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Comité de rédaction pour ce numéro

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Approche critique des discours

TRANEL 40

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TRANEL (Travaux neuchâtelois de linguistique)

Comité de rédaction pour ce numéro

Jean-Michel Adam (Université de Lausanne), Jean-François de Pietro (Université de Neuchâtel et Institut de recherche et de documentation pédagogiques), Alexandre Duchêne (Université de Toronto), Thérèse Jeanneret (Université de Neuchâtel), Alain Kamber (Université de Neuchâtel), Marinette Matthey (Universités de Lyon II et de Neuchâtel), Simona Pekarek Doehler (Université de Neuchâtel), Bernard Py (Université de Neuchâtel), Pascal Singy (Université de Lausanne)

Secrétariat de rédaction

Esther Wagnières

Institut de linguistique, Université de Neuchâtel, Espace Louis-Agassiz 1, CH-2000 Neuchâtel

Thématique et procédure de soumission

Chaque numéro des TRANEL est placé sous la responsabilité d’un-e membre de l’Institut de linguistique ou d’une personne extérieure spécialisée dans la thématique du numéro, qui sollicite des articles et rédige une introduction présentant le numéro. Avant publication, chaque article est relu par au moins un-e membre du comité de rédaction qui peut demander des modifications des articles.

L’auteur-e est informé-e, dans un délai d’un mois, de l’acceptation ou du refus de son texte, ou de la demande d’éventuelles modifications. Le même délai doit être observé après réception des remaniements demandés.

Chaque article doit comporter un résumé d’environ 10 lignes, rédigé en anglais, et doit être livré, selon les normes typographiques établies par la rédaction, sur support informatique, accompagné d’un tirage papier. Les manuscrits sont à adresser au secrétariat de rédaction.

Abonnements

Toute demande d’abonnement ou de numéro séparé est à adresser à:

Institut de linguistique (TRANEL), Faculté des lettres et sciences humaines, Espace Louis-Agassiz 1, CH-2000 Neuchâtel

tél.: ++41(0)32 718 16 90

fax: ++41(0)32 718 17 01 email: revue.tranel@unine.ch

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Abonnement annuel (2 numéros) Suisse : CHF 51,00 Etranger : € 34,80 Numéro séparé Suisse : CHF 27,00 Etranger : € 18,40 Numéro double Suisse : CHF 40,00 Etranger : € 27,30

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© Institut de linguistique de l’Université de Neuchâtel, 2004 Tous droits réservés

ISSN 1010-1705

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Travaux neuchâtelois de linguistique No 40, 2004 • ISSN 1010-1705

Table des matières

! Thérèse JEANNERET

Avant-propos --- 1-9

! Céline BOURQUIN

Données linguistiques, données

sociolinguistiques: le traitement labovien

du vernaculaire africain-américain --- 11-26

! Chantal CLAUDEL

La notion de figure: propositions

méthodologiques pour une approche comparée du genre interview de presse en français et en

japonais --- 27-45

! Patricia VON MÜNCHOW

Réflexions sur une linguistique de discours

comparative: le cas du journal télévisé en France

et en Allemagne --- 47-70

! Sophie MOIRAND

L’impossible clôture des corpus médiatiques.

La mise au jour des observables entre

catégorisation et contextualisation --- 71-92

! Alexandre DUCHÊNE

Construction institutionnelle des discours:

idéologies et pratiques dans une organisation

supranationale --- 93-115

! Bernard PY

L’apprenant, le chercheur et les discours.

Quelques réflexions sur la notion de saillance --- 117-131

! Anne-Sylvie HORLACHER

La confidence radiophonique: entre effacement

du je et revendication du moi --- 133-149

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IV

! Virginie CONTI

A propos des configurations en j’ai X qui... --- 151-163

! Jean-Claude BEACCO & SandrineREBOUL-TOURÉ Points de vue critiques sur les discours:

à propos de culture générale dans les discours

de transmission des connaissances --- 165-180

Adresses des auteurs --- 181

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Travaux neuchâtelois de linguistique, 2004, 40, 1-9

Avant-propos

1. C’est au discours – au sens de Benveniste de la langue en emploi et en action – que ce numéro des TRANEL est consacré. Plus précisément, c’est à une approche critique que ce numéro nous convie. Par ce terme, on choisit de donner une certaine importance aux conditions sociales, culturelles et idéolo- giques d’élaboration des discours. On cherche ainsi à dépasser un point de vue strictement énonciatif, à englober dans l’analyse discursive des para- métrages externes divers dont on fait l’hypothèse qu’ils sont constitutifs des discours analysés et qu’ils ne peuvent être neutralisés sans amputer grave- ment l’analyse. Mais parler d’approche critique ne signifie pas que les contraintes externes subies par le discours suffisent à le saisir: l’approche cri- tique des discours développée ici considère comme premières les contraintes internes, inhérentes au texte comme totalité signifiante.

Par ailleurs – et c’est de cette manière aussi que l’approche sera critique – cette conception du discours prend au sérieux la mise en garde de Magid Ali Bouacha1: «En analyse des discours, la complexité des phénomènes à obser- ver est telle que la meilleure théorisation que l’on puisse faire est celle qui s’élabore à partir de méthodes». Pour ce faire, on a demandé aux auteur-e-s de ce numéro de mettre l’accent sur l’amont de l’analyse: délimitation des corpus, repérage des observables, interprétation de données. C’est pourquoi, les différents articles qui constituent ce numéro, bien qu’attachés à la description et à la comparaison d’ensembles textuels variés, parcourent un même trajet allant des données (corpus, input) et des opérations présidant à leur «appareillage» en ensembles textuels variés (corpus de référence, etc.) à l’interprétation des observables qui ont pu en être dégagés.

Un seul texte traite du parcours dans son entier: il s’agit de l’article de Céline Bourquin retraçant les fondements de la sociolinguistique de William Labov.

Cette linguistique, qui apporte une «nouvelle pratique», est décrite soigneuse- ment dans le parcours qui l’a instituée en discipline par et pour le vernaculaire africain-américain. De la méthodologie de production des données à leur analyse, on voit se mettre en place, dans cet article, les fondements d’une

1 Telle qu’elle est rapportée dans Adam, Jean-Michel; Jean-Blaise Grize & Majid Ali Bouacha (2004): Texte et discours: catégories pour l’analyse, Dijon, Editions univer- sitaires.

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2 Avant-propos

analyse du discours comme socialement situé, associée à une ethnographie de la culture vernaculaire (street culture) qui donnera un cadre d’interprétation des usages du vernaculaire et notamment de l’insulte rituelle.

Situés tout près du pôle de la constitution des corpus, les articles de Chantal Claudel et Patricia von Münchow explorent la partie du trajet allant de la défi- nition des ensembles de données au dégagement des observables. Avec l’article de Chantal Claudel, on entre dans l’univers de la comparaison interlin- guistique: il s’agit, cette fois, d’élaborer une méthode pour constituer entre le français et le japonais une interface permettant de comparer des interviews de presse dans ces deux langues. La distance interlinguistique impose ici le recours à la notion de figure conçue comme une sorte d’actualisation des po- sitions attribuées aux différents intervenants d’une interview. Par exemple on captera, par la figure de l’interviewé, la diversité des modes d’adresse (du tu- toiement ou vousoiement avec ou sans appellatif en français à des emplois de particules ou de structures de modestie en japonais).

Un peu plus proche de l’analyse proprement dite mais avec un ancrage encore fort vers la méthode, l’article de Patricia von Münchow s’appuie, comme le précédent, sur le genre discursif comme outil de sélection des corpus qu’il s’agira de comparer. Dans son cas, ce sera des journaux télévisés en France et en Allemagne. On voit se déployer dans cet article une sorte de rhétorique comparée de ces journaux télévisés.

