mais encore, de fournir des farines et autre denrées convenables, pour différentes branches du commerce, et qu'il soit exposé â éprouver des disettes qui sont toujours d'autant plus fâcheuses".

Au début d'octobre 1758, Montcalm constate que "l'agriculture lan- guit". Deux ans plus tard, vers la mi-août 1760, Vaudreuil dépêche 126

124 Adam Shortt, op. cit., 11: 792.

125 Franquet, op. cit.. 179. Mémoire sur les moyens d'augmenter la

culture des terres en Canada, et d'y entretenir l'abondance, sans

qu'il en coûte au Roy et â la colonie, et par là, éviter toutes

disettes, 1753.

(33)

des Canadiens â Longueuil et â Boucnerville, où il est urgent de bat- tre les récoltes. Mais, d'observer le gouverneur: "Les propriétaires ne sont pas pressés de faire battre, et les travailleurs sont très fai- néants". Aux dires de WeL*, l'habitant serait aussi négligent pour 127

ses bêtes: "The French Canadians, écrira le voyageur en 1795, make no scrupule to leave their horses standing at t h e door of a house, without any covering, in the coldest weather, while they are themselves taking their pleasure." 128

Dès 1807 Heriot prétend orie les Canadiens ne s'en tiennent qu'aux nécessités premières de la vie, sans faire plus d'effort pour amélio- rer leur sort: "Their porpensity to a state of inaction retains many of them in poverty; but as their wants circumscribed, they are happy.

Contentment of mind, and mildness of disposition, seem to be the lea- ding features in their character". 129

A l'été de la même année, un correspondant du Canadien s'étonne de l'abandon des vergers aux environs de Québec: "Le peu que l'on voit le long des routes et près des maisons accusent les propriétaires de negligence et d'incurie: ils ne sont point taillés (les pommiers), ou ne le sont que très-mal aussi bien que mal placés et mas soignés; ce- pendant les habitans se plaignent de leurs terres, et crient hautement

130 qu'elles sont stériles. N'est-ce pas leur faute?"

127 Lettres de M. de Bourlamaque au chevalier de Lévis. op. cit..119.

A M. le Marquis de Vaudreuil — A longueuil, le 20 août 1760.

128 Isaac Weld, op. cit.. 227.

129 George Heriot, op. cit.. 255.

130 Le Canadien, no 40, samedi le 15 aoust, 1807, (Québec, â l'Impri-

merie Canadienne).

(34)

De son côté Lambert dit aarrément que les Canadiens ont peu d'am- 131

bition. Et il ajoute: "The Habitans, content themselves with fol- lowing the footsteps of their forefathers. They are satisfied with

132

a little, because a little satisfies their wants." Le voyageur se montrera ailleurs plus sévère: "The French-Canadians are not possessed of any agricultural entreprise of spirit". Enfin Lambert se permet 133 cette autre observation: "The Canadians are miserable farmers. They seldom or never manure their land, ans plough so very slight and care- less, that they continue, year after year, to turn over the same clods which be at surface, without penetrating an inch deeper into the soil". 134

Quelques années plus tard, l'arpenteur Bouchette partage ces dires:

"La pratique de l'agriculture en Canada, écrira-t-il en 1815, est dé*

135

fective dans quelques points très importans..." Selon lui, en la- bourant mal, on ne déracine pas suffisamment les mauvaises herbes qui repoussent et absorbent toute la vigueur du sol. Vers 1820, le Français Dainville résume ainsi tous les dires de ses prédécesseurs: "Beaucoup de talens, d'industrie et de courage se trouvent chez les Canadiens â côté de beaucoup d'indolence". 136

131 John Lambert, op. cit.. 149.

132 Ibid.. li 150 133 Ibid.. 1: 135.

134 Ibid.. 1? 131.

135 Joseph Bouchette, op. cit.. 113.

136 Dainville, op. cit.. 482.

(35)

Vanité.

A l'instar de l'Indien, le Canadien serait vaniteux à ses heures.

C'est du moins l'opinion de certains contemporains. "Ils (les Cana- diens) sont présomptueux et remplis deux-mêmes, s'estimant au dessus de toutes les Nations de la terre", écrira La Hontan en 1704. 137 Le Beau ne parle pas autrement en 1736: "Les Canadiens, dit-il, tien- nent des Gafcons, en ce qu'ils font grands Vanteurs de leurs propres actions, de leur valeur, etc." 138

Durant tout le XVIIIe siècle, l'habitant va continuer d'avoir une trop bonne opinion de lui-même. Isaac Weld observera vers 1796: "Va- nity, however, is the ascendant feature in the character of all of they (les Canadiens-français), and by working upon that you may make

139

them do wath you please". Si on s'en tient au témoignage du visi- teur, ce défaut peut jouer de vilains tours. Qoui qu'il en soit, Dainville ne parle pas autrement, quelque deux décennies plus tard:

"Mais la vanité, écrit-il en 1821, voilà leur grand mobile (parlant des Canadiens), et le trait le plus marqué de leur caractère. Touchez avec adresse cette corde sensible, vous ferez d'eux ce que vous vou-

140 drez".