L’article de Sophie Moirand explore méthodiquement les étapes d’une analyse de moments discursifs particuliers (par exemple la controverse autour des organismes génétiquement modifiés) émergeant dans le monde médiatique et produisant des observables dont il s’agit de suivre les différentes contextuali- sations dans deux directions: d’abord celle imprimée par les mots, formula- tions, configurations discursives et leurs cotextes référant aux OGM. Puis celle des dires des acteurs concernés, des différents énonciateurs construits, c’est- à-dire de l’ensemble des discours rapportés concernant la thématique OGM, accompagnés de leur cadrage énonciatif. Les observables dégagés sont ainsi à la fois instanciés dans leur cotexte et servent de repères pour définir des ensembles textuels. Ce quadrillage de ses observables mène Sophie Moirand à la croisée des deux dimensions du dialogisme bakhtinien: la pluriaccentua- tion du mot et la construction du discours par «tissage» et «faufilement» dans et avec d’autres discours. De cette manière, l’article chemine encore un peu vers l’interprétation des données en envisageant, dans une seconde partie, les trajets mémoriels dont sont chargées les formulations et en montrant comment ces dernières «donnent un sens social à des événements qui, pour des scientifiques, n’ont rien en commun».

Alexandre Duchêne, à travers une étude de la production documentaire (le fameux compte rendu analytique) aux Nations Unies apporte des lumières sur la manière dont sont produits les discours qui vont être objet d’analyse. Ce faisant, il fait intervenir une nouvelle dimension du trajet allant de la constitu-

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Thérèse JEANNERET 3

tion des données à l’interprétation des observables: le caractère social et situé de la production des données doit être pris en compte car il informe – au sens propre – les ensembles textuels servant de base à l’interprétation. En effet, les conditions de production du genre compte rendu analytique en tant que forme discursive sont parties prenantes de l’analyse des discours qui y sont produits.

Le genre discursif est ici normalisé par l’institution, les Nations Unies: les régularités y relèvent aussi de contraintes institutionnelles et doivent être interprétées en tant que telles. L’approche des discours se doit donc d’être critique, elle ne peut faire l’impasse des modes de production des discours et des idéologies qui les sous-tendent.

L’article de Bernard Py nous fait parcourir une étape de plus vers l’inter- prétation: en fait nous sommes avec son article dans le trajet même qui va des données ou inputs à leur interprétation. Ici l’analyste n’est pas un linguiste, ou plutôt le chercheur ne sert dans cet article que de faire valoir ou de point de comparaison: c’est l’apprenant qui produit le travail de repérage, de traitement et de prise de données qui vont venir, en dernière instance, faire évoluer son interlangue. Se pose alors la question fondamentale de la raison du repérage dans l’ensemble des données auxquelles l’apprenant est exposé d’un seg- ment particulier de discours qui va, pour l’apprenant, passer au statut d’input.

Un instrument de sélection s’avère d’autant plus crucial que l’apprenant d’une langue cible est soumis à une diversité de productions langagières bien plus importante que toutes les données empiriques servant de base à n’importe quel linguiste de terrain. La notion de saillance devient ainsi un principe explicatif de cette promotion de certaines données discursives environnemen- tales au statut d’input.

En bout de chaîne, à l’aboutissement du trajet exploré par ce numéro, nous trouvons les articles d’Anne-Sylvie Horlacher et de Virginie Conti, consacrés à l’interprétation d’observables dégagés d’un discours particulier: pour la première, la confidence radiophonique et, pour la seconde, le discours oral tout-venant. Le travail réside là dans le repérage puis dans l’analyse de formes, de configurations linguistiques particulières. Dans l’article d’Anne- Sylvie Horlacher sur la confidence radiophonique, il s’agit d’abord de dégager les configurations de la tension et de la modulation, c’est-à-dire les formes linguistiques actualisant une attitude énonciative d’adhésion dramatisante ou de prise de distance, de détachement de l’énonciateur vis-à-vis de ses propos.

Dans un second temps, ce sera une forme particulière de la tension, les moi je qui seront étudiés dans leurs différentes contextualisations.

L’article de Virginie Conti est l’article du numéro qui pousse le souci de l’analyse de la forme le plus loin en se détachant le plus (mais pas totalement quand même!) des conditions d’apparition de son objet: les configurations en j’ai X qui. Ce souci de la rigueur de l’analyse l’amène à distinguer deux configurations différentes sous un même schéma: la première s’apparente à une forme de clivage dans laquelle avoir sert d’auxiliaire de dispositif et peut

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4 Avant-propos

être comparée à la configuration ya X qui; la seconde sert d’auxiliaire de la détermination nominale et peut être vue comme une concurrente de un(e)/plusieurs de mes.

Enfin l’article de Jean-Claude Beacco et Sandrine Reboul-Touré présente d’abord une analyse du discours à entrée lexicale et, de ce point de vue, parcourt dans l’autre sens le trajet de la constitution des observables à l’interprétation des données: il part en effet d’une donnée interprétée, l’objet de discours culture générale et explore ses différentes contextualisations en traitant les différents lieux socio-historiques de ses occurrences comme point d’ancrage de valeurs sémantiques diverses. Le travail de construction dans le discours de cet objet permet en effet d’en appréhender le sens sociétal, c’est- à-dire un sens non pas virtuel (comme il l’aurait en tant qu’entrée lexicale) mais effectif, indiciel à un contexte donné. Dans un deuxième temps, les auteurs se penchent sur ce qui permet d’étiqueter un discours de discours de culture générale.

Ce premier parcours de la constitution des corpus à l’interprétation des données une fois achevé, les textes réunis ici permettent de concevoir d’autres liens, dessinant d’autres axes – moins complets – qui seront envi- sagés dans ce qui suit: celui tracé par la question de la catégorisation des textes à analyser en genres ou en formations, tant comme facteur d’inter- prétation des données que comme critère de leur sélection; celui des modes d’inscription dans le texte des différentes modalisations subjectives et de leur éventuel masquage (maîtrise) ou effacement; celui enfin de la place à faire au style dans l’analyse du discours.

2. Deux articles, celui de Sophie Moirand et celui de Jean-Claude Beacco et Sandrine Reboul-Touré, se penchent sur la formation discursive2 particulière qui produit des discours à partir des connaissances tenues socialement comme scientifiques. Cette parenté dans l’objet d’analyse n’est pas étonnante et renvoie, notamment, à un article paru dans Langages en 19953. Dans cette formation discursive, le discours de culture générale se situe en bout de chaîne tant du point de vue des flux de transmission (relevant d’un enseigne- ment) que de diffusion (vulgarisation scientifique). Cette place particulière dans l’ensemble des discours de connaissance fait que le discours de culture

2 Dans la conception qu’en défend Michel Foucault dans L’archéologie du savoir d’un ensemble de discours qui peuvent se saisir en tant que formant un système (quelle que soit la manière dont pourrait se justifier leur réunion en un même système).