137 La Hontan, op. cit.. 81.

138 Le Beau, op. cit..11: 69.

139 Weld, op. cit.. 194.

140 Dainville, op. cit.. 433.

(36)

Avarice.

Comme la plupart des paysans, l'habitant ferait preuve d'une lésine- rie qui frise quelquefois l'avarice. Il se montre méfiant â l'égard de la monnaie de carte. Si bien qu'à l'automne de 1752, on fait venir des billets imprimés; car, aux dires de Bigot: "L'habitant de la cam- pagne paroit avoir grande confiance aux billets de caisse, depuis qu'tLle sont imprimés, et il y a apparence qu'il les serrera comme les cartes." 141 Appréhendant l'issue finale de la guerre anglo-française, le Canadien n'a de plus en plus confiance qu'en des pièces métalliques. " H ne pa- rÔit pas un écu dans le commerce, ni au marché, écrit Bigot le 8 no- vembre 1755; que les habitants ou domiciliés dans le pays qui n'ont pas en vue de repasser jamais en France donnent sept francs en papier ou monnoie de cartes pour l'écu de six livres, et qu'ils serrent sur le

champ ces écus". 142

143 Et l'intendant de conclure:

"C'est que l'habitant aura toujours plus â coeur de défendre son pays quand l'intérêt l'y engagera, et il sera forcé de la faire quand il envisagera que s'il étoit pris pac l'ennemi, il perdroit les papiers de caisse et monnoie de cartes qu'il auroit ramassé de- puis longtemps, au lieu que s'il avoit de l'argent dans son coffre, il lui seroit indifférent de passer sous une autre domination".

141 Adam Shortt, op. cit.. 11:796.

142 Extraits des archives des ministères de la Marine et de la Guer- re â Paris, (Québec, 1890), 292. — Lettre de M. Bigot, Du 8 9bre 1755.

143 Lettres du marquis de Montcalm, op. cit.. Québec, 16 décembre 1757.

(37)

Aux dires de Montcalm, on ne ferait rien sans se faire payer. C'est ainsi qu'il écrit â Lévis le 16 décembre 1757: "Ls. tête en tourne â tous les Canadiens qui, croyant qu'on va payer ou gratifier tous ceux qui ont servi, viennent en foule demander aux officiers de la colonie, â moi, à M. de Longueuil, des certificats. Pour moi, d'ajouter le gé- néral, je n'en donne pas et je les détrompe tant que je peux; que cela

144 ne regarge que les blessés ou quelque action particulière".

Bien plus, le terrien ne refuserait jlas de vendre ses grains de se- mence pour raliser des bénéfices immédiats, ce qui risquerait de plon- ger la colonie dans la disette. C'est du moins ce que craint monsieur de Bellestre le 25 décembre 1757: 145

"On va enfin travailler â un recensement des grains qu'il y a dans le gouvernement de Montraél, M. de Montrepos, lieutenant général de police, et M. de Contrecoeur, capitaine de la colonie, en doivent être chargés. Monsieur l'intendant vient de rendre une ordonnance pour empêcher tous les moulins de moudre, a commencer du 1er janvier, et on a scellé â

cet effet, parce que la cherté de la farine et l'a- vidité du propriétaire dait que, pour l'appât du

gain présent, l'habitant vendroit jusqu'aux.blés et semences".

Voilà que le clergé s'élève contre les menées de certains fonction- naires en mal de rafler tous les blés des habitants. Montcalm en parle

144 Lettre du marquis de Montcalm. op. cit.. Québec, 16 décembre 1757.

145 Journal du marquis de Montcalm. op. cit.. 105. Notes tirées d'une

relation de l'expédition de M. de Bellestre — Du 25 décembre 1757.

(38)

ainsi le 21 janvier 1758:

"Les commissaires chargés de la recherche de ces grains ont imaginé de faire prêter serment sur les Evangiles aux habitants de dire vérité dans leurs

déclarations, et les curés, attentifs au salut de

leurs paroissiens, les ont de suite relevés du serment et permis de faire telle déclaration qu'ils voudroient", Le campagnard thésauriserait même plus que de raison. En octobre suivant, Bigot prétend que "les fonds qui restent dans la colonie sont

147 la plus grande partie entre les mains des habitans de la campagne".