3 Jean-Claude Beacco & Sophie Moirand: «Autour des discours de transmission de connaissances», Langages 117, 32-53.

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Thérèse JEANNERET 5

générale revêt des formes diverses en dehors des formes génériques identi- fiables. De manière comparable, les différents textes concernant les OGM qu’étudie Sophie Moirand, relevant du même discours de culture générale, participent, eux aussi, de séries génériques différentes (éditorial, encadré ex- plicatif, article d’information, etc.). Dans cette formation discursive de discours second, les deux articles rencontrent ainsi sans surprise le dialogisme bakhtinien. Sophie Moirand, dans le trajet très méthodique qui lui permet d’identifier un ensemble de catégories formelles puis de les «pister» par leurs contextualisations pour dégager un ensemble de configurations discursives et enfin d’en repérer les résurgences au fil des moments discursifs, met en évi- dence l’importance de ces dénominations partagées telles par exemple que vache folle ou sang contaminé. On voit dans son article comment la vache folle ne désigne rapidement plus (l’a-t-il jamais fait?) un comportement anor- mal de la vache pour renvoyer à une crise, affaire, scandale de la vache folle et devenir ce qu’elle appelle un mot-événement. Dans son analyse de ce

«genre à énonciation subjectivée» qu’est l’éditorial, elle retrouve cette interdis- cursivité particulière et montre comment ces mots-événements servent à ins- crire par allusion des positions idéologiques: Après la vache folle et le plomb dans l’eau... (voir son exemple 17). Ces mots-événements sont ainsi au carrefour de la mémoire interdiscursive et de la mémoire d’un savoir collectif.

Ils représentent la fusion potentielle du discours construisant la connaissance et de la connaissance dite par le discours. Or Sophie Moirand tente dans la fin de son article de distinguer entre mémoire de dires et mémoire des savoirs et des images pour préserver l’opérationnalité de la notion de dialogisme tandis que Jean-Claude Beacco et Sandrine Reboul-Touré remarquent de leur côté également cette circulation intertextuelle des discours et des connaissances mais la considèrent, eux, comme non problématique.

Il me semble que l’on retrouve sous cette pluriaccentuation des mots et des savoirs, l’extériorité de ce que Pêcheux4 appellerait une formation idéologique par rapport à une formation discursive. On sait qu’elle a fondé pour lui l’impossibilité de l’analyse ponctuelle d’un texte, ce qui rejoint de fait la métho- dologie développée par Sophie Moirand. D’une certaine manière, cette intrica- tion de l’interdiscours et du savoir commun relève d’une dimension constitutive des genres de la transmission scientifique. A ce titre, des catégorisations comme vache folle ou mémoire de l’eau y fonctionnent comme des sortes d’indices de contextualisation qui peuvent parcourir un ensemble de valeurs interprétatives dont il conviendrait d’étudier diachroniquement la constitution.

4 Par exemple, dans «Mises au point et perspectives à propos de l’analyse automatique du discours» avec C. Fuchs, Langages 37, 1975.

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6 Avant-propos

3. Toile de fond de ce numéro, le genre discursif apparaît (en plus des deux articles que l’on vient de mentionner) dans de nombreux articles sous des formes assez différentes les unes des autres: instrument de sélection d’un corpus (Chantal Claudel, Patricia von Münchow), objet de l’analyse en soi par une interrogation sur ses conditions de production (Alexandre Duchêne), dispositif interprétatif de configurations linguistiques particulières par exemple à travers l’insulte rituelle chez Labov (Céline Bourquin) ou les manifestations formelles de la tension et de la modulation dans la confidence radiophonique (Anne-Sylvie Horlacher).

Pour les articles de Chantal Claudel et de Patricia von Münchow, le genre discursif constitue la base d’une approche comparative des discours en tant que tertium comparationis permettant d’articuler les différents modes de mise en discours5. Pour la première, la comparaison interdiscursive s’ancre dans une ethnographie comparée des deux communautés médiatiques française et japonaise. Le genre interview y contraint les modes discursifs d’expression de la subjectivité par l’actualisation de certaines formes de relations interperson- nelles qui se matérialisent de manière très différente en français et en japonais. Etroitement tributaire du genre, la notion de figure permet d’articuler les formes d’adresses respectives des intervieweur et interviewé, les modes d’expression de la politesse et du respect, ainsi qu’à un autre niveau les relations entre journaliste et lectorat. La figure rend ainsi opératoire une analyse comparative des interviews de presse en français et en japonais.

Comme la seconde s’attaque à des langues et cultures moins éloignées, le genre en soi pourra être l’aune de la comparaison. Si, dans ces deux articles, le genre sert à définir le corpus, seul le second affronte la circularité potentielle du processus qui fait recueillir un corpus en fonction d’un genre alors que seule l’analyse du corpus établira éventuellement l’existence du genre. Ce sont les notions d’émicité et d’éticité, empruntées à la tagmémique pikienne qui permettent d’échapper à la circularité en aménageant une possibilité de retour dans un second temps sur la catégorisation effectuée. Suivant Beacco6, on aurait là une appréhension du genre à la fois comme catégorisation ordinaire du discours et comme type de texte.

Dans l’article d’Alexandre Duchêne, avec son compte rendu analytique à l’ONU, le genre discursif est considéré comme structurant la communication sociale et s’appréhendant dans un lieu situé socio-historiquement. Il s’agit là d’un genre qui implique une expérience discursive particulière même si le

5 A la manière de ce qui a été préconisé dans Langages 105: L’ethnolinguistique de l’écrit, 1992.

6 «Trois perspectives linguistiques sur la notion de genre discursif», Langages 153, 2004.

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Thérèse JEANNERET 7

compte rendu analytique est rapproché du genre du procès verbal. Dans une première partie de son article, l’auteur analyse le manuel d’instruction à l’usage des rédacteurs de ces comptes rendus analytiques, donnant par là une idée des conditions de production de ce genre et de l’idéologie qu’il sous- tend. Dans la seconde partie de son article, Alexandre Duchêne, en confrontant un discours oral tenu dans le cadre de l’ONU et son compte rendu, met en évidence les contraintes génériques effectives qui structurent le texte même du compte rendu. Le genre dans cet article est ainsi considéré comme condensant des contraintes socio-institutionnelles et textuelles (ce dont Beacco7 rendrait compte, me semble-t-il, par le terme de spatialité des formations discursives).

4. La paire de concepts réciproques de modulation et tension élaborée par Vion8, qui permet de saisir la manière dont les interactants s’inscrivent dans leurs discours, en plus de constituer le centre d’un article (celui d’Anne-Sylvie Horlacher) pourrait se révéler pertinente dans deux autres cas: pour mettre en évidence le travail de «désénonciation9» effectué dans le compte rendu analytique (Alexandre Duchêne) tel qu’il est décrit dans l’exemple 1 par l’effacement d’un pan de discours comportant des formules impliquant une forte tension énonciative comme people are willing to suffer and even die for it.

Par ailleurs, on pourrait concevoir que le choix discursif de j’ai X qui plutôt que ya X qui (article de Virginie Conti, il s’agit de sa configuration C1) relève également d’un phénomène de tension ou de modulation: le fait de rapporter à soi la prédication par un pronom de première personne exprimant une tension alors que le choix de la formulation en ya impliquerait une prise de distance par rapport au contenu de la prédication, une modulation. Les articles d’Anne- Sylvie Horlacher et de Virginie Conti auraient ainsi en commun de tenter l’articulation de la valeur en langue et des emplois en discours de configura- tions typiques du français parlé comme moi je et j’ai mon X qui ou ya mon X qui. Par ailleurs, pour Bernard Py, la construction j’ai mon soulier droit qui me fait mal permet de rendre saillant le syntagme nominal par rapport au contenu de la «relative». Pour lui cela fait du SN un lexème saillant donc candidat pour l’apprenant au repérage et à la prise (input) et en même temps la construction

7 Opus cit.

8 Voir notamment Robert Vion « Modalisations, tensions et construction de la référence»

in: A. Giacomi; H. Stoffel & D. Véronique, Appropriation du français par des Marocains arabophones à Marseille, Publications de l’Université Provence.

9 Terme emprunté à Pierre Ouellet «La désénonciation: les instances de la subjectivité dans le discours scientifique», Protée, 1984.

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8 Avant-propos

elle-même devient un type de linéarisation intéressant (donc saillant) pour exprimer la saillance.

5. L’article de Virginie Conti sur les constructions à dispositifs auxiliarisés en avoir utilise pour sa démonstration l’idée que différentes formulations en discours peuvent se révéler équivalentes en langue: c’est notamment le cas de la série de ses exemples (26) à (28):

J’ai mon pain au chocolat qui me fait mal à l’estomac Ya mon pain au chocolat qui me fait mal à l’estomac Mon pain au chocolat me fait mal à l’estomac

Elle s’appuie là sur la conception défendue par les chercheurs du GARS d’une invariance de la relation entre verbe et éléments construits par le verbe nonobstant des arrangements linéaires différents. De plus, elle établit une corrélation d’une part, entre les constructions à dispositifs et l’oral et d’autre part, entre les constructions sans support particulier et l’écrit. Ce faisant elle rejoint des observations faites par Alexandre Duchêne dans son étude d’un

«passage»: celui allant d’un extrait de discours tenu par un expert dans une sous-commission onusienne au compte rendu analytique qui est en donné.

Bien que la problématique du passage d’une intervention orale à un compte rendu analytique écrit excède de beaucoup la seule stylistique, ces deux articles permettent, me semble-t-il, d’aborder le problème des rapports entre discours et style.

Il me semble que l’on pourrait voir dans les constructions à dispositif étudiées par Virginie Conti des traces linguistiques de ce que Bally appellerait une rhétorique pratique, témoins de cette tension entre le carcan de la langue et la liberté du sujet, ce qu’il appelait d’après la formule qu’Adam10 nous a remis en mémoire: «les assauts ininterrompus [de la parole] à la citadelle [langue]». Le

«discernement» comme qualité suprême du rédacteur de compte rendu ana- lytique renverrait également à cette négociation obligée entre une construction orale du sens, personnelle et indicielle (celle de l’intervention orale de l’expert) et la schématisation écrite, génériquement contrainte mais néanmoins fidèle qu’il doit rédiger. On serait là à la croisée des contraintes du système et du discours, d’une part, et d’autre part, du genre – en tant qu’«instance historique de normalisation de la langue11» – et du style – en tant que solution ponctuelle et contextuelle.

10 «Le style dans la langue et dans les textes», Langue française 135, 2002.

11 Tiré de François Rastier & Bénédicte Pincemin: «Des genres à l’intertexte», Cahiers de praxématique 33, 1999.

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Thérèse JEANNERET 9

On l’aura compris, se dessinent dans ce numéro de multiples recherches à venir tant il est vrai que si la réflexion sur les observables et la manière de les organiser pour les rendre significatifs précède en général leur interprétation, cette dernière, par un effet retour, amène souvent à reconsidérer et à modifier la construction des observables. Les articles de ce numéro figent un moment dans ces divers trajets mais les auteur-e-s sont en mouvement.

Thérèse JEANNERET Université de Neuchâtel

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Travaux neuchâtelois de linguistique, 2004, 40, 11-26

Données linguistiques,

données sociolinguistiques:

le traitement labovien du

vernaculaire africain-américain

Céline B

OURQUIN Université de Neuchâtel celine.bourquin@unine.ch

From 1965 to 1968, William Labov conducted an empirical research into African American Vernacular English in South Central Harlem. This paper’s main aim is to reflect on his method. Four “phases” are distinguished. The first one is equivalent to data production, it has to do with procedures used for reaching African American Vernacular English. The second one is about the analysis of specifically linguistic data, while the object of the third and the fourth “phases” is the data analysis from ethnographic observation.

William Labov a largement contribué à apporter à la linguistique une «nouvelle pratique»1, une nouvelle méthode de travail induisant un déplacement de la linguistique structurale vers une linguistique du discours socioculturellement situé. Sa recherche systématique sur le vernaculaire africain-américain2 représente, pour ainsi dire, le prototype de cette pratique originale liant le langage, l’observation, le contexte sociologique et les rapports sociaux; une pratique intégrée dans une approche plus large de la langue: l’approche matérialiste/empirique.

Introduction

S’interrogeant sur les fondements de la linguistique Labov (1987) y observe une profonde division, qui rappelle l’opposition philosophique entre idéalisme

1 Cf. Sociolinguistique (1976).

2 L’African American Vernacular English (AAVE) est défini comme étant: «[…] the dialect spoken by the majority in the inner city, [is] remarkably uniform across the United States and [is] becoming increasingly different from other dialects» (Labov, 2001:2-3).

Nous avons opté pour la traduction vernaculaire africain-américain dont nous utilise- rons principalement l’abréviation VAA.

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12 Données linguistiques, données sociolinguistiques

et matérialisme ou – dans la terminologie linguistique – celle entre menta- lisme/rationalisme et empirisme. L’approche mentaliste est principalement illustrée par la grammaire générative et transformationnelle de Noam Chomsky alors que les principes essentiels de l’approche empirique sont clairement exploités par la sociolinguistique. Ces deux démarches se distinguent, en particulier, par leur définition même de la langue, leurs méthodes de production et d’analyse des données ainsi que par les objectifs qu’elles assignent à la linguistique. En fait, ces traits sont précisément ceux qui différencient le linguiste de bureau – ou linguiste «en fauteuil»3 – du linguiste de terrain.

Il nous importe ici, non pas de débattre une fois encore de la relation entre sociolinguistique et linguistique, mais de réfléchir sur la «mise en application»

– ou plutôt sur une «mise en application» possible – de l’approche matéria- liste. Pour cette réflexion, nous nous référons à la recherche systématique de Labov sur le vernaculaire africain-américain, qui se veut une recherche directe, empirique sur la langue. Nous nous proposons de «déconstruire»

celle-ci et d’en dégager quatre «phases» qui correspondent globalement à la méthode de travail de Labov. La première «phase» est méthodologique, elle porte sur les techniques employées pour trouver et réunir les données les plus cohérentes et les plus fiables à l’intérieur de la communauté linguistique. La seconde concerne l’analyse de ces données. Les troisième et quatrième

«phases», prolongements en quelque sorte de la précédente, ont trait respectivement au fonctionnement de la langue – dans les groupes de pairs et à leurs frontières (parmi les membres des groupes de pairs, les affranchis, par opposition aux paumés) – et à ses emplois – l’«étude des règles de la rhétorique des discours» pour reprendre les termes de Pierre Encrevé (1976).

Avant d’aborder ces différentes «phases» de l’étude de Labov, nous allons brièvement voir quel a été l’objet de celle-ci.

Harlem 1965-1968

Préoccupé de l’échec régulier et uniforme des enfants africains-américains défavorisés dans leur apprentissage de la lecture, Labov soumet, en 1964, à l’Office of Education4 un projet de recherche visant à repérer si le dialecte parlé à Harlem par les jeunes africains-américains joue un rôle dans l’échec des écoles à leur enseigner à lire. Il s’avère qu’en dépit de différences structu- relles notables entre le vernaculaire africain-américain et l’anglais standard,

3 Nous faisons allusion à une image classique en anthropologie, l’«armchair anthropo- logy».

4 U.S. Department of Health Education and Welfare.

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Céline BOURQUIN 13

scolaire5, la cause première de l’insuccès massif qu’enregistrent les écoles des ghettos réside «[…] dans le conflit culturel et politique qui agite la classe»

(Labov, 1978:329). Les différences dialectales sont importantes car elles symbolisent ce conflit. Son enquête l’amène ainsi à considérer non seulement la langue, mais encore «[…] la culture, l’organisation sociale et la situation politique des jeunes Noirs […]» (Labov, 1978:9).

Véritable plaidoyer en faveur du vernaculaire africain-américain, le livre Language in the Inner City. Studies in the Black English Vernacular – paru en 1972 aux Etats-Unis, traduit et publié en France en 1978 (Le parler ordinaire.