Toujours selon l'intendant, "il seroit facile de juger de l'aisance des habitans par ce qui en seroit porté au trésor..." Enfin le 148 Canadien n'accepterait plus que le numéraire métallique. "Quelques habitants commence à offrir le double de la valeur pour espèces son- nantes, observe Montcalm le 12 avril 1759, parce que peu de gens veu-

lent se défaire de leurs espèces par les craintes sur le papier". 149 Bigot parle le même langage le 15 octobre suivant, lorsqu'il informe Vaudreuil qu'on "auroit â crain«ire que les habitants de la campagne n'envisagent le sort de ceux de Québec qui ne reçoivent pour leurs

150 ouvrages que de l'argent monnoyé".

l^

6

Ibid*. 330.

147 Adam Shortt, op. cit.

f

11: 850. Manuscrit soumis à Mr de Beau- vat, octobre 1758.

148 Ibid.. 11: 876. Considérations sur l'état présent du Canada, octobre 1758.

149 Ibid.

p

11: 890. Lettre de M. le marquis de Montcalm, de Montréal, â M. Le Normand, 12 avril 1759.

150 Ibid.. H : 928.

(39)

Ivrognerie.

De l'aveu de contemporains, certains Canadiens lèveraient le coude plus souvent qu'à leur tour. Dans un texte écrit le 18 janvier 1700, on déplore "la licence que chaque habitant (du Sault-au-Recollet et

151

des environs) s'est donnée de Tenir Cabaret..." Hocquart est plus sévère en 1737ï " U s (les Canadiens) sont intéressés, vindicatifs, sujets â l'ivrognerie, font un grand usage d'eau-de-vie, passent n'ê- tre pas véridiques". Deux décennies plus tard, l'auteur d'un mé- 152 moire ira jusqu'à dire: 151

"Les habitants depuis le grand commerce des bois- sons qu'on fait dans ce pays se sont donnés â l'eau-de-vie, ce quy est cause qu'ils sont plus fainéants qu'ils n'étoient par le passé".

Auxb#ypes sombres du 13 septembre 1759, Lévis note â son tour:

"Il fut distribué assez mal â propos de l'eau-de-vie aux soldats et Ca- nadiens, dont plusieurs furent enivrés, ce qui fit qu'il y eut beaucoup de traineurs qui perdirent leurs sacs." 154

Dès le XLXe siècle, selon Lambert, le lait et l'eau sont les breu- vages des femmes et des enfants. Le rhum, au contraire, semble "the

cordial balm wich relieves the men from all their cares and anxie- ties. They are passionately found of this pernicious liquor, observe

151 Jugements et délibérations du Sonseil souverain, op. cit.. IV:384.

152 AC, année 1886, vol. 67, fol. 76. - — - 153 RAPQ, 1933-1934, 212.

154 Journal d es campagnes du chevalier de Lévis. op. c i t . . 211.

(40)

le voyageur and often have a debauch when they go to market with ' 155

their commodities". Non seulement les terriens reviendraient sou- vent de la vi&Le en état d'ébriété, mais ils ne se gêneraient par pour lancer leurs chevaux a la course et renverser les gens sur les chemins incombrés de neige. 156

155 John Lambert, op. cit.

f

1: 156.

156 Les Cahiers des Dix, no VIII, Montréal 1943, p. 151. (Voir article

de Gérard Malchelosse).

(41)

Malpropreté.

D'aucuns prétendent que l'habitant n'est pas toujours soucieux des règles de l'hygiène. Montcalm en convient le 7 août 1756: "Je crains que la maladie de la plupart des miliciens ne provienne de leur noncha-

lance â se tenir proprement et â faire un ordinaire réglé". L'année 157 suivante, un scribe ira même jusqu'à écrire: "Ils (les Canadiens) sont

malpropres naturellement. Toute leur grande ambition c'est de faire le commerce, vu que ceila (sic) les met en considération". 158

Autres observations.

Le peuple témoignerait généralement d'une curiosité qui déplaît â Mgr de Saint-Vallier. Le 10 octobre 1726, le prélat écrit â Maurepas pour se plaindre "de l'esprit des Canadien qui se porte â examiner ce qui ne les regarde pas". 159

Vers le milieu du XVIIIe siècle, les habitants des secteurs québé- cois et montréalais ne s'estimeraient réciproquement pas comme ils ile devraient.. De l'avis d'un voyageur, "les habitants de Montréal qua- lifièrent ceux de Québec de moutons ; ces derniers ont effectivement le caractère plus doux et moins orgueilleux, ils appellent par représailles les Montréalais loups: qualification assez juste parce qu'ils ne fré-

160 quentent que les Sauvages et les bois".

157 Lettres du marquis de Vaudreuil. op. cit.. 18.

158 RAPQ, 1933-1934, 212.

159 AC, C. LIA, 49: 351. Saint-Vallier â Maurepas, 10 octobre 1726.

160 Voyage au Canada dans le nord de l'Amérique septentrionale fait

depuis l'an 1751 â rfel, op. cit.. 49.

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