La langue dans les ghettos noirs des Etats-Unis) – expose les résultats de cette recherche menée trois années durant à South Central Harlem6.

Notre travail repose principalement sur les deux versions – originale (améri- caine) et française – de l’ouvrage susmentionné, différentes publications de Labov se rapportant à l’investigation de 1965-1968, ainsi que sur notre mémoire de licence (Bourquin, 2003).

Maintenant, il s’agit d’approfondir la «pratique linguistique» de Labov, son pro- gramme.

1. Méthodologie

En 1972, Labov écrit:

to come to grips with language, we must look as closely and directly at the data of everyday speech as possible, and characterize its relationship to our grammatical theories as accurately as we can, amending and adjusting the theory so that it fits the object in view.7 (Labov, 1972b:201)

Son étude du vernaculaire africain-américain compte justement parmi celles qui, dès le milieu des années soixante, ont démontré que l’observation directe

5 Les résultats présentés ici ont été, dans la mesure du possible, actualisés; nous avons pris en compte les modifications apportées par Labov au fil de ses publications. Ce dernier travaille d’ailleurs à une deuxième édition de Language in the Inner City.

Studies in the Black English Vernacular intégrant les nouvelles découvertes en matière de vernaculaire africain-américain – annoncée pour 1999, elle n’a, à notre connais- sance, pas encore paru.

6 Language in the Inner City. Studies in the Black English Vernacular se fonde sur deux rapports de travail: les Cooperative Research Report 3091 (1965) et 3288 (1968).

Nous n’avons malheureusement pas pu avoir accès à ces rapports.

7 «[…] si l’on veut accrocher la langue, il est nécessaire d’examiner les données du langage quotidien aussi directement et d’aussi près que possible, et d’en caractériser la relation à la théorie grammaticale avec la plus grande exactitude, sans hésiter à corriger ni à adapter cette théorie afin qu’elle s’ajuste à l’objet visé» (Labov, 1976:280).

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14 Données linguistiques, données sociolinguistiques

de la langue dans son contexte social constituait une procédure avantageuse et solide8.

L’observation du vernaculaire africain-américain en situation

L’objet d’étude de Labov9 est le vernaculaire pris en son sens général, c’est-à- dire le langage acquis à l’adolescence par les locuteurs urbains issus généra- lement des couches sociales inférieures10, et non pas au sens de «verna- culaire individuel»11. Cependant, pour saisir la structure comme l’usage de ce vernaculaire, Labov doit surmonter le «paradoxe de l’observateur». Un para- doxe méthodologique qu’il avance conséquemment à ses études sur la centralisation phonologique des diphtongues à Martha’s Vineyard (1963) et sur la stratification sociale de l’anglais à New York (1966):

[…] le but de la recherche linguistique au sein de la communauté est de découvrir comment les gens parlent quand on ne les observe pas systématiquement; mais la seule façon d’y parvenir est de les observer systématiquement. (Labov, 1976:290)12

8 Les études suivantes ont concouru à la même démonstration: Gumperz, 1964;

Fishman, J.A., Cooper, R.L., Ma, R. et al. (1968). Bilingualism in the barrio: the measurement and description of language dominance in bilinguals. U.S. Dept of Health, Education and Welfare, Washington, D.C.; Shuy, R., Wolfram, W. & Riley, W.K.

(1967). A study of social dialects in Detroit. Washington, D.C., Office of Education;

Labov, W. (1963). The social motivation of a sound change. Word, 19, 273-309; Labov, W. (1966). The social stratification of English in New York City. Washington, D.C.:

Center for Applied Linguistics; etc.

9 Labov travaille en équipe, c’est par souci de simplification que nous mentionnons uniquement son nom.

10 «[…] the kind of speech the majority of speakers of a city (usually low-status speakers) acquire in their adolescent years» (Milroy, 1987:24).

11 Dont Labov donne, par ailleurs, la définition suivante: «the vernacular may be defined as the structure acquired in the speaker’s formative years that is most consistently controlled, and is used in the most intimate social settings where the minimum attention is given to the audiomonitoring of speech» (Labov, 1980:379-380).

12 Il est manifeste que ce «paradoxe de l’observateur» n’est pas propre à la recherche (socio)linguistique, mais bien plutôt qu’il caractérise toute pratique de terrain, dès lors que la seule présence de l’observateur modifie l’objet, les conditions de l’observation.

En anthropologie, Paul Rabinow (1977) a posé que le travail de terrain est un travail de production de la réalité sociale. L’ethnographe ne recueille pas simplement des faits, son statut «conditionne» sa subjectivité. La neutralité absolue – gage de «scientifi- cité» – longtemps revendiquée est mise en doute et «de plus en plus d’anthropologues considèrent que, plutôt que d’éviter, de nier ou de chercher à contrôler les éléments personnels et les émotions en jeu sur le terrain, il faut les comprendre et les intégrer dans la recherche» (Ghasarian, 2002:11). Une démarche réflexive que l’anthropologie

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Céline BOURQUIN 15

Différentes techniques permettent à Labov d’approcher de la résolution du paradoxe qui, pratiquement, est impossible à résoudre entièrement. Sa méthodologie s’inspire des travaux de John J. Gumperz (1964) sur Khalapur et Hemnes (Hemnesberget) et plus globalement de l’observation participante, une pratique ethnographique13. La procédure complexe à laquelle recourt Labov pour «atteindre» le vernaculaire africain-américain et, par là-même, sa façon de «revisiter» la pratique en question, s’articule autour de trois compo- santes14:

♦ La mise à profit de l’interaction ordinaire à l’intérieur des groupes naturels (autoconstitués). La cohérence et le caractère systématique du verna- culaire procédant d’une multiplicité d’interactions, Labov va préférer les groupes réels de locuteurs aux individus isolés; le groupe exerce un contrôle important sur ce style de discours. Par ailleurs, il a été démontré qu’en général les locuteurs âgés de neuf à dix-huit ans parlent le vernaculaire le plus cohérent. Les jeunes adultes, détachés de leur groupe d’égaux, sont plus aptes à passer à la langue standard et ont davantage l’occasion de le faire. Leur grammaire en raison de l’utilisation qu’ils font des règles standard (de l’anglais standard) subit, d’après Labov, une transformation vraisemblablement irréversible.

En bref, Labov respecte l’organisation de la communauté étudiée et concentre son attention sur les membres de groupes de pairs, adoles- cents ou préadolescents.

♦ La collaboration de quatre chercheurs à l’enquête. Paul Cohen et William Labov, tous deux étrangers à la culture vernaculaire, se sont chargés d’interpréter les données produites sur le terrain par Clarence Robins et John Lewis, lesquels connaissent cette culture de l’intérieur et la comprennent pleinement. Les compétences se sont donc partagées entre chercheurs blancs – Labov et Cohen15 – et africains-américains – Lewis et Robins16.

du proche rend encore plus nécessaire. L’ethnographie actuelle se problématise, tandis que l’anthropologie se fait «réflexive».

13 L’observation participante aurait pour fonction, en anthropologie, «[…] de dissoudre la présence de l’observateur parmi les observés […]» (Bonte & Izard, 1992:471).

14 Pour ce qui est de cette procédure, nous nous inspirons de Lesley Milroy (1987).

15 Paul Cohen a notamment effectué la majeure partie de la transcription et de l’analyse détaillée des variables linguistiques.

16 Clarence Robins et John Lewis sont profanes en linguistique. Clarence Robins a interviewé John Lewis lors de l’enquête préliminaire sur Harlem. Les talents de narrateur de celui-ci ont alors impressionné Labov et ses collaborateurs.

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16 Données linguistiques, données sociolinguistiques

Cette collaboration nous apparaît exemplaire en ce sens que les points de vue d’insider et d’outsider en général successivement «choisis» par l’enquêteur de terrain ne se trouvent pas combinés, mais en quelque sorte «personnifiés». Nous entendons par là que Labov dissocie ces deux perspectives: Lewis et Robins, en tant que membres de la subculture africaine-américaine, incarnent l’insider et servent d’inter- médiaires aux outsiders que sont Labov et Cohen. Cette dissociation – des vues du dedans et du dehors – permet certes à Labov d’accéder à un large éventail stylistique, mais elle équivaut également à une recon- naissance implicite du conflit sociopolitique entre Africains-Américains et Blancs dans l’Amérique des années soixante.

♦ L’emploi de différentes méthodes pour produire les données. Nous passons sur les préliminaires pour nous focaliser sur ce que Labov tient pour la phase majeure de son travail: l’observation prolongée de groupes de pairs de l’intérieur. Celle-ci s’est déroulée en deux temps17 selon une procédure similaire pour tous les groupes de préadolescents et d’adoles- cents, à savoir des entretiens individuels, face à face, des séances de groupe ainsi que des sorties collectives.

Pendant les séances de groupe, le discours de chaque participant est enregistré sur une piste séparée grâce à un micro-cravate, tandis qu’un micro central capte l’ensemble du groupe. Selon Labov, ces séances s’apparentent à des réunions, c’est-à-dire que les membres du groupe de pairs étudié – Thunderbirds, Aces, Jets ou encore Cobras – jouent aux cartes, boivent, chantent et échangent des «vannes». Globalement, le

«jeu» des interactions spontanées des membres permet de surmonter les effets de l’observation et de l’enregistrement. John Lewis18 a, pour sa part, non seulement enregistré, mais aussi filmé ses séances de groupe.

Celles-ci réunissent de six à douze affranchis alors que ses «rencontres restreintes» rassemblent deux ou trois amis intimes19. Labov conclut que

«c’est […] des séances de groupe que nous retirons le meilleur enregi- strement du vernaculaire et de sa grammaire, en même temps qu’un trésor de données sur les emplois du langage» (Labov, 1978:22).

17 L’observation des Thunderbirds, des Aces et, accessoirement, des Oscar Brothers (des garçons plus âgés), puis celle des Jets et des Cobras.

18 John Lewis s’est chargé de l’observation participante des Jets et des Cobras. Pour ce faire, il loua un local de «club» que fréquentèrent journellement les membres des Jets au cours de l’année 1966.

19 Les interviews simultanées de deux membres d’un groupe de pairs sont appelées

«interviews doubles» par Labov.

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Céline BOURQUIN 17

Quant aux sorties collectives, elles ont, entre autres, fourni l’occasion à Labov de recueillir, d’enregistrer, quantité de vannes (sounds) et, par suite, d’éclairer les emplois du vernaculaire africain-américain. Nous y reviendrons plus loin.

En plus de ces techniques, Labov a constitué un échantillon aléatoire stratifié de cent adultes, arrangé des entrevues avec des individus isolés (paumés) et interviewé des adolescents et des préadolescents résidant dans le quartier d’Inwood – une zone «[…] aussi éloignée qu’il est pos- sible à Manhattan de toute influence noire directe […]» (Labov, 1978:22).

Grâce à cette combinaison méthodologique, ses données se sont révélées suffisamment riches pour lui permettre aussi bien d’analyser la grammaire

«interne» du vernaculaire africain-américain que d’examiner et interpréter des faits sociolinguistiques généraux.

Cette procédure décrit la manière dont Labov a constitué ses corpus, voyons à présent comment il analyse les données qui les composent.

2. Analyse des données

Si Labov s’efface lors de la production des données, il lui appartient, par contre, de traiter celles-ci. A notre point de vue, deux facteurs au moins, exposés ci-après brièvement, ont influé sur ce traitement:

♦ l’intention du chercheur. Labov s’efforce de prouver, en particulier, que le vernaculaire africain-américain est tout aussi logique que l’anglais standard, officiel – cf. The Logic of Non-Standard English (1969);

♦ les destinataires de la recherche. En contradiction avec l’assertion de Mitsou Ronat (Chomsky, 1977), nous ne pensons pas que Labov s’adresse surtout aux enseignants, aux pédagogues, mais qu’il s’adresse aussi à eux. Il s’agit de leur procurer des matériaux exploitables et intelligibles sur le dialecte non-standard en question. Labov vise, par conséquent, un double destinataire: le linguiste et l’enseignant/péda- gogue.

«L’objectivité dans l’étude du verbe to be»

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Parmi les multiples problèmes structuraux que pose le VAA, nous avons décidé de nous servir de celui de la copule pour illustrer la façon dont Labov

20 Intitulé emprunté à Labov (1982a).

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18 Données linguistiques, données sociolinguistiques

analyse ses données. D’un autre côté, par le biais de l’intitulé, nous pouvons introduire l’idée générale d’«objectivité» chère aux matérialistes/empiristes.

En vernaculaire africain-américain, la copule – c’est-à-dire les différentes formes tensées de be auxiliaire de prédication et de be auxiliaire progressif – est parmi les variables les plus saillantes. Le vernaculaire présente quatre formes quand d’autres dialectes n’en présentent que deux:

(1) a. He is always doing that. b. He is tired out.

(2) a. He’s always doing that. b. He’s tired out.

(3) a. He always doing that. b. He tired out.

(4) a. He be always doing that. b. He be tired out.

Nous nous en tenons à l’alternance des formes tensées – les formes (1) à (3)21. Il s’agit de savoir «[…] si 1(a,b) et 2(a,b) sont le résultat de l’insertion morphologique variable de formes d’un dialecte superposé [à partir de 3(a,b)], ou si 2(a,b) et 3(a,b) sont le résultat de la réduction variable d’une forme sous- jacente 1(a,b)» (Labov, 1982a:393).

Pour cette analyse de la copule, Labov s’appuie sur des enregistrements d’entrevues et de séances de groupe, des tests de répétition et les expérimen- tations psycholinguistiques conduites par Jane Torrey dans les écoles de Harlem22.

En quelques points, nous allons retracer les voies empruntées par Labov pour aboutir, dès 196923, à la solution suivante:

[…] l’anglais noir comporte une copule sous-jacente au présent comme au passé, certaines de ces formes sont contractées, et parmi cet ensemble de formes contrac- tées, certaines subissent l’effacement de la consonne résiduelle24. (Labov, 1982a:395)

♦ Une analyse distributionnelle qualitative a permis d’établir que le VAA peut contracter ou effacer la copule quand d’autres dialectes de l’anglais peuvent la contracter; mais, il ne peut ni la contracter ni l’effacer quand les autres dialectes ne peuvent pas la contracter. Un examen subséquent

21 Les formes 4(a,b) appartiennent au système de l’aspect.

22 Elle a étudié des enfants de grade 2. Les années scolaires sont, aux USA, numérotées en nombre croissant, du grade 1 au grade 12. De 6 à 11 ans, les enfants américains vont à l’école élémentaire (grades 1 à 5). De 12 à 14 ans, ils vont à la middle school (grades 6 à 8) et de 15 à 18 ans, à la junior high school (grades 9 à 12). Au grade 8 (à 14 ans) prend fin l’enseignement obligatoire. Torrey, J. (1972). The Language of Black Children in the Early Grades. New London: Department of Psychology, Connecticut College.

23 Labov, W. (1969). Contraction, deletion and inherent variation of the English copula.

Language, 45, 715-762.

24 Donc, «2(a,b) et 3(a,b) sont le résultat de la réduction variable d’une forme sous- jacente 1(a,b)».

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Céline BOURQUIN 19

des modalités de contraction de l’auxiliaire en anglais standard a révélé que cette contraction correspondait à l’effacement d’un schwa dans les mots de la forme V(C)25 – la voyelle y étant relâchée et non accentuée.

L’application de la contraction, pour ce qui est de will et has, est subordonnée à un processus précédent d’effacement du glide initial.

♦ Une analyse quantitative est indispensable pour faire ressortir pratique- ment la façon dont la contraction et l’effacement sont enchâssés dans le système de règles du VAA. Labov se fonde sur les enregistrements d’interviews et de séances de groupe de cinquante-sept sujets africains- américains26, auxquels s’ajoutent un échantillon d’adultes résidents du même quartier et huit locuteurs blancs – provenant des deux groupes de contrôle de upper Manhattan (Inwood). L’analyse indique que, tous les groupes (et tous les individus s’y rattachant) recourent davantage aux formes pleines dans les entretiens individuels et que l’effacement apparaît plus fréquemment dans les styles et les contextes les moins formels. Le pattern (structure) des contraintes contextuelles est égale- ment uniforme.

♦ Si le sens des contraintes environnementales est semblable pour l’efface- ment et la contraction, leurs effets sont plus marqués pour l’effacement.

La contraction et l’effacement répondent, par conséquent, à des règles variables distinctes, mais qui comportent le même système de contrain- tes. Le fait que l’assimilation de /t/ dans it’s, that’s et what’s doit être agencée après la contraction – mettant ainsi la sifflante en contact avec /t/ – atteste l’existence de règles séparées.

♦ L’étude de Jane Torrey a démontré la prédominance de la forme pleine de is chez les enfants parlant le VAA. Par ailleurs, elle s’accorde avec l’idée de la présence de règles régulières pour la contraction et l’effacement de la copule. Et, «ces résultats confirment l’hypothèse selon laquelle le VNA27 possède une copule sous-jacente dont on peut facilement faire prendre conscience, mais, en revanche, n’a pas de règle d’accord entre le sujet et le verbe» (Labov, 1982a:398).

L’«étude du verbe to be» a ainsi non seulement contribué à la reconnaissance du VAA en tant que système linguistique distinct, comportant des règles gram-

25 Dans la plupart des dialectes, l’effacement du schwa se produit seulement lorsque le marqueur abstrait «temps» est présent.

26 Ceux-ci représentent tous les groupes de pairs étudiés établis dans le quartier entre la 110e et la 118e Rue.

27 Vernaculaire noir-américain.

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20 Données linguistiques, données sociolinguistiques

maticales bien formées qui lui sont propres, mais encore elle a mené à la formalisation de règles variables – enjeu crucial en sociolinguistique.

Il nous reste enfin à montrer pour quelles raisons cette étude est, ou se veut, objective. Tout d’abord, d’après Labov, les données les plus solides, les plus objectives, sont celles de la production spontanée; son analyse se base effectivement sur ce type de données – enregistrements de conversations non surveillées, d’entretiens individuels, de séances de groupe, etc. Ensuite, l’ana- lyse qualitative, première étape, est complétée par une analyse quantitative28. Les résultats obtenus sont confrontés avec ceux d’autres études de la copule en VAA – particulièrement celle de Walt Wolfram (1969)29. Tout ce qui ressort de la subjectivité – qu’il s’agisse des introspections, des intuitions du cher- cheur ou de l’informateur – est globalement écarté.

Attendu sa conception de la langue, Labov ne peut s’en tenir au seul traitement des données linguistiques, à la structure interne du VAA. Pour lui, l’analyse sociolinguistique ne peut se priver de l’analyse globale de la vie sociale. Cette dernière analyse est rendue possible par ses données propre- ment sociolinguistiques – c’est-à-dire qu’aspects linguistiques et sociologiques se révèlent indissociables. Les deux prochaines «phases» considèrent respectivement le vernaculaire dans son cadre social et la culture vernaculaire par le biais d’une de ses activités, les insultes rituelles.

3. Fonctions et fonctionnement du vernaculaire

L’approche ethnographique, qui fait pendant à la linguistique, a permis de dégager la structure sociale de la culture vernaculaire (street culture) ainsi que les différents rapports entre les (pré)adolescents africains-américains eux- mêmes et ceux qu’ils entretiennent avec la culture vernaculaire. Deux catégo- ries se dégagent nettement, celle des affranchis, les membres des groupes de pairs (hip en VAA), et celle des paumés (lames en VAA). Les analyses qui suivent permettent de clarifier aussi bien les statuts respectifs de ces (pré)adolescents que les fonctions, d’une part, et, le fonctionnement du VAA, d’autre part.

28 D’après Labov, l’étude de la variation ne peut être que quantitative. En linguistique, la méthode quantitative d’analyse est particulière aux matérialistes/empiristes.

29 Wolfram, W. (1969). A sociolinguistic description of Detroit Negro Speech. Arlington:

Center for Applied Linguistics.

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Le rôle joué par la culture dans l’échec de l’apprentissage de la lecture

Labov montre que faire partie des affranchis signifie appartenir pleinement à la culture vernaculaire, c’est-à-dire connaître et faire siens les usages de celle-ci, ses règles, sa langue (le VAA) et sa tradition linguistique ainsi que son système de valeurs – globalement semblable à celui de la lower class. Les paumés, eux, sont des isolés; ils se tiennent délibérément ou involontairement à l’écart, à la «périphérie», des groupes centraux, par conséquent, de cette culture dominante. Du fait de leur statut «externe», et comparativement aux affranchis, les paumés accordent non seulement une importance moindre à la street culture, mais encore n’attribuent pas au vernaculaire africain-américain les mêmes fonctions. Pour les affranchis, le vernaculaire remplit notamment une fonction identitaire, il symbolise l’identité aussi bien groupale qu’ethnique.

Cette «bipartition» intéresse certes la sociologie, mais également la pédagogie en général, car elle se retrouve dans les classes des écoles; Labov l’établit analytiquement. Afin de saisir directement le niveau de lecture des jeunes Africains-Américains scolarisés, il corrèle les résultats de septante-huit d’entre eux au Metropolitan Achievement Test30 et l’appartenance ou la non- appartenance à un groupe de pairs. Il en ressort que si les paumés31 ont environ deux ans de retard par rapport à la moyenne nationale, ils apprennent à lire et s’améliorent généralement en grandissant. Les affranchis, par contre, présentent tous un retard de trois ans ou plus, ils ne progressent guère et leurs résultats plafonnent clairement au niveau du grade 5.

Labov explique l’échec de l’apprentissage de la lecture en général et ces résultats contrastés en particulier par le «conflit culturel et politique qui agite la classe»; lequel n’est rien d’autre qu’un conflit de fonctions et de systèmes de valeurs concurrents. Les affranchis, bien davantage que les paumés, ne se reconnaissent pas dans le système scolaire et ses valeurs, qui sont consi- dérées (à juste titre) comme celles de la middle class blanche.

Vernaculaire et organisation sociale

Les paumés se différencient des affranchis socialement et culturellement, mais s’en différencient-ils aussi linguistiquement? En d’autres termes, les paumés sont-ils linguistiquement marqués par la distance qui les sépare de la

30 Labov a également eu accès à leurs dossiers scolaires. Les élèves des écoles new- yorkaises sont soumis chaque année au Metropolitan Achievement Test qui porte sur la lecture et les mathématiques.

31 Approximativement quarante pour cent de l’échantillon.

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22 Données linguistiques, données sociolinguistiques

culture vernaculaire? Labov le détermine en confrontant les grammaires respectives de ces deux populations, par le biais de quatre groupes de locuteurs (pré)adolescents: les Thunderbirds, les Aces, dix garçons participant à des patronages (Vacation Day Camps)32, et les «paumés du 1390»33.

Il observe l’usage que font les paumés des règles variables du VAA; les différences linguistiques ne concernent pas la forme de ces règles, mais le niveau de leur emploi. Parmi celles-ci la contraction et l’effacement de is, 3e personne du singulier de be, copule et auxiliaire sur laquelle je m’arrête de nouveau34. Les Thunderbirds et les «paumés du 1390» sont mis en parallèle et Labov dégage les probabilités d’application des règles de contraction (opérant sur la forme pleine pour aboutir à la forme contractée) et d’efface- ment (opérant sur la forme contractée pour aboutir à la forme effacée)35 pour ces deux groupes; la quantité ϕ, comprise entre 0 et 1, note la probabilité d’application. Ses données quantitatives sur la contraction chez les «paumés du 1390» lui permettent d’établir qu’ils font de cette règle globalement le même usage que les Thunderbirds – la probabilité est de .65 pour les premiers et de .73 pour les seconds. Par contre, les deux groupes appliquent la règle d’effacement tout à fait différemment; cette dernière, au contraire de la règle de contraction, est particulière au vernaculaire africain-américain. Alors que la probabilité d’application est de .52 pour les Thunderbirds, elle est de .12 seulement pour les «paumés du 1390»: ceux-ci «[…] effacent la copule assez souvent pour qu’il soit visible que la règle existe dans leur système, mais en même temps si rarement qu’il est évident qu’elle y est en voie de disparition» (Labov, 1978:360).

Ces résultats recoupent ceux obtenus avec d’autres variables du VAA – r postvocalique, effacement des consonnes t et d dans les groupes consonan- tiques finaux, etc. – et démontrent ensemble la spécificité linguistique des paumés. Ces derniers se situent à la «périphérie» aussi bien de la culture vernaculaire que de sa langue; ils sont dès lors l’objet d’influences variées (autres dialectes, médias, enseignants, etc.).

Ainsi, en même temps qu’il met au jour le fonctionnement du vernaculaire dans les groupes sociaux dominants et à leurs frontières, Labov révèle le lien existant entre les structures linguistiques et la place occupée par un locuteur donné à l’intérieur de sa communauté.

32 Ils forment une catégorie intermédiaire, composée d’affranchis comme de paumés.

33 Ils résident, à l’instar des Thunderbirds, dans l’immeuble 1390 de la 5e Avenue.

34 Cf. «phase» 2. «Analyse des données».

35 Les formes pleines, contractées et effacées sont réparties par environnements gram- maticaux.

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4. Les emplois du vernaculaire

Dans sa monographie sur la culture des rues chez les jeunes des cités – Cœur de banlieue. Codes, rites et langages (2001) –, l’ethnologue David Lepoutre écrit, à propos des «insultes rituelles et traditions culturelles»: «les échanges d’insultes rituelles ont été plusieurs fois observés et décrits par des linguistes spécialistes des parlers noirs aux Etats-Unis. L’analyse de loin la plus poussée et la plus complète en revient ici à Labov, qui a consacré un long chapitre de son ouvrage Le parler ordinaire à cette pratique originale des

«vannes»» (Lepoutre, 2001:173). Deux préalables ont permis cette

«fameuse» analyse: le vaste corpus d’insultes constitué et le fait de tenir l’«échange de vannes36» pour un acte de parole organisé, répondant à une logique.

Les quelques trois cents vannes (rituelles) collectées par Labov l’ont été en trois occasions principalement: deux excursions en minibus, l’une avec les Jets et l’autre avec les Cobras, pendant lesquelles le seul non-membre (Robins ou Lewis) se trouve au volant et une séance de groupe rassemblant cinq Thunderbirds. Ces vannes ne sont pas rapportées par les affranchis, mais véritablement produites au cours d’interactions verbales et, dans la mesure du possible, référencées. A titre de comparaison, Lepoutre, qui est resté deux ans sur son terrain (la cité des Quatre-Mille à la Courneuve), n’en a recueilli qu’une centaine; à sa demande, ses informateurs en ont noté une partie.

Les insultes ne se conçoivent et ne font sens que dans le cadre d’un échange rituel (sounding) explicitement réglé. Toute insulte en appelle non seulement une autre, en réponse, mais est ouvertement évaluée; un échange suppose donc au moins deux antagonistes et un public. La manière d’interpréter et de répondre à une insulte varie néanmoins suivant le type d’insultes produit. A notre sens, l’opposition que pose Labov entre insultes rituelles et personnelles l’illustre bien.

L’insulte rituelle est un énoncé manifestement faux, et même faux par définition. Elle prend pour cible la mère de l’adversaire, l’adversaire lui-même ou encore l’un de ses proches parents et plus spécialement un de leurs attributs – âge, poids, habillement, etc. Toutefois, il est reconnu que l’insulte en question n’énonce pas des faits: «[…] par une convention sociale, on admet que les attributs qu’elles [les vannes] désignent n’appartiennent en réalité à personne» (Labov, 1978:455-456). Une certaine distance symbolique préserve ainsi les antagonistes des retombées de leurs actes de parole. Il

36 Nous employons vanne comme synonyme d’insulte rituelle.

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24 Données linguistiques, données sociolinguistiques

convient de répondre à une telle insulte par une vanne, une autre insulte rituelle:

David: Your father got buck teeth. (Ton père, il a des dents de cheval).

Boot: Your father got teeth growin’ out his behind. (Ton père, il a des dents qui lui sortent du derrière). (Labov, 1972a:345/1978:446).

L’insulte personnelle, elle, n’est pas donnée pour fausse, elle peut même se révéler exacte. L’antagoniste qui y recourt enfreint les règles de l’échange et trompe en quelque sorte la confiance du groupe. L’attribut, le trait visé peut être propre à la cible. La réponse appropriée à une pareille insulte est une dénégation, une justification ou une atténuation:

J1: I went in Junior house ‘n’ sat in a chair that caved in. (J’ai été chez Junior et je me suis assis sur une chaise, elle s’est enfoncée).

J2: You’s a damn liar, ‘n’ you was eatin’ in my house, right? (T’es un sale menteur, et pis t’y bouffais chez moi, pas vrai?) (Labov, 1972a:317/1978:414).

Outre cette opposition, Labov fait ressortir la compétence des affranchis, leur capacité à distinguer spontanément ces deux sortes d’insultes et à fournir la réponse attendue. L’échange de vannes rituelles – comme celui d’insultes personnelles – possède une «structure solidement articulée» et est régi par des règles fondamentales connues des membres de la culture vernaculaire.

L’analyse que fait Labov des emplois du vernaculaire, et plus précisément des insultes rituelles est intéressante car elle offre, d’après nous, plusieurs niveaux de lecture. La différence entre insultes rituelles et personnelles exposée plus haut et, dans son ensemble, la description qu’il donne des vannes constituent le niveau de lecture de base, «tangible». Au-delà de ce niveau de la descrip- tion, il y a celui de l’intention37: montrer par l’exemple «[…] la richesse verbale, la maîtrise syntaxique et la créativité dont savent faire preuve les membres des groupes de pairs» (Labov, 1978:391) et par là-même leur participation à une culture éminemment verbale. De fait, les résultats scolaires des affranchis pourraient tendre à infirmer leur habileté linguistique. La «reconnaissance»

enfin se place à un troisième niveau. La reconnaissance, en premier lieu, de l’usage des insultes rituelles en tant qu’institution, c’est-à-dire structure sociale et relationnelle assujettie à des règles systématiques. En second lieu, la re- connaissance, par le biais des vannes rituelles, de différences importantes entre les subcultures. La pratique des insultes est fondée sur un savoir social et des conventions que partagent les membres de la culture africaine-améri- caine, mais qui sont, du moins en partie, étrangers aux membres des autres subcultures.

37 Cf. «phase» 2. «Analyse des données». Ces deux intentions se complètent.

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